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Bruxelles, le 21 octobre 2023

L’histoire dément l’idée que ce qui arrive à nos générations est unique, nouveau ou inédit”, écrit l’historien wallon Philippe Destatte. Dans cette contribution, il examine la difficulté de parvenir à une définition définitive du terrorisme [1].

 

La notion de terrorisme est particulièrement sensible lorsqu’elle est utilisée pour délégitimer des adversaires ou des opposants sur la scène nationale et internationale afin de les marginaliser, voire de les réprimer. Chacun peut constater la difficulté de définir le terrorisme en dehors du cadre des passions qu’il suscite à travers des actions généralement très théâtrales pour avoir un impact correspondant à ses objectifs ultimes. Il est d’ailleurs assez classique de considérer que, compte tenu de sa diversité, de l’horreur et de la fascination qu’il inspire, définir le terrorisme et en établir une théorie cohérente serait une tâche impossible. En effet, ce sont surtout les notions de terrorisme d’État et de résistance ou de libération nationale qui polluent les efforts académiques et politiques pour fonder une définition sur la raison. Ainsi, on peut suivre Anthony Richards lorsqu’il observe que considérer le terrorisme comme une méthode plutôt que comme inhérent à un type de cause particulier permet d’envisager le phénomène de manière plus objective [2].

 

Quelques-unes des formes qu’a prises le terrorisme au cours de l’histoire

La terreur semble inhérente à la violence et à la guerre. Dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, Jules César raconte comment l’éclat de ses attaques – mais aussi leur brutalité – a permis à la fois de fidéliser ses amis et de contraindre, par la peur, les hésitants à accepter des offres de paix. Les experts en linguistique comparée savent que les variantes des mots latins terror et terrere sont apparues sous de nombreuses formes au cours des siècles, bien avant la Terreur proclamée par l’Assemblée nationale française le 5 septembre 1793. On connaît la terreur que nous inspirent les peuples des steppes sous Attila le Hun au Ve siècle, le Mongol Gengis Khan au XIIIe siècle et Tamerlan au XIVe siècle. L’un des maréchaux à la tête de l’armée de la Ligue catholique de Maximilien de Bavière était Johann T’Serclaes, comte de Tilly, dont on a parfois dit qu’il était wallon. Lors d’une campagne contre l’Union évangélique protestante pendant la guerre de Trente Ans, il s’empare de la ville allemande de Magdebourg le 25 mai 1631 et permet le massacre de 20.000 personnes ainsi que de nombreuses autres atrocités sur la population pour s’assurer de la reddition des villes voisines. De nombreuses villes belges ont subi un traitement similaire lors de l’invasion allemande pendant la Grande Guerre, comme Dinant sur la Meuse le 23 août 1914 (605 morts). Le massacre de Nankin, fin 1937 et début 1938, a probablement coûté la vie à près de 250.000 personnes et représente peut-être l’apogée de ce type de terrorisme.

Dans L’Esprit des lois, Montesquieu utilise en 1748 le terme de terreur pour désigner le principe d’un gouvernement despotique. Bien avant lui, en 1690, John Locke avait déclaré dans le premier essai de ses deux Traités du gouvernement que l’épée des magistrats doit servir à terrifier les malfaiteurs pour que cette terreur oblige les hommes à respecter les lois positives de la société [3]. L’utilisation des mots terrorisme et terroristes a commencé à se répandre à partir de 1794, d’abord dans le sens d’un régime de terreur politique et de ses partisans, puis dans le sens plus large de l’utilisation systématique de la violence à des fins politiques. D’ailleurs, les termes anti-terrorisme et anti-terroriste n’apparaissent qu’un an plus tard, en 1795.

Bien entendu, l’armement moderne et mécanisé rend possible une violence de masse à une échelle sans précédent. Le bombardement de Guernica, capitale historique du Pays basque, le 23 avril 1937, a été une sorte de répétition de ce qui allait se passer pendant la Seconde Guerre mondiale. Le bombardement de Rotterdam par la Luftwaffe, le 14 mai 1940, est sans doute aussi un acte de terrorisme. Il est difficile d’exclure de cette sombre liste les bombardements massifs allemands, britanniques et américains sur des cibles civiles, et surtout sur des villes, durant ce conflit. Comme le souligne Ariel Merari, les tracts d’ultimatum largués dans ces zones témoignent de la volonté de terroriser directement les populations civiles. Les services alliés et allemands qui ont comptabilisé le nombre de victimes des bombardements sur l’Allemagne ont estimé le nombre de morts à environ 400 000, dont plus de 10 % de prisonniers de guerre ou d’étrangers. Le nombre de civils tués par les bombardements sur le Japon s’élève à environ 900 000, soit davantage que le nombre de soldats japonais tués au combat [4].

Bombardement de Tokyo du 10 mars 1945. Japan Professional Photography Society

Les actions très disparates qui ont été mentionnées révèlent les différentes formes que peut prendre le terrorisme, ainsi qu’un processus à plus long terme dans lequel nous nous situons, ce qui réfute l’idée que ce qui arrive à cette génération est unique, nouveau ou sans précédent. En limitant notre attention à l’époque moderne, nous pouvons également considérer comme faisant partie de ce processus les nombreux attentats et actions des anarchistes, nihilistes, socialistes révolutionnaires, fascistes et autres tout au long des 19e et 20e siècles : l’assassinat du tsar Alexandre II (1881), du président Sadi Carnot (1894) et de l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg (1914), des attentats de septembre noir aux Jeux olympiques de Munich (1972), des actions de la Fraction armée rouge (Hanns-Martin Schleyer, 1977), des Brigades rouges, d’Action directe et des Cellules communistes combattantes, de l’attentat de la gare de Bologne (2 août 1980), des attentats de Beyrouth contre les forces américaines et françaises (23 octobre 1983), des tueurs du Brabant (28 morts de 1983 à 1985), des attentats du GIA comme celui de la gare Saint-Michel à Paris le 28 juillet 1995, et de ce moment charnière mondial qu’est le 11 septembre 2001, qui a eu tant de répercussions sur l’Europe.

Cet inventaire bien incomplet nous montre la diversité des formes que peut revêtir le terrorisme [5]. Il aurait pu nous donner des critères précis en vue d’une définition générale. Ce n’est pourtant pas le cas. Comme le montre Ariel Merari, si le terrorisme peut apparaître comme une forme immorale de guerre, le fait que le code moral de comportement se soit fortement affaissé dans pratiquement toutes les guerres pour toutes les parties au XXe siècle, notamment en prenant les civils pour cibles, montre que la différence entre le terrorisme et les autres formes de guerres est une question de compréhension [6].

 

3. Vers une définition du terrorisme

Il est classique de commencer les discussions sur le terrorisme par considérer la difficulté de le définir dans la littérature scientifique. Nous devons éviter de le confondre avec toute forme de violence politique et d’ignorer les différentes formes de terrorisme d’État. D’emblée, pourtant, Raymond Aron avait eu un apport déterminant, dès 1962, en considérant qu’une action terroriste est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques [7]. Les différentes définitions données par les organisations internationales peuvent nous aider à appréhender le phénomène. Ainsi, la Résolution A/54/16 de l’ONU du 2 février 2000 précise-t-elle qu’il s’agit d’actes criminels avec des objectifs politiques [8].

Le Conseil de l’Union européenne y voyait en 2002 une intention d’intimider gravement la population ou de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale [9], idée que l’on va retrouver dans de nombreuses législations nationales telles que la loi belge du 19 décembre 2003 dans laquelle l’objectif d’intimidation est l’élément fondamental qui caractérise l’infraction terroriste [10].

La définition du terrorisme par l’Otan, provenant de son glossaire 2021 en anglais et en français partage cette idée de dimension politique : l’emploi illégal ou menace d’emploi de la force ou de la violence, suscitant la peur et la terreur, contre des personnes ou des biens, afin de contraindre ou d’intimider des gouvernements ou des sociétés ou de prendre le contrôle d’une population dans le but d’atteindre des objectifs politiques, religieux ou idéologiques [11].

L’historienne française Jenny Raflik souligne l’intérêt de l’approche du phénomène par la convention arabe pour la lutte contre le terrorisme adoptée au Caire le 22 avril 1998, qui est à la fois innovante à plusieurs égards, mais intègre des limites comme la possibilité d’exclure du cadre terroriste des luttes que l’on pourrait déclarer légitimes [12]. L’important travail exploratoire que l’historienne et auditrice à l’Institut français des Hautes Études de Défense nationale a mené lui a d’ailleurs permis de proposer une définition que nous faisons nôtre : le terrorisme est un projet politique qui s’inscrit dans la durée et vise à contester un ordre établi, de tenter d’y mettre un terme et/ou d’y substituer un nouvel ordre. Il use, pour cela, tactiquement, d’une violence transgressive, bien que présentée et considérée comme légitime par le terroriste, et inscrite dans l’immédiat [13]. Cette définition nous paraît en effet très pertinente. D’abord parce qu’elle objective et prend au sérieux le terrorisme comme un projet politique et non comme une déviance, ce qui en amoindrirait l’importance et les finalités. Ensuite, parce que Jenny Raflik met en évidence le moyen que constitue une violence transgressive, assortie d’un caractère subjectif entre celui qui commet l’acte et celui qui le subit. Enfin, parce que cette définition intègre les temporalités qui portent la tension entre un événement immédiat et ses effets à longue portée.

 

Quatre considérations pour terminer ce texte, mais non pour épuiser le sujet

1. Le terrorisme n’est pas un phénomène récent. Il s’inscrit dans une évolution à long terme, de l’Antiquité à nos jours. Il doit être considéré dans sa temporalité (relations entre le passé, le présent et le futur).

2. Le terrorisme est une question complexe qui prend de nombreuses formes et peut être utilisé par des acteurs très différents, individuels ou collectifs, privés ou publics, qui sont inspirés par un projet politique et, par conséquent, par une détermination stratégique à agir afin de maintenir ou de modifier une situation existante. En définissant le terrorisme, il faut éviter de le confondre avec toutes les formes de violence politique et d’ignorer les formes de terrorisme commanditées par l’État.

3. Le recours à la terreur et au terrorisme contre les citoyens est inhérent à la philosophie politique de nos sociétés libérales, telle qu’elle est comprise notamment par John Locke et Montesquieu.

4. La légitimité de ce projet politique est subjective ; ses moyens sont transgressifs et destinés à être renforcés par leur impact psychologique et leur médiatisation.

5. Plusieurs exemples de l’évolution des relations entre des groupes clairement perçus comme terroristes, avec lesquels il semblait impossible de négocier, montrent qu’il n’en est rien et que les actions transgressives d’hier n’empêchent pas nécessairement de s’asseoir autour d’une table pour entamer des négociations fructueuses. L’évolution des relations entre Londres et l’IRA après les événements sanglants de la Seconde Guerre mondiale est intéressante à cet égard [14].

Une fois de plus, nous pouvons trouver des raisons d’espérer dans un paysage de désespoir. À condition de faire les efforts nécessaires, en se fondant sur la raison et non sur la passion.

 

 

Philippe Destatte

@PhD2050

Pour aller plus loin :

Ph. DESTATTE, Terrorisme : la guerre et la paix, Blog PhD2050, Châtelet, 30 novembre 2016, texte en trois parties :

https://phd2050.org/2016/12/02/terror1/

https://phd2050.org/2016/12/08/terror2/

https://phd2050.org/2016/12/14/terror3/

Ph. DESTATTE, Counter-Terrorism in Europe 2030; Managing Efficiency and Civil Rights, in Theodore J. GORDON e.a., Identification of Potential Terrorists and Adversary Planning, p. 87-105, NATO Science for Peace and Security Series – E: Human and Societal Dynamics, IOS Press, 2017. https://phd2050.org/wp-content/uploads/2023/10/Philippe-Destatte_Counter-terrorism-Europe_NATO-IOS_2017.pdf

 

[1] Ce papier a été publié en néerlandais à l’initiative du magazine flamand Knack le 19 octobre 2023 : https://www.knack.be/nieuws/geschiedenis/de-geschiedenis-laat-zien-dat-terrorisme-vele-vormen-kan-aannemen/

Cet article-ci est une nouvelle traduction en français du texte anglais fourni à la rédaction du magazine et qui était intitulé What is terrorism?, version réduite de moitié de celui qui existe sur mon blog :

https://phd2050.org/2023/10/15/what-is-terrorism/

Une première, et plus longue version a été écrite dans le cadre d’un séminaire organisé par l’OTAN à Falls Church, Virginie en 2016 :  Ph. DESTATTE, Counter-Terrorism in Europe 2030; Managing Efficiency and Civil Rights, in Theodore J. GORDON e.a., Identification of Potential Terrorists and Adversary Planning, p. 87-105, NATO Science for Peace and Security Series, IOS Press, 2017. https://phd2050.org/wp-content/uploads/2023/10/Philippe-Destatte_Counter-terrorism-Europe_NATO-IOS_2017.pdf

[2] Anthony RICHARDS, Defining Terrorism, in Andrew SILKE ed., Routledge Handbook of Terrorism and Counterterrorism, p. 17, London & New York, Routledge, 2020.

[3] John LOCKE, Two Treatises of Governement, Ch. IX, Of Monarchy by Inheritance from Adam, 92, London, Thomas Tegg & alii, 1823. McMaster University Archive of the History of Economic Thought.

[4] Thomas HIPPLER, Le gouvernement du ciel, Histoire globale des bombardements aériens, p. 156-160, Paris, Les prairies ordinaires, 2014.

[5] Voir Ugur GURBUZ ed, Future Trends and New Approaches in Defeating the Terrorism Threat, Amsterdam-Berlin-Tokyo-Washington DC, IOS Press, 2013, en particulier Ozden CELIK, Terrorism Overview, p. 1-17 et Zeynep SUTALAND & Ugur GÜNGÖR, Future Trends in Terrorism, p. 75-87.

[6] Ariel MERARI, op.cit., p. 42.

[7] Raymond ARON, Paix et guerre entre les Nations, p. 176, Paris, Calmann-Levy, 1962.

[8]criminal acts intended or calculated to provoke a state of terror in the general public, a group of persons or particular persons for political purposes”. United Nations, Resolution adopted by the General Assembly, Measures to eliminate International Terrorism, A/RES/54/110 https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Terrorism-Proliferation-Narcotics/Documents/A-RES-54-110.pdf

[9] Council Framework Decision of 13 June 2002 on combating terrorism (2002/475/JHA), Official Journal L 164, 22/06/2002 P. 0003 – 0007. http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32002F0475&from=EN

[10] Le droit belge définit par infractions terroristes les actes qui, de par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale et sont commis intentionnellement dans le but d’intimider gravement une population ou de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte, ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale. 17 infractions sont ainsi énoncées comme crime de terrorisme. L’objectif d’intimidation est l’élément fondamental qui caractérise l’infraction terroriste. Crime de terrorisme, SPF Justice, 2023. https://justice.belgium.be/fr/themes_et_dossiers/infractions_internationales/crime_de_terrorisme

[11] Glossaire OTAN de termes et définitions (anglais et français), AAP-O6, NSO, Edition 2021.

[12] Jenny RAFLIK, Terrorisme et mondialisation, approches historiques, p. 24, Paris, Gallimard, 2016. – Il peut aussi être intéressant d’ouvrir une discussion pour comparer cette définition avec celle de Abu Mus’ab al-Suri ainsi qu’avec sa typologie du terrorisme. Voir Key excerpts of The Global Islamic Resistance Call, in Brynjar LIA, Architect of Global Jihad, The Life of al-Qaida Strategist Abu Mus’ab al-Suri, p. 382-383, London, Hurst & Company, 2014. – voir aussi le dernier ouvrage de Jenny RAFLIK, Terrorismes en France, Une histoire XIXe-XXIe siècle, Paris, Les Éditions du Cerf, 2023. L’historienne remet utilement cette problématique de la définition au sein de sa réflexion.

[13] Jenny RAFLIK, Terrorisme et mondialisation…, p. 41.

[14] John BOWYER BELL, The Secret Army, The IRA 1916-1979, Dublin, The Academy Press, 1979.

Namur, October 20, 2023

Abstract:

Foresight, particularly when applied to territories, bases its process first on the identification of long-term challenges, issues which need to be addressed by the parties and experts involved. Employing both a broad, rigorous information base, which is subject to criticism of sources and facts, and resources resulting from creativity, foresight itself wants to be heuristic and an innovation process. Creativity and rationality are thus combined, not in conflict with each other but rather with the aim of generating novel visions in which dreams engender reality. In a world in which misinformation is presented as the fifth horseman of the Apocalypse, rigour in the conceptual framework, reflexivity, independent thought and validation all play an integral part. Lastly, the robustness of the process must make it possible to address the issues of the present and to anticipate those of the future. That means not only reflecting but also equipping oneself with the capabilities to proceed before, or in order that, actions take place.

 

Introduction: Unlocking the Future Means Creating It

It is through geography, the subject of this part of the 2023 Science Congress [1], that we will address the topic of territorial foresight and its heuristics. I understand from your geographer colleagues Antoine Le Blanc (University of the Littoral Opal Coast) and Olivier Milhaud (Sorbonne University) that the link is essential from the outset, irrespective of concerns over territorial planning and development. They write that we explore the Earth and we explore science, knowing that the journey is inevitably unfinished yet delighting in it. And they add that this could be the heuristic positioning of geographers. Let’s keep exploring: if we experience limitations, we will be able to take control of our journey [2].

Proactively negotiating a path consisting of questioning and reflecting on [3] one’s approach with the goal of taking control of our journey: that is what futurists find appealing. The humility of this heuristic questioning, so dear to historians such as myself, is also at the heart of our reflection, even if it is more common among French geographers based in the Department of Geography, History, Economics and Societal Studies (GHES) than among our Belgian colleagues, located – sometimes far too assuredly – within science faculties. In any event, foresight, with its own ambition, and like some great geographical grassroots’ initiatives [4], tries to be open to the burning issues but, in doing so, is implemented to pluri-, multi- and interdisciplinary excess.

That is also why the contributors to that book which try to define what is geography highlight the manifest poster entitled Geography, a key for our future distributed in 2016 on the initiative of their Belgian colleagues to underline the involvement of geography in today’s world and even in tomorrow’s world at a time when the discipline was under threat, particularly from the Minister for Education of the French-speaking Community of Belgium. In doing so, the systemic representation endorsed by this document becomes part of one of the principles of foresight. The Belgian National Committee for Geography combines the following variables within a single group: climate change, natural and technological risks, living conditions, geolocation, urbanisation, weather forecasts, environmental protection, territorial and urban planning, geomatics, impact of economic activities, demographic policies, energy policy, mobility, nature conservation, geopolitical conflicts and evolution of landscapes [5].

These initial elements, highlighted from geography, provide bridges to the objectives of this contribution: defining territorial foresight, discussing its process and questioning its heuristics at a time when the issue of information quality and traceability of sources appears to be neglected by some people, including in the scientific world itself.

 

1. An Attitude, a Method, a Discipline and an Indiscipline

Prior to being a method or a discipline, foresight is an attitude – so stated the French philosopher and teacher Gaston Berger (1896-1960), creator of this approach and proponent of the concept. In 1959, when he was Director General of French Higher Education, Berger described foresight through five requirements which, today, are more important than ever:

Look far ahead: foresight is essentially the study of the distant future (…) and of the impetus for change (…)

Take a broad view: linear extrapolations, which give our reasoning an appearance of scientific rigour, are dangerous if we forget that they are abstract (…)

Analyse in detail: foresight assumes utmost attention and unrelenting work (…)

Take risks: forecasting and foresight do not use the same methods. Nor should they be implemented by the same people. Foresight assumes a freedom not permitted by our requirement for urgency (…)

Think of Man: the future is not only what may “happen” or what is most likely to occur. It is also, and to an ever-increasing extent, what we hoped it would be[6].

Derived also from the thinking of pragmatist philosopher Maurice Blondel (1861-1949) [7], action is therefore going to be central to the futurist’s concerns. And, as highlighted by Jacques Lesourne (1928-2020), who studied at the Ecole Polytechnique, was an engineer of the Corps des Mines in Paris and who was one of the greatest pioneers of Foresight application and its teaching, there is a vast difference in outlook between futurists who reflect with a view to taking action and scientists who work with a view to broadening knowledge. The latter may reject a problem as premature. The former must accept it if it is important for stakeholders, and their duty is therefore to consider any relevant and plausible information, even if it is expressed in vague terms [8]. Although their focus is on the quest for knowledge, futurists will also be men and women of practical experience and concrete action.

Drawing his inspiration from the work carried out in the United States, as Gaston Berger had also done [9], the economist Michel Godet, who succeeded Jacques Lesourne to the Chair of Industrial Foresight at the Conservatoire des Arts et Métiers in Paris, also helped to give foresight its strong strategic dimension. Basing his views on the works of the American organisational theorist Russell L. Ackoff (1919-2009), Godet emphasised foresight’s prescriptive vocation as well as its exploratory dimension [10]. Consequently, he added planning, which, in the words of Ackoff, a professor at the University of Pennsylvania, involves conceiving a desirable future and devising the ways and means to achieve it [11].

With the benefit of his practical experience, particularly within businesses and territories, Michel Godet also added three further requirements to the five characteristics advocated for foresight by Gaston Berger:

See differently: distrust received ideas.

The consensual dream of current generations is often a temporary agreement to leave everything unchanged and to pass the burden of our collective irresponsible actions on to future generations.

Do it together: appropriation.

It is a bad idea to want to impose a good idea.

Use methods that are as rigorous and participatory as possible in order to reduce the inevitable collective inconsistencies. (…) Without cognitive foresight, declared Godet, President of the Scientific Council of DATAR [Interministerial Delegation for Regional Planning and Regional Attractiveness], in 2004, participatory foresight will drift aimlessly and go round in circles [12].

It is this notion of foresight that Michel Godet continues to describe as intellectual indiscipline, using this phrase as the subtitle of the first volume of his Manuel de prospective stratégique[13]. In this work, Godet, the former Director of Foresight at SEMA, points out that the wording is that of Pierre Massé (1898-1987). In his foreword to the first edition of the Prospective review, in 1973, Massé, who was the former General Commissioner of Planning under General de Gaulle, observed that the term, whose modern acceptance was attributable to Gaston Berger, was explicitly neither a science nor a doctrine but rather a pursuit. Straining the words, wrote Massé, might have raised questions over whether Foresight’s vocation for uncertainty condemned it to being, by definition, not a discipline, but an indiscipline which challenges cursory, dangerous forecasting based on extrapolation [14]. Massé, author of Le Plan ou l’Anti-hasard (1965) [15], answered his question himself: I don’t believe so, however, since we need a science of approximations, a sort of social topology that helps us find our way in an increasingly complex and changing world in which imagination, supplemented by discernment, attempts to identify significant future trends. (…) The object of foresight is not to dream, but to transform our dreams into projects. It is not a question of guessing the future as prophets and futurologists do, and not without some risk, but of helping to construct it, setting chance against the anti-chance created through human desire [16].

Thus, as a tool based on temporality, in other words, the complex relationship which the present establishes both backwards and forwards with the past and the future [17], foresight goes beyond the historicity of our thought mechanisms to project itself into the future and explore the possible, desirable and achievable paths before taking action.

Strengthened by the convergence of the Anglo-Saxon foresight and the Latin prospective works carried out in the early 2000s under the guidance of the European Commission’s Directorate-General for Research, foresight is a process of innovation and strategic transformation, based on systemics and the long term, for implementing present, operational actions. Systemics, because it involves complex systems analysis as well as modelling theory and practice. Long term, because it takes into account the long timescale dear to Fernand Braudel (1902-1985) [18] and presents a plural representation of the future in order to identify alternatives with a view to creating a single future [19]. Present, operational actions, because it constructs and implements a strategic desire to transform, set in motion and take action on history, territory and organisation.

This is the basis of a definition which I have continued to refine over time since the first version I wrote, initially for the European Commission [20], then for the Wallonia Evaluation and Foresight Society and DATAR [21].

Foresight is an independent, dialectic, rigorous approach conducted in an interdisciplinary manner and based on the long term.

Foresight can explain questions relating to the present and the future, firstly, by considering them within their holistic, systemic and complex framework and, secondly, by positioning them, beyond their historicity, within temporality. With a deliberate focus on project and action, its aim is to bring about one or more transformations within the system which it perceives through the use of collective intelligence[22].

Thus we can echo and supplement the elegant phrase of Jacques Lesourne: whenever there is a foresight reflection, there is decision to be taken [23], adding the words “and implemented”. We will confirm this in the analysis of the process.

Numerous debates have taken place within the futurist community on whether territorial foresight is different to business, industrial or technological foresight. Such discussions are rather pointless and I do not wish to be involved in them. I will, however, mention that one of the top experts in French territorial foresight, Guy Loinger (1943-2012) defined it as the activity whose purpose is to express alternative representations of the possible and desirable futures for a territory, with a view to developing territorial projects and local and regional public policies [24]. As Loinger, Director of the Interregional Observatory for Regional Foresight (OIPR), rightly observed, this definition clearly highlights the fact that foresight is a strategic reflection activity which takes place before the decision-making processes. It must be able to result in the operationalisation of the collectivity’s intervention within the territory. Practical experiments of this type have been carried out by The Destree Institute for twenty years, in addition to those undertaken at Walloon regional level. The following can be mentioned by way of example: Luxembourg 2010, Pays de Herve in the Future, Charleroi 2020, the Urban Community of Dunkirk, Picard Wallonia 2025, Côtes d’Armor 2020, Development Vision for the Basque Country, Sustainable Development Scheme for the Picardy Region, Normandie 2020+, Midi-Pyrénées Region, Lorraine Region, Bassin Cœur du Hainaut 2025, Regional Development Scheme for the Grande Région, etc. These are all territorial foresight works undertaken alone or in partnership, and an entire conference could be dedicated to describing them one by one.

Activity, attitude, approach, process, method, technique, tool – defining the purpose of foresight can be a confusing process. At a lecture he gave in Namur in 2009, Pierre Gonod (1925-2009), an expert in complex systems analysis, described foresight as heuristics, a process of rationality and a potential source of creativity, a veritable machine for asking questions [25].

I do not need to remind you that heuristics is the area of science whose purpose is to uncover the facts, and therefore the sources and the documents that underpin those facts, the latter part of this definition recalling, according to the philosophical vocabulary of André Lalande (1867-1963), the occupation of historians [26]. In my view, however, it is a necessity for all disciplines and approaches, scientific or otherwise. This reference to science is difficult to apply to all of the concerns in any discipline, but it can undoubtedly describe their processes and approaches. Heuristics is like a Russian doll. It aims to identify as exhaustively as possible all the relevant documentation on a subject, and, in addition to collecting the documents, to offer a detailed critique of the sources. As the sociologist and psychologist Claude-Pierre Vincent pointed out, heuristics also contains the ingredients of creation, intuition, creativity and strategic innovation. Vincent defines it broadly: all intellectual tools, all processes and all procedures, as well as all approaches that encourage “The art of discovery” and all approaches aimed at fostering “invention in science” [27]. It is also worth noting that the American mathematician George Pólya (1887-1985) observes on the subject of heuristics, since it deals with problem-solving, that one of its specific tasks is to express, in general terms, reasons for choosing subjects which, if investigated, could help us achieve the solution [28].

Asking the right question is central to any scientific approach as well as to foresight. That is why the phase involving the definition of long-term challenges is so important.

 

 2. A Robust Operational Process

The purpose of the foresight process is change. Not change for change’s sake at any time, as denounced by Peter Bishop in his courses [29], but change which makes it possible to address the long-term challenges and achieve the desired vision within the chosen timeframe. Gaston Berger had previously referred to the works of the German-born American psychologist Kurt Lewin (1890-1947), who had developed a change management model consisting of three phases, the most important of which was called transition: during this phase, behaviours and attitudes become unstable and contradictory and are experimented with by stakeholders who adopt some of them[30]. Inspired by this line of thinking and by other change models, some futurist colleagues and I have developed a seven-stage foresight process model comprising three phases[31]:

Evolution and preparation phase (Defining objectives, temporal and spatial positioning, management, scheduling, budget, communication, etc.)

 Foresight phase

  1. Identification (actors and factors) and foresight diagnosis.
  2. Defining the long-term issues.
  3. Developing the common vision.

Strategic phase

  1. Designating the strategic priorities.
  2. Assessing and selecting the concrete actions.
  3. Managing and monitoring the implementation.
  4. Evaluating the process and the results of the exercise.

The process is enriched throughout its course, firstly, internally through collective intelligence and, secondly, through outward monitoring in order to be alert to the emergences that always occur. The journey is a societal learning process for collecting, decoding and, above all, consolidating the information by calling on experts and bringing them together in deliberative forums. The objective of the exercise is to co-construct a sound body of knowledge which, when shared, will serve as the basis for expressing possibilities, desirable futures and strategy.

Over the years, the participation processes have been strengthened to ensure that the stakeholders become true players and that the involvement of actors is not only designed as a series of consultation or deliberation mechanisms but also offers genuine momentum for co-conception, co-construction and even co-decision [32].

 

3. Defeating the five horsemen of the Apocalypse

Bill Bramhall’s cartoon The five horsemen of the Apocalypse, which appeared in the New York Daily News editorial of 16 August 2021, perfectly illustrated my thoughts on the need for formal heuristics. Alongside war, famine, pestilence and death rides a fifth horseman. Death asks him who he is. The horseman, who is holding a smart phone or tablet, replies: misinformation. Conceived when misinformation was wreaking havoc during the coronavirus pandemic and at a time of full-blown Trumpism, this image is still relevant in many areas other than the pandemic.

Piero Dominici, a professor at the University of Perugia and a member of the World Science Academy, was a guest at one of my foresight and roadmap courses at the National Engineering School of Tunisia. During this course, he discussed the five illusions of hyper-technological civilisation: the illusion of rationality, the illusion of total control, the illusion of predictability, the illusion of measurability and the illusion of the power to eliminate error in our social systems and our lives [33]. These various certainties were overturned during the great hoax played by the very serious popular scientist Étienne Klein on 31 July 2022. The celebrated physician and scientific philosopher tweeted an image of the star Proxima Centauri, describing it as the star closest to the Sun, located 4.2 light years away from us (which seems accurate), and said that it had been captured by the James Webb telescope (JWST), launched several months earlier. Faced with the frenzy and the real risk of media uproar surrounding this information, Étienne Klein announced that the photo published was in fact a picture of a slice of chorizo against a black background. In sharing this image, Klein, former Research Director at the Atomic Energy Commission, had sought to urge caution at the publishing of images on social media, not imagining that the lack of criticism would send his message viral. It should also be mentioned that a quick search shows that Étienne Klein had himself shared a tweet by the astrophysicist Peter Coles from the University of Cardiff, dated the previous day, which had not had the same impact on social media. The original photo of the chorizo is actually older as it had been posted on 27 July 2018 by Jan Castenmiller, a retired Dutchman living in Vélez-Málaga, in Andalucia, who described it as a photo of a lunar eclipse. The uproar surrounding this slice of meat can be explained by three factors: the higher quality of the image, which had been slightly retouched, the enthusiasm surrounding the results produced by the new telescope and, above all, the excellent credentials of the person sharing the image [34].

This necessary traceability of sources is essential to the quality and reliability of information. However, it is being undermined. Not only by technical advances, particularly in the digital sector and in the field of AI, which make it possible to alter text, voice and image, but also through a form of lowering of standards on the part of the researchers themselves. This includes the increasingly common use of the particularly poor method of referencing sources, the so-called Harvard method, and the practice of filling scientific texts with vague references to style (Destatte, 1997), referring here to a work of 475 pages, when that is not the case – excuse the comparison – (Hobbes, 1993), obliging the reader to search for the evidence of what is being claimed in the 780 pages of the third Sirey edition of the English philosopher’s work, as I had to do recently. As Marc Bloch (1886-1944) points out in simple terms, indicating the provenance of a document merely means obeying a universal rule of honesty [35].

But that is not all: it is this very traceability of thought that is being called into question. In a recent economic magazine, one that is generally considered serious, a columnist considered that footnotes were a nightmare: directing the comprehension of a text means compromising how the reader understands it, he stated, being of the opinion that if young people were turning to slam, hip-hop or rap texts, that was because, at least such texts don’t have footnotes [36]. Worse still, in une histoire des notes de bas de page, which has been on the foresight.fr website since October 2022, the following appears:

As tedious to read as they are difficult to produce, the footnote is quickly becoming a nightmare for readers and students. For British playwright Noel Coward [37], “having to read footnotes resembles having to go downstairs to answer the door while in the midst of making love.”

As an element of paratext, the footnote is more like a parasite. Yet it had all started so well. It began as a tale of historians. As the scientific nature of history increased, so the footnote became more important: the need to clearly cite one’s sources and the growing emphasis on evidence to support each hypothesis [38].

Describing notes as boring or unnecessary will do nothing to strengthen the heuristic qualities of our futurists, researchers, students and pupils. François Guizot (1787-1874), one of the first scientists to generalise the use of footnotes, would have described this attitude as regrettable levity. Guizot, the former head of government under King Louis-Philippe and also a historian, complained that he saw many informed minds limiting themselves to a few documents in support of their hypotheses rather than pursuing their research to establish the reality of the facts [39]. In this way, he highlighted the danger faced by teachers, researchers and “intellectuals”, the difficulty they have both in speaking or writing in a neutral, objective and dispassionate way, with the distance expected of the role or profession of someone who expresses their opinion, and in getting close to the truth or even speaking the truth.

Contemporary research sends us at least two messages. Firstly, that of rigour which, above all, involves knowing what one is talking about, what the problem is and what one is looking for. This positioning requires not only general culture and experience but also some learning about the subject. It is a phase in any research process, and also when participating in a consultation or a deliberative process, including foresight. The second message refers us to relativity and objectivity in relation to the subject and to the interpretation of the experience. If the passion that often motivates the researcher in a positive way can also be their internal enemy, how should we protect the citizens, actors and stakeholders who take part in a research and innovation process?

Most importantly, perhaps, Aristotle pointed out in the 4th century BC that persuading through the oratorical techniques of rhetoric does not mean demonstrating by means of persuasive techniques (inference, syllogisms and other enthymemes). Scientific practice involves proving, in other words establishing the evidence of one’s claim, which is completely different from rhetoric or dialectic [40]. In the world of foresight, but not only in that world, we have always argued in favour of seeking a balance between the factual (data gathering), interactive (deliberation) and conceptual (establishing the structural concepts) activities, in line with the creative method highlighted by Thierry Gaudin, former Director of Foresight and Evaluation at the French Research Ministry [41]. Such a balance can be sought based on the efforts and investments in time and resources made in the three approaches to a problem or challenge.

Well before our Renaissance thinkers, the North African scholar Ibn Khaldûn (1332-1406) called on people to combat the demon of lies with the light of reason. He encouraged the use of criticism to separate the wheat from the chaff and called on science to polish the truth so that critical insight may be applied to it [42]. The watchword here is analytical rigour, both qualitative and quantitative. In science, even in social science, logical rigour and empirical rigour come together to interpret, understand and explain [43]. Validation of data quality is universally essential: consistency of measurements, stability of series, continuity of measurement throughout the period analysed, existence of a genuine periodic variation, etc.[44]

Researchers who follow the path of foresight must be like the philosopher described by the grammarian and philosopher César Chesneau Dumarsais (1676-1756), who wrote the following definition in the Encyclopédie of 1765, edited by Denis Diderot, Jean Le Rond d’Alembert and Louis de Jaucourt:

Truth is not for the philosopher a mistress who corrupts his imagination and whom he believes is to be found everywhere; he contents himself with being able to unravel it where he can perceive it. He does not confound it with probability; he takes for true what is true, for false what is false, for doubtful what is doubtful, and for probable what is only probable. He does more, and here you have a great perfection of the philosopher: when he has no reason by which to judge, he knows how to live in suspension of judgment  [45].

Caution and rigour in heuristics cannot, however, lead to objectivism. Distinguishing truth from falsehood is absolutely essential. Remaining detached from the world and not intervening is definitely not the practice of either intellectuals [46] or futurists who, above all, are men and women of reflection and action.

 

Conclusion: Intellectual Courage

The quest for truth, detachment and autonomy of thought [47] are worthwhile only if they are accompanied by courage to tell the truth. We are all familiar with the wonderful words of SFIO [French Section of the Workers’ International] deputy Jean Jaurès (1859-1914) in his address to young people, given in Albi in 1903:

Courage is about seeking truth and speaking truth, not about submitting to a great triumphant lie or echoing ignorant applause or fanatical jeers with our hearts, our mouths or our hands [48].

We are much less familiar with the speech made by Raymond Aron (1905-1983) to the French Philosophy Society in June 1939, barely two months before the outbreak of the Second World War. Aron, the French historian and sociologist, underlined the importance of the qualities of discipline and technical competence and also intellectual courage to challenge everything and identify the issues on which the very existence of his country depended. Aron stated very clearly that the crisis would be lengthy and profound:

Whatever the immediate events, we will not emerge unscathed. The journey on which France and the countries of Europe are embarking does not have an immediate, miraculous conclusion. I think, therefore, that teachers like us can play a small part in this effort to safeguard the values we hold dear. Instead of shouting with the parties, we could strive to define, with the utmost good faith, the issues that have been raised and the means of addressing them [49].

 Leaving aside the idea that, as researchers, students or intellectuals, we would be in a privileged position due to the intellectual and material possibilities given to us[50], the fact remains that we have a great responsibility towards society. Do we exercise this responsibility to the extent demanded by our duty and the expectations of civil society? I do not think… not in Belgium, and especially not in Wallonia. The absence of an engaged, dynamic public space is a real problem. But it is not a fatal flaw.

With the increasingly glaring gap between, firstly, the public and collective policies pursued from European down to local level and, secondly, the needs created by the challenges arising from the Anthropocene era and the loss of social cohesion, it is time for the voices of the territories to be heard loud and clear again.

And for everything to be called into question again.

 

See also:

Ph. DESTATTE, What is foresight?, Blog PhD2050, May 30, 2013. https://phd2050.org/2013/05/30/what-is-foresight/

Ph. DESTATTE, Opinions which are partial have the effect of vitiating the rectitude of judgment”, Heuristics and criticism of sources in science, University of Mons – EUNICE, Mons, 21 October 2021, Blog PhD2050, https://phd2050.org/2021/10/26/heuristics/

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] This text is the English version of my speech to the 2023 Science Congress, held at the University of Namur (Wallonia) on 23 and 24 August 2023.

[2] Antoine LE BLANC et Olivier MILHAUD, Sortir de nos enfermements ? Parcours géographiques, dans Perrine MICHON et Jean-Robert PITTE, A quoi sert la géographie?, p. 116, Paris, PuF, 2021.

[3] Pierre BOURDIEU, Science de la science et réflexivité, Cours au Collège de France 2000-2001, p. 173-174, Paris, Raisons d’agir Éditions, 2001. – Pierre BOURDIEU (1930-2002), Réflexivité narcissique et réflexivité scientifique (1993), in P. BOURDIEU, Retour sur la réflexivité,  p. 58, Paris, EHESS, 2022.

[4] Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER et Anne BARTHELEMI dir., L’accès aux fonctions et l’aménagement des territoires face aux enjeux de notre société, dans Géo, n°85, Arlon, FEGEPRO, 2021. – Florian PONS, Sina SAFADI-KATOUZIAN et Chloë VIDAL, Penser et agir dans l’anthropocène, Quels apports de la prospective territoriale?, in Géographie et cultures, n°116, Hiver2020.

[5] La géographie, une clef pour notre futur, Comité national belge de Géographie, 30 mai 2016. https://uclouvain.be/fr/facultes/sc/actualites/la-geographie-une-cle-pour-notre-futur.html – A. LE BLANC et O. MILHAUD, op. cit., p. 117.

[6] L’attitude prospective, in L’Encyclopédie française, t. XX, Le monde en devenir, 1959, in Gaston BERGER, Phénoménologie du temps et prospective, p. 270-275, Paris, PuF, 1964. (1959).

[7] The French philosopher Maurice Blondel developed the concept of prospection, which refers to action-oriented thinking: Maurice BLONDEL, Sur Prospection, in André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 846, Paris, PuF, 1976.

[8] Jacques LESOURNE, Un homme de notre siècle, De polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, p. 475, Paris, Odile Jacob, 2000.

[9]  With particular reference to social psychology: Kurt Lewin, Ronald Lippitt, Jeanne Watson, Bruce Westley. G. BERGER, Phénoménologie du temps et prospective…, p. 271.

[10] Maurice Blondel proposes to call Normative the methodical research whose aim is to study and provide the normal process by which beings achieve the design from which they proceed, the destiny to which they tend. M. BLONDEL, L’être et les êtres, Essai d’ontologie concrète et intégrale, p. 255, Paris, Félix Alcan, 1935.

[11] Russell Lincoln ACKOFF, A Concept of Corporate Planning, New York, Wiley, 1969. – M. GODET, Prospective et planification stratégique, p. 31, Paris, Economica, 1985.

[12] Michel GODET, Les régions face au futur, Foreword to G. LOINGER dir., La prospective régionale, De chemins en desseins, p. 8, Paris, L’Aube – DATAR, 2004. – See also : Michel GODET, De la rigueur pour une indiscipline intellectuelle, Assises de la Prospective, Université de Paris-Dauphine, Paris, 8-9 décembre 1999, p. 13. – M. GODET, Creating Futures, Scenario Planning as a Strategic Management Tool, p. 2, London-Paris-Genève, Economica, 2006.

http://www.laprospective.fr/dyn/francais/articles/presse/indiscipline_intellectuelle.pdf

[13] Michel GODET, Manuel de prospective stratégique, t. 1, Une indiscipline intellectuelle, Paris, Dunod, 1997.

[14] Pierre MASSÉ, De prospective à prospectives, dans Prospectives, Paris, PuF, n°1, Juin 1973, p. 4.

[15] P. MASSÉ, Le Plan ou l’Anti-hasard, coll. Idées, Paris, nrf-Gallimard, 1965.  http://www.laprospective.fr/dyn/francais/memoire/texte_fondamentaux/le-plan-ou-lantihasard-pierre-masse.pdf

[16] P. MASSÉ, De prospective à prospectives…, p. 4.

[17] Jean CHESNEAUX, Habiter le temps, p. 18-19, Paris, Bayard, 1996. – Reinhart KOSSELECK, Le futur passé, Paris, EHESS, 1990.

[18] Fernand BRAUDEL, Histoire et Sciences sociales, La longue durée, dans Annales, 1958, 13-4, p. 725-753. https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1958_num_13_4_2781

[19] Jacques LESOURNE, Les mille sentiers de l’avenir, p. 11-12, Paris, Seghers, 1981.

[20] Voir notamment : Günter CLAR & Philippe DESTATTE, Regional Foresight, Boosting Regional Potential, Mutual Learning Platform Regional Foresight Report, Luxembourg, European Commission, Committee of the Regions and Innovative Regions in Europe Network, 2006.

Philippe-Destatte-&-Guenter-Clar_MLP-Foresight-2006-09-25

[21] Ph. DESTATTE et Ph. DURANCE, Les mots-clés de la prospective territoriale, p. 46, Paris, La Documentation française, 2009. Philippe_Destatte_Philippe_Durance_Mots_cles_Prospective_Documentation_francaise_2009

[22] Ph. DESTATTE, What is foresight?, Blog PhD2050, May 30, 2013. https://phd2050.wordpress.com/2013/05/30/what-is-foresight/

[23] J. LESOURNE, Conclusion, Assises de la prospective, Paris, Université Dauphine, 8 décembre 1999.

[24] Guy LOINGER, La prospective territoriale comme expression d’une nouvelle philosophie de l’action collective, in G. LOINGER dir., La prospective régionale, De chemins en desseins, p. 44-45, Paris, L’Aube – DATAR, 2004.

[25] Pierre GONOD, Conférence faite à la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, Namur, Institut Destrée, 19 mai 2009.

[26] André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 413, Paris, PUF, 1976. About heuristics, see also: DESTATTE, Opinions which are partial have the effect of vitiating the rectitude of judgment”, Heuristics and criticism of sources in science, University of Mons – EUNICE, Mons, 21 October 2021, Blog PhD2050, https://phd2050.org/2021/10/26/heuristics/

[27] Claude-Pierre VINCENT, Heuristique, création, intuition et stratégies d’innovation, p. 32, Paris, Editions BoD, 2012. – Cette définition est fort proche de celle de l’Encyclopaedia Universalis : Jean-Pierre CHRÉTIEN-GONI, Heuristique, dans Encyclopædia Universalis, consulté le 6 mars 2023. https://www.universalis.fr/encyclopedie/heuristique/

[28] George PóLYA, L’Heuristique est-elle un sujet d’étude raisonnable?, in Travail et Méthodes, p. 279, Paris, Sciences et Industrie, 1958.

[29] For an idea of Peter Bishop’s work, see: P. BISHOP & Andy HINES, Teaching about the Future, New York, Palgrave-MacMillan, 2012.

[30] Kurt LEWIN, Field Theory in Social Science, Harper Collins, 1951. – Psychologie dynamique, Les relations humaines, Paris, PuF, 1972.

[31] Ph. DESTATTE, La construction d’un modèle de processus prospectif, dans Philippe DURANCE & Régine MONTI dir., La prospective stratégique en action, Bilan et perspectives d’une indiscipline intellectuelle, p. 301-331, Paris, Odile Jacob, 2014. – You can find the Working Paper in English: Ph. DESTATTE, The construction of a foresight process model based on the interest in collective knowledge and learning platforms, The Destree Institute, May 13, 2009.

https://www.institut-destree.eu/wa_files/philippe-destatte_foresight-process-model_2009-05-13bis.pdf

[32] Ph. DESTATTE, Citizens’ Engagement Approaches and Methods in R&I Foresight, Brussels, European Commission, Directorate-General for Research and Innovation, Horizon Europe Policy Support Facility, 2023.

https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/d5916d5f-1562-11ee-806b-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-288573394

[33] Piero DOMINICI, Managing Complexity ? Tunis, ENIT, 15 avril 2022.

[34] André GUNTHERT, Ce que montre le chorizo, in L’image sociale, 17 novembre 2022. https://imagesociale.fr/10853 – André Gunthert is Associate Professor at the École des Hautes Études en Sciences sociales in Paris.

[35] Marc BLOCH, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien (1942), in Marc BLOCH, L’histoire, la Guerre, la Résistance, coll. Quarto, p. 911, Paris, Gallimard, 2006.

[36] Paul VACCA, L’enfer des notes de bas de page, in Trends-Tendances, 2 mars 2023, p. 18.

[37] Sir Noël Peirce COWARD (1899-1973) Britannica, The Editors of Encyclopaedia. Noël Coward, Encyclopedia Britannica, 15 Sep. 2023, https://www.britannica.com/biography/Noel-Coward. Accessed 5 October 2023

[38] Histoire des notes de bas de page, Actualité prospective, 1er octobre 2022.

https://www.prospective.fr/histoire-des-notes-de-bas-de-page/

[39] François GUIZOT, History of the Origin of Representative Government in Europe, translated by Andrew E. Scobe, p. 4, London, Henry G. Bohn, 1852. https://www.gutenberg.org/cache/epub/61250/pg61250-images.html#Page_1.

[40] ARISTOTE, According to Rhétorique, LI, 2, 1355sv, in Œuvres, coll. La Pléiade, p. 706 sv, Paris, Gallimard, 2014.

[41] Thierry GAUDIN, Discours de la méthode créatrice, Gordes, Ose Savoir – Le Relié, 2003.

[42] IBN KHALDÛN, Al-Muqaddima, Discours sur l’histoire universelle, p. 6, Arles, Acte Sud, 1997.

[43] Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN, La rigueur du qualitatif, Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, p. 8, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2008.

[44] Daniel CAUMONT & Silvester IVANAJ, Analyse des données, p. 244, Paris, Dunod, 2017.

[45] César CHESNEAU DU MARSAIS, Le philosophe, dans  Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers…, t. XII, p. 509, Neufchâtel, 1765. http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v12-1254-0/

[46] Gérard NOIRIEL, Dire la vérité au pouvoir, Les intellectuels en question, Paris, Agone, 2010.

[47] Norbert ELIAS, Involvement and Detachment, Basil Blackwell, 1987. –  Engagement et distanciation, Contribution à la sociologie de la connaissance (1983), p. 27-28, Paris, Fayard, 1993.

[48] Jean JAURES, Discours à la Jeunesse, Albi, 31 juillet 1903, in J. JAURES, Discours et conférences, coll. Champs classiques, p. 168, Paris, Flammarion, 2014.

[49] Raymond ARON, Communication devant la Société française de philosophie, 17 juin 1939, in R. ARON, Croire en la démocratie, 1933-1944, p. 102, Paris, Arthème Fayard – Pluriel, 2017.

[50] Noam CHOMSKY, The Responsability of Intellectuels, New York, The New York Press, 2017. – Noam CHOMSKY, De la responsabilité des intellectuels, p. 149, Paris, Agone, 2023.

Namur, October 15, 2023

The concept of terrorism is particularly sensitive when it is used to de-legitimize adversaries or opponents on the national and international stage in order to marginalize or even repress them [1]. The example of the Uighur separatists in Xinjiang is often cited because it implicates the Chinese government, but many other situations are similar [2]. Everyone can see how difficult it is to define terrorism outside the framework of the passions it generates through actions that are generally highly theatrical in order to have an impact that corresponds to its ultimate objectives. It is also quite classic to consider with one of its great specialists, the German-American historian Walter Z. Laqueur (1921-2018) that, given its diversity and the horror and fascination it inspires, defining terrorism and establishing a coherent theory of it would be an impossible task [3]. In fact, it is above all the notions of state terrorism and resistance or national liberation that pollute the academic and political efforts to base a definition on reason. Thus, we can follow Anthony Richards when he observes that viewing terrorism as a method rather than as inherent to any particular type of cause helps us to consider the phenomenon more objectively [4]. This method, as we know, consists of generating a psychological impact beyond the victims of the acts perpetrated. However, as the author, Professor of Law at the University of London, points out, the difficulty lies in showing the intention that is present or hidden behind the action taken [5].

So, we could try this definition inspired by the following reflections and the work of the French historian Jenny Raflik [6]: terrorism is a political project over a period, aimed at challenging the established order, attempting to bring it to an end and replacing it with a new order. To this end, it makes tactical use of transgressive violence, which, however, is presented and considered legitimate by the terrorist in the context of actuality.

That’s what we’re going to try to understand.

Photo Dreamstime – Aquarius83men

1. Two initial concerns

Returning to the issue of terrorism, I have two initial concerns. The first is that the issue is, of course, complex – more complex than is generally thought. It is far from being just a question of a few Arab countries and the Muslim religion. If I thought that was the case, I would have to stop writing now. Having studied Russian terrorism in Europe before the October Revolution as a historian, I know only too well that without a detailed knowledge of the language and culture, it is impossible to enter the mindset or networks, even retrospectively. This complexity must be considered, which is why I call my first approach The Road to Damascus, referring to the experience of the Apostle Paul of Tarsus. Like the former bounty hunter and persecutor of Christians, we have been blinded by the light of evidence, and we must pursue the truth with great humility if we are to regain a clear vision. This, of course, is the daily task of researchers and especially of foresighters. This idea was beautifully expressed by Michelangelo in the 16th century in a fresco in the Pauline Chapel in Rome and, closer to home, in a painting by Bertholet Flemalle in the 17th century in St Paul’s Cathedral in Liège (Wallonia). Incidentally, the New Testament is still relevant today: Jesus is said to have said, Go to Damascus, where it will be told you what to do. One thing is certain: contemporary interpretations are manifold…

My second initial concern is to point out that terrorism is not exempt from temporality, by which I mean the complex relationship of the present to both the past and the future. The public is regularly shocked by events that the media present as exceptional, unique or unprecedented. Yet we know that such events have occurred many times in the past, in one form or another, and that they are part of a long-standing trend and an already familiar pattern of development. For example, the accidental explosion of a bomb outside the Château de Villegas in Ganshoren, Brussels, at half past three on 23 February 1883, which killed its bearer, allowed the Belgian security services to partially uncover the network of the Narodovoletzi – the “bearers of the people’s will” of Odessa. It also allowed the historian who reconstructed the network to understand both how it worked and what motivated its members, to analyse how the anti-terrorist services viewed it, how they cooperated or did not cooperate, etc. This analysis is very useful for understanding and trying to explain what is happening today and what might happen tomorrow [7].

 

2. Some of the forms terrorism has taken in history

Temporality is based on the retrospective, or even – as we shall see – the retro-foresight. The retrospective is the basis of historicity that always subjective (or even intersubjective, as Edgar Morin would put it) connection we have with the past. Far from taking the past for granted, we are constantly revisiting it and finding there the questions we have about the present and, above all, the future. Is this not why the Italian historian Benedetto Croce (1866-1952) said that all history is contemporary?

I do not intend to recount the history of terrorism, or even of European terrorism, but it is certainly useful to keep in mind some of the forms it has taken in history – which is now beyond our power – to draw some conceptual or strategic lessons that we will need to face the future.

From the outset, temporality seems to be mixed with timelessness. The world-famous novel Alamut (1938) by the Slovenian writer Vladimir Bartol (Trieste, 1903 – Ljubljana, 1967) may be one of the keys to understanding the phenomenon of terrorism. On the one hand, it is inspired by the Ismaili sect and analyses the psychological traits of young fighters devoted to the cult of the Koran and raised with a fascination for duty and death that will allow them to enter paradise. Secondly, Alamut inspired the video game Assassin’s Creed, developed by Ubisoft Montreal for PlayStation3 and Xbox 360 in 2007 and for PC the following year. More than 100 million copies of the various entries in the series have been sold worldwide. Its influence has therefore been greater than an article in The Economist. The film realized in 2016 by the Australian director Justin Kurzel reinforced this messianic mythology whose formulas and principles are familiar: I divide mankind into two fundamentally different categories: a handful of people who understand reality and the huge majority who do not. Or again, Nothing is true; everything is permitted [8]. While researchers are aware of the importance of people’s worldviews in motivating individual or collective action, we must recognize that the frequency with which we now move between the real and the virtual world – not to mention our tendency to confuse the two – adds to the complexity of an issue such as terrorism.

Far from being the exclusive tool of cults, secret societies and resistance movements, terror is inherent in violence and war. In his Commentaries on the Gallic Wars, Julius Caesar recounts how the brilliance of his attacks – but also their brutality – both kept his friends loyal and, through fear, forced the wavering to accept offers of peace [9]. Experts in etymology and comparative linguistics know that variants of the Latin words terror and terrere have appeared in many forms over the centuries, long before the Terror proclaimed by the French National Assembly on 5 September 1793. We know of the terror inspired in us by the steppe peoples under Attila the Hun in the 5th century, the Mongol Genghis Khan in the 13th century and Tamerlane in the 14th century. The latter is known to have terrorized enemy cities and nations by building pyramids of severed heads, for example in Isfahan in 1387. But let us not jump to the conclusion that hell is other people. One of the field marshals at the head of the army of Maximilian of Bavaria’s Catholic League was Johann Tserclaes, Count of Tilly, who was sometimes said to be Walloon [10]. During a campaign against the Protestant Evangelical Union during the Thirty Years’ War, he seized the German city of Magdeburg on 25 May 1631, and permitted the slaughter of 20,000 people as well as the visitation of numerous other atrocities on the population in order to ensure the surrender of the neighbouring cities. The Marquis de Sourdis, in Richelieu’s service, did likewise at Chatillon-sur-Saône four years later. Many Belgian cities suffered similar treatment during the German invasion in the Great War, such as Dinant on the Meuse on 23 August 1914 (605 deaths). The Nanking Massacre in late 1937 and early 1938 probably claimed nearly 250,000 lives, and perhaps represented the pinnacle of this type of terrorism. And there are also civil wars, which can sometimes – whether in a revolutionary period or not – visit terror on the national population, as we have already mentioned regarding the French Revolution. Such circumstances legitimize the massacre by the citizens of the Republic’s enemies: this is what happened, for example, in Lyon on 14 December 1793, and perhaps too in Ankara on 15 July 2016.

In The Spirit of the Laws, Montesquieu used the term ‘terror’ in 1748 to refer to the principle of despotic government [11]. Long before him, in 1690, John Locke had stated in the first essay of his two Treatises on Government that ‘the magistrate’s sword [is] for a terror to evil doers, and by that terror to enforce men to observe the positive laws of the society’[12]. The use of the words ‘terrorism’ and ‘terrorists’ began to spread from 1794, first in the sense of a regime of political terror and its partisans, and then in the broader sense of the systematic use of violence for political purposes. Incidentally, ‘anti-terrorism’ and ‘anti-terrorist’ appear just one year later, in 1795 [13].

Of course, modern mechanized weaponry makes mass violence possible on an unprecedented scale. The bombing of Guernica, the historic capital of the Basque country, on 23 April 1937, notoriously served as a kind of rehearsal for what was to ensue during the Second World War. The bombing of Rotterdam by the Luftwaffe on 14 May 1940 was undoubtedly also an act of terrorism. It is difficult to exempt from this sombre list the massive German, British and American bombardments of civilian targets, and especially of cities, during this conflict. As Ariel Merari points out, the ultimatum leaflets that were air-dropped in these areas attest to the desire to terrorize the civilian population directly [14]. The Allied and German services that counted the number of victims of the bombing raids on Germany estimated the death toll at around 400,000, more than 10% of whom were prisoners of war or foreigners. The number of civilians killed by the bombing of Japan was around 900,000, higher than the number of Japanese soldiers killed in combat [15].

The Second World War also provides an interesting illustration of the ambivalence of the concepts of terrorism and resistance. A striking example is the Manouchian network, which was so well known that it was the subject of a propaganda poster distributed by the Vichy regime in 1944. The Missak Manouchian group, made up of resistance fighters of foreign origin, Jews and communists, became known for its attacks on German pilots and soldiers on leave. Its members, who described themselves as irregular sharpshooters and partisans (‘francs-tireurs et partisans’, FTP), were condemned to death and executed by the Germans in 1944 as ‘terrorists’, then honoured as members of the resistance by Charles de Gaulle’s Free France after the liberation [16]. The same view was taken of the members of the Irgun when they attacked the British headquarters at the King David Hotel in Jerusalem on 22 July 1946, causing 91 deaths and numerous injuries among the British officials there. Another example of the difficulty of defining the concept of terrorism is the so-called Battle of Algiers, fought by French parachute regiments during the decolonization period from January to October 1957. It is clear that the radical anti-terrorist measures taken by the French military had some success because they themselves terrorized the nationalist indigenous peoples and the settlers who sympathized with them.

The very disparate actions that have been mentioned reveal the different forms that terrorism can take, and a longer-term process in which we are situated, which debunks the notion that what is happening to this generation is unique, novel or unprecedented. Confining our attention to modern times, we can also count as part of this process the numerous attacks and actions of anarchists, nihilists, revolutionary socialists, fascists and others throughout the 19th and 20th centuries: they include the assassination of Tsar Alexander II (1881), of President Sadi Carnot (1894) and of Archduke Franz Ferdinand of Habsburg (1914), the Black September attacks at the Munich Olympics (1972), the actions of the Red Army Faction (Hanns-Martin Schleyer, 1977), the Red Brigade, Action directe and the Communist Combatant Cells, the bombing of Bologna railway station (2 August 1980), the attacks in Beirut against U.S. and French forces (23 October 1983), the killers of Brabant (28 deaths from 1983 to 1985), the attacks of the AIG such as the RER Line B bombing at Saint-Michel station in Paris on 28 July 1995, and that pivotal global moment on 11 September 2001 that has had so many repercussions for Europe.

This very incomplete inventory shows the diversity of forms that terrorism can assume [17]. It might have been expected to yield precise criteria for a general definition, but this is not in fact the case. As Ariel Merari shows, although terrorism may seem an immoral form of war, the profound collapse that the moral code of behaviour underwent in almost all wars on the part of all parties in the 20th century, including the targeting of civilians, shows that the difference between terrorism and other forms of war is one of interpretation [18].

If further demonstration of this relativity is required, take a look at the definition of ‘terrorisme’ in the French dictionary of Lachâtre in 1890. This was a popular dictionary, close to the labour movement. After recalling that the term refers to the reign of terror that reigned in France during part of the Revolution, Maurice Lachâtre added that terrorism is the most moving revolutionary era. He then defines a terrorist as a partisan, an agent of the system of terror, adding that the terrorists saved France [19].

What can we say other than that such comments on terrorism should make us humble?

 

3. Towards a definition of terrorism

It is conventional to begin discussions of terrorism by considering the difficulty of defining it in the scientific literature. We should avoid conflating it with all forms of political violence and ignoring state-sponsored forms of terrorism [20].

At a very early stage, however, in 1962, Raymond Aron made a decisive contribution by suggesting that ‘a terrorist action is referred to as such when its psychological effects are disproportionate to its purely physical results [21]. The various definitions offered by international organizations can help us understand this phenomenon. Thus, UN Resolution A/RES/54/110 of 2 February 2000 refers to criminal actions with political aims: criminal acts intended or calculated to provoke a state of terror in the general public, a group of persons or particular persons for political purposes [22].

The 2021 NATO definition, taken from its English and French glossary, shares this idea of a political dimension: The unlawful use or threatened use of force or violence, instiling fear and terror, against individuals or property in an attempt to coerce or intimidate governments or societies, or to gain control over a population, to achieve political, religious or ideological objectives [23].

The Luxembourg Council of the European Union in 2002 identified an intent to seriously intimidate a population, or unduly compelling a Government or international organization to perform or abstain from performing any act, or seriously destabilizing or destroying the fundamental political, constitutional, economic or social structures of a country or an international organization [24], an idea often found in national legislation, such as the Belgian law of 19 December 2003. The French historian Jenny Raflik stresses the interest of the approach to the phenomenon taken by the Arab Convention on the Suppression of Terrorism, adopted in Cairo on 22 April 1998, which is both innovative in several respects yet includes limitations such as the possibility of excluding from the scope of terrorism struggles that could the declared legitimate [25]. The important exploratory work of the historian at the French Institute for Higher National Defence Studies led her to propose a definition that we endorse: terrorism is a political project over a period of time that aims to challenge the established order, to try to put a stop to it and/or to substitute a new order for it. To this end, it makes tactical use of transgressive violence, which, however, is presented and regarded as legitimate by the terrorist, in the context of actuality [26]. This definition seems highly relevant to us. First, because it objectifies terrorism and takes it seriously as a political project rather than as a deviation, which would undermine its importance and purposes. Next, because Jenny Raflik emphasises the use of transgressive violence as a means, together with the subjective element – the variance of perspective between perpetrator and victim. Finally, because this definition takes into account the temporality in which the tension between the immediate event and its far-reaching effects lies.

 

Five Considerations to Close the Paper but Not the Subject

1. Terrorism is not a recent phenomenon. It is part of a long-term development from antiquity to the present. It should be seen in temporality (relationships between past, present and future).

2. Terrorism is a complex issue that takes many forms and can be used by very different actors, individual or collective, private or public, who are inspired by a political project and, therefore, a strategic determination to act in order to maintain or change an existing situation. In defining terrorism, we should avoid conflating it with all forms of political violence and ignoring state-sponsored forms of terrorism.

3. The use of terror and terrorism against citizens is inherent in the political philosophy of our liberal societies, as understood in particular by John Locke and Montesquieu.

4. The legitimacy of this political project is subjective; its means are transgressive and intended to be reinforced by their psychological impact and media coverage.

5. Several examples of the evolution of relations between groups that were clearly seen as terrorists, with whom it seemed impossible to negotiate, show that this is not the case and that yesterday’s transgressive actions do not necessarily prevent people from sitting down to start fruitful negotiations. The development of relations between London and the IRA after the bloody events of the Second World War is interesting in this respect.

Once again, we can find reasons for hope in a landscape of despair. Provided we make the necessary efforts, based on reason and not passion.

 

 

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] A first and longer version of this paper has been written in the framework of the NATO Advanced Research Workshop, Identification of Potential Terrorists and Adversary Planning, Emerging Technologies and New Counter-Terror Strategies, CSRA, Falls Church VA, 25 July 2016, edited:  Ph. DESTATTE, Counter-Terrorism in Europe 2030; Managing Efficiency and Civil Rights, in Theodore J. GORDON e.a., Identification of Potential Terrorists and Adversary Planning, p. 87-105, NATO Science for Peace and Security Series – E: Human and Societal Dynamics, IOS Press, 2017. Philippe-Destatte_Counter-terrorism-Europe_NATO-IOS_2017

See also: Philippe DESTATTE, Elisabeta FLORESCU, Garry KESSLER, Hélène von REIBNITZ, Karlheinz STEINMÜLLER, Identifying Some Issues in the NATO Zone Through Trajectories About the Future of Terrorism and Counter-Terror Strategies, in Theodore J. GORDON e.a., Identification of Potential Terrorists and Adversary Planning, p. 16-24, NATO Science for Peace and Security Series – E: Human and Societal Dynamics, IOS Press, 2017.

[2] Ben SAUL, Defining Terrorism to protect Human Rights, in Deborah STAINES ed., Interrogating the War on Terror, Interdisciplinary Perspectives, p. 201-202, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2007.

[3] Walter LAQUEUR, Le terrorisme, p. 15, Paris, PuF, 1979. – W. LAQUEUR, Terrorism, London, Weidenfeld and Nicholson, 1977. – W. LAQUEUR, No End to War, Terrorism in the Twenty-First Century, p. 238, London, Continuum International, 2003.

[4] Anthony RICHARDS, Defining Terrorism, in Andrew SILKE ed., Routledge Handbook of Terrorism and Counterterrorism, p. 17, London & New York, Routledge, 2020. – A. RICHARDS, Conceptualizing Terrorism, Oxford University Press, 2015.

[5] Ibidem, p. 19.

[6] Jenny RAFLIK, Terrorisme et mondialisation, approches historiques, p. 24, Paris, Gallimard, 2016. – Terrorismes en France, Une histoire XIXe-XXIe siècles, Paris, CERF, 2023.

[7] Ph. DESTATTE, Contribution à l’histoire de l’émigration russe à la fin du XIXe siècle, 1881-1899, Mémoire présenté pour l’obtention du grade de Licencié en Histoire, Liège, Université de Liège, Année académique 1978-1979, 240 p. – Ph. DESTATTE, Sûreté publique et Okhrana, Les Foyers d’émigrés russes en Belgique, 1881-1899, Conferentie Benerus: België, Nederland, Rusland: betrekkingen en beeldvorming, Rotterdam 7-8 mei 1987: Belgisch-Nederlandse conferentie over de politieke, economische en culturele betrekkingen tussen België c.q. Nederland en Rusland/de USSR met nadruk op de periode na 1917, Erasmus Universiteit Rotterdam, Katholieke Universiteit (Leuven), Rijksuniversiteit Leiden, 1987.

[8] Vladimir BARTOL, Alamut, Libretto collection, Paris, Libella, 2012.

[9] Julius CAESAR, The Gallic Wars, translation by W. A. McDEVITTE and W. S. BOHN, Book 8, http://classics.mit.edu/Caesar/gallic.8.8.html – de BURY, Histoire de la vie de Jules César, suivie d’une dissertation sur la liberté où l’on montre les avantages du Gouvernement monarchique sur le républicain, Paris, Didot, 1758. For example, p. 86 : ‘he impressed upon them the importance of becoming masters of a rich and opulent city, which would give them all things in abundance, and strike terror into the hearts of all the other cities that had left his party, if they triumphed before it was rescued’.

[10] Deutsche Geschichte in Dokumenten und Bildern, Band 1, Von der Reformation bis zum Dreißigjährigen Krieg 1500-1648, Die Apokalypse vor Ort – Die Zerstörung Magdeburgs (1631) – A Local Apocalypse, The Sack of Magdeburg (1631), German Historical Institute, Washington DC, http://germanhistorydocs.ghi-dc.org/sub_document.cfm?document_id=4396

[11] The severity of punishments is fitter for despotic governments, whose principle is terror, than for a monarchy or a republic, whose spring is honour and virtue.’ MONTESQUIEU, The Spirit of the Laws, Book 6, Chapter 9, Geneva, 1748.

[12] (…) government being for the preservation of every man’s right and property, by preserving him from the violence or injury of others, is for the good of the governed: for the magistrate’s sword being for a “terror to evil doers,” and by that terror to enforce men to observe the positive laws of the society, made conformable to the laws of nature, for the public good, i.e., the good of every particular member of that society, as far as by common rules it can be provided for; (…) John LOCKE, Two Treatises of Government, Ch. IX, Of Monarchy by Inheritance from Adam, 92, London, Thomas Tegg & alii, 1823. McMaster University Archive of the History of Economic Thought. http://socserv2.socsci.mcmaster.ca/econ/ugcm/3ll3/locke/government.pdf

[13] Alain REY, Dictionnaire historique de la langue française, vol.3, p. 3803, Paris, Robert, 2006.

[14] Ariel MERARI, Du terrorisme comme stratégie d’insurrection, in Gérard CHALIAND and Arnaud BLIN ed., Histoire du terrorisme, De l’Antiquité à Daech, p. 31, Paris, Fayard, 2015.

[15] Thomas HIPPLER, Le gouvernement du ciel, Histoire globale des bombardements aériens, p. 156-160, Paris, Les prairies ordinaires, 2014.

[16] Denis PESCHANSKI, Claire MOURADIAN, Astrig ATAMIAN, Manouchian: Missak et Mélinée Manouchian, deux orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française, Paris, Textuel, 2023.

[17] See Ugur GURBUZ ed, Future Trends and New Approaches in Defeating the Terrorism Threat, Amsterdam-Berlin-Tokyo-Washington DC, IOS Press, 2013, especially Ozden CELIK, Terrorism Overview, p. 1-17 and Zeynep SUTALAND & Ugur GÜNGÖR, Future Trends in Terrorism, p. 75-87

[18] Ariel MERARI, op.cit., p. 42.

[19] Maurice LACHÂTRE, Dictionnaire français illustré, vol. 2, p. 1413, Paris, Librairie du Progrès, 1890.

[20] Anne-Marie LE GLOANNEC, Bastien IRONDELLE, David CADIER, New and evolving trends in international security, Transworld, FP7 Working Paper, 13, April 2013, p. 14.

[21] Raymond ARON, Paix et guerre entre les Nations, p. 176, Paris, Calmann-Levy, 1962.

[22] United Nations, Resolution adopted by the General Assembly, Measures to eliminate International Terrorism, A/RES/54/110 https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Terrorism-Proliferation-Narcotics/Documents/A-RES-54-110.pdf

[23] NATO Glossary of Terms and Definitions (English and French), NATO (NSO), 2021.

[24] Council Framework Decision of 13 June 2002 on combating terrorism (2002/475/JHA), Official Journal L 164 , 22/06/2002 P. 0003 – 0007.

[25] Jenny RAFLIK, Terrorisme et mondialisation, approches historiques, p. 24, Paris, Gallimard, 2016. – It could also be interesting to open a discussion in order to compare this with Abu Mus’ab al Suri’s definition and typology of terrorism. See Key excerpts of The Global Islamic Resistance Call in Brynjar LIA, Architect of Global Jihad, The Life of al-Qaida Strategist Abu Mus’ab al-Suri, p. 382-383, London, Hurst & Company, 2014.

[26] J. RAFLIK, op. cit., p. 41.

Namur, le 24 août 2023

Abstract :

Surtout quand elle s’applique aux territoires, la prospective fonde avant tout son processus sur l’identification d’enjeux de long terme, autant de questions auxquelles les acteurs et experts impliqués devront répondre. Mobilisant à la fois un socle d’informations large et rigoureux, soumis à la critique des sources et des faits, ainsi que des ressources nées de la créativité, la prospective se veut elle-même heuristique et processus d’innovation. Créativité et rationalité se nouent ainsi, sans s’opposer, mais dans le but de faire naître des visions innovantes dans lesquelles le rêve fertilise la réalité. Dans un monde où l’on présente la mésinformation comme cinquième cavalier de l’Apocalypse, la rigueur du cadre conceptuel, la réflexivité, l’autonomie de pensée, la vérification ont leur place entière. Enfin, la solidité du processus doit permettre de résoudre les questions du présent et d’anticiper celles de l’avenir. Cela signifie non seulement réfléchir, mais aussi se donner les capacités d’agir avant ou pour que les actions se réalisent.

 

Introduction : ouvrir le futur, c’est le construire

C’est au travers de la géographie, objet de cette section du Congrès des Sciences 2023 [1], que nous aborderons la prospective territoriale et son heuristique. Si j’en crois vos collègues géographes Antoine Le Blanc (Université du Littoral – Côte d’Opale) et Olivier Milhaud (Sorbonne Université), le lien s’impose d’emblée, au-delà même de la préoccupation de l’aménagement et du développement territoriaux : nous parcourons la Terre, nous parcourons la science, écrivent-ils, sachant le parcours nécessairement inachevé, et s’en émerveillant. Tel pourrait être le positionnement heuristique des géographes. Continuons  de parcourir : même si nous nous heurtons à des limites, c’est ce qui nous permet d’en être les acteurs [2].

Parcourir de manière volontariste un chemin fait d’interrogations et de réflexivité [3] sur sa démarche avec l’ambition d’être acteur de sa trajectoire, voilà qui parle aux prospectivistes… La modestie de ce questionnement heuristique, chère aux historiens dont je suis, est également au centre de notre réflexion. Même si elle est plus courante chez les géographes français, logés dans les UFR Géographie, Histoire, Économie et Société (GHES) que chez nos collègues belges, localisés – parfois avec beaucoup trop d’assurance – dans les Facultés des Sciences. Dans tous les cas, la prospective, avec son ambition propre, se veut, comme certaines belles initiatives de terrain en géographie [4], ouverte sur les enjeux brûlants et s’applique, pour cela, à un dépassement pluri-, multi- et interdisciplinaire.

C’est pour cette raison également que les contributeurs de l’ouvrage Qu’est-ce que la géographie ? mettent en exergue l’affiche-manifeste dénommée La géographie, une clef pour notre futur, diffusée en 2016 à l’initiative de leurs collègues belges pour rappeler l’implication de la géographie dans le monde d’aujourd’hui et déjà de demain au moment où la discipline était menacée notamment par la ministre de l’Éducation de la Communauté française de Belgique. Ce faisant, la représentation systémique que soutient ce document l’inscrit dans un des principes de la prospective. En effet, le Comité national belge de Géographie associe dans un même ensemble les variables que sont : changements climatiques, risques naturels et technologiques, qualité du cadre de vie, géolocalisation, urbanisation, prévisions météo, protection de l’environnement, aménagement du territoire et urbanisme, géomatique, impact des activités économiques, politiques démographiques, politique énergétique, mobilité, conservation de la nature, conflits géopolitiques et évolution des paysages [5].

Ces premiers éléments, mis en exergue à partir de la géographie, constituent autant de ponts vers les objectifs de cette contribution : définir la prospective territoriale, en évoquer le processus et s’interroger sur son heuristique à l’heure où la question de la qualité de l’information et de la traçabilité des sources semble délaissée par d’aucuns, y compris dans le monde scientifique même.

 

1. Une attitude, une méthode, une discipline, une indiscipline

La prospective est une attitude avant d’être une méthode ou une discipline, affirmait le philosophe et pédagogue Gaston Berger (1896-1960), concepteur français de cette démarche et promoteur du concept. En 1959, alors qu’il est directeur général de l’Enseignement supérieur français, Berger décrit la prospective au travers de cinq nécessités qui s’imposent aujourd’hui plus que jamais :

Voir loin : la prospective est essentiellement l’étude de l’avenir lointain. (…) et de la dynamique du changement (…)

Voir large : les extrapolations linéaires, qui donnent une apparence de rigueur scientifique à nos raisonnements, sont dangereuses si l’on oublie qu’elles sont abstraites (…)

Analyser en profondeur : la prospective suppose une extrême attention et un travail opiniâtre (…)

Prendre des risques : prévision et prospective n’emploient pas les mêmes méthodes. Elles ne doivent pas non plus être mises en œuvre par les mêmes hommes. La prospective suppose une liberté que ne permet pas l’obligation à laquelle nous soumet l’urgence (…)

Penser à l’Homme : l‘avenir n’est pas seulement ce qui peut “arriver” ou ce qui a le plus de chance de se produire. Il est aussi, dans une proportion qui ne cesse de croître, ce que nous aurions voulu qu’il fût [6].

Héritée aussi de la pensée du philosophe pragmatiste Maurice Blondel (1861-1949) [7], l’action va donc être au centre de la préoccupation du prospectiviste. Et, comme l’a fait remarquer le polytechnicien et ingénieur du Corps des Mines Jacques Lesourne (1928-2020) qui fut un des plus brillants pionniers de sa mise en pratique comme de son enseignement, entre le prospectiviste qui réfléchit en vue de l’action et le scientifique qui œuvre en vue d’élargir les connaissances, immense est la différence des points de vue. Le second peut écarter un problème comme prématuré. Le premier doit l’accepter s’il a un sens pour les acteurs et dès lors son devoir est de prendre en compte toute information pertinente et plausible même si elle s’exprime en termes flous [8]. La tête dans le monde de la recherche de connaissance, le prospectiviste n’en sera pas moins un homme – ou une femme – de terrain et d’action concrète.

S’inspirant des travaux menés aux États-Unis, comme l’avait d’ailleurs fait Gaston Berger [9], le successeur de Jacques Lesourne à la chaire de Prospective industrielle du Conservatoire des Arts et Métiers à Paris, l’économiste Michel Godet a d’ailleurs contribué à donner à la prospective sa forte dimension stratégique. Ainsi, se basant sur les travaux du théoricien des organisations l’Américain Russell L. Ackoff (1919-2009), Michel Godet a insisté sur la vocation normative de la prospective en plus de sa dimension exploratoire [10]. Dès lors, il y adjoint la planification qui, comme l’indique le professeur à l’Université de Pennsylvanie, consiste à concevoir un futur désiré et les moyens d’y parvenir [11].

De plus, renforcé par son expérience de terrain, surtout au sein des entreprises et des territoires, Michel Godet a ajouté trois autres nécessités aux cinq caractères que Gaston Berger prônait pour la prospective :

Voir autrement : se méfier des idées reçues.

Le rêve consensuel des générations présentes est souvent un accord momentané pour que rien ne change et pour transmettre aux générations futures le fardeau de nos irresponsabilités collectives.

Voir ensemble : appropriation.

C’est une mauvaise idée que de vouloir imposer une bonne idée.

Utiliser des méthodes aussi rigoureuses et participatives que possible pour réduire les inévitables incohérences collectives. (…) Sans prospective cognitive, proclame en 2004 le président du Conseil scientifique de la DATAR, la prospective participative tourne à vide et en rond sur le présent [12].

C’est effectivement cette prospective de Michel Godet ne cessera de qualifier d’indiscipline intellectuelle, sous-titrant d’ailleurs le premier tome son Manuel de prospective stratégique de cette manière [13]. L’ancien directeur de la prospective de la SEMA y rappelle que la formule est de Pierre Massé (1898-1987). Dans son avant-propos de la revue Prospective, n°1, datant de 1973 l’ancien Commissaire général au Plan du général de Gaulle observait que le terme dont l’acception moderne était due à Gaston Berger n’était explicitement ni une science, ni une doctrine mais une recherche. En forçant les mots, écrivait Massé, on aurait pu se demander si sa vocation pour l’incertain ne condamnait pas la Prospective à être, par nature, non pas une discipline, mais une indiscipline remettant en cause la prévision sommaire et dangereuse à base d’extrapolation [14]. Et l’auteur de Le Plan ou l’Anti-hasard (1965) [15] répondait lui-même à la question qu’il avait posée : je ne le crois pas, cependant, car nous avons besoin d’une science de l’à-peu-près, d’une sorte de topologie sociale nous aidant à nous orienter dans un monde de plus en plus complexe et changeant, où l’imagination, complétée par le discernement, tente d’identifier les faits porteurs d’avenir. (…) L’objet de la prospective n’est pas de rêver, mais de transformer nos rêves en projets. Il ne s’agit pas de deviner l’avenir, comme le font non sans risques les prophètes et les futurologues, mais d’aider à le construire, d’opposer au hasard des choses l’anti-hasard créé par la volonté humaine [16].

Ainsi, outil fondé sur la temporalité, c’est-à-dire la relation complexe que le présent établit à la fois en direction de l’amont et de l’aval, du passé et de l’avenir [17], la prospective dépasse l’historicité de nos mécanismes de pensées pour se projeter dans l’avenir et en explorer les chemins possibles, souhaitables, réalisables, avant de s’y lancer.

Renforcée par la convergence des travaux du foresight anglo-saxon et de la prospective latine menée au tournant des années 2000 sous l’égide de la DG Recherche de la Commission européenne, la prospective est un processus d’innovation et de transformation stratégique, fondé sur la systémique et le long terme, pour mettre en œuvre des actions présentes et opérationnelles. Systémique, car elle s’inscrit dans l’analyse des systèmes complexes ainsi que la théorie et la pratique de la modélisation. Long terme, car elle prend en compte la longue durée chère à Fernand Braudel (1902-1985) [18] et postule le futur au pluriel pour identifier des alternatives en vue de se créer un avenir [19]. Actions présentes et opérationnelles, parce qu’elle construit et met en œuvre une volonté stratégique pour transformer, mettre en mouvement, agir sur l’histoire, le territoire, l’organisation.

C’est ainsi que s’est construite une définition que je n’hésite pas à affiner au fil du temps, depuis sa première version écrite pour la Commission européenne [20], puis pour la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective et la DATAR [21] :

La prospective est une démarche indépendante, dialectique et rigoureuse, menée de manière transdisciplinaire en s’appuyant sur la longue durée.

La prospective peut éclairer les questions du présent et de l’avenir, d’une part en les considérant dans leur cadre holistique, systémique et complexe et, d’autre part, en les inscrivant, au-delà de l’historicité, dans la temporalité. Résolument tournée vers le projet et vers l’action, elle a vocation à provoquer une ou plusieurs transformations au sein du système qu’elle appréhende en mobilisant l’intelligence collective [22].

Ainsi, nous pouvons reprendre et compléter l’heureuse formule de Jacques Lesourne : chaque fois qu’il y une réflexion prospective, il y a une décision à prendre [23]. Et ajouter : et à mettre en œuvre… Nous le confirmerons dans l’analyse du processus.

De nombreux débats ont eu lieu dans la communauté des prospectivistes pour savoir si la prospective territoriale était différente de la prospective d’entreprise, de la prospective industrielle ou technologique. Ces discussions sont un peu vaines et nous ne souhaitons pas nous y mêler. Mentionnons toutefois qu’un des meilleurs spécialistes de la prospective territoriale française, Guy Loinger (1943-2012) définissait celle-ci comme l’activité qui a pour objet l’expression de représentations alternatives des devenirs possibles et souhaitables d’un territoire, en vue de l’élaboration de projets de territoires et de politiques publiques locales et régionales [24]. Comme le directeur de l’Observatoire interrégional de la Prospective régionale (OIPR) l’indiquait avec raison, cette définition met clairement en avant le fait que la prospective constitue une réflexion stratégique en amont des processus décisionnels. Elle doit pouvoir déboucher sur une opérationnalisation de l’intervention de la collectivité sur le territoire. Les expériences concrètes de ce type ont été menées par l’Institut Destrée depuis vingt ans, au-delà même de celles pilotées au niveau régional wallon. Pour citer quelques exemples, on peut mentionner Luxembourg 2010, Pays de Herve au Futur, Charleroi 2020, la Communauté urbaine de Dunkerque, Wallonie picarde 2025, Côtes d’Armor 2020, Vision d’aménagement du Pays basque, Schéma d’Aménagement durable de la Région Picardie, Normandie 2020+, Région de Midi-Pyrénées, Région Lorraine, Bassin Cœur du Hainaut 2025, Schéma de développement régional de la Grande Région, etc. Autant de chantiers prospectifs territoriaux menés seuls ou en partenariat, et auxquels toute une conférence pourrait être consacrée à les décrire les uns après les autres.

Activité, attitude, démarche, processus, méthode, technique, outil, peut-être se perd-on à définir l’objet que constitue la prospective ? Lors d’une conférence qu’il donnait à Namur en 2009, Pierre Gonod (1925-2009), expert en analyse des systèmes complexes, qualifiait la prospective d’heuristique, processus de rationalité et source potentielle de créativité, véritable machine à se poser des questions [25].

Rappelons, s’il en est besoin, que l’heuristique est la partie de la science qui a pour objet la découverte des faits, et donc des sources, des documents qui fondent ces faits, la dernière partie de cette définition rappelant, selon le vocabulaire philosophique d’André Lalande (1867-1963), le métier des historiens [26]. J’y vois pourtant une nécessité pour toutes les disciplines et démarches, scientifiques ou non. Cette référence à la science est d’ailleurs difficile à appliquer à l’ensemble des préoccupations de toute discipline, mais peut plus sûrement qualifier leurs processus et démarches. En fait, l’heuristique est comme une poupée gigogne. Elle vise à repérer de manière aussi exhaustive que possible toute la documentation pertinente sur un sujet, mais aussi, au-delà de la collecte, la critique serrée des sources. Comme le rappelait Claude-Pierre Vincent, on y trouve aussi les ingrédients de la création, de l’intuition, de la créativité et de la stratégie d’innovation. Ainsi, ce sociologue et psychologue en donne-t-il une  large définition : tous les outils intellectuels, tous les processus, tous les procédés, mais aussi toutes les démarches favorisant “L’art de découvrir”, mais aussi toutes les approches destinées à favoriser “l’invention dans les sciences” [27]. Notons également que le mathématicien américain George Pólya (1887-1985) observe que l’heuristique, s’occupant de la solution des problèmes, une de ses tâches spécifiques est de formuler en termes généraux des raisons pour choisir les sujets dont l’examen pourrait nous aider à parvenir à la solution [28].

Bien poser la question est en effet au centre de toute démarche scientifique, mais aussi de prospective. C’est pour cela que la phase de définition des enjeux de long terme y est tellement importante.

 

2. Un processus opérationnel et robuste

Le changement constitue la finalité du processus prospectif. Non pas, bien entendu, le changement pour le changement à tout moment, comme le dénonçait Peter Bishop dans ses cours [29], mais celui qui permet de répondre aux enjeux de long terme et d’atteindre la vision désirée à l’horizon choisi. Gaston Berger se référait déjà aux travaux du psychologue américain d’origine allemande Kurt Lewin (1890-1947) qui a élaboré un modèle de conduite du changement en trois phases dont la principale se dénomme transition : celle pendant laquelle les comportements et attitudes deviennent instables et contradictoires et où les acteurs en expérimentent et en adoptent certaines [30]. S’inspirant de cette pensée et d’autres modèles de transformation, nous avons construit avec des collègues prospectivistes un modèle de processus prospectif en sept étapes comprenant trois phases [31] :

Phase de mûrissement et de préparation (Définition des objectifs, positionnements temporel et spatial, pilotage, programmation, budget, communication, etc.).

 Phase prospective

  1. Identification (acteurs et facteurs) et diagnostic prospectif.
  2. Définition des enjeux de long terme.
  3. Construction de la vision commune.

 Phase stratégique

  1. Désignation des axes stratégiques.
  2. Mesure et choix des actions concrètes.
  3. Pilotage et suivi de la mise en œuvre.
  4. Évaluation du processus et des produits de l’exercice.

Tout au long de son parcours, le processus est nourri, d’une part, de manière interne par l’intelligence collective et, d’autre part, par la veille exercée vers l’extérieur pour être à l’affut des émergences qui ne manquent pas de se manifester. Le cheminement constitue un processus d’apprentissage sociétal permettant de collecter, de décoder, mais surtout de consolider les informations en faisant appel à des experts et en les confrontant par la délibération. L’objectif de l’exercice est de coconstruire une connaissance solide qui, partagée, servira de base de l’expression des possibles, des souhaitables, ainsi que de la stratégie.

Au fil des ans, les processus de participation s’approfondissent pour que les parties prenantes en soient vraiment et que l’implication des acteurs ne soit plus seulement conçue comme des mécanismes de consultation ou de concertation, mais comme de vraies dynamiques de co-conception, co-construction, voire de co-décision [32].

 

3. Vaincre les cinq cavaliers de l’Apocalypse

Le dessin de presse de Bill Bramhall’s, Les cinq cavaliers de l’Apocalypse, en éditorial du New York Daily News du 16 août 2021 illustre parfaitement notre propos sur la nécessité d’une heuristique formelle. Aux côtés de la guerre, de la famine, de la peste et de la mort, un cinquième cavalier chemine. La mort lui demande qui il est. Le cavalier répond, tablette ou mobile multifonction à la main : désinformation. Conçue alors que celle-ci faisait des ravages durant la pandémie de Coronavirus et en plein trumpisme, cette image continue de s’imposer. Sur beaucoup d’autres thématiques d’ailleurs que la pandémie.

Invité lors d’un de mes cours de prospective et roadmaps à l’École nationale d’Ingénieurs de Tunis, Piero Dominici, professeur à l’Université de Perugia et membre  de la World Science Academy, y évoquait les cinq illusions de la civilisation hyper-technologique : l’illusion de la rationalité, l’illusion du contrôle total, celle de la prévisibilité, celle de la mesurabilité et, enfin, l’illusion de pouvoir éliminer l’erreur de nos systèmes sociaux et de nos vies [33]. Ces différentes certitudes ont été bousculées lors du beau canular lancé par le très sérieux vulgarisateur scientifique français Étienne Klein, le 31 juillet 2022. Sur Twitter, le célèbre physicien et philosophe des sciences a illustré une description personnelle de l’étoile Proxima du Centaure, annoncée comme l’étoile la plus proche du Soleil, située à 4,2 années-lumière de nous (ce qui semble exact) et annoncée comme prise par le télescope James Webb (JWST), lancé quelques mois plus tôt. Devant l’engouement et le risque réel d’emballement médiatique autour de cette information,  Étienne Klein a annoncé que la photo publiée était en fait celle d’une tranche de chorizo prise sur fond noir. Ainsi, en diffusant cette image, l’ancien directeur de recherche au Commissariat à l’Énergie atomique avait-il voulu inciter à la prudence face à la diffusion d’images sur les réseaux sociaux sans imaginer que l’absence de critique rendrait son message viral. Il faut également mentionner qu’une petite recherche montre qu’Étienne Klein avait lui-même repris un tweet de l’astrophysicien Peter Coles de l’Université de Cardiff, daté de la veille et qui n’avait pas eu un effet de même ampleur sur les réseaux sociaux. La photo originale du chorizo est d’ailleurs plus ancienne puisqu’elle avait été postée le 27 juillet 2018 par un certain Jan Castenmiller, retraité néerlandais disant vivre à Vélez-Málaga, en Andalousie, présentant une soi-disant éclipse de lune. En fait, trois éléments peuvent expliquer l’emballement autour de cette rondelle de charcuterie : la plus grande qualité de l’image, légèrement retouchée, le contexte d’enthousiasme autour des performances du nouveau télescope et, surtout, la grande légitimité du diffuseur de l’image [34].

Cette nécessaire traçabilité des sources est essentielle à la qualité et à la fiabilité de l’information. Elle est pourtant mise à mal. Non seulement par les progrès techniques, notamment dans le domaine du numérique et de l’IA, qui permettent de transformer le texte, l’image et la voix, mais aussi par une forme d’affaissement de la norme de la part des chercheurs eux-mêmes. Ainsi, en est-il de l’utilisation de plus en plus courante du mode de référencement des sources particulièrement indigent, dit d’Harvard, et de l’habitude de remplir les textes scientifiques de mentions vagues du style (Destatte, 1997) renvoyant ici à un ouvrage de 475 pages, quand ce n’est pas – excusez le rapprochement – (Hobbes, 1993), vous condamnant à chercher la preuve de ce qui est avancé dans les 780 pages de la troisième édition Sirey de l’œuvre du philosophe anglais comme j’ai dû le faire récemment… En fait, comme le rappelait simplement Marc Bloch (1886-1944), indiquer la provenance d’un document équivaut sans plus à se soumettre à une règle universelle de probité [35].

Mais il y a plus : c’est cette traçabilité même de la pensée qui est mise en cause. Ainsi, dans un magazine économique récent, pourtant généralement jugé sérieux, un chroniqueur estimait que les notes de bas de page constituaient un enfer : baliser la compréhension d’un texte, c’est compromettre son appréhension par le lecteur, affirmait-il, estimant que si les jeunes se tournaient vers des textes de slam, de hip-hop ou de rap, c’est parce que, au moins ceux-ci ne comportent pas de notes de bas de page [36]. Plus grave encore, dans une histoire des notes de bas de page affichée sur le site prospective.fr, on peut lire depuis octobre 2022 :

Fastidieuse à lire autant que pénible à produire, celle-ci devient vite le cauchemar des lecteurs et des thésards. Pour le dramaturge britannique Noël Coward [37], “Lire une note en bas de page revient à descendre pour répondre à la porte alors qu’on est en train de faire l’amour.”

 Élément du paratexte, la note a tout du parasite. Pourtant tout avait bien commencé. Ce fut d’abord une histoire d’historiens. La note venait répondre à un besoin à mesure que l’histoire gagnait en scientificité : la nécessité de citer clairement ses sources et l’importance croissante accordée aux preuves pour étayer chaque thèse [38].

Qualifier les notes d’ennuyeuses ou de superflues ne renforcera certainement pas les qualités heuristiques de nos prospectivistes, chercheurs, étudiants et élèves. François Guizot (1787-1874), un de ces premiers scientifiques à généraliser l’emploi des notes aurait qualifié de légèreté déplorable la manière de voir des susmentionnés. L’ancien chef du gouvernement sous Louis-Philippe et néanmoins historien se plaignait de voir trop d’esprits prévenus se contenter de quelques documents en appui de leurs thèses plutôt que de poursuivre la recherche jusqu’à établir la réalité des faits [39]. Ainsi soulignait-il le danger auquel sont confrontés les enseignants, les chercheurs et les “intellectuels”, la difficulté qu’ils ont à parler ou à écrire de manière neutre, objective et dépassionnée, avec la distance que l’on attend du rôle ou de la profession de celui qui exprime son opinion et à s’approcher de la vérité, voire à dire la vérité.

La recherche contemporaine nous adresse au moins deux messages. D’une part, celui de la rigueur qui consiste d’abord à savoir de quoi on parle, quel est le problème, ce que l’on cherche. Ce positionnement nécessite non seulement une culture générale, une expérience, mais aussi un apprentissage sur le sujet. C’est une phase de tout processus de recherche, mais aussi de participation à une consultation ou à un processus délibératif, y compris prospectif. Le deuxième message nous renvoie à la relativité, à l’objectivité face au sujet ainsi qu’à l’interprétation de l’expérience. Si la passion qui souvent motive positivement le chercheur peut aussi en être son ennemi intérieur, comment en préserver le citoyen, l’acteur, la partie prenante qui participent à un processus de recherche et d’innovation ?

Avant tout autre, probablement, Aristote nous rappelait au IVe siècle ANC que convaincre par la rhétorique, les techniques oratoires, n’est pas démontrer par des techniques persuasives (induction, syllogismes et autres enthymèmes). La pratique scientifique consiste à prouver, c’est-à-dire établir la preuve de ce qu’on avance, ce qui est tout différent de la rhétorique ou de la dialectique [40]. Dans le monde de la prospective, mais pas seulement, nous avons toujours plaidé pour rechercher un équilibre entre les pôles factuel (recueil des données), interactif (délibération) et conceptuel (fondant les concepts structurants), dans la logique de la méthode créatrice valorisée par Thierry Gaudin, ancien directeur de la prospective et de l’évaluation au ministère français de la Recherche [41]. Cet équilibre peut être recherché sur base des efforts et investissements en temps et en moyens réalisés dans les trois approches d’une problématique ou d’un enjeu.

Bien avant nos penseurs de la Renaissance, l’érudit nord-africain Ibn Khaldûn (1332-1406) appelait à combattre le démon du mensonge avec la lumière de la raison. Il sollicitait la critique pour trier le bon grain de l’ivraie et en appelait à la science pour polir la vérité pour la critique [42]. La rigueur de l’analyse est ici le maître-mot. Rigueur du qualitatif autant que du quantitatif. Dans les sciences, même sociales, rigueur logique et rigueur empirique se combinent pour interpréter, comprendre, expliquer [43]. Partout, la vérification de la qualité des données est essentielle : régularité des mesures, stabilité des séries, permanence de la mesure sur toute la durée analysée, existence d’une réelle variation périodique, etc. [44]

La chercheuse ou le chercheur qui prend le chemin de la prospective devra être comme le philosophe décrit par le grammairien et philosophe César Chesneau Dumarsais (1676-1756) qui a écrit cette définition dans l’Encyclopédie de 1765, dirigée par Denis Diderot, Jean Le Rond d’Alembert et Louis de Jaucourt :

La vérité n’est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, et qu’il croie trouver partout ; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l’apercevoir, il ne la confond point avec la vraisemblance ; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblable ce qui n’est que vraisemblable. Il fait plus, et c’est ici une grande perfection du philosophe, c’est que lorsqu’il n’a point de motif propre pour juger, il sait demeurer indéterminé [45].

La prudence et la rigueur dans l’heuristique ne sauraient toutefois déboucher sur l’objectivisme. Distinguer le vrai du faux est absolument indispensable. Se tenir éloigné du monde et s’abstenir d’y intervenir n’est certes ni la pratique des intellectuels [46], ni celles des prospectivistes qui sont avant tout, rappelons-le, des femmes et des hommes de réflexion et d’action.

 

Conclusion : le courage intellectuel

La recherche du vrai, la distanciation et l’autonomie de pensée [47] ne valent que si elles sont accompagnées du courage de dire le vrai. On connaît tous les magnifiques paroles du député de la SFIO Jean Jaurès (1859-1914) dans son discours à la jeunesse, prononcé à Albi en 1903 :

Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques [48].

On connaît beaucoup moins la communication faite par Raymond Aron (1905-1983) devant la Société française de philosophie en juin 1939, deux mois à peine avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale… L’historien et sociologue français rappelait l’importance des qualités de discipline, de compétences techniques, mais aussi de courage intellectuel afin de tout remettre en question et dégager les problèmes dont dépendait l’existence même de son pays. Avec lucidité, Aron annonçait que la crise serait longue et profonde :

Quels que soient les événements immédiats, nous n’en sortirons pas à bon compte. L’aventure dans laquelle la France et les pays d’Europe sont engagés ne comporte pas d’issue immédiate et miraculeuse. Dès lors, je pense que les professeurs que nous sommes sont susceptibles de jouer un petit rôle dans cet effort pour sauver les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Au lieu de crier avec les partis, nous pourrions nous efforcer de définir, avec le maximum de bonne foi, les problèmes qui sont posés et les moyens de les résoudre [49].

 Sans même évoquer l’idée que chercheurs, enseignants, intellectuels, nous serions des privilégiés par les possibilités intellectuelles et matérielles qui nous sont données [50], il n’en reste pas moins que notre responsabilité est grande à l’égard de la société. L’exerçons-nous à la hauteur du devoir qui est le nôtre et de l’attente de la société civile ? On ne peut en effet qu’en douter… en Belgique, mais surtout en Wallonie. L’absence d’espace public activé et dynamique de Mouscron à Welkenraedt et de Wavre à Arlon, est un problème réel. Ce n’est pas un vice rédhibitoire.

Alors que le décalage se fait de plus en plus flagrant entre, d’une part, les politiques publiques et collectives qui sont menées depuis l’Europe jusqu’au local et, d’autre part, les nécessités fondées par les enjeux que portent l’anthropocène et la décohésion humaine, il est grand temps de porter à nouveau haut et fort la voix des territoires.

Et, à nouveau, de tout remettre en question.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

Voir aussi : Ph. DESTATTE, “Les opinions partiales altèrent la rectitude du jugement”, Heuristique et critique des sources dans les sciences.

 

[1] Ce texte constitue la mise au net de mon intervention au Congrès des Sciences 2023, tenu à l’Université de Namur (Wallonie) les 23 et 24 août 2023.

[2] Antoine LE BLANC et Olivier MILHAUD, Sortir de nos enfermements ? Parcours géographiques, dans Perrine MICHON et Jean-Robert PITTE, A quoi sert la géographie ?, p. 116, Paris, PuF, 2021.

[3] Pierre BOURDIEU, Science de la science et réflexivité, Cours au Collège de France 2000-2001, p. 173-174, Paris, Raisons d’agir Éditions, 2001. – Pierre BOURDIEU (1930-2002), Réflexivité narcissique et réflexivité scientifique (1993), dans P. BOURDIEU, Retour sur la réflexivité,  p. 58, Paris, EHESS, 2022.

[4] Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER et Anne BARTHELEMI dir., L’accès aux fonctions et l’aménagement des territoires face aux enjeux de notre société, dans Géo, n°85, Arlon, FEGEPRO, 2021. – Florian PONS, Sina SAFADI-KATOUZIAN et Chloë VIDAL, Penser et agir dans l’anthropocène, Quels apports de la prospective territoriale ?, dans Géographie et cultures, n°116, Hiver2020.

[5] La géographie, une clef pour notre futur, Comité national belge de Géographie, 30 mai 2016. https://uclouvain.be/fr/facultes/sc/actualites/la-geographie-une-cle-pour-notre-futur.html – A. LE BLANC et O. MILHAUD, op. cit., p. 117.

[6] L’attitude prospective, dans L’Encyclopédie française, t. XX, Le monde en devenir, 1959, reproduit dans Gaston BERGER, Phénoménologie du temps et prospective, p. 270-275, Paris, PuF, 1964. (1959).

[7] Le philosophe français Maurice Blondel avait développé le concept de prospection qui désignait une pensée orientée vers l’action : la pensée concrète, synthétique, pratique, finaliste, envisageant le complexus total de la solution toujours singulière, où se portent le désir et la volonté, par opposition à la « rétrospection » ou « réflexion analytique » qui est une pensée repliée sur elle-même, spéculative ou scientifique, non dénuée certes d’applications possibles ou de fécondité pratique, mais n’aboutissant qu’indirectement à cette utilité et passant d’abord par la connaissance générique et statique comme par une fin autonome. (…) Maurice BLONDEL, Sur Prospection, dans André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 846, Paris, PuF, 1976.

[8] Jacques LESOURNE, Un homme de notre siècle, De polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, p. 475, Paris, Odile Jacob, 2000.

[9]  En particulier à l’égard de la psychologie sociale : Kurt Lewin, Ronald Lippitt, Jeanne Watson, Bruce Westley. G. BERGER, Phénoménologie du temps et prospective…, p. 271.

[10] Maurice Blondel propose d’appeler Normative la recherche méthodique qui a pour but d’étudier et de procurer la démarche normale grâce à laquelle les êtres réalisent le dessein d’où ils procèdent, le destin où ils tendent. M. BLONDEL, L’être et les êtres, Essai d’ontologie concrète et intégrale, p. 255, Paris, Félix Alcan, 1935.

[11] Russell Lincoln ACKOFF, Méthodes de planification de l’entreprise, Paris, Éditions d’organisation, 1973. – A Concept of Corporate Planning, New York, Wiley, 1969. – M. GODET, Prospective et planification stratégique, p. 31, Paris, Economica, 1985.

[12] Michel GODET, Les régions face au futur, Préface à G. LOINGER dir., La prospective régionale, De chemins en desseins, p. 8, Paris, L’Aube – DATAR, 2004. – Voir aussi : Michel GODET, De la rigueur pour une indiscipline intellectuelle, Assises de la Prospective, Université de Paris-Dauphine, Paris, 8-9 décembre 1999, p. 13,

http://www.laprospective.fr/dyn/francais/articles/presse/indiscipline_intellectuelle.pdf

[13] Michel GODET, Manuel de prospective stratégique, t. 1, Une indiscipline intellectuelle, Paris, Dunod, 1997.

[14] Pierre MASSÉ, De prospective à prospectives, dans Prospectives, Paris, PuF, n°1, Juin 1973, p. 4.

[15] P. MASSÉ, Le Plan ou l’Anti-hasard, coll. Idées, Paris, nrf-Gallimard, 1965.  http://www.laprospective.fr/dyn/francais/memoire/texte_fondamentaux/le-plan-ou-lantihasard-pierre-masse.pdf

[16] P. MASSÉ, De prospective à prospectives…, p. 4.

[17] Jean CHESNEAUX, Habiter le temps, p. 18-19, Paris, Bayard, 1996. – Reinhart KOSSELECK, Le futur passé, Paris, EHESS, 1990.

[18] Fernand BRAUDEL, Histoire et Sciences sociales, La longue durée, dans Annales, 1958, 13-4, p. 725-753. https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1958_num_13_4_2781

[19] Jacques LESOURNE, Les mille sentiers de l’avenir, p. 11-12, Paris, Seghers, 1981.

[20] Voir notamment : Günter CLAR & Philippe DESTATTE, Regional Foresight, Boosting Regional Potential, Mutual Learning Platform Regional Foresight Report, Luxembourg, European Commission, Committee of the Regions and Innovative Regions in Europe Network, 2006. Philippe-Destatte-&-Guenter-Clar_MLP-Foresight-2006-09-25

[21] Ph. DESTATTE et Ph. DURANCE, Les mots-clés de la prospective territoriale, p. 46, Paris, La Documentation française, 2009. Philippe_Destatte_Philippe_Durance_Mots_cles_Prospective_Documentation_francaise_2009

[22] Ph. DESTATTE, Qu’est-ce que la prospective ?, Blog PhD2050, 10 avril 2013. https://phd2050.org/2013/04/10/prospective/

[23] J. LESOURNE, Conclusion, aux Assises de la prospective, Paris, Université Dauphine, 8 décembre 1999.

[24] Guy LOINGER, La prospective territoriale comme expression d’une nouvelle philosophie de l’action collective, dans G. LOINGER dir., La prospective régionale, De chemins en desseins, p. 44-45, Paris, L’Aube – DATAR, 2004.

[25] Pierre GONOD, Conférence faite à la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, Namur, Institut Destrée, 19 mai 2009.

[26] André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 413, Paris, PUF, 1976. Sur l’heuristique, voir aussi : Ph. DESTATTE, Les opinions partiales altèrent la rectitude du jugement, Heuristique et critique des sources dans les sciences, Conférence présentée à la Salle académique de l’Université de Mons, dans le cadre du Réseau EUNICE, le 21 octobre 2021, Blog PhD2050, 1er novembre 2021. https://phd2050.org/2021/11/01/heuristique/

[27] Claude-Pierre VINCENT, Heuristique, création, intuition et stratégies d’innovation, p. 32, Paris, Editions BoD, 2012. – Cette définition est fort proche de celle de l’Encyclopaedia Universalis : Jean-Pierre CHRÉTIEN-GONI, Heuristique, dans Encyclopædia Universalis, consulté le 6 mars 2023. https://www.universalis.fr/encyclopedie/heuristique/

[28] George PóLYA, L’Heuristique est-elle un sujet d’étude raisonnable ?, dans Travail et Méthodes, p. 279, Paris, Sciences et Industrie, 1958.

[29] Pour une idée des travaux de Peter Bishop, voir : P. BISHOP & Andy HINES, Teaching about the Future, New York, Palgrave-MacMillan, 2012.

[30] Kurt LEWIN, Field Theory in Social Science, Harper Collins, 1951. – Psychologie dynamique, Les relations humaines, Paris, PuF, 1972.

[31] Ph. DESTATTE, La construction d’un modèle de processus prospectif, dans Philippe DURANCE & Régine MONTI dir., La prospective stratégique en action, Bilan et perspectives d’une indiscipline intellectuelle, p. 301-331, Paris, Odile Jacob, 2014.

[32] Ph. DESTATTE, La coconstruction, corollaire de la subsidiarité en développement territorial, Hour-en-Famenne, Blog PhD2050, 3 août 2023, https://phd2050.org/2023/08/03/la-coconstruction-corollaire-de-la-subsidiarite-en-developpement-territorial/ – Ph. DESTATTE, Citizens’ Engagement Approaches and Methods in R&I Foresight, Brussels, European Commission, Directorate-General for Research and Innovation, Horizon Europe Policy Support Facility, 2023.

https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/d5916d5f-1562-11ee-806b-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-288573394

[33] Piero DOMINICI, Managing Complexity ? Tunis, ENIT, 15 avril 2022.

[34] André GUNTHERT, Ce que montre le chorizo, dans L’image sociale, 17 novembre 2022. https://imagesociale.fr/10853 – André Gunthert est maître de conférences à l’École des Hautes Études en Sciences sociales à Paris, où il occupe la chaire d’histoire visuelle.

[35] Marc BLOCH, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien (1942), dans Marc BLOCH, L’histoire, la Guerre, la Résistance, coll. Quarto,  p. 911, Paris, Gallimard, 2006.

[36] Paul VACCA, L’enfer des notes de bas de page, dans Trends-Tendances, 2 mars 2023, p. 18.

[37] Sir Noël Peirce COWARD (1899-1973) Britannica, The Editors of Encyclopaedia. Noël Coward, Encyclopedia Britannica, 15 Sep. 2023, https://www.britannica.com/biography/Noel-Coward. Accessed 5 October 2023

[38] Histoire des notes de bas de page, Actualité prospective, 1er octobre 2022.

https://www.prospective.fr/histoire-des-notes-de-bas-de-page/

[39] François GUIZOT, Histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe, (1820), p. 2, Paris, Didier, 1851.

[40] ARISTOTE, d’après Rhétorique, LI, 2, 1355sv, dans Œuvres, coll. La Pléiade, p. 706 sv, Paris, Gallimard, 2014.

[41] Thierry GAUDIN, Discours de la méthode créatrice, Gordes, Ose Savoir – Le Relié, 2003.

[42] IBN KHALDÛN, Al-Muqaddima, Discours sur l’histoire universelle, p. 6, Arles, Acte Sud, 1997.

[43] Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN, La rigueur du qualitatif, Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, p. 8, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2008.

[44] Daniel CAUMONT & Silvester IVANAJ, Analyse des données, p. 244, Paris, Dunod, 2017.

[45] César CHESNEAU DU MARSAIS, Le philosophe, dans  Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers…, t. XII, p. 509, Neufchâtel, 1765. http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v12-1254-0/

[46] Gérard NOIRIEL, Dire la vérité au pouvoir, Les intellectuels en question, Paris, Agone, 2010.

[47] Sans une plus grande distanciation et une plus grande autonomie de pensée, (les chercheurs) peuvent-ils espérer mettre au service de leur prochain des instruments de pensée plus adaptés, des modèles plus conformes à la réalité que ceux dont on a, par tradition, coutume d’user, qui se transmettent sans réflexion de génération en génération, ou encore que ceux développés au hasard dans l’ardeur du combat ? Norbert ELIAS, Engagement et distanciation, Contribution à la sociologie de la connaissance (1983), p. 27-28, Paris, Fayard, 1993.

[48] Jean JAURES, Discours à la Jeunesse, Albi, 31 juillet 1903, dans J. JAURES, Discours et conférences, coll. Champs classiques, p. 168, Paris, Flammarion, 2014.

[49] Raymond ARON, Communication devant la Société française de philosophie, 17 juin 1939, dans R. ARON, Croire en la démocratie, 1933-1944, p. 102, Paris, Arthème Fayard – Pluriel, 2017.

[50] Noam CHOMSKY, De la responsabilité des intellectuels, p. 149, Paris, Agone, 2023. – Noam CHOMSKY, The Responsability of Intellectuels, New York, The New York Press, 2017.

Namur, Assemblée générale de l’Institut Destrée,  le 28 juin 2022

Depuis plus de trente ans, lorsqu’on m’interroge sur ma profession, je réponds généralement que je suis chercheur. Chercheur à l’Institut Destrée, un centre de recherche indépendant en développement régional. Chercheur, historien, prospectiviste, enseignant…

 

Comment devient-on chercheur ?

Comment devient-on chercheur ? Certainement par des errances et des fulgurances. Des écoutes et des lectures. Même si, personnellement, j’ai toujours été plus prompt à lire qu’à écouter. Ceux qui m’ont marqué en face à face et assurément façonné s’appellent Jules Boulard, Maurice Devaux et Albert Teygeman à l’Athénée de Châtelet, Robert Demoulin, Étienne Hélin, Charles Hyart, Pierre Lebrun, et aussi Georges Duby lors de son séjour à l’Université de Liège. Ils m’ont transmis à la fois la curiosité, l’exigence et la passion, car ils étaient curieux, exigeants et passionnés. Je n’oublie pas non plus René Van Santbergen, Francine Faite et Minna Azjenberg qui, parallèlement à la recherche, m’ont si bien coaché sur les voies d’un certain type d’enseignement dont le virus ne m’en a jamais quitté.

Mais mon chemin heuristique et méthodologique doit surtout aux grands classiques de la critique historique de Léon-E Halkin [1], de la philosophie critique de l’histoire de Raymond Aron [2], des méthodes des sciences sociales de Madeleine Grawitz [3], dont j’ai acquis en 1975 les trois maîtres ouvrages, et aussi, près de dix ans plus tard, de la théorie générale du système social d’Henri Janne [4] et de la synthèse écologique de Paul Duvigneaud [5]. Tous les cinq sont toujours restés à portée de main.

Les fulgurances ont été nombreuses, mais trois m’ont marquées davantage : Hervé Hasquin en 1981, Dominique Schnapper au début des années 1990 et Jacques Lesourne dix ans plus tard.

1. Je l’ai souvent rappelé : je dois à Hervé Hasquin ma découverte de l’Institut Destrée. Lors d’une conférence à l’Association des Historiens de l’Université de Liège, à laquelle j’assistais le 27 novembre 1980, il mit en application, de manière brillante, l’appareil critique des historiens, en démontant le modèle d’une histoire finaliste de la Belgique. Celle-ci n’était autre que celle qui m’avait été encore enseignée à l’Université, à côté bien sûr, de l’histoire de la Principauté de Liège. En faisant immédiatement l’acquisition des volumes La Wallonie le Pays et les Hommes, j’ai découvert, d’une part, l’histoire de la Wallonie et son caractère underground, et d’autre part, que certains de mes professeurs, comme Léon-E Halkin, Robert Demoulin, Jacques Stiennon ou Étienne Hélin en étaient également des pionniers.Lors de sa conférence, puis dans l’échange que j’ai ensuite eu avec le professeur de l’ULB, Hervé Hasquin avait largement évoqué l’Institut Destrée, dont je n’avais alors jamais entendu parler. Ainsi, je découvre l’institution à l’origine du premier cours d’histoire de la Wallonie que donne précisément Hervé Hasquin à Bruxelles. Quelques mois plus tard, je reçois l’ouvrage Historiographie et Politique, dont le futur recteur avait déjà largement évoqué le contenu lors de son exposé.  Mieux, au sortir de cette conférence, j’adhère à l’Institut Destrée puis en parle à ma collègue historienne à l’École normale de l’État à Liège (aujourd’hui, Haute École Charlemagne) où j’enseigne. Surprise : France Truffaut, fille de l’auteur de l’État fédéral en Belgique (1938), était également membre de l’Institut Destrée et fort proche du président Jacques Hoyaux. France me fait rejoindre la section de Liège de l’Institut Destrée dont je deviens vite – prérogative du jeune intellectuel fraîchement arrivé, secrétaire d’un président haut en couleur, Dieudonné Boverie [6]. Dès le 15 mars 1981, je participe à l’Assemblée générale de l’Institut Destrée à Hôtel de Ville de Charleroi. De même, le 21 mars 1982, selon mes agendas de l’époque. Mes interventions ne sont pas toujours bien comprises dans une association où je viens chercher “du Hasquin” et où je trouve souvent “du Charles-François Becquet” [7], c’est-à-dire de la littérature historique plus militante que professionnelle. J’ai évoqué dans mon introduction à l’Encyclopédie du Mouvement wallon, comment, avec l’appui de France Truffaut, puis plus tard celui de Michèle Libon, à partir l’AG du 13 mars 1983, nous avons ouvert un chemin vers ce qui deviendra, au sein de l’Institut Destrée, le Centre interuniversitaire d’Histoire de la Wallonie et du Mouvement wallon dont Paul Delforge fut le premier chercheur recruté [8]. Comme administrateur de l’Institut Destrée, puis directeur des travaux, donc des éditions, j’ai dû mener pendant de longs mois un combat difficile pour refuser la publication du troisième tome de Le Différend wallo-flamand de Becquet, en trouvant d’ailleurs en Christiane Hoyaux, historienne, un soutien dont je ne disposais pas chez Jacques Hoyaux, ni d’ailleurs chez mon prédécesseur, Guy Galand.

Faut-il dire que Hervé Hasquin est resté pour moi une référence professionnelle comme historien, et un soutien plus qu’intellectuel ? Nous avons toujours gardé d’ailleurs, ce que j’appellerais une “connivence distante”, avec quelques complicités… et beaucoup de respect de ma part.

2. J’ai entendu la voix claire de Dominique Schnapper, sur France Culture, au tournant des années 1990, peut-être à l’époque de la sortie de son livre sur La France de l’intégration dans lequel la sociologue française revenait et développait, en les nuançant très fortement, sur les deux types-idéaux, les deux conceptions traditionnelles de la Nation, française et allemande afin, ensuite d’ajouter aux définitions historiques et philosophique, une définition sociologique. Ces questions étaient d’ailleurs bien présentes, non seulement dans le débat wallon, mais aussi dans celui de la conférence des communautés de langue française dans lesquelles je m’étais d’emblée investi dès mon arrivée comme directeur de l’Institut Destrée en 1988. Par sa clarté, la directrice d’études à l’École nationale des Hautes Études en Sciences sociales à Paris élargissait un champ de réflexion dans une problématique trop longtemps fermée, même si des conceptions très riches, à la fois fortes et nuancées, avaient également été apportées par un autre sociologue, le professeur Michel Molitor de l’UCL, dans le cadre des travaux La Wallonie au Futur. Les enseignements de Dominique Schnapper sur les questions d’identité et de citoyenneté ont été déterminants dans ma manière d’appréhender ces questions aussi difficiles que brûlantes. Peu d’amis savent d’ailleurs l’ampleur du débat qui me fit plier pour nommer mon livre de 1997 L’Identité wallonne, Essai sur l’affirmation politique de la Wallonie aux XIXe et XXe siècles plutôt que La Citoyenneté wallonne, avec le même sous-titre.

La fulgurance en fait, est venue du livre de Dominique Schnapper consacré à La Communauté des citoyens, Sur l’idée moderne de nation [9], dans lequel la sociologue montre avec force comment les approches ethniques peuvent être transcendées par la citoyenneté tout en montrant le risque pour nos démocraties de redevenir des groupes humains unis par un sentiment de communauté historique et d’identité collective et non plus par la volonté proprement civique de participer à une vie politique commune, en dépassant les enracinements particuliers. J’ai abondamment puisé mon inspiration dans ce travail [10] ainsi que dans les suivants : Qu’est-ce que la citoyenneté ? [11] et L’esprit démocratique des lois [12]. Ces travaux ont aussi constitué autant de passerelles vers ceux de son collègue historien, plus médiatisé, Pierre Rosanvallon…. Il m’a été donné d’échanger avec Madame Schnapper, après son départ du Conseil constitutionnel, de la rencontrer dans son bureau de l’EHSS à Paris, de l’inviter et l’accueillir à Namur le 17 novembre 2015, jour où la fille de Raymond Aron a fait une mémorable conférence à la tribune du Parlement de Wallonie, à l’initiative de l’Institut Destrée.

3. C’est à l’Université Paris-Dauphine, Salle Raymond Aron précisément, que j’ai entendu puis rencontré Jacques Lesourne. S’y tenaient, les 8 et 9 décembre 1999 les Assises de la Prospective, à l’initiative de Futuribles International et du laboratoire LESOD de cette université. Jacques Lesourne, polytechnicien et économiste, est alors professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers et président de Futuribles International. Son discours sur la prospective est robuste, exigeant, structuré. Lorsque je me présente à lui pour la première fois, la réponse de ce disciple de Maurice Allais est immédiate : la prospective a besoin d’historiens : leur rigueur dans la recherche et l’analyse des sources, leur déontologie, leur perception des temporalités les y appellent et il me cite Braudel, Chaunu, Furet.

Je vais, ces années-là, m’inscrire systématiquement à la plupart des formations et conférences qu’il donne et puis le rencontrer plus régulièrement de 2004 à 2012, souvent au côté d’Hugues de Jouvenel, lorsque je rejoins le Conseil d’administration de Futuribles. D’emblée, il me raconte ses expériences de consultant pour la Société d’Économie et de Mathématiques appliquées (SEMA), ses visites dans le Borinage lors des fermetures des charbonnages, ses relations avec la Société générale de Belgique et ses jugements à l’égard de la matrone belge, que j’insérerai d’ailleurs dans La Nouvelle Histoire de Belgique [13]. Ses encouragements dans mon appréhension de la prospective sont constants. Le 27 avril 2000, il me dédicace son ouvrage Un homme de notre siècle [14], en m’adressant tous ses vœux pour la réussite de mes efforts de développement de la prospective wallonne. J’en déduis ainsi qu’une telle dynamique est vue positivement par un maître à penser de la prospective. Son influence sur ma réflexion méthodologique est considérable : il me fait appréhender sérieusement la systémique au travers de son ouvrage Les Systèmes du Destin [15], que j’acquière en 2003 et qui m’ouvrira les portes des systèmes complexes, avec Edgar Morin, Jean-Louis Le Moigne [16]  et, paradoxe, une redécouverte de Jean Ladrière [17], dont Michel Quévit, Gérard Fourez et Riccardo Petrella nous avait tant parlé. Lesourne, c’est aussi l’homme d’Interfuturs, cette opération Overlord de la prospective, qu’il réalisa pour l’OCDE, en complément du Rapport Meadows [18]. Jacques Lesourne, c’est aussi l’auteur de Ces avenirs qui n’ont pas eu lieu [19], qui m’inspirera l’idée de la méthode des bifurcations, un des atouts de terrain de l’Institut Destrée. Le message de Jacques Lesourne reste constamment présent dans ma mémoire. Lorsque j’ai eu l’occasion de l’accueillir à la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective pour une conférence à Gembloux, nous avions non seulement longuement échangé, mais j’avais eu l’occasion de lui poser, à la fin de sa conférence, la question de savoir quelle devait être la plus grande qualité du prospectiviste. Il nous avait répondu comme le fait un chercheur : cette qualité doit être la modestie devant la fragilité des réponses que l’on peut apporter et face à l’ampleur des enjeux qui sont posés.

 

Les trois forces et qualités du chercheur de l’Institut Destrée

Hasquin, Schnapper, Lesourne. On me dira que ces choix sont bien francophones pour le chercheur d’une institution qui se veut européenne et internationale. C’est vrai que d’autres références et affinités auraient pu être évoquées, de Eleonora Barbieri Masini à Rome, Emilio Fontela à Madrid, Paraskevas Carakostas à Athènes, de Peter Bishop à Houston, à Ted Gordon ou Jerome Glenn ou Bill Halal à Washington, Verna Alle à San Francisco, Günter Clar à Stuttgart, Karlheinz Steinmüller à Berlin, etc.  Les trois cités en exergue sont ceux qui ont le plus marqué le chercheur dans ses pratiques comme dans ses contenus. Ils sont aussi, chacune et chacun porteur d’un axe parmi les préoccupations majeures de l’Institut Destrée : l’histoire, l’heuristique [20] et en particulier la critique des sources pour Hervé Hasquin, la citoyenneté, l’identité et la démocratie pour Dominique Schnapper, la prospective, l’analyse des systèmes complexes, la décision et l’auto-organisation pour Jacques Lesourne.  Les trois forces et qualités du chercheur de l’Institut Destrée.

Je pense être resté trop éloigné de ces qualités. Elles restent pour l’avenir, et pour les jeunes chercheuses et chercheurs des qualités à acquérir, des exigences à cultiver, des vigilances à activer entre les membres de l’équipe.

Ainsi, mes collègues ne s’en étonneront pas. Il nous faut sans cesse revenir à la tri-fonctionnalité de la pensée créatrice chère à Thierry Gaudin [21] pour organiser le processus de travail : une recherche des données pertinentes, l’évaluation de leur robustesse, leur traitement, leur critique rigoureuse ; ensuite leur mise en débat en confrontation entre collègues, experts, praticiens, enfin, un effort de conceptualisation qui constitue, par l’imagination bien balisée [22], la véritable plus-value du chercheur, celle qui ouvre les portes de l’innovation. Au cœur de ce système réside évidemment la vérification au sens que lui a donné Gilles-Gaston Granger : l’établissement de la solidité d’un énoncé provisoire concernant le réel, sans toutefois fixer de manière immuable l’essence connaissable des choses et des faits [23]. C’est le professeur Maurits Van Overbeke qui, dans une belle leçon de critique rappelait que, si l’avenir reste ouvert, – ce dont aucun prospectiviste ne doute -, pour l’historiographie aussi “le passé reste ouvert”, tant il est vrai qu’elle répugne au prononcé de verdicts irrévocables [24].

Mais la chercheuse ou le chercheur à l’Institut Destrée n’est pas un chercheur de cantonnement ou de garnison. C’est un corsaire qui doit longtemps chercher ses sujets comme des proies et les conquérir de haute lutte : sur le plan budgétaire d’abord, sur le plan académique ensuite. Lorsqu’il tient son butin, il est rare qu’on ne tente de le lui arracher en lui contestant sa légitimité. Si, si, les exemples sont nombreux, tant en histoire qu’en prospective…

Aussi, le chercheur de l’Institut Destrée est-il un entrepreneur, celui qui prend tous les risques, qui les prend pour lui-même, ou avec son équipe.

 

Avons-nous été à la hauteur de nos chercheuses et de nos chercheurs ?

Dans une Wallonie que nous avons souvent décrite comme économiquement, socialement et surtout culturellement meurtrie, l’Institut Destrée a souvent cherché à construire une voie nouvelle. Pour les autres. Avec des succès relatifs d’ailleurs. Il l’a fait sur le plan local, parfois, territorial et régional souvent, en Wallonie, en France, en Europe. Son action a souvent été plus reconnue à l’international, notamment grâce à l’initiative Millennia2025, portée par Marie-Anne Delahaut, et qui a ouvert nos reconnaissances comme statut consultatif à l’UNESCO et au Conseil économique et social des Nations Unies.

Néanmoins, quand je vois le grand nombre de chercheuses et de chercheurs qui se sont investis si formidablement depuis 1986 : les Pascale Van Doren, les Marie-Anne Delahaut, les Paul Delforge, les Jean-François Potelle, les Michaël Van Cutsem, les Didier Paquot, les Sophie Jaminon, les Marie Dewez, les Coumba Sylla, et tant d’autres, je ne suis pas sûr que l’Institut Destrée, les administrateurs et moi-même, ayons toujours été à la hauteur de ce qu’ils ont donné et donnent encore à ce qui est plus que leur métier. Et quand je dis que je ne suis pas sûr, chacun peut comprendre qu’il s’agit d’un artifice et que je suis sûr que nous n’avons pas été à la hauteur.

Cet esprit timoré, défaitiste, confortable même, que Marc Bloch n’a que trop bien décrit dans L’étrange défaite [25], en parlant d’un autre pays et d’une autre époque, frappait et frappe encore la Wallonie. N’en doutons pas, il a aussi parfois atteint notre institution. Ainsi que je l’ai rappelé récemment, lorsqu’en octobre 1980, le ministre de la Région wallonne Jean-Maurice Dehousse propose de confier à l’Institut Destrée des études et des recherches, le Conseil d’administration ne veut pas répondre positivement, compte tenu de l’emprunt de 5.000.000 de FB alors nécessaire pour payer les chercheurs [26]

Je ne peux non plus m’empêcher de me rappeler les conditions de mon propre engagement à l’Institut Destrée. Quand je dis engagement, je ne veux pas le dire dans le sens de recrutement. Voyant l’institution dans une impasse tant par rapport au nouveau centre de recherche historique, qui allait perdre la plupart de ses chercheuses et chercheurs, que de l’éducation permanente dont l’animatrice était en voie d’exfiltration, que du congrès La Wallonie au futur, programmé pour octobre 1988, officiellement annoncé, sans qu’une équipe puisse en assumer l’organisation, j’ai été amené à proposer de quitter l’enseignement pour assumer cette charge à partir du 1er juin 1988, sur base de mon salaire de professeur du Secondaire. Il faut reconnaître que cela s’est fait dans une forme d’indifférence, les administrateurs qui m’avaient encouragé étant absents lors de ma désignation, aucun contrat ne m’étant proposé – je n’en ai finalement jamais eu -, aucune assurance, aucune stabilité. Mes parents m’ont cru devenu fou, et encore, ils étaient largement dans l’ignorance de la situation. Tout le risque fut pour moi. Peut-on appeler cela l’esprit d’entreprendre dont on souligne tant le déficit ? Jacques Lanotte s’en souviendra à qui je m’étais confié à l’époque, lui-même étant alors très en retrait d’une institution en perdition.

Mon propos n’est pas celui d’un reproche adressé à quiconque. C’est un appel au Conseil d’administration que je viens rejoindre pour que nous prenions, ensemble, les initiatives nécessaires afin que la nouvelle directrice générale et l’équipe puissent, dans les mois et les années qui viennent trouver, un paysage de travail plus serein. Celui-là, j’en suis sûr, ne nuira pas à l’esprit combattif et pionnier de nos chercheuses et chercheurs.

 

Remerciements sincères

 

Philippe Destatte et Philippe Suinen, 28 juin 2022

Au moment où je quitte mes fonctions de directeur général, je veux bien sûr remercier cette équipe de choc, leur dire que je reste à leur écoute et même davantage. Dire aussi au Conseil d’administration, ainsi qu’aux présidents Jean-Pol Demacq, Jacques Brassinne, Philippe Suinen, mais aussi à Micheline Libon et à Bernadette Mérenne, que je les remercie pour la confiance qu’ils ont mise en moi. C’est la même confiance que je placerai en Pascale Van Doren et en son équipe rapprochée, avec Paul Delforge et Didier Paquot, bien sûr.

Jacques Lanotte et Marie-Anne Delahaut ont été mes coaches et confidents pendant toutes ces années. Marie-Anne l’a été à tout instant – parfois tard dans la nuit -, toujours disponible pour suggérer, relire, conseiller, impulser. J’ai souvent retrouvé en elle l’esprit de la Wallonne farouche et déterminée, rebelle aussi souvent, mais tellement profond, qui m’avait fasciné chez Aimée Lemaire lors de nos longues conversations de Nalinnes.

C’est à l’esprit d’indépendance, de résistance, de combattivité et d’intelligence subtile d’Aimée que je voulais confier mes derniers mots de ce jour. En espérant que cette grande Dame vous inspire pour le nouvel avenir que vous avez à construire.

Je vous remercie toutes et tous !

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Léon-E HALKIN, Initiation à la critique historique, coll. Cahiers des Annales, 6, Paris, Armand Colin, 1973.

[2] Raymond ARON, La philosophie critique de l’histoire, Essais sur une théorie allemande de l’histoire, Paris, J. Vrin, 1964. – Dimensions de la conscience historique, Paris, Plon, 2e éd., 1964.

[3] Madeleine GRAWITZ, Méthodes des Sciences sociales, Paris, Dalloz, 2e éd., 1974. – Ibidem, 9e éd., 1993.

[4] Henri JANNE, Le système social, Essai de théorie générale, Bruxelles, Edition de l’Université libre de Bruxelles, 1972. – Voir aussi le travail pionnier : Henri JANNE dir., Europe 2000, General Prospective Studies, The Future is Tomorrow, 17 Prospective Studies, The Hague, Martinus Nijhoff, 1972.

[5] Paul DUVIGNEAUD, La synthèse écologique, Populations, communautés, écosystèmes, biosphère, noosphère, Paris, Doin, 2e éd., 1980.

[6] Paul DELFORGE, Dieudonné Boverie, Site Connaître la Wallonie, Institut Destrée, Mai, 2016. http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/wallons-marquants/dictionnaire/boverie-dieudonne#.YrglvZBBzao

[7] P. DELFORGE, Charles-François Becquet, dans P. DELFORGE, Ph. DESTATTE, M. LIBON, Encyclopédie du Mouvement wallon, t. 1, p. 135-137, Charleroi, Institut Destrée, 2000.

[8] Philippe DESTATTE, L’Encyclopédie du Mouvement wallon (1983-2000), une obstination scientifique, budgétaire, citoyenne, dans P. DELFORGE, Ph. DESTATTE, M. LIBON, Encyclopédie du Mouvement wallon, t. 1, p. 7-9, Charleroi, Institut Destrée, 2000.

[9] Dominique SCHNAPPER, La communauté des citoyens, Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard 1994.- Voir aussi Nation et démocratie, Entretien avec Dominique Schnapper, dans La Nation, La pensée politique, p. 151-165, Paris, Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1995.

[10] Ph. DESTATTE, L’identité wallonne, Essai sur l’affirmation de la Wallonie, XIXe-XXe siècle, p. 28, Charleroi, Institut Destrée, 1997. –  Ph. DESTATTE, Des nations à la nouvelle gouvernance territoriale, dans Marc GERMAIN et Jean-François POTELLE dir., La Wallonie à l’aube du XXIème siècle, Portrait d’un pays et de ses habitants, p. 487-500,Charleroi, Institut Destrée, 2004.

[11] D. SCHNAPPER, avec la collaboration de Christian Bachelier, Qu’est-ce que la citoyenneté ?, Paris, Gallimard, 2000.

[12] D. SCHNAPPER, L’esprit démocratique des lois, Paris, Gallimard, 2014.

[13] Marnix BEYEN et Ph. DESTATTE, Nouvelle Histoire de Belgique, 1970-2000, p. 23 , Bruxelles, Le Cri, 2009.

[14] Jacques LESOURNE, Un homme de notre siècle, De polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, Paris, Odile Jacob, 2000.

[15] Jacques LESOURNE, Les systèmes du destin, Paris, Dalloz, 1976.

[16] Jean-Louis LE MOIGNE, La théorie du système général, Théorie de la modélisation, Paris, Presses universitaire de France, 1984.

[17] Jean LADRIERE, Les enjeux de la rationalité, Le défi de la science et de la technologie aux cultures, Paris, Aubier – Montaigne / Unesco, 1977. Et surtout Système (Epistémologie), dans Encyclopaedia Universalis, vol. 15, p. 686 sv, Paris, 1978.

[18] INTERFUTURS, Face aux futurs, Pour une maîtrise du vraisemblable et une gestion de l’imprévisible, Paris, OCDE, 1979.

[19] Jacques LESOURNE, Ces avenirs qui n’ont pas eu lieu, Paris, Odile Jacob, 2001.

[20] Ph. DESTATTE, Les opinions partiales altèrent la rectitude du jugement, Heuristique et critique des sources dans les sciences, Conférence présentée à la Salle académique de l’Université de Mons, dans le cadre du Réseau EUNICE, le 21 octobre 2021, Blog PhD2050, 1er novembre 2021. https://phd2050.org/2021/11/01/heuristique/

[21] Thierry GAUDIN, Discours de la méthode créatrice, Entretiens avec François L’Yvonnet, Gordes, Ose savoir – Le Relié, Avril 2003.

[22] Philippe DESTATTE, Questionnement de l’histoire et imaginaire politique, l’indispensable prospection, dans La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, p. 308-310, Charleroi, Institut Destrée, 1989. Cette communication, présentée au premier congrès La Wallonie au Futur a aussi été publiée dans Les Cahiers marxistes, février-mars 1988, n°157-158, p. 49-53.

[23] Gilles-Gaston GRANGER, La vérification, p. 299, Paris, Odile Jacob, 1992. – Dans ce domaine, ce sont évidemment les historiens qui excellent, voir la bible : Guy THUILLIER, La pratique de l’histoire, Introduction au métier d’historien, Paris, Economica, 2013, 865 p.

[24] Maurits VAN OVERBEKE, Berchtesgaden : un dîner avec le diable, p. 128, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2021.

[25] Marc BLOCH, L’étrange défaite, Témoignage écrit en 1940, Paris, Gallimard, 1990.

[26] ARCHIVES DE L’INSTITUT DESTREE, Conseils d’administration, Conseil d’administration du 26 octobre 1980 , p. 3.

Mons, 21 octobre 2021

Professeur d’histoire à la Sorbonne depuis 1812, haut fonctionnaire sous la Restauration, François Guizot (1787-1874) effraie le pouvoir par ses idées libérales et est suspendu d’enseignement de 1822 à 1824. C’est pendant cette période qu’il écrit les œuvres historiques majeures que sont l’Histoire de la révolution d’Angleterre, l’Histoire de la civilisation en Europe, l’Histoire de la civilisation en France, travaux qui, à l’époque, le font reconnaître comme l’un des meilleurs historiens de son temps [1]. Esprit scientifique, il est l’un des premiers – notamment après le chanoine liégeois Jean Chapeaville (1551-1617)  [2] – à pratiquer la note en bas de page, c’est-à-dire la référence aux sources, et à développer un apparat critique recourant aux documents de première main [3]. Élu député au début 1830, Guizot devient ministre de l’Intérieur dans le gouvernement issu de la Révolution de Juillet qui a fait de Louis-Philippe le roi des Français. Ministre de l’Instruction publique de 1832 à 1837, puis des Affaires étrangères, il joue un rôle politique de premier plan, allant jusqu’à assumer les fonctions de président du Conseil. Libéral conservateur, opposé au suffrage universel, il chute avec le roi lors de la Révolution de 1848 et revient à ses recherches historiques pour se consacrer à l’écriture jusqu’à la fin de sa vie [4].

 

1. Quelques questions concernant la relation entre un sujet et un objet

En 1820, alors que ses amis politiques sont écartés des affaires de l’État et qu’il enseigne à Paris, des auditeurs de ses cours ont compilé leurs notes en vue de publier ses leçons sur l’Histoire des origines du Gouvernement représentatif en Europe. Ayant retrouvé du temps, le Guizot retiré de la politique commence enfin le travail de révision nécessaire et publie lui-même ses leçons à Paris en 1851, puis très vite à Londres et en anglais, dès l’année suivante. Lors du discours d’ouverture de son cours, le 7 décembre 1820, le professeur aborde d’emblée la relativité des faits historiques. Ceux-ci, note Guizot, s’ils n’acquièrent ou ne perdent rien de leur contenu avec le temps qu’ils traversent, ne vont livrer leur sens que progressivement et les regards qui se porteront sur leur signification révéleront de nouvelles dimensions : l’homme apprend par-là, écrit-il, que, dans l’espace infini ouvert à sa connaissance, tout demeure constamment inépuisable et nouveau pour son intelligence toujours active et toujours bornée [5]. La difficulté dont le professeur fait part à ses étudiants réside au cœur même de l’objectif qu’il assigne à son cours : décrire l’histoire des institutions publiques en Europe à la lecture de ce moment particulier du nouvel ordre politique qui vient d’émerger en 1815. Il s’agit pour Guizot de rattacher ce que nous sommes à ce que nous avons été, et même – magnifique formule -, de renouer enfin la chaîne des temps [6].

François Guizot (1787-1874) – Portrait affiché par Laurent Theis

Le problème qu’observe Guizot, c’est que l’étude des institutions anciennes, en s’appuyant sur les idées et institutions modernes, pour les éclairer ou les juger, a été fort négligée. Et quand, cela a été fait, dénonce-t-il, ce fut avec un dessein si arrêté, que les fruits du travail étaient corrompus d’avance.

Les opinions partiales et conçues avant l’examen des faits ont ce résultat que non seulement elles altèrent la rectitude du jugement, mais encore, qu’elles entraînent, dans les recherches que l’on pourrait appeler matérielles, une légèreté déplorable. Dès qu’un esprit prévenu a recueilli quelques documents et quelques preuves à l’appui de son idée, il s’en contente et s’arrête. D’une part, il voit dans les faits ce qui n’y est point ; de l’autre, quand il croit que ce qu’il tient lui suffit, il ne cherche plus. Or, tel a été parmi nous l’empire des circonstances et des passions qu’elles ont agité l’érudition elle-même. Elle est devenue une arme de parti, un instrument d’attaque ou de défense ; et les faits, impassibles et immuables, ont été invoqués ou repoussés tour à tour, selon l’intérêt ou le sentiment en faveur duquel ils étaient sommés de comparaître, travestis ou mutilés [7].

On voit l’actualité de l’analyse faite par Guizot : la difficulté d’aborder des questions politiques relativement proches dans le temps, mais perçues comme lointaines par l’ampleur du changement des conditions institutionnelles, aussi brutales que celles qui peuvent s’opérer dans une révolution ou un changement profond de régime.

Ce qu’il met en évidence, c’est le péril qui guette l’enseignant, le chercheur, l’intellectuel – je n’ignore pas que je commets un anachronisme en utilisant ce mot en 1820 ou même en 1850. En particulier, Guizot pointe la difficulté de parler ou d’écrire de manière neutre, objective, sans passion, avec le recul qui est attendu de la fonction ou du métier de celui qui s’exprime, et de s’approcher de la vérité, voire de la dire. Les questions de l’analyse des sources, de la déontologie du scientifique, de la logique en tant que conditions de la vérité et de la relation entre un sujet et un objet dont il se saisit [8], de la critique historique sont au cœur de ce travail sur soi. On peut dès lors faire appel aux notions d’heuristique, ici, la recherche des sources sur lesquelles baser sa recherche et, au-delà, son enseignement, qui précède l’herméneutique, c’est-à-dire leur interprétation.

 

2. L’apocalypse cognitive

Dans la leçon qu’il présente à ses étudiants, Guizot met à la fois en évidence le risque de se satisfaire trop rapidement d’une maigre collecte de sources qui viendrait à l’appui d’une hypothèse énoncée préalablement sans vraiment la fonder. L’interprétation erronée des documents fait suite à l’indigence des données face aux ambitions et aux nécessités de la démonstration. La passion et l’engagement fondés sur la légèreté de l’argumentation menacent la qualité de la connaissance, tandis que l’érudition devient un instrument partisan. Combien de fois ne rencontrons-nous pas cette situation dans un monde où, pourtant, l’enseignement – notamment supérieur – se démocratise ?

Guizot, qui, comme ministre, a jadis ressuscité l’Académie des Sciences morales et politiques, verrait aujourd’hui un autre scientifique, membre de l’Académie des Technologies et de l’Académie nationale française de Médecine, lui tendre la main. À peine plus de deux siècles après les déclarations que nous avons mises en exergue, Gérald Bronner constate dans son ouvrage choc Apocalypse cognitive que les vingt premières années du XXIe siècle ont instauré une dérégulation massive du marché des idées. Nous constatons en effet avec le professeur de sociologie à l’Université de Paris que ce marché cognitif est à la fois marqué par la masse cyclopéenne et inédite dans l’histoire de l’humanité des informations disponibles et aussi par le fait que chacun peut y verser sa propre représentation du monde. De surcroît, pour Bronner, cette évolution a affaibli le rôle des gate keepers traditionnels que sont les académiques, les experts, les journalistes, etc., tous ceux qui étaient jadis considérés comme légitimes pour participer au débat public et y exerçaient une salutaire fonction de régulation [9].

C’est un certain pessimisme qui se dégage des analyses de Bronner quant à la capacité qui est la nôtre de faire face à cette situation. Au moins trois raisons y sont invoquées : d’abord, la fameuse “loi de Brandolini” ou principe d’asymétrie des idioties (Brandolini’s Law or Bullshit Asymmetry Principle). Le programmeur italien Alberto Brandolini constatait en 2013 que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure à celle qu’il faut pour les produire [10]. Trouvera-t-on en effet, chacun d’entre nous, le temps, la force et le courage pour faire face au baratinage, aux analyses simplistes, voire aux infox ? Sur les réseaux sociaux, nombreux sont les universitaires qui renoncent.

Dans son beau livre sur Le courage de la nuance, l’essayiste Jean Birnbaum rappelait judicieusement la communication de Raymond Aron (1905-1983) devant la Société française de Philosophie en juin 1939. Face à la montée des périls, le grand intellectuel français appelait ses collègues à mesurer leur engagement : je pense, disait l’auteur de l’Introduction à la philosophie de l’histoire [11], que les professeurs que nous sommes sont susceptibles de jouer un petit rôle dans cet effort pour sauver les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Au lieu de crier avec les partis, nous pourrions nous efforcer de définir, avec le maximum de bonne foi, les problèmes qui sont posés et les moyens de les résoudre [12].

Pour suivre, Bronner fait appel à une grande conscience du milieu du siècle de Guizot : Alexis de Tocqueville (1805-1859). Plus résolument démocratique que son contemporain, l’auteur de La Démocratie en Amérique (1835), y écrit qu’il n’y a, en général, que les conceptions simples qui s’emparent de l’esprit du peuple. Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe [13]. Certains d’entre vous ont peut-être encore en tête cette excellente caricature de Wiley Miller, publiée dans The Intellectualist, en 2015, où l’on voit une foule progressant vers un ravin sur un chemin fléché “Answers simple but wrong” tandis que quelques rares individus se dirigent au loin sur un chemin sinueux après avoir, livre en main, choisi la direction “Complex but right”. Au-delà du sens commun des mots, l’analyse des systèmes complexes, chère à William Ross Ashby (1903-1972), Norbert Wiener (1894-1964), Herbert Simon (1916-2001), Ludwig von Bertalanffy (1901-1972), Jean Ladrière (1921-2007), Edgar Morin, Jean-Louis Le Moigne, Ilya Prigogine (1917-2003) et Isabelle Stengers, – pour ne citer que ceux-là – restent souvent en dehors du champ de connaissance de nos chaires universitaires et donc de nos étudiantes et étudiants.

Enfin, Bronner constate que la voracité de notre cerveau ne nous conduit pas mécaniquement vers les modèles de la science. Même lorsque nous avons un appétit de connaissance, ajoute-t-il, celui-ci peut facilement être détourné par la façon dont est éditorialisé le marché cognitif. Ainsi en est-il, par exemple, de la confusion entre corrélation et causalité, bien illustrée par le slogan nazi “500.000 chômeurs : 400.000 Juifs” [14]. Ce mécanisme semble connaître des résurgences permanentes. Mais il en est d’autres, et dans tous les domaines. Ainsi, en 1978, le parti fasciste français Front national affichait : “Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ![15] Un autre exemple est l’affiche que Nigel Farage a dévoilée à Westminster à la mi-juin 2016, une semaine avant le référendum du BREXIT du 23 juin. L’animateur de radio britannique et leader du Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni – UK Independance Party (UKIP) a utilisé une image avec le slogan : Point de rupture : l’Union européenne nous a tous fait défaut et le sous-titre : nous devons nous libérer de l’UE et reprendre le contrôle de nos frontières. La photographie utilisée était celle de migrants traversant la frontière entre la Croatie et la Slovénie en 2015, avec la seule personne blanche visible sur la photographie masquée par une zone de texte. Nombreux sont ceux qui ont réagi en observant que prétendre que la migration vers le Royaume-Uni ne concerne que les personnes qui ne sont pas blanches revient à colporter le racisme. Cette polémique a poussé Boris Johnson à prendre ses distances avec cette campagne de Nigel Farage [16].

Le fait d’avoir trouvé des exemples particulièrement clivants, pour ne pas dire détestables, pourrait affaiblir l’idée que chacun de nous est susceptible de ne faire, en pure logique, que démontrer ce qui n’est que préjugé. Nous commençons souvent le processus de jugement par une tendance à parvenir à une certaine conclusion. Dans leur livre Noise: A Flaw of Human Judgment (Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter), le Prix Nobel d’Économie Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sinstein donnent un excellent exemple illustrant une perspective de pensée qu’ils appellent biais de conclusion, ou préjugement : le collaborateur de George Lucas dans le développement du scénario du Retour du Jedi, le troisième film de Star Wars lui a proposé de tuer Luke et de laisser la princesse Leia prendre le relais. Lucas a rejeté l’idée, n’étant pas d’accord avec les différents arguments et répondant qu’on ne tue pas les gens comme cela, et enfin qu’il n’aimait pas cette idée et n’y croyait pas.

Star Wars, Le Retour du Jedi (1983)

Comme les auteurs de Noise l’ont observé, en affirmant “ne pas aimer” avant “ne pas croire”, Lucas a laissé sa pensée rapide et intuitive du système 1 suggérer une conclusion [17]. Lorsque nous faisons ce processus, nous allons directement à la conclusion et contournons simplement le processus de collecte et d’intégration d’informations, ou nous mobilisons la pensée du système 2 – engageant une pensée délibérative – pour proposer des arguments qui soutiennent notre préjugé. Dans ce cas, ajoutent le prix Nobel d’économie et ses collègues, les preuves seront sélectives et déformées : en raison du biais de confirmation et du biais de désirabilité, nous aurons tendance à collecter et interpréter les informations de manière sélective pour justifier un jugement auquel nous croyons déjà [18]. Partout où l’on regarde, les préjugés sont évidents, concluent les trois professeurs. Lorsque les gens décident ce qu’ils croient en fonction de ce qu’ils ressentent, le psychologue Paul Slovic, professeur à l’Université de l’Oregon, nomme ce processus heuristique de l’affect [19].

 

3. L’heuristique comme une forme de résistance des esprits éclairés

Comme souvent, aux raisons de désespérer, nous pouvons opposer des raisons de nous réjouir et d’espérer. Celles-ci résident à mon sens dans la force que constitue l’heuristique, les techniques et la ou les méthodes scientifiques.

Par heuristique, on désigne généralement l’ensemble des produits intellectuels, des procédés et des démarches qui favorisent la découverte ou l’invention dans les sciences. Deux dimensions peuvent être distinguées. D’une part, une qualification méthodologique qui désigne les techniques de découvertes qui justifient et légitiment les connaissances et, d’autre part, ce que nous pouvons appeler une heuristique générale. Celle-ci constitue une partie de l’épistémologie, l’étude critique des sciences, [20] et a en charge de décrire et de réfléchir aux conditions générales du progrès de l’activité scientifique [21].

Nous sommes évidemment toutes et tous familiers avec les questions de méthode, ce chemin que l’on emprunte, que l’on entreprend, et qui a vocation à nous conduire et à nous permettre d’atteindre un but donné, de capitaliser un résultat. C’est ce parcours qui, comme scientifiques, comme intellectuels, nous fait vivre l’expérience, que nous appelons expérimentation lorsque nous la provoquons de manière systématique. La recherche scientifique se fonde sur une volonté de cheminer sur ce sentier en combinant de manière interactive l’observation aidée de l’expérimentation et l’analyse du système, permettant l’explication. L’adaptation des pensées aux faits constitue l’observation ; l’adaptation des pensées entre elles, la théorie [22].

En ce sens, la recherche contemporaine nous adresse deux messages. D’une part, celui de la rigueur, d’autre part celui de la relativité, et donc de la modestie. Elles sont à mon sens aussi nécessaires et importantes l’une que l’autre.

 

3.1. Le premier message : celui de la rigueur et de la critique

La rigueur consiste d’abord à savoir de quoi on parle, quel est le problème, ce que l’on cherche. C’est le premier but raisonnable de l’heuristique : formuler en termes généraux des raisons pour choisir des sujets dont l’examen pourra nous aider à parvenir à la solution [23].  On suit bien entendu les traces des mathématiciens, physiciens, logiciens, philosophes, etc. : Pappos d’Alexandrie (IVe s. PNC), René Descartes (1596-1650), Gottfried Wilhelm Leibnitz (1646-1716), Bernhard Bolzano (1781-1848), Ernst Mach ((1838-1916), Jacques Hadamard (1865-1963), George Polya (1887-1985), Jean Hamburger (1909-1992), Morris Kline (1908-1992), etc. Et plus récemment Daniel Kahneman et Shane Frederick. Dans chacune de nos disciplines, nous avons pu en fréquenter l’un ou l’autre, sinon tous. Un mathématicien comme Polya, qui a enseigné à Zurich puis à Stanford, auteur de How to Solve it ? [24], défend l’idée que les sources des inventions sont plus importantes que les inventions elles-mêmes. Cela devrait constituer, affirme-t-il, la devise de toute étudiante ou de tout étudiant qui se prépare à une carrière scientifique. Les démonstrations non motivées, les lemmes qui arrivent on ne sait d’où, les lignes auxiliaires qui tombent du ciel sont abracadabrants et déprimants pour tous les élèves, bons ou médiocres [25]. Pour m’être fait démonter un jour à un examen oral sur le théorème de Bernoulli, je peux en témoigner personnellement…

Ainsi, il existe dans le monde certaines traditions de construction d’un discours critique et intellectuellement robuste, qui n’est d’ailleurs pas européo-centré et ne date pas, contrairement à ce qu’on nous enseigne trop souvent, de la Renaissance ou des Lumières. Enseignant à l’École nationale d’Ingénieurs de Tunis, je découvre chaque jour davantage ce que nous devons – et ce “nous” comprend des chercheurs comme Arnold J. Toynbee ou Joseph Schumpeter – à un savant arabe comme Ibn Khaldoun (1332-1406). Dans son introduction à son œuvre majeure, Muqaddima, le Livre des Exemples, cet économiste, sociologue et historien du XIVe siècle conseillait de procéder à une confrontation entre les récits tels qu’ils lui ont été transmis et les règles et modèles ainsi constitués. En cas d’accord et de conformité, ces récits peuvent être déclarés authentiques, sinon, ils seront tenus pour suspects et écartés [26].

Cet effort heuristique concret a été initié par l’humaniste italien Lorenzo Valla (1407-1457) dont le rôle a été, selon François Dosse, décisif dans la notion de vérité, au point que l’historien et épistémologue de l’Université de Paris a parlé d’un véritable tournant [27]. Valla a remis en question l’authenticité de la Donation de Constantin écrite en 1440. Ce texte, reconnaissant à l’empereur romain Constantin le Grand (272-337) l’octroi d’un vaste territoire et d’un pouvoir spirituel et temporel sur le pape Sylvestre I (règne 314-335), a eu une grande influence sur la politique et les affaires religieuses dans l’Europe médiévale. Lorenzo Valla a clairement démontré que ce document était un faux en analysant la langue de la donation. Il montra que le latin utilisé dans le texte n’était pas celui du IVe siècle et affirma ainsi que le document ne pouvait pas dater de l’époque de Constantin [28].

La méthode critique va trouver ses gardiens du Temple en Charles-Victor Langlois (1863-1929) et Charles Seignobos (1854-1942), qui vont constituer le rempart contre ce qu’ils considéraient comme la pente naturelle de l’esprit humain : ne prendre aucune précaution, procéder confusément là où la plus grande attention est indispensable. Là où, écrivaient-ils, tout le monde admet en principe l’utilité de la Critique – avec une majuscule ! -, celle-ci ne passe guère dans la pratique.

C’est que la Critique est contraire à l’allure normale de l’Intelligence. La tendance spontanée de l’homme est d’ajouter foi aux affirmations et de les reproduire, sans même les distinguer nettement de ses propres observations. Dans la vie de tous les jours, n’acceptons-nous pas indifféremment, sans vérification d’aucune sorte des on-dit, des renseignements anonymes et sans garantie, toutes sortes de “documents” de médiocre ou de mauvais aloi ? (…) Tout homme sincère reconnaîtra qu’un violent effort est nécessaire pour secouer l’ignavia critica, cette formule si répandue de la lâcheté intellectuelle ; que cet effort doit être répété, et qu’il s’accompagne souvent d’une véritable souffrance [29].

Souffrance, le mot est lâché… Tout comme pour la beauté, il faut souffrir pour être chercheur. C’est une torture notamment inspirée des travaux de l’historien allemand Leopold von Ranke (1795-1886). Pour atteindre le paradis de la scientificité, elle soumet le document, mais aussi l’étudiant et le professeur à une série d’opérations analytiques composées de la critique interne ou critique d’érudition (restitution, provenance, classement des sources, critique des érudits), puis à la critique interne (interprétation, interne négative, de sincérité et d’exactitude, détermination des faits particuliers) et, enfin, les valorise dans des opérations synthétiques…

En 1961, dans l’ouvrage extraordinaire que constitue L’histoire et ses méthodes, publié sous la direction de Charles Samaran (1879-1982) de l’Institut de France, Robert Marichal (1904-1999) reprenait ce plan de Langlois et Seignobos, en considérant que la critique des textes n’a guère été remise en cause par les tenants de la “Nouvelle Histoire” qui, selon cet archiviste réputé, considèrent que les procédés traditionnels ont gardé leur efficacité. Marichal ajoutait d’ailleurs que les principes dont relève la critique ne diffèrent pas, dans ce qu’ils ont de général, de ceux de toute connaissance humaine, tels qu’on les trouve dans tout traité de logique ou de psychologie [30].

Cinquante ans plus tard, Gérard Noirel, un des spécialistes de l’épistémologie en histoire, rappelle dans l’édition en ligne de l’ouvrage de Langlois et Seignobos, que ceux-ci n’ont pas inventé les règles de la méthode historique, les principes de base étant connus depuis le XVIIe siècle et avaient été codifiés par les historiens allemands au début du XIXe siècle. Le grand mérite de ces deux professeurs à la Sorbonne est certainement, souligne Noiriel, d’avoir écrit qu’il fallait lire les historiens avec les mêmes précautions critiques que lorsqu’on analyse des documents [31].

Les sciences humaines ont été très influencées par le chemin scientiste qu’a emprunté l’histoire à la fin du XIXe siècle.  Comme cette discipline, elles ont ensuite pris quelque distance avec ce préjugé scientiste fondé sur la critique absolue des documents. Dans une introduction intitulée en 2008, L’approximative rigueur de l’anthropologie, Jean-Pierre Olivier de Sardan montrait en fait que le mot n’était qu’un paradoxe apparent ; il met en évidence la fatalité de l’approximation face à la vulnérabilité des biais cognitifs et des dérives idéologiques, mais il renonce à tout abandon à cette quête dans un livre d’ailleurs intitulé La Rigueur du qualitatif [32]. Le professeur à l’École des Hautes Études en Sciences sociales à Paris, mobilise d’ailleurs également son collègue américain Howard Becker, qui, dans Sociological Work: Method and Substance  (Chicago, Adline, 1970) et  Writing for Social Scientists (University of Chicago Press, 1986 & 2007), avait mis en évidence cette tension entre la cohérence de ce que l’on raconte et la conformité aux éléments découverts [33].

Le paradigme scientiste a fait place à d’autres paradigmes, qui ont d’ailleurs marqué l’ensemble des sciences humaines. C’est le cas de l’École des Annales, dont les cahiers, appuyés par le Centre de Recherches historiques de l’École pratique des Hautes Études à Paris, ont pu faire éclairer ces questions de critique historique par un brillant professeur liégeois comme Léon-E. Halkin (1906-1998).

Si elle restait une exigence méthodologique, la méthode critique stricte – au sens du culte idolâtre du document [34] –  a paru s’assouplir au tournant des années 1980. Comme l’avait déjà fait Charles Samaran en 1961, il s’agit désormais de mettre davantage en avant des principes généraux de la méthode [35], voire la déontologie de l’historien. Sur ce plan, et à la suite du directeur éditorial de l’Histoire et ses méthodes, Guy Thuillier (1932-2019) et Jean Tulard appellent à la rescousse le grand Cicéron : la première loi qui s’impose (à lui) est de ne rien oser dire qu’il sache faux, la seconde d’oser dire tout ce qu’il croit vrai [36].

Ainsi, poursuivent-ils, l’honnêteté d’esprit implique le sens critique [37]. Les autres préceptes des auteurs de La méthode en histoire sont ceux que je livre à mes étudiantes et étudiants en rappelant que ces conseils s’appliquent à toutes leurs tâches dans toutes les disciplines, comme dans la vie quotidienne :

  • On ne doit rien affirmer sans qu’il y ait un « document » que l’on ait vérifié personnellement.
  • On doit toujours indiquer le degré de « probabilité » – ou d’incertitude – du document. Il ne faut pas se fier aux apparences, et faire confiance aveuglément aux textes (…)
  • Il faut toujours marquer explicitement les hypothèses qui guident la recherche, et souligner les limites de l’enquête (…)
  • Il faut garder une certaine distance au sujet traité et ne pas confondre, par exemple, biographie et hagiographie (…)
  • On doit se méfier des généralisations hâtives (…)
  • Il faut savoir que rien n’est définitif (…)
  • Il faut savoir bien user de son temps, ne pas trop se presser (…),
  • Il est nécessaire de ne pas s’enfermer dans son cabinet (…). L’expérience de la vie est indispensable (…) [38]

 

 3.2. Le deuxième message est celui de la relativité, et donc de la modestie

C’est une formule forte qui clôture le remarquable travail de Françoise Waquet, directrice de recherche au CNRS : la science, écrit-elle, est humaine – forcément, banalement, profondément [39]. Son enquête, dans les laboratoires, les bibliothèques, les bureaux, parmi les maîtres et les disciples, les livres et les ordinateurs, montre comment s’articulent, autour de l’objectivité, les règles de métier et la – ou les – passions académiques.

Waquet prend en compte les analyses de Lorraine Daston, co-directrice de l’Institut Max Planck d’histoire des Sciences à Berlin. Ces  travaux ont montré une propension à  aspirer à un savoir qui ne porte aucune trace de celui qui sait, un savoir qui ne soit pas marqué par le préjugé ou l’acquis, par l’imagination ou le jugement, par le désir ou l’effort. Dans ce régime d’objectivité, la passion apparait comme l’ennemie intérieure du chercheur [40].

Henri Pirenne l’avait parfaitement exprimé en 1923 lorsqu’il affirmait du chercheur que pour arriver à l’objectivité, à l’impartialité sans lequel il n’est pas de science, il lui faut donc comprimer en lui-même et surmonter ses préjugés les plus chers, ses convictions les plus assises, ses sentiments les plus naturels et les plus respectables [41]. Émile Durkheim ne dit d’ailleurs pas autre chose pour la sociologie, ni d’ailleurs Marcel Mauss pour l’anthropologie, Vidal de la Blache pour la géographie ou même Émile Borel pour les mathématiques. On pourrait, avec Françoise Waquet multiplier les exemples qui débouchent, même dans les sciences dites “dures”  sur une forme d’ascétisme et d’objectivité passionnée [42].

Dans la seconde moitié du vingtième siècle, les fulgurants progrès de la science au sortir de la Guerre mondiale, les interrogations nées de la critique de la modernité n’ont pas laissé les sciences indemnes. Ancien élève de l’École polytechnique, le jésuite François Russo (1909-1998), notait en 1959 que la science tend à poser des problèmes qui se situent au-delà du domaine de la stricte méthode scientifique. Il citait les spéculations d’Albert Einstein (1879-1955), de Georges Lemaître (1894-1966) ou d’autres analyses sur l’univers comme totalité, sur les considérations sur la dégradation de l’énergie dans l’univers, l’évolution biologique, l’origine de la vie, de l’être humain, leur nature, etc., soulignant que les progrès de la science font rebondir ces questions sans les faire disparaître. Ainsi, posait-il aussi, et parallèlement, la question du sens [43].

Faut-il dire que les débats sur ces enjeux se sont développés, de Raymond Aron (1905-1983) à Paul Ricœur (1913-2005), de Karl Polanyi (1886-1964) à Thomas Kuhn (1922-1996), de Karl Popper (1902-1994) à Richard Rorty (1931-2007) et Anthony Giddens, etc. ?

Sur la question de l’objectivité, c’est un des professeurs dont les cours m’ont personnellement le plus marqué, qui, face à la passion, montre le chemin de la lucidité. Dans L’histoire continue, Georges Duby (1919-1996) considère que c’est la stricte morale positiviste qui donne au métier du chercheur sa dignité. En effet, poursuit le médiéviste, l’histoire renonce à la quête illusoire de l’objectivité totale, c’est non par l’effet du flux d’irrationalité qui envahit notre culture, mais c’est surtout parce que la notion de vérité en histoire s’est modifiée. Ainsi, son objet s’est déplacé : elle s’intéresse désormais moins à des faits qu’à des relations…. [44]

 

Conclusion : sentiment, raison et expérience

Revenons à François Guizot, d’où nous sommes partis. Mais cette fois-ci pour conclure.

Dans ce moment Guizot, comme l’a appelé Pierre Rosanvallon, véritable âge d’or de la science politique [45], la leçon était claire : comment, dans la proximité et sous la pression des bouleversements majeurs que cette période connut – Révolution française, Révolution industrielle machiniste, y compris leurs transformations structurelles et systémiques dans les domaines technologiques, politiques, sociaux, culturels, etc., – comment appréhender les événements sous la souveraineté de la raison ?

Même si la plupart des êtres humains ont ressenti, chacun dans leur temps, l’avènement du monde [46], son accroissement, ses accélérations, ses émergences, ses instabilités, notre société semble davantage marquée qu’hier par le flot des informations en tous genres qui nous atteignent, nous interpellent, nous assaillent. Emportés nous-mêmes à grande vitesse sur ce qu’on qualifiait voici quelques décennies déjà, d’autoroutes de l’information, nous apprenons à piloter notre esprit à des vitesses jusqu’ici inconnues, boostés que nous sommes par nos outils numériques. C’est peu de dire en effet que ce sont désormais les microprocesseurs qui rythment nos travaux. Après être passés, lors du confinement, de Teams en Zoom, de Jitsi en Webex ou Google Meet – et en avoir souvent conservé l’habitude, nous savons toutes et tous, que le numérique bat désormais la cadence. Dans les flux de messages, de liens, de SMS qui nous sont adressés, nous nous éduquons tant bien que mal à identifier les pièges des pirates et autres nuisibles numériques. Au-delà de nos outils défensifs, c’est l’expérience qui souvent nous guide.

Nous avons peu de firewalls pour nous défendre contre les démons de l’apocalypse cognitive que nous décrit ou nous promet Gérald Bronner. Nous ne voulons pas de censure du “bien penser” ou de monde javellisé où l’on filtrerait nos connexions et où on passerait nos cerveaux au gel hydro-alcoolique. La meilleure régulation reste à mes yeux celle de notre propre intelligence, pour autant qu’elle reste fondée sur la raison et sur la rigueur du raisonnement.

Celle-ci passe assurément par l’heuristique et les méthodes de la recherche. Dans un discours qu’il prononçait en septembre 1964 à l’occasion de la rentrée solennelle de la Faculté polytechnique de Mons, le professeur et futur recteur Jacques Franeau (+2007) notait qu’il fallait éviter de confondre objectif et subjectif, que, puisque toute société a pour but essentiel de réaliser un cadre qui convienne le mieux à la vie et au bonheur des êtres humains, elle doit, pour y arriver, partir de données sûres et objectives, elle doit connaître avant de choisir son orientation et, ensuite, elle doit construire sur les bases solides que lui donne cette connaissance [47].

Ainsi, avons-nous mis, pour répondre aux inquiétudes, deux réponses en exergue : la rigueur et la critique, d’une part, la relativité et la modestie de l’autre.

Sans tomber dans l’idée de Voltaire selon lequel toute certitude qui n’est pas démonstration mathématique n’est qu’une extrême probabilité [48], l’éducation de ceux qui fréquentent l’enseignement supérieur doit fonder l’exigence tant de la robustesse que de la traçabilité raisonnable de toute information produite. Citer une source, ce n’est pas, quelle que soit la discipline, renvoyer à l’œuvre globale d’un savant, ni même à une de ses productions – numérique ou papier – sans préciser la localisation de l’information. Certains collègues ou étudiants vous renvoient à un livre de 600 pages, sans autre précision, ni d’édition ni de pagination. Vérification impossible. De même, pour reprendre un constat fait jadis tant par le mathématicien et économiste germano-américain Oskar Morgenstern (1902-1977) [49] que par le Français Gilles-Gaston Granger (1920-2016) [50], la question de la validité, de la fiabilité des données ne semble guère intéresser de nombreux chercheurs. Chez ces deux éminents spécialistes de l’épistémologie comparative, c’étaient les économistes qui étaient visés. Mais, n’en doutons pas, beaucoup d’autres chercheurs sont atteints… Je suis certain que ces témoignages résonnent en vous comme ils le font en moi. Former nos étudiants à la rigueur, à la précision et à la critique, c’est assurément contribuer à en faire, au-delà de chercheurs de qualités, des intellectuels conscients, à l’esprit courageux, c’est-à-dire apte à se saisir des contenus les plus difficiles ou les plus farfelus, s’en délivrer, et ne communiquer que sur l’exact et le certain.

La relativité et la modestie sont filles de la conscience de nos faiblesses face au monde et de la difficulté de se saisir du système dans sa totalité. Elles se nourrissent aussi de l’idée, légitime, que les explications des phénomènes ainsi que leur vérité, changent avec les progrès des sciences. On ne saurait nier, rappelle Granger, qu’une vérité newtonienne concernant la trajectoire d’un astre diffère de la vérité einsteinienne se rapportant au même objet [51]. Sans verser dans un scepticisme à l’égard de la connaissance scientifique, il s’agit plutôt de se regarder en face, nous êtres humains, et de prendre conscience de la richesse que constitue notre capacité à articuler sentiment, raison et expérience. À l’heure où les rêves de la cybernétique se transforment en réalités de l’IA générale, nous avons de plus en plus besoin de références humaines et scientifiques pour nous montrer le chemin.

Ainsi, et pour aller vers la fin de cet exposé, je solliciterai l’auteur de La Science expérimentale, Claude Bernard (1813-1878). Dans son discours de réception à l’Académie française, le 27 mai 1869, le grand médecin et physiologiste observait que, dans le développement progressif de l’humanité, la poésie, la philosophie et les sciences expriment les trois phases de notre intelligence, passant successivement par le sentiment, la raison et l’expérience [52].

Néanmoins, souligne Claude Bernard, ce serait une erreur de croire que si on suit les préceptes de la méthode expérimentale, le chercheur – et je dirais l’intellectuel – doive repousser toute conception a priori et faire taire son sentiment pour ne se fonder que sur les résultats de l’expérience. En effet, dit le physiologiste français, les lois qui règlent les manifestations de l’intelligence humaine ne lui permettent pas de procéder autrement qu’en passant toujours et successivement par le sentiment, la raison et l’expérience. Mais, convaincu de l’inutilité de l’esprit réduit à lui-même, il donne à l’expérience (expérimentation) une influence prépondérante et il cherche à se prémunir contre l’impatience de connaître qui nous pousse sans cesse dans l’erreur. C’est donc avec calme et sans précipitation que nous devons marcher à la recherche de la vérité, en s’appuyant sur la raison ou le raisonnement qui nous sert toujours de guide, mais, à chaque moment, nous devons le tempérer et le dompter par l’expérience, sachant que, à notre insu, le sentiment nous fait retourner à l’origine des choses [53].

Si, aujourd’hui, en 2021, les conceptions démocratiques européennes ont fondamentalement évolué depuis Guizot, notamment à la faveur des progrès de l’éducation et en particulier de l’enseignement supérieur, l’heuristique comme outil de découverte des faits reste une préoccupation sensible des chercheur-e-s de toutes les disciplines, mais aussi des citoyennes et citoyens dans un monde numérique. Comme celles réunies dans le réseau EUNICE, les universités européennes, par leur parcours, mais aussi et surtout par leur ambition, constituent sans aucun doute l’une des meilleures réponses à ces préoccupations réelles.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Laurent THEIS, Guizot, La traversée d’un siècle, Paris, CNRS Editions, 2014. – Edition Kindle, Location 1104.

[2] René HOVEN, Jacques STIENNON, Pierre-Marie GASON, Jean Chapeaville (1551-1617) et ses amis. Contribution à l’historiographie liégeoise, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2004 – Paul DELFORGE, Jean Chapeaville (1551-1617), Connaître la Wallonie, Namur,  Décembre 2014. http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/wallons-marquants/dictionnaire/chapeaville-jean#.YWrVvhpBzmE qui avait fasciné, à l’époque, le Professeur Jacques Stiennon.

[3] L. THEIS, op. cit., Location 1149-1150.

[4] Guillaume de BERTHIER DE SAUVIGNY,  François Guizot (1787-1874), dans Encyclopædia Universalis consulté le 13 octobre 2021.https://www.universalis.fr/encyclopedie/francois-guizot/ – Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, Paris, NRF-Gallimard, 1985. – André JARDIN et André-Jean TUDESQ, La France des Notables, L’évolution générale, 1815-1848,  Nouvelle Histoire de la France contemporaine, Paris, Seuil, 1988.

[5] François GUIZOT, Histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe, p. 2, Paris, Didier, 1851. – (…) and man thus learns that in the infinititude of space opened to his knowledge, everything remains constaintly fresh and inexhaustible, in regard to his ever-active and ever-limited intelligence. GUIZOT, History of the Origin of the Representative Government in Europe, p. 2,

[6] Ibidem, p. 5 (EN, p. 3).

[7] Ibidem, p. 6.

[8] Voir sur ces questions le toujours très riche Jean PIAGET dir., Logique et connaissance scientifique, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1967. En particulier, J. PIAGET, L’épistémologie et ses variéts, p. 3sv. – Hervé BARREAU, L’épistémologie, Paris, PuF, 2013.

[9] Gérald BRONNER, Apocalypse cognitive, Paris, PUF-Humensi, 2021.

[10] G. BRONNER, Apocalypse…, p. 220-221.

[11] Raymond ARON, La philosophie critique de l’histoire, Essai sur une théorie allemande de l’histoire (1938), Paris, Vrin, 3e éd., 1964.

[12] Raymond ARON, Communication devant la Société française de philosophie, 17 juin 1939, dans R. ARON, Croire en la démocratie, 1933-1944, Textes édités et présentés par Vincent Duclert, p. 102, Paris, Arthème-Fayard – Pluriel, 2017. – Jean BIRNBAUM, Le courage de la nuance, p. 73, Paris, Seuil, 2021.

[13] Alexis de TOCQUEVILLE, La Démocratie en Amérique, dans Œuvres, collection La Pléiade, t. 2, p. 185, Paris, Gallimard, 1992. – G. BRONNER, op. cit., p. 221.

[14] G. BRONNER, op. cit., p. 238 et 298

[15] Valérie IGOUNET, Derrière le Front, Histoires, analyses et décodage du Front national, 26 octobre 2015.

https://blog.francetvinfo.fr/derriere-le-front/2015/10/26/les-francais-dabord.html

[16] Heather STEWART & Rowen MASON, Nigel Farage’s anti-migrant poster reported to police, in The Guardian, June 16, 2016. https://www.theguardian.com/politics/2016/jun/16/nigel-farage-defends-ukip-breaking-point-poster-queue-of-migrants

[17] D. KAHNEMAN, Thinking, Fast and Slow, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011. – Trad. Système 1/ Système 2, Les deux vitesses de la pensée, Paris, Flammarion, 2012. – See also: D. KAHNEMAN et al., dir., Judgment under Uncertainty,: Heuristics and Biases, Cambridge University Press, 1982.

[18] Daniel KAHNEMAN, Olivier SIBONY and Cass R. SUNSTEIN, Noise, A flaw in Human Judgment, p. 166-167, New York – Boston – London, Little Brown Spark, 2021. – Trad. Noise, Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter, Paris, Odile Jacob, 2021.

[19] Ibidem, p. 168. – Paul SLOVIC, Psychological Study of Human Judgment: Implications for Investment Decision Making, in Journal of Finance, 27, 1972, p. 779.

[20] Au sens le plus large du concept, tant latin qu’anglo-saxon. Voir Gilles Gaston GRANGER, Epistémologie, dans Encyclopædia Universalis, consulté le 10 octobre 2021. https://www.universalis.fr/encyclopedie/epistemologie/

[21] Jean-Pierre CHRÉTIEN-GONI, Heuristique, dans Encyclopædia Universalis, consulté le 10 octobre 2021. https://www.universalis.fr/encyclopedie/heuristique/

[22] Jean LARGEAULT, Méthode, dans Encyclopædia Universalis, consulté le 10 octobre 2021. https://www.universalis.fr/encyclopedie/methode/

[23] George POLYA, L’Heuristique est-elle un sujet d’étude raisonnable ?, dans Travail et Méthodes, Numéro Hors Série La Méthode dans les Sciences modernes, Paris, Sciences et Industrie, 1958.

[24] G. POLYA, How to Solve it ?, Princeton, Princeton University Press, 1945.

[25] G. POLYA, L’Heuristique est-elle un sujet d’étude raisonnable…, p. 284.

[26] Ibn KHALDUN, Le Livre des exemples, Autobiographie, Muqaddima, texte traduit et annoté par Abdesselam Cheddadi, collection Bibliothèque de la Pléiade, t. 1, p. 39, Paris, NRF-Gallimard, 2202. – Abdesselam CHEDDADI, Ibn Khaldûn, L’homme et le théoricien de la civilisation, p. 194, Paris, NRF-Gallimard, 2006.

[27] François DOSSE, L’histoire, p. 18-20, Paris, A. Colin, 2° éd., 2010. – Blandine BARRET-KRIEGEL, L’histoire à l’âge classique, vol. 2, p. 34, Paris, PUF, 1988.

[28] Ulick Peter BURKE, Lorenzo Valla, in Encyclopaedia Britannica, viewed on October 19, 2021 https://www.britannica.com/biography/Lorenzo-Valla- Donation of Constantin, in Encyclopaedia Britannica, viewed on October 19, 2021. https://www.britannica.com/topic/Donation-of-Constantine

[29] Charles-Victor LANGLOIS et Charles SEIGNOBOS, Introduction aux études historiques, p. 48-49, Paris, Hachette & Cie, 1898. 4 éd., s.d. (1909).

[30] Robert MARICHAL, La critique des textes, dans Charles SAMARAN dir., L’histoire et ses méthodes, coll. Encyclopédie de la Pléiade,  p. 1248, Paris, NRF-gallimard, 1961.

[31] Gérard NOIREL, Préface de Charles-Victor LANGLOIS et Charles SEIGNOBOS, Introduction aux études historiques, Paris, ENS, 2014. https://books.openedition.org/enseditions/2042#ftn8

[32] Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN, La rigueur du qualitatif, Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, p. 7-10, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2008.

[33] Howard S. BECKER, Les ficelles du métier, Comment conduire sa recherche en Sciences sociales, p. 48, Paris, La Découverte, 2002. – J-P OLIVIER de SARDAN, op. cit., p. 8.

[34] F. DOSSE, L’histoire…, p. 29. On vise ici Numa Denis Fustel de Coulanges (1830-1889). Voir François HARTOG, Le XIXe siècle et l’histoire, Le cas Fustel de Coulanges, p. 351-352, Paris, PUF, 1988.

[35] Ch. SAMARAN, L’histoire et ses méthodes…, p. XII-XIII.

[36] On ne peut toutefois que s’étonner que, aucun des quatre historiens n’indique la référence de cette citation…  Il s’agit en fait de CICERON, De orate, 2, 62-63. Nam qui nescit primam esse historiae legem, ne quid falsi dicere audeat ? deinde ne quid ueri non audeat ? ne quae suspicio gratiae sit in scribendo ? ne quae simultatis ? Haec scilicet fundamenta nota sunt omnibus.  Qui ne sait que la première loi du genre est de ne rien oser dire de faux ? la seconde, d’oser dire tout ce qui est vrai ? D’éviter, en écrivant, jusqu’au moindre soupçon de faveur ou de haine ? Oui, voilà les fondements de l’histoire, et il n’est personne qui les ignore. Autre traduction : en effet, qui ignore que la première loi de l’histoire est de n’oser rien dire de faux ? Enfin, de n’oser rien dire qui ne soit vrai ? Qu’il n’y ait pas le moindre soupçon de complaisance en écrivant ? pas la moindre haine ? Tels sont bien entendu les fondements que tout le monde a connus. Merci à mon collègue historien Paul Delforge d’avoir retrouvé cette source.

[37] Ibidem, p. XIII. – Jean TULARD (1933) et Guy THUILLIER (1932-2019), La méthode en histoire, p. 91, Paris, PUF, 1986.

[38] J. TULARD (1933) et .G. THUILLIER, La méthode en histoire…, p. 92-94.

[39] François WAQUET, Une histoire émotionnelle du savoir, XVIIe-XXIe siècle, p. 325 , Paris, CNRS Editions, 2019.

[40] Lorraine DASTON, The moral Economy of Science, in Osiris, 10, 1995, p. 18-23. – F. WAQUET, op. cit., p. 393,

[41] Henri PIRENNE, De la méthode comparative en histoire, Discours prononcé à la séance d’ouverture du Ve Congrès international des Sciences historiques, 9 avril 1923, Bruxelles, Weissenbruch, 1923. – F. WAQUET, op. cit., p. 306.

[42] F. PAQUET, op. cit., p. 303. – Paul WHITE, Darwin’s emotions, The Scientific self and the sentiment of objectivity, in Isis, 100, 2009, p. 825.

[43] François RUSSO, Valeur et situation de la méthode scientifique, dans La méthode dans les sciences modernes…, p. 341. Voir aussi : F. RUSSO, Nature et méthode de l’histoire des sciences, Paris, Blanchard, 1984.

[44] Georges DUBY, L’histoire continue, p. 72-78, Paris, Odile Jacob, 1991.

[45] Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, coll. Bibliothèque des sciences humaines, p. 75 et 87, Paris, NRF-Gallimard, 1985.

[46] Michel LUSSAULT, L’avènement du monde, Essai sur l’habitation humaine de la Terre, Paris, Seuil, 2013.

[47] Jacques FRANEAU, D’où vient et où va la science ? Discours solennel de rentrée de la Faculté polytechnique de Mons, 26 septmbre 1964, p. 58.

[48] René POMMEAU, Préface, dans VOLTAIRE, Œuvres historiques,  p. 14, Paris, NRF-Gallimard, 1957.

[49] Oskar MORGENSTERN, On the accuracy of Economic Observation, Princeton, 1950.

[50] Gilles-Gaston GRANGER, La vérification, p. 191, Paris, Odile Jacob, 1992.

[51] Ibidem, p. 10.

[52] Claude BERNARD, Discours de réception à l’Académie française, 27 mai 1869, dans Claude BERNARD, La Science expérimentale,  p. 405-406, Paris, Baillière & Fils, 3e éd., 1890.

[53] Ibidem, p. 439-440.

Mons, 21 October 2021 [1]

Abstract

In his History of the Origin of Representative Government in Europe, a series of lectures given two centuries ago, from the end of 1820 to 1822, but published thirty years later, François Guizot (1787-1874) criticised partial opinions conceived before examining the facts. Guizot, a professor at the Sorbonne and future Minister of Education under Louis-Philippe, believed that this attitude distorted the rectitude of judgments and introduced a deplorable frivolity into research. He thought that erudition would suffer as a result of inadequate investigation and cursory judgments. Although, in 2021, European democratic concepts have evolved fundamentally since Guizot’s time, particularly in favour of educational progress and especially higher education, heuristics as a tool for discovering facts remains a serious concern for researchers in all disciplines, and also for citizens in a digital world. European universities, through their process, and above all through their ambition, are arguably one of the best responses to these genuine concerns.

 

A Professor of history at the Sorbonne in Paris in 1812 and then a senior civil servant under the Restoration, François Guizot alarmed the authorities with his liberal ideas and was suspended from teaching from 1822 to 1824. It was during this period that he wrote his major historical works, entitled History of the English Revolution, General History of Civilisation in Europe, and Histoire de la civilisation en France, works which brought him recognition as one of the finest historians of his time [2]. With his scientific mindset, he was one of the first historians – notably after the Liège scholar of the 16th century, Jean Chapeaville (1551-1617) [3] – to use the footnote, in other words, a reference to sources, and to develop an apparatus criticus, using primary sources [4]. After being elected deputy at the beginning of 1830, Guizot became Minister of the Interior in the government that arose out of the July Revolution, which resulted in Louis-Philippe becoming king of the French. As Minister of Public Education from 1832 to 1837, then of Foreign Affairs, he played a key political role, even serving as President of the Council. Conservative by nature and opposed to universal suffrage, he fell from power, along with the king, during the Revolution of 1848 and devoted himself to writing until the end of his life [5].

1. Questions concerning the relationship between a subject and an object

In 1820, while his political friends were excluded from the business of government and he was teaching in Paris, his audiences compiled their notes with a view to publishing his lectures on The History of the Origins of the Representative Government in Europe. Guizot did not perform the necessary revision work until much later, as his lectures were not published until 1851, and then shortly thereafter in London, in English, the following year. During the opening discourse of his lecture of 7 December 1820, which is reproduced in the work, Guizot starts by addressing the relativity of historical facts, which, if they have not gained or lost any of their content over the time they have spanned, will reveal their meaning only gradually, and analysing their significance will reveal new dimensions: and man thus learns, he writes, that in the infinitude of space opened to his knowledge, everything remains constantly fresh and inexhaustible, in regard to his ever-active and ever-limited intelligence [6]. The problem which Professor Guizot imparts to his students lies at the very heart of the objective he has set for his lecture: to describe the history of the public institutions in Europe based on reading about the particular moment of the new political order that had emerged in 1815. For Guizot, this means we have to reconnect what we now are with what we formerly were, and even – and he expresses it so beautifully –, gather together the links in that chain of time.

The problem, observes Guizot, is that studying the old institutions using modern ideas and institutions to explain or judge them has been largely neglected. And when it has happened, he says, it has been approached with such a strong preoccupation of mind, or with such a determined purpose, that the fruits of our labour have been damaged at the outset.

 Opinions which are partial and adopted before facts have been fairly examined, not only have the effect of vitiating the rectitude of judgment, but they moreover introduce a deplorable frivolity into researches which we may call material. As soon as the prejudiced mind has collected a few documents and proofs in support of its cherished notion, it is contented, and concludes its inquiry. On the one hand, it beholds in facts that which is not really contained in them; on the other hand, when it believes that the amount of information it already possesses will suffice, it does not seek further knowledge. Now, such has been the force of circumstances and passions among us, that they have disturbed even erudition itself. It has become a party weapon, an instrument of attack or defence; and facts themselves, inflexible and immutable facts, have been by turns invited or repulsed, perverted or mutilated, according to the interest or sentiment in favour of which they were summoned to appear [7].

Guizot’s analysis is still valid: the problem of discussing political issues that are relatively close in time but perceived as distant due to the scale of the changes that have occurred in the institutional conditions, changes which can be drastic in the case of a revolution or a profound regime change.

He highlights the danger facing teachers, researchers and “intellectuals” – I am aware that it is anachronistic for me to use this word in 1820 or even in 1850 –, the difficulty they have in speaking or writing neutrally, objectively and dispassionately, with the distance that is expected of the role or profession of the person expressing their opinion and getting close to the truth or even telling the truth. The issues surrounding analysis of sources, the ethics of the scientist, and logic as conditions of the truth, along with questions concerning the relationship between a subject and the object they are addressing [8] and historical criticism are at the heart of this self-reflection.

 

2. A Cognitive Apocalypse

In his lecture to his students, Guizot highlights the risk of being contented too quickly with a sparse collection of sources which appear to support a previously stated assumption without truly substantiating it. When faced with the ambitions and requirements of proof, scant data produces incorrect interpretation of documents. Passion and commitment based on a flimsy argument threaten quality of knowledge, while erudition becomes a partisan instrument. How often do we encounter this situation in a world in which, however, education – and particularly higher education – is becoming increasingly democratised?

Guizot, who, as a minister, had previously resurrected the Académie des Sciences morales et politiques (Academy of Moral and Political Sciences), would today find support for his views from another scientist, a member of the Académie des Technologies (National Academy of Technologies of France) and the Académie nationale française de Médecine (French Academy of Medicine). Just over two centuries after the declarations we have highlighted, Gérald Bronner, professor of sociology at the University of Paris, observes in his remarkable work Apocalypse cognitive (Cognitive Apocalypse) that the first twenty years of the 21st century have introduced massive deregulation in the marketplace for ideas. We note, as does Bronner, that this cognitive market is characterised both by the vast amount of information available, which is unprecedented in the history of humanity, and also by the fact that everyone is able to contribute their own representation of the world. Furthermore, Bronner believes that this evolution has weakened the role of the traditional gatekeepers, namely the academics, experts, journalists, and so on, all those who were previously regarded as rightfully able to participate in public debate and perform a beneficial regulatory role [9].

Bronner’s analyses display a degree of pessimism concerning our ability to cope with this situation. At least three reasons are cited: firstly, the famous Brandolini’s Law or Bullshit Asymmetry Principle. The Italian programmer Alberto Brandolini observed, in 2013, that the amount of energy needed to refute nonsense is far greater than that required to produce it [10]. Will we all be able to find the time, strength and courage to deal with waffle, simplistic analyses and even fake news? Many academics on social media have stopped doing so.

In his fine work on Le courage de la nuance (The courage of nuance), the essayist Jean Birnbaum wisely recalls the presentation made by Raymond Aron (1905-1983) at the Société française de Philosophie in June 1939. Faced with the increasing dangers, the great French intellectual called on his colleagues to assess their commitment: I think, said the author of Introduction à la philosophie de l’histoire [11], that teachers like us are likely to play a minor role in this effort to save our deeply held values. Instead of shouting with the parties, we could strive to define, in the utmost good faith, the problems facing us and the way to solve them [12].

Next, Bronner calls on a great mind of the mid-19th century: Alexis de Tocqueville (1805-1859). More resolutely democratic than his contemporary Guizot, Tocqueville writes, in his book Democracy in America (1835), that in general, only simple conceptions take hold of the minds of the people. A false idea, but one clear and precise, will always have more power in the world than a true, but complex, idea [13]. Some of you may still recall the excellent cartoon by Wiley Miller, published in The Intellectualist, in 2015, which shows a crowd of people approaching a ravine on a path marked Answers, simple but wrong” while one or two are making their way along a winding path, book in hand, having chosen the direction “Complex but right”.

Wiley Miller, The Intellectualist, 2015

Beyond the common meaning of the words, complex systems analysis, so dear to William Ross Ashby (1903-1972), Norbert Wiener (1894-1964), Herbert Simon (1916-2001), Ludwig von Bertalanffy (1901-1972), Jean Ladrière (1921-2007), Edgar Morin, Jean-Louis Le Moigne, Ilya Prigogine (1917-2003) and Isabelle Stengers, to name but a few, often remains outside the field of knowledge of our university chairs and, therefore, of our students.

Lastly, Bronner notes that our voracious brains do not automatically lead us to scientific models. Even where we have an appetite for knowledge, he adds, this can easily be distracted by the way in which the cognitive market is editorialised. This is the case, for example, with the confusion between correlation and causality, which is clearly illustrated by the Nazi slogan, “500,000 unemployed: 400,000 Jews” [14]. This device seems to crop up repeatedly. But there are other examples, and in all fields. For example, in 1978, the French fascist party, the Front national, stated: “A million unemployed people are a million immigrants too many. France and the French first.”[15] Another example is the poster that Nigel Farage unveiled in Westminster in mid-June 2016, one week before the BREXIT referendum on 23 June. The British broadcaster and Leader of the UK Independence Party (UKIP) used a picture with the slogan Breaking point: the EU has failed us all, with the subheading: We must break free of the EU and take back control of our borders. The photograph used was of migrants crossing the Croatia-Slovenia border in 2015, with the only prominent white person in the photograph obscured by a box of text. Many people reacted by saying that to claim that migration to the UK is only about people who are not white is to peddle racism. That controversy prompted Boris Johnson to distance himself from Nigel Farage’s campaign [16].

The fact that we have found some particularly divisive, if not detestable, examples could weaken the idea that each of us, entirely logically, may simply demonstrate only what is prejudice. We often start the process of judgment with an inclination to reach a particular conclusion. In their book Noise: A Flaw of Human Judgment, Daniel Kahneman, Olivier Sibony and Cass R. Sinstein give a great example of a slant of thought they call conclusion bias, or prejudgment: when one of George Lucas’ collaborators in the development of the screenplay for Return of the Jedi, the third Star Wars film, suggested that he should kill off Luke and have Princess Leila take over, Lucas rejected the idea and disagreed with the different arguments, replying that “You don’t go around killing people” and, finally, that he didn’t like and didn’t believe that. As the authors observed, by “Not liking” before “Not believing”, Lucas let his fast, intuitive System 1 thinking suggest a conclusion [17]. When we follow that process, we jump to the conclusion and simply bypass the process of gathering and integrating information, or we mobilise System 2 thinking – engaging a deliberative thought – to come up with arguments that support our prejudgment. In that case, adds Kahneman, a Nobel Prize winner for economics, and his colleagues, the evidence will be selective and distorted: because of confirmation bias and desirability bias, we will tend to collect and interpret evidence selectively to favour a judgment that, respectively, we already believe or wish to be true [18]. Prejudgments are evident wherever we look, conclude the three professors. When people determine what they think by consulting their feelings, the process involved is called the affect heuristic [19], a term coined by the psychologist Paul Slovic, Professor at the University of Oregon.

3. Heuristics as a form of resistance for enlightened minds

As is often the case, we can counter our reasons to despair with reasons to rejoice and hope. In my view, these lie in the power of heuristics, techniques and scientific method(s).

Heuristics is generally understood to mean all the intellectual products, processes and approaches that foster discovery and invention in science. There are two distinct aspects. Firstly, a methodological classification which denotes the discovery techniques that substantiate and legitimise knowledge and, secondly, what we can refer to as general heuristics. This forms part of epistemology, the critical study of science [20], and is responsible for describing and reflecting the general conditions for progress in scientific activity [21].

We are clearly all familiar with the questions of method, the path we follow or undertake, which is designed to lead us and to enable us to achieve a given goal and capitalise on a result. This is the path that provides us with our experience as scientists and intellectuals, which we call experimentation when we initiate it systematically. Scientific research is based on a desire to travel along this path, interactively combining assisted observation of experimentation and system analysis, thus enabling explanation. Adapting thoughts to facts is observation; adapting thoughts to each other is theory [22].

In that respect, contemporary research has two messages for us. Firstly, that of rigour and critique, and, secondly, that of relativity, and therefore humility. In my view, these are each as necessary and important as the other.

3.1. The first message: that of rigour and critique.

Rigour consists, firstly, in knowing what one is talking about, what the problem is, and what one is looking for. This is the first reasonable goal of heuristics: to express in general terms the reasons for choosing subjects which, when analysed, may help us achieve the solution [23]. We can, of course, follow in the footsteps of mathematicians, physicians, logicians, and philosophers, such as Pappus of Alexandria (4th century AD), René Descartes (1596-1650), Gottfried Wilhelm Leibnitz (1646-1716), Bernhard Bolzano (1781-1848), Ernst Mach ((1838-1916), Jacques Hadamard (1865-1963), George Polya (1887-1985), Jean Hamburger (1909-1992), Morris Kline (1908-1992), and, more recently, Daniel Kahneman and Shane Frederick. In each of our disciplines, we have visited one or more of them, if not all. A mathematician such as Polya, author of How to Solve it? [24], who taught in Zurich and then at Stanford, argues that the sources of inventions are more important than the inventions themselves. This should, he claims, be the motto of any student planning a career in science. Unsubstantiated demonstrations, lemmas that appear out of nowhere, and supplementary approaches that occur unexpectedly are puzzling and depressing for all students, both good and mediocre [25]. Having struggled through an oral exam on Bernouilli’s theory, I can personally testify.

There are, in the world, certain traditions for constructing a critical and intellectually robust discourse, one which is also not Eurocentric and does not, contrary to what we too often teach, date back to the Renaissance or the Enlightenment. As a Visiting Professor at the National Engineering School of Tunis, I am constantly discovering how much we owe – and the term “we” includes researchers such as Arnold J. Toynbee and Joseph Schumpeter – to the Arab scholar Ibn Khaldoun (1332-1406). In the introduction to his great work Muqaddima, this 14th century economist, sociologist and historian recommended making a comparison between the stories as handed down and the rules and models thus established. If they concur and are consistent, these stories can be declared authentic, if not, they will be considered suspect and discounted [26].

This tangible heuristic effort was pioneered by the Italian humanist Lorenzo Valla (1407-1457), whose role was, according to François Dosse, decisive in the notion of truth, to the extent that Dosse, a historian and epistemologist at the University of Paris, spoke of a real turning point [27]. Valla questioned the authenticity of the Donation of Constantine, written in 1440. This text, which acknowledged the fact that the Roman emperor Constantine the Great had bestowed vast territory and spiritual and temporal power on Pope Sylvester I (who reigned from 314 to 335), had great influence on political and religious affairs in medieval Europe. Lorenzo Valla clearly demonstrated that this document was a forgery by analysing the language of the donation. He showed that the Latin used in the text was not that of the 4th century and so argued that the document could not possibly have dated from the time of Constantine [28].

The critical method has found its guardians of the temple in Charles-V Langlois and Charles Seignobos, who established a bulwark against what they considered the natural inclination of the human spirit: not taking precautions and acting confusedly in situations where the utmost caution is essential. They wrote that while everyone, in principle, accepts the value of Criticism – with a capital C! – it hardly ever happens in practice.

The fact is that Criticism is contrary to the normal aspect of intelligence. The spontaneous human tendency is to add belief to assertions and to reproduce them, without even distinguishing them clearly from one’s own observations. In daily life, do we not accept indiscriminately, without any checks, hearsay, anonymous, unsafe information, and all types of documents of mediocre or dubious merit? (…) Any sincere person will recognise that significant effort is needed to shake off the ignavia critica, that common expression for intellectual cowardice; that this effort must be repeated, and that it is often accompanied by genuine suffering [29].

Suffering, the word is out … As with beauty, one needs to suffer to be a researcher. Research is a form of torture inspired, in part, by the works of the German historian Leopold von Ranke (1795-1886). To reach scientific paradise, the research process subjects the document, and the student and the teacher, to a series of analytical operations made up of internal criticism or scholarly criticism (restoration, provenance, classification of sources, criticism of scholars), then to internal criticism (interpretation, negative internal criticism, criticism of sincerity and accuracy, establishing the specific facts) and, lastly, optimises them in synthetic operations.

In 1961, in his extraordinary work entitled L’histoire et ses méthodes (History and its methods), published under the direction of Charles Samaran (1879-1982) from the Institut de France, Robert Marichal (1904-1999) picked up the notion put forward by Langlois and Seignobos, observing that documentary criticism had scarcely been challenged by the proponents of “New History”, which, according to this esteemed archivist, thought that the traditional processes were still effective. Marichal added that the principles that apply to criticism were no different, in general, to those that apply to all human knowledge, as can be found in any logic or psychology textbook [30].

Fifty years later, Gérard Noiriel, a specialist in epistemology in history, states in the online edition of the work by Langlois and Seignobos that they had not invented the rules of historical method, as the basic principles had been known since the 17th century and had been codified by German historians at the beginning of the 19th century. The major contribution of these two professors at the Sorbonne is arguably, states Noiriel, that they wrote that it was necessary to read the historians with the same critical precautions as when one analyses documents [31].

Human science has been greatly influenced by the scientific path taken by history at the end of the 19th century. But, like history, it has distanced itself from this strict criticism of documents. In an introduction, in 2008, entitled L’approximative rigueur de l’anthropologie (The approximate rigour of anthropology), Jean-Pierre Olivier de Sardan, a professor at the École des Hautes Études en Sciences sociales (School for Advanced Studies in the Social Sciences) in Paris, showed that the word was nothing more than an apparent paradox, highlighting the inevitability of approximation faced with the vulnerability of cognitive bias and ideological excesses, and then abandoning this quest completely in a book entitled La Rigueur du qualitatif The Rigour of the Qualitative) [32]. De Sardan also enlisted his American colleague Howard Becker, who, in Sociological Work: Method and Substance (Chicago, Adline, 1970) and Writing for Social Scientists (University of Chicago Press, 1986 & 2007), had highlighted this tension between consistency of what is being described and conformity with the elements discovered [33].

The scientific paradigm has given way to other paradigms, which have also characterised all human sciences. This is the case with the famous École des Annales (School of Annals), whose books, by a brilliant professor from Liège, Léon-E. Halkin (1906-1998), and supported by the Centre de Recherches historiques at the École pratique des Hautes Études in Paris, have helped to clarify these issues surrounding historical criticism.

Although it remained a methodological requirement, the strict critical method – in the sense of the idolatrous cult of the document [34]  – seemed to become more relaxed at the beginning of the 1980s. At the same time, as Charles Samaran had already done in 1961, it was now a question of highlighting the general principles of the method [35], or even the ethics, of the historian. In that regard and taking their cue from the editorial director of l’Histoire et ses méthodes, Guy Thuillier (1932-2019) and Jean Tulard call on the mighty Cicero for help: the first law he must obey is to have the courage not to say what he knows to be false, the second is to have the courage to say what he believes to be true. Thus, they continue, sincerity of mind implies critical sense [36]. The other precepts of Thuillier and Tulard are those I offer to my students, pointing out that this advice applies to all their tasks in all disciplines, as in daily life:

  • Do not assert anything unless there is a “document” that you have verified personally.
  • Always indicate the document’s degree of “probability” – or uncertainty. Do not rely on appearances or have blind faith in texts (…)
  • Always explicitly highlight the assumptions that guide the research, and point out the limits of the investigation (…)
  • Maintain a certain distance from the subject in question and do not confuse, for instance, biography and hagiography (…)
  • Be wary of hasty generalisations (…)
  • Be aware that nothing is definitive (…)
  • Know how to use your time well; do not rush your work (…),
  • Do not shut yourself away in your office (…). Life experience is essential (…) [37]

3.2. The second message is that of relativity, and therefore of humility.

 The remarkable work done by Françoise Waquet, research director at the CNRS, ends with some powerful words: science, she writes, is human – inevitably, mundanely, profoundly so [38]. Her research, in laboratories, libraries and offices, among teachers and students, books and computers, shows how business rules and academic passion(s) are structured around objectivity. Waquet considers the analyses performed Lorraine Daston, co-director of the Max Planck Institute Berlin for the History of Science. These works showed a propensity to strive for a knowledge that bears no trace of the person who has the knowledge, a knowledge which is not characterised by bias or acquired concepts, by imagination or judgment, by desire or effort. In this system of objectivity, passion appears to be the internal enemy of the researcher [39].

Henri Pirenne expressed it perfectly, in 1923, when he claimed that, in order to achieve objectivity or impartiality without which there is no science, [researchers] must constrict themselves and overcome their cherished prejudices, their most deeply seated convictions, and their most natural and respectable sentiments [40]. Moreover, Émile Durkheim expressed the same view for sociology, as did Marcel Mauss for anthropology, Vidal de la Blache for geography and even Émile Borel for mathematics. We could, as Françoise Waquet did, list numerous examples that, even in the so called “hard” sciences, lead to a form of asceticism and ardent objectivity [41].

In the second half of the twentieth century, the dramatic advances in science after the end of the Second World War and the questions arising from criticism of modernity have not left science unscathed. The Jesuit François Russo (1909-1998), a former student at the École polytechnique, noted, in 1959, that science tends to pose problems that lie beyond the domain of the strict scientific method. He cited the theories of Albert Einstein (1879-1955) and Georges Lemaître (1894-1966), other analyses regarding the universe in its entirety, and considerations concerning the depletion of energy in the universe, biological evolution, the origins of life and of humans, human nature, etc., underlining that scientific advances cause these questions to reappear rather than disappear. In this way, and at the same, he posed questions of meaning [42].

Should it be said that the debates on these issues have evolved, from Raymond Aron (1905-1983) to Paul Ricœur (1913-2005), from Karl Polanyi (1886-1964) to Thomas Kuhn (1922-1996), from Karl Popper (1902-1994) to Richard Rorty (1931-2007) and Anthony Giddens, etc.?

On the question of objectivity, he was one of the professors whose classes had the greatest impact on me, who, when faced with passion, demonstrated the path of lucidity. In L’histoire continue (History is going on), the medievalist Georges Duby (1919-1996) considers that it is strict positivist ethics that gives the profession of researcher its dignity. If, he continues, history is abandoning the illusory quest for total objectivity, it is not on account of the stream of irrationality that is invading our culture, but it is above all because the notion of truth in history has changed. Its goal has moved: it is now interested less in facts and more in relationships… [43]

 

Conclusion: sentiment, reason and experience

Let us return to François Guizot, where we began, but this time in closing.

In that Guizot’s moment, as Pierre Rosanvallon called it, a veritable golden age of political science [44], the lesson was clear: how, at close quarters and under pressure from the major upheavals seen in that period – the French Revolution and the Industrial Revolution, and the structural and systemic transformations they caused in the fields of technology, politics, society, culture, etc. –, how can we comprehend these events under the sovereignty of reason?

Even if most people have perceived, each in their own time, the advent of a new world [45], with its growth, acceleration, emerging trends and instabilities, our society appears to be characterised more so than yesterday by the flow of information of all kinds that reaches us, challenges us, and assails us. Carried along at great speed on what was already being called the information superhighway a few decades ago, we are learning to control our minds at hitherto unknown speeds, bolstered as we are by our digital tools. To put it mildly, it is now microprocessors that punctuate our work. During lockdown, having switched from Teams to Zoom, from Jitsi to Webex or Google Meet – and having often continued the habit, we all know that it is now the digital world that sets the pace. In the flow of messages, links and texts sent to us, we are learning how to identify the hackers and other digital pests. Beyond our defensive tools, it is experience that often guides us.

We have few firewalls to defend ourselves against the demons of the cognitive apocalypse described, or promised, by Gérald Bronner. We do not want any censorship of “good thinking” or a sterilised world in which we filter our connections and sanitise our brains. In my view, the best form of regulation remains our own intelligence.

This certainly involves heuristics and research methods. In a formal address he gave in September 1964 to mark start of the new term at the Faculté polytechnique de Mons, professor and future rector Jacques Franeau (+2007) noted that it was necessary to avoid confusing objective with subjective, and that, since the primary aim of any society was to create the best environment for human life and happiness, it was necessary, to achieve that goal, for it to start from certain and objective data, to have knowledge before choosing its direction, and then to build on the solid foundations afforded by that knowledge [46].

Thus, to address the concerns, we have highlighted two responses: firstly, rigour and criticism and, secondly, relativity and humility.

Without resorting to Voltaire’s idea that all certainty which is not mathematical demonstration is merely extreme probability [47], the teaching of those who frequent higher education must base stringency on both the robustness and the reasonable traceability of any information produced. Citing a source does not, whatever the discipline, mean referring to the overall work of a scholar, nor even to one of their creations – digital or paper – without specifying the location of the information. Some colleagues or students send you a 600-page book with no further clarification, editing or pagination. Verification is impossible. Similarly, to return to an observation made previously by both the German-American mathematician and economist Oskar Morgenstern (1902-1977) [48] and the Frenchman Gilles-Gaston Granger (1920-2016) [49], the issue of data validity and reliability does not seem to be of interest to many researchers. For these two distinguished experts in comparative epistemology, it was economists who were being targeted. But we can be sure than many other researchers are affected. I am certain that these testimonies resonate with you as they do with me. Training our students in rigour, precision and criticism will certainly help to make them not only good researchers, but also mindful and courageous intellectuals, in other words individuals capable of grasping the most difficult or far-fetched content, breaking free from it, and communicating only what is accurate and certain.

Relativity and humility stem from our awareness of our weaknesses when faced with the world and the difficulty we have in grasping the system as a whole. They are also nurtured by the legitimate notion that explanations of phenomena and their truth change with scientific advances. It cannot be denied, states Granger, that a Newtonian truth concerning the trajectory of a star differs from Einstein’s truth regarding the same object [50]. Rather than being sceptical about scientific knowledge, it is instead a question of looking at ourselves, as human beings, and acknowledging the richness of our capacity to articulate sentiment, reason and experience. At a time when cybernetic dreams are becoming a reality in artificial general intelligence, we have an ever-increasing number of human and scientific references to show us the way.

Thus, to conclude this talk, I will refer to the author of La Science expérimentale, Claude Bernard (1813-1878). In his acceptance speech at the Académie française, on 27 May 1869, the great doctor and philologist observed that, in the progressive development of humanity, poetry, philosophy and science express the three phases of our intelligence, moving successively through sentiment, reason and experience [51].

Nevertheless, states Bernard, it would be wrong to believe that if one follows the precepts of the experimental method, the researcher – and I would say the intellectual – must reject all a priori notions and silence their sentiment, so that their views are based solely on the results of the experiment. In reality, he adds, the laws that govern manifestations of human intelligence do not allow the researcher to proceed other than by always, and successively, moving through sentiment, reason and experience. But, convinced of the worthlessness of the spirit when reduced to itself, he gives experience (experimentation) a dominant influence and he tries to guard against the impatience of knowing, which leads us constantly to make mistakes. We must therefore go in search of the truth calmly and without haste, relying on reason, or reasoning, which always serves to guide us, but, at every step, we must temper it and tame it through experience, in the knowledge that, unbeknown to us, sentiment causes us return to the origin of things [52].

If, in 2021, European democratic conceptions have fundamentally evolved since Guizot, thanks to progress in education and in particular within higher education, heuristics as a tool for discovering facts remains a sensitive concern for researchers of all disciplines, but also citizens, in a digital world. European universities, such as those gathered in EUNICE, considering their background, but also above all by their ambition, undoubtedly constitute one of the best responses to real concerns.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] This text is the background paper of the conference that I presented on October 21, 2021 at the Academic Hall of the University of Mons, as part of EUNICE WEEKS mobilising, with the support of the European Commission, the network which brings together the universities of Brandenburg, Cantabria, Catania, Lille – Hauts de France, Poznań, Vaasa and Mons.

[2] Laurent THEIS, Guizot, La traversée d’un siècle, Paris, CNRS Editions, 2014. – Edition Kindle, Location 1104. – François Guizot, in Encyclopaedia Britannica, Oct. 8, 2021, https://www.britannica.com/biography/Francois-Guizot

[3] René HOVEN, Jacques STIENNON, Pierre-Marie GASON, Jean Chapeaville (1551-1617) et ses amis. Contribution à l’historiographie liégeoise, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2004 – Paul DELFORGE, Jean Chapeaville (1551-1617), Connaître la Wallonie, Namur,  December 2014. http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/wallons-marquants/dictionnaire/chapeaville-jean#.YWrVvhpBzmE which, at the time, had fascinated Professor Jacques Stiennon (ULIEGE).

[4] Ibidem, Location 1149-1150.

[5] Guillaume de BERTHIER DE SAUVIGNY, François Guizot (1787-1874), in Encyclopædia Universalis accessed on 13 October  2021.https://www.universalis.fr/encyclopedie/francois-guizot/ – Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, Paris, NRF-Gallimard, 1985. – André JARDIN and André-Jean TUDESQ, La France des Notables, L’évolution générale, 1815-1848, Nouvelle Histoire de la France contemporaine, Paris, Seuil, 1988.

[6] François GUIZOT, Histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe, p. 2, Paris, Didier, 1851. – (…) and man thus learns that in the infinitude of space opened to his knowledge, everything remains constantly fresh and inexhaustible, in regard to his ever-active and ever-limited intelligence. GUIZOT, History of the Origins of Representative Government in Europe, p. 2,

[7] François GUIZOT, History of the Origin of Representative Government in Europe, translated by Andrew E. Scobe, p. 4, London, Henry G. Bohn, 1852.

https://www.gutenberg.org/cache/epub/61250/pg61250-images.html#Page_1

[8] Concerning these issues, see the always very valuable Jean PIAGET dir., Logique et connaissance scientifique, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1967. In particular, J. PIAGET, L’épistémologie et ses variétés, p. 3sv. – Hervé BARREAU, L’épistémologie, Paris, PuF, 2013.

[9] Gérald BRONNER, Apocalypse cognitive, Paris, PUF-Humensi, 2021.

[10] G. BRONNER, Apocalypse…, p. 220-221.

[11] Raymond ARON, La philosophie critique de l’histoire, Essai sur une théorie allemande de l’histoire (1938), Paris, Vrin, 3e ed., 1964.

[12] Raymond ARON, Communication devant la Société française de philosophie, 17 juin 1939, dans R. ARON, Croire en la démocratie, 1933-1944, Textes édités et présentés par Vincent Duclert, p. 102, Paris, Arthème-Fayard – Pluriel, 2017. – Jean BIRNBAUM, Le courage de la nuance, p. 73, Paris, Seuil, 2021.

[13] Alexis de TOCQUEVILLE, Democracy in America (1835), Translated by Harvey C. Mansfield & Delba Winthrop, p. 155, Chicago & London, The University of Chicago Press, 2002. – La Démocratie en Amérique, in Œuvres, collection La Pléade, t. 2, p. 185, Paris, Gallimard, 1992. – G. BRONNER, op. cit., p. 221.

[14] G. BRONNER, op. cit., p. 238 et 298

[15] Valérie IGOUNET, Derrière le Front, Histoires, analyses et décodage du Front national, 26 octobre 2015. https://blog.francetvinfo.fr/derriere-le-front/2015/10/26/les-francais-dabord.html

[16] Heather STEWART & Rowen MASON, Nigel Farage’s anti-migrant poster reported to police, in The Guardian, June 16, 2016. https://www.theguardian.com/politics/2016/jun/16/nigel-farage-defends-ukip-breaking-point-poster-queue-of-migrants

[17] D. KAHNEMAN, Thinking, Fast and Slow, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011. – Trad. Système 1/ Système 2, Les deux vitesses de la pensée, Paris, Flammarion, 2012. – See also: D. KAHNEMAN et al., dir., Judgment under Uncertainty: Heuristics and Biases, Cambridge University Press, 1982.

[18] Daniel KAHNEMAN, Olivier SIBONY and Cass R. SUNSTEIN, Noise, A flaw in Human Judgment, p. 166-167, New York – Boston – London, Little Brown Spark, 2021.

[19] Ibidem, p. 168. – Paul SLOVIC, Psychological Study of Human Judgment: Implications for Investment Decision Making, in Journal of Finance, 27, 1972, p. 779.

[20] In the broadest sense of the concept, both Latin and Anglo-Saxon. See Gilles Gaston GRANGER, Epistémologie, dans Encyclopædia Universalis, viewed on 10 October 2021. https://www.universalis.fr/encyclopedie/epistemologie/

[21] Jean-Pierre CHRÉTIEN-GONI, Heuristique, dans Encyclopædia Universalis, viewed on 10 October 2021. https://www.universalis.fr/encyclopedie/heuristique/ – Avrum STROLL, Epistemology, in Encyclopaedia Britannica, viewed on 16 October 2021, https://www.britannica.com/topic/epistemology

[22] Jean LARGEAULT, Méthode, Encyclopædia Universalis, viewed on 10 October 2021. https://www.universalis.fr/encyclopedie/methode/ – Scientific Method, in Encyclopaedia Britannica, October 15, 2021, viewed on 17 October. https://www.britannica.com/science/scientific-method

[23] George POLYA, L’Heuristique est-elle un sujet d’étude raisonnable?, in Travail et Méthodes, Numéro Hors Série La Méthode dans les Sciences modernes, Paris, Sciences et Industrie, 1958.

[24] G. POLYA, How to Solve it?, Princeton University Press, 1945.

[25] G. POLYA, L’Heuristique est-elle un sujet d’étude raisonnable…, p. 284.

[26] Ibn KHALDUN, Le Livre des exemples, Autobiographie, Muqaddima, text translated and annotated by Abdesselam Cheddadi, collection Bibliothèque de la Pléiade, t. 1, p. 39, Paris, NRF-Gallimard, 2202. (Our translation in English) – Abdesselam CHEDDADI, Ibn Khaldûn, L’homme et le théoricien de la civilisation, p. 194, Paris, NRF-Gallimard, 2006.

[27] François DOSSE, L’histoire, p. 18-20, Paris, A. Colin, 2° éd., 2010. – Blandine BARRET-KRIEGEL, L’histoire à l’âge classique, vol. 2, p. 34, Paris, PUF, 1988.

[28] Ulick Peter BURKE, Lorenzo Valla, in Encyclopaedia Britannica, viewed on October 19, 2021 https://www.britannica.com/biography/Lorenzo-Valla- Donation of Constantin, in Encyclopaedia Britannica, viewed on October 19, 2021. https://www.britannica.com/topic/Donation-of-Constantine

[29] Charles-Victor LANGLOIS and Charles SEIGNOBOS, Introduction aux études historiques, p. 48-49, Paris, Hachette & Cie, 1898. 4 ed., s.d. (1909).

[30] Robert MARICHAL, La critique des textes, in Charles SAMARAN dir., L’histoire et ses méthodes, coll. Encyclopédie de la Pléiade, p. 1248, Paris, NRF-Gallimard, 1961.

[31] Gérard NOIREL, Preface by Charles-Victor LANGLOIS and Charles SEIGNOBOS, Introduction aux études historiques, Paris, ENS, 2014. https://books.openedition.org/enseditions/2042#ftn8

[32] Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN, La rigueur du qualitatif, Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, p. 7-10, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2008.

[33] Howard BECKER, Les ficelles du métier, Comment conduire sa recherche en Sciences sociales, p. 48, Paris, La Découverte, 2002. – J-P OLIVIER de SARDAN, op. cit., p. 8.

[34] F. DOSSE, L’histoire…, p. 29. Here, we are referring to Numa Denis Fustel de Coulanges (1830-1889). See François HARTOG, Le XIXe siècle et l’histoire, Le cas Fustel de Coulanges, p. 351-352, Paris, PUF, 1988.

[35] Ch. SAMARAN, L’histoire et ses méthodes…, p. XII-XIII.

[36] Ibidem, p. XIII. – J. TULARD & G. THUILLIER, op. cit., p. 91.

[37] J. TULARD (1933) and .G. THUILLIER, La méthode en histoire…, p. 92-94.

[38] Françoise WAQUET, Une histoire émotionnelle du savoir, XVIIe-XXIe siècle, p. 325 , Paris, CNRS Editions, 2019.

[39] Lorraine DASTON, The moral Economy of Science, in Osiris, 10, 1995, p. 18-23. – F. WAQUET, op. cit., p. 393,

[40] Henri PIRENNE, De la méthode comparative en histoire, Discours prononcé à la séance d’ouverture du Ve Congrès international des Sciences historiques, 9 April 1923, Brussels, Weissenbruch, 1923. – F. WAQUET, op. cit., p. 306.

[41] F. PAQUET, op. cit., p. 303. – Paul WHITE, Darwin’s emotions, The Scientific self and the sentiment of objectivity, in Isis, 100, 2009, p. 825.

[42] François RUSSO, Valeur et situation de la méthode scientifique, in La méthode dans les sciences modernes…, p. 341. – See also: F. RUSSO, Nature et méthode de l’histoire des sciences, Paris, Blanchard, 1984.

[43] Georges DUBY, L’histoire continue, p. 72-78, Paris, Odile Jacob, 1991.

[44] Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, coll. Bibliothèque des sciences humaines, p. 75 et 87, Paris, NRF-Gallimard, 1985.

[45] Michel LUSSAULT, L’avènement du monde, Essai sur l’habitation humaine de la Terre, Paris, Seuil, 2013.

[46] Jacques FRANEAU, D’où vient et où va la science ? Formal address to mark the start of term at the Faculté polytechnique de Mons, 26 September 1964, p. 58.

[47] René POMMEAU, Préface, in VOLTAIRE, Œuvres historiques,  p. 14, Paris, NRF-Gallimard, 1957.

[48] Oskar MORGENSTERN, On the accuracy of Economic Observation, Princeton, 1950.

[49] Gilles-Gaston GRANGER, La vérification, p. 191, Paris, Odile Jacob, 1992.

[50] Ibidem, p. 10.

[51] Claude BERNARD, Discours de réception à l’Académie française, 27 May 1869, in Claude BERNARD, La Science expérimentale,  p. 405-406, Paris, Baillière & Fils, 3rd ed., 1890.

[52] Ibidem, p. 439.

Namur, Parlement de Wallonie, le 3 mars 2018

Le 20 janvier 2018, lors de l’émission RTBF radio Le Grand Oral, Béatrice Delvaux et Jean-Pierre Jacquemin interrogeaient le directeur de la Fondation pour les Générations futures, Benoît Derenne, concernant la conférence-consensus portant sur certaines questions du Pacte d’excellence de la Communauté française. Évoquant les exercices délibératifs citoyens comme celui qu’entame le Parlement de Wallonie le 3 mars 2018 [1], les deux journalistes parlaient d’une forme de récupération, de naïveté, ou même d’un alibi du politique.

Ma conviction est radicalement différente. Je pense, tout au contraire de ces commentateurs, que la redéfinition d’une relation fondamentale de confiance entre les élus, organisés en assemblée, et les citoyens invités à y siéger en parallèle, est non seulement nécessaire, mais aussi qu’elle est salutaire et qu’elle demande des efforts considérables.

La redéfinition d’une relation fondamentale de confiance entre les élus et les citoyens

Elle est nécessaire, car cette confiance est rompue. Elle s’est délitée progressivement avec l’ensemble des institutions au fur et à mesure que le citoyen s’éduquait, se formait, comprenait mieux l’environnement politique, économique et social dans lequel il évolue. La démocratisation des études, la radio et la télévision, l’internet, les réseaux sociaux, sont autant de vecteurs qui, dans les cinquante dernières années ont progressivement encapacité de plus en plus de citoyens, leur ont permis de mieux comprendre le monde, ses acteurs et ses facteurs, et par là, d’exiger des institutions une ouverture, un dialogue, une éthique de nature nouvelle. Depuis les années 1970, toutes les institutions ont été mises en cause profondément, parfois violemment, parce qu’elles n’avaient pas pu évoluer : l’école, la gendarmerie, la justice, les médias, l’administration, les institutions politiques, de la monarchie à la commune, en passant par tous les gouvernements et tous les parlements. L’Europe et le monde n’ont d’ailleurs pas échappé à cette évolution et tentent d’ailleurs de réagir fortement par des initiatives nouvelles comme l’European Policy Lab, les travaux sur l’avenir du Gouvernement (The Future of Government) ou le Partenariat pour une Gouvernement ouvert qui regroupe désormais plus de 70 pays [2]. Dès lors, je pense que la rupture de cette confiance représente à terme un danger de mort pour notre démocratie, car les citoyens cessent d’y investir. Et, comme le craignait Raymond Aron : lorsque manquent la discipline et la sagesse des citoyens, les démocraties sauvent peut-être la douceur de vivre, mais elles cessent de garantir le destin de la patrie [3].

Elle est salutaire, car cette confiance peut être renouée. Dans leur très grande majorité, les citoyennes et les citoyens ne sont pas des anarchistes. Ils ne veulent pas vivre sans État, sans institutions, sans règles. Ce sont des pragmatiques qui recherchent du sens dans le monde et ses composantes pour pouvoir s’y inscrire pleinement en articulant des aspirations collectives, sociétales, et des désirs personnels, des besoins familiaux. Depuis les années 1980, les institutions et les politiques ont tenté de répondre à leur mise en cause. À chaque “affaire” qui s’est déclenchée, à chaque mise en cause fondamentale, a répondu un effort d’objectivation, de compréhension et de remédiation. Et les Parlements ont été en première ligne, avec d’abord les commissions d’enquête (Heysel, Jos Wyninckx, Brabant wallon, Cools, Dutroux, Publifin, etc.), des recommandations et leur mise en œuvre législatives (loi Luc D’Hoore sur le financement des partis politiques, etc.) ou exécutives (suppression de la gendarmerie, procédures Franchimont, etc.) [4].

Le rétablissement de cette confiance demande des efforts considérables de recherche, d’expérimentation, de stabilisation. Je peux témoigner de cette préoccupation pour les institutions wallonnes pour avoir eu l’occasion de m’en soucier dans la durée, déjà avec Guy Spitaels, lorsqu’il présidait le Parlement de Wallonie de 1995 à 1997, ensuite avec Robert Collignon (2000-2004), Emily Hoyos (2009-2012), Patrick Dupriez (2012-2014) et aujourd’hui avec André Antoine et le Bureau du Parlement, pour qui nous avons suivi les travaux de la Commission de rénovation démocratique en 2014 et 2015, avant de réaliser, avec le politologue Christian de Visscher, le rapport qui a servi de base au colloque du 17 novembre 2015 sur Les ressorts d’une démocratie wallonne renouvelée, dans le cadre du 35e anniversaire des lois d’août 1980 et du 20e anniversaire de l’élection directe et séparée des parlementaires wallons [5]. Pour ce qui nous concerne, le passage à l’acte de ces réflexions a été l’organisation du panel citoyen sur les enjeux de la gestion du vieillissement, suivant une méthodologie que nous avions déjà inaugurée en Wallonie en 1994 avec Pascale Van Doren et Marie-Anne Delahaut, et l’appui des professeurs Michel Quévit et Gilbert de Landsheere [6].

Ainsi, la question elle-même de la participation des citoyens n’est-elle pas neuve au Parlement de Wallonie. Lors de sa séance du 16 juin 1976 déjà, le Conseil régional wallon adopta une résolution en référence à une proposition du sénateur Jacques Cerf, un élu Rassemblement wallon de Lehal-Trahegnies, dans la circonscription de Charleroi-Thuin, qui fut vice-président de l’Assemblée, – le Conseil régional était alors uniquement composé de sénateurs – portant sur la création de commissions permanentes de participation dans les communes et l’obligation d’informer les citoyens sur la gestion communale [7].

S’il n’est pas nouveau ni limité au niveau régional, cet enjeu de relations avec les citoyennes et citoyens n’est pas non plus propre à la Wallonie ni à la Belgique. L’absence de consultation des citoyens entre les élections est une des critiques majeures adressées aux institutions avec l’insuffisance du contrôle parlementaire sur les décisions politiques monopolisées par le pouvoir exécutif, pour citer Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, évoquant la situation française et s’interrogeant pour savoir si la démocratie représentative est en crise [8].

Et c’est ici que nous répondons à tous les sceptiques, parmi les journalistes, chroniqueurs ou même les élues et les élus qui n’ont pas toujours pris conscience de la nécessité d’une refondation démocratique, qui puisse à la fois répondre à un besoin de démocratie approfondie, et infléchir ou même renouveler les politiques collectives entre les échéances électorales. Il s’agit bien là d’instaurer une démocratie permanente, continue, horizontale, ou même une démocratie intelligente, pour reprendre la belle formule de mon regretté ami l’Ambassadeur Kimon Valaskakis, ancien président du Club d’Athènes, qui était venu, en 2010, faire une belle conférence pour le Parlement de Wallonie. Une démocratie, qui, comme le dit également Luc Rouban, ressemble davantage au profil citoyen, qui soit moins oligarchique, c’est-à-dire qui échappe à l’accaparement du pouvoir politique par une minorité qui défende ou cherche à satisfaire des intérêts privatifs (prend des distances avec la professionnalisation de la vie politique, échappe aux conflits d’intérêts, à la corruption, à la soumission aux groupes de pression, à l’influence parfois étouffante des Cabinets ministériels, etc.) [9]. Une démocratie également qui s’inscrive dans l’imputabilité, le rendre compte au contribuable, qui désacralise le politique – le pouvoir politique a désormais perdu toute transcendance, rappelait le sociologue Patrice Duran [10] -, tout en respectant l’élu pour son implication et la qualité de son travail au service de la collectivité, du bien commun, de l’intérêt général.

Si nous voulons résoudre les problèmes, il nous faut les maîtriser

Mais ce travail de refondation est extrêmement difficile et délicat. Il implique de ne pas mettre en cause un des fondements de la démocratie représentative, qui est la légitimité démocratique de l’élu. De même, il nécessite de renforcer la capacité des citoyens à dialoguer et à identifier les enjeux pour les prendre en charge non pas en fonction de leurs seuls intérêts, mais, eux aussi, de se placer au niveau collectif pour proposer des politiques communes, collectives, notamment publiques. J’insiste sur cette distinction, car, contrairement à ce que soutenait dernièrement un ministre communautaire, toutes les politiques publiques ne sont pas collectives. Une politique collective peut et devrait même, dans une logique de gouvernance par les acteurs, impliquer des moyens privés, associatifs et/ou citoyens. Reconnaissons que c’est rarement le cas.

Ainsi, prenons bien conscience que, pas plus que l’élu, le citoyen ne peut s’improviser gestionnaire public du jour au lendemain. Comme le souligne encore Luc Rouban dans son rapport publié à la Documentation française, la fragmentation de l’espace public et la complexité des procédures de décision ont rendu la démocratie incompréhensible à un nombre croissant de citoyens. L’ingénierie institutionnelle ne pourra pas résoudre ce problème qui appelle en revanche une véritable formation civique [11].

De même, la tâche difficile qui consiste à énoncer des politiques publiques ne s’improvise pas. La mise en forme de cet énoncé, que le politologue Philippe Zittoun désigne comme l’ensemble des discours, idées, analyses, catégories qui se stabilise autour d’une politique publique particulière et qui lui donne du sens, est ardue. En effet le travail de proposition d’action publique s’appuie sur un double processus : à la fois de greffe de cette proposition à un problème qu’elle permet de résoudre et de relation à une politique publique qu’elle voudrait transformer [12]. Tant le problème, que sa solution potentielle, que la politique publique à modifier doivent être connus et appropriés.

Les termes d’une équation comme celle-là doivent nous inviter à la modestie, sans jamais, toutefois, renoncer à cette ambition. Personne ne s’étonnera qu’ici je rappelle que, dans son souci de favoriser la bonne gouvernance démocratique, l’Institut Destrée, que j’ai l’honneur de piloter, définit la citoyenneté comme intelligence, émancipation personnelle et responsabilité à l’égard de la collectivité. De même, ce think tank inscrit-il parmi ses trois objectifs fondamentaux la compréhension critique par les citoyens des enjeux et des finalités de la société, du local au global, ainsi que la définition des axes stratégiques pour y répondre [13]. Dit plus simplement : si nous voulons résoudre les problèmes, il nous faut les maîtriser.

Investir dans les jeunes en matière d’emploi, de formation, de mobilité, de logement, de capacité internationale, en étant attentif au développement durable

La jeunesse n’est pas un âge de la vie, répétait le Général Douglas MacArthur, c’est un état d’esprit. Propos d’un homme de soixante ans, certes, et que je reprends volontiers à ma charge. Historiens, sociologues, psychologues et statisticiens se sont affrontés sans merci sur une définition de la jeunesse, qui est évidemment très relative selon l’époque de l’histoire, la civilisation, le sexe, etc. Parmi une multitude d’approches, on peut, avec Gérard Maurer, cumuler deux regards : le premier consiste à collecter les événements biographiques qui, comme autant de repères, marquent la sortie de l’enfance puis l’entrée dans l’âge adulte : décohabitation, sortie du système scolaire, accès à un emploi stable, formation d’un couple stable, sanctionné par le mariage ou non. La seconde approche, qui peut inclure la première, consiste à prendre en compte les processus temporels qui mènent de l’école à la vie professionnelle, de la famille d’origine à la famille conjugale, donc un double processus d’accès au marché du travail et au marché matrimonial, qui se clôture avec la stabilisation d’une position professionnelle et matrimoniale, pour parler comme le sociologue, mais en vous épargnant toutes les précautions d’usage [14]. De son côté, le professeur Jean-François Guillaume de l’Université de Liège, membre du Comité scientifique mis en place par le Parlement de Wallonie, intègre dans sa définition une dimension de volontarisme qui ne saurait déplaire au prospectiviste : la jeunesse contemporaine est généralement comprise comme une période où se profilent et se préparent les engagements de la vie adulte. Âge où les rêves peuvent s’exprimer et les projets prendre forme. Âge aussi où il faut faire des choix. Celui d’une formation ouverte sur l’insertion professionnelle n’est pas le moindre, car d’elle dépendent souvent encore l’indépendance résidentielle et l’engagement dans une relation conjugale [15].

À noter que, conscients de toutes ces difficultés de définition, et dans un souci de simplicité et devant la nécessité de définir le sujet tant pour l’approche statistique que pour l’analyse audiovisuelle qualitative, nous avons, avec le Parlement, décidé de cibler la tranche d’âge 18-29 ans, correspondant à la définition de l’INSEE, en l’arrondissant à 30 ans et en nous permettant de la souplesse dans l’application.

Chacun mesure dès lors la difficulté d’appréhender sur un sujet instable, en quelques jours, autant de problématiques aussi complexes (tissées ensemble dirait mon collègue Fabien Moustard, avec Edgar Morin) que l’emploi, la formation, la mobilité, le logement, la capacité internationale, en y intégrant l’angle du développement durable. C’est pourquoi, fort de l’expérience du panel citoyen sur la gestion du vieillissement, qui avait été amené à consacrer beaucoup de temps à formuler, puis à hiérarchiser les enjeux de long terme, nous avons souhaité préparer le processus de travail du panel citoyen Jeunes lors d’un séminaire dédié (Wallonia Policy Lab) qui s’est tenu le 3 février dernier autour d’une douzaine de jeunes volontaires. Sur base d’une mise en commun d’expériences personnelles, trois enjeux y ont été identifiés qui pourraient être plus particulièrement ciblés.

  1. Comment les acteurs, tant publics que privés, peuvent-ils mieux prendre en compte les besoins sociétaux émergents ?
  2. Comment remédier aux risques de précarisation et de dépendance des jeunes entre la sortie de l’enseignement obligatoire jusqu’au premier emploi soutenable ?
  3. Quelles sont les normes anciennes qui mériteraient d’être adaptées à nos façons de vivre actuelles, pour mieux répondre aux aspirations collectives et individuelles et ouvrir les nouvelles générations au monde ?

Ces enjeux constituent les portes d’entrée et la toile de fond pour aborder la problématique du panel. Celui-ci restera évidemment libre de se saisir ou non de la totalité ou d’une partie de ces questions.

Seule la contradiction permet de progresser

Ces enjeux systémiques sont des pistes à se réapproprier. Ou non, le panel restant souverain pour ces tâches. Il travaillera – c’est essentiel – comme a pu le faire celui de 2017 avec quatre principes de fonctionnement essentiels : (1) la courtoisie, pour cultiver la qualité d’une relation faite de bonne volonté constructive, d’écoute, d’empathie, de bienveillance, de dialogue respectueux des autres, d’élégance, d’amabilité et de politesse, (2) la robustesse, fondée sur l’ambition, la franchise, l’expérience davantage que l’idéologie, sur le pragmatisme, la solidité documentaire, la qualité du raisonnement, l’honnêteté, (3) l’efficacité par des interventions brèves, économes du temps et du stress de chacun, orientées vers le résultat, évitant la moralisation, enfin (4) la loyauté, le respect de l’engagement d’aboutir pris envers le Parlement et soucieux de la responsabilité qui nous est collective de porter l’expérience au bout de ses limites.

Comme nous l’avons dit lors du Policy Lab, en citant Jacques Ellul, il faut arriver à accepter que seule la contradiction permet de progresser. (…) La contradiction est la condition d’une communication [16].

L’essentiel, le fondement de l’intelligence collective est sans nul doute le fait de passer d’opinions personnelles largement fondées sur des représentations à une pensée commune coconstruite sur la connaissance des réalités. C’est à cette tâche que nous devons ensemble nous atteler pour chacun des problèmes envisagés.

En tout cas, pour tous ceux qui pensent qu’il vaut mieux réfléchir collectivement pour avancer ensemble.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] Ce papier constitue la mise au net de l’intervention que j’ai faite lors de la séance de lancement du Panel citoyen “Jeunes” au Parlement de Wallonie, le 3 mars 2018.

[2] Voir Philippe DESTATTE, Qu’est-ce qu’un gouvernement ouvert ?, Blog PhD2050, Reims, 7 novembre 2017, https://phd2050.org/2017/11/09/opengov-fr/

[3] Raymond ARON, Face aux tyrannies, Juin 1941, dans R. ARON, Croire en la démocratie (1933-1944), p. 132, Paris, Fayard, 2017.

[4] voir Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, Nouvelle Histoire de Belgique, 1970-nos jours, Un autre pays, p. 67-117, Bruxelles, Le Cri, 2008.

[5] Philippe DESTATTE, Marie DEWEZ et Christian de VISSCHER, Les ressorts d’une démocratie renouvelée, Du Mouvement wallon à la Wallonie en Mouvement, Rapport au Parlement wallon, 12 novembre 2015.

https://www.parlement-wallonie.be/media/doc/pdf/colloques/17112015/ch-de-visscher_ph-destatte_m-dewez_democratie_wallonne_2015-11-12.pdf

[6] La Wallonie au Futur, Le Défi de l’Education, Conférence-consensus, Charleroi, Institut Destrée, 1995.

[7] Jacques BRASSINNE, Le Conseil régional wallon, 1974-1977, p. 103, Namur, Institut Destrée, 2007.

[8] Luc ROUBAN, La démocratie représentative est-elle en crise ?, p. 7-8, Paris, La Documentation française, 2018.

[9] Ibidem, p. 10-11.

[10] Patrice DURAN, Penser l’action publique, p. 97, Paris, LGDJ, 2010.

[11] Luc ROUBAN, op. cit., p. 187.

[12] Philippe ZITTOUN, La fabrique politique des politiques publiques, p. 20, Paris, Presses de Sciences Po, 2013.

[13] Les Assemblées générales du 2 octobre 2004 et du 21 juin 2012 ont approuvé le projet de Charte de l’Institut Destrée, qui constitue l’article 17 des statuts de l’asbl : ww.institut-destree.org/Statuts_et_Charte

[14] Gérard MAURER, Ages et générations, p. 77sv, Paris, La Découvertes, 2015.

[15] Jean-François GUILLAUME, Histoire de jeunes, Des identités en construction, p. 8, Paris, L’Harmattan, 1998.

[16] Jacques ELLUL, La raison d’être, Méditation sur l’Ecclésiaste, Paris, Seuil, 1987.

Châtelet, 30 novembre 2016

1. Une pensée prospective pour une définition éclairante du terrorisme

Mon approche principale du terrorisme sera guidée par la démarche prospective [1]. Elle se fonde sur une demande de services spécialisés de me voir, après quelques décennies, réinvestir cette question à la suite aux attentats dont la France a été l’objet début 2015. Cette première sollicitation a été suivie d’autres, tant sur le plan de la recherche que sur celui de l’enseignement, ou de l’éducation permanente. Les considérations qui suivent ont été nourries par les riches échanges que j’ai eus à ce sujet en 2015 et 2016 à Bruxelles, à Paris, à Washington, à Mons, à Namur, à Châtelet.

1.1. Le chemin de Damas

Abordant à nouveau la problématique du terrorisme telle qu’elle a été réactualisée par les actions de Daesh, j’ai deux préoccupations initiales. La première consiste à dire que, naturellement, la question est complexe, plus complexe qu’on ne le pense généralement, notamment par le fait que le problème est loin d’être un enjeu lié à quelques pays arabes et à la religion musulmane. Si je pensais que c’était le cas, je devrais me taire tout de suite. En effet, pour avoir étudié, comme historien, le terrorisme russe en Europe avant la Révolution d’octobre, je sais trop bien que, sans avoir une connaissance fine de la langue et de la culture, on ne peut pénétrer ni dans les pensées, ni dans les réseaux, même a posteriori. Cette complexité doit être actée ; c’est pour cette raison que je nomme mon premier chapitre “le chemin de Damas”, en référence au premier plaidoyer de l’apôtre Paul de Tarse. Comme l’ancien chasseur de primes pourfendeur de chrétiens, nous sommes aveuglés par les lumières de l’évidence et nous devons faire, avec beaucoup d’humilité, la quête de la vérité si nous voulons recouvrer une vision claire. C’est évidemment le lot quotidien des chercheurs et, en particulier, des prospectivistes. Cette idée a été magnifiquement rendue par Michel-Ange au XVIème siècle sur une fresque de la Chapelle Pauline à Rome et, plus près de chez moi, au XVIIème siècle, à la Cathédrale Saint-Paul de Liège, par une peinture de Bertholet Flemalle. Le Nouveau Testament résonne d’ailleurs dans le présent puisqu’il fait dire par la divinité : va à Damas, et là, on te dira ce que tu as à faire. Ne doutons pas que les interprétations contemporaines sont multiples…

Ma deuxième préoccupation initiale consiste à rappeler que le terrorisme n’échappe pas non plus aux temporalités, c’est-à-dire aux relations complexes que le présent entretient tant avec les passés qu’avec les futurs. Les citoyennes et les citoyens se laissent impressionner régulièrement, comme par autant de nouveautés, par des événements que les médias leur présentent comme exceptionnels, uniques ou jamais vus. Nous savons pourtant que ces événements se sont déjà produits, sous cette forme ou sous une autre, à plusieurs reprises, et qu’ils constituent même des éléments d’une tendance longue ou d’une évolution déjà identifiée. Ainsi, l’explosion accidentelle d’une bombe en face du Château de Villegas à Ganshoren-Bruxelles, le 23 février 1883 à 15 heures 30, tuant son porteur, permit à la Sûreté publique belge de partiellement découvrir le réseau des Narodovoletzi – ceux qui portent la volonté du peuple – d’Odessa. Elle permit aussi à l’historien qui reconstitua le réseau de comprendre à la fois comment il fonctionnait, et quelle était la motivation de ses membres, d’analyser le regard que les services contre-terroristes en avaient, comment ils coopéraient ou ne coopéraient pas, etc. Cette analyse était donc bien utile pour comprendre, et surtout pour essayer d’expliquer ce qui se passe aujourd’hui, autant que ce qui pourrait arriver demain [2].

La temporalité s’articule sur la rétrospective, voire – nous le verrons plus loin – sur la rétroprospective. La rétrospective fonde l’historicité, ce lien toujours subjectif, ou même intersubjectif, comme dirait Edgar Morin, que nous avons avec le passé. Sans cesse en effet, loin de le considérer comme donné, nous y retournons pour y rechercher nos questions du présent et surtout de l’avenir. N’est-ce pas aussi pour cela que Benedetto Croce disait que toute histoire est contemporaine ?

Mon intention n’est pas de faire l’histoire du terrorisme, ni même du terrorisme européen, mais il est assurément utile d’avoir à l’esprit quelques-unes des formes qu’il a pu prendre dans l’histoire – envers laquelle on ne pourra plus rien – pour en tirer quelques enseignements conceptuels, voire stratégiques, qui nous seront nécessaires pour aborder l’avenir.

D’emblée, la temporalité semble se mêler à l’intemporalité. Le roman de l’écrivain slovène Vladimir Bartol (Trieste, 1903 – Ljubljana, 1967), Alamut (1938), mondialement connu, peut constituer l’une des clefs de la compréhension du phénomène du terrorisme. D’une part, il s’inspire de la secte des Ismaéliens et analyse la dérive psychologique des jeunes combattants voués au culte de Mahomet et éduqués dans la fascination du devoir et de la mort, leur permettant d’accéder au paradis. D’autre part, Alamut a inspiré le jeu vidéo Assassin’s Creed, développé par Ubisoft Montreal pour PlayStation3 et Xbox 360 en 2007 et sur PC dès l’année suivante. Plus de 100 millions d’exemplaires des différents épisodes ont été vendus dans le monde [3]. Son influence a donc été plus grande que celle d’un article publié dans The Economist. Le film du réalisateur australien Justin Kurzel qui sortira fin 2016 devrait encore renforcer cette mythologie messianique dont on connaît les formules et principes : je partage l’humanité en deux catégories fondamentalement différentes : une poignée de gens qui savent ce qu’il en est des réalités et l’énorme majorité qui ne sait pas. Ou encore : rien n’est vrai, tout est permis [4]. Si les chercheurs sont conscients de l’importance de la représentation que l’on se fait du monde dans la motivation de l’action humaine, individuelle ou collective, il faut reconnaître que les aller-retour, voire les confusions contemporaines, entre le monde réel et le monde virtuel ajoutent à la complexité d’une problématique comme celle du terrorisme.

Dreamstime – Motortion

Loin de ne faire l’objet que de la panoplie des sectes, des sociétés secrètes ou des mouvements de résistance, l’usage de la terreur est inhérent à la violence et à la guerre. Dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, Jules César raconte comment la fulgurance de ses attaques – mais aussi leur brutalité – retenait dans le devoir les peuples amis et ramenait par la terreur ceux qui hésitaient à accepter la paix [5]. Ceux qui font de l’étymologie et de la linguistique comparée savent que les déclinaisons sémantiques des mots latins terror et terrere parcourent les siècles, bien avant d’ailleurs l’avènement de la Terreur instaurée par l’Assemblée nationale française, le 5 septembre 1793. On sait la terreur que nous ont inspirée les peuples des steppes, le Hun Attila, au Vème siècle, le Mongol Gengis Khan, au XIIIème, Tamerlan au XIVème siècle. Ce dernier est connu pour avoir terrorisé les villes et nations ennemies en construisant des pyramides de têtes coupées, comme à Ispahan en 1387. Mais ne pensons pas que l’enfer ce sont les autres. Un des grands capitaines, parfois dit wallon, Jean t’Serclaes, comte de Tilly, commandait l’armée de la Ligue catholique pour Maximilien de Bavière [6]. Lorsqu’il affronta l’Union évangélique protestante durant la Guerre de Trente Ans, il s’empara, le 25 mai 1631, de la ville allemande de Magdebourg et permit le massacre de 25.000 personnes ainsi que de nombreux autres sévices à la population afin de s’assurer de la reddition des villes voisines. Le Marquis de Sourdis, au service de Richelieu, fit de même à Châtillon-sur- Saône quatre ans plus tard. De nombreuses villes belges subissent des logiques semblables pendant l’invasion allemande lors de la Grande Guerre, comme Dinant, sur la Meuse, le 23 août 1914 (605 morts). Le massacre de Nankin, fin 1937 – début 1938, provoque probablement près de 250.000 morts. Il constitue certainement l’apogée de ce type de terrorisme. Mais les guerres sont parfois civiles et, en période révolutionnaire – ou non -, elles peuvent elles-mêmes instaurer la terreur sur leur propre population, comme nous l’avons déjà évoqué pour la Révolution française. C’est alors la légitimité qui est générée pour les citoyens de massacrer les ennemis de la République, comme on l’a connu, pour ne prendre qu’un exemple, à Lyon le 14 décembre 1793, et peut-être encore à Ankara, ce 15 juillet 2016. Dans De l’esprit des Lois, Montesquieu, dès 1748, désigne par le terme terreur, le principe d’un gouvernement despotique [7]. Bien avant lui, en 1690, John Locke indiquait dans le premier essai de ses deux Traités sur le gouvernement que l’épée des magistrats doit servir à terrifier les malfaiteurs pour que cette terreur oblige les hommes à respecter les lois positives de la société [8]. L’usage des mots terrorisme et terroristes se répand à partir de 1794, d’abord au sens de régime de terreur politique et des partisans de ce régime, puis dans une acception plus large, d’emploi systématique de la violence dans un but politique. Notons que antiterrorisme et antiterroriste ne datent que de l’année suivante : 1795 [9].

Bien entendu, l’armement moderne, par ses moyens mécaniques, donne une ampleur sans précédent à la violence de masse. On sait que le bombardement de Guernica, capitale historique du Pays basque, le 23 avril 1937, est une sorte de répétition de ce qui va suivre durant la Seconde Guerre mondiale. Le bombardement de Rotterdam du 14 mai 1940 par la Luftwaffe constitue assurément aussi un acte de terrorisme. Il est difficile de faire échapper à cette triste liste les mêmes bombardements massifs allemands, anglais ou américains sur des cibles civiles, en particulier des villes, durant ce conflit. Les tracts d’ultimatum, lancés sur ces zones, attestent bien, comme l’indique Ariel Merari, la volonté de terroriser directement les populations civiles [10].

L’analyse de la Seconde Guerre mondiale est intéressante également pour montrer le caractère ambivalent du concept de terrorisme et de résistance. Un exemple flagrant est celui du Réseau Manouchian, assez bien connu pour avoir fait l’objet d’une affiche de propagande diffusée en 1944 par le Régime de Vichy. Composé de résistants d’origines étrangères, juifs et communistes, le Groupe de Missak Manouchian s’était fait connaître par ses attentats contre des pilotes et des permissionnaires allemands. Se disant eux-mêmes francs-tireurs et partisans (FTP), ils furent condamnés à morts et exécutés par les Allemands en 1944 en tant que terroristes, et honorés à la Libération en tant que résistants. Le même regard a été posé sur les membres de l’Irgoun, lors de l’attaque du quartier général britannique au King David Hôtel à Jérusalem le 22 juillet 1946, qui fit 91 morts et de nombreux blessés parmi les membres des services britanniques. Un autre exemple de la difficulté de clarifier le concept de terrorisme est celui de la Bataille dite d’Alger, menée par les régiments parachutistes français, dans un contexte de décolonisation, de janvier à octobre 1957. Il est clair que les mesures radicales de contre-terrorisme prises alors par les militaires français ont eu un certain succès, car elles ont réellement terrorisé les populations indigènes nationalistes mais aussi les colons qui leur étaient favorables.

L’ensemble des actions très disparates qui ont été évoquées permet de montrer la diversité des formes que le terrorisme peut prendre. Mais aussi l’existence d’une trajectoire qui nous inscrit dans le temps long et qui casse l’idée que ce qui survient à la présente génération serait unique, innovant, jamais vu. Pour rester dans l’époque contemporaine, on peut ajouter à cette trajectoire la multitude des attentats et des actions anarchistes, nihilistes, socialistes révolutionnaires, fascistes ou autres qui ponctuent les XIXème et XXème siècles : que l’on songe à l’assassinat du Tsar Alexandre II (1881), de celui du Président Sadi Carnot (1894) ou de l’Archiduc François-Ferdinand de Habsbourg (1914), aux attentats de Septembre noir aux Jeux olympiques de Munich (1972), aux actions de la Fraction armée rouge (Hans-Martin Schleyer, 1977), des Brigades rouges, d’Action directe, des CCC, à l’attentat de la gare de Bologne (2 août 1980), aux attentats de Beyrouth contre les forces américaines et françaises (23 octobre 1983), aux tueurs du Brabant (28 morts de 1983 à 1985), aux attentats du GIA comme celui du RER B à la station Saint-Michel à Paris, le 28 juillet 1995, ainsi qu’à ce tournant mondial que constitua le 11 septembre 2001 et qui eut de nombreuses conséquences pour l’Europe.

Cet inventaire bien incomplet nous montre la diversité des formes que peut revêtir le terrorisme [11]. Il aurait pu nous donner des critères précis en vue d’une définition générale. Ce n’est pourtant pas le cas. Comme le montre Ariel Merari, si le terrorisme peut apparaître comme une forme immorale de guerre, le fait que le code moral de comportement se soit fortement affaissé dans pratiquement toutes les guerres pour toutes les parties au XXème siècle, notamment en prenant les civils pour cibles, montre que la différence entre le terrorisme et les autres formes de guerres est une question de compréhension [12].

S’il faut un argument supplémentaire pour démontrer cette relativité, il suffit de jeter un regard sur la définition du terrorisme dans le dictionnaire français de Lachâtre, en 1890, dictionnaire populaire, proche du mouvement ouvrier. Après avoir rappelé qu’il s’agit du régime de la terreur qui a régné en France pendant une partie de la Révolution, Maurice Lachâtre ajoute que le terrorisme est l’époque révolutionnaire la plus émouvante. Il définit ensuite le terroriste comme un partisan, un agent du système de la terreur, ajoutant que les terroristes ont sauvé la France [13].

Que dire ? Sinon que cette formulation relative au terrorisme doit nous rendre modeste.

1.2. Vers une définition du terrorisme

S’agissant du terrorisme, il est classique de commencer par considérer la difficulté de le définir dans la littérature scientifique. Nous devons éviter de le confondre avec toute forme de violence politique et d’ignorer les différentes formes de terrorisme d’État [14].

D’emblée, pourtant, Raymond Aron avait eu un apport déterminant, dès 1962, en considérant qu’une action terroriste est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques [15]. Les différentes définitions données par les organisations internationales peuvent nous aider à appréhender le phénomène. Ainsi, la Résolution A/54/16 de l’ONU du 2 février 2000 précise-t-elle qu’il s’agit d’actes criminels avec des objectifs politiques [16].

 La définition du terrorisme par l’Otan, provenant de son glossaire en anglais et en français partage cette idée de dimension politique : l’emploi illégal ou menace d’emploi illégal de la force ou de la violence contre les personnes ou des biens, afin de contraindre ou d’intimider les gouvernements ou les sociétés dans le but d’atteindre des objectifs politiques, religieux ou idéologiques [17].

Le Conseil de l’Union européenne y voyait en 2002 une intention d’intimider gravement la population ou de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale [18], idée que l’on va retrouver dans de nombreuses législations nationales telles que la loi belge du 19 décembre 2003. L’historienne française Jenny Raflik souligne l’intérêt de l’approche du phénomène par la convention arabe pour la lutte contre le terrorisme adoptée au Caire le 22 avril 1998, qui est à la fois innovante à plusieurs égards mais intègre des limites comme la possibilité d’exclure du cadre terroriste des luttes que l’on pourrait déclarer légitimes [19]. L’important travail exploratoire que l’historienne et auditrice à l’Institut français des Hautes Études de Défense nationale a mené lui a d’ailleurs permis de proposer une définition que nous faisons nôtre : le terrorisme est un projet politique qui s’inscrit dans la durée et vise à contester un ordre établi, de tenter d’y mettre un terme et/ou d’y substituer un nouvel ordre. Il use, pour cela, tactiquement, d’une violence transgressive, bien que présentée et considérée comme légitime par le terroriste, et inscrite dans l’immédiat [20]. Cette définition nous paraît en effet très pertinente. D’abord parce qu’elle objective et prend au sérieux le terrorisme comme un projet politique et non comme une déviance, ce qui en amoindrirait l’importance et les finalités. Ensuite, parce que Jenny Raflik met en évidence le moyen que constitue une violence transgressive, assortie d’un caractère subjectif entre celui qui commet l’acte et celui qui le subit. Enfin, parce que cette définition intègre les temporalités qui portent la tension entre un événement immédiat et ses effets à longue portée.

1.3. Quelques considérations liminaires

Quelles considérations liminaires peuvent clôturer cette introduction ?

1.3.1. Le terrorisme ne constitue pas un phénomène nouveau. Il est inscrit dans le temps long, de l’antiquité à nos jours. Il doit être analysé dans la temporalité, c’est-à-dire dans les relations que passé, présent et futur entretiennent.

1.3.2. Le terrorisme est un phénomène complexe qui prend des formes très diverses et peut être porté par des acteurs très différents, individuels ou collectifs, privés ou publics, qui sont animés par un projet politique, donc une volonté stratégique d’action en vue de conserver ou de transformer une situation existante. En définissant le terrorisme, il s’agit d’éviter de le confondre avec toutes les formes de violence politique et d’ignorer les différentes formes de terrorisme d’État.

1.3.3. L’usage de la terreur et du terrorisme contre les citoyens est inhérent à la philosophie politique de nos sociétés libérales telles qu’elles ont été conçues par John Locke et Montesquieu, notamment.

1.3.4. La légitimité de ce projet politique est subjective, ses moyens sont transgressifs et ont vocation à se démultiplier notamment par effet psychologique et résonance médiatique.

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Philippe Destatte

@PhD2050

[1] La prospective est une démarche indépendante, dialectique et rigoureuse, menée de manière transdisciplinaire en s’appuyant sur la longue durée. Elle peut éclairer les questions du présent et de l’avenir, d’une part en les considérant dans leur cadre holistique, systémique et complexe et, d’autre part, en les inscrivant, au delà de l’historicité, dans la temporalité. Résolument tournée vers le projet et vers l’action, la prospective a pour vocation de provoquer une ou plusieurs transformation(s) au sein du système qu’elle appréhende en mobilisant l’intelligence collective.

[2] Philippe DESTATTE, Contribution à l’histoire de l’émigration russe à la fin du XIXe siècle, 1881-1899, Mémoire présenté pour l’obtention du grade de Licencié en Histoire, Liège, Université de Liège, Année académique 1978-1979, 240 p. – Ph. DESTATTE, Sûreté publique et Okhrana, Les Foyers d’émigrés russes en Belgique, 1881-1899, in Conferentie Benerus : België, Nederland, Rusland : betrekkingen en beeldvorming, Rotterdam 7-8 mei 1987 : Belgisch-Nederlandse conferentie over de politieke, economische en culturele betrekkingen tussen België c.q. Nederland en Rusland/de USSR met nadruk op de periode na 1917, Erasmus Universiteit Rotterdam, Katholieke Universiteit (Leuven), Rijksuniversiteit Leiden, 1987.

[3] Après des ventes décevantes, Ubisoft ne sortira pas de jeu “Assassin’s Creed” en 2016, dans Le Monde, 12 février 2016.

[4] Vladimir BARTOL, Alamut, coll. Libretto, Paris, Libella, 2012. – Merci à Pierre Destatte, professeur à la Haute Ecole Condorcet, d’avoir attiré mon attention sur le lien entre ce roman et la mythologie terroriste, et à mon fils Julien Destatte d’avoir mis en évidence les liens avec Assassin’s Creed.

[5] Jules CESAR, La Guerre des Gaules, Traduction de Maurice RAT, Livre huitième, III, p. 198, Bibliothèque des Classiques de l’UQAC, http://classiques.uqac.ca/classiques/cesar_jules/guerre_des_gaules/guerre_des_gaules.pdf – de BURY, Histoire de la vie de Jules César, suivie d’une dissertation sur la liberté où l’on montre les avantages du Gouvernement monarchique sur le républicain, Paris, Didot, 1758. Par exemple, p. 86 : “il leur représenta de quelle importance il était pour eux de se rendre maîtres d’une ville riche et opulente, qui leur procurerait l’abondance de toutes choses, et jetterait la terreur chez toutes les autres qui avaient quitté son parti, s’ils l’emportaient avant qu’elle fût secourue.”

[6] Deutsche Geschichte in Dokumenten und Bildern, Band 1, Von der Reformation bis zum Dreißigjährigen Krieg 1500-1648, Die Apokalypse vor Ort – Die Zerstörung Magdeburgs (1631)A Local Apocalypse, The Sack of Magdeburg (1631), German Historical Institute, Washington DC, 2008.

http://germanhistorydocs.ghi-dc.org/sub_document.cfm?document_id=4396

[7]La sévérité des peines convient mieux au gouvernement despotique, dont le prin­cipe est la terreur, qu’à la monarchie et à la république, qui ont pour ressort l’honneur et la vertu.” MONTESQUIEU, De l’esprit des lois ou du rapport que les lois doivent avoir avec la Constitution de chaque gouvernement, les mœurs, le climat, la religion, le commerce, etc. (…), t.1, LVI, Chapitre IX, p. 130, Genève, Barrilot & Fils, 1748.

[8] (…) government being for the preservation of every man’s right and property, by preserving him from the violence or injury of others, is for the good of the governed: for the magistrate’s sword being for a “terror to evil doers”, and by that terror to enforce men to observe the positive laws of the society, made conformable to the laws of nature, for the public good, i.e., the good of every particular member of that society, as far as by common rules it can be provided for (…) John LOCKE, Two Treatises of Governement, Ch. IX, Of Monarchy by Inheritance from Adam, 92, London, Thomas Tegg & alii, 1823. McMaster University Archive of the History of Economic Thought.

Cliquer pour accéder à government.pdf

[9] Alain REY, Dictionnaire historique de la langue française, t.3, p. 3803, Paris, Robert, 2006.

[10] Ariel MERARI, Du terrorisme comme stratégie d’insurrection, dans Gérard CHALIAND et Arnaud BLIN dir., Histoire du terrorisme, De l’Antiquité à Daech, p. 31, Paris, Fayard, 2015.

[11] Voir Ugur GURBUZ ed, Future Trends and New Approaches in Defeating the Terrorism Threat, Amsterdam-Berlin-Tokyo-Washington DC, IOS Press, 2013, en particulier Ozden CELIK, Terrorism Overview, p. 1-17 et Zeynep SUTALAND & Ugur GÜNGÖR, Future Trends in Terrorism, p. 75-87.

[12] Ariel MERARI, op.cit., p. 42.

[13] Maurice LACHÂTRE, Dictionnaire français illustré, vol. 2, p. 1413, Paris, Librairie du Progrès, 1890.

[14] Anne-Marie LE GLOANNEC, Bastien IRONDELLE, David CADIER, New and evolving trends in international security, in Transworld, FP7 Working Paper, 13, April 2013, p. 14.

[15] Raymond ARON, Paix et guerre entre les Nations, p. 176, Paris, Calmann-Levy, 1962.

[16]criminal acts intended or calculated to provoke a state of terror in the general public, a group of persons or particular persons for political purposes”. United Nations, Resolution adopted by the General Assembly, Measures to eliminate International Terrorism, A/RES/54/110 https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Terrorism-Proliferation-Narcotics/Documents/A-RES-54-110.pdf

[17] NATO Glossary of Terms and Definitions (English and French), p. 3T3, NATO (NSO), 2015.

[18] Council Framework Decision of 13 June 2002 on combating terrorism (2002/475/JHA), Official Journal L 164, 22/06/2002 P. 0003 – 0007. http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32002F0475&from=EN

[19] Jenny RAFLIK, Terrorisme et mondialisation, approches historiques, p. 24, Paris, Gallimard, 2016. – Il peut aussi être intéressant d’ouvrir une discussion pour comparer cette définition avec celle de Abu Mus’ab al-Suri ainsi qu’avec sa typologie du terrorisme. Voir Key excerpts of The Global Islamic Resistance Call, in Brynjar LIA, Architect of Global Jihad, The Life of al-Qaida Strategist Abu Mus’ab al-Suri, p. 382-383, London, Hurst & Company, 2014.

[20] Ibidem, p. 41.