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Développement durable

Bruxelles, 2 octobre 2025

En cette année internationale des coopératives, promues par les Nations Unies, il faut tout d’abord souligner l’importance du COOPDAY sur le plan de la pédagogie : mieux connaître et faire connaître l’importance fondamentale de la dynamique des entreprises coopératives, ainsi que de l’économie sociale et solidaire, constitue un enjeu majeur [1].

Personnellement, j’ai toujours considéré que l’économie coopérative s’inscrivait pleinement dans le champ de l’économie productive. La pertinence de cet ancien instrument que constitue la coopérative peut encore répondre aux défis du XXIe siècle. Elle est même particulièrement importante à notre époque et devrait l’être davantage à l’avenir en Wallonie.

Dans sa contribution, Sébastien Durieux, membre du Comité de direction de Wallonie Entreprendre, a montré que, dans le système d’innovation et le paysage du redéploiement de la Wallonie, l’économie coopérative a pleinement sa place. C’est également mon message : pourquoi faut-il répondre maintenant à ce besoin d’accroissement et de développement des coopératives ?

 

1. L’économie coopérative ouvre la porte à un entrepreneuriat alternatif

D’abord parce que, qu’on le veuille ou non, malgré tous les efforts des gouvernements, des administrations, des associations patronales et sectorielles, des fondations et des universités, l’esprit d’entreprendre reste faible en Wallonie et même, dans certaines sous-régions, marginal. Les traumatismes des déclins industriels ont marqué des générations. Il faudra probablement quelques décennies supplémentaires pour guérir les plaies culturelles et psychologiques qui subsistent. Les témoignages sont légion [2]. Or, on l’a répété, l’entrepreneuriat collectif constitue une alternative au modèle capitaliste classique tel qu’il a été décrit par Adam Smith au XVIIIe siècle. Les coopératives mettent en œuvre un vrai entrepreneuriat capable de produire de la valeur – pas uniquement au sens large, au sens le plus restreint également – et de la diffuser. Elles offrent de surcroît la possibilité de mise en commun d’un capital humain et financier ainsi que l’application de règles spécifiques en termes de propriété et de gouvernance [3].  Cela peut se faire évidemment par toute une série de mécanismes d’accompagnement qui existent et qui ont été développés par les gouvernements wallons successifs et leur administration [4].

 

2. La contribution à une économie créatrice de valeur au sens restreint

Ensuite, parce que la transition coopérative, les coopératives, l’économie sociale et solidaire, constituent vraiment une alternative pour des services d’intérêt général, où elles peuvent remplir des missions économiques, sociales, culturelles, avec une forte implication, une motivation particulière du personnel, tout en se situant dans le sens de la création de valeur, donc de l’activité économique productive.

En Wallonie, cette question est fondamentale puisque, nous le savons, depuis les années 1990, notre économie souffre d’un déficit d’emplois productifs, créateurs de valeur au sens de la taxe sur la valeur ajoutée, entre 80.000 et 100.000 emplois. Et il ne s’agit pas simplement d’une question de taux d’activité. Il s’agit de pouvoir, comme le veut le Rapport Brundtland Notre Avenir à tous (1987) sur la durabilité, la soutenabilité, disposer d’une économie qui dégage des excédents. Seuls ceux-ci peuvent permettre à l’État, par la fiscalité, d’adresser les défis fondamentaux qui sont les nôtres : décarbonation, production et infrastructures d’énergie, cohésion sociale, santé, coopération au développement, défense et lutte contre la criminalité, rééquilibrage du fédéralisme belge [5]. Pour ce dernier enjeu, il s’agit de mettre fin aux transferts Nord-Sud de la Belgique par la création de ces emplois [6] et de rendre sa dignité à la Wallonie [7].

Notons toutefois que, sur le temps long 1995 à 2023, alors que la population wallonne s’accroît de 11,4%, l’emploi total s’accroît quant à lui de 29%. Alors que le nombre d’indépendants reste assez stable (+7,3%), le nombre d’emplois dans la fonction publique augmente de 24%. Néanmoins, le nombre de personnes travaillant dans les entreprises passe de 514.740 à 769.194, soit un accroissement de près de 50% (49,4%) [8].

Parmi ces défis, il est également fondamental de répondre à celui de la recherche de sens, de l’intérêt général et du bien commun rappelé par notre collègue finlandais. Ce besoin touche bien sûr les jeunes, mais est également devenu transgénérationnel et concerne toutes les sphères de la société. Il s’agit également de recréer du narratif débouchant sur des projets concrets et sur leur réalisation, comme l’a rappelé Victor Meseguer Sánchez, directeur général adjoint de la coopérative ABACUS, dans sa remarquable présentation de ce superbe instrument éducatif catalan [9].

 

 3. Un « moment coopératives »

Enfin, nous avons besoin de poursuivre notre effort parce qu’il existe aujourd’hui en Wallonie un « moment coopératives », un moment favorable à la transition coopérative lié aux métiers du futur. Certes, rien de plus difficile que la prospective des métiers et des compétences nécessaires pour identifier les domaines, s’y former et devenir capable de pratiquer au quotidien. Les travaux pour ce type de prospective sont nombreux et l’intérêt est grand [10]. Au Québec, les rectrices et les recteurs des universités, ainsi qu’une série d’acteurs clefs, lancent d’ailleurs actuellement un vaste Plan Talents pour rencontrer cette question et y faire face.

Si je vous dis : aide aux personnes, soins à domicile, accueil de l’enfance, politique d’égalité des chances, politique de la santé, aménagement du territoire, protection de l’environnement, économie circulaire, matériaux, politique de l’énergie, rénovation rurale, logement et habitat, activités parascolaires, services psycho-médico-sociaux, politique de la jeunesse, éducation permanente et animation culturelle, développement rural, soutien à la recherche d’emploi, économie sociale… Voilà autant de domaines et de métiers où se déploient des coopératives…

En fait, il s’agit de champs d’action actuels, tels que les identifie le cadastre des APE, des aides à l’emploi 2024, établi par le Forem en vertu du décret du 6 juin 2021, sous la rubrique « compétences fonctionnelles et activités d’intérêt général » [11].

À l’heure où la Déclaration de Politique régionale wallonne, engageant le Gouvernement wallon et le ministre wallon de l’Économie en particulier, a pris la décision de renvoyer 50 voire 60.000 équivalents temps plein APE vers les départements fonctionnels de la Région wallonne et de la Communauté française, le moment est essentiel pour faire entrer une bonne partie de ces emplois dans le champ de l’économie sociale et solidaire, coopérative et productive.

 

Ruslan Batiuk – Dreamstime

Certes, je n’ignore pas, à la lecture de ce cadastre, qu’un certain nombre des emplois mentionnés dépendent déjà de nombreuses coopératives, mais beaucoup de ces emplois sont inscrits sur le payroll d’ASBL et d’administrations publiques communautaires, régionales, provinciales ou communales, donc souvent hors du champ productif tel que je l’ai évoqué, au sens restreint. C’est là qu’une formidable opportunité existe d’établir une véritable mutation de notre économie.

Je n’ignore pas non plus la difficulté de cette transition. Assurément, elle ne se fera pas toute seule : des mécanismes, des sas, des dispositifs innovants devront être mis en place par tous les acteurs concernés, mais l’occasion est réelle de rééquilibrer et redynamiser l’économie régionale.

 

 4. Conclusion : dire et faire…

Le rapport prospectif 2025, Résilience 2.0 de la Commission européenne, publié en ce mois de septembre 2025, contient deux affirmations que je veux mettre en exergue. La première concerne l’État-providence : pour que l’État-providence subsiste, il faut des finances publiques viables, une économie productive et compétitive [12].

La seconde porte sur la résilience et le renouveau démocratiques [qui] ont leurs racines dans la cohésion sociale, dans les mécanismes institutionnels d’équilibre des pouvoirs et dans l’innovation visant à améliorer la démocratie et la démocratie des entreprises [13].

L’articulation de ces deux affirmations, qui touchent à notre souveraineté [14], ne va pas de soi, notamment si on regarde l’évolution des tendances dans la démographie de l’emploi. En effet, le même rapport met en évidence que, en 2040, l’Union européenne pourrait compter 17 millions de personnes en moins en âge de travailler qu’aujourd’hui [15]. Je vous laisse imaginer les impacts sur la compétitivité, les pressions sur le marché du travail et sur les budgets publics, en les liant avec des fiscalités lourdement secouées.

 Le développement du modèle coopératif ne répondra pas à l’ensemble de ces défis, mais, en tout cas, pour la Wallonie, j’ai la conviction qu’il peut contribuer, de manière tangible, à une refonte et à un accroissement des systèmes productifs et de l’économie productive en Wallonie. Cette hypothèse demande, à tout le moins, une sérieuse et rapide évaluation ex-ante voire une analyse préalable d’impact.

Quelque chose se passe, disait la présidente de la Febecoop, Hilde Vernaillen en ouverture du COOPDAY à Bruxelles ce 2 octobre 2025. En tout cas, il me semble qu’en Wallonie, quelque chose peut se passer à un moment particulier : transformer une économie soutenue – celle des APE – en économie portante – celle des entreprises coopératives.

Le dire est facile, le faire pourrait être enthousiasmant…

 

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] Ce texte constitue la mise au net de mon intervention dans le panel Région wallonne du COOPDAY organisé par la Febecoop au Centre culturel Flagey à Bruxelles le 2 octobre 2025, aux côtés de Sébastien Durieux et de Fabrice Collignon.

[2] Voir, par exemple, le propos d’Emmanuelle Ghislain, CEO de Pulse Foundation : L’inconfort (pour ne pas dire le rejet) de certaines des parties prenantes du système éducatif francophone envers les critères de « création de valeur », pourtant à la base de la démarche entrepreneuriale, freine son bon déploiement. Il est encore bien difficile de faire cohabiter valeur économique et sociale dans les esprits. Emmanuelle GHISLAIN, Diffuser l’esprit d’entreprendre au 1,1 million des « 6-25 ans » de notre communauté ne peut s’envisager que si l’enseignement s’approprie pleinement cette compétence, dans L’Écho, 28 octobre 2023. https://www.lecho.be/opinions/general/comment-cultiver-l-esprit-d-entreprendre-aupres-des-jeunes/10502329.html – Voir également les données régionales dans J. DE MULDER & H. GODEFROID, Comment stimuler l’entrepreneuriat en Belgique ?, Bruxelles, Banque nationale de Belgique, 2016. https://www.nbb.be/fr/media/22103 – Béatrice VAN HALPEREN, Esprit d’entreprendre et entrepreneuriat en Wallonie : Contexte et développements récents, dans Dynamiques régionales, 7 (1), 2019, p. 5-12. https://shs.cairn.info/revue-dynamiques-regionales-2019-1-page-5?lang=fr

Voir aussi : Olivier MEUNIER, Mathieu MOSTY et Béatrice VAN HALPEREN,  Les mesures de sensibilisation à l’esprit d’entreprendre : quel impact sur les élèves de l’enseignement secondaire supérieur ?, IWEPS, Rapport de recherche n°22, Décembre 2018. https://www.iweps.be/publication/mesures-de-sensibilisation-a-lesprit-dentreprendre-impact-eleves-de-lenseignement-secondaire-superieur/

La Wallonie présente une tendance à la hausse du nombre de créations d’entreprises, bien qu’elle soit moins marquée que celle de la Flandre. Le nombre de nouvelles entreprises est passé de 21.868 en 2014 à 25.718 en 2023, soit une augmentation d’environ 17,6%.  Robin DEMAN, Charlie TCHINDA et Eric VAN DEN BROELE, Atlas du créateur 2024, Graydon, UNIZO, UCM, 2024, p. 13. https://www.ucm.be/actualites/starteratlas-2024-le-nombre-de-cessations-dentreprises-atteint-des-records Il serait probablement nécessaire de mettre à jour le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) qui mesure l’intention d’entreprendre ou encore l’esprit d’entreprendre d’un pays ou d’une région à partir d’un échantillon représentatif de cette population, pour la Wallonie.

https://www.gemconsortium.org/file/open?fileId=47205DE

[3] Thomas LAMARCHE & Jérémie BASTIEN, Méso-économie, Penser la pluralité des dynamiques économiques, p. 115-125, Paris, Dunod, 2025.

[4] Voir, par exemple, Le soutien de l’entrepreneuriat des jeunes, une des ambitions de Wallonie Entreprendre, Liège, WE, 17 avril 2024. https://www.wallonie-entreprendre.be/fr/actualites/accompagnement/le-soutien-de-lentrepreneuriat-jeune-une-des-ambitions-strategiques-de-wallonie-entreprendre

[5] Le Rapport Brundtland (1987) sur le développement durable insiste sur la nécessité de construire un système économique capable de dégager des excédents. Or, en Wallonie, dès 1991, l’économiste Henri Capron (ULB-DULBEA) montrait, dans le cadre des travaux La Wallonie au futur, que le secteur public était devenu l’activité dominante en Wallonie, supplantant ainsi l’activité industrielle. En effet, en 1989, l’emploi salarié par rapport à la population était de 6,47 % en Wallonie (contre 5,46 % en Flandre) tandis que l’emploi manufacturier, qui avait chuté de 12,8 % les quatre dernières années, était au niveau de 5,41 % contre 7,83 % en Flandre. Le Professeur Capron mettait également en évidence la vulnérabilité de la Wallonie qui ne disposait plus que d’une base industrielle très faible et la nécessité pour la région de développer une véritable stratégie industrielle tant par une consolidation de ses acquis, que par une plus grande diversification. Pour ce faire, il insistait sur l’importance de la revitalisation qui devrait se fonder sur des pôles de compétitivité technologique structurants. Parallèlement, et à la suite des recherches d’Albert Schleiper (CUNIC), pilotant un groupe d’économistes régionaux, ces travaux mettaient en évidence l’importance du secteur non marchand par rapport au secteur marchand, proportionnellement plus élevé que dans le reste de la Belgique, en raison de la réduction excessive ou de la croissance trop faible des emplois dans le secteur marchand. Ces travaux montraient que les activités non marchandes, concentrées dans les deux secteurs « Services publics, enseignement » et « Services divers », représentaient ensemble 43,7 % de l’emploi salarié wallon (351.286 emplois sur 804.553) et 32,3 % de l’emploi total du côté flamand. Ce différentiel de plus de 10 % représentait un déficit de plus de 90.000 emplois dans le secteur marchand wallon. Le groupe de travail arrivait à la conclusion que l’évolution de l’activité économique à l’horizon 2010 impliquait une répartition de l’emploi entre les divers secteurs compatibles avec la finalité des activités économiques, à savoir la création de richesse, ce qui, à court et à moyen terme, nécessite une importante croissance nette de l’emploi dans les secteurs industriels et tertiaires marchands. Henri CAPRON, Réflexions sur les structures économiques régionales, dans La Wallonie au futur, Le défi de l’éducation, p. 176-177, Charleroi, Institut Destrée, 1992.La Wallonie au futurLe défi de l’éducation, p. 130sv, Charleroi, Institut Destrée, 1992. – Albert SCHLEIPER, Le devenir économique de la Wallonie, dans La Wallonie au futur, Le défi de l’éducation, p. 131-133, Charleroi, Institut Destrée, 1992. – Ph. DESTATTE, La Wallonie au futur, 10 ans de construction d’un projet de société, p. 20, Charleroi, Institut Destrée, 1997.

[6] Didier PAQUOT, Trajectoire des transferts financiers interrégionaux Flandre-Wallonie, Namur, Institut Destrée, 28 février 2021, 12 p.

[7] Ph. DESTATTE, « J’aurais honte, en tant qu’élu wallon, d’encore demander de l’argent à la Flandre », Entretien avec Han Renard, Traduction de l’interview réalisée par la journaliste Han Renard le 1er février 2023 et publiée dans le magazine Knack le 4 février 2023 sous le titre Historicus Philippe Destatte: “Ik zou me als Waalse politicus schamen om nog geld te vragen aan Vlaanderen”, Hour-en-Famenne, Blog PhD2050, 1er février 2023. https://phd2050.org/2023/02/05/dignite/

[8] Banque nationale, ICN, Répartition de l’emploi par secteurs institutionnels et STATBEL, calculs propres 30 septembre 2025.

[9] ABACUS Cooperativa : https://www.abacus.coop/es/home

[10] Philippe DESTATTE, Les métiers de demain… Question d’intelligence(s), Blog PhD2050, 24 septembre 2018. https://phd2050.wordpress.com/2018/09/24/helmo2018/ – Ph. DESTATTE, L’évolution des compétences et des métiers, et ceux qui viendront demain, Mission Prospective Wallonie 21, Namur, Institut Destrée, 2021. – Assessing and Anticipating Skills for the Green Transition: Unlocking Talent for a Sustainable Future, Getting Skills Right, Paris, OECD, 2023.OCDE

[11] Aide à l’Emploi (APE), FOREM, 2025. https://www.leforem.be/entreprises/aides-financieres-aides-promotion-emploi.html

[12] Rapport de prospective stratégique 2025, Résilience 2.0 : donner à l’UE les moyens de prospérer malgré les turbulences et les incertitudes, Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Strasbourg, 9 septembre 2025, COM (2025) 484 final, p. 11. – Philippe DESTATTE, Finances wallonnes :  il faut poursuivre et accentuer la trajectoire Hilgers…, Blog PhD2050, Namur, 12 mai 2024 https://phd2050.org/2024/05/12/hilgers/

[13] Rapport de prospective stratégique 2025, Résilience 2.0…, p. 14. – Ph. DESTATTE, La cohésion sociale pour la Wallonie à l’horizon 2050, De la citoyenneté belge à la concitoyenneté wallonne, Communication au Palais des Congrès de Namur à l’occasion de la journée « 30 ans au service de la cohésion sociale en Wallonie » organisée par la direction de la Cohésion sociale du Service public de Wallonie. Namur, Blog PhD2050, 1er décembre 2022. https://phd2050.org/2022/12/04/concitoyennete/ – Voir aussi : Ph. DESTATTE, Système, enjeux de long terme et vision de la cohésion sociale en Wallonie à l’horizon 2050, dans L’Observatoire, Hors-série, Liège, Mai 2023, p. 35-41.

https://phd2050.org/wp-content/uploads/2023/07/Philippe-Destatte_Vision_Cohesion-sociale_Tire-a-part-Observatoire_Mai_2023.pdf

[14] François ECALLE, Mécomptes publics, Conception et contrôle des politiques économiques depuis 1980, p. 307, Paris, Odile Jacob, 2025.

[15] Op. cit, p. 11. – Choosing Europe’s future. Global trends to 2040,EC, ESPAS, 2024, https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/848599a1-0901-11ef-a251-01aa75ed71a1/language-enAnnual report on taxation 2025, Review of taxation policies in the EU Member States, European Commission, 2025, https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/998524d7-4fe5-11f0-a9d0-01aa75ed71a1/language-en. – 2024 Ageing Report. Economic and Budgetary Projections for the EU Member States, European Commission, April 18, 2024. https://economy-finance.ec.europa.eu/publications/2024-ageing-report-economic-and-budgetary-projections-eu-member-states-2022-2070_en

Namur, le 8 août 2025

 

1. Performance, vous avez dit performance ?

Lorsque l’on évoque les politiques publiques et collectives, la notion de performance suscite la méfiance [1] et est souvent mal comprise, discutée, voire déconsidérée [2]. Dans d’autres domaines, comme le sport, elle est au contraire constamment valorisée. Encore faut-il s’entendre sur le mot, dont l’étymologie est complexe : avec des va-et-vient entre l’anglais et le français, elle renvoie de prime abord à l’idée d’accomplissement, de réalisation, de résultats réels [3], ce qui est déjà intéressant. Du reste, après le sens artistique, c’est la définition actuelle du mot en anglais courant : l’action ou le processus d’exécution d’une tâche ou d’une fonction [4].

Les évaluatrices et évaluateurs des politiques régionales européennes, biberonnés voici vingt-cinq ans par le programme MEANS, disposent quant à eux, d’une définition à la fois robuste et ouverte de la performance des politiques publiques : le fait que les effets ont été obtenus à un coût raisonnable et qu’ils donnent satisfaction aux destinataires [5]. Telle est à leurs yeux la performance.

Le Glossaire de la gouvernance publique, développé en 2011 par la chaire du même nom, à l’initiative de l’Institut supérieur du Management public et politique, à Paris, définit la performance comme le résultat obtenu par une organisation en termes de quantité, de qualité, de satisfaction du client, de maîtrise des délais et des coûts. L’auteur de la notice rappelle que le terme vise souvent la performance budgétaire pour allouer au mieux les ressources en fonction de la pertinence des dépenses, de leur efficacité et efficience, et d’éviter la reconduction systématique des budgets d’une année à l’autre [6].

Quant au Dictionnaire terminologique de l’évaluation, réalisé en 2014 à l’initiative de l’École nationale d’Administration publique du Québec, il voit la performance comme l’appréciation générale des résultats, en soulignant qu’il s’agit d’un terme générique du registre de la langue courante. La performance permet de déterminer la qualité d’une intervention selon des critères de résultat (efficacité, efficience, équité). Les auteurs précisent que la performance d’intervention s’observe selon des critères d’avantages sociaux et de coûts sociaux. On parlera de performance opérationnelle lorsqu’on mesure la qualité d’une intervention selon des critères relatifs à sa mise en œuvre [7].

Christopher C. Hood (1947-2025) et Ruth Dixon, chercheurs à la Blavatnik School of Government de l’Université d’Oxford ont donné une définition multidimensionnelle de la performance, observant eux aussi que ce concept ne se réduit pas uniquement à l’efficacité économique ou à la réduction des coûts : la performance publique doit être comprise comme un concept multidimensionnel qui englobe l’efficacité, l’efficience, la qualité, l’équité et la légitimité. L’évaluation de la performance ne peut se réduire à un seul indicateur, mais nécessite une analyse intégrée de ces différentes dimensions. Du reste, ils précisent que, dans le cadre de la réforme des services publics, mesurer uniquement la réduction des coûts sans tenir compte des impacts sur la qualité ou la satisfaction des utilisateurs donne une vision partielle et potentiellement trompeuse de la performance [8]. La performance est ainsi vue comme une notion relationnelle, nécessitant responsabilité et transparence, dépendant des attentes des citoyennes et citoyens, des usagères et usagers, parties prenantes, ainsi que de la capacité des institutions à s’adapter à un nouveau type de gouvernance démocratique.

Malgré son caractère très général, on peut aussi trouver pertinente la définition récente de l’OCDE : la performance est la mesure dans laquelle une intervention ou un partenaire respecte des critères, normes ou orientations spécifiques, ou obtient des résultats conformes aux objectifs énoncés ou prévus [9]. Cette approche peut, de fait, contenir les critères de Hood et Dixon, pour autant qu’ils soient précisés.

On le voit, par leur prise en compte de facteurs multiples, notamment la satisfaction des bénéficiaires, ces définitions et approches du domaine de la gouvernance et de l’évaluation déidéologisent voire dédiabolisent, si besoin en était, le concept de performance. On peut également prendre en compte l’analyse de Mariana Mazzucato sur l’échec du Department of Government Efficiency (DOGE) lorsque la chercheuse de la London School of Economics écrit que l’institution dirigée par Elon Musk a échoué dans son objectif déclaré d’améliorer les performances du gouvernement ou de réduire les déficits [10].

 

2. Des politiques publiques et aussi collectives

Voici quelques années déjà, Philippe Bernoux (1927-2025) observait que si les changements sont introduits le plus souvent par la volonté des décideurs, ils ne réussissent que s’ils sont acceptés, légitimés et transformés par les acteurs chargés de les mettre en œuvre [11]. La leçon est connue qui nous venait déjà de Michel Crozier (1922-2013) et Erhard Friedberg [12]. Le processus peut aussi se nourrir des enseignements pragmatiques de James Brian Quinn (1928-2012) sur la transformation collective fondée sur l’implication des parties prenantes, l’adaptation progressive au changement, les réajustements de trajectoires, la souplesse et la réactivité des acteurs [13]. Tout comme James Quinn, Charles Smith critique l’idée d’un changement imposé et préconise la décentralisation opérationnelle et l’expérimentation [14].

Ce qui conduit les politiques publiques à prendre une dimension collective, c’est évidemment la mobilisation de l’ensemble des forces vives et des parties prenantes dans une même volonté de résoudre les problèmes, d’identifier ensemble les enjeux, de coconcevoir des réponses, les coconstruire, les copiloter et en coévaluer les résultats et impacts.

Le Dragon est donc devenu le symbole tentateur du désordre, de la rupture dans l’ordre social, mais également du changement nécessaire, de l’évolution inéluctable que, psychologiquement, il faut intérioriser, apprivoiser, s’approprier[15] – Photo Dreamstime

Dans son effort récent de repenser la gouvernance publique, Jacob Torfing note que, même si la coproduction et la cocréation ne sont pas des phénomènes nouveaux, ils constituent une stratégie prometteuse pour le secteur public à court d’argent (the cash-strapped public sector). Le professeur de science politique et d’institutions aux universités de Roskilde (Danemark) et de Nord University (Norvège) estime que, compte tenu de la situation actuelle, la coproduction et la cocréation semblent offrir une stratégie nouvelle pour combiner de manière constructive les ressources publiques et privées dans la production de services et la création de solutions novatrices. Torfing estime qu’un effort stratégique visant à développer la coproduction et la co-création et à en récolter les fruits pourrait non seulement fournir les ressources nécessaires au secteur public pour répondre aux attentes élevées en matière de services et à sa capacité à résoudre les problèmes, mais aussi apporter des idées nouvelles susceptibles d’améliorer la réglementation et l’élaboration des politiques publiques. C’est également une manière de renforcer la légitimité de la gouvernance publique et de rétablir des relations de confiance entre les acteurs et les décideurs [16].

Torfing voit cinq conditions permettant de mobiliser les ressources de la société au travers des mécanismes de coproduction et de cocréation :

– cultiver une citoyenneté active qui fait des citoyens des partenaires qui influencent activement la gouvernance et l’administration publiques et partagent la responsabilité de trouver des solutions communes ;

– considérer les citoyens comme des ressources et des atouts précieux qui peuvent stimuler l’innovation et contribuer à améliorer le secteur public, plutôt que comme des obstacles aux décisions technocratiques ;

– développer de nouvelles formes de leadership et de gestion plus horizontales, distributives, relationnelles et intégratives : le processus de co-création ne peut être imposé de manière descendante par le recours à la carotte et au bâton et sur la base de normes prédéfinies. Les partenaires publics et privés doivent collaborer sur un pied d’égalité ;

 – créer un espace d’innovation avec une nouvelle approche de la gestion des risques qui considère les erreurs comme inhérentes au processus expérimental et qui évalue les risques par rapport aux gains potentiels ;

bénéficier d’une évaluation qui pose des questions critiques sur la bonne compréhension des problèmes et des tâches [17].

Néanmoins, Jacob Torfing observe que des obstacles existent à l’expansion de la coprodution et de la cocréation. Ainsi, les citoyens sont souvent perçus comme des amateurs aux yeux de fonctionnaires formés et face à la complexité des problèmes tandis que la pratique des relations entre la sphère publique et les citoyens est souvent faible. De même, les élus ne participant pas aux arènes citoyennes, ils ne s’en approprient pas toujours les recommandations ; la cocréation peut déboucher sur des solutions trop audacieuses, budgétairement trop coûteuses qui risquent elles-mêmes d’aggraver les problèmes [18].

Rappelons que ces concepts de coproduction, cocréation et coconstruction se distinguent fondamentalement de ceux d’information, de consultation et de concertation. Pour les acteurs, participer à la coconstruction démocratique des politiques publiques ne consiste pas à faire du lobbying. Il s’agit, pour les parties prenantes, de délibérer ensemble et avec les décideurs, donc les élues et les élus, afin de construire un compromis et une politique visant l’intérêt général et le bien commun [19].

Nous l’avons montré, politiques publiques et collectives partagent le même cycle politique qui peut leur faire franchir un certain nombre de phases permettant d’atteindre leur objectif :

– l’identification des besoins et des enjeux ;

– la (co)construction et la compréhension des objectifs, des impacts et choix des ressources ;

– la légitimation gouvernementale, contractuelle, législative, réglementaire ;

– la mise en œuvre, le pilotage et le suivi, en adéquation avec les ressources ;

– l’analyse, les corrections, la poursuite ou l’arrêt des politiques [20].

D’autres séquences et étapes sont bien sûr possibles.

 

 3. Sept propositions pour des politiques publiques et collectives plus performantes en Wallonie

Les travaux menés par l’Institut Destrée et ses partenaires avant, pendant et après la journée d’étude tenue au Parlement de Wallonie le 21 mars 2025 ont vocation à faire progresser les outils de transformation d’une région que chacun sait en transition.

L’ouvrage édité dans la foulée des trois tables rondes (la qualité et la disponibilité des données, la pertinence des décisions et l’adéquation des ressources, le suivi et l’évaluation des politiques publiques et collectives) propose les textes des interventions qui ont été réécrits et consolidés par leurs auteurs ; dépassant les simples constats, il constitue un point de départ pour mener la Wallonie vers des politiques publiques et collectives plus performantes [21]. Les dix-huit contributions publiées forment un corpus solide et innovant :

Accroître la qualité de la décision publique au profit de toutes et de tous par Florence Thys, présidente de la Cour des comptes ;

Données publiques : entre bien commun, outil d’aide à la décision et facteur de transformation par Emma Ortmann, responsable Développement et Projet à la Fondation pour l’Enseignement, administratrice de l’Institut Destrée ;

Mesurer le mieux possible ce qui compte par Vanessa Baugnet, cheffe du service Comptes nationaux et régionaux à la Banque nationale de Belgique ;

Des statistiques au service de la démocratie par Sébastien Brunet, administrateur général, chef statisticien IWEPS et professeur extraordinaire Université de Liège ;

Pour comprendre, agir, il faut avoir des données par Philippe Defeyt, directeur de l’Institut pour le Développement durable ;

– La donnée publique par Stéphane Vince, directeur du Pôle Technologie et Administration numérique à l’Agence du Numérique ;

La pertinence des décisions et l’adéquation des ressources par Agnès Flémal, directrice générale honoraire et conseillère stratégique à Ignity, administratrice de l’Institut Destrée ;

Un sursaut qualitatif de l’action publique wallonne par Jean Hindriks, professeur à l’UCLouvain et fondateur d’Itinera Institute ;

Mieux réformer pour initier un véritable redressement socio-économique de notre région par Frédéric Panier, CEO d’AKT for Wallonia ;

Pour mieux transformer : réflexions issues du terrain par Olivier Vanderijst, CEO de Wallonie Entreprendre ;

Une vision intégrée de l’action publique par Raymonde Yerna, administratrice générale du Forem ;

Le suivi et l’évaluation des politiques publiques et collectives par Christian Bastin,
directeur de recherche associé et administrateur de l’Institut Destrée ;

Renforcer l’utilisation des connaissances disponibles dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques par Paul-Louis Colon, conseiller au Haut Conseil stratégique de la Région wallonne ;

L’apport de l’évaluation des politiques publiques à la vie démocratique par Cécilia De Decker, évaluatrice spéciale au Service public fédéral Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au Développement ;

Évaluation et démocratie par Pol Fyalkowski, inspecteur des Finances ;

Vers une évaluation systémique et dynamique des politiques publiques par Michaël Van Cutsem, Partner Secteur public BDO ;

La qualité de la gouvernance doit être la force qui met la Wallonie en mouvement par Philippe Destatte, professeur d’histoire et de prospective, président de l’Institut Destrée ;

– Intervention de clôture par Adrien Dolimont, Ministre-Président de Wallonie.

Au moins sept propositions pour des politiques publiques et collectives plus performantes en Wallonie peuvent en être tirées.

 

3.1. Gouverner plus efficacement les données

Pour voir la réalité du paysage et bien discerner les évolutions, la maîtrise de l’information et la qualité des données sont essentielles et il est indispensable de structurer, valoriser et sécuriser l’information afin de pouvoir disposer de données fiables, accessibles, bien organisées, permettant d’élaborer des diagnostics solides et fiables et de permettre, dès le lancement du processus, des politiques publiques et collectives des évaluations ex-ante et des analyses préalables d’impact [22].

Rendre obligatoire l’interopérabilité des données – disposer des mêmes modes de collecte, de traitement, de stockage et de diffusion – entre les institutions et administrations wallonnes est une nécessité soulignée par la plupart des intervenantes et intervenants du domaine.

 

3.2. Autonomiser et responsabiliser dans la mise en œuvre

La confiance des décideurs dans la première ligne d’action constitue un facteur de succès : celles et ceux qui sont en charge de la mise en œuvre sur le terrain doivent être à la fois responsables des résultats et autonomes quant à la gestion des ressources – humaines et budgétaires – dans des cadres fixés contractuellement.

Flexibilité, adaptabilité, compétences sont les maîtres mots. Sur le terrain, c’est celui qui est en charge qui doit piloter.

Cette conception doit pouvoir s’appliquer tant à l’administration classique qu’aux organismes d’intérêt public ou à toute autre partie prenante de l’action collective.

 

3.3. Simplifier et mutualiser pour amplifier

La formule simplifier pour amplifier a été répétée maintes fois depuis la parution du rapport d’Itinera du 15 juin 2024 [23]. Elle pose évidemment la question de la masse critique, des synergies et des économies d’échelle appliquées à différentes institutions de la structure institutionnelle et en particulier aux communes, dont la question des fusions retient l’attention de la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne dans son programme 2025 [24].

Un fédéralisme fort et simplifié, en particulier le transfert des compétences de la Communauté française vers les Régions wallonne et bruxelloise, fait, aux yeux de l’Institut Destrée, également partie de cet enjeu. Ce transfert permettrait d’adresser enfin sérieusement et efficacement des compétences aussi importantes que l’enseignement en alternance ou la transposition en matière de recherche-développement dans un avenir très proche, sans oublier la culture, l’audiovisuel et l’enseignement en général, à très moyen terme [25].

 

3.4. Optimiser l’allocation des ressources

Optimiser l’allocation des ressources signifie que chaque euro investi doit avoir un impact, qu’il doit pouvoir exercer un effet de levier. L’additionnalité entre partenaires doit s’inscrire dans une logique de coconstruction des politiques collectives : comment les entreprises, les organisations syndicales et patronales, les associations, les intercommunales et les communes peuvent-elles participer à l’effort commun dans des contractualisations bien pensées ensemble ?

Le respect de la trajectoire budgétaire n’a pas de fondement idéologique, mais a vocation à sauvegarder l’avenir des générations futures et du fédéralisme belge. Vocation également à assurer la dignité de la Wallonie, qui n’a aucune raison de vivre aux crochets de la Flandre ou de l’Europe. Lorsque nous disons que nous voulons renforcer les politiques publiques orientées résultats plutôt que construites autour de la consommation des ressources, cela signifie qu’il faut activer des mécanismes de Budget Base Zéro, non pas en faisant appel à des armées de consultants pour cornaquer élus et fonctionnaires, mais en travaillant ensemble, entre décideurs, opérationnels et acteurs, pour analyser, en face à face, et donc comprendre les mécanismes budgétaires. Pour avoir vécu sur le terrain dans les années 1990 les pratiques utilisées par les ministres fédéraux Jean-Luc Dehaene (1940-2014) et Herman Van Rompuy, je peux attester de l’efficience d’un dialogue direct et constructif avec les parties prenantes pour atteindre des objectifs partagés [26].

 

3.5. Évaluer de manière démocratique et cognitive

Il reste beaucoup à faire en Wallonie pour développer la culture de l’évaluation démocratique et efficace. Cette citation, extraite d’une interview à L’Écho en 2001, pourrait malheureusement être répétée près de vingt-cinq ans plus tard [27].

Les pratiques d’évaluation des politiques publiques et collectives restent marquées par des logiques de jugements à vocation punitive alors qu’elles devraient être synonymes d’apprentissage collectif. Les évaluations, en effet, aident à comprendre les modes de raisonnement qui guident les décideurs dans leurs choix d’actions, les processus à travers lesquels ils les conduisent, ainsi que les conséquences auxquelles ces processus et actions aboutissent, qu’elles soient ou non attendues ou désirées [28]. De surcroît, l’analyse des politiques publiques et en particulier leur évaluation restent, comme le soulignait le professeur Jean Leca, prises entre le marteau de ceux qui les considèrent trop proches des décideurs et l’enclume de ceux qui les jugent peu pertinentes pour la décision [29]. Ce n’est pas spécifique à la Wallonie.

Le développement de l’évaluation partenariale plutôt qu’externe est une manière de se soigner. Beaucoup plaident également pour une institutionnalisation de l’évaluation au sein du Parlement de Wallonie plutôt que de l’Exécutif. J’ai toujours pensé que, à l’instar de la Cour des comptes pour la Chambre fédérale, l’IWEPS aurait dû être et devrait être un outil du Parlement de Wallonie.

 

3.6. Anticiper : agir avant que les événements n’adviennent

La manière dont un problème est identifié, donc construit, conditionne pour partie les manières de l’appréhender, de le considérer et de le traiter. La mise à l’agenda politique relève notamment de la veille qui permettra l’anticipation, c’est-à-dire d’agir pour éviter que certaines menaces n’émergent ou pour favoriser la venue d’opportunités. Les multiples défis liés au climat, à l’énergie, aux risques géopolitiques et financiers et à la sécurité s’invitent dans cet agenda, mais trop souvent sans avoir été anticipés. La phrase attribuée à Talleyrand et souvent répétée par Hugues de Jouvenel selon laquelle quand c’est urgent, c’est déjà trop tard, prend tout son sens dans notre début de siècle. Ces difficultés renforcent le rôle et l’importance de l’administration et des fonctionnaires, qui contribuent à définir les enjeux et à fixer l’agenda politique, et donc les politiques qui seront mises en œuvre [30]. Elles n’exonèrent pas le reste de la société, en particulier les entreprises.

Le rôle joué par la prospective en tant qu’outil de gouvernance dans la définition de l’agenda politique est bien connu de tous les praticiens, en particulier lorsque cette prospective est hautement participative et délibérative et implique les parties prenantes, les acteurs et même les citoyennes et citoyens [31]. L’objectif de la gouvernance anticipative est de s’assurer que l’agenda n’est pas constamment défini par des événements dramatiques, martelés quotidiennement, et des crises successives. Je me souviendrai longtemps des réponses qui m’ont été faites lorsqu’après les inondations de 2021, j’ai proposé la mise en place d’un programme tous azimuts d’anticipation des risques et catastrophes, en particulier sur le plan territorial : « nous avons déjà trop de travail avec la réparation des événements de la Vesdre » [32]

 

3.7. Etre audacieux et délivrer

Comme la présidente de la Cour des comptes l’a rappelé en ouverture de la journée du 21 mars 2025, la clef des politiques réussies est certainement la formulation claire des objectifs en cohérence avec une vision collective des finalités. Cela implique, pour les élues et les élus, de la communication et surtout, de la pédagogie : ce que nous devons faire, pourquoi et comment nous allons le faire, quelles en seront les conséquences à court, moyen et long terme. Pourquoi la société en sera bénéficiaire. Les décideurs diront quand ils vont atteindre leurs objectifs (l’efficacité), comment ils vont utiliser leurs ressources de manière optimale (l’efficience), quelle sera la qualité des produits et services, sur quelle base démocratique légitime ils vont œuvrer, avec quelle responsabilité et quelle transparence…

Bref, une nouvelle culture institutionnelle pour le politique : être audacieux et délivrer.

On revient sur les critères de performance de Christopher Hood et Ruth Dixon [33].

 

4. Conclusion : être à la hauteur des complexités

Ancien ministre de la Reconstruction, Jean Rey (1902-1983) écrivait qu’en politique les échéances finissent toujours par arriver, et ce n’est pas résoudre les problèmes que de les ignorer [34].

Les problèmes de la Wallonie sont nombreux, même si, contrairement à ce qui est souvent affirmé, les Wallonnes et les Wallons ne manquent pas de courage pour y répondre.

La transformation de la Wallonie ne se fera pas par un coup de baguette magique activée par un gouvernement ou un ministre-président, quelles que soient leurs qualités. Un changement profond ne se fait que par une dynamique collective, mobilisant toutes et tous dans un but commun. En outre, cette transformation se fait dans le temps long et les spécialistes de la transformation savent qu’elle passe par le ou les conflits.

Le changement est un processus lent. C’est pourquoi, dans mes conclusions de la journée d’étude du 21 mars au Parlement de Wallonie, je citais la devise du Général Koutouzov selon Léon Tolstoï : Temps et patience. Interrogé en septembre 2024 par Thierry Fiorilli pour Forbes sur le temps nécessaire au redressement de la Wallonie, j’estimais qu’il faudrait au moins deux législatures pour y parvenir et que, de surcroît, si on ne parvient pas à embarquer l’ensemble des forces vives, de ceux qui créent la richesse, on n’y arriverait pas [35].

Le changement passe par le conflit. Comme l’écrivent les prospectivistes de l’Université de Melbourne : si de nouvelles idées sont poursuivies avec compétence et vigueur, les conflits sont généralement inévitables… Le chemin qui mène du conflit à la négociation est souvent long et ardu. Il nécessite des compétences de haut niveau, de la persévérance et du soutien. Certains conflits restent « bloqués » à ce stade. Mais dans d’autres cas, une solution est trouvée et le conflit causé par l’impact du nouveau sur l’ancien est résolu. Certaines nouvelles suggestions sont légitimées de manière sélective. Le conflit, on le voit, est aussi un facteur de temporalité [36].

Il ne faut pas se cacher non plus l’importance d’une étape démocratique essentielle au milieu de cette décennie de transformation 2024-2034 : les élections législatives de 2029, occasion d’expliquer les changements en cours, de les évaluer, de les réorienter, de les accentuer ou de les arrêter…

Quoi qu’il en soit, la Wallonie, nos citoyennes et nos citoyens attendent de nous toutes et tous que nous soyons à la hauteur des complexités de ce monde et de notre situation au sein de celui-ci.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Bruno WATTENBERGH, Performance ou robustesse ? Un faux dilemme pour les dirigeants lucides, dans L’Écho, 30 juillet 2025. https://www.lecho.be/opinions/general/opinion-performance-ou-robustesse-un-faux-dilemme-pour-les-dirigeants-lucides/10617690.html

[2] Voir par exemples : Alain EHRENBERG, Performance, dans Sylvie MESURE et Patrick SAVIDAN, Le dictionnaire des sciences humaines, p. 860-862, Paris, Puf, 2006-2019. – Olivier HAMANT, Antidote au culte de la performance, La robustesse du vivant, coll. Tracts, n°50, Paris, Gallimard, 2023. Ce qui est frappant dans les travaux d’Olivier Hamant, c’est que, probablement pour la bonne raison de la défense du vivant et de la biodiversité, il réduit volontairement sa définition de la performance à un gain d’efficacité et d’efficience, et le plus souvent anthropocentrée. O. HAMANT, La troisième voie du vivant, p. 23, Paris, Odile Jacob, 2022.

[3] Alain REY, Dictionnaire historique de la langue française, t. 2, p. 1845, Paris, Le Robert, 2022.

[4] The action or process of performing a task or function, in Angus STEVENSON, Oxford Dictionary of English, p. 1320, Oxford, Oxford University Press, 3rd ed., 2010.

[5] Évaluer les programmes socio-économiques, Glossaire de 300 concepts et termes techniques, coll. MEANS, vol. 6, p. 67, Commission européenne, Fonds structurels communautaires, 1999.

[6] Laurent GUYON, Performance, dans Laurence LEMOUZY dir., Glossaire de la gouvernance publique, p. 102, Paris, ISMaPP, 2011.

[7] Richard MARCEAU & Francine SYLVAIN, Dictionnaire terminologique de l’Évaluation, : politiques, programmes, interventions, La dimension conceptuelle, p. 69-71, Québec, GID, 2014.

[8] Christopher HOOD & Ruth DIXON, A Government that worked better and cost less?, Evaluating three decades of reform and change in UK central government, p. 17-18, et 52-99, Oxford, Oxford University Press, 2015.

[9] Glossary of Key Terms in Evaluation and Results-Based Management for Sustainable Developpement (English, French, Spanish), p. 46, Paris, OECD, Second Edition, 2023.

[10] The lesson from DOGE’s failure returns us to the fundamental question: efficient at what, and for whom? DOGE proved efficient at dismantling oversight, efficient at creating chaos, efficient at serving the interests of those who benefit from weakened democratic institutions. But it failed catastrophically at its stated purpose of improving government performance or reducing deficits. Mariana MAZZUCATO, Efficiency at What and for Whom?, How Doge represents the latest chapter in the fifty year project to dismantle the state, Mission Economics, August 1, 2025. https://marianamazzucato.substack.com/p/efficiency-at-what-and-for-whom?r=2e6t1

[11] Philippe BERNOUX, Sociologie du changement dans les entreprises et les organisations, p. 51, Paris, Seuil, 2010.

[12] Michel CROZIER et Ehrard FRIEDBERG, L’acteur et le système, Les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil, 1977.

[13] James Brian QUINN, Strategies for Change, Local incrementalism, Homewood Ill., Irwin, 1980.

[14] Charles H. SMITH, Transformation and regeneration in social systems: A dissipative structure perspective, in Systems Research, vol. 3, 4, Dec. 1986., p. 203-213. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/sres.3850030404 – Voir aussi David AUTISSIER, Isabelle VANDANGEONN-DERUMEZ, Alain VAS, Kevin J. JOHNSON, Conduite du Changement, Concepts-clés, 60 ans de pratiques héritées des auteurs fondateurs, p. 18-19, Paris, Dunod, 2024.

[15] Doudou, Ducasse rituelle, Dragon, Mons, Programme 2025. https://www.mons.be/fr/doudou/ducasse-rituelle/combat-dit-lumecon/personnages/dragon

[16] Jacob TORFING, Rethinking Public Governance, p. 108, Cheltenham UK – Northampton MA, Edward Elgar, 2023.

[17] Ibidem, p. 109.

[18] Ibidem, p. 110.

[19] Ph. DESTATTE, La coconstruction, corollaire de la subsidiarité en développement territorial, Blog PhD2050, Hour-en-Famenne, 3 août 2023.

[20] Ph. DESTATTE, Pour une gouvernance démocratique capable de construire des politiques publiques et collectives performantes, Blog PhD2050, Namur, le 12 mars 2025. (Background paper pour la journée d’étude du 21 mars 2025 au Parlement de Wallonie Progresser dans les outils de transformation de la Wallonie).

https://phd2050.org/2025/03/12/gouvernance-democratique-performante/

[21] Ph. DESTATTE (dir.), Des politiques publiques et collectives performantes, Progresser dans les outils de transformation de la Wallonie, Namur, Institut Destrée, 2025.Voir : https://www.institut-destree.eu/politiques-publiques-performantes.html

[22] Ph. DESTATTE, Accroître la rationalité des décisions par l’analyse préalable d’impact, Namur, 4 octobre 2020, Blog PhD2050, https://phd2050.org/2020/10/04/impact/

[23] Jean HINDRIKS et Alexandre LAMFALUSSY, La densité politique et les écarts régionaux révèlent un potentiel de simplification et de rationalisation, Itinera, 15 juin 2024.

https://www.itinera.team/fr/publications/rapports/la-densite-politique-et-les-ecarts-regionaux-revelent-un-potentiel-de

[24] Comment la supracommunalité et les fusions peuvent-elles répondre aux défis des communes à l’horizon 2030 ? Programme 2025 de la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, https://www.institut-destree.eu/intelliterwal.html – Voir également : Ph. DESTATTE, Une métropole liégeoise en 2042 : 700.000 habitants sur 800 km2, Blog PhD2050, Liège, 7 mai 2025. https://phd2050.org/2025/05/09/2042/

[25] Un fédéralisme fort et simplifié, Contribution de l’Institut Destrée au débat public sur l’avenir institutionnel de la Belgique, Namur, Institut Destrée, 13 juin 2022. https://www.institut-destree.eu/wa_files/institut-destree_gtri_federalisme_fort-et-simplifie_2022-06-13.pdf

[26] Intégration structurelle des budgets départementaux dans le plan pluriannuel, Rapport de la Cellule budgétaire, Service du Premier Ministre, Programmation de la Politique scientifique, Bruxelles, 13 décembre 1993.

[27] « Évaluation, prospective et développement régional » : des outils pour aider la Wallonie à orienter sa stratégie, dans L’Écho, 4 juillet 2001, https://www.lecho.be/actualite/archive/archive/Evaluation-prospective-et-developpement-regional-des-outils-pour-aider-la-Wallonie-a-orienter-sa-strategie/8677065.html

[28] Patrice DURAN, Penser l’action publique, p. 192-193, Paris, Droit et société, 2010. –

[29] Jean LECA, D’où vient l’analyse des politiques publiques, dans Steve JACOB et Nathalie SCHIFFINO coord., Politiques publiques, Fondements et prospective pour l’analyse de l’action publique, p. 62, Bruxelles, Bruylant, 2021.

[30] Lucia VESNIC ALUJEVIC, Eckhard STOERMER, Stress-testing of policy options using foresight scenarios : a pilot case, Publications Office of the European Union – JRC, Luxembourg, 2023.

[31] Ph. DESTATTE, Citizens ‘Engagement approaches and methods in R&I foresight, Brussels, European Commission, Directorate-General for Research and Innovation, Horizon Europe Policy Support Facility, 2023.

https ://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/d5916d5f-1562-11ee-806b-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-288573394

[32] Philippe DESTATTE, Catastrophes, De la culture du risque à l’affrontement de l’incertitude, Hour-en-Famenne, Blog PhD2050, 10 décembre 2022. https://phd2050.org/2022/12/10/catastrophes/

[33] C. HOOD & Ruth DIXON, A Government that worked better and cost less ?…, p. 23, 45 et 52.

[34] Jean REY, État présent des problèmes wallon, p. 454, dans Le Flambeau, n°5, 1950, p. 449-458.

[35] Thierry FIORILLI, Défis et enjeux pour la nouvelle majorité MR/Engagés : peuvent-ils redresser la Wallonie en 5 ans ? dans Forbes Belgique, 31 décembre 2024. https://www.forbes.be/fr/defis-et-enjeux-pour-la-nouvelle-majorite-mr-engages-peuvent-ils-redresser-la-wallonie-en-5-ans/

[36] Conflicts arise for many reasons. If new ideas are pursued with skill and vigour then conflicts are usually inevitable (…) The path from conflict to negotiation is often a long and arduous one. It calls for high-level skills, persistence and support. Some conflicts get permanently ‘stuck’ at this stage. But in other cases a resolution is found and the conflict caused by the new impacting on the old is resolved. Some new suggestions are selectively legitimated. Richard A. SLAUGHTER, Luke NAISMITH, Neil HOUGHTON, The Transformation Cycle, Melbourne, Swinburne University of Technology – Australian Foresight Institute, 2004.

Namur, le 17 juin 2024

Il me revenait voici quelques jours que les négociateurs qui travaillent en vue d’élaborer un programme de législature avaient quelques difficultés à aborder la problématique de l’économie régionale. C’est une information difficile à croire notamment parce que les libéraux disposent depuis 2017 de ce département au sein du Gouvernement wallon, ensuite parce que l’Union wallonne des Entreprises (aujourd’hui dénommée AKT for Wallonia), l’Union des Classes moyennes et Agoria Wallonie possèdent des ressources utiles à fournir : un ensemble de policy papers, de notes, sans même évoquer le rapport de l’exercice de prospective opérationnelle Odyssée 2068 qui a rassemblé pas loin de 700 acteurs régionaux de 2019 à 2022.

Sur la table des négociateurs se trouve également un mémorandum particulièrement important et riche, déposé peu avant les élections par la direction générale Économie, Emploi et Recherche du  Service public de Wallonie (SPW EER). Arrivé beaucoup trop tard dans la campagne pour nourrir les programmes des partis politiques, ce document vient bien à point pour préparer les stratégies de la nouvelle législature. Loin de vouloir en faire une synthèse, notre propos sera plutôt de dire en quoi il nous semble particulièrement pertinent.

 

1. Les bases d’une stratégie de développement territorial des activités économiques

Une première ambition marquante du SPW EER est d’assumer un rôle d’anticipation des changements dans son écosystème d’acteurs en intégrant l’accélération des transformations du monde et en l’appliquant à « son rôle de régulateur, d’arbitre et de contrôleur » [1]. Cela implique évidemment une mission de veille stratégique, en connivence avec les acteurs, mais nécessite aussi un regard de long terme, probablement bien au-delà de 2030, qui n’est que l’an 1 de la prochaine législature. Notons que l’anticipation n’est pas que le regard lucide sur les choses qui surviennent, mais surtout l’action pour les éviter, s’y adapter ou les faire advenir.

La première intention que j’identifie comme particulièrement pertinente dans ce document est celle du développement d’une stratégie spatiale économique claire permettant d’objectiver le traitement des dossiers. Cette stratégie implique notamment la prise en compte de la dimension territoriale dans la conception des politiques industrielles et économiques en axant davantage leur conception sur des thématiques précises comme la motivation de l’utilité publique, la disponibilité de grands terrains, l’évaluation des besoins, etc. [2] Outre une dynamique de contractualisation entre la Région et les agences de développement territorial, il s’agit d’un pilotage blitzkrieg pour rencontrer les besoins de terrains pour une réindustrialisation rapide de la Wallonie. Cette stratégie implique – le document le mentionne – un dialogue avec des partenaires privés, mais aussi publics comme SNCB-Infrabel pour mobiliser des terrains de valeurs, souvent en friche depuis des décennies, et qui permettront non seulement de créer de l’activité, mais aussi de rencontrer les objectifs de zéro artificialisation nette. On le voit, cette dynamique construit les bases d’une stratégie de développement territorial des activités économiques.

 

2. Évaluer et, surtout, clarifier le périmètre des acteurs

Le mémorandum du SPW EER évoque également la nécessité d’évaluer le dispositif chèques-entreprises pour une optimisation de la pertinence des aides et de l’efficience du dispositif [3]. C’est en effet une nécessité tant pour les finances publiques que pour les entreprises et les consultants. On peut du reste se demander si ce n’est pas l’ensemble des aides aux entreprises qu’il faudrait à nouveau réformer en profondeur, mieux cibler et réduire : on se souvient de la formule du président de l’UWE, Pierre Mottet : la vocation d’une entreprise n’est pas d’être aidée par les pouvoirs publics. À l’heure où les investissements en recherche publique sont impératifs, il faut y songer. D’autant que la Recherche et l’Innovation, si elle est bien fléchée, bénéficie in fine aux entreprises.

À juste titre, l’économie sociale est valorisée et promue par le SPW EER comme un modèle de réponse aux défis des transitions inclusives disposant, au-delà du décret-cadre, de dispositifs et d’outils publics de financement [4]. L’ambition de définir et de piloter une nouvelle stratégie en matière d’économie sociale pour remplacer la dynamique Alternativ’ES Wallonia et moderniser les IDESS [5] pourrait être décisive – c’est moi qui l’ajoute – si le Gouvernement wallon veut enfin mettre fin au dispositif des Aides à l’Emploi (APE) et réintroduire une bonne partie de ces travailleuses et travailleurs dans le système économique.

La question centrale du paysage wallon de l’emploi et de la formation est évidemment abordée avec la nécessité impérative de clarifier le périmètre des acteurs, de les mettre davantage en synergie et de les embarquer dans une plus grande proactivité face à l’évolution du marché et des besoins des entreprises [6]. L’anticipation est là aussi un mot d’ordre avec des besoins grandissants de prospective des métiers. Ainsi s’ouvre le chantier de l’articulation entre les différentes missions du système de formation et d’emploi afin de le rendre plus cohérent et plus efficient. À lire les propositions du SPW EER, on observe néanmoins une nouvelle fois que les synergies ne pourront véritablement s’établir que par les changements institutionnels annoncés et attendus depuis longtemps entre la Communauté française et les régions. Pour ce qui concerne la récolte de données et l’anticipation de compétences des entreprises, l’Administration régionale pointe avec raison le peu de visibilité sur le travail réalisé par les différents membres de l’écosystème. La mise en place d’un réseau de veille des acteurs et opérateurs est assurément nécessaire, ainsi que la responsabilisation d’un acteur principal, tête de réseau, qui pourrait, en effet, être le SPW EER, reconfiguré selon ses ambitions.

 

3. Une rationalisation ambitieuse du paysage de la Recherche et de l’Innovation

Rappelant les différentes initiatives déjà prises dans le cadre du Plan de Relance, de Circular Wallonia, de la Stratégie de Spécialisation intelligente (S3), des Pôles de Compétitivité, ainsi que la mise en place d’un « nombre conséquent de mesures », la direction générale de l’Économie de l’Emploi et de la Recherche estime à juste titre que l’heure est venue d’évaluer « mesure par mesure » si et comment ces initiatives ont conduit à l’impact escompté [7]. Comme l’indique à L’Echo le directeur général du département, Lionel Bonjean, il faut mener une analyse d’impact des aides à la recherche, démarche véritablement pionnière, et miser sur les secteurs où la Wallonie est la plus forte. Derrière cette étude d’impact, ajoute-t-il, il faut faire en sorte que notre recherche soit toujours en avance afin de permettre à nos entreprises de continuer à faire du business [8].

Research Innovation – Nicoelnino – Dreamstime

Le SPW EER s’interroge également sur la complexité, la lisibilité et l’efficience de l’écosystème wallon de Recherche et d’Innovation, malgré les efforts de massification des centres de recherche agréés. On ne saurait mieux dire… Des évaluations de l’impact de l’ensemble des aides à la recherche et des mécanismes de R&I devraient donc permettre d’optimiser la pertinence des aides et l’efficience des dispositifs, de redéfinir le rôle et les missions des Pôles de compétitivité, de préparer la prochaine S3 post-2027 et d’accroître le fonctionnement collectif ainsi que l’impact des centres de recherche. Dès lors, une des ambitions majeures de l’Administration est-elle de rendre le Décret Recherche plus adapté aux enjeux politiques et internationaux en évolution ainsi que mieux répondre aux attentes des bénéficiaires (universités, hautes écoles, entreprises, centres de recherches agréés, etc.) en matière de simplification et de numérisation des procédures [9]. L’analyse de la DG EER met en évidence le fait que près de la moitié des centres de recherche agréés travaillent sur des thématiques proches, voire similaires. Cette situation aboutit à une dispersion des ressources et à une présence mitigée dans les programmes-cadres de recherche et d’innovation européens alors qu’ils pourraient jouer un rôle efficace pour relayer les avancées technologiques de la Wallonie et entraîner dans leur sillage ses PME [10]. On ne peut que se réjouir de la volonté de l’Administration de mettre en place une rationalisation ambitieuse du paysage des CRAs et créer un effet de levier économique d’ampleur. [11]

 

Conclusion : un acteur clé de la politique de double transition industrielle

Il ne fait pas de doute que l’ambition du SPW, dans ses différentes dimensions et départements – donc pas seulement l’EER -, est un atout majeur pour l’avenir de la Région. D’autres mémorandums du SPW méritent d’ailleurs d’être passés en revue, comme ceux de certains OIP d’ailleurs. Nous avons pu les mobiliser pour les travaux du Collège régional de Prospective 2023-2024 mis en place par l’Institut Destrée.

Au-delà de la volonté du département Économie Emploi et Recherche de trouver une meilleure articulation avec les outils d’innovation de la Région – on pense à Circular Wallonia ou Digital Wallonia –, il s’agit de trouver une nouvelle et vigoureuse efficience opérationnelle dans un nouveau partenariat avec les entreprises. À la lumière des crises récentes, des transitions nécessaires, mais aussi de l’importance de la dimension européenne mise en évidence lors de la présidence belge de l’Union, Lionel Bonjean et son équipe ont bien compris la nécessité de monter en compétence sur les outils de management du XXIe siècle : qualité et disponibilité des données, analyse préalable d’impact, sécurité et intelligence stratégiques, efficacité numérique.

Enfin, pour devenir l’acteur clé de la politique de double transition industrielle [12], le SPW EER veut développer ses capacités prospectives et anticipatrices [13]. Son dispositif apparaît double : d’une part, reconstituer les ressources de sa Cellule interdépartementale Europe et la faire évoluer en Cellule de prospective et de stratégie européenne, d’autre part, développer des connivences opérationnelles avec les parties prenantes wallonnes actives dans son périmètre de compétence.

On ne peut assurément qu’encourager cette administration wallonne ouverte et déterminée…

 

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Mémorandum 2024, Economie, Emploi, Recherche, Le SPW EER, moteur de la transition, p. 25, Namur, SPW-Ediwall, Juin 2024, 228 p.

[2] Mémorandum…, p. 39-41.

[3] Mémorandum…, p. 43sv.

[4] Mémorandum…, p. 61sv.

[5] Initiatives de Développement de l’Emploi Service de Proximité à finalité sociale, Mémorandum…, p. 65sv.

[6] Mémorandum… p. 79. – François-Xavier Lefèvre recense dans L’Echo 37 CEFA, 157 CISP, 13 CFISPA, 7 prestataires agréés dans l’octroi des chèques formation à la création d’entreprise, 84 opérateurs Digistart, 12 Saace, 11 MIRE, sans compter la promotion sociale, l’enseignement supérieur, l’IFAPME, le Forem, les Régies de quartier, les centres de compétences, les pôles de compétitivité, les opérateurs privés… François-Xavier LEFEVRE, L’administration élabore 38 fiches pour booster l’économie wallonne, dans L’Echo, 12 juin 2024. https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/wallonie/l-administration-elabore-38-fiches-pour-booster-l-economie-wallonne/10551011.html

[7] Mémorandum.., p. 130sv.

[8] F-X LEFEVRE, L’administration élabore 38 fiches pour booster l’économie wallonne, dans L’Echo, 12 juin 2024.

[9] Mémorandum.., p. 141sv.

[10] Mémorandum…, p. 150.

[11] Mémorandum…, p. 151.

[12] Mémorandum, p. 193 sv.

[13] Mémorandum.., p. 191.

Paris, le 6 juin 2024

Fin mai 2024, François-Xavier Lefèvre, journaliste à L’Écho a demandé un petit devoir à cinq acteurs de l’écosystème wallon – Sylvie Marique, Philippe Defeyt, Thomas Deridder, Bernard Piette et votre serviteur – en vue de se positionner sur des chantiers à mettre en œuvre pour faire de la Wallonie une région durable, où l’entrepreneur peut s’épanouir, qui est efficace sur le plan administratif, inclusive pour l’ensemble des travailleurs et capable de saisir les opportunités de croissance. J’ai répondu à trois de ces enjeux dont l’essentiel a été reproduit dans L’Écho le 1er juin 2024. Voici, dans leur intégralité, les questions et mes réponses à ces trois chantiers [1].

 

François-Xavier Lefèvre : les finances de la Région sont sous pression. La Wallonie s’offre pourtant le luxe d’avoir des plans à tous les étages. Au-delà du saupoudrage politique, cette situation dilue l’efficacité des plans, crée un embouteillage administratif et ne permet pas à la Région de miser sur quelques thématiques stratégiques et porteuses. S’il n’y avait qu’un plan à retenir ou à envisager pour la Wallonie, quel serait-il ? Sur quoi doit miser la Wallonie pour améliorer sa situation socio-économique ?

Philippe Destatte : En soi, avoir des plans n’est pas un problème. Les entrepreneurs le rappelaient ce 25 mai 2024 en demandant aux politiques où est « le plan de réindustrialisation ? » [2]. Mais il est exact que l’archipellisation et la fragmentation des plans sont néfastes, notamment car une bonne mise en œuvre stratégique nécessite au moins trois conditions : d’abord, un nombre de priorités restreint, ensuite une transversalité et un caractère systémique des mesures, enfin des masses critiques de ressources humaines et budgétaires pour l’implantation de la stratégie, son pilotage et son évaluation.

La masse critique budgétaire est ce qui a le plus fait défaut dans la politique des gouvernements wallons depuis 2000 (Le Contrat d’avenir pour la Wallonie) jusqu’y compris les différents plans dits Marshall. En fait, les dépenses de reconversion de la Wallonie se sont toujours faites sur des marges relativement faibles comprises entre 3 et 6% des dépenses régionales. On observe un petit décollage avec le Plan de relance de l’actuel gouvernement. Mais on est encore loin d’un vrai business plan qui devrait activer au moins 80% des dépenses. Il faudrait alors s’interroger sur chaque dépense pour mesurer dans quelle mesure elle permettra d’atteindre les objectifs définis collectivement. Cela implique une analyse d’impact préalable de ces mesures, la fin des tabous budgétaires, un leadership fort et une volonté collective du gouvernement, du Parlement et des acteurs pour dépasser la logique de partage du gâteau entre partis et lobbies. Une révolution certes, mais à la mesure de l’enjeu que doit constituer une rupture avec le long palier horizontal des indicateurs qui dure depuis 20 ans.

S’il ne fallait choisir qu’une initiative importante favorisant le développement économique, avec un effet structurel, je mettrais en œuvre le Wallonia Institute of Technology qui mettrait fin à la fragmentation de la recherche et autonomiserait les dynamiques de l’innovation des jeux politiques au profit des universités, centres de recherche et entreprises [3].

 

François-Xavier Lefèvre : faut-il privatiser le Forem ? Cette question est volontairement provocatrice. Il n’existe probablement pas de remède miracle pour lutter contre le chômage, mais améliorer la mise à l’emploi est probablement la mesure qui pourrait faire la différence demain. Comment repenser la mise à l’emploi ? Comment mieux activer une réserve de main-d’œuvre dans un contexte où les entreprises font face à des pénuries ?

Philippe Destatte : la mise à l’emploi n’est pas exclusivement la tâche du Forem qui n’est qu’un acteur parmi d’autres, même si c’est un acteur budgétairement important.

Comme le rappelait voici peu Éric Domb, ce n’est ni le politique ni l’Administration qui créent des emplois sauf dans quelques domaines régaliens, mais où, par définition ces emplois sont comptés : leur inflation déstabilise la société toute entière [4]. L’initiative revient avant tout aux individus eux-mêmes et aux entreprises. Dans une société saine, les personnes sont motivées à contribuer à la collectivité en y prenant leur place économique et sociale : créer de la valeur pour assurer la survie de soi et des autres, prendre sa part dans l’éducation, la santé, la gestion, la sécurité, la défense de toutes et tous. Ce sont des finalités qui articulent bien-être personnel et collectif. Cela semble basique, mais c’est essentiel : c’est le sens de l’existence. Il s’apprend et se transmet. C’est lui qui fait société et fonde la solidarité, permet l’acceptation de l’impôt.

Photo Jean-Marc Pierard – Dreamstime

Le Forem est partie prenante de cette dynamique avec une quadruple mission : conseil aux Wallonnes et Wallons, formation de celles et ceux qui cherchent un emploi, appui aux entreprises qui recrutent des travailleurs, contrôle des demandeurs d’emploi, y compris en appliquant des sanctions. La Forem exerce également une fonction de gestion administrative. Ainsi, le Forem, même s’il développe des partenariats avec des dizaines de milliers d’entreprises et des centaines d’organismes de formations, n’est-il qu’un élément de l’écosystème d’éducation et de formation en Wallonie. Son premier grand problème, sur lequel il a peu de prise, est le fait que 42% des chercheurs d’emploi sont au plus diplômés de l’enseignement secondaire inférieur. A noter également que la moitié de ces 228.224 chercheurs d’emplois touchent des allocations de chômage, ce qui relativise toute recette miracle de suppression progressive des allocations. Le risque de ce type de mesure est d’ailleurs connu : d’abord accroître encore l’armée des 185.000 malades wallons de longue durée ou envoyer ces chômeurs aux CPAS bénéficier du RIS.

Trois initiatives devraient être prises, dont certaines sont connues depuis longtemps pour accroître la mise à l’emploi en Wallonie.

  1. La première, prioritaire, est de travailler sur le sens à donner à la société wallonne : pourquoi devons-nous toutes et tous contribuer à améliorer le bien-être des populations de cette Région ? Que voulons-nous faire ensemble de manière positive ? Qu’est-ce qui nous anime et doit nous animer et pourquoi ? C’est un projet commun de société qui doit être conçu et pensé en commun. C’est la priorité principale. Elle ne sera pas révélée par un quelconque Saint-Esprit, mais coproduite et le moment est maintenant. La valorisation de celles et de ceux qui s’inscriront dans cette dynamique collective, en particulier les acteurs économiques, sera essentielle.
  2. La seconde est l’élévation du niveau de compétences de l’ensemble des travailleurs wallons. Le Forem excelle dans ce domaine, au travers de ses centres de compétences, de ses initiatives en entreprise, de même que ses partenaires. Mais c’est insuffisant : compte tenu des besoins, c’est un écosystème apprenant nouveau, constitué par l’enseignement dual et la formation en alternance, à mettre en place, avec l’enseignement qualifiant, l’IFAPME et les entreprises, par bassin scolaire. Ce qui implique le transfert d’au moins ce type d’enseignement au niveau régional. Thomas Dermine a raison lorsqu’il dit qu’un ministre de l’enseignement doit s’asseoir au gouvernement wallon à côté des ministres de l’Économie et de l’Emploi [5].
  3. La troisième initiative doit viser le Forem, mais aussi tous les organismes de cet écosystème : il s’agit, par exemple, dans les cinq axes du contrat de gestion de remplacer l’obligation de moyens par l’obligation de résultat. Ainsi, il est remarquable d’observer que pas moins de 309.000 Wallonnes et Wallons ont été pris en charge par le Forem en 2023, qu’environ 113.000 d’entre eux ont reçu une formation professionnalisante [6]. Mais la question reste : combien ont été, parmi ceux-là, remis à l’emploi ? Le résultat dépend non seulement de la qualité des formations, mais aussi de l’accueil des entreprises et de la motivation des demandeurs d’emploi. Il s’agit donc d’un défi commun. Et c’est ce défi qu’il faut relever ensemble, en répondant aux échecs éventuels par des innovations sociales et les expérimentations qui doivent aller de pair.

Il s’agit donc, comme le préconisait le Collège de Prospective de Wallonie (2004-2020) de lier les deux mondes de l’enseignement qualifiant et de la formation des adultes afin de créer des filières de qualification s’inscrivant dans une logique de formation tout au long de la vie et en prise directe avec les réalités professionnelles.

 

 François-Xavier Lefèvre : comment profiter de la proximité des ports d’Anvers et de Rotterdam pour bâtir une véritable base arrière au niveau de la logistique à Liège (Chertal). Ces ports sont des atouts pour la Flandre. Mais aussi pour la Wallonie. Au-delà de cette question logistique, dans quels domaines la Flandre pourrait inspirer la Wallonie ? Que faut-il recopier de la Flandre que la Wallonie n’a pas pour améliorer la situation ?

Philippe Destatte : Si on part de la logique de développement de ports majeurs comme Rotterdam et Anvers, leurs principaux problèmes à l’âge de la containerisation mondialisée sont ceux de la congestion et de la nécessité de pouvoir disposer d’axes d’exfiltration permettant des flux de sortie, des capacités de stockage et de dispatching. Liège, avec son complexe portuaire et sa multimodalité – troisième port fluvial d’Europe – le Trilogiport et les nouvelles potentialités ouvertes à Chertal, dispose de capacités impressionnantes.

Au-delà des contingences techniques, le grand défi pour la Wallonie est double. D’une part, il s’agit de continuer à construire une relation crédible et durable avec les partenaires flamands et hollandais, ce qui nécessita à la fois diplomatie et compétences techniques et linguistiques. D’autre part, et pour éviter que la logique soit uniquement celle du transit, il s’agit d’articuler les chaînes de valeurs économiques avec les opportunités réelles de la logistique. Lors de travaux prospectifs en Normandie, j’ai souvent observé que, malgré toutes les capacités de Port 2000 au Havre, le problème du territoire restait le fait que les acteurs voyaient passer les EVP qui, en très grande majorité, n’étaient ouverts que dans la banlieue parisienne. C’est donc en fait là que la transformation et la plus-value s’opéraient. Il est donc essentiel de créer les synergies en termes d’activités locales (mécanique fine, économie circulaire, spatial, etc.) avec les capacités logistiques pour bénéficier des flux en Wallonie.

J’ajoute que, alors que, en matière portuaire, les Français, marqués par une approche « ingénieurs », pensent très fort avec le prisme de l’infrastructure, les Flamands et les Néerlandais réfléchissent davantage en termes de service et d’efficacité de la chaîne logistique (qui inclut tous les services annexes tels que dédouanement par exemple). S’ils veulent optimiser des partenariats forts avec Anvers et Rotterdam, les Wallons doivent activer et cultiver cette approche business propre au nord de l’Europe.

À cet effet, aux demandes pressantes flamandes de disposer de terrains sur la zone et d’y investir, la province de Liège et l’axe mosan doivent répondre par une main-d’œuvre wallonne sérieuse, formée et donc compétente dans l’ensemble des métiers non seulement de la logistique, mais aussi des activités potentielles de ces entreprises. L’articulation entre la logistique, le développement économique et l’emploi est plus que jamais nécessaire, ce qui implique une proactivité et une réactivité à la fois politique et administrative. Et beaucoup de bonne volonté. Des expériences comme les freins mis au développement de la 5G en Wallonie ne sont pas, sous cet aspect, rassurantes. Par contre, l’écosystème et les réseaux internationaux et territoriaux développés par le pôle de compétitivité Logistics in Wallonia constituent certainement un atout pour relever ces défis.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] François-Xavier LEFEVRE, Cinq chantiers qui pourraient changer la Wallonie, dans L’Écho, 1er juin 2024, p. 6-7.

https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/wallonie/cinq-chantiers-qui-pourraient-changer-le-visage-de-la-wallonie/10549003.html

[2] Maxime PAQUAY et Maxime SAMAIN, L’appel des entrepreneurs belges au monde politique : où est le plan ? dans L’Écho, 25 mai 2024, p. 16-17.

[3] Philippe DESTATTE, Le Wallonia Institute of Technology au cœur de l’Université de Wallonie, Namur, Blog PhD2050, 22 décembre 2021. https://phd2050.org/2021/12/23/wit/ – Serge QUOIDBACH, Le territoire wallon, Mine d’or pour l’emploi, dans L’Écho, 18 décembre 2021.

https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/wallonie/le-territoire-wallon-mine-d-or-pour-l-emploi/10354520.html

[4] « Ces emplois sont nés grâce à des femmes et des hommes qui ont pris des risques, qui y croient. Des entrepreneurs. » Anne MASSET et Raphaël MEULDERS, Eric Domb : « je ne comprends pas cette indifférence, ce cynisme, cet électoralisme », dans La Libre Eco, 10 mai 2024. https://www.lalibre.be/economie/entreprises-startup/2024/05/10/eric-domb-quelque-chose-de-grave-est-en-train-de-se-passer-je-ne-comprends-pas-ce-cynisme-ce-calcul-electoraliste-T2WPZTWFGJCLNJKE5KAUPIVTSQ/

[5] A l’Assemblée générale de l’UCM, Wavre, le 20 mars 2024.

[6] Données présentées par Raymonde Yerna, Administratrice générale du Forem, Charleroi, Cercle de Wallonie – A6K, 27 mai 2024.

Namur, le 21 mai 2024

Les membres de l’Institut Destrée se sont réunis en Assemblée générale, et ont approuvé sept nécessités autour desquelles des stratégies collectives solides devraient être construites, opérationnalisées et mises en œuvre dans les meilleurs délais.

Ces sept nécessités sont formulées à quelques semaines d’élections particulièrement importantes pour l’avenir de l’Europe, de la Belgique ainsi que de la Wallonie. Le présent document aborde l’avenir des différents niveaux de pouvoirs concernés par les élections du 9 juin 2024.

1. Une Europe souveraine, ouverte et respectée

Tout d’abord, l’Union européenne que nous voulons ne peut être que celle de ses fondateurs, qui incarne un continent cultivant les valeurs de liberté, de démocratie, d’unité dans la diversité, d’ouverture au monde et fondant sa crédibilité sur la soutenabilité de son développement dans tous les domaines d’action.

L’Union européenne à venir est une entité qui respecte ses engagements internationaux et ses objectifs propres quant à la résolution concrète des enjeux liés au changement climatique, à l’environnement et à la biodiversité. Il s’agit, en particulier, du respect strict de la trajectoire du Green Deal et de la réduction des émissions de GES de 55% en 2030 par rapport à 1990, et ce afin d’atteindre la neutralité des émissions en 2050. Il s’agit d’une trajectoire que l’UE s’est elle-même fixée, et les conditions de réussite de cette trajectoire doivent être évaluées pour adapter des stratégies volontaristes permettant de l’atteindre dans les délais impartis.

Enfin, l’Union européenne ne sera véritablement souveraine et respectée sur la scène internationale que si, par une défense intégrée, elle assume elle-même la protection des Européennes et des Européens, diplomatiquement et militairement, tout en menant des missions de paix couvertes par les Nations Unies. Ayant démontré sa capacité à maintenir la paix entre ses pays membres, l’Union européenne peut désormais affirmer son indépendance stratégique vis-à-vis de tous les acteurs extérieurs, qu’il s’agisse des États-Unis, de la Russie, de la Chine ou de l’Inde.

 

2. Un fédéralisme belge au service de la démocratie et des droits de l’être humain

Le bien-être durable de la population vivant sur le territoire reste l’objectif principal de l’action de tous les responsables, chacune et chacun contribuant selon ses moyens au meilleur épanouissement de toutes et de tous. À cette fin, les politiques publiques mises en œuvre sont évaluées, tant a priori qu’a posteriori, notamment avec des critères d’équité intra et inter générationnelle, afin de pouvoir être modifiées ou ajustées.

En matière d’organisation de l’État belge, fédéralisme et confédéralisme ont les mêmes finalités : l’autonomie des entités qui composent et incarnent l’État tout en construisant une solidarité interpersonnelle entre les citoyennes et citoyens de celui-ci. La participation des composantes fédérées – ou confédérées – aux décisions et à l’activité des organes fédéraux, associée au principe de subsidiarité, est essentielle à l’avenir de l’État, comme l’ont bien montré, avec succès, les mécanismes mis en œuvre pour faire face à la crise de la Covid-19, en 2020-2021.

Le modèle d’un fédéralisme fort et simplifié, présenté le 13 juin 2022 à Namur par l’Institut Destrée, constitue sa vision de l’avenir institutionnel de la Belgique fédérale future. Cette vision est construite autour de quatre États fédérés égaux en droit, mobilisant au moins les compétences communautaires et régionales actuelles : la Flandre, Bruxelles, l’OstBelgien et la Wallonie. L’État fédéral a vocation à soutenir et à protéger au mieux ces quatre entités, sans nuire à leur épanouissement.

Pour l’Institut Destrée, la lisibilité de l’organisation politique et administrative contribue à l’adhésion des citoyennes et des citoyens et permet leur participation. Cette lisibilité va de pair avec la responsabilisation. À ce sujet, l’Institut Destrée regrette la simultanéité des différentes élections le 9 juin 2024. Le fait que ces rendez-vous démocratiques se déroulent tous en même temps nuit à l’examen et à la compréhension des enjeux des différents niveaux de gouvernance et contribue à brouiller les responsabilités des décideurs politiques à l’égard des compétences exercées pendant les législatures.

 

3. Une Wallonie qui a du sens

La Wallonie peut renouer avec l’ambition partagée de ses concepteurs de construire un espace commun d’émancipation mettant en son centre la liberté d’être et d’entreprendre, l’égalité en droit, la fraternité fondée sur le respect de l’autre, la tolérance et la solidarité.

Plutôt que de la considérer comme ce qu’il reste de la Belgique quand on a retiré le nord du pays et Bruxelles, la Wallonie est en réalité un projet de vivre ensemble, une collectivité politique et sociale, bref : une société. Il ne s’agit pas uniquement d’une entité institutionnelle, et pas uniquement d’un territoire physique : les deux correspondent et se répondent.

Elle mérite que le centre de conception des politiques qui y sont menées soit réellement situé sur les bords de la Meuse namuroise, au sein de son Parlement, le Saint-Gilles, et de l’Elysette, moteur des différentes composantes de son gouvernement.

La Wallonie bien comprise doit se construire comme une démocratie exemplaire, à la gouvernance inclusive des citoyennes et citoyens, ouverte, participative, délibérative, éthique, car respectueuse des lois et des normes. A la qualité de cette démocratie répond la qualité d’un développement, fondamentalement créateur de valeur et respectueux de la planète, de la biodiversité, ainsi que des femmes et des hommes qui y ont pris place.

Enfin, nous voulons rappeler que la cohésion sociale est au centre du projet de la Wallonie : assurer l’égalité des chances et des conditions, l’accès effectif aux droits fondamentaux et au bien-être économique, social et culturel, lutter contre la précarité, permettre à chacune et à chacun de participer activement à la société et d’y être reconnu, quel qu’il soit, et d’où qu’il ou qu’elle vienne. Cette solidarité est indissociable de la responsabilité personnelle : elle implique que chaque Wallonne et chaque Wallon s’investisse dans la société commune et y contribue par sa volonté, par son engagement et par son travail.

 

4. Une Wallonie à la hauteur des grands enjeux actuels et à venir

Une Wallonie à la hauteur des enjeux du XXIe siècle est une Wallonie résiliente et robuste, c’est-à-dire dont les citoyennes et les citoyens, les entreprises et les organisations, le Parlement et le gouvernement sont capables d’affronter les défis du présent et de l’avenir pour favoriser le bien-être de chacune et de chacun, et pour transmettre le meilleur héritage possible aux générations futures.

Tout d’abord, les enjeux du changement climatique et de la transition énergétique retiennent toute notre attention, concentrent toutes les forces et nous imposent d’inscrire résolument la Wallonie dans la trajectoire européenne de décarbonation déjà mentionnée. C’est une tâche titanesque à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire, même en invoquant la faiblesse des progrès de nos voisins ou l’existence de leviers à d’autres niveaux de pouvoir. Ces enjeux nous amènent également à reconsidérer le territoire wallon dans toute sa diversité existante laquelle, en étant respectée, génère nécessairement des externalités positives, notamment pour l’environnement et la santé mentale. Ce respect nécessite de mettre radicalement fin à une augmentation de l’artificialisation des sols.

Ensuite, les défis de la sécurité sont aussi considérables : ils nécessitent à la fois un effort majeur de défense et de réindustrialisation pour s’émanciper des influences et risques internationaux. Cet effort ne peut se concevoir sans un investissement de même niveau dans la diplomatie, c’est-à-dire la compréhension, le respect et le dialogue. Ces deux facettes ne peuvent se construire que dans une vision claire et exprimée d’un avenir serein, solidaire et multilatéral.

Enfin, l’attention pour les générations futures exige des Wallonnes et des Wallons qu’ils lèguent à leurs successeurs des finances publiques leur permettant à leur tour de faire face aux besoins, aux opportunités et aux menaces de l’avenir qui, soyons-en sûrs, ne seront pas moindres que les nôtres.

L’ensemble de ces défis, en ce qu’ils imposent d’agir avant que les choses n’adviennent ou pour éviter qu’elles adviennent, nécessitent des efforts d’anticipation considérables et aussi la capacité d’allouer les ressources budgétaires suffisantes aux enjeux qui se posent.

 

Wallonie – Dreamstime

5. Des politiques publiques qui construisent notre jeunesse

 La Wallonie fait face à deux monstres qui l’empêchent de construire des politiques publiques à même de construire les générations qui viennent.

D’une part, il s’agit de la réforme de l’enseignement en alternance ou enseignement dual. Depuis plusieurs décennies, cette nécessité hante les imaginaires politiques et ceux des grands acteurs. Il est l’incarnation de l’incapacité wallonne de mettre en œuvre des politiques éducatives à la mesure des défis de l’économie régionale.

D’autre part, il s’agit de la fragmentation des systèmes éducatifs, primaires, secondaires et supérieurs, publics divers et privés. Celle-ci va de pair avec la fragmentation des outils et institutions de recherche.

Cette dispersion empêche la constitution de masses critiques à même de constituer des leviers consistants, évapore également les finalités des projets qui devraient être fondées sur le bien commun et l’esprit critique, évacue, par une concurrence aussi effrénée que dérisoire, les capacités des acteurs par rapport à la société, et nuit de surcroît à un développement responsable de l’entrepreneuriat. Bref : cette dispersion ne permet pas de modifier durablement le système.

Ces incapacités constituent aussi la démonstration de l’impossibilité systémique à articuler les institutions communautaires et régionales francophones. Dès lors, nous plaidons pour  l’attribution à la Wallonie des compétences de l’Enseignement, de la Formation, de la Recherche, ainsi que de la Culture et de l’Audiovisuel. Ces deux dernières compétences, qui devraient porter les traits distinctifs nous caractérisant de manières intellectuelles, affectives et critiques, ne nous font pas miroir et manquent dès lors cruellement à notre développement.

 

 6. Une dynamique territoriale pensée de la commune à la Région

L’articulation des territoires wallons entre eux et dans un ensemble cohérent est une nécessité. Cette dynamique est un prérequis pour construire un projet commun fondé sur le respect des spécificités et des atouts des territoires. Cette réforme pourrait s’appuyer sur les lignes de force suivantes.

Tout d’abord, en repensant la supracommunalité, la Wallonie pourra s’inspirer de modèles de redécoupages territoriaux qui favorisent la cohérence et limitent les superpositions, tout en permettant à chacune des entités, notamment au travers de fusions de communes entre elles, d’atteindre une masse suffisante pour assurer le bien-être de leurs citoyennes et citoyens.

Ensuite, cette réforme des institutions infrarégionales devra s’interroger sur l’intérêt de conserver les provinces dans un paysage de gouvernance modernisé. Cette problématique est essentielle tant à la lueur d’un projet régional à l’identité renforcée, mais aussi face à la problématique aigüe de la trajectoire budgétaire.

Enfin, une fonction publique territoriale pourrait être conçue pour faciliter la mobilité et la cohérence entre ces institutions, participant à une vision commune de l’avenir régional, ainsi qu’à une excellence territoriale.

 

7. Des acteurs impliqués et responsables

Une gouvernance régionale cohérente suppose que chacune et chacun puisse s’impliquer, mais aussi être responsable. Il s’agit d’une dynamique dans laquelle, d’un côté, les Wallonnes et les Wallons cessent d’attendre de leurs élues et élus la résolution de tous leurs problèmes. De l’autre, les décideurs politiques arrêtent d’endosser la charge d’une mission d’assistance à toutes et à tous en toutes circonstances, pour réserver leurs efforts et moyens à ceux qui en ont vraiment besoin parce qu’ils ont une vraie opportunité ou un mauvais coup du sort.

Au contraire, l’implication de toutes et de tous, acteurs et parties prenantes, permet d’élaborer des stratégies de politiques collectives coconstruites, en lieu et place de politiques publiques de partage des moyens. Cette méthode délibérative se fonde sur l’idée qu’on ne change réellement le système qu’à partir de ses acteurs et en suivant les balises du bien commun et de l’intérêt régional. Cette conception fait du politique le chef d’un orchestre qui sait que ce sont les musiciens qui disposent des instruments et créent la musique.

La gouvernance wallonne, si elle veut être exemplaire, ne pourra faire l’impasse d’une confiance renouvelée à la fonction publique régionale, ainsi qu’aux outils performants de cette gouvernance, parmi lesquels l’évaluation des politiques publiques au sens large, l’analyse de l’impact préalable que toute action gouvernante peut avoir, et le regard d’anticipation armé des outils et des méthodes de la prospective. Ces outils ne peuvent être qu’aux mains de femmes et d’hommes véritablement indépendants des intérêts particuliers. Elle pourra s’aider en mobilisant des motifs de respect de soi et de fierté, ainsi que des repères intellectuels qui font l’histoire de la Wallonie et constituent ses références.

C’est là, en particulier, que l’Institut Destrée, dont les compétences et l’indépendance sont reconnues territorialement et internationalement, peut aider à construire une nouvelle Wallonie.

 

Source : Institut Destrée, 21 mai 2024

https://www.institut-destree.eu/wa_files/institut-destree_cp_sept-necessites-pour-2024-2029_ag_2024_2024-05-21.pdf

 Namur, 12 mai 2024

Les observateurs doivent pouvoir prendre leurs distances avec les propos de campagne, qu’ils viennent de Flandre, de Bruxelles ou de la Wallonie pour regarder aussi sereinement que possible les finances de la Région wallonne [1].

 

1. La cigale de gauche et la fourmi de droite ?

Rejouer la fable de la cigale et la fourmi entre la Wallonie et la Flandre n’est pas plus pertinent que de tenter de décrédibiliser le gouvernement wallon en disant qu’il est dépensier, car il serait « à gauche ». Les libéraux, qui se revendiquent aujourd’hui de « la droite », disposent du ministre du Budget dans le gouvernement wallon depuis 2017 avec des personnalités comme Jean-Luc Crucke (aujourd’hui passé au mouvement Les Engagés) et Adrien Dolimont. Ce dernier, qui a repris le département du Budget et des Finances depuis janvier 2022 est un homme sérieux qui a déclaré à plusieurs reprises – notamment dans un débat qui nous a rassemblés au Cercle de Wallonie le 31 mai 2022 – que son allié le plus fidèle au sein du gouvernement pour maintenir la Wallonie dans la trajectoire budgétaire est le Premier wallon Elio Di Rupo lui-même. C’est un bel hommage qui montre que, si on oublie les caricatures et musculations de la campagne, on n’a pas eu, dans cette législature, des dépensiers d’un côté et des économes de l’autre. La question en fait porte davantage sur ce qui peut être considéré comme de l’investissement et ce qui constitue des dépenses courantes, entre ce qu’on appelle ailleurs l’ordinaire et l’extraordinaire…

D’ailleurs, le 8 novembre 2021 au Parlement de Wallonie, le regretté député socialiste Paul Furlan répétait la même phrase que son collègue libéral Hervé Cornillie, changeant seulement l’engagement politique libéral en identité socialiste : parce que je suis socialiste, je fais attention à l’utilisation de tous les deniers publics [2]. Il devrait en être de même pour tous les parlementaires wallons, de tous les groupes. Et également des entreprises, organismes, citoyennes et citoyens wallons qui, trop souvent, piaillent comme des moineaux dans leur nid.

En décembre 2023, l’agence de notation Moody’s n’a pas abaissé le ranking de la Région wallonne comme elle l’avait fait deux ans auparavant. Cela a été le cas pour Bruxelles par Standard & Poor’s en mars 2024 [3]. Rappelons que les Flamands participent à la gestion de Bruxelles-Capitale où Sven Gatz (Open VLD) est en charge du Budget. Au contraire, la dette de la Wallonie est actuellement considérée par Moody’s à un niveau A3 perspective stable. Sa gestion de la dette est vue comme sophistiquée, mais prudente avec un accès incontesté au marché malgré une économie qui se compare défavorablement à ses homologues nationaux et européens [4]. Ce commentaire prend tout son sens lorsqu’on sait que la présente législature a largement vu cette gestion modernisée et professionnalisée.

Selon les règles du Pacte de stabilité européen, les gouvernements doivent limiter leur déficit à 3% de leur PIB et ramener la dette de leurs administrations publiques à 60 % de leur PIB. Si on prend ce dernier critère, la Région wallonne en tant que telle ne semble pas dans la zone de danger [5].

En fait, cette observation est très contestable, car une entité fédérée a aujourd’hui moins de capacité qu’un État souverain d’activer la fiscalité sur les richesses qui y sont produites. On doit également relativiser ce calcul puisqu’il ne prend pas en compte la problématique importante des navetteurs qui contribuent aux PIB bruxellois ou luxembourgeois. De plus, on peut considérer que, dans un cadre étatique, la Wallonie devrait intégrer dans ce chiffre non seulement sa part de la dette de la Communauté française – plus de 10 milliards d’euros [6] – mais aussi, de surcroît, sa part dans celle creusée par le gouvernement fédéral et aussi en sécurité sociale. A politique inchangée, le gouvernement fédéral se dirigerait selon le Comité de Monitoring vers un déficit budgétaire de 45 milliards d’euros à l’horizon 2029 [7] et sa propre dette atteint plus de 520 milliards d’euros en ce début 2024 [8]. On ne saurait donc se satisfaire de ce raisonnement.

En fait, ce qui peut rendre confiance aux observateurs, c’est le fait que la Wallonie est la seule entité du fédéralisme belge à s’être fixé une trajectoire de maîtrise de son endettement en mettant en place une dynamique stratégique structurelle et graduelle pour assurer la soutenabilité de sa dette [9]. Compte tenu d’une trajectoire de dette et de déficit sous-tendue par des mesures structurelles qui seraient tenues d’année en année, la Région wallonne ne serait pas à mettre dans le même panier que des entités qui présentent un risque de surendettement ou de dette relativement peu soutenable [10].

 

2. Une prise de conscience salutaire

 Bien sûr, ne soyons pas euphoriques : la situation financière de la Wallonie reste difficile avec une dette brute consolidée de 34,5 milliards d’euros si on comptabilise la dette indirecte de 11,4 milliards [11]. Cette dernière englobe les emprunts que la Wallonie rembourse en financements alternatifs, amortissements du logement social, en missions déléguées ou pour le compte ou en garantie des institutions qui se trouvent dans son périmètre de consolidation : organismes d’intérêt public (OIP) et autres institutions de droit public dont elle assume les charges. Mais l’affirmation de Bart De Wever selon lequel la Wallonie s’enfonce irrémédiablement dans les dettes et la comparaison avec la quasi-faillite de la Grèce dans la crise de l’euro ne tiennent pas la route.

On peut évidemment observer, comme le fait la Cour des Comptes, que l’objectif d’équilibre du Gouvernement wallon au terme de la législature 2019-2024 exclut de la trajectoire wallonne les dépenses liées à la relance (7 Mds d’euros de 2020 à 2024, avec des dépenses budgétaires prévues jusqu’en 2027 [12]), à la gestion de la crise du Covid (plus de 3 Mds d’euros), aux inondations qui ont frappé la Wallonie (plus de 4 Mds d’euros) ainsi qu’à la guerre en Ukraine (accueil des réfugiés et crise énergétique plus de 500 millions d’euros). L’application d’une telle norme dérogatoire dépend en effet de la Commission européenne et non du Gouvernement de Wallonie [13].

Malgré les aléas qui ont touché la Wallonie lors de cette législature, ce qui marque sur le plan des finances publiques, c’est la prise de conscience de la nécessité d’anticiper dans ce domaine, c’est-à-dire d’agir concrètement dans le présent pour restaurer, sur le long terme, un équilibre réel qui permette, si de nouveaux événements dramatiques se produisent ou quand ils se produiront, d’amortir ces nouveaux chocs.

 

3. Rendre la dette wallonne soutenable

Ainsi, à l’initiative du Gouvernement wallon, un comité d’experts de premier plan a été créé en janvier 2021, au lendemain de la première année de pandémie de Covid-19. Sa mission était d’étudier la dette wallonne et de faire des recommandations au gouvernement. Outre son président Jean Hilgers, alors membre du comité de direction de la Banque nationale de Belgique, ce groupe de travail, était composée des économistes Benoît Bayenet, Henri Bogaert, Étienne de Callataÿ, Benoît Colmant, Philippe Donnay, Roland Gillet et Giuseppe Pagano, ainsi que de fonctionnaires spécialisés de la Région wallonne, du Bureau du Plan et de la Banque nationale.

Cette Commission externe sur la dette et les finances publiques a rendu ses conclusions en novembre 2021. Elle a confirmé la forte croissance de la dette wallonne de 2010 à 2016 faisant  suite aux déficits budgétaires de cette période qui lui ont fait atteindre 215 à 220 % des recettes régionales.

Après les transferts de compétences découlant de la réforme de l’État de 2014, le ratio s’est stabilisé, notamment grâce à l’accroissement de recettes liées à ces transferts. La dette est repartie à la hausse en 2019 et surtout en 2020 dans le cadre de la pandémie puis des inondations qui ont frappé la Wallonie. En 2021, cette dette s’élevait à environ 26 milliards d’euros, avec un déficit structurel d’environ 1 milliard d’euros par an… Le scénario de référence (Baseline) dessiné sur le moyen terme par le groupe de travail affichait une dette consolidée de la Région aux alentours des 50 milliards d’euros en 2030 avec un ratio entre dettes et recettes d’environ 280%.

Comme Jean Hilgers l’a souligné lors de son audition devant la Commission du Budget du Parlement de Wallonie, cette dette, telle que décrite n’était pas soutenable. Une dette publique est dite soutenable si un gouvernement est jugé capable d’en garder le contrôle, c’est-à-dire de parvenir à la stabiliser et puis à la réduire avec un degré de probabilité relativement élevé [14]. C’est également ce qu’un autre membre de la Commission, le professeur Benoît Bayenet a par ailleurs confirmé :

D’un point de vue économique, assurer la soutenabilité de la dette publique est une nécessité, une contrainte financière inévitable et pas un choix. En effet, la notion de soutenabilité est ancrée dans l’impératif de solvabilité (la capacité à assumer toutes ses obligations financières) qui prévaut pour tous les agents économiques, y compris les pouvoirs publics.

 Une dette publique est considérée comme soutenable lorsqu’il est hautement probable que son évolution sur le moyen à long terme est bien maîtrisée [15].

Dès lors, la commission des experts s’est posé la question suivante : « quelle serait la trajectoire budgétaire à se donner, et globalement l’effort à réaliser, pour faire en sorte que cette dette puisse revenir à une trajectoire qui régénère des marges de manœuvre pour la Région, dans un horizon donné avec un effort et une cadence donnés ? » [16] Les membres de la Commission ont dès lors estimé qu’une trajectoire budgétaire vertueuse serait celle qui ne casserait pas la dynamique de relance de la Région wallonne, maintiendrait les missions de service public, mais permettrait de ramener le taux d’endettement de la Wallonie à environ 230% des recettes à l’horizon 2030.

Impact sur le ratio d’endettement d’un effort structurel annuel de 1% des recettes totales jusqu’en 2030 (scénario de référence et scénario d’effort, en pourcentage des recettes)

Jean HILGERS, Commission externe sur la dette et les finances publiques (2021), Parlement de Wallonie, 8 novembre 2021.

L’effort structurel et graduel pour stabiliser puis infléchir la dette correspondrait une réduction annuelle du déficit équivalent à 1% des recettes de la Région, cumulatif à partir de 2022, soit environ 150-170 millions d’euros structurels par an. Sur la période 2022-2031, cela représente, à recettes constantes, une économie d’au moins 8,250 milliards, ce qui est loin d’être négligeable… Dès 2024, la dette pourrait ainsi se stabiliser puis connaître, en 2026, un point d’inflexion, elle culminerait à environ 250% des recettes, moment à partir duquel le ratio devrait diminuer. Pour autant bien entendu que le gouvernement maintienne rigoureusement la trajectoire. Ainsi, a-t-il économisé 150 millions d’euros en 2022, 250 en 2023 et a inscrit 100 millions au budget initial 2024, soit 500 millions en trois ans. Dans le budget 2024, le solde SEC semble poursuivre sa décrue à 2,209 milliards d’euros.

Cet effort est d’autant plus nécessaire que la situation économique postpandémie déjà difficile s’est encore dégradée avec la guerre en Ukraine, la crise de l’énergie, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt. Ils sont désormais compris entre 3,5 et 4% selon les échéances d’emprunt, c’est-à-dire qu’ils ont doublé depuis 2022.

Cette trajectoire, qui intègre la diminution des recettes prévues par la loi spéciale de financement à partir de 2025, devait être accompagnée par deux dispositifs.

Le premier est celui du Budget Base Zéro. Initié lors de cette législature, il n’a pourtant pas donné les fruits attendus. L’Institut Destrée l’avait prôné à plusieurs reprises avec d’ailleurs l’appui de cadres du Service public de Wallonie. Malheureusement, le gouvernement a fait appel à une armée de consultants dits internationaux qui ont essayé d’expliquer aux fonctionnaires comment faire un métier que ces consultants ne connaissaient pas. C’est une chanson connue et coûteuse. Bien loin de l’expérience que, moi-même, j’ai connue au milieu des années 1990 au Fédéral, lorsque le ministre du Budget, Herman Van Rompuy, avait coconstruit avec les cabinets et les fonctionnaires une trajectoire pour faire converger la Belgique et la faire entrer dans l’euro. Mais le ministre avait lui-même mis les mains dans le cambouis et fait confiance à ses administrations pour l’accompagner dans sa tâche. Une autre dynamique… à retenter après le 9 juin 2024. On l’oublie, mais la plus grande vertu de ce BBZ est de créer de la mobilité dans le budget, donc de l’innovation.

Le second dispositif, qui avait également été préconisé par Jean Hilgers est celui d’un décret wallon instaurant la trajectoire définie comme règle d’or. C’était probablement la meilleure manière de contrôler les déficits, vérifier l’évolution de l’endettement devant le Parlement, ainsi que de passer le cap des législatures en crédibilisant la démarche vers l’extérieur, donc aussi vers les préteurs de la Région wallonne. Les jeux politiques ne l’ont pas permis. On doit le regretter et remettre là aussi l’ouvrage sur le métier de la prochaine législature.

En suivant toujours ces travaux, on pourrait imaginer un troisième dispositif au niveau fédéral : un Comité de Concertation budgétaire qui puisse mieux articuler les politiques des entités et répondre à la Commission européenne avec la définition d’un bien fédéral commun – incluant l’urgence climatique -, une meilleure loyauté et une véritable connivence fédérale.

 

Conclusion sémantique : rigueur vs austérité

Avec le cadre financier plus contraint et le durcissement des politiques monétaires que mettent en place les institutions européennes, tant au niveau régional que communautaire ou fédéral, des efforts budgétaires seront nécessaires. Suivant la Commission européenne, il s’agit à nouveau de ramener le déficit du solde de financement de la Belgique sous les 3% du PIB à l’horizon 2026. On peut penser que si les efforts ne sont pas réalisés d’initiative, ils seront imposés par l’Europe, avec un retour à des règles budgétaires strictes. S’y ajoutent déjà les nécessités d’une réindustrialisation stratégique et du nécessaire accroissement des dépenses militaires dans un monde qui gagne en incertitude tant à l’Est qu’à l’ouest de l’Europe.

Bien qu’on s’en défende en période électorale, les marges existent partout, même dans ce qui apparaît tabou comme la sécurité sociale, les soins de santé ou les allocations familiales où on utilise systématiquement des politiques d’appuis linéaires alors que davantage de péréquation serait nécessaire pour des politiques plus solidaires et moins coûteuses. Alors que je m’étonnais dernièrement du niveau important de remboursement d’un médicament, une pharmacienne me répondait :  » ne vous plaignez pas, il faut prendre ce qu’on nous donne « . Certes, mais combien sont-ils qui, en cette matière, auraient besoin d’un coup de pouce plus substantiel ? Mieux dépenser permet souvent de moins dépenser.

Pour expliquer cela à la population, il faut du courage politique, et des gouvernements soudés et solides aux différents niveaux de gouvernance dans lesquels les ministres et administrations puissent travailler en dehors de la politique partisane et en œuvrant pour l’intérêt général et le bien commun. Tâche difficile, qui apparaîtra naïve à certains en ces temps d’invectives.

Aujourd’hui, on se jette le terme d’austérité à la tête comme une menace ou un insulte, alors que nous avons probablement besoin de rigueur. Même si les deux termes ont longtemps été synonymes, les réalités économiques auxquelles ils font référence étant proches, rigueur budgétaire et austérité peuvent avoir des sens différents. La rigueur budgétaire apparaît comme l’application stricte des normes que nous avons choisies, tandis que l’austérité implique une gestion imposée, porteuse de conséquences restrictives sur la consommation avec une fiscalité accrue.

La dette wallonne n’est pas dangereuse parce qu’elle a pris un chemin bien tracé de limitation de sa croissance, de stabilisation puis de réduction structurelle… Elle ne sera pas dangereuse si elle reste sur la trajectoire Hilgers et soutient son effort d’assainissement de ses finances à l’horizon 2030. Elle le deviendra si elle sort de ce chemin, si difficile qu’il puisse être…

Néanmoins, la dette wallonne est coûteuse. Le déficit net à financer dans le budget 2024 initial est de 2,967 milliards d’euros, la dette annoncée fin de l’année se rapproche des 40 milliards [17]. Fin 2021, les charges d’intérêt s’élevaient à 692,1 millions, soit 3,38 % des dépenses [18]. Que ne ferait-on pas avec un tel budget en termes de nouvelles politiques publiques et collectives ?

Il faut poursuivre et accentuer la trajectoire Hilgers… La sagesse devrait même la faire considérer comme un objectif minimum et, pour mieux l’appliquer, mettre en place une gestion rigoureuse sur la base de quelques critères marquants tels que la contribution de la Région à l’Agenda 2030 des Nations unies, à la vision qui reste à construire de la Wallonie en 2050, comprenant notamment l’équité entre générations et l’application du principe de subsidiarité.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Ce texte reprend et met en forme les notes qui ont servi à l’interview donnée à la journaliste Han RENARD, « Wallonië zit niet in de gevarenzone », « De kredietwaaedigheid van Wallonië is niet aangetast », zegt Waals historicus Philippe Destatte », in Knack, 24 avril 2024, p. 22. Mme Han Renard voulait me faire réagir à l’échange entre Bart De Wever et Paul Magnette dans De Tijd et L’Écho du samedi 20 avril 2024, p. 3-6. Dans L’Echo, Bart De Wever soulignait que la dette de la Région wallonne allait atteindre 300% des revenus, c’est-à-dire en fait des recettes de la Région (18 Mds par rapport à plus de 40 Mds de dette), non du PIB régional, comme l’a fait remarquer Paul Magnette.

[2] Parlement de Wallonie, Compte rendu intégral, n°52 (2021-2022), lundi 8 novembre 2021, p. 21.

[3] Pauline DEGLUME & Philippe GALLOY, Standard & Poor’s dégrade la note de la Région bruxelloise, dans L’Écho, 22 mars 2024.

https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/bruxelles/standard-poor-s-degrade-la-note-de-la-region-bruxelloise/10535335.html

[4] Ce 13 décembre 2023, Moody’s a confirmé la notation de la Région wallonne au niveau A3, avec une perspective stable. Région wallonne, 13 décembre 2024, mis à jour 24 avril 2024.

https://finances.wallonie.be/home/actualites/actualites/lagence-de-notation-moodys-confirme-la-note-de-la-wallonie.html

Walloon Region (Belgium) : Update to credit analysis, Moody’s Investisors Service, Credit Opinion, 12 December 2023.

https://www.moodys.com/credit-ratings/Walloon-Region-credit-rating-600012460/reports?category=Ratings_and_Assessments_Reports_rc|Issuer_Reports_rc&type=Rating_Action_rc|Announcement_rc|Announcement_of_Periodic_Review_rc,Credit_Opinion_ir_rc

[5] Françoise WINANT, Regards sur la dette wallonne, Matinale de l’Évaluation et de la Prospective, Institut Destrée, 21 janvier 2022. Slide 14/19. https://www.institut-destree.eu/wa_files/2022-01-21_matinales_francoise-winant_regards-sur-la-dette-wallonne-v2.pdf

[6] 10, 310 milliards au 31 décembre 2022. Rapport annuel 2022, Dette publique Fédération Wallonie-Bruxelles / Communauté française de Belgique, Bruxelles, 2023. https://budget-finances.cfwb.be/fileadmin/sites/dgbf/uploads/documents/financement/rapport_annuel_de_la_dette/Dette_2022_FR_27-10.pdf

[7] Jean-Paul BOMBAERTS, Un déficit de 45 milliards d’euros à l’horizon 2029 dans L’Écho, 26 mars 2024.

https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/un-deficit-de-45-milliards-d-euros-se-profile-a-l-horizon-2029/10535954.html

[8] Agence fédérale de la Dette, février 2024. https://news.belgium.be/fr/agence-federale-de-la-dette

[9] François-Xavier LEFEVRE, « La Wallonie est la seule entité à s’être fixé une trajectoire de maîtrise de son endettement », dans L’Écho, 8 avril 2023.

https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/wallonie/la-wallonie-est-la-seule-entite-a-s-etre-fixe-une-trajectoire-de-maitrise-de-son-endettement/10459404

[10] Audition de Jean Hilgers, Président de la Commission externe de la Dette et des Finances publiques, Parlement de Wallonie, Compte rendu intégral, Commission du Budget et des Infrastructures sportives, n°169 (2022-2023), Lundi 12 juin 2023, p. 3.

[11] 35e Cahier d’observations adressé par la Cour des Comptes au Parlement wallon, Communiqué de presse, Bruxelles, 30 octobre 2023, p. 3.

[12] Projets de décrets contenant les budgets de l’année 2024 de la Région wallonne, Cour des Comptes, 24 novembre 2024, p. 14. https://www.ccrek.be/sites/default/files/Docs/2023_43_Budget2024RW.pdf

[13] Ibidem, p. 8.  La Cour estime d’ailleurs dans ses conclusions, p. 27, que, sur base des positions déjà prises par la Commission européenne, la trajectoire présentée par le gouvernement wallon est au moins surestimée de 1,9 milliard d’euros en 2024.

https://www.ccrek.be/sites/default/files/Docs/2023_43_Budget2024RW.pdf

[14] Audition de Jean Hilgers, Président de la Commission externe de la Dette et des Finances publiques, Parlement de Wallonie, Compte rendu intégral , Commission du Budget et des Infrastructures sportives, n°169 (2022-2023), Lundi 12 juin 2023, p. 1.

[15] Benoît BAYENET et Xavier DEBRUN, La soutenabilité de la dette wallonne, Les finances publiques wallonnes : état des lieux et perspectives, Dynamiques régionales, n°14, p. 121, Namur, IWEPS, 2023. https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2023/04/DR14.pdf

[16] Parlement de Wallonie, Compte rendu intégral de la Commission du Budget et des Infrastructures sportives, Lundi 21 novembre 2021, n°52, (2021-2022), p. 7.

[17] Adrien Dolimont au Parlement de Wallonie, Mercredi 13 décembre 2023, Séance plénière, Compte rendu intégral, p. 48-49. (CRI n08 2023-2024). – Selon le ministre du Budget, le déficit net à financer s’est amélioré de 1,15 milliard d’euros entre l’initial 2022 et l’initial 2024 et que le solde de financement SEC s’est amélioré de 800 millions d’euros sur cette même période (ibid, p. 52).

[18] 35e Cahier d’observations adressé par la Cour des Comptes au Parlement wallon, Communiqué de presse, Bruxelles, 30 octobre 2023, p. 3.  La Cour des Comptes observe que : Le ralentissement de l’inflation, combiné à la hausse probable du taux d’intérêt implicite et au maintien d’un déficit élevé, pourrait créer les conditions propices à l’activation de l’effet boule de neige des intérêts de la dette. En outre, une dégradation de la notation de la Région wallonne aurait un impact négatif sur l’étendue des possibilités de cette dernière d’obtenir un financement sur les marchés. – Dans son rapport du 24 novembre 2023, portant sur les projets de décrets contenant les budgets de l’année 2024 de la Région wallonne, la Cour des Comptes précise encore p. 33-34 : En raison des taux d’intérêt historiquement bas qui ont prévalu jusqu’au début de 2022, le taux d’intérêt implicite de la dette directe régionale (soit 1,34 % en septembre 2023) reste encore largement inférieur au taux d’inflation (9,6 % en 2022 et 4,1 % en 2023). Malgré l’existence d’un déficit important et le ralentissement de la croissance économique, cette situation permet d’éviter les conséquences néfastes découlant de l’activation de l’effet boule de neige des intérêts de la dette. Cependant, le ralentissement de l’inflation, qui retomberait sous les 2 % dès 2025, combiné à la hausse probable du taux d’intérêt implicite en raison de l’augmentation continue des taux de référence sur les marchés financiers depuis 2022 et au maintien prévu d’un déficit élevé, pourraient créer les conditions propices à l’activation de cet effet boule de neige. https://www.ccrek.be/sites/default/files/Docs/2023_43_Budget2024RW.pdf

Sur l’effet « boule de neige », voir G. PAGANO, Finances publiques, La Belgique fédérale dans l’Europe, p. 90-94, Mons-Charleroi, UMONS-Université ouverte, 2021.

Sur la dynamique du Budget Base Zéro (BBZ), on se référera aux pages 42sv de l’intéressant cahier du CRISP, publié après rédaction de ce papier :

Loris GATHY et Damien PiRON, Les finances de la Région wallonne à l’épreuve de l’Union européenne : normes comptables, budget base zéro (BBZ) et revue des dépenses, dans Courrier du CRISP, 2024/10, N°2595-2596.

 2. Les transformations et la gouvernance du système de la Recherche-Innovation

 

Bruxelles, le 19 mars 2024

Il semble banal aujourd’hui de rappeler que la mondialisation, son champ d’action quasi illimité, l’accélération générale des technologies, leur convergence, les stress environnementaux et de ressources, non seulement de matières, mais aussi d’énergie, les transformations climatiques ont contribué à nous faire entrer dans une nouvelle conscience planétaire que l’on désigne par l’anthropocène [1]. Celle-ci nous inscrit à la fois dans le temps et dans l’espace. Ce cadre conceptuel renvoie directement à la nécessité de créer de nouvelles connaissances, d’innover dans tous les domaines capables de répondre à ces enjeux et d’approfondir une trajectoire de durabilité dans laquelle la prospective constitue un instrument central tant dans le domaine de la recherche que dans celui de la gouvernance des politiques [2]. Il s’agit également d’une nécessité pour la prospective pour qu’elle ouvre ou renforce son champ d’application dans les sciences et qu’elle se nourrisse davantage des disciplines, méthodes et innovations qui émergent ou se développent autour d’elle.

 

2.1. Le cadre porteur de la Recherche et l’Innovation responsables

Cette mutation aux multiples facteurs induit de nouvelles exigences en matière de Recherche et d’Innovation pour faire face à des changements majeurs de nature écologique comme l’abandon progressif des énergies fossiles, de nature économique comme le passage de processus de production linéaire à des processus circulaires, de nature politique où l’on retrouve l’impact des technologies numériques sur la gouvernance démocratique, etc. Ainsi que l’indiquent Robert Gianni et Philippe Goujon, respectivement professeurs aux universités de Maastricht et de Namur, tous ces éléments ont contribué à attirer l’attention sur la R&I en tant que réponse potentielle à tous ces enjeux différents. Parallèlement, les préoccupations concernant les effets potentiels de la recherche et de l’innovation ont également contribué à la nécessité de promouvoir un cadre conceptuel capable d’orienter la R&I vers des objectifs sociétaux. En ce sens, écrivaient-ils en 2020, la Recherche et l’Innovation responsables (RRI) constituent un cadre assez récent visant à créer une dialectique significative et fructueuse entre les ambitions techniques et économiques (R&I) et les revendications normatives présentes dans ou provenant de la société [3].

Dans différents travaux qui lui sont consacrés, la Recherche et l’Innovation responsables est présentée comme une approche proactive, participative et multidimensionnelle de la responsabilité dans la gouvernance de la Science, de la Technologie et de l’Innovation (STI), fondée sur les engagements mutuels des acteurs sociétaux, et constituant ainsi un paradigme distinct [4]. En 2013, René Von Schomberg, membre de la DG Recherche, en avait tenté une définition qui faisait de la recherche et de l’innovation responsables un processus transparent et interactif par lequel les acteurs de la société et les innovateurs se répondent mutuellement en vue de l’acceptabilité éthique, la durabilité et la désirabilité sociétale du processus d’innovation et de ses produits commercialisables [5].

Cette évolution apparaît comme une conséquence de l’émergence du modèle de Nouvelle gouvernance, également appelée gouvernance distribuée [6], gouvernance constructive (constructive governance) [7] ou expérimentation démocratique [8]. Elle repose sur des outils d’informations partenariales, l’échange de bonnes pratiques, le dialogue social, la délibération locale et la participation des parties prenantes. Comme le soulignent Simone Arnaldi de l’Université de Padoue et ses collègues, cette nouvelle gouvernance va plus loin que la délibération d’experts au sein d’agences ou de comités de réglementation européens, mais permet aux parties prenantes de participer directement aux processus décisionnels et fait de la participation du public une de ses caractéristiques essentielles. Un de ses défis majeurs consiste d’ailleurs à trouver un équilibre entre flexibilité et efficacité, en termes d’orientation comportementale des parties [9]. Alors que le principe de précaution reste lié à un espace dans lequel les positions s’affrontent, la RRI vise à changer le contexte en s’inscrivant dans une logique de coopération lorsqu’il s’agit de décisions sur les trajectoires d’innovation. Ainsi, la RRI motive les acteurs sociétaux à assumer volontairement une responsabilité précoce et partagée des processus de recherche et d’innovation au-delà du simple respect des devoirs ou de la conformité aux règles [10].

La nouvelle métamorphose de l’appellation « Science in Society » en « Science for Society, with Society » [11], ainsi que l’orientation de la Recherche et de l’Innovation vers les Grand Challenges sociétaux à la faveur de la Déclaration de Lund de juillet 2009 [12] a, pour Richard Owen et d’autres, constitué un vrai moment d’émergence, en particulier pour la RRI. Le professeur à l’Université de Bristol y voit la volonté de faciliter systématiquement l’engagement inclusif avec les objectifs, les motivations, les impacts attendus et les politiques d’innovation de la Commission et des acteurs associés. Ainsi la RRI s’affirme alors comme une innovation de processus, en proposant différentes manières d’organiser, de financer, d’entreprendre et de s’engager dans l’innovation et la recherche. Évolutive par nature, elle s’appuie sur des fondements comme l’évaluation des choix technologiques, l’engagement des parties prenantes et du public, la gouvernance anticipative, l’intégration sociotechnique, l’innovation ouverte, ainsi que sur des concepts apparentés comme le développement responsable [13]. L’intérêt de cette approche apparaît particulièrement pertinent pour la prospective de la R&I, surtout quand Owen écrit : à cet égard, la RRI reconnaît le pouvoir de transformation de l’innovation pour créer des futurs, le fait que les innovations sont souvent socialement et politiquement constituées et qu’elles intègrent des valeurs. La RRI s’efforce de manière proactive de créer des espaces et des processus permettant d’ouvrir ces futurs, le rôle de l’innovation dans leur création et les valeurs sur lesquelles ils reposent, à une discussion et à un débat inclusifs, et de répondre à ces discussions, c’est-à-dire à un processus délibératif, participatif, anticipatif et réflexif [14].

Dès lors, la RRI nous apparaît comme un cadre particulièrement pertinent pour déployer une prospective participative étendue aux citoyennes et citoyens. Comme la prospective, la RRI a capitalisé sur l’évaluation des choix technologiques (TA), a intégré les principes normatifs et éthiques de la technologie de conception et les principes de la gouvernance démocratique. Comme l’écrit Niklas Gudowsky, comprendre l’avenir est essentiel pour la RRI, et les activités de prospective font donc partie intégrante du concept. C’est pourquoi la prospective a été intégrée dans les boîtes à outils de la RRI [15].

 

2.2. Participation, inclusion et engagement dans la gouvernance de la R&I

Voici plus de 20 ans que des observateurs avertis notaient l’existence d’un véritable désir des citoyens de participer de manière importante aux développements scientifiques et technologiques en considérant que ces derniers ont des conséquences réelles pour les individus et la société. Ainsi, Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons observaient le passage d’une culture de l’autonomie scientifique à une culture de l’imputabilité, bien que, notaient-ils, celle-ci soit encore trop réactive et risquait d’être interprétée de manière formaliste et bureaucratique [16].

Pour Kathy Sykes et Phil Macnaghten, respectivement professeurs à l’Université de Bristol et à Wageningen, l’engagement public a représenté une réponse capable d’aborder quatre dynamiques principales dans la relation entre la science et la société :

– la nouvelle politique de contestation de certains projets et visions technologiques, visible surtout lors de la croissance des mouvements environnementaux et antinucléaires à partir des années 1960 ;

– l’exigence pour les gouvernements et les parlements d’avoir une connaissance solide des impacts des nouvelles sciences et technologies afin de mieux anticiper leurs conséquences sociétales ;

– la nécessité perçue d’étendre les espaces de participation des citoyens, généralement par le biais de groupes organisés de la société civile, afin de rendre la gouvernance de la science et de la technologie plus responsable ;

– les demandes des communautés scientifiques pour améliorer la compréhension de la science par le public (PUS), où les conflits et les tensions sont supposés provenir de l’ignorance et de l’incompréhension du public [17].

Ne fut-ce que comme règle élémentaire de management, l’implication des parties prenantes et des autres acteurs intéressés dans la construction de politiques publiques constitue un principe fort inspirant la Commission européenne, y compris dans le domaine de la Recherche et de l’Innovation. Des textes de références y sont mobilisés ou en témoignent comme la Déclaration universelle des Droits humains [18], la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne [19] ou encore le Code de conduite sur les nanotechnologies [20].

Des efforts ont ainsi été fournis pour développer les moyens d’une communication et d’un dialogue constructif et plus efficace entre la recherche et les citoyens ainsi que pour permettre à la société d’exercer une influence sur la gouvernance de la science, de la technologie et de l’innovation. Dès 2002, une décision du Conseil européen prônait clairement ce développement [21]. Le passage du Sixième Programme-cadre vers le Septième avait d’ailleurs accentué cette volonté d’inclusivité et d’engagement du public en prônant l’utilisation du concept de Science in Society (SIS), en remplacement de l’initiative Science and Society. Ce champ d’action renouvelé comprenait la gouvernance, la communication, les questions sociales et éthiques autour de la science. Celle-ci était d’ailleurs comprise dans son sens le plus large du mot allemand Wissenschaft [22].

En 2009, le groupe d’expert MASIS chargé d’examiner pour la DG Recherche le rôle de la science dans la société s’interrogeait pour savoir quelles étaient les parties prenantes de la SIS en s’appuyant sur Stakeholder Theory de Freeman et Reed [23], puis en essayant de la dépasser. Néanmoins, les citoyens n’y apparaissaient pas en première ligne…

 Paysage des parties prenantes selon le groupe d’experts MASIS

Le groupe d’experts constatait que les citoyens sont de plus en plus concernés par l’Espace européen de la Recherche et par la science de manière plus générale [24]. Les experts identifiaient deux enjeux qui faisaient alors débat et le font encore dans une certaine mesure. Le premier enjeu posait la question de savoir si chaque citoyen devait être considéré comme une partie prenante dans le domaine de la science, déterminer les programmes de recherche et en évaluer les résultats. La tension peut être forte de considérer cette option dès lors que, notait le rapport, de nombreux scientifiques considèrent les citoyens (et aussi les élus, notaient-ils) comme des êtres irrationnels, peu capables de comprendre les travaux des scientifiques. D’un autre côté, les experts ne voyaient aucune raison valable d’exclure les citoyens des délibérations sur l’orientation et la valeur de la science. Ils considéraient que ce qui est important, c’est d’expérimenter des modes d’interaction et d’évaluer où ils peuvent mener. Le second enjeu d’implication citoyenne du groupe MASIS portait sur la distinction entre, d’une part, l’identification de l’intérêt public et la détermination des barrières (the boundary conditions) pour la science et la technologie et, d’autre part, l’association des réels acteurs, principalement les utilisateurs, dans l’élaboration des réelles technologies (produits, systèmes). Ainsi, les experts constataient que la notion de participation a un double sens :

Alors qu’à l’origine, il s’agissait d’une question relevant des théories de la démocratie, revendiquant un renouvellement de la démocratie représentative plus formelle et l’enrichissant par des formes de démocratie délibérative et interactive, il est désormais également utilisé pour décrire l’implication des usagers dans l’élaboration de technologies spécifiques, ce qui serait judicieux dans de nombreux cas, mais n’a pas grand-chose à voir avec la démocratie politique. La participation publique perd sa connotation traditionnelle et emphatique de démocratie délibérative et devient de plus en plus un moyen d’impliquer les usagers dans la conception de nouveaux produits, motivés par des besoins économiques plutôt que politiques. Nous ne plaidons pas pour ou contre l’une ou l’autre forme de participation, mais nous soulignons qu’il existe deux formes différentes de gouvernance dans ce domaine : via les institutions démocratiques au niveau politique et sur le marché via de nouvelles constellations d’ingénieurs, de scientifiques, d’utilisateurs et de citoyens. Les deux formes ont un rôle à jouer, mais leurs raisons d’être sont différentes [25].

Manifestement, la réflexion restait difficile [26] et devait se poursuivre. Comme cela avait été observé et mis en exergue dans le groupe MASIS, en principe, chaque personne dans la société est une partie prenante lorsqu’il s’agit du rôle de la science dans la société, néanmoins tous ces acteurs ne sont pas actifs [27].

La même année 2009, le groupe d’experts de la DG Recherche sur la Global Governance of Science, piloté par Žaneta Ozoliņa, professeur à l’Université de Lettonie, constatait que les développements destinés à impliquer le public dans la gouvernance de la science restaient embryonnaires [28]. Des initiatives intéressantes, mais parfois anciennes, étaient mentionnées comme les conférences consensus du Danemark [29], le programme Sciencewise du Royaume-Uni [30] et la délibération citoyenne Meeting of Minds sur la science du cerveau, menée à l’échelle de l’Union européenne [31]. La recommandation numéro 5 du groupe d’experts sur la gouvernance globale de la science était particulièrement liée à nos préoccupations : la recherche de l’Espace européen de la Recherche (ERA) devrait être développée de manière à promouvoir la réflexion critique et le débat sur les moyens et les fins de la science – par le biais, par exemple, de projets de recherche sélectifs et d’activités publiques qui nécessitent une collaboration interdisciplinaire et la participation des citoyens, y compris une réflexion sur la manière dont les principes de la gouvernance européenne et les droits fondamentaux de base servent de lignes directrices appropriées et applicables pour la pratique de la science [32].

Les dynamiques participatives (participation, inclusion, engagement) sont considérées comme importantes pour ouvrir la Recherche et l’Innovation au grand public, mais aussi pour accroître la connaissance, la légitimité et l’efficacité de la R&I pour autant que ces processus répondent à un certain nombre de critères. Roberti Gianni et Philippe Goujon observent sur base d’autres travaux et de quelques expériences qu’il serait naïf de voir la participation comme une panacée pour le développement légitime et efficace de la R&I alors qu’elle peut s’avérer faible en production, peut ouvrir la porte aux intérêts particuliers et à la manipulation ou ne pas avoir d’influence sur le processus décisionnel [33].

En s’appuyant notamment sur les travaux de Bert-Jaap Koops, professeur à l’Université de Tilburg, ainsi que sur ceux de plusieurs de ses collègues, portant sur les interactions entre le droit et les technologies, Gianni et Goujon mettent en évidence l’engagement des parties prenantes comme facteur commun et déterminant des pratiques de l’innovation responsable [34]. Ce que la participation, l’engagement et l’inclusion semblent avoir en commun est la nécessité principale d’être ouvert à des positions alternatives. Ces alternatives peuvent justifier l’existant, apporter des modifications ou proposer des perspectives différentes. Ce point est considéré comme crucial aux trois niveaux pris en compte : l’épistémique, le moral et le politique :

– le cadre épistémique : une croissance quantitative des connaissances pourrait conduire à une augmentation de la qualité globale de la production R&I ;

– d’un point de vue moral, l’inclusion d’acteurs externes dans le développement de la R&I constitue une ouverture aux demandes de la société et génère un niveau plus élevé de légitimité, voire aussi d’amélioration de l’efficacité d’un processus en augmentant les attentes d’acceptation des nouveaux produits par la société.

– d’un point de vue politique, un processus participatif répond aux revendications de démocratisation de la science.

Les deux chercheurs observent néanmoins qu’il faut distinguer le côté quantitatif de la participation du côté qualitatif. Cela implique que l’équation selon laquelle une augmentation de la quantité génère automatiquement une amélioration de la qualité pourrait s’avérer discutable. La participation ne doit pas être considérée comme une solution autonome et doit être définie en fonction de son objectif, de son influence réelle sur le processus décisionnel et du cadre sous-jacent [35].

Dans le cadre de la préparation du programme Horizon Europe, la Commission, mais aussi le Parlement et le Conseil ont, en 2018, clairement ouvert les portes à la participation citoyenne et de la société civile, mais aussi à la coconstruction de politiques publiques et collectives dans le domaine de recherche et d’innovation responsables :

Dans le but d’approfondir la relation entre la science et la société et de maximiser les avantages de leurs interactions, le programme devrait engager et impliquer les citoyens et les organisations de la société civile dans la co-conception et la co-création d’agendas et de contenus de recherche et d’innovation responsables, la promotion de l’enseignement des sciences, l’accès public aux connaissances scientifiques et la facilitation de la participation des citoyens et des organisations de la société civile à ses activités. Il devrait le faire dans l’ensemble du programme et par le biais d’activités spécifiques dans la partie « Renforcement de l’Espace européen de la recherche ». L’engagement des citoyens et de la société civile dans la recherche et l’innovation devrait être associé à des activités de sensibilisation du public afin de générer et de maintenir le soutien du public au programme. Le programme devrait également s’efforcer de supprimer les obstacles et de renforcer les synergies entre la science, la technologie, la culture et les arts afin d’obtenir une nouvelle qualité d’innovation durable [36].

La co-construction vise l’inclusion des acteurs parties prenantes dans les processus de management de projet que ce soit dans les organisations, les associations ou les collectivités territoriales. Selon cette approche, la définition du projet et sa mise en œuvre résultent d’un travail collectif incluant tous les acteurs concernés.

Ainsi, la co-construction peut être brièvement définie comme un processus de management de projet par lequel des acteurs différents exposent puis confrontent leurs points de vue et cherchent à élaborer une définition partagée au travers de compromis et s’accordent sur cette dernière [37].

Cette méthodologie est particulièrement adaptée pour construire des interventions associant aux élus des organisations, des entreprises, des collectivités territoriales ainsi que des citoyennes et citoyens et visant à transformer la société. Ces interventions vont de la conception à la mise en œuvre et à l’évaluation partenariale. En effet, les enjeux des politiques publiques et collectives deviennent de plus en plus complexes, aucun acteur ne pouvant à lui seul maitriser l’ensemble des dimensions constitutives d’un projet. De plus, ce management permet de répondre à la demande croissante des acteurs, citoyens-usagers à l’élaboration des décisions qui pourraient affecter leur vie ou la trajectoire de leur organisation ou de leur territoire [38]. Pour les acteurs, participer à la co-construction démocratique des politiques publiques n’est pas faire du lobbying. Dans le lobbying, la partie prenante concernée cherche légitimement à convaincre les élus de prendre une décision politique à son avantage. Dans la coconstruction démocratique, les parties prenantes délibèrent, ensemble et avec les décideurs, pour construire un compromis et une politique visant l’intérêt général. Dans la logique de coconstruction, la participation des acteurs de la société civile a une portée décisionnelle et pas seulement consultative, ce qui veut dire qu’elle a un impact sur le contenu des connaissances ou des politiques. La  relation entre les élus et les acteurs de la société civile demeure néanmoins asymétrique, c’est-à-dire à l’avantage des élus qui ont le dernier mot [39].

Au-delà de la mobilisation et de l’implication des parties prenantes concernées, la coconstruction démocratique doit permettre de créer les conditions d’une délibération productive qui débouche sur des décisions de politiques publiques pertinentes. Ce travail suppose une méthodologie robuste. Les méthodes d’écoute, d’animation, de médiation et de production développées, testées et construites au profit de la prospective stratégique et opérationnelle peuvent être mobilisées très heureusement dans le cadre de cette coconstruction.

 

2.3. La compréhension et l’évaluation des mécanismes de participation

De récents efforts menés dans le domaine de l’évaluation des choix technologiques (TA) pour inclure le public dans ces travaux peut apporter des éclairages utiles sur les mécanismes de participation. Les initiatives de clarifications de ces questions prises dans le cadre de l’ECAST (Expert and Citizen Assessment of Science and Technology) sont intéressantes dans la mesure où les chercheurs essaient d’articuler les apports des citoyens et ceux des experts. Ainsi, sur base de près de 40 délibérations citoyennes menées surtout aux États-Unis, de 2012 à 2021, dans divers domaines liés aux technologies, à la biodiversité, au climat, à la défense, les auteurs discutent concepts, méthodes et pratiques nées de ces expériences. Ce qui nous intéresse probablement le plus pour notre démarche de prospective en R&I, c’est la typologie des acteurs établie par les auteurs. Ils ont en effet le mérite d’avoir apporté des définitions à des catégories dont les frontières sont parfois floues ou mal établies:

– les experts : les personnes qui étudient la science ou la technologie au cœur d’une question sociotechnique donnée. Il s’agit notamment de spécialistes des sciences physiques et naturelles, d’ingénieurs et d’autres professionnels qui mènent des recherches techniques ou développent une technologie. Sont également inclus les spécialistes des sciences sociales, les sciences humaines et les autres chercheurs qui étudient l’impact sociétal d’une science ou d’une technologie donnée, ainsi que les fonctionnaires des agences fédérales qui jouent un rôle dans l’élaboration des connaissances techniques et la manière dont elles sont utilisées.

– les parties prenantes : les acteurs du gouvernement, des organisations non gouvernementales, des organisations philanthropiques et de l’industrie qui ne sont pas directement impliqués dans le développement d’une technologie, mais qui se considèrent tout de même comme concernés par les résultats. Nous distinguons ces acteurs des membres du grand public. Ces acteurs disposent déjà de voies formelles pour influencer les décisions relatives aux questions sociotechniques par le biais de groupes de défense, de lobbying ou d’autres canaux politiques.

– les citoyens : les membres du grand public qui n’ont pas d’intérêt formel dans une question. L’utilisation du terme « citoyen » n’est pas liée au statut légal de citoyenneté d’un individu, mais souligne plutôt le rôle de l’individu en tant qu’acteur non expert dans une société démocratique.

Les auteurs reconnaissent bien sûr que les parties prenantes ont leur propre forme d’expertise. Ils distinguent l’expertise contributive des « experts », c’est-à-dire la capacité de contribuer à la science d’un domaine, de l’expertise interactionnelle des parties prenantes, une compréhension du contexte et de la communauté dans laquelle le travail est mené. Ils notent également que certaines personnes peuvent posséder les deux formes d’expertise [40].

De son côté, Archon Fung a développé un cadre pour tenter de comprendre l’éventail des possibilités institutionnelles de la participation citoyenne. Le professeur à la JFK School of Government à Harvard considère que les mécanismes de participation au travers de trois dimensions :

– qui participe ;

– comment les participants communiquent entre eux et prennent des décisions ensemble, et – comment les discussions sont liées aux politiques publiques et à l’action ;

Cette approche permet d’aborder les enjeux importants de la gouvernance démocratique tels que la légitimité, la justice et l’efficacité de l’administration [41].

Afin d’évaluer la participation, Fung propose de l’analyser selon les deux principaux aspects que sont la sélection des participants et la communication ou l’influence sur la prise de décision découlant de ces processus. La sélection des participants peut comprendre huit niveaux différents, allant du plus exclusif (administrateurs experts) au plus englobant (sphère publique).

Méthodes de sélection des participants selon Archon Fung

Fung identifie six modes de communication et de prise de décision dans les exercices participatifs.

  1. La grande majorité des personnes n’expriment pas du tout leurs opinions, sont spectateurs pour recevoir des informations.
  2. Un certain nombre de citoyens et de militants sont là pour exprimer d’emblée leur opinion.
  3. Un certain nombre de personnes vont s’investir dans les processus qui sont déployés pour analyser et mettre en débat des alternatives puis se positionner, parfois sur des compromis.

Ces trois premiers modes ne débouchent guère sur des choix collectifs, au-delà du témoignage des participants.

Trois autres modes de décision sont utilisés :

Modes de communication et de prise de décision selon Archon Fung

  1. L’agrégation et le marchandage (aggregation and bargaining) : l’exploration et les concessions du marchandage permettent aux participants de trouver les meilleures alternatives disponibles pour faire avancer les préférences communes qu’ils ont.
  2. Délibération et négociation : des processus basés sur du matériel éducatif et des échanges permettent de déboucher sur des options communes, de clarifier les dissensions et de faire émerger des accords de principe.
  3. Déploiement de l’expertise technique de fonctionnaires dont la formation et la spécialisation professionnelle permettent la résolution de problèmes particuliers. Ce mode n’implique généralement pas les citoyens.

Fung introduit également une approche fondée sur le niveau d’autorité et de pouvoir qui est assigné aux participants. Alors que, rarement, certains mécanismes de participation permettent l’exercice d’un pouvoir direct, dans d’autres cas, les citoyens participent à une gouvernance partenariale avec des fonctionnaires pour élaborer et développer des stratégies d’action publique.

Niveaux de pouvoir et d’autorité attribué par Fung aux participants

Dans la figure ci-dessous, Fung illustre les différences de conception institutionnelle entre les audiences publiques classiques et les initiatives telles que les groupes délibératifs et les cercles d’étude. Presque toutes ces initiatives tentent d’améliorer la représentativité des participants, soit par une sélection aléatoire, soit par un recrutement ciblé, ce qui est indiqué par la flèche bleue dans la figure. Tous visent également à rendre les discussions entre les participants plus informées et réfléchies, ce qui est indiqué par la flèche verte.

Cadre de délibération à la légitimité renforcée d’Archon Fung

 

2.4. La réflexivité et l’encapacitation comme corolaires qualitatifs à la participation

Avons-nous encore besoin de convoquer Goethe, qui a donné une voix aux inquiétudes qui poussent à l’objectivité mécanique lorsqu’il prêchait la prudence dans l’interprétation des résultats expérimentaux ? Sa pensée nous rappelle les dangers de la recherche, ceux qui menacent ceux qui mettent la main à la science :

On ne saurait donc se tenir assez en garde contre les conséquences prématurées que l’on tire si souvent des expériences; car c’est en passant de l’observation au jugement, de la connaissance d’un fait à son application, que l’homme se trouve à l’entrée d’un défilé où l’attendent tous ses ennemis intérieurs, l’imagination, l’impatience, la précipitation, l’amour-propre, l’entêtement, la forme des idées, les opinions préconçues, la paresse, la légèreté, l’amour du changement, et mille autres encore dont les noms m’échappent. Ils sont tous là, placés en embuscade, et surprennent également l’homme de la vie pratique et l’observateur calme et tranquille qui semble à l’abri de toute passion [42].

La recherche contemporaine nous adresse au moins deux messages. D’une part, celui de la rigueur. Celle-ci consiste d’abord à savoir de quoi on parle, quel est le problème, ce que l’on cherche. Ce positionnement nécessite non seulement une culture générale, une expérience, mais aussi un apprentissage sur le sujet. C’est une phase de tout processus de recherche, mais aussi de participation à une consultation ou à un processus délibératif, y compris prospectif. Le deuxième message nous renvoie à la relativité, à l’objectivité face au sujet ainsi qu’à l’interprétation de l’expérience. Si la passion qui souvent motive positivement le chercheur peut aussi en être son ennemi intérieur, comme en préserver le citoyen, l’acteur, la partie prenante qui participent à un processus de recherche et d’innovation ?

Par réflexivité, Brian Wynne entend des processus plus systématiques d’exploration des engagements préalables encadrant la connaissance, de la manière dont elle a été introduite dans les débats sociologiques sur la modernité, plutôt que le principe plus méthodologique-épistémologique de cohérence tel qu’il a été développé en sociologie des sciences [43]. Le chercheur de l’Université de Lancaster considère que le cadrage dominant de la question de la compréhension de la science par le public correspond à des hypothèses plus larges sur la relation entre la science et les profanes. Ces derniers sont supposés être essentiellement défensifs, réfractaires au risque et à l’incertitude, et non réflexifs. Wynne remarque qu’à l’inverse, la science est censée être l’exemple même de l’autocritique réflexive. Il montre que les citoyens ont des difficultés à se positionner intellectuellement à l’égard de la science et les institutions scientifiqus. Ces institutions font preuve d’une très profonde résistance à reconnaître et remettre en question les modèles qui structurent leurs discours scientifiques [44].

La participation de citoyens à la recherche et à l’innovation implique non seulement la capacité de mobiliser des connaissances utiles au fil du processus engagé, mais aussi, comme pour tout acteur de la R&I, de pouvoir objectiver la place qui est la leur au sein d’un dispositif, de les interroger et de les faire s’interroger sur les conditions sociales de leur production intellectuelle. Ainsi, l’empowerment et la réflexivité apparaissent comme des corollaires de leur implication dans le but d’améliorer la qualité des produits de sortie des exercices et travaux. Il ne fait aucun doute que ces points sont cruciaux et plaident en faveur d’une approche prospective solide où la clarté est réalisée sur le rôle de chacun des acteurs au sein du système analysé, où l’ambiguïté des concepts est levée de telle sorte que le dialogue puisse se réaliser dde manière rationnelle, où enfin, l’utilisation du long terme permet de mettre à distance les trajectoires personnelles au profit de la recherche d’un intérêt commun au profit de la société tout entière et des générations à venir.

Ainsi, revient-on également sur les bases d’une heuristique qui comporte, d’une part, sa capacité à identifier les sources d’une production intellectuelle  de qualité, correspondant aux besoins de la recherche et aux exigences de légitimation de la communauté scientifique et, d’autre part, une méthode de tri permettant de distinguer le vrai du faux, de construire une véritable critique des sources et de mettre en cause pour les écarter ce qui ne correspond pas aux standards de l’honnêteté et de la raison [45]. La prospective, comme véritable « machine à se poser des questions », à la fois manière de penser et manière de faire est bien une heuristique, source potentielle de créativité. Ainsi, comme théorie de l’action, praxéologie, on observe que deux processus encadrent la prospective : le processus de rationalité et le processus de créativité. La méthodologie permet de stimuler l’une ou l’autre [46].

Si les processus participatifs sont largement reconnus comme des composantes fructueuses des approches de gouvernance actuelles, ils ne sont pas toujours suffisants pour établir une solide légitimité du processus de R&I. La réflexivité apparaît comme un renfort qualitatif indispensable à la participation des parties prenantes, mais aussi de l’ensemble du processus de Recherche et d’Innovation. Agissant à un niveau épistémique, la réflexivité constitue un outil permettant d’améliorer la qualité des connaissances disponibles pour les chercheurs et les innovateurs ainsi que pour les citoyens. Outil opérationnel crucial pour accroître la contribution d’un individu au développement de la recherche et de l’innovation, elle constitue aussi un argument pour surmonter les logiques paternalistes qui conçoivent les citoyens comme incompétents ou incapables d’évaluer les résultats de la science. Ainsi, la réflexivité a pour vocation d’ajouter une couche qualitative à la participation et d’orienter consciemment le processus de R&I, en augmentant son efficacité et sa légitimité [47].

 

A suivre : 3. Prospective, R&I et engagement citoyen : surmonter les ambiguïtés

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Simon L. LEWIS, Mark A. MASLIN, Definiting the Antropocene, in Nature, Vol. 519 (2), 2015, p. 128-146. https://www.nature.com/articles/nature14258 – Rémi BEAU & Catherine LARRERE, Penser l’Anthropocène, Paris, Presses de SciencesPo – Fondation de l’Écologie politique, 2018.

[2] Ph. DESTATTE, Foresight: A Major Tool in tackling Sustainable Development, in Technological Forecasting and Social Change, Volume 77, Issue 9, November 2010, p. 1575-1587.

PhilippeDestatte_Foresight_as_a_major_tool_for_Sustainable_Development_TFSC-2010

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0040162510001538

[3] In this sense, Responsible Research and Innovation (RRI) is a fairly recent framework aimed at creating a meaningful and fruitful dialectic between technical and economic ambitions (R&I) and the normative claims present in or arising from society. Robert GIANNI et Philippe GOUJON, What are the conditions for the ethical implementation of RRI?, Responsible governance and second-ordre reflexivity, in Robert GIANNI, John PEARSON and Bernard REBER, Responsible Research and Innovation, From concepts to practices, p. 172-173, Routledge Studies in Innovation, Organizations and Technology, Routledge, 2020.

[4] Simone ARNALDI, Guido GORGONI & Elena PARIOTTI, Responsible Research and Innovation between « New Governance » and fundamental rights, in Robert GIANNI, John PEARSON and Bernard REBER, Responsible Research and Innovation, From concepts to practices, p. 154, Routledge Studies in Innovation, Organizations and Technology, Routledge, 2020.

[5] Responsible Research and Innovation is a transparent, interactive process by which societal actors and innovators become mutually responsive to each other with a view to the (ethical) acceptability, sustainability and societal desirability of the innovation process and its marketable products. René von SCHOMBERG, A vision of responsible research and innovation, in Richard OWEN, John BESSANT and Maggy HEINTZ ed., Responsible Innovation. Managing the Responsible Emergence of Science and Innovation in Society, p. 51-74, Hoboken NJ, John Wiley & Sons, 2013. – Mirjam BURGET, Emanuele BARDONE, Margus PEDASTE, Definitions and conceptual dimensions of responsible research and innovation: a literature review, in Science and
Engineering Ethics, Vol. 23 (1), 2017, p. 1–19. https://link.springer.com/article/10.1007/s11948-016-9782-1

[6] Challenging Futures of Science in Society, Emerging Trends and Cutting-Edge Issues, Monitoring Activities of Science in Society in Europe Experts Group (MASIS), European Commission, Directorate-General for Research, Luxembourg, 2009.

[7] Zaneta OZOLINA, Carl MITCHAM, Jack STILGOE, Global Governance of Science, Report of the Expert Group on Global Governance of Science to the Science, Economy and Society Directorate, p. 17, Brussels, Directorate-General for Research, European Commission, 2009.

[8] Erika SZYSZCAK, Experimental governance: The open method of coordination, in European Law Journal, vol. 12 (4), 2006, p. 486-502. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/j.1468-0386.2006.00329.x

[9] Simone ARNALDI, Guido GORGONI & Elena PARIOTTI, Responsible Research and Innovation between « New Governance » and fundamental rights…, p. 156-157. – Simone ARNALDI & Luca BIANCHI, Responsibility in Science and Technology, Wiesbaden, Springer, 2016.

[10] S. ARNALDI ea, Responsible Research and Innovation between « New Governance » and fundamental rights…, p. 159.

[11] Niamh DELANEY, Zeno TORNASI, Raluca IAGHER, Roberta MONACHELLO, Colombe WARIN, Science with and for Society in Horizon 2020, Achievements and Recommendations for Horizon Europe, European Commission, Directorate for Research and Innovation, 2020.

[12] Lund Declaration, Conference: New Worlds, New Solutions. Research and Innovation as a Basis for Developing Europe in a Global Context, Lund, Sweden, 7–8 July 2009.

https://www.vr.se/download/18.6969eb1a16a5bec8b59338/1556886570218/Lund%20Declaration%202009.pdf

[13] Richard OWEN, Responsible Research and Innovation, Options for research and innovation policy in the EU, 2014.

Cliquer pour accéder à RRI-option-of-policy-in-EU.pdf

[14] In this regard RRI acknowledges the transformative power of innovation to create futures, that innovations are often socially and politically constituted and that they embed values. RRI pro-actively seeks to create spaces and processes to allow these futures, the role of innovation in creating them, and the values on which they are based, to be opened up to inclusive discussion and debate, and for such discussions to be responded to i.e. as a deliberative, participatory, anticipatory and reflexive process. Ibidem, p. 3.

[15] Niklas GUDDOWSKY & Walter PEISSI, Human centred science and technology – transdisciplinary foresight and co-creation as tools for active needs-based innovation governance, in European Journal of Futures Research, Vol. 4, (8), 2016. https://link.springer.com/article/10.1007/s40309-016-0090-4

[16] Helga NOWOTNY, Peter B. SCOTT and Michaël T. GIBBONS, Re-Thinking Science: Knowledge and the Public in an Age of Uncertainty, p. 118-119, Cambridge, Polity Press, 2001.

[17] Kathy SYKES. and Phil MACNAGHTEN, Responsible Innovation, Opening Up Dialogue and Debate, in Richard OWEN, John BESSANT and Maggy HEINTZ ed., Responsible Innovation. Managing the Responsible Emergence of Science and Innovation in Society, p. 85–107, Hoboken NJ, John Wiley & Sons, 2013.- Phil MACNAGHTEN, The Making of Responsible Innovation, Cambridge University Press, 2020. Robert GIANNI et Philippe GOUJON, p. 84-185.

[18] Universal Declaration of Human Right, Article 27: 1. Everyone has the right freely to participate in the cultural life of his community, to enjoy the arts and to share in scientific advancement and its benefits. 2. Everyone has the right to the protection of the moral and material interests resulting from any scientific, literary or artistic production of which he is the author. https://www.un.org/en/about-us/universal-declaration-of-human-rights

[19] Charter of Fundamental Rights of the European Union, (2012/C 326/02).

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012P/TXT&from=EN

[20] Commission Recommandation on a Code of Conduct for responsible nanosciences and nanotechnologies research, February 7, 2009 C(2008) 424. https://ec.europa.eu/research/participants/data/ref/fp7/89918/nanocode-recommendation_en.pdf – Nanosciences and Nanotechnologies: An Action plan for Europe 2005-2009, Second Implementation Report 2007-2009, Communication from the Commission to the Council, The European Parliament and the European Economic and Social Committee, (SEC(2009)1468, Brussels, 29.10.2009.

https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2009:0607:FIN:EN:PDF

[21] This programme will (…) develop the means for more constructive and effective communication and dialogue between research and citizens in general, so as to enable society at large to have a better-informed and more constructive influence on the future development and governance of science, technology and innovation. European Council decision of 30 September 2002 adopting a specific programme for research, technological development and demonstration: « structuring the European Research Area » (2002–2006), p. 4, 2002/835/EC.

[22] Challenging Futures of Science in Society, Emerging Trends and Cutting-Edge Issues, (MASIS)…, p. 6 & 7.

[23] Edward R. FREEMAN and David L. REED, Stockholders and Stakeholders: A new perspective on Corporate Governance in California Management Review, Vol. 25, Issue 3, 1983, p. 88‐106.

[24] Challenging Futures of Science in Society, Emerging Trends and Cutting-Edge Issues, (MASIS)…, p. 4 et 10.

[25] While initially it was an issue in theories of democracy, claiming a renewal of the more formal representative democracy and enriching it by forms of a deliberative and interactive democracy, it is now also used to describe the involvement of users in the shaping of specific technologies which would be sensible in many cases but does not have much to do with political democracy. Public participation loses its traditional and emphatic connotation of deliberative democracy and becomes more and more a means of involving users in the design of new products, driven by economic rather than political needs. We are not arguing for or against one or other form of participation, but we are highlighting that there are two different forms of governance in this field: via democratic institutions at the political level and in the marketplace via new constellations of engineers, scientists, users and citizens. Both forms have a role to play, but their rationales are different. Challenging Futures of Science in Society, (MASIS)…, p. 22-24.

[26] One can find the same skepticism in Brian WYNNE dir., Taking European Knowledge Society Seriously, Report of the Expert Group on Science and Governance to the Science, Economy and Society Directorate, p. 58sv (New European Regimes of Public Engagement), Directorate-General for Research. European Commission, Brussels, January 2007.

[27] Ibidem, p. 20.

[28] Zaneta OZOLINA, Carl MITCHAM, Jack STILGOE, Global Governance of Science, Report of the Expert Group on Global Governance of Science to the Science, Economy and Society Directorate, p. 29, Brussels, Directorate-General for Research, European Commission, 2009.

[29] Lars KLÜVER, Consensus Conferences in the Danish Board of Technology, in Simon JOSS and John DURANT eds., Public Participation in Science: The Role of Consensus Conferences in Europe, p. 41-49,London, Science Museum, 1995. – John S. DRYZEK and Aviezer TUCKER, Deliberative Innovation to Different Effect: Consensus Conferences in Denmark, France, and the United States, in Public Administration Review, vol. 68, no. 5 (2008), p. 864–76. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1540-6210.2008.00928.x

[30] Sciencewise, Supporting socially informed policy making. https://sciencewise.org.uk/

[31] The link on Cordis is lost but the evaluation was done by Professor Ortwin Renn’s team : European Citizen’s Deliberation on Brain Science (ECD) project, https://www.dialogik-expert.de/en/projects/meeting-of-minds

[32] ERA research should be developed to promote critical reflection and discussion with regard to both the means and ends of science – by means, e.g., of selective research projects and public activities that require interdisciplinary collaboration and citizen participation, including reflection of the ways in which the principles of European governance and basic fundamental rights serve as appropriate and applicable guidelines for the practice of science. Z. OZOLINA e.a., Global Governance of Science…, p. 42.

[33] R. GIANNI & Ph. GOUJON, op. cit., p. 184 & 190.

[34] Bert-Jaap KOOPS, Ilse OOSTERLAKEN, Henny ROMIJN, Tsjalling SWIERSTRA, Jeroen VAN den HOVEN ed., Responsible Innovation 2: Concepts, Approaches and Applications, p. 5, Dordrecht, Springer 2015.

[35] Participation should not be considered as an self-standing solution and needs to be defined in terms of its objective, actual influence in the decision-making process and underlying framework. R. GIANNI & Ph. GOUJON, op. cit., p. 185.

[36] With the aim of deepening the relationship between science and society and maximising benefits of their interactions, the Programme should engage and involve citizens and civil society organisations in co-designing and co-creating responsible research and innovation agendas and contents, promoting science education, making scientific knowledge publicly accessible, and facilitating participation by citizens and civil society organisations in its activities. It should do so across the Programme and through dedicated activities in the part ‘Strengthening the European Research Area’. The engagement of citizens and civil society in research and innovation should be coupled with public outreach activities to generate and sustain public support for the Programme. The programme should also seek to remove barriers and boost synergies between science, technology, culture and the arts to obtain a new quality of sustainable innovation. Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council establishing Horizon Europe – the Framework Programme for Research and Innovation, laying down its rules for participation and dissemination, Brussels, June 7, 2018. COM/2018/435 final. (26) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52018PC0435&from=EN

[37] Pour être plus précis, on dira avec Michel Foudriat que la co-construction peut se définir comme un processus par lequel un ensemble d’acteurs différents :

– expriment et confrontent les points de vue qu’ils ont sur le fonctionnement organisationnel, sur leur représentation de l’avenir d’un territoire, sur une innovation technique, sur une problématique de connaissance ;

– s’engagent dans un processus d’intercompréhension des points de vue respectifs et de recherche de convergence entre ceux-ci ;

– cherchent à trouver un accord sur des traductions de leurs points de vue qu’ils ne jugeraient pas incompatibles entre elles pour arrêter un accord (un compromis) sur un objet matériel (une innovation technique, un nouveau produit industriel) ou immatériel (un projet). Concrètement, le processus de construction aboutit à un document formel qui devient la traduction acceptable et acceptée par les différents acteurs parties prenantes.

Michel FOUDRIAT, La co-construction en actes, Comment l’analyser et la mettre en œuvre, p. 17-18, Paris, ESF, 2021. – M. FOUDRIAT, La Co-construction. Une alternative managériale, Rennes, Presses de l’EHESP, 2016.

[38] Ibidem.

[39] Yves VAILLANCOURT, De la co-construction des connaissances et des politiques publiques, dans SociologieS, 23 mai 2019, 39sv. http://journals.openedition.org/sociologies/11589 – Y. Vaillancourt, La co-construction des politiques publiques. L’apport des politiques sociales, dans Bouchard M. J. (dir.), L’Économie sociale vecteur d’innovation. L’expérience du Québec, p. 115-143, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011. – Y. Vaillancourt, La co-construction des politiques publiques : balises théoriques, dans L. Gardin & F. Jany-Catrice dir., L’Économie sociale et solidaire en coopérations, Rennes, p. 109-116,  Presses universitaires de Rennes, 2016.

[40] Leah R. KAPLAN, Mahmud FAROOQUE, Daniel SAREWITZ and David TOMBLIN, Designing Participatory Technology Assessments: A Reflexive Method for Advancing the Public Role in Science Policy Decision-making, in Technological Forecasting and Social Change, Vol. 171, October 2021.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0040162521004066?casa_token=FVIz2ifcDnIAAAAA:CVqvotCDx5853FuLs7GPFUuAaxqRdP87H5U1JHMcMiv3aauUQ7L_g3SxGIt6IfwnagVigQO9Geq9 – Harry M. COLLINS & Robert EVANS, The Third Wave of Science Studies: Studies of Expertise and Experience, in Social Studies of Science, vol. 32, (2), June 29, 2016. https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0306312702032002003

[41] Archon FUNG, Varieties of participation in complex governance, in Public Administration Review, Dec. 2006, Vol. 66 (Special Issue 1), p. 66–75. https://faculty.fiu.edu/~revellk/pad3003/Fung.pdf

[42] Johann Wolfgang GOETHE, Der Versuch als Vermittler von Objekt und Subjekt, in Goethe’s Werke, Hamburger Ausgabe, p. 13, Munich, Verlag C. H. Beck, 2002, p. 10-2). https://www.projekt-gutenberg.org/goethe/nat92-97/chap011.html

https://www.natureinstitute.org/article/goethe/experiment-as-mediator-of-object-and-subject – Johann Wolfgang Goethe, The Experiment as Mediator between Object and Subject (1792, publ. 1823) , in J. W. GOETHE, Scientific Studies, ed. and trans. Douglas Miller, p. 14, New York, Suhrkamp,1988. – Lorraine DASTON, The moral Economy of Science, in Osiris, 10, 1995, p. 18-23. https://pure.mpg.de/rest/items/item_2276978/component/file_3321600/content – Nicolas CLASS, Goethe et la méthode de la science, in Astérion, vol. 3, 2005. http://journals.openedition.org/asterion/413 ; DOI : https://doi.org/10.4000/asterion.413

[43] Pierre Bourdieu observait en 1993 qu’adopter le point de vue de la réflexivité ne constitue pas un renoncement à l’objectivité. C’est travailler à rendre compte du sujet empirique dans les termes mêmes de l’objectivité construite par le sujet scientifique, notamment en le situant en un lieu déterminé de l’espace-temps social. Pour le sociologue français, il s’agit alors de « se donner la conscience et la maîtrise des contraintes qui peuvent s’exercer sur le sujet  à travers tous les liens qui l’attachent au sujet empirique, à ses intérêts, à ses pulsions, à ses présupposés – liens qu’il doit rompre pour se constituer pleinement« .Pierre BOURDIEU, Réflexivité narcissique et réflexivité scientifique (1993), dans P. BOURDIEU, Retour sur la réflexivité,  p. 58, Paris, EHESS, 2022.

[44] Brian WYNNE, Public uptake of science: a case for institutional reflexivity, in Public Understanding of Science, Vol.  2 (4), 1993, p. 321–337. https://journals.sagepub.com/doi/10.1088/0963-6625/2/4/003 – See also: B. WYNNE, Elephants in the rooms where public encounter « science »?, A response to Darrin Durant, Accounting for expertise: Wynne and the autonomy of the lay public, in Public Understanding of Science, Vol. 17, 2008, p. 21-33.

https://www.ssoar.info/ssoar/bitstream/handle/document/22453/ssoar-2008-1-wynne-elephants_in_the_rooms_where.pdf;jsessionid=CE7E52866567FBD3F6C80011B6C8DE0F?sequence=1

[45] Daniel KAHNEMAN, Olivier SIBONY and Cass R. SUNSTEIN, Noise, A flaw in Human Judgment, p. 166-167, New York – Boston – London, Little Brown Spark, 2021. – Philippe DESTATTE, Les opinions partiales altèrent la rectitude du jugement, Heuristique et critique des sources dans les sciences, Conférence présentée à la Salle académique de l’Université de Mons, dans le cadre du Réseau EUNICE, le 21 octobre 2021, Blog PhD2050, 1er novembre 2021. https://phd2050.org/2021/11/01/heuristique/

[46] Pierre GONOD , Conférence faite à la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, Namur, Institut Destrée, 19 mai 2009. – P. GONOD, Dynamique des systèmes et méthodes prospectives, p. 35-36, coll. Travaux et recherches de prospective, Paris, 1996.

[47] R. GIANNI & Ph. GOUJON, op. cit., p. 189.

par Benoit Coppée, Jean Stephenne, Hervé Vanderschuren et Philippe Destatte

Namur, 18 mars 2024

Les citoyennes et citoyens européens ont découvert ces dernières semaines que les agriculteurs demandent plus de moyens et de solutions pour la mise en place de systèmes de production durables et de filières en adéquation avec le Pacte vert européen (le fameux Green Deal).

Alors que la Commission européenne souhaite rendre nos systèmes agricoles plus durables avec des objectifs ambitieux tels qu´une meilleure gestion de l´azote et une réduction de l´utilisation des pesticides ou encore une utilisation raisonnée d´emballage recyclable, il s’avère nécessaire de convaincre les acteurs des différentes filières et de les accompagner dans la mise en place de ces nouvelles mesures. Un soutien financier important sera déterminant pour que le secteur agricole et ses filières réussissent cette transition. Afin de réduire les coûts de cette mutation à marche forcée, le levier de l´innovation par la recherche et le développement (R&D) ne doit pas être sous-estimé. Tant vis-à-vis du monde agricole que des consommateurs, regrouper, fédérer et unir nos compétences et expertises, constituent à la fois une urgence et un devoir, pour être réellement au niveau des attentes.

La réduction et l’élimination progressive des pesticides de synthèse nécessitent une adaptation des pratiques culturales et de nouvelles variétés cultivées, mais aussi la découverte de nouvelles molécules naturelles. Ces innovations permettront aux agriculteurs de garantir la santé des consommateurs et de préserver l´environnement au sens large tout en maintenant un niveau d´efficacité suffisant. De même, une meilleure gestion des ressources pourrait s´appuyer sur l´utilisation de variétés cultivées capables de mieux prélever et assimiler les nutriments qui sont présents dans les sols. Le développement d´emballages biosourcés et biodégradables issus par exemple de sous-produits d´entreprises locales est également une stratégie qui pourrait permettre la réduction de l´empreinte écologique que font peser nos filières de distribution sur l´environnement.

Les nouvelles ambitions du Pacte vert européen apparaissent comme autant d´opportunités de repenser les produits et les expertises pour les grandes entreprises européennes, mais aussi prioritairement pour les PMEs, les solutions à portée locale favorisant l´implication de ces dernières et leur collaboration avec le secteur agricole. Pour des régions en quête de renouveau économique, la demande d´innovation qui en découle est une occasion unique à saisir afin de relancer une dynamique économique vertueuse basée sur la recherche de solutions durables pour notre agriculture et nos filières. Cette approche nécessite des capacités de recherche importantes avec un niveau d´expertise compétitif. Il s´agit également de garantir un financement public et privé dans la durée afin de renforcer et de maintenir les compétences mobilisées.

L´écosystème de recherche publique en lien avec ces expertises en Belgique francophone reprend principalement les universités de Wallonie et de Bruxelles ainsi que les centres de recherche financés par la Région wallonne, certaines thématiques étant coordonnées par les pôles de compétitivité. La difficulté de dégager des budgets de recherche se combine au morcellement des moyens qui se « distribuent » entre les différentes universités et centres de recherche. Cette fragmentation représente autant de difficultés et de freins pour la mise en place de programmes de recherche ambitieux et innovants malgré le potentiel réel qui permettrait d´apporter des solutions effectives au profit du secteur agricole et de ses filières. Le manque de financement est par exemple illustré par le nombre très limité d´appels à projet de recherche thématique par la direction générale de l´Agriculture de la Région wallonne au cours des cinq dernières années.

 

La France et les Pays-Bas peuvent être des sources d’inspiration

Même s´il faut admettre que les capacités d´une région de 3,6 millions d´habitant-e-s avec une surface agricole utile d´un peu plus de 700.000 hectares ne peuvent concurrencer des initiatives de pays dotés d´une dimension agricole plus importante, il convient cependant d´analyser les approches mises en œuvre ailleurs. La France, par exemple, regroupe une grande partie de ses moyens de recherche dans le domaine de l’agriculture et de ses filières au sein de l´Institut national de Recherche pour l´Agriculture, l´Alimentation et l´Environnement (INRAE). Par sa masse critique, l´INRAE est capable d´initier un nombre important de partenariats avec le secteur privé et de mettre en place des filiales en charge de l´innovation. Les Pays-Bas ont également un modèle qui peut être source d´inspiration puisqu’un regroupement progressif de leur expertise en agriculture, ingénierie du vivant, environnement et filières agricoles y a été réalisé au cours des deux dernières décennies au sein d´un centre de référence : l’Université de Wageningen. Celle-ci se classe actuellement comme la meilleure université au niveau mondial dans le domaine des sciences agronomiques et d’ingénierie du vivant. Sans entrer dans le débat de la pertinence des classements universitaires, il faut constater que la visibilité et la notoriété qui se dégagent d´un tel positionnement international ont un effet démultiplicateur pour le recrutement de chercheurs dans des domaines de pointe, mais également pour la participation à des programmes de recherche européens et la mise en place de partenariats public – privé.

L’Université de Wageningen et ses parcelles d’essais agricoles Erik Koole | Dreamstime.com

Il est à noter que l´ensemble des chercheurs permanents de nos universités et centres de recherche qui travaillent dans les domaines de l´agriculture, de l´ingénierie du vivant et de l´environnement en Belgique francophone avoisine le nombre de chercheurs académiques de l´université de Wageningen. Il existe donc bien une masse critique de chercheur-e-s qui permettrait d´augmenter notre visibilité et notre compétitivité dans ces domaines de compétence. Par ailleurs, un rapprochement des équipes de recherche appliquée telles que celles présentes dans les centres de recherche avec une recherche universitaire plus fondamentale offre généralement des conditions propices pour le renforcement de l´innovation en phase avec la demande des utilisateurs, et dans ce cas précis les agriculteurs. Il s´agit également de mettre en œuvre des solutions répondant aux attentes des nouvelles générations d´étudiants et de chercheurs qui se mobilisent pour une nourriture de qualité et des modes de vie plus en phase avec la nature. Un secteur aussi vital et stratégique que l´agriculture et l´alimentation requiert certainement la mise en place d´une vision renouvelée de ses dimensions sociales et environnementales.

Une mise en commun des ressources représenterait aussi une opportunité pour le renforcement d´une recherche transdisciplinaire. Une recherche plus intégrée est en effet nécessaire pour proposer des modèles innovants de soutien aux filières et d´accès à la profession en adéquation avec nos spécificités régionales et son contexte européen, le maintien d´exploitations agricoles familiales assurant une proximité avec le consommateur et une gestion résiliente de nos campagnes. Par ailleurs, une recherche transdisciplinaire plus visible permettrait une contribution plus avancée aux politiques européennes qui cherchent à concilier la nécessité d´une plus grande autonomie de sa production agricole et la mise en place de mesures environnementales. Comme le souligne la Cour des comptes française dans son dernier rapport, une véritable planification s´appuyant sur une recherche forte est également nécessaire pour atténuer les risques constants que fait peser le changement climatique sur nos systèmes de production agricole.

 

Une première étape à franchir sans tarder

Dans le contexte d´urgence climatique et de pression croissante sur le secteur agricole, il est donc indispensable d’entamer une réflexion globale permettant d’optimiser nos moyens et de garantir le renforcement de l´excellence de notre recherche pour le secteur agricole. La mise en place d´un institut regroupant l´ensemble des acteurs académiques et des centres de recherche dans ce domaine en Belgique francophone nous semble donc être une première étape pertinente et nécessaire pour atteindre ces objectifs.

Cet appel pourrait ne pas être épargné par des argumentaires visant à préserver le statu quo. L´urgence des solutions à mettre en place devrait être suffisamment prise en compte pour passer outre au campanilisme encore trop présent dans nos institutions de recherche et d´enseignement. Une taille critique est nécessaire pour être des acteurs crédibles et des apporteurs de solutions. Nous n’y sommes pas ! Pas encore ?

 

Benoit Coppée (Past-Président de la Foire de Libramont)

Philippe Destatte (Historien et prospectiviste)

Jean Stephenne (Past-Président GlaxoSmithKline Biologicals)

Hervé Vanderschuren (Professeur KU Leuven et professeur part-time ULiège)

Bruxelles, le 17 mars 2024

 

Cette réflexion est structurée en cinq parties.

1. L’engagement des citoyens au sein de la prospective R&I dans le paysage de la science et de la société

2. Les transformations du système de la Recherche-Innovation et de sa gouvernance

3. Prospective, R&I et engagement citoyen : surmonter les ambiguïtés

4. Pratiques de la participation citoyenne dans la prospective R&I

5. Conclusion : vers une prospective de la R&I responsable ?

 

1. L’engagement des citoyens au sein de la prospective R&I dans le paysage de la science et de la société

Il ne fait aucun doute que la participation active des citoyennes et des citoyens aux discussions sur l’avenir fait partie intégrante de nos démocraties [1]. La problématique de la participation citoyenne dans la Recherche et l’Innovation s’inscrit dans des cadres multiples, en particulier lorsqu’on l’aborde sous l’angle de la prospective qui cultive l’ambition de voir loin et large, donc de s’inscrire à la fois dans des temporalités longues [2], prospectives et rétrospectives, ainsi que dans des espaces de pensée et d’action qui se veulent holistiques et systémiques [3]. De plus, les mutations environnementales et les exigences de durabilité créent de nouveaux contextes géopolitiques, sortants de la normalité [4] et qui sont marqués par une imbrication considérable de nos choix à tous les niveaux de décision, de la famille et de l’entreprise jusqu’à l’Union européenne et aux Nations Unies. Comme l’écrit justement l’économiste Frédéric Gilli, nous vivons un moment charnière de l’Histoire européenne et mondiale dont la démocratie est à la fois le problème et la solution [5]. Ainsi, d’emblée, nous souhaitons échapper au risque toujours existant de réfléchir et de travailler dans un silo conceptuel et méthodologique linéaire depuis l’évaluation des choix technologiques (Technology assessment) qui serait celui, restreint de la prospective strictement appliquée à la R&I. Comme chacune et chacun le sait, les outils et les pratiques sont nombreux qui balisent le cycle de la décision publique. Cette dernière est elle-même remise en cause par les nouvelles dynamiques de gouvernance  qui, justement par l’ouverture aux acteurs, aux parties prenantes, aux bénéficiaires ainsi qu’aux citoyennes et citoyens, organisés ou non [6], se transforment de plus en plus en politiques collectives, co-créées[7], co-conçues, co-construites, avec des résultats co-produits et des évaluations d’impacts nécessairement partenariales avec ceux qui ont été impliqués [8]. Les politiques de recherche et d’innovation n’échappent pas à cette évolution fondamentalement liée à l’appropriation par les citoyennes et citoyens des sciences et des technologies.

 

1.1. Un espace de gouvernance considérablement enrichi

Ce qui est frappant, c’est que, lorsque nous regardons le paysage des politiques publiques, depuis le monde dans sa globalité et les réseaux qui y sont actifs, jusqu’à nos centres de recherches et laboratoires, sous différents angles et en prêtant attention aux innovations de toute nature, nous découvrons que, progressivement, depuis quelques décennies, l’espace de cette gouvernance s’enrichit considérablement. Ainsi, la science et la société ne se regardent plus face à face, mais connaissent des coévolutions, des transgressions de frontières qui nécessitent de fixer de nouvelles règles du jeu. Il est devenu plus difficile de considérer la science comme un sous-système distinct de la société, clairement délimité des autres sous-systèmes, car tous les systèmes et sous-systèmes sont en mutation et sont devenus transgressifs [9]. S’y ajoute l’idée de plus en plus présente que l’avenir peut être façonné, donc imaginé et anticipé correctement, avec les bonnes décisions qui engagent la société. La prospective devient plus réflexive en cherchant des alliés potentiels dans le public pour les impliquer dans le processus de recherche orienté vers l’avenir [10]. Ces nouveaux espaces de relations apparaissent comme un jeu complexe de miroirs où interagissent les idées et concepts de nouvelle démocratie participative [11], démocratie délibérative [12] voire Discursive Democracy pour parler comme John S. Dryzek [13], de gouvernement ouvert [14], d’intelligence collective [15], etc. La Science y répond elle-même par l’Open Science [16], l’Open Innovation [17], la Citizen Science [18], la Recherche et l’Innovation responsables [19], ainsi que par des disciplines et pratiques – rigoureuses, mais non nécessairement scientifiques – en mutations constantes et qui interagissent elles-mêmes comme la prospective [20], le Design Thinking [21], l’analyse d’impact préalable (Policy Impact Prior Analysis) [22], la Gouverance anticipatrice [23], les Approches pangouvernementales [24], etc.

 

 

1.2. Quels sont les problèmes pour lesquels les citoyens sont la solution ?

La démarche Mutual Learning Exercise entreprise par la Commission européenne [25] est particulièrement salutaire dans la mesure où, nous le verrons, une certaine confusion règne encore sur la nature, la pertinence et l’adéquation de certains instruments de participation à la Science, à la R&I [26], ainsi que sur l’intensité ou l’étendue voire sur l’intérêt de cet engagement des citoyennes et des citoyens. Au-delà de nos convictions sur la nécessité de la délibération citoyenne et de l’intelligence collective, la question centrale reste : quels sont les problèmes pour lesquels les citoyens sont la solution ? Une seconde question était déjà adressée en 2003 par  Paraskevas Caracostas. Le responsable à ce moment de l’Unité « Sciences et Technologie » à la DG Recherche de la Commission européenne la  qualifiait de provocatrice : ne pourrait-on dire que les nouveaux exercices de prospective participative sont des manières de renouveler la technocratie, c’est-à-dire d’élargir le cercle des experts qui sont impliqués dans la prise de décisions ? [27]

La participation est donc au centre du questionnement sur la gouvernance contemporaine, non pas comme la réalisation d’une démocratie mythique, parfaite, rêvée et utopique, mais comme une condition de l’efficacité des politiques collectives visant au développement commun et à la métamorphose de la société, en particulier en s’appuyant sur la recherche et l’innovation. C’est ici, d’ailleurs que la prospective prend tout son sens par sa vocation à articuler passé-présent-futur dans un processus d’implication des acteurs. Cela pose évidemment la question de la relation avec la démocratie représentative et le risque de conflit avec les décideurs, en particulier les élus, que ces démarches impliquent. Pourtant, contrairement à la démocratie participative, qui aurait des ambitions de participer à la décision publique et de se voir réserver des marges de décisions citoyennes, la démocratie délibérative citoyenne, telle que conceptualisée par Habermas [28], se situe en amont de la décision. En effet, ce type de dynamique démocratique vise, avant tout à apprendre les uns des autres, à améliorer nos convictions dans les confrontations politiques, à nous rapprocher de la résolution des problèmes qui se posent à nous. Cela présuppose toutefois que le processus politique ait absolument une dimension épistémique… nous rappelle Habermas [29]. Dans ce modèle, la prise de décision reste strictement portée par les élus. Ainsi, la démocratie délibérative se fonde sur la mise en œuvre de l’intelligence collective au profit de l’innovation politique et institutionnelle, dans le plus profond respect de l’élu, comme responsable ultime de l’action publique devant le citoyen. Pierre Calame est probablement très réaliste quant au rôle de l’élu lorsqu’il indique que, plus un problème est complexe et plus l’objectif du politique est non pas de trouver une solution optimale, mais de mettre au point une solution convenable, à la fois techniquement adaptée et politiquement susceptible de rallier les suffrages du plus grand nombre. Dans ces conditions, l’activité politique se déplace de la décision à son amont, au processus par lequel va être élaborée une solution convenable [30].

 

1.3. Intégrer de nouveaux acteurs dans le débat stratégique

Certes, nous pourrions aussi raisonnablement aller de l’avant sur base de notre propre conviction et de la vocation que nous assignons nous-mêmes à la discipline prospective. Ainsi, Ian Miles, Luke Georghiou, Jennifer Harper et leurs collègues notaient justement en 2008 dans l’Handbook of Technology Foresight qu’une des raisons d’être du Foresight, donc de la prospective, est d’intégrer de nouveaux acteurs dans le débat stratégique :

Raison d’être 4 : Intégrer de nouveaux acteurs dans le débat stratégique

– Accroître le nombre et la participation des acteurs du système à la prise de décision, à la fois pour accéder à un réservoir de connaissances plus large et pour obtenir une légitimité plus démocratique dans le processus politique ;

– Élargir l’éventail des types d’acteurs participant à la prise de décision dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation [31].

Les travaux du Joint Research Center for Policy report portant en 2016 sur ce domaine vont dans le même avec la prudence du subjonctif, lorsqu’ils s’interrogent sur ce qu’apporte l’engagement citoyen dans la science et l’élaboration des politiques :

– Le renforcement de la légitimité démocratique, de la responsabilité et de la transparence de la gouvernance peut être l’un des principaux résultats positifs, en particulier pour une institution telle que la Commission européenne, souvent considérée comme peu proche des citoyens.

– L’amélioration de la confiance entre les citoyens et les institutions, ainsi que l’appropriation des résultats des politiques, découlent de l’implication des bénéficiaires finaux, c’est-à-dire des citoyens pour lesquels les politiques sont conçues. Les tendances récentes s’éloignent de la simple « diffusion d’informations » et s’orientent vers des pratiques de délibération à chaque étape du processus d’élaboration des politiques.

– Les contributions des citoyens peuvent offrir une compréhension unique des préoccupations, des désirs et des besoins de la société, et donc une meilleure définition et un meilleur ciblage des services de la Commission européenne. La fiabilité et la validité des politiques peuvent être grandement améliorées en tant que réponses adaptées aux demandes et attentes réelles.

– Dans certains cas, les citoyens peuvent fournir des preuves pour l’élaboration et l’évaluation des décisions politiques, tout en générant des idées pour de nouvelles politiques ou de nouveaux services. [32].

Si nous pouvons faire notre miel de ces premières motivations [33], comme souvent en tant que chercheuses et chercheurs, et plus encore peut-être, ceux qui s’investissent dans la prospective, nous devons sortir de nos certitudes et nous réinterroger encore et encore sur nos conceptions, méthodes et pratiques. Ainsi, comme le notait Jacques Ellul, un des grands penseurs des relations entre la société et la technologie, il faut arriver à accepter que seule la contradiction permet de progresser [34].

C’est à cette dynamique que le présent texte nous invite.

 

A suivre : 2. Les transformations du système de la Recherche-Innovation et de sa gouvernance

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Ce texte constitue la version française d’un rapport réalisé pour la DG Recherche & Innovation de la Commission européenne sous le titre de Citizens’Engagement approaches and methods in R&I foresight, publié en mars 2023. Ce travail s’inscrit dans Horizon Europe Policy Support Facility, R&I Foresight, Policy and Practice mutual learning exercise.

[2] According to John Irvine and Ben Martin, long term is defined as ten years or more into the future. Medium term is uses to denote a time horizon of approximately five years, while short term refers to the next one of two years. John IRVINE and Ben R. MARTIN, Foresight in Science, Picking the Winners, p. 12, London and Dover, Frances Pinter, 1984.

[3] Jennifer CASSINGENA HARPER, Institutionalising foresight capability and creating wide foresight communities in the R&I system, Discussion Paper, European Commission, Directorate for Research and Innovation, Horizon Europe Policy Support Facility, 2022.

[4] Silvio O. FUNTOWICZ, and Jerome RAVETZ, Science for the post-normal age, in Futures, Vol. 25 (7), 1993, p. 735–755.

[5] Frédéric GILLI, La promesse démocratique, Place aux citoyens!, p. 15 , Paris, Armand Colin, 2022.

[6] About Civil Society, see: Jussi LAINE, Debating Civil Society: Contested Conceptualizations and Development Trajectories, in International Journal of Not-for-Profit Law / vol. 16, no.1, September 2014/ 60. – See also: Neil A. ENGLEHART, What Makes Civil Society Civil? The State and Social Groups in Polity, vol. 43, no. 3, 2011, pp. 337–357. JSTOR, www.jstor.org/stable/23015027

[7] One of the central points of co-creation is the transformation of passive actors like end-users into operating ones, involving them actively in the development processes of products, services and systems to define and create value commonly and taking all actors and their needs into account. (3) Alessandro DESERT and Francesca RIZZO, Between Science, Technology and Society, in Alessandro DESERT, Marion REAL & Felicitas SCHMITTINGER, eds, Co-creation for Responsible Research and Innovation, Experimenting with Design Methods and Tools, p. 2 & 3, Springer, 2022. – Pennie FROW, Suvi NENONEN, Adrian PAYNE, Kaj STORBACKA, Managing co-creation design: a strategic approach to innovation: managing co-creation design, in British Journal of Management, vol. 26, 3, January 2015, p. 463-483.

https://campusonline.lsdmlondon.com/pluginfile.php/12196/mod_resource/content/1/ContentServer.pdf

[8] Philippe DESTATTE, Some « new » governance models in Europe and the United States, World Bank & The Millennium Project Round Table on Governance and Law: Challenges and Opportunities, Washington, November 5th, 2018.- in Cadmus, Vol. 3, Issue 6, World Academy of Arts and Science, May 2019, p. 73-89.

https://cadmusjournal.org/article/volume-3/issue-6/some-%E2%80%9Cnew%E2%80%9D-governance-models-europe-and-united-states

[9] Helga NOWOTNY, Peter B. SCOTT and Michaël T. GIBBONS, Re-Thinking Science: Knowledge and the Public in an Age of Uncertainty, Cambridge, Polity Press, 2001.

[10] H. NOWOTNY, P. SCOTT and M. GIBBONS, Re-Thinking Science…, p. 39-40.

[11] Leah R. KAPLAN, Mahmud FAROOQUE, Daniel SAREWITZ and David TOMBLIN, Designing Participatory Technology Assessments: A Reflexive Method for Advancing the Public Role in Science Policy Decision-making, in Technological Forecasting and Social Change, Vol. 171, October 2021.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0040162521004066?casa_token=FVIz2ifcDnIAAAAA:CVqvotCDx5853FuLs7GPFUuAaxqRdP87H5U1JHMcMiv3aauUQ7L_g3SxGIt6IfwnagVigQO9Geq9

[12] Jürg STEINER, The Foundations of Deliberative Democracy, Empirical Research and Normative Implications, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.

[13] John S. DRYZEK, Deliberative Democracy and Beyond, Liberals, critics, contestations, p. V , Oxford, Oxford University Press, 2000. Dryzek also point the initial advantage of deliberative democracy which is « talk-centric » rather than « vote-centric ». With Hayley Stevenson, they define deliberation as a particular kind of communication, ideally non coercitive, capable of inducing reflection, connecting any particular claims to more general principles, andd featuring a reciprocal effort to make sens to those who do not share one’s conceptual framework. Hayley STEVENSON & John DRYZEK, Democratizing Global Climate Governance, p. 7, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.

[14] Daniel LATHROP & Laurel RUMA eds, Open Governement, Cambridge, O’Reilly, 2010.

[15] Pierre Levy defines collective intelligence as an intelligence that is distributed everywhere, constantly enhanced, coordinated in real time, leading to an effective mobilisation of skills, as well as to the recognition and mutual enrichment of people. Pierre LEVY, L’intelligence collective, Pour une anthropologie du cyberspace, p. 29, Paris, La Découverte-Syros, 1997. –  Pierre LEVY, Collective Intelligence, Mankind’s emerging world in cyberspace, Cambridge MA, Perseus, 1999.

[16] Open Science is an approach to the scientific process that focuses on spreading knowledge as soon as it is available using digital and collaborative technology. See: The EU’s Open Science Policy, EU, Research and Innovation: https://research-and-innovation.ec.europa.eu/strategy/strategy-2020-2024/our-digital-future/open-science_en

[17] Henry CHESBROUGH, Wim VANHAVERBEKE & Joel WEST eds., New Frontiers in Open Innovation, Oxford, Oxford University Press, 2014. They define Open Innovation as a distributed innovation process based on purposively managed knowledge flows accross organizational boundaries, using pecuniary and non-pecuriany mechanisms in line with the organization’s business model. p. 17. – Robert Wayne GOULD, Open innovation and stakeholder engagement, in Journal of Technology Management and Innovation, 2012, Vol.  7 (3), p. 1–11.

https://www.scielo.cl/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0718-27242012000300001

[18] Selon Rosa Arias (Science for Change), la science citoyenne, qui s’inscrit dans le cadre de la politique de la Commission européenne en matière de science ouverte, vise à instaurer une coopération efficace entre la science et la société, à recruter de nouveaux talents pour la science et à associer l’excellence scientifique à la conscience et à la responsabilité sociales afin de garantir une science plus responsable et de permettre l’élaboration de politiques plus pertinentes pour les citoyens et la société dans son ensemble, contribuant ainsi à la démocratie participative. Rosa ARIAS, The Role of Citizen Science in R&I, Mutual Learning Exercise, Research and Innovation Foresight, Policy and Practice, Citizens’ Engagement Approaches & Methods on good practices in the use of Foresight in R&I policy planning and programming, Strengthening the role of foresight in the process of identifying research priorities, 31 January & 1 February 2023. See the platform: https://eu-citizen.science/ – Muki HAKLAY, Mutual Learning Exercise on Citizen Science Initiatives, Policy and Practice, Introduction and Overview of Citizen Science, European Commission, Directorate General for Research and Innovation, 2022. https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/0a6fd355-a34e-11ec-83e1-01aa75ed71a1 – Rosa ARIAS, Mutual Learning Exercise on Citizen Science Initiatives, Policy and Practice, Ensuring Good Practices and Impacts, European Commission, Directorate General for Research and Innovation, May 2022.

Muki HAKLAY, Daniel DÖRLER, Florian HEIGL, Marina MANZONI, Suzanne HECKER, Katrin VOHLAND, What is Citizen Science? The Challenges of Definition, in Katrin VOHLAND ea, eds, The Science of Citizen Science, Cham, Springer, 2021. https://pure.iiasa.ac.at/id/eprint/16993/1/2021_Book_TheScienceOfCitizenScience.pdf

[19] Robert GIANNI, John PEARSON and Bernard REBER, Responsible Research and Innovation, From concepts to practices, Routledge Studies in Innovation, Organizations and Technology, Routledge, 2020. – Anne LOEBER, Michael J. BERNSTEIN & Mika NIEMINEN, Implementing Responsible Researchand Innovation: From New Public Management to New Public Governance, in Vincent BLOK eds, Putting Responsible Research and Innovation into Practice, Library of Ethics and Applied Philosophy, vol 40, Champ, Springer, 2023.

https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/978-3-031-14710-4_11.pdf?pdf=inline%20link

[20] Ph. DESTATTE, What is foresight?, Blog PhD2050, Brussels, May 30, 2013. https://phd2050.org/2013/05/30/what-is-foresight/

[21] Stefano MAGISTRETTI, Claudio DELL’ERA, Roberto VERGANTI, Mattia BIANCHI, The contribution od Design Thinking to the R of R&D in technological innovation, in R&D Management, Vol. 52 (1), January 2022. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/radm.12478

[22] Karel VAN DEN BOSCH & Bea CANTILLON, Policy Impact, in Michaël MORAN, Martin REIN & Robert E. GOODIN, The Oxford Handbook of Public Policy, p. 296-318, Oxford, Oxford University Press, 2006. – Philippe DESTATTE, Increasing rationality in decision-making through policy impact prior analysis, Blog PhD2050, Namur, July 12, 2021. https://phd2050.org/2021/07/12/pipa_en/

[23] Piret TÕNURIST & Angela HANSON, Anticipatory Innovation Governance, Shaping the future through proactive policy making, OECD Working Papers on Public Governance, nr 44, Paris, OECD, 2020. https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/cce14d80-en.pdf?expires=1674399214&id=id&accname=guest&checksum=377AEC45C23868EC0A6CDD1890A540D1

[24] Tom CHRISTENSEN & Per LAEGREID, The Whole-of-Government Approach to Public Sector Reform, in Public Administration Review, Nov-Dec 2007, p. 1059-1066.

[25] Terttu LUUKKONEN, Mutual Learning Exercises, A proposal for a new methodology, Horizon 2020 Policy Support Facility, European Commission, Directorate-General for Research and Innovation, 2016.

https://ec.europa.eu/research-and-innovation/sites/default/files/rio/report/PSF%2520MLE%2520Methodology%2520proposal-Final%2520published.pdf

[26] About innovation itself, see Helga NOWOTNY, The Cunning of Uncertainty,  p. 106sv, Cambridge, Polity Press, 2016.

[27] Philippe DESTATTE & Pascale VAN DOREN dir., La prospective territoriale comme outil de gouvernance, Territorial Foresight as a Tool of Governance, p. 34, Charleroi, Institut Destrée, 2003.

[28] Jürgen HABERMAS, Between Facts and Norms, Contribution to a Discourse Theory of Law and Democracy, Cambridge Mass, The MIT Press, 1996. – J. HABERMAS, Interview in Andre BÄCHTIGER, John S. DRYZEK, Jane MANSBRIDGE, Mark E. WARREN dir., The Oxford Handbook on Deliberative Democracy, p. 871-883, Oxford University Press, 2018.

[29] Jürgen HABERMAS, Espace public et démocratie délibérative : un tournant, p. 38-39, Paris, Gallimard, 2023.

[30] Pierre CALAME, Jean FREYSS et Valéry GARANDEAU, La démocratie en miettes, Pour une révolution de la gouvernance, p. 84, Paris, Descartes et Cie, 2003.

[31] Rationale 4: Bringing new actors into the strategic debate

– Increasing the number and involvement of system actors in decision-making, both to access a wider pool of knowledge and to achieve more democratic legitimacy in the policy process;

– Extending the range of types of actor participating in decision-making relating to science, technology and innovation issues.

Luke GEORGHIOU, Jennifer CASSINGENA HARPER, Michaël KEENAN, Ian MILES, Raphaël POPPER, The Handbook of Technology Foresight, Concepts and Practice, p. 19-20, Cheltenham, Elgar, 2008.

[32] – A boost in democratic legitimacy, accountability and transparent governance can be one of the main positive outcomes, especially for an institution such as the European Commission often seen as not being close to citizens.

– Improvements for trust building among citizens and institutions as well as ownership of policy outcomes come from involving the final beneficiaries, that is, the citizens for whom policies are designed for. Recent trends are moving away from mere « info-giving » and towards more deliberation practices at each stage of the policy-making process.

– Citizens’ inputs can offer a unique understanding of societal concerns, desires and needs, and thus, a better definition and targeting of European Commission’s services. Reliability and validity of policies can greatly improve as fit-for-purpose responses to real demands and expectations.

– Citizens in certain instances can provide evidence for policy-making and evaluation of policy decisions, while also generating ideas for new policies or services.

Susana FIGUEIREDO NASCIMENTO, Emanuele CUCCILLATO, Sven SCHADE, Angela GUIMARAES PEREIRA, Citizen Engagement in Science and Policy-Making, p. 5, Brussels, European Commission, JRC, 2016

[33] The call for increased citizen engagement may have multiple, interdependent motivations – fostering greater inclusivity, building trust and support for the EU’s aspirations, initiating virtuous cycles of reflexive innovation, or increasing futures literacy for example. Whatever the motivations, however, the emphasis on increasing participatory projects and initiatives will certainly lead to an abundance of citizen-based inputs across the spectrum of EU activities. These can be sourced from traditional in-person workshops, digital versions of those workshop formats, configurations of communication platforms and social media, and other types of interactive media (art, games, etc.). Aaron B. ROSA, Niklas GUDOWSKY, Petteri REPO, Sensemaking and lens-shaping: Identifying citizen contributions to foresight through comparative topic modelling, in Futures, May 2021, Vol. 129, 102733. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0016328721000434?via%3Dihub

[34] Jacques ELLUL, La raison d’être, Méditation sur l’Ecclésiaste, p. 60, Paris, Seuil, 1987.

Namur, le 24 août 2023

Abstract :

Surtout quand elle s’applique aux territoires, la prospective fonde avant tout son processus sur l’identification d’enjeux de long terme, autant de questions auxquelles les acteurs et experts impliqués devront répondre. Mobilisant à la fois un socle d’informations large et rigoureux, soumis à la critique des sources et des faits, ainsi que des ressources nées de la créativité, la prospective se veut elle-même heuristique et processus d’innovation. Créativité et rationalité se nouent ainsi, sans s’opposer, mais dans le but de faire naître des visions innovantes dans lesquelles le rêve fertilise la réalité. Dans un monde où l’on présente la mésinformation comme cinquième cavalier de l’Apocalypse, la rigueur du cadre conceptuel, la réflexivité, l’autonomie de pensée, la vérification ont leur place entière. Enfin, la solidité du processus doit permettre de résoudre les questions du présent et d’anticiper celles de l’avenir. Cela signifie non seulement réfléchir, mais aussi se donner les capacités d’agir avant ou pour que les actions se réalisent.

 

Introduction : ouvrir le futur, c’est le construire

C’est au travers de la géographie, objet de cette section du Congrès des Sciences 2023 [1], que nous aborderons la prospective territoriale et son heuristique. Si j’en crois vos collègues géographes Antoine Le Blanc (Université du Littoral – Côte d’Opale) et Olivier Milhaud (Sorbonne Université), le lien s’impose d’emblée, au-delà même de la préoccupation de l’aménagement et du développement territoriaux : nous parcourons la Terre, nous parcourons la science, écrivent-ils, sachant le parcours nécessairement inachevé, et s’en émerveillant. Tel pourrait être le positionnement heuristique des géographes. Continuons  de parcourir : même si nous nous heurtons à des limites, c’est ce qui nous permet d’en être les acteurs [2].

Parcourir de manière volontariste un chemin fait d’interrogations et de réflexivité [3] sur sa démarche avec l’ambition d’être acteur de sa trajectoire, voilà qui parle aux prospectivistes… La modestie de ce questionnement heuristique, chère aux historiens dont je suis, est également au centre de notre réflexion. Même si elle est plus courante chez les géographes français, logés dans les UFR Géographie, Histoire, Économie et Société (GHES) que chez nos collègues belges, localisés – parfois avec beaucoup trop d’assurance – dans les Facultés des Sciences. Dans tous les cas, la prospective, avec son ambition propre, se veut, comme certaines belles initiatives de terrain en géographie [4], ouverte sur les enjeux brûlants et s’applique, pour cela, à un dépassement pluri-, multi- et interdisciplinaire.

C’est pour cette raison également que les contributeurs de l’ouvrage Qu’est-ce que la géographie ? mettent en exergue l’affiche-manifeste dénommée La géographie, une clef pour notre futur, diffusée en 2016 à l’initiative de leurs collègues belges pour rappeler l’implication de la géographie dans le monde d’aujourd’hui et déjà de demain au moment où la discipline était menacée notamment par la ministre de l’Éducation de la Communauté française de Belgique. Ce faisant, la représentation systémique que soutient ce document l’inscrit dans un des principes de la prospective. En effet, le Comité national belge de Géographie associe dans un même ensemble les variables que sont : changements climatiques, risques naturels et technologiques, qualité du cadre de vie, géolocalisation, urbanisation, prévisions météo, protection de l’environnement, aménagement du territoire et urbanisme, géomatique, impact des activités économiques, politiques démographiques, politique énergétique, mobilité, conservation de la nature, conflits géopolitiques et évolution des paysages [5].

Ces premiers éléments, mis en exergue à partir de la géographie, constituent autant de ponts vers les objectifs de cette contribution : définir la prospective territoriale, en évoquer le processus et s’interroger sur son heuristique à l’heure où la question de la qualité de l’information et de la traçabilité des sources semble délaissée par d’aucuns, y compris dans le monde scientifique même.

 

1. Une attitude, une méthode, une discipline, une indiscipline

La prospective est une attitude avant d’être une méthode ou une discipline, affirmait le philosophe et pédagogue Gaston Berger (1896-1960), concepteur français de cette démarche et promoteur du concept. En 1959, alors qu’il est directeur général de l’Enseignement supérieur français, Berger décrit la prospective au travers de cinq nécessités qui s’imposent aujourd’hui plus que jamais :

Voir loin : la prospective est essentiellement l’étude de l’avenir lointain. (…) et de la dynamique du changement (…)

Voir large : les extrapolations linéaires, qui donnent une apparence de rigueur scientifique à nos raisonnements, sont dangereuses si l’on oublie qu’elles sont abstraites (…)

Analyser en profondeur : la prospective suppose une extrême attention et un travail opiniâtre (…)

Prendre des risques : prévision et prospective n’emploient pas les mêmes méthodes. Elles ne doivent pas non plus être mises en œuvre par les mêmes hommes. La prospective suppose une liberté que ne permet pas l’obligation à laquelle nous soumet l’urgence (…)

Penser à l’Homme : l‘avenir n’est pas seulement ce qui peut « arriver » ou ce qui a le plus de chance de se produire. Il est aussi, dans une proportion qui ne cesse de croître, ce que nous aurions voulu qu’il fût [6].

Héritée aussi de la pensée du philosophe pragmatiste Maurice Blondel (1861-1949) [7], l’action va donc être au centre de la préoccupation du prospectiviste. Et, comme l’a fait remarquer le polytechnicien et ingénieur du Corps des Mines Jacques Lesourne (1928-2020) qui fut un des plus brillants pionniers de sa mise en pratique comme de son enseignement, entre le prospectiviste qui réfléchit en vue de l’action et le scientifique qui œuvre en vue d’élargir les connaissances, immense est la différence des points de vue. Le second peut écarter un problème comme prématuré. Le premier doit l’accepter s’il a un sens pour les acteurs et dès lors son devoir est de prendre en compte toute information pertinente et plausible même si elle s’exprime en termes flous [8]. La tête dans le monde de la recherche de connaissance, le prospectiviste n’en sera pas moins un homme – ou une femme – de terrain et d’action concrète.

S’inspirant des travaux menés aux États-Unis, comme l’avait d’ailleurs fait Gaston Berger [9], le successeur de Jacques Lesourne à la chaire de Prospective industrielle du Conservatoire des Arts et Métiers à Paris, l’économiste Michel Godet a d’ailleurs contribué à donner à la prospective sa forte dimension stratégique. Ainsi, se basant sur les travaux du théoricien des organisations l’Américain Russell L. Ackoff (1919-2009), Michel Godet a insisté sur la vocation normative de la prospective en plus de sa dimension exploratoire [10]. Dès lors, il y adjoint la planification qui, comme l’indique le professeur à l’Université de Pennsylvanie, consiste à concevoir un futur désiré et les moyens d’y parvenir [11].

De plus, renforcé par son expérience de terrain, surtout au sein des entreprises et des territoires, Michel Godet a ajouté trois autres nécessités aux cinq caractères que Gaston Berger prônait pour la prospective :

Voir autrement : se méfier des idées reçues.

Le rêve consensuel des générations présentes est souvent un accord momentané pour que rien ne change et pour transmettre aux générations futures le fardeau de nos irresponsabilités collectives.

Voir ensemble : appropriation.

C’est une mauvaise idée que de vouloir imposer une bonne idée.

Utiliser des méthodes aussi rigoureuses et participatives que possible pour réduire les inévitables incohérences collectives. (…) Sans prospective cognitive, proclame en 2004 le président du Conseil scientifique de la DATAR, la prospective participative tourne à vide et en rond sur le présent [12].

C’est effectivement cette prospective de Michel Godet ne cessera de qualifier d’indiscipline intellectuelle, sous-titrant d’ailleurs le premier tome son Manuel de prospective stratégique de cette manière [13]. L’ancien directeur de la prospective de la SEMA y rappelle que la formule est de Pierre Massé (1898-1987). Dans son avant-propos de la revue Prospective, n°1, datant de 1973 l’ancien Commissaire général au Plan du général de Gaulle observait que le terme dont l’acception moderne était due à Gaston Berger n’était explicitement ni une science, ni une doctrine mais une recherche. En forçant les mots, écrivait Massé, on aurait pu se demander si sa vocation pour l’incertain ne condamnait pas la Prospective à être, par nature, non pas une discipline, mais une indiscipline remettant en cause la prévision sommaire et dangereuse à base d’extrapolation [14]. Et l’auteur de Le Plan ou l’Anti-hasard (1965) [15] répondait lui-même à la question qu’il avait posée : je ne le crois pas, cependant, car nous avons besoin d’une science de l’à-peu-près, d’une sorte de topologie sociale nous aidant à nous orienter dans un monde de plus en plus complexe et changeant, où l’imagination, complétée par le discernement, tente d’identifier les faits porteurs d’avenir. (…) L’objet de la prospective n’est pas de rêver, mais de transformer nos rêves en projets. Il ne s’agit pas de deviner l’avenir, comme le font non sans risques les prophètes et les futurologues, mais d’aider à le construire, d’opposer au hasard des choses l’anti-hasard créé par la volonté humaine [16].

Ainsi, outil fondé sur la temporalité, c’est-à-dire la relation complexe que le présent établit à la fois en direction de l’amont et de l’aval, du passé et de l’avenir [17], la prospective dépasse l’historicité de nos mécanismes de pensées pour se projeter dans l’avenir et en explorer les chemins possibles, souhaitables, réalisables, avant de s’y lancer.

Renforcée par la convergence des travaux du foresight anglo-saxon et de la prospective latine menée au tournant des années 2000 sous l’égide de la DG Recherche de la Commission européenne, la prospective est un processus d’innovation et de transformation stratégique, fondé sur la systémique et le long terme, pour mettre en œuvre des actions présentes et opérationnelles. Systémique, car elle s’inscrit dans l’analyse des systèmes complexes ainsi que la théorie et la pratique de la modélisation. Long terme, car elle prend en compte la longue durée chère à Fernand Braudel (1902-1985) [18] et postule le futur au pluriel pour identifier des alternatives en vue de se créer un avenir [19]. Actions présentes et opérationnelles, parce qu’elle construit et met en œuvre une volonté stratégique pour transformer, mettre en mouvement, agir sur l’histoire, le territoire, l’organisation.

C’est ainsi que s’est construite une définition que je n’hésite pas à affiner au fil du temps, depuis sa première version écrite pour la Commission européenne [20], puis pour la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective et la DATAR [21] :

La prospective est une démarche indépendante, dialectique et rigoureuse, menée de manière transdisciplinaire en s’appuyant sur la longue durée.

La prospective peut éclairer les questions du présent et de l’avenir, d’une part en les considérant dans leur cadre holistique, systémique et complexe et, d’autre part, en les inscrivant, au-delà de l’historicité, dans la temporalité. Résolument tournée vers le projet et vers l’action, elle a vocation à provoquer une ou plusieurs transformations au sein du système qu’elle appréhende en mobilisant l’intelligence collective [22].

Ainsi, nous pouvons reprendre et compléter l’heureuse formule de Jacques Lesourne : chaque fois qu’il y une réflexion prospective, il y a une décision à prendre [23]. Et ajouter : et à mettre en œuvre… Nous le confirmerons dans l’analyse du processus.

De nombreux débats ont eu lieu dans la communauté des prospectivistes pour savoir si la prospective territoriale était différente de la prospective d’entreprise, de la prospective industrielle ou technologique. Ces discussions sont un peu vaines et nous ne souhaitons pas nous y mêler. Mentionnons toutefois qu’un des meilleurs spécialistes de la prospective territoriale française, Guy Loinger (1943-2012) définissait celle-ci comme l’activité qui a pour objet l’expression de représentations alternatives des devenirs possibles et souhaitables d’un territoire, en vue de l’élaboration de projets de territoires et de politiques publiques locales et régionales [24]. Comme le directeur de l’Observatoire interrégional de la Prospective régionale (OIPR) l’indiquait avec raison, cette définition met clairement en avant le fait que la prospective constitue une réflexion stratégique en amont des processus décisionnels. Elle doit pouvoir déboucher sur une opérationnalisation de l’intervention de la collectivité sur le territoire. Les expériences concrètes de ce type ont été menées par l’Institut Destrée depuis vingt ans, au-delà même de celles pilotées au niveau régional wallon. Pour citer quelques exemples, on peut mentionner Luxembourg 2010, Pays de Herve au Futur, Charleroi 2020, la Communauté urbaine de Dunkerque, Wallonie picarde 2025, Côtes d’Armor 2020, Vision d’aménagement du Pays basque, Schéma d’Aménagement durable de la Région Picardie, Normandie 2020+, Région de Midi-Pyrénées, Région Lorraine, Bassin Cœur du Hainaut 2025, Schéma de développement régional de la Grande Région, etc. Autant de chantiers prospectifs territoriaux menés seuls ou en partenariat, et auxquels toute une conférence pourrait être consacrée à les décrire les uns après les autres.

Activité, attitude, démarche, processus, méthode, technique, outil, peut-être se perd-on à définir l’objet que constitue la prospective ? Lors d’une conférence qu’il donnait à Namur en 2009, Pierre Gonod (1925-2009), expert en analyse des systèmes complexes, qualifiait la prospective d’heuristique, processus de rationalité et source potentielle de créativité, véritable machine à se poser des questions [25].

Rappelons, s’il en est besoin, que l’heuristique est la partie de la science qui a pour objet la découverte des faits, et donc des sources, des documents qui fondent ces faits, la dernière partie de cette définition rappelant, selon le vocabulaire philosophique d’André Lalande (1867-1963), le métier des historiens [26]. J’y vois pourtant une nécessité pour toutes les disciplines et démarches, scientifiques ou non. Cette référence à la science est d’ailleurs difficile à appliquer à l’ensemble des préoccupations de toute discipline, mais peut plus sûrement qualifier leurs processus et démarches. En fait, l’heuristique est comme une poupée gigogne. Elle vise à repérer de manière aussi exhaustive que possible toute la documentation pertinente sur un sujet, mais aussi, au-delà de la collecte, la critique serrée des sources. Comme le rappelait Claude-Pierre Vincent, on y trouve aussi les ingrédients de la création, de l’intuition, de la créativité et de la stratégie d’innovation. Ainsi, ce sociologue et psychologue en donne-t-il une  large définition : tous les outils intellectuels, tous les processus, tous les procédés, mais aussi toutes les démarches favorisant « L’art de découvrir », mais aussi toutes les approches destinées à favoriser « l’invention dans les sciences » [27]. Notons également que le mathématicien américain George Pólya (1887-1985) observe que l’heuristique, s’occupant de la solution des problèmes, une de ses tâches spécifiques est de formuler en termes généraux des raisons pour choisir les sujets dont l’examen pourrait nous aider à parvenir à la solution [28].

Bien poser la question est en effet au centre de toute démarche scientifique, mais aussi de prospective. C’est pour cela que la phase de définition des enjeux de long terme y est tellement importante.

 

2. Un processus opérationnel et robuste

Le changement constitue la finalité du processus prospectif. Non pas, bien entendu, le changement pour le changement à tout moment, comme le dénonçait Peter Bishop dans ses cours [29], mais celui qui permet de répondre aux enjeux de long terme et d’atteindre la vision désirée à l’horizon choisi. Gaston Berger se référait déjà aux travaux du psychologue américain d’origine allemande Kurt Lewin (1890-1947) qui a élaboré un modèle de conduite du changement en trois phases dont la principale se dénomme transition : celle pendant laquelle les comportements et attitudes deviennent instables et contradictoires et où les acteurs en expérimentent et en adoptent certaines [30]. S’inspirant de cette pensée et d’autres modèles de transformation, nous avons construit avec des collègues prospectivistes un modèle de processus prospectif en sept étapes comprenant trois phases [31] :

Phase de mûrissement et de préparation (Définition des objectifs, positionnements temporel et spatial, pilotage, programmation, budget, communication, etc.).

 Phase prospective

  1. Identification (acteurs et facteurs) et diagnostic prospectif.
  2. Définition des enjeux de long terme.
  3. Construction de la vision commune.

 Phase stratégique

  1. Désignation des axes stratégiques.
  2. Mesure et choix des actions concrètes.
  3. Pilotage et suivi de la mise en œuvre.
  4. Évaluation du processus et des produits de l’exercice.

Tout au long de son parcours, le processus est nourri, d’une part, de manière interne par l’intelligence collective et, d’autre part, par la veille exercée vers l’extérieur pour être à l’affut des émergences qui ne manquent pas de se manifester. Le cheminement constitue un processus d’apprentissage sociétal permettant de collecter, de décoder, mais surtout de consolider les informations en faisant appel à des experts et en les confrontant par la délibération. L’objectif de l’exercice est de coconstruire une connaissance solide qui, partagée, servira de base de l’expression des possibles, des souhaitables, ainsi que de la stratégie.

Au fil des ans, les processus de participation s’approfondissent pour que les parties prenantes en soient vraiment et que l’implication des acteurs ne soit plus seulement conçue comme des mécanismes de consultation ou de concertation, mais comme de vraies dynamiques de co-conception, co-construction, voire de co-décision [32].

 

3. Vaincre les cinq cavaliers de l’Apocalypse

Le dessin de presse de Bill Bramhall’s, Les cinq cavaliers de l’Apocalypse, en éditorial du New York Daily News du 16 août 2021 illustre parfaitement notre propos sur la nécessité d’une heuristique formelle. Aux côtés de la guerre, de la famine, de la peste et de la mort, un cinquième cavalier chemine. La mort lui demande qui il est. Le cavalier répond, tablette ou mobile multifonction à la main : désinformation. Conçue alors que celle-ci faisait des ravages durant la pandémie de Coronavirus et en plein trumpisme, cette image continue de s’imposer. Sur beaucoup d’autres thématiques d’ailleurs que la pandémie.

Invité lors d’un de mes cours de prospective et roadmaps à l’École nationale d’Ingénieurs de Tunis, Piero Dominici, professeur à l’Université de Perugia et membre  de la World Science Academy, y évoquait les cinq illusions de la civilisation hyper-technologique : l’illusion de la rationalité, l’illusion du contrôle total, celle de la prévisibilité, celle de la mesurabilité et, enfin, l’illusion de pouvoir éliminer l’erreur de nos systèmes sociaux et de nos vies [33]. Ces différentes certitudes ont été bousculées lors du beau canular lancé par le très sérieux vulgarisateur scientifique français Étienne Klein, le 31 juillet 2022. Sur Twitter, le célèbre physicien et philosophe des sciences a illustré une description personnelle de l’étoile Proxima du Centaure, annoncée comme l’étoile la plus proche du Soleil, située à 4,2 années-lumière de nous (ce qui semble exact) et annoncée comme prise par le télescope James Webb (JWST), lancé quelques mois plus tôt. Devant l’engouement et le risque réel d’emballement médiatique autour de cette information,  Étienne Klein a annoncé que la photo publiée était en fait celle d’une tranche de chorizo prise sur fond noir. Ainsi, en diffusant cette image, l’ancien directeur de recherche au Commissariat à l’Énergie atomique avait-il voulu inciter à la prudence face à la diffusion d’images sur les réseaux sociaux sans imaginer que l’absence de critique rendrait son message viral. Il faut également mentionner qu’une petite recherche montre qu’Étienne Klein avait lui-même repris un tweet de l’astrophysicien Peter Coles de l’Université de Cardiff, daté de la veille et qui n’avait pas eu un effet de même ampleur sur les réseaux sociaux. La photo originale du chorizo est d’ailleurs plus ancienne puisqu’elle avait été postée le 27 juillet 2018 par un certain Jan Castenmiller, retraité néerlandais disant vivre à Vélez-Málaga, en Andalousie, présentant une soi-disant éclipse de lune. En fait, trois éléments peuvent expliquer l’emballement autour de cette rondelle de charcuterie : la plus grande qualité de l’image, légèrement retouchée, le contexte d’enthousiasme autour des performances du nouveau télescope et, surtout, la grande légitimité du diffuseur de l’image [34].

Cette nécessaire traçabilité des sources est essentielle à la qualité et à la fiabilité de l’information. Elle est pourtant mise à mal. Non seulement par les progrès techniques, notamment dans le domaine du numérique et de l’IA, qui permettent de transformer le texte, l’image et la voix, mais aussi par une forme d’affaissement de la norme de la part des chercheurs eux-mêmes. Ainsi, en est-il de l’utilisation de plus en plus courante du mode de référencement des sources particulièrement indigent, dit d’Harvard, et de l’habitude de remplir les textes scientifiques de mentions vagues du style (Destatte, 1997) renvoyant ici à un ouvrage de 475 pages, quand ce n’est pas – excusez le rapprochement – (Hobbes, 1993), vous condamnant à chercher la preuve de ce qui est avancé dans les 780 pages de la troisième édition Sirey de l’œuvre du philosophe anglais comme j’ai dû le faire récemment… En fait, comme le rappelait simplement Marc Bloch (1886-1944), indiquer la provenance d’un document équivaut sans plus à se soumettre à une règle universelle de probité [35].

Mais il y a plus : c’est cette traçabilité même de la pensée qui est mise en cause. Ainsi, dans un magazine économique récent, pourtant généralement jugé sérieux, un chroniqueur estimait que les notes de bas de page constituaient un enfer : baliser la compréhension d’un texte, c’est compromettre son appréhension par le lecteur, affirmait-il, estimant que si les jeunes se tournaient vers des textes de slam, de hip-hop ou de rap, c’est parce que, au moins ceux-ci ne comportent pas de notes de bas de page [36]. Plus grave encore, dans une histoire des notes de bas de page affichée sur le site prospective.fr, on peut lire depuis octobre 2022 :

Fastidieuse à lire autant que pénible à produire, celle-ci devient vite le cauchemar des lecteurs et des thésards. Pour le dramaturge britannique Noël Coward [37], « Lire une note en bas de page revient à descendre pour répondre à la porte alors qu’on est en train de faire l’amour. »

 Élément du paratexte, la note a tout du parasite. Pourtant tout avait bien commencé. Ce fut d’abord une histoire d’historiens. La note venait répondre à un besoin à mesure que l’histoire gagnait en scientificité : la nécessité de citer clairement ses sources et l’importance croissante accordée aux preuves pour étayer chaque thèse [38].

Qualifier les notes d’ennuyeuses ou de superflues ne renforcera certainement pas les qualités heuristiques de nos prospectivistes, chercheurs, étudiants et élèves. François Guizot (1787-1874), un de ces premiers scientifiques à généraliser l’emploi des notes aurait qualifié de légèreté déplorable la manière de voir des susmentionnés. L’ancien chef du gouvernement sous Louis-Philippe et néanmoins historien se plaignait de voir trop d’esprits prévenus se contenter de quelques documents en appui de leurs thèses plutôt que de poursuivre la recherche jusqu’à établir la réalité des faits [39]. Ainsi soulignait-il le danger auquel sont confrontés les enseignants, les chercheurs et les « intellectuels », la difficulté qu’ils ont à parler ou à écrire de manière neutre, objective et dépassionnée, avec la distance que l’on attend du rôle ou de la profession de celui qui exprime son opinion et à s’approcher de la vérité, voire à dire la vérité.

La recherche contemporaine nous adresse au moins deux messages. D’une part, celui de la rigueur qui consiste d’abord à savoir de quoi on parle, quel est le problème, ce que l’on cherche. Ce positionnement nécessite non seulement une culture générale, une expérience, mais aussi un apprentissage sur le sujet. C’est une phase de tout processus de recherche, mais aussi de participation à une consultation ou à un processus délibératif, y compris prospectif. Le deuxième message nous renvoie à la relativité, à l’objectivité face au sujet ainsi qu’à l’interprétation de l’expérience. Si la passion qui souvent motive positivement le chercheur peut aussi en être son ennemi intérieur, comment en préserver le citoyen, l’acteur, la partie prenante qui participent à un processus de recherche et d’innovation ?

Avant tout autre, probablement, Aristote nous rappelait au IVe siècle ANC que convaincre par la rhétorique, les techniques oratoires, n’est pas démontrer par des techniques persuasives (induction, syllogismes et autres enthymèmes). La pratique scientifique consiste à prouver, c’est-à-dire établir la preuve de ce qu’on avance, ce qui est tout différent de la rhétorique ou de la dialectique [40]. Dans le monde de la prospective, mais pas seulement, nous avons toujours plaidé pour rechercher un équilibre entre les pôles factuel (recueil des données), interactif (délibération) et conceptuel (fondant les concepts structurants), dans la logique de la méthode créatrice valorisée par Thierry Gaudin, ancien directeur de la prospective et de l’évaluation au ministère français de la Recherche [41]. Cet équilibre peut être recherché sur base des efforts et investissements en temps et en moyens réalisés dans les trois approches d’une problématique ou d’un enjeu.

Bien avant nos penseurs de la Renaissance, l’érudit nord-africain Ibn Khaldûn (1332-1406) appelait à combattre le démon du mensonge avec la lumière de la raison. Il sollicitait la critique pour trier le bon grain de l’ivraie et en appelait à la science pour polir la vérité pour la critique [42]. La rigueur de l’analyse est ici le maître-mot. Rigueur du qualitatif autant que du quantitatif. Dans les sciences, même sociales, rigueur logique et rigueur empirique se combinent pour interpréter, comprendre, expliquer [43]. Partout, la vérification de la qualité des données est essentielle : régularité des mesures, stabilité des séries, permanence de la mesure sur toute la durée analysée, existence d’une réelle variation périodique, etc. [44]

La chercheuse ou le chercheur qui prend le chemin de la prospective devra être comme le philosophe décrit par le grammairien et philosophe César Chesneau Dumarsais (1676-1756) qui a écrit cette définition dans l’Encyclopédie de 1765, dirigée par Denis Diderot, Jean Le Rond d’Alembert et Louis de Jaucourt :

La vérité n’est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, et qu’il croie trouver partout ; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l’apercevoir, il ne la confond point avec la vraisemblance ; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblable ce qui n’est que vraisemblable. Il fait plus, et c’est ici une grande perfection du philosophe, c’est que lorsqu’il n’a point de motif propre pour juger, il sait demeurer indéterminé [45].

La prudence et la rigueur dans l’heuristique ne sauraient toutefois déboucher sur l’objectivisme. Distinguer le vrai du faux est absolument indispensable. Se tenir éloigné du monde et s’abstenir d’y intervenir n’est certes ni la pratique des intellectuels [46], ni celles des prospectivistes qui sont avant tout, rappelons-le, des femmes et des hommes de réflexion et d’action.

 

Conclusion : le courage intellectuel

La recherche du vrai, la distanciation et l’autonomie de pensée [47] ne valent que si elles sont accompagnées du courage de dire le vrai. On connaît tous les magnifiques paroles du député de la SFIO Jean Jaurès (1859-1914) dans son discours à la jeunesse, prononcé à Albi en 1903 :

Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques [48].

On connaît beaucoup moins la communication faite par Raymond Aron (1905-1983) devant la Société française de philosophie en juin 1939, deux mois à peine avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale… L’historien et sociologue français rappelait l’importance des qualités de discipline, de compétences techniques, mais aussi de courage intellectuel afin de tout remettre en question et dégager les problèmes dont dépendait l’existence même de son pays. Avec lucidité, Aron annonçait que la crise serait longue et profonde :

Quels que soient les événements immédiats, nous n’en sortirons pas à bon compte. L’aventure dans laquelle la France et les pays d’Europe sont engagés ne comporte pas d’issue immédiate et miraculeuse. Dès lors, je pense que les professeurs que nous sommes sont susceptibles de jouer un petit rôle dans cet effort pour sauver les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Au lieu de crier avec les partis, nous pourrions nous efforcer de définir, avec le maximum de bonne foi, les problèmes qui sont posés et les moyens de les résoudre [49].

 Sans même évoquer l’idée que chercheurs, enseignants, intellectuels, nous serions des privilégiés par les possibilités intellectuelles et matérielles qui nous sont données [50], il n’en reste pas moins que notre responsabilité est grande à l’égard de la société. L’exerçons-nous à la hauteur du devoir qui est le nôtre et de l’attente de la société civile ? On ne peut en effet qu’en douter… en Belgique, mais surtout en Wallonie. L’absence d’espace public activé et dynamique de Mouscron à Welkenraedt et de Wavre à Arlon, est un problème réel. Ce n’est pas un vice rédhibitoire.

Alors que le décalage se fait de plus en plus flagrant entre, d’une part, les politiques publiques et collectives qui sont menées depuis l’Europe jusqu’au local et, d’autre part, les nécessités fondées par les enjeux que portent l’anthropocène et la décohésion humaine, il est grand temps de porter à nouveau haut et fort la voix des territoires.

Et, à nouveau, de tout remettre en question.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

Voir aussi : Ph. DESTATTE, « Les opinions partiales altèrent la rectitude du jugement », Heuristique et critique des sources dans les sciences.

 

[1] Ce texte constitue la mise au net de mon intervention au Congrès des Sciences 2023, tenu à l’Université de Namur (Wallonie) les 23 et 24 août 2023.

[2] Antoine LE BLANC et Olivier MILHAUD, Sortir de nos enfermements ? Parcours géographiques, dans Perrine MICHON et Jean-Robert PITTE, A quoi sert la géographie ?, p. 116, Paris, PuF, 2021.

[3] Pierre BOURDIEU, Science de la science et réflexivité, Cours au Collège de France 2000-2001, p. 173-174, Paris, Raisons d’agir Éditions, 2001. – Pierre BOURDIEU (1930-2002), Réflexivité narcissique et réflexivité scientifique (1993), dans P. BOURDIEU, Retour sur la réflexivité,  p. 58, Paris, EHESS, 2022.

[4] Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER et Anne BARTHELEMI dir., L’accès aux fonctions et l’aménagement des territoires face aux enjeux de notre société, dans Géo, n°85, Arlon, FEGEPRO, 2021. – Florian PONS, Sina SAFADI-KATOUZIAN et Chloë VIDAL, Penser et agir dans l’anthropocène, Quels apports de la prospective territoriale ?, dans Géographie et cultures, n°116, Hiver2020.

[5] La géographie, une clef pour notre futur, Comité national belge de Géographie, 30 mai 2016. https://uclouvain.be/fr/facultes/sc/actualites/la-geographie-une-cle-pour-notre-futur.html – A. LE BLANC et O. MILHAUD, op. cit., p. 117.

[6] L’attitude prospective, dans L’Encyclopédie française, t. XX, Le monde en devenir, 1959, reproduit dans Gaston BERGER, Phénoménologie du temps et prospective, p. 270-275, Paris, PuF, 1964. (1959).

[7] Le philosophe français Maurice Blondel avait développé le concept de prospection qui désignait une pensée orientée vers l’action : la pensée concrète, synthétique, pratique, finaliste, envisageant le complexus total de la solution toujours singulière, où se portent le désir et la volonté, par opposition à la « rétrospection » ou « réflexion analytique » qui est une pensée repliée sur elle-même, spéculative ou scientifique, non dénuée certes d’applications possibles ou de fécondité pratique, mais n’aboutissant qu’indirectement à cette utilité et passant d’abord par la connaissance générique et statique comme par une fin autonome. (…) Maurice BLONDEL, Sur Prospection, dans André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 846, Paris, PuF, 1976.

[8] Jacques LESOURNE, Un homme de notre siècle, De polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, p. 475, Paris, Odile Jacob, 2000.

[9]  En particulier à l’égard de la psychologie sociale : Kurt Lewin, Ronald Lippitt, Jeanne Watson, Bruce Westley. G. BERGER, Phénoménologie du temps et prospective…, p. 271.

[10] Maurice Blondel propose d’appeler Normative la recherche méthodique qui a pour but d’étudier et de procurer la démarche normale grâce à laquelle les êtres réalisent le dessein d’où ils procèdent, le destin où ils tendent. M. BLONDEL, L’être et les êtres, Essai d’ontologie concrète et intégrale, p. 255, Paris, Félix Alcan, 1935.

[11] Russell Lincoln ACKOFF, Méthodes de planification de l’entreprise, Paris, Éditions d’organisation, 1973. – A Concept of Corporate Planning, New York, Wiley, 1969. – M. GODET, Prospective et planification stratégique, p. 31, Paris, Economica, 1985.

[12] Michel GODET, Les régions face au futur, Préface à G. LOINGER dir., La prospective régionale, De chemins en desseins, p. 8, Paris, L’Aube – DATAR, 2004. – Voir aussi : Michel GODET, De la rigueur pour une indiscipline intellectuelle, Assises de la Prospective, Université de Paris-Dauphine, Paris, 8-9 décembre 1999, p. 13,

http://www.laprospective.fr/dyn/francais/articles/presse/indiscipline_intellectuelle.pdf

[13] Michel GODET, Manuel de prospective stratégique, t. 1, Une indiscipline intellectuelle, Paris, Dunod, 1997.

[14] Pierre MASSÉ, De prospective à prospectives, dans Prospectives, Paris, PuF, n°1, Juin 1973, p. 4.

[15] P. MASSÉ, Le Plan ou l’Anti-hasard, coll. Idées, Paris, nrf-Gallimard, 1965.  http://www.laprospective.fr/dyn/francais/memoire/texte_fondamentaux/le-plan-ou-lantihasard-pierre-masse.pdf

[16] P. MASSÉ, De prospective à prospectives…, p. 4.

[17] Jean CHESNEAUX, Habiter le temps, p. 18-19, Paris, Bayard, 1996. – Reinhart KOSSELECK, Le futur passé, Paris, EHESS, 1990.

[18] Fernand BRAUDEL, Histoire et Sciences sociales, La longue durée, dans Annales, 1958, 13-4, p. 725-753. https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1958_num_13_4_2781

[19] Jacques LESOURNE, Les mille sentiers de l’avenir, p. 11-12, Paris, Seghers, 1981.

[20] Voir notamment : Günter CLAR & Philippe DESTATTE, Regional Foresight, Boosting Regional Potential, Mutual Learning Platform Regional Foresight Report, Luxembourg, European Commission, Committee of the Regions and Innovative Regions in Europe Network, 2006. Philippe-Destatte-&-Guenter-Clar_MLP-Foresight-2006-09-25

[21] Ph. DESTATTE et Ph. DURANCE, Les mots-clés de la prospective territoriale, p. 46, Paris, La Documentation française, 2009. Philippe_Destatte_Philippe_Durance_Mots_cles_Prospective_Documentation_francaise_2009

[22] Ph. DESTATTE, Qu’est-ce que la prospective ?, Blog PhD2050, 10 avril 2013. https://phd2050.org/2013/04/10/prospective/

[23] J. LESOURNE, Conclusion, aux Assises de la prospective, Paris, Université Dauphine, 8 décembre 1999.

[24] Guy LOINGER, La prospective territoriale comme expression d’une nouvelle philosophie de l’action collective, dans G. LOINGER dir., La prospective régionale, De chemins en desseins, p. 44-45, Paris, L’Aube – DATAR, 2004.

[25] Pierre GONOD, Conférence faite à la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, Namur, Institut Destrée, 19 mai 2009.

[26] André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 413, Paris, PUF, 1976. Sur l’heuristique, voir aussi : Ph. DESTATTE, Les opinions partiales altèrent la rectitude du jugement, Heuristique et critique des sources dans les sciences, Conférence présentée à la Salle académique de l’Université de Mons, dans le cadre du Réseau EUNICE, le 21 octobre 2021, Blog PhD2050, 1er novembre 2021. https://phd2050.org/2021/11/01/heuristique/

[27] Claude-Pierre VINCENT, Heuristique, création, intuition et stratégies d’innovation, p. 32, Paris, Editions BoD, 2012. – Cette définition est fort proche de celle de l’Encyclopaedia Universalis : Jean-Pierre CHRÉTIEN-GONI, Heuristique, dans Encyclopædia Universalis, consulté le 6 mars 2023. https://www.universalis.fr/encyclopedie/heuristique/

[28] George PóLYA, L’Heuristique est-elle un sujet d’étude raisonnable ?, dans Travail et Méthodes, p. 279, Paris, Sciences et Industrie, 1958.

[29] Pour une idée des travaux de Peter Bishop, voir : P. BISHOP & Andy HINES, Teaching about the Future, New York, Palgrave-MacMillan, 2012.

[30] Kurt LEWIN, Field Theory in Social Science, Harper Collins, 1951. – Psychologie dynamique, Les relations humaines, Paris, PuF, 1972.

[31] Ph. DESTATTE, La construction d’un modèle de processus prospectif, dans Philippe DURANCE & Régine MONTI dir., La prospective stratégique en action, Bilan et perspectives d’une indiscipline intellectuelle, p. 301-331, Paris, Odile Jacob, 2014.

[32] Ph. DESTATTE, La coconstruction, corollaire de la subsidiarité en développement territorial, Hour-en-Famenne, Blog PhD2050, 3 août 2023, https://phd2050.org/2023/08/03/la-coconstruction-corollaire-de-la-subsidiarite-en-developpement-territorial/ – Ph. DESTATTE, Citizens’ Engagement Approaches and Methods in R&I Foresight, Brussels, European Commission, Directorate-General for Research and Innovation, Horizon Europe Policy Support Facility, 2023.

https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/d5916d5f-1562-11ee-806b-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-288573394

[33] Piero DOMINICI, Managing Complexity ? Tunis, ENIT, 15 avril 2022.

[34] André GUNTHERT, Ce que montre le chorizo, dans L’image sociale, 17 novembre 2022. https://imagesociale.fr/10853 – André Gunthert est maître de conférences à l’École des Hautes Études en Sciences sociales à Paris, où il occupe la chaire d’histoire visuelle.

[35] Marc BLOCH, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien (1942), dans Marc BLOCH, L’histoire, la Guerre, la Résistance, coll. Quarto,  p. 911, Paris, Gallimard, 2006.

[36] Paul VACCA, L’enfer des notes de bas de page, dans Trends-Tendances, 2 mars 2023, p. 18.

[37] Sir Noël Peirce COWARD (1899-1973) Britannica, The Editors of Encyclopaedia. Noël Coward, Encyclopedia Britannica, 15 Sep. 2023, https://www.britannica.com/biography/Noel-Coward. Accessed 5 October 2023

[38] Histoire des notes de bas de page, Actualité prospective, 1er octobre 2022.

https://www.prospective.fr/histoire-des-notes-de-bas-de-page/

[39] François GUIZOT, Histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe, (1820), p. 2, Paris, Didier, 1851.

[40] ARISTOTE, d’après Rhétorique, LI, 2, 1355sv, dans Œuvres, coll. La Pléiade, p. 706 sv, Paris, Gallimard, 2014.

[41] Thierry GAUDIN, Discours de la méthode créatrice, Gordes, Ose Savoir – Le Relié, 2003.

[42] IBN KHALDÛN, Al-Muqaddima, Discours sur l’histoire universelle, p. 6, Arles, Acte Sud, 1997.

[43] Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN, La rigueur du qualitatif, Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, p. 8, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2008.

[44] Daniel CAUMONT & Silvester IVANAJ, Analyse des données, p. 244, Paris, Dunod, 2017.

[45] César CHESNEAU DU MARSAIS, Le philosophe, dans  Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers…, t. XII, p. 509, Neufchâtel, 1765. http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v12-1254-0/

[46] Gérard NOIRIEL, Dire la vérité au pouvoir, Les intellectuels en question, Paris, Agone, 2010.

[47] Sans une plus grande distanciation et une plus grande autonomie de pensée, (les chercheurs) peuvent-ils espérer mettre au service de leur prochain des instruments de pensée plus adaptés, des modèles plus conformes à la réalité que ceux dont on a, par tradition, coutume d’user, qui se transmettent sans réflexion de génération en génération, ou encore que ceux développés au hasard dans l’ardeur du combat ? Norbert ELIAS, Engagement et distanciation, Contribution à la sociologie de la connaissance (1983), p. 27-28, Paris, Fayard, 1993.

[48] Jean JAURES, Discours à la Jeunesse, Albi, 31 juillet 1903, dans J. JAURES, Discours et conférences, coll. Champs classiques, p. 168, Paris, Flammarion, 2014.

[49] Raymond ARON, Communication devant la Société française de philosophie, 17 juin 1939, dans R. ARON, Croire en la démocratie, 1933-1944, p. 102, Paris, Arthème Fayard – Pluriel, 2017.

[50] Noam CHOMSKY, De la responsabilité des intellectuels, p. 149, Paris, Agone, 2023. – Noam CHOMSKY, The Responsability of Intellectuels, New York, The New York Press, 2017.