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Charleroi le 8 septembre 2000

C’est à juste titre qu’on a qualifié la dynamique de réforme de l’État belge de fédéralisme de distanciement. Ce constat est fondamental : trente ans de transformation de la Belgique n’ont cessé d’éloigner les populations du royaume les unes des autres et ont été incapables de créer un projet fédéral commun. Bien au contraire, trente ans de réforme de l’État ont fait naître en Wallonie non seulement un manque d’intérêt pour la société et la culture de la Flandre, mais aussi une ignorance et une indifférence pour ce qui s’y passe vraiment. De même, sur la question de leurs relations avec la Flandre, l’incompréhension semble s’accroître entre, d’une part, les habitants de la Wallonie et, d’autre part, ceux qui à Bruxelles parlent le français.

La douce – mais courte – euphorie communautaire qui a présidé à la mise en place des gouvernements Arc-en-ciel et au convol du prince héritier ne semble pas avoir inversé cette tendance. Aussi, paraît-il utile de décrire ici un nouveau paradigme pour la Belgique, paradigme où Bruxelles apparaît – une fois encore – au centre du système [1].

 

1. Bruxelles, un no man’s land pour les Flamands et les Wallons

Une contribution provocatrice à la revue Politique m’a donné l’occasion d’aborder la question d’un statut pour Bruxelles sur un plan politique, sinon philosophique [2]. Je voudrais d’abord rappeler cette analyse avant de prolonger ma réflexion sur le plan institutionnel.

Ce texte, je l’avais intitulé Bruxelles : oser être métis, par référence au reproche adressé à Jules Destrée – et constamment rappelé – d’avoir, à l’instar d’Albert Mockel, nommé les Bruxellois métis, c’est-à-dire comme il l’expliquait, hésitants entre Flamands et Wallons, et tirant parti de cette hésitation. Si l’on fait constamment référence, à ce sujet, à La Lettre au roi de 1912, ou à Wallons et Flamands, de 1923, on oublie d’ailleurs que, lors du premier texte cité, Destrée travaille dans la capitale du royaume et que pour le deuxième  il y réside – et il le fera jusqu’à sa mort, en 1936. De même, les glorieux publicistes qui s’en prennent au député de Charleroi omettent constamment de citer les conclusions que Jules Destrée tirait à la fin de son chapitre sur ce sujet en 1924 :

Ainsi, Bruxelles, dont la prospérité est magnifique, devient pour les idées, ce que sa situation géographique indiquait, un centre du monde, un point de contact des grandes civilisations du siècle. […] La cité des métis devient de cette façon l’ardent foyer d’une civilisation européenne ; c’est un rôle assez beau pour que nous puissions beaucoup lui pardonner [3].

L’avenir de Bruxelles me paraît dès lors devoir être pris en compte par une approche nouvelle qui consiste à considérer l’ensemble de la population bruxelloise comme provenant essentiellement de l’immigration, y compris la population wallonne. Celle-ci  a connu, au niveau de sa troisième ou de sa quatrième génération, un phénomène d’intégration classique qui l’a transformée en population belge bruxelloise ou francophone de Bruxelles. Ce mécanisme d’intégration a d’ailleurs été facilité par le spectacle – souvent désolant – offert par une Wallonie en déclin à laquelle l’ambition sociale n’incitait pas à continuer de s’identifier. S’y est d’ailleurs ajoutée, plus récemment, l’incompréhension des Bruxellois à l’égard du choix, par les Wallons, de Namur comme capitale de la Wallonie. Il n’y a pas si longtemps, une personnalité de la francité bruxelloise ne se laissait-elle pas aller à trouver l’idée d’un parlement régional à Namur ridicule [4].

Ce qui est vrai pour les Wallons de Bruxelles est vrai pour toutes les populations qui y résident – et elles sont aujourd’hui aussi diverses que nombreuses. Du reste, en termes d’identité, ce qui a progressé le plus, ces dernières années à Bruxelles, c’est l’identité régionale bruxelloise, y compris l’identité bruxelloise des Flamands de Bruxelles. Mon espoir est, dès lors, celui de voir se construire – ou s’affiner si l’on est optimiste – une forte identité politique régionale bruxelloise pour une société pluriculturelle qui valorise les expériences et les potentialités culturelles de ses populations. La ville-frontière en oublierait le gordel qui l’obsède et abandonnerait le fantasme de son couloir de Dantzig vers la Wallonie au travers de la forêt de Soigne. Ainsi, Bruxelles, lieu d’identités multiples, pourrait-elle  représenter, en tant que capitale de l’Europe, les valeurs et les projets de ceux et de celles qui l’ont faite et font ce qu’elle est : les Flamands, les Marocains, les Turcs, les Grecs, les Allemands, les Français, les Italiens, les Wallons, etc.

Pour qu’il en soit ainsi, il est néanmoins nécessaire de changer la dynamique générale qui provoque le conflit autour de la question de Bruxelles.

Ce changement implique que l’on reconnaisse, entre Flamands, Bruxellois et Wallons, un minimum de volonté de vivre ensemble dans un État fédéral ou confédéral [5]. Or, au delà des slogans, la volonté de vivre ensemble demain entre Flamands, Bruxellois et Wallons n’est, aujourd’hui, ni établie ni démontrée.

Choisissant par optimisme et par conviction fédéraliste [6] l’hypothèse de cette volonté, il me paraît que le problème de Bruxelles ne peut être résolu qu’en sortant de la dynamique d’affrontement entre les communautés – flamande et francophone – que nous avons connue jusqu’ici.

Cet affrontement est inscrit dans le terme même de communauté, concept pollué et rétrograde, qui trouve son origine dans un droit du sang (jus sanguinis) auquel même les Allemands sont en train de tourner le dos. Ce droit familial, ethnique, basé sur la langue et la culture a été sans cesse source d’incompréhension en Belgique. D’une part, du côté flamand, on considère encore trop généralement que “la langue est tout le peuple” (taal is gansch het volk). L’aboutissement ultime de cette logique devrait d’ailleurs nous décider à nous rattacher respectivement aux Pays-Bas et à la France. D’autre part, du côté francophone et wallon, on attribue aux Flamands un “droit du sol” en se parant d’un “droit des gens”, alors qu’en réalité, le premier est libérateur de l’individu, car au territoire, conçu comme espace de la démocratie, on attribue des droits à ceux qui y vivent, si possible sans discrimination. Jules Destrée se trompait lorsque, de façon méprisante, il reprochait aux Flamands le droit du sol en évoquant le serf attaché à la glèbe [7].

Il faut, aujourd’hui, reconstruire la Belgique fédérale sur un régionalisme de citoyenneté, ce civisme constitutionnel cher à Jürgen Habermas, où la communauté est celle qui, comme le souligne Dominique Schnapper, réside sur un espace défini [8]. Comme un texan n’est qu’un habitant du Texas, un Flamand sera un habitant de la Flandre et un habitant de Bruxelles sera un Bruxellois.

2. Quatre repositionnements raisonnables

Ce nouveau paradigme pour la Belgique implique quatre repositionnements raisonnables :

2.1. Les francophones doivent renoncer à la Communauté française qui, contrairement à ce que disent ses défenseurs, ne protège pas les Bruxellois de l’influence flamande – de la flamandisation diraient les francophones -, mais peut permettre cette flamandisation en créant une concurrence entre les communautés sur le territoire de Bruxelles. Outre qu’il est coûteux, cet affrontement est inutile et ne porte aucun fruit.

2.2. Les Flamands doivent créer une vraie région flamande, comme les Wallons l’ont fait pour la Wallonie, avec Anvers comme capitale, en la reconquérant au Vlaams Blok. Ainsi que je l’avais suggéré en août 1995, les Flamands pourraient, en drainant de toute la Flandre une population politique, administrative et de services, disputer au Vlaams Blok – avant qu’il ne soit trop tard – une ville qui, hier de cultures et de lumières, pourrait devenir demain, la Toulon fasciste du nord [9].

2.3. Les Bruxellois doivent promouvoir une véritable citoyenneté métissée et renoncer à assurer un leadership sur la Belgique par des alliances économiques avec les uns et par des solidarités culturelles avec les autres. Les Bruxellois doivent assumer leur  vocation européenne et internationale en jouant avec franchise leur rôle de relais avec la Flandre, mais également avec la Wallonie. Ils doivent aussi examiner sans passion exagérée les statuts spécifiques que leur ville-capitale de l’Europe pourrait s’assigner tout en conservant ses institutions régionales. L’idée de statut européen ne peut être jugée indigne – voire scandaleuse – lorsqu’elle est avancée par le Flamand Louis Tobback et prise en considération quand elle provient du Wallon Michel Quévit [10] ou des Bruxellois francophones Renaud Denuit et Pierre Effratas. Comme l’écrivait cet écrivain et citoyen de Bruxelles, Bruxelles ne serait plus la capitale d’un État divisé, mais la ville de plusieurs centaines de millions d’Européens [11].

De toute manière, et en récusant l’idée de tutelle de la Flandre et de la Wallonie sur Bruxelles, la motivation du projet conçu par Michel Quévit dès 1984 me paraît garder toute sa pertinence, puisqu’il s’agissait de permettre aux Bruxellois de gérer de manière autonome leur spécificité propre, à savoir :

– les relations économiques que Bruxelles entretient avec la Flandre et la Wallonie ;

– la spécificité du développement urbain ;

– l’intégration harmonieuse des Bruxellois de langue néerlandophone dans son tissu sociologique, notamment en garantissant le droit de ses minorités [12].

On ajoutera, avec Michel Quévit, mais aussi avec Robert Tollet et Robert Deschamps, deux motivations supplémentaires pour faire en sorte que Bruxelles dispose des mêmes institutions, des mêmes compétences et des mêmes moyens que les deux autres régions :

– la spécificité culturelle propre qui ne peut s’assimiler ni à la région flamande, ni à la région wallonne,

– le caractère international qui doit être valorisé et doit profiter au développement des autres régions du pays [13].

2.4. Les Wallons doivent assumer leur situation économique en comptant davantage sur eux-mêmes que sur des solidarités forcées et créer, enfin, entre eux, le projet du plus grand dénominateur et non le consensus du plus petit commun multiple. Il y a longtemps que, à titre personnel, je répète que, lorsqu’on trace des frontières, on doit aussi pouvoir accepter que la politique, mais aussi le niveau de vie diffèrent des deux côtés de la frontière. Il me paraît normal que le développement économique ou la fiscalité soient différents entre des régions économiquement et socialement différentes. Naturellement, il faut passer par des négociations globales : si on veut régionaliser la sécurité sociale, alors, il faut également accepter de régionaliser la dette publique, dans des proportions à convenir [14].

De plus, dans un fédéralisme à quatre régions, les germanophones pourront aussi assumer les compétences régionales qu’ils souhaiteront vouloir prendre en charge.

Quatre régions égales en droit sans stratégies d’alliance particulière ni d’affrontement déterminé pourraient permettre la décrispation tant attendue depuis le début de la réforme de l’État. Bruxelles, no man’s land pour les Flamands, Wallons et francophones querelleurs, pourrait enfin se concentrer sur sa fonction de lien entre tous et chacun, au plan belge comme au plan européen et intercontinental.

Ainsi, l’horizon de l’engagement des Flamands comme des francophones et des Wallons dans leur mouvement citoyen ne sera plus celui d’un combat pour la conquête d’une hypothétique Jérusalem. Cet horizon pourra enfin être, pour la société, la volonté de ne plus abandonner derrière elle aucun laissé pour compte, quelle que soit sa langue, quelle que soit son origine et quelle que soit sa nationalité.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

([1]) Ce texte a été publié dans Fédéralisme, Stop ou encore ?, Numéro spécial des Cahiers marxistes, Octobre-Novembre 2000, p. 113-120. Une première mouture de cette réflexion avait fait l’objet d’une conférence publiée dans la revue du Masereelfonds Aktief : Philippe DESTATTE, Een Waal over Brussel, [Brussel, Vlaanderen en Wallonië, Tussenkomst tijdens de conferentie over de toekomst van Brussel, georganiseerd door het Masereelfonds in Brussel op 10 december 1998.] dans Aktief, Mars-Avril 1999, p. 13-17. Rien à retirer à ce papier en 2023, mais bien sûr, ajouter un quatrième Etat fédéré aux trois autres, l’OstBelgien, ce que j’ai fait avant 2007.

([2]) Philippe DESTATTE, Bruxelles : oser être métis, dans Politique, Octobre-novembre 1998, p. 40-42.

([3]) Jules DESTREE, Wallons et Flamands, La querelle linguistique en Belgique, p. 333, Paris, Plon, 1923.

([4]) Emmanuelle JOWA, Cultiver ses racines wallonnes à Bruxelles [Interview de Jean Bourdon, président de Bruxelles français], dans Le Matin, 18 septembre 1998, p. 6.

([5]) La différence entre fédéralisme et confédéralisme m’a toujours échappée, comme elle échappait à Fernand Dehousse – qui était lui un spécialiste -, parce que cette différence est pure question de définition.

([6]) voire résignation fédéraliste si on se réfère à l’analyse faite lors du colloque organisé à Liège, les 19 et 20 novembre 1998 : Philippe DESTATTE dir., L’idée fédéraliste dans les Etats-nations, Regards croisés entre la Wallonie et le monde,  Bruxelles, Presses interuniversitaires européennes – Charleroi, Institut Jules Destrée, 1999.

([7]) C’est là une conception du passé, une idée du Moyen Age. Jadis le serf était attaché à la glèbe. Aujourd’hui la personnalité humaine s’émancipe du sol où elle est née; elle se conçoit supérieure au territoire et libre de déterminer les directions de son activité. Le lien à un territoire est un reste de servitude. Le régionalisme flamand est un régionalisme attardé et d’esclavage; tandis que le mien est moderne et de liberté. La question des langues à l’armée, Séance du 22 mai 1913, dans Jules DESTREE, Discours parlementaires, p. 657, Bruxelles, Lamertin, 1914. – voir aussi : Hervé HASQUIN, Bruxelles, ville-frontière, le point de vue d’un historien francophone, dans Joël KOTEK, dir. , L’Europe et ses villes frontières, p. 213-214, Bruxelles, Complexe, 1996.- V.d.W., Beaufays (ULg) : “Le  droit du sol, une notion inerte”, dans La Libre Belgique, 5 février 1998, p. 3.

([8]) Dominique SCHNAPPER, La communauté des citoyens, Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994. – Jügen HABERMAS, L’intégration républicaine, Essais de théorie politique, Paris, Fayard, 1998. – Jürgen HABERMAS, Après l’Etat-nation, Une nouvelle constellation politique, Paris, Fayard, 2000.

([9]) Philippe DESTATTE, Pratique de la Citoyenneté et identités, Rapport de synthèse, dans Pratique de la Citoyenneté et identités, Treizième conférence des Peuples de Lanque française, Liège, 13, 14 et 15 juillet 1995, Actes, p. 179, Charleroi, Centre René Lévesque, 1996.

([10]) Michel QUEVIT, Une confédération belge : Solution institutionnelle équitable pour la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, dans Res publica, n°3, 1984, p. 352-361.

([11]) Pierre EFRATAS, Pour Bruxelles, une ville libre à vocation européenne, dans La Libre Belgique, 29-30 novembre 1997, p. 15 (Courrier des lecteurs).

([12]) Michel QUEVIT, op. cit, p. 361.

([13]) Robert DESCHAMPS, Michel QUEVIT, Robert TOLLET, Vers une réforme de type confédéral de l’Etat belge dans le cadre du maintien de l’unité monétaire, dans Wallonie 84, Liège, CESW, 2, n° 62, p. 95-111.

([14]) Filip ROGIERS, Waalse beweging laakt “konstant njet” van PS, Interview de Philippe Destatte, dans De Morgen, 8 août 1996, p. 5. – Voir aussi Philippe DESTATTE, L’identité wallonne : une volonté de participer plutôt qu’un sentiment d’appartenance, Contribution à une réflexion citoyenne, dans Cahiers marxistes, n° 207, Octobre – novembre 1997, p. 149 – 168.

 

Cet article a été publié dans les Cahiers marxistes  d’octobre-novembre 2000, sous le titre Bruxelles, la Flandre et la Wallonie, Un nouveau paradigme pour la Belgique ? n°217, p. 113-120.

Charleroi, le 15 septembre 2000

C’est à juste titre qu’on a qualifié la dynamique de réforme de l’Etat belge de fédéralisme de distanciement. Ce constat est fondamental : trente ans de dynamique de transformation de la Belgique n’ont cessé d’éloigner les populations du royaume les unes des autres et ont été incapables de créer un projet fédéral commun. Bien au contraire, trente ans de réforme de l’Etat ont fait naître en Wallonie non seulement un manque d’intérêt pour la société et la culture de la Flandre, mais aussi une ignorance et une indifférence pour ce qui s’y passe vraiment. De même, sur la question de leurs relations avec la Flandre, l’incompréhension semble s’accroître entre, d’une part, les habitants de la Wallonie et, d’autre part, ceux qui à Bruxelles parlent le français.

La douce – mais courte – euphorie communautaire qui a présidé à la mise en place des gouvernements arc-en-ciel et au convol du prince héritier ne semble pas avoir inversé cette tendance. Aussi, paraît-il utile de décrire ici un nouveau paradigme pour la Belgique, paradigme où Bruxelles apparaît – une fois encore – au centre du système [1].

Bruxelles, un no man’s land pour les Flamands et les Wallons

Une contribution provocatrice à la revue Politique m’a donné l’occasion d’aborder la question d’un statut pour Bruxelles sur un plan politique, sinon philosophique [2]. Je voudrais d’abord rappeler cette analyse avant de prolonger ma réflexion sur le plan institutionnel.

Ce texte, je l’avais intitulé Bruxelles : oser être métis, par référence au reproche adressé à Jules Destrée – et constamment rappelé – d’avoir, à l’instar d’Albert Mockel, nommé les Bruxellois métis, c’est-à-dire comme il l’expliquait, hésitants entre Flamands et Wallons, et tirant parti de cette hésitation. Si à ce sujet l’on fait constamment référence, à La Lettre au roi de 1912, ou à Wallons et Flamands, de 1923, on oublie que, lors du premier texte cité, Destrée travaille dans la capitale du royaume et qu’à l’époque de la publication du deuxième il y réside – et qu’il y habitera jusqu’à sa mort, en 1936. De même, les glorieux publicistes qui s’en prennent au député de Charleroi omettent constamment de citer les conclusions que Jules Destrée tirait à la fin de son chapitre sur ce sujet en 1924 :

Ainsi, Bruxelles, dont la prospérité est magnifique, devient pour les idées, ce que sa situation géographique indiquait, un centre du monde, un point de contact des grandes civilisations du siècle. […] La cité des métis devient de cette façon l’ardent foyer d’une civilisation européenne ; c’est un rôle assez beau pour que nous puissions beaucoup lui pardonner  [3].

L’avenir de Bruxelles me paraît dès lors devoir être pris en compte par une approche nouvelle qui consiste à considérer l’ensemble de la population bruxelloise comme provenant essentiellement de l’immigration, y compris la population wallonne. Celle-ci  a connu, au niveau de sa troisième ou de sa quatrième génération, un phénomène d’intégration classique qui l’a transformée en population belge bruxelloise ou francophone de Bruxelles. Ce mécanisme d’intégration a d’ailleurs été facilité par le spectacle – souvent désolant – offert par une Wallonie en déclin à laquelle l’ambition sociale n’incitait pas à continuer de s’identifier. S’y est d’ailleurs ajoutée, plus récemment, l’incompréhension des Bruxellois à l’égard du choix, par les Wallons, de Namur comme capitale de la Wallonie. Il n’y a pas si longtemps, un représentant de la francité bruxelloise ne se laissait-il pas aller à trouver l’idée d’un parlement régional à Namur ridicule (4].

Ce qui est vrai pour les Wallons de Bruxelles est vrai pour toutes les populations qui y résident – et elles sont aujourd’hui aussi diverses que nombreuses. Du reste, en termes d’identité, ce qui a progressé le plus, ces dernières années à Bruxelles, c’est l’identité régionale bruxelloise, y compris l’identité bruxelloise des Flamands de Bruxelles. Mon espoir est, dès lors, celui de voir se construire – ou s’affiner si l’on est optimiste – une forte identité politique régionale bruxelloise, pour une société pluriculturelle qui valorise les expériences et les potentialités culturelles de ses populations. La ville-frontière en oublierait le gordel qui l’obsède et abandonnerait le fantasme de son couloir de Dantzig vers la Wallonie au travers de la forêt de Soigne. Ainsi, Bruxelles, lieu d’identités multiples, pourrait-elle  représenter, en tant que capitale de l’Europe, les valeurs et les projets de ceux et de celles qui l’ont faite et font ce qu’elle est : les Flamands, les Marocains, les Turcs, les Grecs, les Allemands, les Français, les Italiens, les Wallons, etc.

Pour qu’il en soit ainsi, il est néanmoins nécessaire de changer la dynamique générale qui provoque le conflit autour de la question de Bruxelles.

Ce changement implique que l’on reconnaisse, entre Flamands, Bruxellois et Wallons, un minimum de volonté de vivre ensemble dans un Etat fédéral ou confédéral ([5]). Or, au delà des slogans, la volonté de vivre ensemble demain entre Flamands, Bruxellois et Wallons n’est, aujourd’hui, ni établie, ni démontrée.

Choisissant par optimisme et par conviction fédéraliste [6] l’hypothèse de cette volonté, il me paraît que le problème de Bruxelles ne peut être résolu qu’en sortant de la dynamique d’affrontement entre les communautés – flamande et francophone – que nous avons connue jusqu’ici.

Cet affrontement est inscrit dans le terme même de communauté, concept pollué et rétrograde, qui trouve son origine dans un droit du sang (jus sanguinis) auquel même les Allemands sont en train de tourner le dos. Ce droit familial, ethnique, basé sur la langue et la culture a été sans cesse source d’incompréhension en Belgique. D’une part, du côté flamand, on considère encore trop généralement que “la langue est tout le peuple” (taal is gans het volk). L’aboutissement ultime de cette logique devrait d’ailleurs nous décider à nous rattacher respectivement aux Pays-Bas et à la France.

D’autre part, du côté francophone et wallon, on conteste aux Flamands un “droit du sol” en se parant d’un “droit des gens”, alors qu’en réalité, le premier est libérateur de l’individu car, référant au territoire, conçu comme espace de la démocratie, on attribue des droits à ceux qui y vivent, si possible sans discrimination. Jules Destrée se trompait lorsque, de façon méprisante, il reprochait aux Flamands le droit du sol en évoquant le serf attaché à la glèbe ([7].

Il faut, aujourd’hui, reconstruire la Belgique fédérale sur un régionalisme de citoyenneté, ce civisme constitutionnel cher à Jürgen Habermas, où la communauté est celle qui, comme le souligne Dominique Schnapper, réside sur un espace défini (8]. Comme un texan n’est qu’un habitant du Texas, un Flamand sera un habitant de la Flandre et un habitant de Bruxelles sera un Bruxellois.

Quatre repositionnements raisonnables

Ce nouveau paradigme pour la Belgique implique quatre repositionnements raisonnables :

Primo, les francophones doivent renoncer à la Communauté française qui, contrairement à ce que disent ses défenseurs, ne protège pas les Bruxellois de l’influence flamande – de la flamandisation diraient les francophones -, mais peut permettre cette flamandisation en créant une concurrence entre les communautés sur le territoire de Bruxelles, ce qui s’observe déjà. Outre qu’il est coûteux, cet affrontement est inutile et ne porte aucun fruit.

Secundo, les Flamands doivent créer une vraie région flamande, comme les Wallons l’ont fait pour la Wallonie, avec, par exemple, Anvers comme capitale, en la reconquérant au Vlaams Blok. Ainsi que je l’avais suggéré en août 1995, les Flamands pourraient, en drainant de toute la Flandre une population politique, administrative et de services, disputer au Vlaams Blok – avant qu’il ne soit trop tard – une ville qui, hier de cultures et de lumières, pourrait devenir demain, la Toulon fasciste du nord (9].

Tertio, les Bruxellois doivent promouvoir une véritable citoyenneté métissée et renoncer à assurer un leadership sur la Belgique par des alliances économiques avec les uns et par des solidarités culturelles avec les autres. Les Bruxellois doivent assumer leur  vocation européenne et internationale en jouant avec franchise leur rôle de relais avec la Flandre mais également avec la Wallonie. Ils doivent aussi examiner sans passion exagérée les statuts spécifiques que leur ville-capitale de l’Europe pourrait s’assigner tout en conservant ses institutions régionales. L’idée de statut européen ne peut être jugée indigne – voire scandaleuse – lorsqu’elle est avancée par le Flamand Louis Tobback et prise en considération quand elle provient du Wallon Michel Quévit ([10]) ou des Bruxellois francophones Renaud Denuit et Pierre Efratas. Comme l’écrivait cet écrivain et citoyen de Bruxelles, Bruxelles ne serait plus la capitale d’un Etat divisé, mais la ville de plusieurs centaines de millions d’Européens [11].

De toute manière, et en récusant l’idée de tutelle de la Flandre et de la Wallonie sur Bruxelles, la motivation du projet conçu par Michel Quévit dès 1984 me paraît garder toute sa pertinence, puisqu’il s’agissait de permettre aux Bruxellois de gérer de manière autonome leur spécificité propre, à savoir :

– les relations économiques que Bruxelles entretient avec la Flandre et la Wallonie ;

– la spécificité du développement urbain ;

– l’intégration harmonieuse des Bruxellois de langue néerlandophone dans son tissu sociologique, notamment en garantissant le droit de ses minorités ([12]).

 On ajoutera, avec Michel Quévit, mais aussi avec Robert Tollet et Robert Deschamps, deux motivations supplémentaires pour faire en sorte que Bruxelles dispose des mêmes institutions, des mêmes compétences et des même moyens que les deux autres régions :

– la spécificité culturelle propre qui ne peut s’assimiler ni à la région flamande, ni à la région wallonne,

– le caractère international qui doit être valorisé et doit profiter au développement des autres régions du pays (13].

Quarto, les Wallons doivent assumer leur situation économique en comptant davantage sur eux-mêmes que sur des solidarités forcées et créer, enfin, entre eux, le projet du plus grand dénominateur et non le consensus du plus petit commun multiple. Il y a longtemps que, à titre personnel, je répète que, lorsqu’on trace des frontières, on doit aussi pouvoir accepter que les politiques mais aussi les niveaux de vie diffèrent des deux côtés de la frontière. Il me paraît normal que le développement économique ou la fiscalité soient différents entre des régions économiquement et socialement différentes. Naturellement, il faut passer par des négociations globales : si on veut régionaliser la sécurité sociale, alors, il faut également accepter de régionaliser la dette publique, dans des proportions à convenir [14].

De plus, dans un fédéralisme à quatre régions, les germanophones pourront aussi assumer les compétences régionales qu’ils souhaiteront vouloir prendre en charge.

Conclusion : la décrispation par les régions

Quatre régions égales en droit, sans stratégies d’alliance particulière ni d’affrontement déterminé pourraient permettre la décrispation tant attendue depuis le début de la réforme de l’Etat. Bruxelles, no man’s land pour les Flamands, Wallons et francophones querelleurs, pourrait enfin se concentrer sur sa fonction de lien entre tous et chacun, au plan belge comme au plan européen et intercontinental.

Ainsi, l’horizon de l’engagement des Flamands comme des francophones et des Wallons dans leur mouvement citoyen ne sera plus celui d’un combat pour la conquête d’une hypothétique Jérusalem. Cet horizon pourra enfin être, pour la société, la volonté de ne plus abandonner derrière elle aucun laissé pour compte, quelle que soit sa langue, quelle que soit son origine et quelle que soit sa nationalité.

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] Une première mouture de cette réflexion a fait l’objet d’une conférence publiée dans la revue du Masereelfonds Aktief : Philippe DESTATTE, Een Waal over Brussel, [Brussel, Vlaanderen en Wallonië, Tussenkomst tijdens de conferentie over de toekomst van Brussel, georganiseerd door het Masereelfonds in Brussel op 10 december 1998.] dans Aktief, Mars-Avril 1999, p. 13-17.  Ce texte a également été nourri par le débat avec Philippe De Bruycker, professeur à l’ULB, organisé à Parentville le 5 mai 1999, dans le cadre de l’exposition y organisée sur le fédéralisme belge.

[2] Philippe DESTATTE, Bruxelles : oser être métis, dans Politique, Octobre-novembre 1998, p. 40-42.

[3] Jules DESTREE, Wallons et Flamands, La querelle linguistique en Belgique, p. 333, Paris, Plon, 1923.

[4] Emmanuelle JOWA, Cultiver ses racines wallonnes à Bruxelles [Interview de Jean Bourdon, président de Bruxelles français], dans Le Matin, 18 septembre 1998, p. 6.

[5] La différence entre fédéralisme et confédéralisme m’a toujours échappée, comme elle échappait à Fernand Dehousse – qui était lui un spécialiste -, parce que cette différence est pure question de définition.

[6] voire résignation fédéraliste si on se réfère à l’analyse faite lors du colloque organisé à Liège, les 19 et 20 novembre 1998 : Philippe DESTATTE dir., L’idée fédéraliste dans les Etats-nations, Regards croisés entre la Wallonie et le monde,  Bruxelles, Presses interuniversitaires européennes – Charleroi, Institut Jules Destrée, 1999.

[7] C’est là une conception du passé, une idée du Moyen Age. Jadis le serf était attaché à la glèbe. Aujourd’hui la personnalité humaine s’émancipe du sol où elle est née; elle se conçoit supérieure au territoire et libre de déterminer les directions de son activité. Le lien à un territoire est un reste de servitude. Le régionalisme flamand est un régionalisme attardé et d’esclavage; tandis que le mien est moderne et de liberté. La question des langues à l’armée, Séance du 22 mai 1913, dans Jules DESTREE, Discours parlementaires, p. 657, Bruxelles, Lamertin, 1914. – voir aussi : Hervé HASQUIN, Bruxelles, ville-frontière, le point de vue d’un historien francophone, dans Joël KOTEK, dir. , L’Europe et ses villes frontières, p. 213-214, Bruxelles, Complexe, 1996.- V.d.W., Beaufays (ULg) : “Le  droit du sol, une notion inerte”, dans La Libre Belgique, 5 février 1998, p. 3.

[8] Dominique SCHNAPPER, La communauté des citoyens, Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994. – Jürgen HABERMAS, L’intégration républicaine, Essais de théorie politique, Paris, Fayard, 1998. – Jürgen HABERMAS, Après l’Etat-nation, Une nouvelle constellation politique, Paris, Fayard, 2000.

[9] Philippe DESTATTE, Pratique de la Citoyenneté et identités, Rapport de synthèse, dans Pratique de la Citoyenneté et identités, Treizième conférence des Peuples de Lanque française, Liège, 13, 14 et 15 juillet 1995, Actes, p. 179, Charleroi, Centre René Lévesque, 1996.

[10] Michel QUEVIT, Une confédération belge : Solution institutionnelle équitable pour la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, dans Res publica, n°3, 1984, p. 352-361.

[11] Pierre EFRATAS, Pour Bruxelles, une ville libre à vocation européenne, dans La Libre Belgique, 29-30 novembre 1997, p. 15 (Courrier des lecteurs).

[12] Michel QUEVIT, op. cit, p. 361.

[13] Robert DESCHAMPS, Michel QUEVIT, Robert TOLLET, Vers une réforme de type confédéral de l’Etat belge dans le cadre du maintien de l’unité monétaire, dans Wallonie 84,  Liège, CESW, 2, n° 62, p. 95-111.

[14] Filip ROGIERS, Waalse beweging laakt “konstant njet” van PS, Interview de Philippe Destatte, dans De Morgen, 8 août 1996, p. 5. – Voir aussi Philippe DESTATTE, L’identité wallonne : une volonté de participer plutôt qu’un sentiment d’appartenance, Contribution à une réflexion citoyenne, dans Cahiers marxistes, n° 207, Octobre – novembre 1997, p. 149 – 168.

Namur, le 25 novembre 2019

Les 11 et 12 mai 1946, le Congrès national wallon tient ses assises à Charleroi. Six fédérations libérales, six fédérations socialistes et six fédérations communistes sont officiellement représentées au congrès auquel plus de cinquante parlemen­taires ont adhéré [1]. Il s’agit de concrétiser les décisions prises lors du Congrès précédent, qui s’est tenu à Liège les 20 et 21 octobre 1945. Les congressistes décident de proposer au Parlement un projet de réforme institutionnelle. Celui-ci est mis au point par une commission travaillant sous l’égide du Comité permanent – pluraliste – du Congrès. Cherchant à définir ce que devraient être l’autonomie culturelle, l’autonomie économique, l’autonomie politique, la Commission des questions constitution­nelles, présidée par Fernand Dehousse, a considéré comme acquis que le déclin de la Wallonie réclamait des remèdes qu’aucun pouvoir central belge ne pourrait apporter. Elle a décidé d’inscrire la législation économique parmi les attributions des pouvoirs régionaux [2]. À l’unanimité moins trois voix et huit abstentions, le congrès opte pour la constitution d’un État fédéral formé de deux entités fédé­rées, la Flandre et la Wallonie, auxquelles sont attribuées les compétences résiduaires. En outre, le congrès reconnaît aux habitants de l’agglomération bruxelloise le droit de fixer eux-mêmes leur statut particulier dans l’État belge [3].

1. La Belgique est une confédé­ration formée par deux États régionaux, la Flandre et la Wallonie, et par la Région fédé­rale de Bruxelles

Amendé par le Groupe parlementaire wallon créé par le député liégeois François Van Belle (1881-1966) le 2 juillet 1946, avec les 36 sénateurs et les 22 députés d’opinion fédéraliste [4], un projet de révision de la Constitution est déposé à la Chambre le 6 mars 1947 par six parlementaires, soutenus par trente-trois députés wallons [5]. Les trois partis de la gauche sont associés dans cette démarche qui réunit des personnalités aussi importantes que le socialiste Marcel-Hubert Grégoire (1902-1982), le libéral Jean Rey ou le communiste Julien Lahaut (1884-1950). Le projet dit Grégoire-Rey précise en son article premier que la Belgique est une confédé­ration formée par deux États régionaux, la Flandre et la Wallonie, et par la Région fédé­rale de Bruxelles, formée des 19 communes de l’agglomération [6]. Le projet s’écarte très peu de celui préparé au sein de la Commission constitutionnelle du congrès wallon à l’exception du droit de sécession des États fédérés, écarté par le groupe parlementaire wallon [7]. La période de la Régence servira de prétexte pour écarter ce projet de révision de la Constitution. Quarante députés wallons, soit une majorité d’entre eux, ont voté pour la prise en considération ; parmi les Flamands, seuls deux communistes et un socialiste ont voté positivement, les autres députés flamands votant en bloc contre la prise en considération [8]. Pourtant, le Congrès wallon, réuni au Théâtre de Namur les 3 et 4 mai 1947, et qui avait approuvé la teneur de ce texte, avait aussi attiré solennellement l’attention du Parlement et de l’opinion publique sur le retentissement qu’aurait dans le pays wallon le rejet de la proposition de révision constitutionnelle et sur la gravité d’une décision qui serait considérée par la Wallonie comme une méconnaissance de ses aspirations légitimes et comme un défi [9].

Autre moment où la revendication autonomiste se manifeste puissamment : les grèves de 1960-61 lancées par André Renard et ses collègues syndicalistes wallons de la FGTB. À l’occasion de la journée du 3 janvier 1961, proclamée journée de deuil pour la Wallonie, les réformes de structure sont associées à la revendication fédéraliste, voire confédéraliste. Cette orientation est bien présente dans le syllabus intitulé La Wallonie lutte, qui est distribué ce jour-là aux militants rassemblés par le Comité de coordination des Régionales wallonnes de la FGTB : ils peuvent en effet lire la formule suivante : Que veulent les Wallons, qui sont minoritaires dans cet État unitaire et dominateur ? Ils veulent un régime d’association entre les régions, association progressiste et fraternelle, dans la cadre d’une Confédération [10].

3.2. Le Prix du Conseil économique wallon à une réforme de type confédéral

Vingt ans plus tard, au lendemain de la loi spéciale de réforme institutionnelle de 1980 qui fait vraiment entrer la Belgique dans un fédéralisme régional, d’autres voix wallonnes vont s’élever pour affirmer l’idée confédérale.

En 1982, le député FDF Georges Clerfayt fustige l’État belge et ses institutions unitaires qu’il voit périmées et mal régionalisées. Le député FDF estime qu’on a refusé de donner à cet État la seule solution valable : un fédéralisme radical et même un confédéralisme, parce que tous les débats communautaires se terminent toujours par des compromis excessivement coûteux, obérant les finances publiques (…) [11].

De brillants intellectuels nourrissent également le débat sur l’avenir de l’État. En 1983 et 1984, les professeurs Robert Deschamps (1942-2016), Michel Quévit et Robert Tollet, respectivement issus des universités de Namur, Louvain et Bruxelles, appellent à une réforme de type confédéral de l’État belge dans le cadre du maintien de l’unité monétaire [12]. Le texte ne passe pas inaperçu : largement commenté, il reçoit un prix décerné par le Conseil économique et social de Wallonie. Michel Quévit poursuivra ses analyses dans deux autres papiers publiés en 1984 et 1985. Le texte des trois chercheurs est fondé sur le constat que la Belgique ne vit pas un processus associatif de fédéralisation, mais un lent processus de désagrégation né de son histoire [13]. L’idée centrale consiste à montrer que le système fédéral belge appelle de nouveaux ajustements et de nouvelles compétences même s’il comprend d’ores et déjà de sérieuses caractéristiques de type confédéral [14]. Deschamps, Quévit et Tollet vont d’ailleurs mettre en débat et tenter de clarifier ces notions de fédération et de confédération en s’appuyant sur les travaux du spécialiste français de droit international, le professeur Paul Reuter (1911-1990). Ils concluent leur réflexion – qui prépare en fait les réformes de 1988-1989 et de 1993, mais aussi au-delà – en soulignant l’intérêt de concilier les avantages de la confédération avec ceux de la fédération. La vision qu’ils déploient tend à une intégration institutionnelle poussée en sauvegardant la personnalité juridique internationale des composantes internes de la confédération. L’objectif est à la fois de garantir des relations équitables dans les échanges entre les régions, et de maintenir une solidarité effective sur le plan économique et social. L’ensemble est réglé par une Constitution confédérale à trois régions autonomes qui disposent des mêmes institutions, des mêmes compétences, des mêmes moyens, ainsi que du pouvoir résiduel. Comme ils l’indiquent, ce modèle constitue une confédération d’intégration gérant des forces politiques centrifuges et des intérêts économiques communs [15].

Mais l’idée de confédéralisme fait déjà peur au monde politique. En février 1984, depuis l’opposition, le chef de groupe socialiste à la Chambre, Alain Van der Biest (1943-2002), rappelle que le renardisme était un courant fédéraliste, mais que le gouvernement social-chrétien – libéral mène le pays sur la voie du confédéralisme… [16] C’est la même année aussi que Lucien Outers (1924-1993), président du FDF, répond lui-même à la Chambre à la question de savoir Qu’est-ce que le confédéralisme ? Tous les traités de droit international, disait le député, expliquent que c’est l’association d’entités indépendantes, qui décident de s’associer pour examiner ce qu’elles ont encore de commun, ce qu’elles peuvent encore faire ensemble. Rappelant qu’il avait été fédéraliste toute sa vie, Outers estime que tout le monde connaît les objectifs de la Flandre et qu’elle les réaliserait un jour : s’orienter vers une autonomie qui sera sans doute totale. Lucien Outers, docteur en droit de l’Université de Liège, rappelle que si le fédéralisme est par définition une union de gens entre eux, le confédéralisme aussi. Ce sont des gens qui étaient séparés et qui s’unissent. Mais le président des fédéralistes bruxellois ne croit pas que les parlementaires rendent un grand service au pays en ignorant les problèmes et en différant sans cesse leur solution [17]. Dans le même débat, au nom du Groupe socialiste, le député liégeois Alain Van der Biest dit ne pas penser qu’une quelconque formule — quel que soit le nom qu’on lui donne de fédéralisme avancé ou de confédéralisme — doit se faire dans une sorte de repli politique [18].

Fin août 1984, le président du Pèlerinage de la Tour de l’Yser à Dixmude, Paul Daels (1921-1984), une des grandes figures du Vlaamse Volksbeweging et du Mouvement flamand en général, présente lui aussi le confédéralisme comme une alternative nécessaire au fédéralisme. Il indique dans son discours que le seul système qui semble acceptable pour la Flandre est une structure confédérale, une confédération d’États dans lesquelles la Flandre et la Wallonie seraient dotées de tous les pouvoirs et de toutes les ressources dont sont pourvus les États. Pour Paul Daels, ces entités conviendront ensuite librement ce qu’elles voudront faire ensemble de manière judicieuse et dans quelles conditions [19].

Un certain émoi touche la Chambre en 1985 lorsque le ministre régional wallon Valmy Féaux dépose un projet de taxe sur l’eau dans le cadre de son projet de décret sur la protection des eaux de surface contre la pollution [20]. Le député Volksunie Jef Valkeniers [21], dénonce l’attitude de la Wallonie qui, à ses yeux, ne se rend pas compte qu’en déposant un projet de taxe sur l’eau, alors qu’elle bénéficie de milliards d’euros de transferts de la Flandre dans le secteur social, elle porte atteinte à la solidarité fédérale. Pour Valkeniers, la question doit être posée de savoir s’il est toujours logique que, premièrement, la Flandre paie et, deuxièmement, que la Flandre et la Wallonie restent ensemble. Alors que le fédéralisme d’union n’apparaît plus crédible aux yeux du député, il dit vouloir pour la plus large autonomie possible, un confédéralisme dans lequel la solidarité n’est plus imposée, mais dans laquelle cette solidarité est déterminée par les Flamands eux-mêmes [22].

Dans l’ensemble de ces prises de positions, on observe aisément que le confédéralisme des uns est à trois composantes, alors que celui des autres n’en comptent que deux. Par conséquent, la voie du confédéralisme ne se réduit pas à une volonté de simplifier l’un des enjeux les plus importants du débat fédéral, la reconnaissance de l’existence de Bruxelles en tant que région à part entière.

 

 3.3. Basculer dans le confédéralisme, 1988 : le spectre prend forme

La constitution du Gouvernement Martens VIII et l’accord de mai 1988 ouvrent la voie à une nouvelle réforme de l’État dans des circonstances particulièrement difficiles pour le Parti socialiste qui défend un fédéralisme radical [23]. Le 13 mai, à la Chambre, le député libéral Armand De Decker (1848-2019) s’en prend au Premier ministre et à sa majorité : la constitution de votre gouvernement marquera l’histoire politique de notre pays à plus d’un titre, affirme-t-il, avant d’estimer que ce gouvernement entrera avant tout dans l’histoire comme le Gouvernement qui, après huit années de tentatives fédéralistes, aura fait basculer le pays dans le confédéralisme avant de le mener au séparatisme et bientôt peut-être à l’éclatement. La formule va percoler longuement dans les esprits… Le député bruxellois accuse le gouvernement non seulement de communautariser l’enseignement, mais de régionaliser toute l’économie alors qu’il prétend vouloir respecter le cadre normatif général qui assure l’unité monétaire et l’union économique belges [24].

Ce n’est pas l’avis d’Elio Di Rupo. Le jeune député socialiste montois intervient le lendemain, 14 mai 1988, pour souligner que trois questions négociées dans l’accord du gouvernement Martens VIII lui paraissent fondamentales : d’abord, l’approfondissement de la régionalisation ; ensuite, la promotion d’une politique sociale et économique marquée par le retour du cœur ; enfin, la volonté de rendre à la recherche scientifique une place prioritaire. Citant Jules Destrée, Elio Di Rupo rappelle il n’y a pas de Belge, c’est-à-dire que la Belgique est un État politique, qu’elle n’est pas une nationalité. Deux Communautés s’y ignorent ou s’y affrontent et l’usage d’une langue différente paraît être le substrat fondamental de cet état de choses. Et le député d’affirmer lui aussi que La fusion des Flamands et des Wallons, artificiellement opérée en 1831, s’est avérée au fil du temps, un mélange hétérogène, parfois explosif. Dès lors, pour Elio Di Rupo, il est vain de souhaiter son maintien. En revanche, poursuit-il, l’avènement d’une Belgique fédérale ou confédérale à édifier de façon équilibrée et stable répondrait aux aspirations des deux Communautés, et chacune pourrait y tirer profit efficacement de sa différence culturelle et économique. Et le député montois de conclure cette partie de son discours en affirmant que l’accord de gouvernement constituerait une des dernières chances de ne pas diviser notre pays de manière anarchique [25].

Néanmoins, un peu plus tard, son collègue du Parti des Réformes et de la Liberté (PRL), Daniel Ducarme (1954-2010), dénonce le fait que la déclaration gouvernementale porte les germes d’un confédéralisme belge favorable à la Flandre [26]. Willem Draps, député libéral de Bruxelles, va plus loin : le moment doit être retenu pour l’Histoire de Belgique. Pour Draps, cette nouvelle réforme de la Constitution va faire passer la Belgique d’un régime fédéral qui ne dit pas son nom à un confédéralisme plus que lâche, en transférant aux futurs États confédérés une masse budgétaire annuelle de 600 milliards de francs actuels, soit près de 40 % du budget total de l’État ; enfin, l’objectif de la majorité, dénonce-t-il, est de faire de l’État central une institution d’exception aux compétences strictement limitées alors que Régions et Communautés disposeraient de la compétence résiduaire [27].

Un mois plus tard, le 14 juin 1988, alors que la fièvre politique n’est pas retombée, Armand De Decker revient sur le sujet en accusant le gouvernement : votre démarche démontre, d’une façon que je dirai totale, que vous n’avez plus la volonté de maintenir un fédéralisme d’union, voire un fédéralisme tout court, mais que vous allez bien vers un confédéralisme. (…) Vous refusez donc une hiérarchie des normes, mais dans le même temps vous transférez les compétences résiduaires aux composantes de l’État et vous ne permettez même plus à l’État central de régler les compétences résiduaires. Je crois que cet exemple est unique, mais il est en tout cas la démonstration la plus radicale que ce que vous nous préparez n’est plus un fédéralisme, mais un confédéralisme qui refuse que la structure centrale entre les entités ait un mot essentiel à dire [28]. Et puis, c’est Jean Gol (1942-1995) lui-même qui le 17 juin 1988 s’écrie : le fédéralisme que vous prétendez mettre au point est en réalité une ébauche de confédéralisme. Il signifie à terme la destruction de l’État central par implosion financière ; il signifie – nous prendrons date aujourd’hui à cet égard – la pénurie pour la Région wallonne et la Région bruxelloise. C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons en aucun cas vous suivre dans ce que je n’hésite pas à qualifier de véritable folie [29]. Le 7 juillet, son collègue libéral liégeois Marcel Neven observe que le système qui nous est proposé ne s’apparentera pas au fédéralisme et à peine au confédéralisme. Nous sommes en route vers le séparatisme [30].

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Jean Gol (17 avril 1992) © coll. Institut Destrée (G330f)

Le chef de l’État lui-même s’inquiétait de l’évolution de la réforme et multipliait les messages d’avertissement aux personnalités politiques qu’il rencontrait. Le 11 juillet 1988 – jour de la fête de la Communauté flamande – il écrit un courrier à l’adresse du Premier ministre. Dans celui-ci, le roi Baudouin dit craindre que les buts et la vision d’ensemble des structures d’un État fédéral n’apparaissent plus clairement et qu’à défaut d’utiliser les structures classiques d’un État fédéral on aboutisse à une construction ambigüe que les uns appellent un État fédéral, les autres des États fédérés, et d’autres encore une confédération d’États différents [31].

Quelques semaines plus tard, lorsque les députés d’abord, le 30 juillet 1988, les sénateurs ensuite, le 5 août, finissent d’adopter la loi spéciale transférant les nouvelles compétences aux Régions et Communautés [32], le journaliste politique de La Libre Belgique, André Méan (1946-1990) observe que les élus de la Nation (ou ce qu’il en reste) viennent de faire basculer la Belgique, de manière irréversible, dans la voie du fédéralisme, voire même du confédéralisme [33].

Mais la tentative de pacification qu’induit cette loi spéciale n’empêche pas les tensions de se poursuivre, notamment dans le contexte de l’émergence inespérée de la troisième région : Bruxelles-Capitale. Le 2 décembre 1989, le président du PSC Gérard Deprez adresse un avertissement clair aux Flamands : le peuple wallon n’est pas un peuple mendiant. Il ne faut pas le forcer à choisir entre un confédéralisme de la dignité et un fédéralisme de la mendicité [34]. La loi spéciale de financement des communautés et des régions du 16 janvier 1989 va pourtant largement embourber ces Wallons – tout comme d’ailleurs les Bruxellois francophones -, ainsi que certains l’avaient clairement anticipé…

3.4. Le débat sur l’article 1er de la Constitution en 1993

En 1992-1993, tant en Commission de réformes institutionnelles que dans la discussion générale en séance plénière sur l’article 1er de la Constitution, les libéraux et le FDF vont utiliser la sémantique de 1988 et soutenir que l’évolution institutionnelle belge mènen le pays droit, non plus au fédéralisme, mais au confédéralisme. Dès le 14 octobre 1992, le ton est donné lors d’un échange entre Jean Gol et le Premier ministre Jean-Luc Dehaene (1940-2014) au sujet du fédéralisme. Le FDF Georges Clerfayt tonne : le fédéralisme flamand n’est pas un fédéralisme, affirme-t-il, c’est un confédéralisme ! [35] Quelques semaines plus tard, c’est le député socialiste de l’arrondissement de Thuin, José Canon (1946-2014) qui intervient sur la crise des finances publiques et de l’État providence. Une des causes de cette situation, indique-t-il, réside dans toutes les réformes institutionnelles. Nous avons d’abord connu la communautarisation, ensuite la régionalisation, et enfin le fédéralisme dit d’union. Nous en sommes actuellement au confédéralisme si ce n’est pas le pré-séparatisme [36]. Le même jour, le député Louis Michel confirme en s’adressant au Premier ministre Dehaene : au lieu d’avoir construit un fédéralisme d’union, vous êtes aujourd’hui dans un confédéralisme complet et vous entrez déjà dans la voie du séparatisme [37]. Magda Alvoet, s’inscrit en faux contre cette analyse. La députée AGALEV estime que personne ne peut alors dire que l’accord de la Saint-Michel constituerait un modèle confédéral, en particulier si on regarde quels sont les pouvoirs fédéraux [38].

La Commission de la réforme institutionnelle et de révision de la Constitution a consacré douze réunions à la discussion générale sur la réforme de l’État et à la discussion sur l’article 1er de la Constitution. La première réunion a eu lieu le 25 novembre 1992 et la dernière le 28 janvier 1993. D’emblée, selon la rapportrice, la libérale flamande bruxelloise Annemie Neyts, la réforme a été qualifiée par des parlementaires de dynamique davantage confédérale que fédérale. Le ministre de la Politique scientifique, Jean-Maurice Dehousse qui, avec Louis Tobback,faisait conjointement fonction de ministre des réformes institutionnelles, a répondu sur la question de savoir si la réforme était confédérale ou fédérale. Comme son père Fernand Dehousse l’avait fait si souvent, il a souligné que la doctrine était très divisée sur la nature de l’État et sur la différence ou la contradiction entre le fédéralisme et le confédéralisme. Pour l’ancien ministre-président de la Wallonie, tous les types de fédéralisme diffèrent, car ils tiennent compte de la spécificité des États. Le fédéralisme belge, a-t-il observé, est clairement celui qui passe de l’État aux composantes et non l’inverse. Il a estimé que, plus on met l’accent sur le fédéralisme, plus on se rapproche du confédéralisme. Selon le ministre, rejoignant par-là l’analyse de son collègue juriste Karel Rimanque, dès 1970 la réforme avait à la fois des caractéristiques fédérales et confédérales. À titre d’exemple, il cite l’article 59bis. Cet article confère aux Communautés des capacités internationales dès 1970. Jean-Maurice Dehousse a néanmoins estimé que la réforme discutée en 1992-1993 ne constitue pas une nouveauté par rapport à 1970 [39].

Les déclarations provocatrices du ministre-président flamand Luc Van den Brande à La Libre Belgique le 11 janvier 1993 selon lequel les Accords de la Saint-Michel ouvriraient la voie au confédéralisme puis au séparatisme, vont, outre la convocation du ministre-président CVP chez le roi [40], incendier les bancs de l’opposition à la Chambre [41]. Le 18 janvier 1993, un ordre du jour est déposé par les députés Didier Reynders, Armand De Decker et Olivier Maingain : il fait suite à une série d’interpellations du Premier ministre visant le retrait de la confiance au Gouvernement [42]. Ce jour-là, Jean Gol confirme à la tribune de la Chambre : nous sommes entrés dans le confédéralisme, prélude à l’autonomie complète des composantes de l’État [43]. Le 4 février 1993, c’est encore le leader libéral liégeois qui dénonce le confédéralisme de la majorité : avec la Volksunie vous avez durci encore, dans un sens confédéral, par les pouvoirs résiduaires et par un début de régionalisation de la sécurité sociale, les projets que vous aviez concoctés au sein de votre majorité ; ces projets étaient pourtant déjà bien avancés au sens où l’on parle d’un fromage avancé. (…) On nous a demandé si nous étions d’accord de transférer des compétences des Communautés vers les Régions. Nous avons évidemment répondu non, puisque cela allait fondamentalement à rencontre de notre conception de la cohésion des institutions francophones. Enfin, (…) on nous a demandé si nous étions d’accord d’opérer un transfert massif de compétences vers les Communautés et les Régions. Nous avons répondu non parce que nous avons pensé que cela irait à rencontre de notre souci de maintenir un État réellement fédéral qui ne laisserait pas la porte ouverte au confédéralisme [44]. Et Georges Clerfayt de confirmer : cette réforme abîme, détériore, dégrade ce beau système politique qu’est le fédéralisme. Et, sous couvert de fédéralisme, brandi comme un paravent mensonger, c’est du confédéralisme qu’on met en place, c’est-à-dire en fait une version hypocrite du séparatisme [45]. Antoine Duquesne (1941-2010), député PRL et  juriste, estime que la preuve est désormais faite que le président de l’exécutif flamand enfourche le cheval du confédéralisme pour une Flandre jamais rassasiée. Je dis bien le confédéralisme, c’est-à-dire deux États souverains et indépendants qui établissent quelques liens tissés dans l’ordre international et chacun sait que les cas de confédéralisme résistant à l’épreuve du temps sont rares. C’est une antichambre de la séparation… [46]. Une nouvelle résolution est déposée par l’opposition où il est demandé à la majorité de confirmer que la réforme qui va être votée ne conduira ni au confédéralisme ni au séparatisme. Deux textes s’opposent alors : celui qui rejette expressément le séparatisme et le confédéralisme qui, dans le contexte belge, mène inévitablement au séparatisme et celui de la majorité, qui constate que les accords de la Saint-Michel ne sont pas séparatistes. Cette résolution, affirme Jean Gol, devait agir à la manière d’un révélateur, mieux que la teinture de tournesol ne saurait le faire pour distinguer un acide d’une base. Et de réaffirmer : en réalité, ce n’est pas un État fédéral que vous mettez sur pied ; c’est l’antichambre du confédéralisme et du séparatisme [47]. Le 5 février 1993, la motion déposée par Jean Gol, Louis Michel et Georges Clerfayt a été refusée. Celle-ci disait finalement que : la Chambre des Représentants rejette expressément le séparatisme et le confédéralisme qui, dans le contexte belge, conduit inéluctablement au séparatisme [48].

Pour Armand De Decker, cette question fondamentale, posée dans le cadre de la réforme de l’État, hante les esprits des parlementaires, en tout cas de ceux qui souhaitent une évolution vers le fédéralisme et non vers le confédéralisme. De Decker cite le renommé professeur de Droit public à la Sorbonne Pierre Pactet (1923-2012), qui a écrit que la confédération associe les États confédérés sans superposition d’un État fédéral et qu’un tel système présente l’avantage de parfaitement respecter la souveraineté, au sens plein, des États confédérés, mais il présente, en contrepartie, l’inconvénient d’être très peu efficace en raison de l’extrême faiblesse de la superstructure institutionnelle et de la règle de l’unanimité [49]. Quelques jours plus tard, c’est Louis Michel qui revient sur la question. Le député libéral estime que les francophones avaient intérêt à ne transférer que peu de compétences nouvelles, sinon aucune ; plutôt le fédéralisme que le confédéralisme. Il observe que, à nouveau, la volonté flamande l’emportera et que ce sera le confédéralisme et estime qu’on se dirige tout droit vers le séparatisme. On y ajoutera dans les prochaines années, et peut-être plus vite qu’on ne le croit, la sécurité sociale. On a ouvert la porte à ce débat et, plus grave, on a ouvert l’appétit de nos collègues flamands [50].

 Ainsi, la notion de confédéralisme, associée linéairement au séparatisme est-elle, lors des réformes de l’État de 1988 et 1993 dont ils étaient écartés, devenue une véritable machine de guerre pour les libéraux wallons et bruxellois, ainsi que leur allié FDF. Mais l’opposition n’est certainement pas unanime sur ces questions. Le 9 février 1993, le député libéral flamand André Denys refuse quant à lui d’entrer dans un débat entre le fédéralisme ou le confédéralisme. Il estime que c’est de la sémantique et que l’essentiel n’est pas là. Il dit connaître des États confédéraux où la solidarité est plus grande que dans les États fédéraux. Pour l’élu de Gent-Eeklo, la discussion se situe plutôt entre l’un ou l’autre ou le séparatisme : avec le séparatisme, il n’y a plus de solidarité et c’est la grande différence entre les deux [51]. C’est ce débat que la plupart des élus flamands vont mener à partir de 1994, en se rassemblant progressivement autour de la revendication du confédéralisme.

À suivre : Le confédéralisme, spectre institutionnel (4)  Une Flandre inachevée  (1995 à 2020)

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] Fernand SCHREURS, Les congrès de rassemblement wallon de 1890 à 1959, p. 37, Charleroi, Institut Destrée, 1960.

[2] F. SCHREURS, Rapport général présenté le 11 mai 1946 au Congrès national wallon de Charleroi, p. 22. – Rapport de la Commission des questions constitutionnelles, Congrès national wallon 11-12 mai 1946, Charleroi, p. 6. – René DUPRIEZ, Le congrès wallon tient aujourd’hui ses assises à Charleroi, dans La Nouvelle Gazette, 11 et 12 mai 1946. – H. SARTINI, Le congrès wallon de Charleroi, Séance de samedi après-midi, dans Le Soir, 13 mai 1946. – Le congrès wallon se prononce avec enthousiasme pour des propositions réalistes présentées par le Parti communiste, dans Le Drapeau rouge, 13 mai 1946. – Le deuxième congrès wallon adopte le principe du fédéralisme à deux, Il en fera déposer le projet au Parlement, dans Le Peuple, 13 mai 1946, p. 1 et 3. – La résolution du congrès, dans Wallonie libre, juin 1946, p. 1.

[3] F. SCHREURS, Rapport général présenté au Congrès de Bruxelles les 21 et 22 février 1948, p. 6.

[4] Le groupe parlementaire wallon est constitué sous la présidence de François Van Belle, dans La Wallonie libre, août 1946, p. 1.

[5] Le congrès de Namur, des 3 et 4 mai 1947, Débats et résolutions, Ed. du Congrès national wallon, [s.d.], p. 18. – Proposition de loi relative à l’instauration du régime fédéral en Belgique, dans Le Gaulois, 15 mars 1947, p. 2 et 5. – René DUPRIEZ, Le Congrès national wallon s’ouvre aujourd’hui à Namur, dans La Nouvelle Gazette, 3 et 4 mai 1947. Désiré DENUIT, Le Congrès national wallon s’est ouvert samedi à Namur, dans Le Soir, 4 mai 1947. – Samedi s’est ouvert à Namur le troisième congrès wallon, dans La Nation belge, p. 1 et 3. – Après des débats souvent houleux, le congrès wallon fait confiance aux mandataires qui défendront le projet d’instauration d’un régime fédéral, dans La Wallonie, 5 mai 1947.

[6] Documents parlementaires, Chambre des Représentants, 1946-1947, n°257, 25 mars 1947, Proposition de révision de la Constitution, Annexe II, Projet de Constitution fédérale, p. 16.

[7] Freddy JORIS, Les Wallons et la réforme de l’État, p. 90, Charleroi, Institut Destrée, 1998.

[8] F. JORIS, op. cit., p. 91.

[9] Le Congrès de Namur, des 3 et 4 mai 1947…, p. 104.

[10] Robert MOREAU, Combat syndical et conscience wallonne, Du syndicalisme clandestin au Mouvement populaire wallon, 1943-1963, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1984, p. 163.

[11] Intervention de Georges Clerfayt, Annales parlementaires, Chambre, Séances du mercredi 13 janvier 1982, p. 365.

[12] Robert DESCHAMPS, Michel QUEVIT, Robert TOLLET, Vers une réforme de type confédéral de l’Etat belge dans le cadre du maintien de l’unité monétaire, dans Wallonie 84, n° 2, p. 95-111. – Trois régions, trois politiques, une fiscalité, une monnaie : la Belgique vue par trois chercheurs, Propos recueillis par Janine CLAEYS et Catherine FERRANT, dans Le Soir, 16 mai 1983, p. 1 & 3.

[13] Ibidem, p. 102.

[14] Michel QUEVIT, Une confédération belge : solution institutionnelle équitable pour la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, dans Res publica, 1984, n° 3, p. 351-362. – Michel QUEVIT, Entre l’Etat central, les régions et les communes de Belgique : scénarios d’adap­tation au système fédéral allemand et au système confédéral suisse, dans Wallonie 85, n° 1, p. 1-24.

[15] R. DESCHAMPS, M. QUEVIT, R. TOLLET, Vers une réforme de type confédéral de l’Etat belge…, p. 111.

[16] Intervention d’Alain Vander Biest, Annales parlementaires, Chambre, Séance du jeudi 2 février 1984, p. 1375.

[17] Intervention de Lucien Outers, Annales parlementaires, Chambre, 3 février 1984, p. 1401-1402.

[18] Intervention d’Alain Van der Biest, Annales parlementaires, Chambre, 4 février 1984, p. 1489.

[19] Het enige nog voor ons aan-vaardbare stelsel is een confederale struc-tuur. een statenbond, waarin Vlaanderen en wallonië volwaardige staten worden met al de hieraan verbonden bevoegd-heden en middelen, en die vanuit deze volwaardigheid vrij zullen overeenkomen wat zij nog zinnig samen zullen doen en onder welke voorwaarden. Cité dans Bart MADDENS, De uitvinder van het confederalisme, in Doorbraak, Novembre 2013, p. 9. – voir aussi Hendrik VUYE, Confederalisme : al 117 jaar een Franstalige eis, NVA, 21 mai 2014. https://www.n-va.be/nieuws/confederalisme-al-117-jaar-een-franstalige-eis

[20] Conseil régional wallon, Doc. 107/1 à 27.

[21] Jef Valkeniers est passé huit ans au parti libéral flamand Vlaamse Liberalen en Democraten (VLD) fondé par Guy Verhofstadt en 1992.

[22] Mijnheer Féaux, de daad die u heeft gesteld — laat het ons zeggen zoals het is — is een tijdbom onder de samenwerking tussen de gemeenschappen in dit land. Dit unionistisch federalisme van 1980 valt als een kaartenhuisje in mekaar. Wat wij nog alleen wensen is de ruimst mogelijke autonomie en confederalisme waarin wij van jullie geen lessen meer gespeld krijgen, waarin wij ook niet verplicht zijn de door jullie opgelegde solidariteit te handhaven maar waar wij zelf bepalen wat wij nog over hebben aan solidariteit tegenover Wallonië. Intervention de Jef Valkeniers, Annales parlementaires, Chambre, 10 juillet 1985, p. 3250.

[23] Voir Ph. DESTATTE, Guy Spitaels: plus socialiste et plus wallon, dans Politique, n°77, Novembre – décembre 2012, p. 7-9. Blog PhD2050, https://phd2050.org/2019/07/16/spitaels2012/ – En août 1988, le Groupe Coudenberg écrivait dans son rapport  : En Wallonie, le Mouvement wallon est porté par le Parti socialiste, qui a épousé l’ensemble des thèses confédéralistes du Mouvement wallon (non sans difficultés à l’intérieur du parti et après un débat souvent âpre opposant fédéralistes et unitaristes). “Le fédéralisme radical” proposé par le parti socialiste rejoint de très près les propositions confédérales du Congrès wallon de l’après-guerre et n’est pas très éloigné des prises de positions confédérales de la Volksunie.” Quelle Belgique pour demain ?, Rapport Coudenberg, p. 97, Bruxelles, Direct social Communications, Août 1988.

[24] Intervention d’Armand De Decker, Annales parlementaires, Chambre, 13 mai 1988, p. 239.

[25] Intervention d’Elio Di Rupo, Annales parlementaires, Chambre, 14 mai 1988, p. 376. – voir aussi H. VUYE, Confederalisme : al 117 jaar een Franstalige eis….

[26] Intervention de Daniel Ducarme, Annales parlementaires, Chambre, 14 mai 1988, p. 409.

[27] Intervention de Willem Draps, Annales parlementaires, Chambre, Séance du 14 mai 1988, p. 389.

[28] Intervention d’Armand De Decker, Annales parlementaires, Chambre, 14 juin 1988, p. 521.

[29] Intervention de Jean Gol, Annales parlementaires, Chambre, 17 juin 1988, p. 664.

[30] Intervention de Marcel Neven, Annales parlementaires, Chambre, 7 juillet 1988, p. 1000.

[31] Wilfried MARTENS, Mémoires pour mon pays, p. 419-420, Bruxelles, Racine, 2006.

[32] Charles BRICMAN, Les députés ont voté : la Belgique devient fédérale, dans Le Soir, 31 juillet 1988. – Voté : la Belgique est un Etat fédéral, dans Le Soir, 6 et 7 août 1988, p. 1 & 3.

[33] André MEAN, Sur la mer calmée ?, dans La Libre Belgique, 6 et 7 août 1988.

[34] André MEAN, M. Deprez : faire des Bruxellois francophones des Wallons, dans La Libre Belgique, 4 décembre 1989, p. 4.

[35] Intervention de Georges Clerfayt, Annales parlementaires, Chambre, 14 octobre 1992, p. 14/28.

[36] Intervention de José Canon, Annales parlementaires, Chambre, 10 novembre 1992, p. 8-247.

[37] Intervention de Louis Michel, Annales parlementaires, Chambre, 10 novembre 1992, p. 7-215.

[38] Niemand kan op dit ogenblik zeggen dat het Sint-Michielsakkoord, zoals het nu politiek is vastgelegd, een confederaal model zou zijn, vooral niet wanneer u ziet welke de federale bevoegdheden zijn. Intervention de Magda Alvoet, Annales parlementaires, Chambre, 18 janvier 1993, p. 22 – 754.

[39] Een volgende spreker oordeelde dat de huidige hervorming meer confederaal dan federaal is. De autonomie van de deelgebieden is namelijk zeer groot en er bestaat geen normenhiërarchie. Vervolgens wordt het belang van de band tussen Vlaanderen en Brussel onderstreept. Tot slot wordt er gepleit voor een gedeeltelijke federalisering van de sociale zekerheid.  Daarna gaf de minister van Wetenschapsbeleid zijn visie op de vraag of de hervorming confederaal of federaal is. Hij wees er allereerst op dat de rechtsleer zeer verdeeld denkt over het wezen van de Staat en over het verschil of de tegenstelling tussen federalisme en confederalisme. Alle types van federalisme verschillen omdat ze rekening houden met de specificiteit van de staten. Ons federalisme is er duidelijk een dat uitgaat van de Staat naar de componen en niet omgekeerd. Hoe meer het federalisme wordt beklemtoond, hoe dichter men bij het confederalisme komt. Volgens de minister vertoonde de hervorming vanaf 1970 zowel federale als confederale kenmerken. Als voorbeeld van dit laatste haalde hij artikel 59bis aan. Dit artikel kent vanaf 1970 buitenlandse bevoegdheden toe aan de Gemeenschappen. Hij besloot dat wat thans aan de orde is geen nieuwigheid is vergeleken met 1970. Intervention d’Annemie Neyts, Annales parlementaires, Chambre, 4 février 1993. p. 27-971.

[40] Wilfried MARTENS, Mémoires pour mon pays…, p. 219.

[41] Confédéralisme : Gol interpelle Moureaux, dans L’Echo, 30 janvier 1993. – Olivier Maingain considérait, le 14 juillet 1994, que Luc Van den Brande avait été le premier à lancer par cette interview l’idée de confédéralisme. Le Soir du 12 janvier 1993 avait titré : “Van den Brande crucifie Saint-Michel”. Annales parlementaires, Chambre, 14 juillet 1994, p. 53-2152.

[42] Annales parlementaires, Chambre, 18 janvier 1993, p. 22-759.

[43] Intervention de Jean Gol, Annales parlementaires, Chambre, 18 janvier 1993, p. 22 – 749.

[44] Intervention de Jean Gol, Annales parlementaires, Chambre, 4 février 1993, p. 27 – 987.

[45] Intervention de Georges Clerfayt, Annales parlementaires, Chambre, 4 février 1993, p. 27 – 1.030 sv.

[46] Intervention d’Antoine Duquesne, Annales parlementaires, Chambre, 5 février 1993, p. 29- 1082 sv.

[47] Intervention de Jean Gol, Annales parlementaires, Chambre, 6 février 1993, p. 31-1196.

[48] Intervention d’Armand De Decker, Annales parlementaires, Chambre, 6 février 1993, 30 – 1146-1149.

[49] Intervention d’Armand De Decker, Annales parlementaires, Chambre, 6 février 1993, 30 -1143. – Pierre PACTET, Institutions politiques, Droit constitutionnel, Paris, Masson, 1983, 6e éd.

[50] Intervention de Louis Michel, Annales parlementaires, Chambre, 10 février 1993, 1437.

[51] Ik weiger een debat aan te gaan over federalisme of confederalisme. Dat is semantiek. Voor mij is de essentie niet het verschil tussen federalisme en confederalisme. Ik ken confederale staten waar de solidariteit groter is dan in federale staten. Voor mij geldt vooral het evenwicht tussen enerzijds het principe van de autonomie en de “juste retour” en anderzijds de solidariteit. Dat is belangrijk. Er zijn federale en confederale staten waar dat evenwicht gelijkaardig is. Hierover gaat volgens mij de discussie niet. De discussie gaat tussen ofwel het ene ofwel separatisme. Bij separatisme is er geen solidariteit meer en dat is het grote onderscheid tussen beide. Intervention d’André Denys, Annales parlementaires, Chambre, 9 février 1993, p. 33 -1.310.

Namur, Parlement de Wallonie, le 3 mars 2018

Le 20 janvier 2018, lors de l’émission RTBF radio Le Grand Oral, Béatrice Delvaux et Jean-Pierre Jacquemin interrogeaient le directeur de la Fondation pour les Générations futures, Benoît Derenne, concernant la conférence-consensus portant sur certaines questions du Pacte d’excellence de la Communauté française. Évoquant les exercices délibératifs citoyens comme celui qu’entame le Parlement de Wallonie le 3 mars 2018 [1], les deux journalistes parlaient d’une forme de récupération, de naïveté, ou même d’un alibi du politique.

Ma conviction est radicalement différente. Je pense, tout au contraire de ces commentateurs, que la redéfinition d’une relation fondamentale de confiance entre les élus, organisés en assemblée, et les citoyens invités à y siéger en parallèle, est non seulement nécessaire, mais aussi qu’elle est salutaire et qu’elle demande des efforts considérables.

La redéfinition d’une relation fondamentale de confiance entre les élus et les citoyens

Elle est nécessaire, car cette confiance est rompue. Elle s’est délitée progressivement avec l’ensemble des institutions au fur et à mesure que le citoyen s’éduquait, se formait, comprenait mieux l’environnement politique, économique et social dans lequel il évolue. La démocratisation des études, la radio et la télévision, l’internet, les réseaux sociaux, sont autant de vecteurs qui, dans les cinquante dernières années ont progressivement encapacité de plus en plus de citoyens, leur ont permis de mieux comprendre le monde, ses acteurs et ses facteurs, et par là, d’exiger des institutions une ouverture, un dialogue, une éthique de nature nouvelle. Depuis les années 1970, toutes les institutions ont été mises en cause profondément, parfois violemment, parce qu’elles n’avaient pas pu évoluer : l’école, la gendarmerie, la justice, les médias, l’administration, les institutions politiques, de la monarchie à la commune, en passant par tous les gouvernements et tous les parlements. L’Europe et le monde n’ont d’ailleurs pas échappé à cette évolution et tentent d’ailleurs de réagir fortement par des initiatives nouvelles comme l’European Policy Lab, les travaux sur l’avenir du Gouvernement (The Future of Government) ou le Partenariat pour une Gouvernement ouvert qui regroupe désormais plus de 70 pays [2]. Dès lors, je pense que la rupture de cette confiance représente à terme un danger de mort pour notre démocratie, car les citoyens cessent d’y investir. Et, comme le craignait Raymond Aron : lorsque manquent la discipline et la sagesse des citoyens, les démocraties sauvent peut-être la douceur de vivre, mais elles cessent de garantir le destin de la patrie [3].

Elle est salutaire, car cette confiance peut être renouée. Dans leur très grande majorité, les citoyennes et les citoyens ne sont pas des anarchistes. Ils ne veulent pas vivre sans État, sans institutions, sans règles. Ce sont des pragmatiques qui recherchent du sens dans le monde et ses composantes pour pouvoir s’y inscrire pleinement en articulant des aspirations collectives, sociétales, et des désirs personnels, des besoins familiaux. Depuis les années 1980, les institutions et les politiques ont tenté de répondre à leur mise en cause. À chaque “affaire” qui s’est déclenchée, à chaque mise en cause fondamentale, a répondu un effort d’objectivation, de compréhension et de remédiation. Et les Parlements ont été en première ligne, avec d’abord les commissions d’enquête (Heysel, Jos Wyninckx, Brabant wallon, Cools, Dutroux, Publifin, etc.), des recommandations et leur mise en œuvre législatives (loi Luc D’Hoore sur le financement des partis politiques, etc.) ou exécutives (suppression de la gendarmerie, procédures Franchimont, etc.) [4].

Le rétablissement de cette confiance demande des efforts considérables de recherche, d’expérimentation, de stabilisation. Je peux témoigner de cette préoccupation pour les institutions wallonnes pour avoir eu l’occasion de m’en soucier dans la durée, déjà avec Guy Spitaels, lorsqu’il présidait le Parlement de Wallonie de 1995 à 1997, ensuite avec Robert Collignon (2000-2004), Emily Hoyos (2009-2012), Patrick Dupriez (2012-2014) et aujourd’hui avec André Antoine et le Bureau du Parlement, pour qui nous avons suivi les travaux de la Commission de rénovation démocratique en 2014 et 2015, avant de réaliser, avec le politologue Christian de Visscher, le rapport qui a servi de base au colloque du 17 novembre 2015 sur Les ressorts d’une démocratie wallonne renouvelée, dans le cadre du 35e anniversaire des lois d’août 1980 et du 20e anniversaire de l’élection directe et séparée des parlementaires wallons [5]. Pour ce qui nous concerne, le passage à l’acte de ces réflexions a été l’organisation du panel citoyen sur les enjeux de la gestion du vieillissement, suivant une méthodologie que nous avions déjà inaugurée en Wallonie en 1994 avec Pascale Van Doren et Marie-Anne Delahaut, et l’appui des professeurs Michel Quévit et Gilbert de Landsheere [6].

Ainsi, la question elle-même de la participation des citoyens n’est-elle pas neuve au Parlement de Wallonie. Lors de sa séance du 16 juin 1976 déjà, le Conseil régional wallon adopta une résolution en référence à une proposition du sénateur Jacques Cerf, un élu Rassemblement wallon de Lehal-Trahegnies, dans la circonscription de Charleroi-Thuin, qui fut vice-président de l’Assemblée, – le Conseil régional était alors uniquement composé de sénateurs – portant sur la création de commissions permanentes de participation dans les communes et l’obligation d’informer les citoyens sur la gestion communale [7].

S’il n’est pas nouveau ni limité au niveau régional, cet enjeu de relations avec les citoyennes et citoyens n’est pas non plus propre à la Wallonie ni à la Belgique. L’absence de consultation des citoyens entre les élections est une des critiques majeures adressées aux institutions avec l’insuffisance du contrôle parlementaire sur les décisions politiques monopolisées par le pouvoir exécutif, pour citer Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, évoquant la situation française et s’interrogeant pour savoir si la démocratie représentative est en crise [8].

Et c’est ici que nous répondons à tous les sceptiques, parmi les journalistes, chroniqueurs ou même les élues et les élus qui n’ont pas toujours pris conscience de la nécessité d’une refondation démocratique, qui puisse à la fois répondre à un besoin de démocratie approfondie, et infléchir ou même renouveler les politiques collectives entre les échéances électorales. Il s’agit bien là d’instaurer une démocratie permanente, continue, horizontale, ou même une démocratie intelligente, pour reprendre la belle formule de mon regretté ami l’Ambassadeur Kimon Valaskakis, ancien président du Club d’Athènes, qui était venu, en 2010, faire une belle conférence pour le Parlement de Wallonie. Une démocratie, qui, comme le dit également Luc Rouban, ressemble davantage au profil citoyen, qui soit moins oligarchique, c’est-à-dire qui échappe à l’accaparement du pouvoir politique par une minorité qui défende ou cherche à satisfaire des intérêts privatifs (prend des distances avec la professionnalisation de la vie politique, échappe aux conflits d’intérêts, à la corruption, à la soumission aux groupes de pression, à l’influence parfois étouffante des Cabinets ministériels, etc.) [9]. Une démocratie également qui s’inscrive dans l’imputabilité, le rendre compte au contribuable, qui désacralise le politique – le pouvoir politique a désormais perdu toute transcendance, rappelait le sociologue Patrice Duran [10] -, tout en respectant l’élu pour son implication et la qualité de son travail au service de la collectivité, du bien commun, de l’intérêt général.

Si nous voulons résoudre les problèmes, il nous faut les maîtriser

Mais ce travail de refondation est extrêmement difficile et délicat. Il implique de ne pas mettre en cause un des fondements de la démocratie représentative, qui est la légitimité démocratique de l’élu. De même, il nécessite de renforcer la capacité des citoyens à dialoguer et à identifier les enjeux pour les prendre en charge non pas en fonction de leurs seuls intérêts, mais, eux aussi, de se placer au niveau collectif pour proposer des politiques communes, collectives, notamment publiques. J’insiste sur cette distinction, car, contrairement à ce que soutenait dernièrement un ministre communautaire, toutes les politiques publiques ne sont pas collectives. Une politique collective peut et devrait même, dans une logique de gouvernance par les acteurs, impliquer des moyens privés, associatifs et/ou citoyens. Reconnaissons que c’est rarement le cas.

Ainsi, prenons bien conscience que, pas plus que l’élu, le citoyen ne peut s’improviser gestionnaire public du jour au lendemain. Comme le souligne encore Luc Rouban dans son rapport publié à la Documentation française, la fragmentation de l’espace public et la complexité des procédures de décision ont rendu la démocratie incompréhensible à un nombre croissant de citoyens. L’ingénierie institutionnelle ne pourra pas résoudre ce problème qui appelle en revanche une véritable formation civique [11].

De même, la tâche difficile qui consiste à énoncer des politiques publiques ne s’improvise pas. La mise en forme de cet énoncé, que le politologue Philippe Zittoun désigne comme l’ensemble des discours, idées, analyses, catégories qui se stabilise autour d’une politique publique particulière et qui lui donne du sens, est ardue. En effet le travail de proposition d’action publique s’appuie sur un double processus : à la fois de greffe de cette proposition à un problème qu’elle permet de résoudre et de relation à une politique publique qu’elle voudrait transformer [12]. Tant le problème, que sa solution potentielle, que la politique publique à modifier doivent être connus et appropriés.

Les termes d’une équation comme celle-là doivent nous inviter à la modestie, sans jamais, toutefois, renoncer à cette ambition. Personne ne s’étonnera qu’ici je rappelle que, dans son souci de favoriser la bonne gouvernance démocratique, l’Institut Destrée, que j’ai l’honneur de piloter, définit la citoyenneté comme intelligence, émancipation personnelle et responsabilité à l’égard de la collectivité. De même, ce think tank inscrit-il parmi ses trois objectifs fondamentaux la compréhension critique par les citoyens des enjeux et des finalités de la société, du local au global, ainsi que la définition des axes stratégiques pour y répondre [13]. Dit plus simplement : si nous voulons résoudre les problèmes, il nous faut les maîtriser.

Investir dans les jeunes en matière d’emploi, de formation, de mobilité, de logement, de capacité internationale, en étant attentif au développement durable

La jeunesse n’est pas un âge de la vie, répétait le Général Douglas MacArthur, c’est un état d’esprit. Propos d’un homme de soixante ans, certes, et que je reprends volontiers à ma charge. Historiens, sociologues, psychologues et statisticiens se sont affrontés sans merci sur une définition de la jeunesse, qui est évidemment très relative selon l’époque de l’histoire, la civilisation, le sexe, etc. Parmi une multitude d’approches, on peut, avec Gérard Maurer, cumuler deux regards : le premier consiste à collecter les événements biographiques qui, comme autant de repères, marquent la sortie de l’enfance puis l’entrée dans l’âge adulte : décohabitation, sortie du système scolaire, accès à un emploi stable, formation d’un couple stable, sanctionné par le mariage ou non. La seconde approche, qui peut inclure la première, consiste à prendre en compte les processus temporels qui mènent de l’école à la vie professionnelle, de la famille d’origine à la famille conjugale, donc un double processus d’accès au marché du travail et au marché matrimonial, qui se clôture avec la stabilisation d’une position professionnelle et matrimoniale, pour parler comme le sociologue, mais en vous épargnant toutes les précautions d’usage [14]. De son côté, le professeur Jean-François Guillaume de l’Université de Liège, membre du Comité scientifique mis en place par le Parlement de Wallonie, intègre dans sa définition une dimension de volontarisme qui ne saurait déplaire au prospectiviste : la jeunesse contemporaine est généralement comprise comme une période où se profilent et se préparent les engagements de la vie adulte. Âge où les rêves peuvent s’exprimer et les projets prendre forme. Âge aussi où il faut faire des choix. Celui d’une formation ouverte sur l’insertion professionnelle n’est pas le moindre, car d’elle dépendent souvent encore l’indépendance résidentielle et l’engagement dans une relation conjugale [15].

À noter que, conscients de toutes ces difficultés de définition, et dans un souci de simplicité et devant la nécessité de définir le sujet tant pour l’approche statistique que pour l’analyse audiovisuelle qualitative, nous avons, avec le Parlement, décidé de cibler la tranche d’âge 18-29 ans, correspondant à la définition de l’INSEE, en l’arrondissant à 30 ans et en nous permettant de la souplesse dans l’application.

Chacun mesure dès lors la difficulté d’appréhender sur un sujet instable, en quelques jours, autant de problématiques aussi complexes (tissées ensemble dirait mon collègue Fabien Moustard, avec Edgar Morin) que l’emploi, la formation, la mobilité, le logement, la capacité internationale, en y intégrant l’angle du développement durable. C’est pourquoi, fort de l’expérience du panel citoyen sur la gestion du vieillissement, qui avait été amené à consacrer beaucoup de temps à formuler, puis à hiérarchiser les enjeux de long terme, nous avons souhaité préparer le processus de travail du panel citoyen Jeunes lors d’un séminaire dédié (Wallonia Policy Lab) qui s’est tenu le 3 février dernier autour d’une douzaine de jeunes volontaires. Sur base d’une mise en commun d’expériences personnelles, trois enjeux y ont été identifiés qui pourraient être plus particulièrement ciblés.

  1. Comment les acteurs, tant publics que privés, peuvent-ils mieux prendre en compte les besoins sociétaux émergents ?
  2. Comment remédier aux risques de précarisation et de dépendance des jeunes entre la sortie de l’enseignement obligatoire jusqu’au premier emploi soutenable ?
  3. Quelles sont les normes anciennes qui mériteraient d’être adaptées à nos façons de vivre actuelles, pour mieux répondre aux aspirations collectives et individuelles et ouvrir les nouvelles générations au monde ?

Ces enjeux constituent les portes d’entrée et la toile de fond pour aborder la problématique du panel. Celui-ci restera évidemment libre de se saisir ou non de la totalité ou d’une partie de ces questions.

Seule la contradiction permet de progresser

Ces enjeux systémiques sont des pistes à se réapproprier. Ou non, le panel restant souverain pour ces tâches. Il travaillera – c’est essentiel – comme a pu le faire celui de 2017 avec quatre principes de fonctionnement essentiels : (1) la courtoisie, pour cultiver la qualité d’une relation faite de bonne volonté constructive, d’écoute, d’empathie, de bienveillance, de dialogue respectueux des autres, d’élégance, d’amabilité et de politesse, (2) la robustesse, fondée sur l’ambition, la franchise, l’expérience davantage que l’idéologie, sur le pragmatisme, la solidité documentaire, la qualité du raisonnement, l’honnêteté, (3) l’efficacité par des interventions brèves, économes du temps et du stress de chacun, orientées vers le résultat, évitant la moralisation, enfin (4) la loyauté, le respect de l’engagement d’aboutir pris envers le Parlement et soucieux de la responsabilité qui nous est collective de porter l’expérience au bout de ses limites.

Comme nous l’avons dit lors du Policy Lab, en citant Jacques Ellul, il faut arriver à accepter que seule la contradiction permet de progresser. (…) La contradiction est la condition d’une communication [16].

L’essentiel, le fondement de l’intelligence collective est sans nul doute le fait de passer d’opinions personnelles largement fondées sur des représentations à une pensée commune coconstruite sur la connaissance des réalités. C’est à cette tâche que nous devons ensemble nous atteler pour chacun des problèmes envisagés.

En tout cas, pour tous ceux qui pensent qu’il vaut mieux réfléchir collectivement pour avancer ensemble.

 

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] Ce papier constitue la mise au net de l’intervention que j’ai faite lors de la séance de lancement du Panel citoyen “Jeunes” au Parlement de Wallonie, le 3 mars 2018.

[2] Voir Philippe DESTATTE, Qu’est-ce qu’un gouvernement ouvert ?, Blog PhD2050, Reims, 7 novembre 2017, https://phd2050.org/2017/11/09/opengov-fr/

[3] Raymond ARON, Face aux tyrannies, Juin 1941, dans R. ARON, Croire en la démocratie (1933-1944), p. 132, Paris, Fayard, 2017.

[4] voir Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, Nouvelle Histoire de Belgique, 1970-nos jours, Un autre pays, p. 67-117, Bruxelles, Le Cri, 2008.

[5] Philippe DESTATTE, Marie DEWEZ et Christian de VISSCHER, Les ressorts d’une démocratie renouvelée, Du Mouvement wallon à la Wallonie en Mouvement, Rapport au Parlement wallon, 12 novembre 2015.

https://www.parlement-wallonie.be/media/doc/pdf/colloques/17112015/ch-de-visscher_ph-destatte_m-dewez_democratie_wallonne_2015-11-12.pdf

[6] La Wallonie au Futur, Le Défi de l’Education, Conférence-consensus, Charleroi, Institut Destrée, 1995.

[7] Jacques BRASSINNE, Le Conseil régional wallon, 1974-1977, p. 103, Namur, Institut Destrée, 2007.

[8] Luc ROUBAN, La démocratie représentative est-elle en crise ?, p. 7-8, Paris, La Documentation française, 2018.

[9] Ibidem, p. 10-11.

[10] Patrice DURAN, Penser l’action publique, p. 97, Paris, LGDJ, 2010.

[11] Luc ROUBAN, op. cit., p. 187.

[12] Philippe ZITTOUN, La fabrique politique des politiques publiques, p. 20, Paris, Presses de Sciences Po, 2013.

[13] Les Assemblées générales du 2 octobre 2004 et du 21 juin 2012 ont approuvé le projet de Charte de l’Institut Destrée, qui constitue l’article 17 des statuts de l’asbl : ww.institut-destree.org/Statuts_et_Charte

[14] Gérard MAURER, Ages et générations, p. 77sv, Paris, La Découvertes, 2015.

[15] Jean-François GUILLAUME, Histoire de jeunes, Des identités en construction, p. 8, Paris, L’Harmattan, 1998.

[16] Jacques ELLUL, La raison d’être, Méditation sur l’Ecclésiaste, Paris, Seuil, 1987.

Namur, le 1er août 2015 (*)

Considérons que l’ambiguïté consiste, pour un concept ou une idée, à faire l’objet de plusieurs sens possibles, ce qui en rend l’interprétation incertaine. C’est à peu près ce que nous en dit le dictionnaire Robert de la langue française (2008).

On dispose, depuis l’ouvrage de Guy Baudelle, Catherine Guy et Bernadette Mérenne-Schoumaker, d’une approche conceptuelle solide du développement territorial. Celui-ci y est conçu comme un processus volontariste cherchant à accroître la compétitivité des territoires en impliquant les acteurs dans le cadre d’actions concertées généralement transversales et souvent à forte dimension spatiale [1]. L’intérêt de cette définition, c’est qu’elle est largement expliquée et développée et que cet effort nous permet de pénétrer directement au cœur de notre sujet. Soulignant la proximité des deux notions d’attractivité et de compétitivité territoriales, et les articulant en référence aux travaux de Roberto Camagni [2], les auteurs indiquent que l’élément crucial pour toute politique de développement réside donc dans la construction d’une vision partagée du futur, bien ancrée dans les spécificités et les vocations de l’économie locale : un plan d’action collective et de coopération entre public et privé, une démarche stratégique qui puisse maximiser les synergies locales et valoriser le rôle de chaque acteur [3].

Cette approche est tout sauf anodine. Non seulement, elle nous renvoie à l’analyse des systèmes territoriaux d’innovation mais elle nous fait aussi plonger au centre de la démarche prospective, au cœur des difficultés de la gouvernance territoriale en général et de celle de la Wallonie en particulier. Ce sont ces trois champs que je vais brièvement évoquer.

 

1. L’analyse territoriale de l’innovation

La qualité principale de l’idée de développement territorial vient du fait qu’elle a vocation à reconnecter fondamentalement l’aménagement du territoire avec le développement, donc avec les ressources qui le fondent. Ressources notamment d’acquisitions progressives, indiquent bien Baudelle et alii, matérielles et immatérielles : entrepreneuriat, technologies, innovation, cadre de vie, qui fondent l’attractivité et la compétitivité [4]. Camagni rappelait en 2005 – et cela n’a pas changé dix ans plus tard, malgré l’échec du processus de Lisbonne – que le défi dans lequel nous nous inscrivons est celui de la société de la connaissance (science based development) : savoir-faire et compétence, éducation et culture de base, investissement en recherche scientifique et en recherche-développement, capacité entrepreneuriale, etc. Le spécialiste des milieux innovateurs, insistait une nouvelle fois sur l’importance des interactions et des synergies entre tous ces éléments, sur l’accessibilité aux réseaux et nœuds de communication et de transport, en particulier cognitifs, mais surtout sur l’apprentissage collectif des acteurs. Le professeur au Politecnico di Milano relevait le rôle central joué par le territoire, notamment dans les processus de construction des connaissances, des codes interprétatifs, des modèles de coopération et de décision sur lesquels se fondent les parcours innovateurs des entreprises ainsi que dans les processus de croissance “socialisée” des connaissances [5]. Enfin, Camagni indiquait que la logique des pôles de compétitivité, en tant que rapprochement entre industrie, centres de recherche et universités dans la construction par le bas de projets de développement productif avancé, combiné à une vision générale du futur du territoire, était cohérente avec le schéma qu’il avait présenté.

L’innovation, elle aussi se territorialise, ainsi que l’avait jadis argumenté le Commissaire européen à la recherche, Philippe Busquin [6]. Tout paysage habité par les hommes porte la marque de leurs techniques, rappelait plus tard Bernard Pecqueur en citant la contribution d’André Fel dans L’histoire des techniques de Bertrand Gille [7]. Tentant d’appréhender le système contemporain, ce dernier notait que les techniques nouvelles, en particulier la Révolution électronique, – nous dirions peut-être aujourd’hui numérique mais il s’agit de la même chose – rompait les équilibres spatiaux, modifiait les cadres d’existence, ce qui constitue à la fois, dans la terminologie des géographes, les paysages et les genres de vie [8]. On retrouve ainsi le discours des milieux innovateurs, du GREMI [9], auquel se réfère Pecqueur, des dynamiques territorialisées du changement, de la corrélation entre innovation et espace construit [10], du fait que l’entreprise innovante ne préexiste pas. Ce sont les milieux territoriaux qui la génèrent. Comme l’écrivait Philippe Aydalot, le passé des territoires, leur organisation, leur capacité à générer un projet commun, le consensus qui les structure sont à la base de l’innovation [11]. Quant aux autres variables qu’il mentionne comme facteurs d’innovativité, – accès à la connaissance technologique, présence de savoir-faire, composition du marché du travail, etc. – elles peuvent être activées par les acteurs du territoire.

En fait, ce sont toutes ces réalités que l’idée de développement territorial embarque. Considérant qu’il s’agissait d’un nouveau regard, le Québécois Bruno Jean notait d’ailleurs dès 2006 qu’une plus grande connaissance des rapports entre les territoires et l’innovation (technique, culturelle, socioinstitutionnelle), définie plus largement, s’impose [12].

Ce surcroît de connaissance passe assurément par une approche plus systémique qui constitue probablement le fil le plus tangible reliant les travaux de Bertrand Gille ou de Jacques Ellul sur le système technique [13], les systèmes d’innovation et ceux sur le développement territorial qui se veut, in fine, un développement essentiellement durable [14]. Ce qui ne signifie nullement qu’il limiterait son champ d’action aux trois finalités économiques, sociales et environnementales. On se souviendra que l’économiste Ignacy Sachs, conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU pour les conférences sur l’Environnement, voyait cinq dimensions à la durabilité ou plutôt à l’écodéveloppement, concept qu’il préférait : la dimension sociale permettant une autre croissance, une autre vision de la société, économique impliquant une meilleure répartition et une meilleure gestion des ressources, avec plus d’efficacité, écologique afin de minimiser les atteintes aux systèmes naturels, spatiale permettant un équilibre ville-campagne adéquat, un meilleur aménagement du territoire, culturelle ouvrant à une pluralité de solutions locales qui respectent la continuité culturelle ([15]).

Plutôt que la conception trifonctionnelle qui nous a toujours paru étroite, la vision du Rapport Brundtlandt, plus ouverte encore que celle de l’écodéveloppement, s’inscrit précisément dans une dynamique systémique, articulant ce que nous identifions comme autant de sous-systèmes :

– un système politique qui assure la participation effective des citoyens à la prise de décisions,

– un système économique capable de dégager des excédents et de créer des compétences techniques sur une base soutenue et autonome,

– un système social capable de trouver des solutions aux tensions nées d’un développement déséquilibré,

– un système de production qui respecte l’obligation de préserver la base écologique en vue du développement,

– un système technologique toujours à l’affût de solutions nouvelles,

– un système international qui favorise des solutions soutenables en ce qui concerne les échanges et le financement, et

– un système administratif souple capable de s’autocorriger.

La richesse de cette approche [16], non limitative mais généralement négligée, est extraordinaire car elle fonde l’approche systémique des politiques de développement durable. En outre, le paragraphe 15 du Rapport Brundtlandt valorise le développement durable comme processus de changement, de transformation et ouvre la porte vers des finalités globales et des enjeux complémentaires. Ainsi qu’il l’indique : dans son esprit même, le développement durable est un processus de transformation dans lequel l’exploitation des ressources, la direction des investissements, l’orientation des techniques et les changements institutionnels se font de manière harmonieuse et renforcent le potentiel présent et à venir permettant de mieux répondre aux besoins et aspirations de l’humanité [17].

Développement territorial, développement durable et prospective apparaissent donc comme des instruments de même nature si on les fonde sur des approches systémiques, si on les inscrit dans le long terme et si on les considère comme de réels vecteurs de transformation.

2. La prospective et ses ambiguïtés

Lors des travaux du programme Foresight 2.0 du Collège européen de Prospective territoriale, le spécialiste allemand de l’innovation régionale Günter Clar (Steinbeis Europa Zentrum à Stuttgart) avait mis en évidence l’une des qualités de la prospective qui permet de lever l’ambiguïté, de clarifier les enjeux par l’analyse et la mise en délibération des concepts. Néanmoins, la prospective elle-même reste l’objet d’ambiguïtés, d’interprétations diverses, voire de dévoiement, c’est-à-dire de détournement de sa finalité, de son projet, de sa vocation initiale. Les retours aux sources qui ont eu lieu ces dernières années, notamment au travers des thèses de doctorat de Fabienne Goux-Baudiment [18], de Philippe Durance [19] ou de Chloë Vidal [20], ont néanmoins constitué des efforts majeurs pour rappeler les fondements de la prospective et reconstruire le lien entre l’activité prospective présente dans les travaux des grands pionniers et, parmi ceux-ci, le premier de tous en France, Gaston Berger. Ces recherches confortent les quelques idées simples que je voudrais rappeler. Chacune pose, avec Gaston Berger, la prospective comme une rationalité cognitive et politique, dont la finalité est normative [21]. Comme l’écrit Chloë Vidal, la philosophie de Berger se constitue comme une science de la pratique prospective dont la finalité est normative : elle est orientée vers le travail des valeurs et la construction d’un projet politique ; elle est une “philosophie en action” [22]. Le professeur Philippe De Villé tenait déjà ce discours lors du colloque européen que organisé par l’Institut Destrée au Château de Seneffe en 2002 [23].

Ainsi, il n’est de prospective que stratégique. On sait que le choix d’un Michel Godet ou d’un Peter Bishop d’adosser l’adjectif stratégique (strategic) au mot prospective (foresight) n’implique pas qu’il existerait une prospective qui ne serait pas stratégique. Comme nous l’avons montré dans le cadre des travaux de la Mutual Learning Platform, réalisés pour la Commission européenne (DG Entreprise, DG Recherche, DG Politiques régionales) et pour le Comité des Régions [24], outre sa finalité stratégique, tout processus prospectif contient – ou devrait contenir – une phase stratégique destinée à concrétiser le passage à l’action.

Ce positionnement normatif a deux implications qu’il faut sans cesse rappeler. La première est le renoncement initial et définitif de la prospective à toute ambition cognitive de l’avenir. On a beau répéter que la prospective n’est pas la prévision, cela n’empêche pas d’entendre – jusque dans le discours de ministres wallons – qu’aucun prospectiviste n’avait prévu ceci ou cela. L’avenir ne peut être prévu puisqu’il dépend largement – et dans certains cas essentiellement – de la volonté des femmes et des hommes.

La deuxième implication est que la prospective n’est pas une science, même si, comme la recherche historique, par exemple, elle fait appel à la critique des sources et utilise des méthodes d’investigation qu’elle veut rigoureuses, sinon scientifiques. Sa légitimité scientifique ne peut donc être invoquée comme elle l’est pour d’autres disciplines comme la sociologie, l’économie ou le droit – parfois abusivement du reste… Les méthodes elles-mêmes paraissent parfois se couvrir d’une scientificité vertueuse, comme c’est le cas pour la méthode classique française des scénarios. L’ordonnancement rationnel qui se dégage de sa pratique laisse souvent accroire que la méthode aurait un caractère scientifique et que, dès lors, ses résultats seraient porteurs d’une légitimité de cette nature. Il n’en est rien. Que l’on répète l’exercice à un autre moment, avec d’autres acteurs, d’autres variables émergeront, analyses structurelle et morphologique seront différentes, et les scénarios configurés autrement. L’intérêt de la méthode n’est d’ailleurs – et ce n’est pas rien – que de faire émerger des enjeux et de concevoir des alternatives. Les premiers comme les seconds sont des objets subjectifs puisqu’ils résultent du choix des participants à l’exercice qui accepteront – ou non – de s’en saisir. Là réside toute la puissance de la prospective : c’est la capacité, pour celles et ceux qui s’y adonnent, de construire des trajectoires différentes du chemin qu’on les invite à suivre naturellement, d’identifier des avenirs plus conformes à leurs valeurs et à leurs aspirations, et de se donner les moyens de les atteindre.

Cela ne signifie évidemment pas qu’il faille renoncer à une forte affirmation déontologique d’indépendance scientifique, comme nous l’avions fait avec Jean Houard en 2002 en rappelant que la prospective ne peut s’inscrire que dans une logique d’autonomie intellectuelle et éthique. Dans la foulée, Thierry Gaudin avait d’ailleurs souligné que la liberté de penser, en matière de prospective, est indispensable [25].

Ajoutons ensuite que la prospective se fonde sur l’intelligence collective et que, dès lors, on ne l’utilise pas en solitaire.

Notons, pour finir trop rapidement avec cet aspect, que, la prospective territoriale étant une prospective appliquée au territoire comme la prospective industrielle l’est à l’industrie, elle ne saurait échapper aux règles générales de la prospective.

La prospective dans la gouvernance wallonne

A plusieurs reprises déjà, il nous a été donné d’évoquer le travail de prospective réalisé par l’Institut Destrée dans le cadre de la révision du SDER [26]. Celui-ci a porté sur deux aspects. Le premier a consisté en l’élaboration de scénarios exploratoires sur base du volumineux diagnostic élaboré par la Conférence permanente du Développement territorial (CPDT), le second à préparer la construction d’une vision commune des acteurs wallons.

Beaucoup a été dit sur les scénarios du SDER. Elaborés très en amont de la démarche, ils étaient à leur place pour ouvrir une réflexion sur les enjeux plus que pour esquisser des stratégies qui ne doivent jamais constituer que des réponses à ces questions, lorsqu’elles ont auront été bien posées. Malgré nos efforts, cette articulation a été assez déficiente, probablement par manque de maturité prospective des acteurs interpellés. Malgré la qualité du résultat de ces scénarios, ceux-ci ont souffert de plusieurs biais. Le plus important sur le plan méthodologique est probablement le refus du ministre en charge de l’Aménagement du Territoire d’associer les acteurs concernés au delà de la CPDT et de l’Administration régionale. Dans une logique de développement territorial, la mise à l’écart de l’élaboration des scénarios d’acteurs aussi majeurs que l’Union wallonne des Entreprises ou Inter-Environnement Wallonie, sous prétexte qu’ils auraient ultérieurement leur mot à dire dans la consultation qui était programmée, n’avait pas de sens. Là aussi, l’idée d’établir des documents qui puissent fonder une pseudo légitimité scientifique l’a emporté sur la bonne gouvernance régionale qui se doit d’impliquer les acteurs selon le modèle bien connu du PNUD [27]. Or, la co-construction d’une politique publique, voire de bien commun, par l’ensemble des parties-prenantes a peu à voir avec les mécanismes de consultation et de concertation où le jeu joué par les acteurs est d’une toute autre nature.

La seconde implication de l’Institut Destrée dans la révision du SDER portait sur la construction d’une vision commune et partagée. Nous avons eu l’occasion, à plusieurs reprises et notamment dans le cadre du colloque du 2 mars 2012 [28], de confirmer l’importance et les conditions de l’élaboration d’une telle vision. Au delà des questions de la gouvernance multi-niveaux, de l’interterritorialité wallonnes et de ce que nous avions appelé la subsidiarité active, il s’agissait aussi de contribuer à mettre en place un projet concret et global pour la Wallonie.

A ce point de vue, les travaux de Wallonie 2030 menés par le Collège régional de prospective pouvaient servir de feuille de route. Le rapport général du 25 mars 2011 indiquait que le travail sur les territoires était d’abord, pour la Wallonie, un modèle de processus de mobilisation des acteurs et de mise en place d’un mécanisme de changement au niveau territorial. Alors que, partout, des lieux d’interactions se mettaient en place sous la forme de Conseil de Développement ou de Partenariat stratégique local, permettant de lancer des dynamiques d’innovation supracommunales et d’appuyer les communes dans leur travail de résolution des problèmes, un référentiel territorial régional intégré, pouvait être construit comme plan stratégique d’ensemble qui rassemble à la fois la vision territoriale (le SDER) et le développement économique et social (le Plan prioritaire wallon) ainsi que des plans de secteurs rénovés face au défi climatique et aux perspectives énergétiques. Cette façon de faire constituait selon nous la meilleure manière d’assurer la cohérence entre les politiques régionales ou communautaires sectorielles territorialisées et les dynamiques intercommunales ou supracommunales [29].

Si un séminaire avait été fixé au 20 mars 2013 afin de nourrir la vision du SDER en intelligence collective à partir des acteurs régionaux, c’est-à-dire de manière ouverte, transparente, contradictoire, avec l’objectif de produire un texte puis de le soumettre à débat, cette réunion a finalement été annulée à la demande du ministre. Nous avons pu constater que les mêmes freins ont empêché la production d’une vision régionale dans le cadre tant de la Stratégie régionale de Développement durable (SRDD) que dans celui de la démarche Horizon 2022.

Conclusion : des territoires de citoyen-ne-s

Il est des régions et des territoires, notamment aux États-Unis et en Europe [30], en particulier en France mais aussi en Wallonie, où la prospective territoriale a pu se déployer pleinement, les élus et les acteurs, ayant dépassé les ambiguïtés que nous évoquions et bien compris la nature de la prospective, l’intérêt du développement durable et ce qui peut en résulter pour le développement territorial. Nous pouvons en témoigner par exemple pour ce qui concerne les Côtes d’Armor, la Basse-Normandie, le Nord – Pas-de-Calais ou le Cœur du Hainaut. Dans beaucoup d’autres lieux, l’ambiguïté persiste et reste un rempart empêchant la bonne compréhension de ces conceptions simples qui fondent les processus délibératifs et le management territorial participatif.

Mais, ne pensons pas qu’il s’agisse de questions technocratiques. Au contraire, ces ambiguïtés affectent non seulement l’efficience du développement mais aussi la démocratie. Les territoires dont nous avons besoin doivent être, comme l’indiquait Yves Hanin en mai 2012, des territoires de citoyens [31]. Leur participation, mais aussi celles des entreprises, des chercheur-e-s et des fonctionnaires, à la nouvelle gouvernance est en effet essentielle. La prospective peut appuyer le développement territorial. Pour autant que l’on comprenne bien ce qu’elle recouvre concrètement.

Philippe Destatte

@PhD2050

(*) Cet article a été publié une première fois dans Yves HANIN dir., Cinquante ans d’action territoriale : un socle, des pistes pour le futur, p. 153-163, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2015.

[1] Guy BAUDELLE, Catherine GUY et Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, Le développement territorial en Europe, Concepts, enjeux et débats, p. 18, 246, Rennes, PuR, 2011.

[2] Roberto CAMAGNI, Attractivité et compétitivité : un binôme à repenser, dans Territoires 2030, n°1, p. 11-15, Paris, DATAR-La Documentation française, 2005.

[3] Guy BAUDELLE, Catherine GUY et Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, op. cit., p. 19.

[4] Gros mot s’il en est. Je me souviens de la difficulté d’utiliser ce concept, à la DATAR même, au moment de la publication de l’article de Camagni, de la création des pôles du même nom, et où cette auguste institution se transformait pourtant en DIACT.

[5] R. CAMAGNI, op. cit., p. 14.

[6] Achilleas MITSOS, The Territorial Dimension of Research and Development Policy, Regions in European Research Area, Valencia, Feb. 23, 2001, http://ec.europa.eu/research/area/regions.html

[7] André FEL, La géographie et les techniques, dans Bertrand GILLE dir., Histoire des Techniques, Technique et civilisations, Technique et Sciences, p. 1062, coll. La Pléade, Paris, Gallimard, 1978.

[8] B. GILLE, Histoire des Techniques…, p. 914.

[9] Groupe de Recherche européen sur les Milieux innovateurs, fondé en 1984 par Philippe Aydalot. Voir notamment Denis MAILLAT, Michel QUEVIT, Lanfranco SENN, Réseaux d’innovation et milieux innovateurs : un pari pour le développement régional, Neuchâtel, GREMI, IRER, EDES, Neuchâtel,1993. – Pascale VAN DOREN et M. QUEVIT, Stratégies d’innovation et référents territoriaux, dans Revue d’Economie industrielle, n°64, 1993, p. 38-53. – Muriel TABORIES, Les apports du GREMI à l’analyse territoriale de l’innovation ou 20 ans de recherche sur les milieux innovateurs, Cahiers de la Maison des Sciences économiques, Paris, 2005, 18, 22 p.

[10] Bernard PECQUEUR, Le tournant territorial de l’économie globale, dans Espaces et sociétés, 2006/2, n°124-125, p. 17-32.

[11] Philippe AYDALOT éd., Présentation de Milieux innovateurs en Europe, p. 10, Paris, GREMI, 1986.

[12] Bruno JEAN, Le développement territorial : un nouveau regard sur les régions du Québec, Recherches sociographiques, vol. 47, n°3, 2006, p. 472.

[13] B. GILLE, La notion de “système technique”, Essai d’épistémologie technique, dans Culture technique, Paris, CNRS, 1979, 1-8, p. 8-18. – Jacques ELLUL, Le système technicien, Paris, Le Cherche Midi, 2012 (1ère éd., 1977).

[14] G. BAUDELLE, C. GUY, B. MERENNE-SCHOUMAKER, Le développement territorial en Europe…, p. 21.

[15] Ignacy SACHS, Le Développement durable ou l’écodéveloppement : du concept à l’action, 1994. –Stratégies de l’écodéveloppement, Paris, Editions ouvrières, 1980. – L’écodéveloppement, Stratégies de transition vers le XXIème siècle, Paris, Syros, 1993. – Quelles villes pour quel développement ?, Paris, Puf, 1996.

[16] voir Philippe DESTATTE, Foresight: A Major Tool in tackling Sustainable Development, in Technological Forecasting and Social Change, Volume 77, Issue 9, November 2010, p. 1575-1587.

[17] Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, Québec, Editions du Fleuve et Publications du Québec, 1988.– Our Common Future, Report of the World Commission on Environment and Development, UNEP, 1987, A/42/427. http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm

[18] Fabienne GOUX-BAUDIMENT, Une nouvelle étape du développement de la prospective : la prospective opérationnelle, Thèse pour l’obtention du doctorat en prospective, Université pontificale grégorienne de Rome, Facultés des Sciences sociales, 2002.

[19] Philippe DURANCE, Gaston Berger et la prospective. Genèse d’une idée, Thèse de doctorat, Paris, Conservatoire national des Arts et Métiers, 2009.

[20] Chloë VIDAL, La prospective territoriale dans tous ses états, Rationalités, savoirs et pratiques de la prospective (1957-2014), Thèse de doctorat, Lyon, Ecole normale supérieure, 2015.

[21] Ch. VIDAL, La prospective territoriale dans tous ses états…, p. 95. – Ph. DURANCE, Gaston Berger et la prospective p.189. – F. GOUX-BAUDIMENT, op. cit., p. 310.

[22] Ch. VIDAL, op. cit., p. 31

[23] Ph. DESTATTE et Pascale VAN DOREN dir., La prospective territoriale comme outil de gouvernance, Territorial Foresight as a Tool of Governance, p. 123, Charleroi, Institut Destrée, 2003.

[24] Günter CLAR & Philippe DESTATTE, Regional Foresight, Boosting Regional Potential, Mutual Learning Platform Regional Foresight Report, Luxembourg, European Commission, Committee of the Regions and Innovative Regions in Europe Network, 2006.

http://www.institut-destree.eu/Documents/Reseaux/Günter-CLAR_Philippe-DESTATTE_Boosting-Regional-Potential_MLP-Foresight-2006.pdf

[25] Ph. DESTATTE, Problématique de la prospective territoriale, dans Ph. DESTATTE et P. VAN DOREN, op. cit., p. 154.

[26] Notamment : M. VAN CUTSEM et Charlotte DEMULDER, Territoires wallons : horizons 2040, Quels scénarios pour l’aménagement du territoire wallon à l’horizon 2040 ?, Namur, Direction générale de l’Aménagement du Territoire, du Logement, du Patrimoine et de l’Energie, 7 novembre 2011, http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/SDER_Territoires-wallons_Scenarios-2040.htm – Ph. DESTATTE, Du diagnostic aux scénarios exploratoires, mise en prospective des enjeux du SDER, Intervention au Colloque de la CPDT, le 21 novembre 2011, dans Territoires wallons : horizons 2040, p. 41-53, Namur, CPDT, Juin 2012.

Cliquer pour accéder à Philippe-Destatte_CPDT_SDER_2011-11-21ter.pdf

[27] Ph. DESTATTE, Bonne gouvernance : contractualisation, évaluation et prospective, Trois atouts pour une excellence régionale, dans Ph. DESTATTE dir., Evaluation, prospective et développement régional, p. 7-50, Charleroi, Institut Destrée, 2001.

[28] Ph. DESTATTE et Michaël VAN CUTSEM dir., Quelle(s) vision(s) pou le territoire wallon, Les territoires dialoguent avec leur région, Namur, Institut Destrée, 2013.

[29] Ph. DESTATTE, Wallonie 2030, Quelles seraient les bases d’un contrat sociétal pour une Wallonie renouvelée ? Rapport général du congrès du 25 mars 2011 au Palais des Congrès de Namur.

Cliquer pour accéder à Philippe-Destatte_Wallonie2030_Rapport-General_2011-03-25_Final_ter.pdf

[30] Ph. DESTATTE, Oihana HERNAEZ, Corinne ROELS, Michaël VAN CUTSEM, An initial assessment of territorial forward planning / foresight projects in the European Union, Brussels, Committee of the Regions, Nov. 2011, 450 p.

[31] Yves HANIN, Exposé introductif à la table ronde “Une mise en œuvre complémentaire, cohésive, efficiente” ? dans Ph. DESTATTE et M. VAN CUTSEM, Quelle(s) vision(s) pour le(s) territoire(s) wallons(s)…, p. 150.

Mons, le 24 juin 2015

Le nouveau ministre-président issu des élections du 25 mai 2014 lançait deux signaux lors des fêtes de Wallonie [1]. D’une part, Paul Magnette déclarait au journal L’Écho le 20 septembre 2014 que La Wallonie ne se redresse pas assez vite, et qu’il fallait accélérer le mouvement [2]. D’autre part, dans son discours prononcé à Namur le même jour, le ministre-président soulignait que, s’il entendait les appels à la rupture, au changement, la vraie audace était d’y résister : quand on a développé une stratégie efficace, et toutes les évaluations reconnaissent que c’est le cas du Plan Marshall, la vraie audace c’est de résister à la tentation du changement pour le changement, et de maintenir le cap. L’économie wallonne a besoin de clarté et de prévisibilité [3]. Ces positionnements, qui ne sont contradictoires qu’en apparence, peuvent nous éclairer sur les chemins qui s’offrent désormais aux politiques régionales.

En effet, au moment où une nouvelle manne de compétences est transférée aux entités fédérées suite aux accords institutionnels d’octobre 2011, il est utile de rappeler ce que le professeur Michel Quévit écrivait en 1978, à savoir que l’autonomie de la Région wallonne ne suffit pas à jeter les bases d’un redéploiement industriel. Il faut de profondes réformes structurelles qui garantissent à la Wallonie le maintien d’une capacité d’action financière dans le cadre d’une politique industrielle valorisant les ressources humaines, matérielles et technologiques de sa région [4]. Ce discours, aux relents renardistes, est celui qui va être tenu dans de nombreux cénacles par plusieurs experts, y compris par le patron du RIDER dans le cadre des congrès prospectifs La Wallonie au futur qu’il co-animera de 1986 à 2003. Ces travaux, comme d’autres, auxquels l’Institut Destrée a contribué ou pas, ont été à la base des stratégies de reconversion qui ont été mises en place à partir de la fin des années 1990. Ce qu’il faut constater aujourd’hui c’est que l’ensemble de ces efforts ont consolidé le tissu économique et social de la Wallonie, ont profondément transformé notre région, ont fait émerger une véritable société d’acteurs – ce qui était une des ambitions de La Wallonie au futur -, ont multiplié les instruments pertinents de reconversion et de développement, ont empêché tout nouvel affaissement économique et mis en place les bases d’un redéploiement futur.

Ces efforts n’ont toutefois pas permis le redressement rapide et global de la Wallonie. C’est ce que montre bien l’évolution du PIB par habitant jusqu’en 2012, en tenant compte de toutes les limites que l’on connaît à cet indicateur.

Ayant dit et écrit cela, il faut pouvoir affirmer avec Paul Magnette la nécessité d’accélérer le mouvement [5]. La Déclaration de Politique régionale donne des pistes concrètes pour mettre en œuvre cette volonté. Je les ai présentées ailleurs, en réponse à cinq enjeux précis [6], et je les aurai bien entendu à l’esprit en envisageant les voies d’une transformation. Mon ambition ici est d’aller plus loin, sinon mon apport n’aurait que peu d’intérêt.

Mon exposé s’articulera en trois temps.

Le premier pour rappeler que, si nous sommes bien sortis du déclin, la situation de la Wallonie appelle bien une transformation accélérée.

Le deuxième pour évoquer quelles pourraient être, selon moi, quelques-unes des voies de cette transformation.

La troisième pour conclure sur l’idée d’une nouvelle bifurcation.

1. La Wallonie est sortie du déclin mais ne s’est pas redressée

Le temps long est le temps des sages, aimait répéter le grand historien français Fernand Braudel. Un regard sur l’indice du Produit intérieur brut estimé par habitant des trois régions rapportées à la Belgique (= 100) depuis la fin de la Révolution industrielle (1846-2012) montre en effet que la Wallonie a cessé de décliner, a stabilisé son évolution, et peut-être même amorcé un très léger redressement [7].

1_PhD2050_PIB_hab_1842-2012

Un regard plus précis sur l’évolution du Produit intérieur brut par habitant de la Belgique et de la Wallonie, en euros, de 1995 à 2012, sur base des comptes régionaux 2014 de l’Institut des Comptes nationaux (ICN) nous montre que le Produit intérieur brut par habitant de la Wallonie, prix courants, indices Belgique = 100 se maintient dans une fourchette de 71,9 (2002) à 73,6 (1996) depuis 1995 (73,5) jusqu’en 2012 (73,1). On pourra faire remarquer que le PIB est ici à prix courants mais si on le fait passer à prix constants, on ne gagne guère plus d’un point en 2011 : 74,2 % de la moyenne belge [8]. Dans tous les cas, on constate que, sous la barre des 75 % du PIB belge depuis les années 1990, malgré ses efforts, la Wallonie ne parvient pas à émerger au-dessus de ce niveau. Dit autrement, la part relative du PIB wallon qui était passée en dessus des 30 % du PIB dans les années 1950 (prix constants, séries lissées) n’a plus refranchi ce niveau [9].

Cette absence de décollage est à mettre en parallèle avec les sept plans stratégiques de redéploiement économique qui ont été lancés en Wallonie pendant cette période : Déclaration de Politique régionale complémentaire de 1997, Contrat d’Avenir pour la Wallonie de 1999-2000, Contrat d’Avenir actualisé de 2002, Contrat révisé en 2004, Plan Marshall de 2005, Plan Marshall 2.vert de 2009, Plan Marshall 2022 de 2012, ainsi que des programmes d’actions portés par les Fonds structurels européens pour un montant de 11,2 milliards d’€ – à prix constants 2005 – de 1989 à 2013 [10]. Si le montant des investissements affectés au Contrat d’Avenir durant ses premières années, faits surtout de réaffectations de moyens, reste difficile à établir avec précision, on peut néanmoins l’estimer à un peu moins d’un milliard d’euros. Pour ce qui concerne le Plan Marshall, durant la période 2004-2009, on atteint 1,6 milliards et pour 2009-2014, 2,8 milliards (y compris les financements dits alternatifs). On peut donc considérer qu’environ 5,5 milliards ont été affectés, en plus des politiques structurelles européennes auxquelles la Région wallonne apporte une large contribution additionnelle, aux stratégies de redéploiements de la Wallonie, de 2000 à 2014. Ce montant, apparemment considérable, reste toutefois de l’ordre de 5 à 7 % si on le rapporte au budget régional annuel [11].

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On souligne parfois que les performances de la Wallonie en matière de PIB par habitant se marquent surtout dans les accroissements annuels en % comparés à la Belgique. En faisant l’exercice pour la période 1995-2012, on observe en fait que la Wallonie ne fait mieux qu’en 1996, 1998, 2004, 2005, 2008 et 2010 [12]. Le calcul des accroissements moyens du PIB par habitant en % sur les périodes 1995-1999, 1999-2004, 2004-2008, 2008-2012, fait apparaître que la Wallonie n’a mieux performé que la Belgique que lors de la période 2004-2008.

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Si l’on observe la manière dont ces évolutions se marquent au niveau territorial, par exemple dans le Cœur du Hainaut, dans lequel nous travaillons depuis plusieurs années, la difficulté est d’abord statistique puisque les données ne sont pas formatées sur cet espace de 25 communes. En examinant les trois arrondissements de Mons, Soignies et Charleroi qui couvrent ce territoire mais en débordent largement, seul le dernier arrondissement atteint, sur la période 2003-2011, la moyenne du PIB wallon en passant de 105,2 à 100,9 (Wallonie=100), l’arrondissement de Mons passant de 87,9 à 84,8 et celui de Soignies – qui comprend les régions de La Louvière et du Centre – de 83,2 à 79 % de la moyenne wallonne [13]. Nous n’ignorons évidemment pas que ces territoires sont probablement les plus difficiles en matière de reconversion industrielle en Wallonie.

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Ces constats ne signifient évidemment pas que les politiques tant régionales qu’européennes qui ont été menées aient été mal conçues, inefficaces ou inefficientes. L’absence de décollage est aussi une stabilisation dans un contexte international, et en particulier européen, peu favorable. Nul ne peut prétendre en effet que ces efforts importants aient été inutiles. Nous pensons même pour notre part qu’ils s’inscrivent dans les politiques volontaristes considérables qui ont été menées par les élues et élus wallons, de manière de plus en plus émancipée et autonome du gouvernement central puis fédéral depuis 1968 [14].

La comparaison de l’évolution économique de la Wallonie avec Bruxelles et la Flandre étant peu pertinente hors de la géopolitique belge, il est intéressant de la mettre en parallèle avec les régions françaises voisines. Ainsi, lorsqu’on aligne les PIB par habitants de ces régions de 2009 à 2011, on observe que, si la Champagne-Ardenne (27.524 € en 2011) performe le mieux et la Picardie le moins bien, la Lorraine occupant la quatrième place de cette série de régions, la Wallonie (24.966 € en 2011) et le Nord Pas-de-Calais (25204 €) ont des évolutions semblables, alternant leur positionnement sur les deuxième et troisième places. Les chiffres 2012 – à confirmer -, placent la Wallonie en troisième position (24811 €) contre 24.866 € au Nord Pas-de-Calais.

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Si on peut mettre au crédit de Michel Quévit d’avoir décortiqué le déclin de la Wallonie au point que son nom ait longtemps été associé aux causes de cet affaissement, il faut lui reconnaître d’avoir été de ceux qui ont perçu les changements intervenus dans la période entre 1986 et 1991 dans laquelle, comme il l’indiquait en 1995, la Wallonie est sortie de sa première phase de restructuration défensive et a réalisé des ruptures culturelles importantes qui lui ont permis d’intégrer dans son approche de développement les nouvelles réalités de son environnement économique : globalisation, nouveaux modes de production, primauté des facteurs immatériels, etc. [15] J’ai moi même insisté, dans un exposé présenté à l’OCDE en 2000, puis publié par la DATAR l’année suivante, sur ce tournant de 1986, que les acteurs eux-mêmes avaient perçu. Que l’on lise les déclarations d’Arnaud Decléty, de Melchior Wathelet, de Philippe Busquin ou du président de l’UWE de l’époque, Michel Vanderstrick dans Wallonie 86, la revue du Conseil économique et social régional wallon [16]. Certes, cette inversion de tendance marque le pas après le retournement conjoncturel de 1990 et, si on observe une stagnation depuis la fin du siècle dernier, le déclin, c’est-à-dire la régression qui affectait la Wallonie, et plus particulièrement ses pôles de développement traditionnels, depuis le sortir de la Deuxième Guerre mondiale, paraissent bien s’être arrêtés. Les réponses régionales ont bien été essentiellement institutionnelles et défensives, même si quelques initiatives importantes ont été prises, par exemple dans le domaine des processus d’innovation. N’oublions pas du reste que, si un embryon de pouvoir et de politique économique régionale existe depuis la fin des années soixante et, surtout, depuis 1974, les secteurs nationaux, parmi lesquels la sidérurgie, restent gérés par le fédéral jusqu’en 1987.

Lors d’une conférence organisée, le 11 février 2013, à Namur, par le Forum financier, Joseph Pagano avait déjà insisté sur la chaîne causale qui handicape l’économie de la Wallonie, plombe son redressement mais permet également d’identifier les facteurs sur lesquels il faut activer les remèdes. Contrairement aux idées reçues, la capacité des Wallons à capter de la valeur ajoutée produite en dehors de la région est réelle, notamment par une mobilité de l’emploi vers Bruxelles, la Flandre et l’étranger, et joue favorablement puisque, au delà du PIB wallon, l’indice du revenu primaire s’élève à un niveau supérieur au PIB : 87,2 % de la moyenne belge. La différence entre ce niveau et le revenu disponible des Wallons (90,7 % de la moyenne belge en 2010) est constituée de la solidarité implicite. Toutefois, c’est le cumul de la faiblesse de la productivité et le bas niveau du taux d’emploi (84 % de la moyenne belge) qui continue à handicaper le PIB par habitant en Wallonie. Si la productivité régionale est plus faible que la moyenne belge (88 %), c’est à la fois à cause de la relative petitesse de la taille des entreprises wallonnes (97,21 % de la moyenne belge) et du manque de vigueur du dynamisme entrepreneurial wallon (86 % de la moyenne belge), le taux de création des entreprises étant élevé (104,26 % en 2012) mais contrecarré par un taux de disparition plus élevé que la moyenne belge (109 %) [17].

2. Les voies d’une transformation accélérée

Ma conviction en effet est que, en l’état, la Déclaration de Politique régionale 2014 permet de continuer à stabiliser l’économie wallonne, de poursuivre le redéploiement mais non de le réaliser dans des délais raisonnables. Au rythme actuel, Giuseppe Pagano estimait lors de ce même exposé, fait avec Vincent Reuter, le 11 février 2013, à la tribune du Forum financier de la BNB à Namur, que les efforts structurels entamés par le gouvernement régional, et notamment les mesures phares des différents Plans Marshall sont de nature à permettre à la Wallonie un rattrapage non pas de la Flandre mais de la moyenne belge – qu’elle contribue à tirer vers le bas – aux environs de 2040, c’est-à-dire dans 26 ans, plus d’un quart de siècle [18]. Avec un taux de croissance du PIB wallon de 4,4 % sur les années 2001 à 2011 contre 4 % en Flandre, des économistes sollicités par La Libre voyaient le rattrapage de cette région à l’horizon 2087, soit dans 73 ans [19]. Même si le prospectiviste pourrait gloser sur ces logiques mécanistes nécessitant la formule “toutes choses étant égales par ailleurs”, il est manifeste que ces constats sont intenables tant sur le plan social que sur le plan politique.

Nous devons donc impérativement considérer les voies d’une transformation accélérée.

Celle-ci passe assurément par une volonté de considérer, puis de surmonter, ce que l’exercice de prospective, mené en 2002-2003 avec la Direction de la Politique économique de l’Administration wallonne et l’Union wallonne des Entreprises, avait appelé les tabous wallons, ou ce que Christophe De Caevel a recensé comme les freins à l’industrialisation de la Wallonie dans un article de Trends-Tendances d’octobre 2014 [20].

Faisant référence à ce texte et à des opinions qui y sont exprimées, je voudrais faire part de deux convictions qui sont les miennes depuis de nombreuses années et qui s’en distancient. La première, c’est que je me porte en faux contre l’idée que le Plan Marshall ait des effets limités sur l’activité économique. La deuxième est que je ne pense pas que l’on puisse redéployer la Wallonie sans moyens financiers supplémentaires.

 

 2.1. Les effets structurels des plans prioritaires wallons

Le Plan Marshall et principalement les pôles de compétitivité qui sont, avec Creative Wallonia et avec le programme NEXT sur l’économie circulaire, les clefs de voûte de sa stratégie, constituent aujourd’hui le cœur du système d’innovation du nouveau Paradigme industriel de la Wallonie. Produit des efforts menés depuis des décennies, les six pôles de compétitivité (BioWin, GreenWin, Logistics in Wallonia, Mecatech, SkyWin, Wagralim) constituent les fondations sur lesquelles les acteurs wallons pourront à terme transformer et rebâtir leur économie. Ils constituent l’interface de redéploiement en ce qu’ils plongent leurs racines dans les compétences scientifiques, technologiques et industrielles anciennes de la région et les nourrissent pour les transformer en secteurs nouveaux. Un des enjeux du Nouveau Paradigme industriel consiste bien en cette faculté d’ajouter de la connaissance et des savoirs, notamment numériques, dans les secteurs traditionnels pour les inscrire, surtout par la formation, dans le nouveau modèle en cours d’élaboration. L’exemple de l’entreprise AMOS (Advanced Mechanical and Optical Systems) est, à cet égard, très parlant. Fondée en 1983 sous le signe d’un partenariat entre les Ateliers de la Meuse et l’Institut d’Astrophysique de Liège, cette entreprise est passée d’un modèle purement industriel à un paradigme cognitif innovant et performant que décrivait déjà son patron, Bill Collin, au début des années 2000 [21].

On aurait tort toutefois de vouloir mesurer les pôles de compétitivité à l’aune de la création d’emplois à court terme, comme on a eu tort d’en faire un argument politique de campagne en essayant de les vendre à l’opinion comme des machines pourvoyeuses d’emplois. La vocation des pôles de compétitivité est autre. Dans la conception que nous en avions, en 2003 déjà, il s’agissait d’utiliser les entreprises et entrepreneurs champions de la Wallonie comme catalyseurs de réactions en chaîne autour de métiers ou de filières implantés et fructueux, donc d’induire des cercles vertueux, par effet boule de neige, autour de différents noyaux d’excellence existants. L’impact attendu était davantage la création d’entreprises nouvelles, ainsi que le développement d’une image de marque, d’une notoriété et d’une visibilité pour la Wallonie [22]. Henri Capron qui en a été l’artisan scientifique en 2005 leur avait donné quatre objectifs :

– susciter un processus de fertilisation croisée entre les différentes catégories d’acteurs ;

– régénérer le capital social en favorisant les synergies entre acteurs ;

– assurer une meilleure maîtrise du potentiel de développement ;

– placer la région sur la voie des régions apprenantes, avec comme finalité de stimuler sur un territoire, le dynamisme, la compétitivité et l’attractivité [23].

Ces rôles-là ont assurément été tenus. Et avec beaucoup de sérieux et de savoir-faire.

2.2. Le redéploiement de la Wallonie a besoin de moyens supplémentaires

Depuis le premier Contrat d’avenir pour la Wallonie, lancé en 2000 par Elio Di Rupo, j’ai à la fois la conviction que les politiques qui sont inscrites dans ces stratégies wallonnes sont qualitativement globalement adéquates en termes de choix de mesures et insuffisantes quantitativement, c’est-à-dire sur les moyens mobilisés. Ainsi, ces mesures s’appuient sur les marges financières disponibles qui leur sont affectées et qui sont de l’ordre de 5 à 7 % du budget régional et non sur les 80 ou 90 % du budget régional, comme devrait le faire un réel business plan [24].

Ainsi, me paraît-il que le futur plan prioritaire wallon devrait investir une part du budget bien plus importante que les quelques centaines de millions d’euros annuels actuellement mobilisés. Et c’est d’autant plus vrai que, malgré les difficultés à la fois conjoncturelles et structurelles des finances publiques wallonnes, l’enveloppe des moyens régionaux s’est considérablement accrue avec les transferts du fédéral puisqu’elle passera – à la grosse louche – de moins de 8 milliards d’euros à plus de 13 milliards. Cette opération de mobilisation de moyens stratégiques nouveaux au profit du redéploiement wallon aurait l’avantage de réinterroger l’ensemble des politiques régionales. Ceux qui me connaissent savent que je reste frappé par la piste avancée par plusieurs administrateurs de l’UWE en 2003 lorsque, avec Didier Paquot et Pascale Van Doren, nous listions les tabous wallons à lever. Ces entrepreneurs affirmaient qu’ils étaient prêts à renoncer aux moyens dédiés par la Région wallonne aux politiques d’entreprises qui leur apparaissaient comme autant d’effets d’aubaine pour autant que le gouvernement wallon se saisisse des trois enjeux essentiels à leurs yeux qu’étaient le passage entre la recherche académique et la concrétisation de l’innovation dans l’entreprise, l’enseignement technique et professionnel ainsi que la mise à disposition de terrains industriels. C’est donc à plusieurs centaines de millions d’euros qu’ils étaient prêts à renoncer pour autant que ces moyens soient directement et clairement investis dans ces domaines-clefs. Tous les travaux que j’ai menés sur le terrain avec des entreprises, en particulier dans le Cœur du Hainaut, m’ont démontré la pertinence de ces constats.

Dans le même ordre d’idée, chacun a pu observer, à partir de ses compétences spécifiques, à quel point la Région wallonne avait développé, ces dernières années, une multitude de préoccupations dans des domaines qui semblent périphériques par rapport à ses métiers de base. La fonction publique wallonne s’est accrue de 18,4 % en passant de 2003 à 2012, de 14.755 à 17.482 emplois. Durant ces dix ans, le SPW est resté stable (de 10.360 à 10.036 agents) tandis que les OIP ont accru leur personnel en progressant de 4395 à 7446 [25].

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On peut dès lors s’interroger sur la possibilité – voire sur la nécessité – de resserrer son dispositif sur les compétences de base de l’Administration et d’y pourvoir, du reste, les postes de manière adéquate, ce qui est loin d’être le cas. La meilleure manière de procéder est certainement de laisser faire les instances du SPW, sur base du cahier des charges que constitue la Déclaration de Politique régionale.

Cet accroissement général de la fonction publique wallonne ne paraît pas toutefois la meilleure manière de répondre au déséquilibre depuis longtemps souligné entre les sphères marchandes productives et non productives en Wallonie. On se rappellera qu’un élément très important avait été apporté par la dynamique La Wallonie au futur en 1991, à l’initiative d’une équipe d’économistes qui avait travaillé sous la direction d’Albert Schleiper [26]. Ils avaient mis en évidence un déficit d’environ 80.000 emplois, dans le secteur marchand productif. Ces emplois auraient dû se trouver dans le secteur marchand et ils n’y étaient pas. L’Union wallonne des Entreprises est à plusieurs reprises parvenue à des conclusions similaires. Or, 80.000 emplois c’est évidemment considérable.

Ces problématiques, on le voit, sont au centre des questions de l’accélération du redéploiement. Les analyses, qui ont été réalisées sur les choix budgétaires comparés entre la Flandre, Bruxelles et la Wallonie, font apparaître des stratégies qui, me semble-t-il, peuvent être réinterrogées, non seulement à l’aune des politiques de rigueur ou d’austérité, ce qui est le cas, mais aussi selon l’objectif de ce redéploiement. Comme l’indiquent les auteurs d’une étude récente du département de Politiques économiques de l’Université de Namur, il est essentiel d’examiner les choix budgétaires à la lumière de leur impact potentiel sur la croissance et l’emploi. Or, tandis que les dépenses administratives et celles de la dette sont plus importantes en Wallonie qu’en Flandre, la recherche scientifique reste moins financée en Wallonie et à Bruxelles que dans le Nord. Néanmoins, la Wallonie affecte une plus grande proportion de ses dépenses publiques au domaine technologique, à l’expansion économique et à la formation professionnelle [27].

Complémentairement à ces considérations générales, je reprendrai, comme annoncé en introduction, à titre d’enjeux stimulants à saisir, et en les reformulant, les cinq freins au développement wallon identifiés par Christophe De Caevel et les experts qu’il a sollicités :

– la croissance des entreprises (Small n’est pas toujours beautiful) ;

– la territorialisation des politiques (le provincialisme) ;

– la valorisation des recherches ;

– la gestion de l’espace ;

– l’enseignement technique et professionnel (“la main d’œuvre”).

On constatera que les trois tabous wallons évoqués lors de la prospective des politiques d’entreprises en 2003, et dont le ministre de l’Économie et de la Recherche de l’époque n’avait pu se saisir, y sont toujours présents.

2.3. La croissance des entreprises

Je m’étendrai peu sur cet aspect que j’ai eu l’occasion de clarifier dans une analyse intitulée Le Nouveau Paradigme industriel, articulant les sociétés industrielles, la Révolution cognitive et le développement durable.

On sait que la croissance des entreprises, au delà de la moyenne de 9,3 personnes, constitue un enjeu par lui-même, bien après leur création. La diversification des PME et leur croissance par la valorisation de leur capital social constituent des pistes intéressantes à suivre. L’exemple du fournisseur d’énergie Lampiris est à cet égard intéressant. L’entreprise, créée par Bruno Venanzi, a lancé un programme intitulé Lampiris Smart en créant quatre outils : Lampiris Wood, Lampirist Nest, Lampiris Isol et Lampiris Warm [28]. Il s’agit pour l’entreprise liégeoise de valoriser son portefeuille de 800.000 clients en Belgique et 100.000 en France en développant des services nouveaux dans son environnement de métier.

Parallèlement, de nouvelles initiatives ont permis ces dernières années une mise en réseaux des entreprises, au delà des secteurs, ainsi que leur émergence dans un cadre wallon, au delà des organismes représentatifs comme l’Union wallonne des Entreprises, l’UCM, etc. Le rôle d’animation que constitue à cet égard le Cercle de Wallonie, avec ses différentes implantations à Liège, Belœil et Namur est un atout réel pour la Région.

Enfin, le développement d’un coaching de proximité et de niveau international, tel que nous l’avions imaginé dans la Prospective des Politiques d’Entreprises [29] et tel que le remplissent des organismes régionaux comme l’AWEX, la SOWALFIN, certains invests, peuvent renforcer toute cette dynamique porteuse.

2.4. La territorialisation des politiques régionales

Plusieurs questions se cachent derrière le reproche de provincialisme qui est adressé aux Wallons. D’une part, le fait pour des acteurs ou des entreprises de ne pas épouser la globalisation des économies et des marchés. Les efforts dans ce domaine, tant aux niveaux transfrontaliers qu’européen ou mondial ont été considérables et doivent être poursuivis. L’AWEX a déjà fait beaucoup. Le maillon le plus faible me paraît celui le plus facile à renforcer : le transfrontalier, où beaucoup reste à faire. Cet enjeu passe aussi par celui, beaucoup plus difficile, de la mobilité, qui est essentielle, et sur laquelle les Wallons ont manqué totalement d’ambitions. Ici, une vraie stratégie doit être réactivée, notamment dans le cadre de la révision du SDER ou de ce qu’il deviendra. D’autre part, vient la question de ce qu’on appelait les baronnies, de la guerre des bassins, etc. Même si tout le monde ne l’a pas encore compris, loin s’en faut, ce modèle est aujourd’hui dépassé. Si la Région wallonne et ses instruments de stimulation et de financement doivent garder un rôle de cohérence et de coordination, c’est bien au niveau territorial que les politiques d’entreprises doivent être menées et le sont d’ailleurs généralement. C’est dans cette proximité des acteurs autour des agences de développement, des invests, des universités, des centres de recherche, de formation et d’enseignement que doit se dessiner l’avenir économique de la Wallonie. C’est là que se construit l’environnement qui permettra aux entreprises de naître et de croître.

Il s’agit, à l’instar de ce qui se construit en France, de mettre en place un schéma stratégique territorial de développement économique et de l’innovation, en lien avec le processus de spécialisation intelligente de l’Union européenne [30]. L’objectif n’est évidemment pas d’imposer aux territoires wallons une vision régionale ou nationale comme cela a été fait dans le cadre des Contrats de Projets État-Régions mais de négocier un contrat, sur base d’une coconstruction stratégique [31]. Les efforts de conceptualisation de Systèmes territoriaux d’Innovation, tels qu’enclenchés dans le Cœur du Hainaut, vont dans ce sens.

 2.5. La valorisation des recherches

Objet de la préoccupation des pouvoirs publics wallons depuis les années 1970 – qui se souvient des centres de transposition créés par Guy Mathot comme ministre de la Région wallonne en 1978 ? [32] -, la question de la valorisation des recherches reste majeure et difficile. Celle-ci ne se résume pas au nombre de brevets ou projets d’investissements issus des pôles de compétitivité. Il n’y a pas de réponse simple à la question posée par des industriels montois ou borains au fait que, malgré le fait qu’ils soient diplômés ingénieur civil polytechnicien ou de gestion de l’UMons, que celle-ci dispose de laboratoires de pointe, avec des chercheurs de qualité, que les fonds structurels ont permis de mettre en place des fleurons technologiques comme Multitel, Materia Nova, InisMa, Certech, etc., ces entrepreneurs ont parfois l’impression de vivre à 1000 kms de ces outils. Et ils le disent. Or, je ne pense vraiment pas que le monde académique regarde aujourd’hui les industriels de haut comme ce fut peut-être le cas jadis en certains endroits. Je pense que désormais ce monde scientifique est très ouvert et très attentif à ces questions d’entrepreneuriat, de transferts de technologies, de dynamique d’innovation. Toutes les universités ont mis en place des outils d’interface avec les entreprises. Des outils locaux et performants aident aussi à mettre de l’huile dans les rouages, comme les Maisons de l’Entreprise, les Business Innovation Centres, etc. dont les responsables ont souvent les pieds et les mains dans les deux mondes.

Globalisation européenne et mondiale, territorialisation et entrepreneuriat constituent désormais les trois horizons des universités de Wallonie dans un environnement composé d’entreprises en mutations constantes et de jeunes spin-off…

 

2.6. La gestion de l’espace

La gestion de l’espace est une question essentielle, non seulement pour organiser un vivre ensemble durable mais aussi pour stimuler le redéploiement économique d’une région qui a été profondément marquée par son effondrement industriel dans les années 1960 et 1970 et en garde encore trop les stigmates. Beaucoup de choses ont été faites mais il faut bien pouvoir reconnaître que, contrairement à nos voisins français, le rythme des investissements à la réhabilitation n’a pas toujours été – et n’est toujours pas – aussi soutenu.

Néanmoins, Christophe De Caevel ne semble pas avoir été bien informé lorsque, évoquant l’asssainissement des friches par le Plan Marshall, il note qu’au dernier recensement toutefois, seuls 3 ha sur les 194 recensés dans le plan avaient été dépollués et aucune activité économique n’y avait été réinstallée [33].

Voici la situation des sites réhabilités fin octobre 2014, telle que communiquée par SPAQuE.

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2.7. L’enseignement technique et professionnel

Comment aborder en quelques mots un dossier aussi essentiel, aussi complexe, aussi difficile ? Sans faire de long développement, je me limiterai à trois principes généraux, en rappelant qu’aucune solution ne sera simple.

D’abord, dire qu’une révolution, c’est-à-dire une mutation profonde et systémique, de l’enseignement est indispensable. Je persiste à croire que la régionalisation peut constituer la base, le catalyseur, le déclencheur de cette révolution.

Ensuite, il me paraît que seule une autonomie – pédagogique et de gestion – des établissements, avec une responsabilisation multi-réseaux par bassin peut permettre cette révolution. Cette autonomie peut être limitée dans le temps, à cinq ou dix ans, afin de permettre l’expérimentation, l’évaluation puis la généralisation éventuelle de bonnes pratiques. Qu’on ne me dise pas que nous risquons de sacrifier une génération : cela fait des décennies que nous en sacrifions.

Enfin, faisons des entreprises les premières partenaires de l’enseignement technique et professionnel. Nous avons tous à y gagner.

Conclusion : Une bifurcation pour mettre en route l’accélérateur de particules

Ce que la Wallonie doit trouver, c’est le chemin d’une nouvelle bifurcation. Celle-ci permettra d’optimiser son système régional d’innovation. Il s’agit en effet de permettra à la région de renforcer ses capacités d’innovation, d’anticipation, d’adaptation au changement rapide et global. C’est pourquoi, il est essentiel d’en mesurer les enjeux et la manière d’y répondre. A nouveau, sans considérer par cette démarche qu’il n’existerait qu’un modèle unique, on peut mettre en évidence six enjeux d’un système régional d’apprentissage : l’extension et la professionnalisation des réseaux régionaux ; la construction d’une vision partagée du territoire ; la créativité pour produire de l’innovation ; la mobilisation du capital social ; la gouvernance des territoires ; la formation tout au long de la vie.

Ces défis, c’est-à-dire ces enjeux dont on se saisit, ne sont pas nouveaux. Nous les avons identifiés dès 2004 dans le cadre de la Mission Prospective Wallonie 21. Dix ans plus tard, nous gardons la même perception de deux Wallonie : celle qui se reconstruit, se diversifie et développe ses nouveaux pôles innovants et créatifs, et celle qui poursuit inéluctablement son affaissement. Dès lors, n’est-il pas nécessaire qu’on s’interroge – comme le fait, nous l’avons vu, le Ministre-Président wallon – sur les voies d’une transformation accélérée, c’est-à-dire qui permettrait d’activer une renaissance régionale dans des délais qui répondraient sans retard aux enjeux auxquels sont aussi confrontés la Belgique, l’Europe et le monde.

Avec Philippe Suinen, qui préside désormais l’Institut Destrée, je pense que l’assise économique de la Wallonie est désormais stabilisée grâce au plan Marshall et aux pôles de compétitivité. Au delà, l’ancien administrateur général de l’AWEX soulignait, dès février 2014, qu’il faut à présent mettre en route « l’accélérateur de particules » pour concrétiser la relance. Cela passera, disait-il à Édouard Delruelle à l’occasion des interviews de Zénobe 2, par la créativité, l’innovation… et l’ouverture au monde sans être décomplexé : « La Wallonie a besoin de cours d’extraversion ! » [34].

Cette ambition pourrait passer par trois choix stratégiques prioritaires.

  1. Considérer que la volonté crée la confiance mais que l’imposture la fait perdre. Ce qui implique, qu’au delà de la méthode Coué, c’est-à-dire de tentative de prophétie autoréalisatrice, on dise plutôt la vérité à tous et à chacun. Les êtres volontaires ne peuvent être que des citoyennes et des citoyens conscients.
  1. Faire en sorte que la pédagogie de l’action soit au centre de la responsabilité des élus. Comprendre pour expliquer le monde est leur tâche première. On ne peut mener une entreprise, une organisation ou une région à la réussite sans cueillir et fabriquer du sens. Aujourd’hui – faut-il le rappeler ? -, l’idéologie n’a plus cours. Mais le bien commun, l’intérêt général, les valeurs collectives, le pragmatisme et la cohérence du lien entre la trajectoire de l’individu et celle de la société tout entière, prévalent.
  1. Faire prendre conscience que la seule réelle capacité de transformation économique est dans l’entreprise. Le premier changement de mentalité pour les Wallons, c’est de quitter le seul chemin du salariat. C’est de prendre l’initiative. Parallèlement, le succès des entrepreneurs wallons passe par des réformes de comportements et de structures, qui dès la famille, dès l’école, donnent envie de créer et d’entreprendre. L’objectif est de faire en sorte que chacune et chacun se voient comme un entrepreneur.

Les travaux du Collège régional de Prospective de Wallonie ont montré, à partir d’expériences et d’exemples concrets, que, pour renouer la confiance en l’avenir, il était nécessaire pour les Wallonnes et les Wallons de développer des comportement plus positifs au travers des cinq axes que contituent une réelle coopération entre acteurs différents, la volonté de sortir de son univers de référence, les stratégies proactives offensives, l’adhésion à l’éthique et aux lois de la société, la prise de conscience de l’intérêt d’un avenir commun.

C’est assurément surtout de ces Wallonnes et de ces Wallons qu’il faut attendre le renouveau. Ce n’est que d’eux qu’il viendra. Soyons-en sûrs.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

Sur le même sujet :

Cinq enjeux majeurs pour la législature wallonne (16 septembre 2014)

Les conditions d’un redéploiement de la Wallonie (16 février 2014)

Cinq défis de long terme pour rencontrer le Nouveau Paradigme industriel (31 décembre 2014)

La Wallonie, une gouvernance démocratique face à la crise (15 septembre 2015)

[1] Ce texte constitue la mise au net de la conférence que j’ai présentée le 3 novembre 2014 à l’Université de Mons dans le cadre du Forum financier de la Banque nationale de Belgique. Les données, certes récentes, n’ont pas été actualisées en 2015. Le Powerpoint de base a fait l’objet d’une diffusion sur le moment même par la BNB.

[2] Paul Magnette :La Wallonie ne se redresse pas assez vite”, Interview par François-Xavier Lefèvre, dans L’Écho, 20 septembre 2014, p. 5.

[3] http://gouvernement.wallonie.be/f-tes-de-wallonie-discours-du-ministre-pr-sident-paul-magnette.

[4] Michel QUEVIT, Les causes du déclin wallon, p. 289, Bruxelles, Vie ouvière, 1978.

[5] Paul Magnette : “La Wallonie ne se redresse pas assez vite”, … – Voir aussi la déclaration de Paul Magnette dans l’interview donnée à Martin Buxant sur Bel RTL, le 13 novembre 2014 : Il y a un redressement trop lent qu’il faut accélérer.

[6] Philippe DESTATTE, Cinq enjeux majeurs pour la législature wallonne, Blog PhD2050, 16 septembre 2014, https://phd2050.org/2014/09/16/5enjeux/

[7] Benoît BAYENET, Henri CAPRON & Philippe LIEGEOIS, Voyage au cœur de la Belgique fédérale, dans B. BAYENET, H. CAPRON & Ph. LIEGEOIS dir., L’Espace Wallonie-Bruxelles, Voyage au bout de la Belgique, p. 355, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2007. Avec des compléments ICN et calculs propres. (INS 1846-1981), ICN, 2005, 2008 + ICN, 2014.

[8] Conférence de Giuseppe Pagano au Forum financier à Namur, le 11 février 2013. – Philippe DESTATTE, Les conditions d’un redéploiement de la Wallonie, Blog PhD2050, Hour-en-Famenne, 16 février 2014, https://phd2050.org/2014/02/16/redeploiement/.

[9] Michel MIGNOLET et Marie-Eve MULQUIN, PIB et PRB de la Wallonie : des diagnostics contrastés, dans Regards économiques, Juin 2005, n° 31, p. 10. (PIB des trois régions belges, Parts régionales sur base des statistiques brutes, en monnaie constante et Parts relatives des PIB régionaux à prix constants) 1955-2003, INS, ICN, calculs CREW.

[10] Henri CAPRON, L’économie wallonne, une nouvelle dynamique de développement, dans Marc GERMAIN et René ROBAYE éds, L’état de la Wallonie, Portrait d’un pays et de ses habitants, p. 344, Namur, Editions namuroises – Institut Destrée, 2012.

[11] H. CAPRON, op. cit., p. 344-345. – Philippe DESTATTE et Serge ROLAND, Le Contrat d’avenir pour la Wallonie, Un essai de contractualisation pour une nouvelle gouvernance régionale (1999-2001), Working Paper, Mars 2002.

[12] ICN, Comptes régionaux, 2014, nos propres calculs.

[13] ICN et IWEPS, 27 juin 2013.

[14] Ph. DESTATTE, La Région wallonne, L’histoire d’un redéploiement économique et social, dans Marnix BEYENS et Ph. DESTATTE, Un autre pays, Nouvelle Histoire de Belgique (1970-2000), p. 209-278, Bruxelles, Le Cri, 2009.

[15] Michel QUEVIT et Vincent LEPAGE, La Wallonie, Une région économique en mutation, dans Freddy JORIS et Natalie ARCHAMBEAU, Wallonie, Atouts et références d’une région, p. 236, Namur, Gouvernement wallon, 1995.

[16] Wallonie 86, 3-4, 1986. – Philippe DESTATTE, Les questions ouvertes de la prospective wallonne ou quand la société civile appelle le changement, dans Territoires 2020, Revue d’études et de prospective de la DATAR, p. 139-153, Paris, La Documentation française, 1er trimestre 2001. – M. BEYEN et Ph. DESTATTE, Un autre pays, Nouvelle Histoire de Belgique 1970-2000, … p. 254 sv.

[17] Conférence de Giuseppe Pagano au Forum financier à Namur, le 11 février 2013. – Philippe DESTATTE, Les conditions d’un redéploiement de la Wallonie, Blog PhD2050, Hour-en-Famenne, 16 février 2014,

https://phd2050.org/2014/02/16/redeploiement/.

[18] Ph. DESTATTE, Les conditions d’un redéploiement de la Wallonie, Blog PhD2050, 16 février 2014, http://phd2050.org/2014/02/16/redeploiement/

[19] Frédéric CHARDON, La Wallonie dépassera la Flandre en 2087, dans La Libre, 16 mai 2013.

http://www.lalibre.be/actu/belgique/la-wallonie-depassera-la-flandre-en-2087-51b8fce0e4b0de6db9ca9011

[20] Christophe DE CAEVEL, Les cinq freins à la réindustrialisation de la Wallonie, dans Trends-Tendances, 16 octobre 2014.

[21] Voir AMOS : http://www.amos.be/fr/a-propos-2&a-propos-d-amos_16.html

[22] Philippe DESTATTE et Pascale VAN DOREN dir., Réflexion sur les politiques d’entreprises en Wallonie, Rapport final, p. 13, Namur, Cabinet du Ministre de l’Economie et des PME de la Région wallonne, Direction générale de l’Economie et de l’Emploi, Direction des Politiques économiques du Ministère de la Région wallonne et Institut Destrée, Décembre 2003.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/ProspEnWal_Rapport-final_2003-12-04.pdf.

[23] Henri CAPRON, Economie régionale urbaine, Notes de cours, 2007. homepages.vub.ac.be/~hcapron/syleru2.ppt

[24] Philippe DESTATTE et Serge ROLAND, Le Contrat d’avenir pour la Wallonie, Un essai de contractualisation pour une nouvelle gouvernance régionale (1999-2001), p. 58, Namur, Institut Destrée, Mars 2002, (Working Paper), 66 p.

[25] La fonction publique de la Région wallonne, Tableau de bord statistique de l’emploi public, Namur, IWEPS, Avril 2009. – Chiffres-clefs de la Wallonie, n° 13, p. 212-213, Namur, IWEPS, Décembre 2013. – A noter que L’emploi public en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, Namur, IWEPS, Mars 2015, p. 20 limite également son information à l’année 2012.

[26] La Wallonie au futur, Le défi de l’éducation, p. 130sv, Charleroi, Institut Destrée, 1992. – Olivier MEUNIER, Regard sur l’économie wallonne : une brève analyse des comptes régionaux 1995-2006, Namur, IWEPS, 2008.

http://www.iweps.be/sites/default/files/Breves3.pdf

[27] Caroline PODGORNIK, Elodie LECUIVRE, Sébastien THONET et Robert DESCHAMPS, Comparaisons interrégionale et intercommunautaire des budgets et des dépenses 2014 des entités fédérées, Namur, Université de Namur, CERPE, Novembre 2014.

[28] http://www.lampiris.be/fr/smart

[29] Philippe DESTATTE et Pascale VAN DOREN dir., Réflexion sur les politiques d’entreprises en Wallonie…

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/ProspEnWal_Rapport-final_2003-12-04.pdf

[30] Les Universités et l’innovation, agir pour l’économie et la société, Proposition de la Conférence des Présidents des Universités françaises, 2014. http://www.cpu.fr/wp-content/uploads/2014/10/recommandation_140916_val-2.pdf.

[31] Les Contrats de Projet État-régions, Enquête demandée par la Commission des Finances du Sénat, p. 23, Paris, Cour des Comptes, Juillet 2014.

[32] Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, Un autre pays…, p. 231.

[33] Christophe DE CAEVEL, Les 5 freins à la réindustrialisation de la Wallonie, dans Trends-Tendances, 16 octobre 2014.

[34] Philippe SUINEN, dans Edouard DELRUELLE, Un Pacte pour la Wallonie, Zénobe 2, Février 2014, p. 29.

Namur, le 16 mai 2014

Ce texte trouve son origine dans l’intervention que j’ai faite lors du colloque de la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective (SWEP), organisé à Louvain-la-Neuve, le 15 mai 2014. Sous le titre “L’évaluation et la prospective en Wallonie et à Bruxelles : trop de consensus, pas assez de controverses !”, la SWEP regrettait que les contraintes budgétaires et les modes de gouvernance ont souvent davantage privilégié la réflexion à court terme que le choix de modèles de transition inscrits dans le long terme. Malgré la qualité parfois remarquable des démarches initiées, l’appropriation régionale est faible et le lien à l’action, invisible [1]. Une occasion de dresser, sans fard ni pommade, un bilan des réalisations concrètes et des occasions manquées dans le domaine de la prospective régionale en Wallonie, du point de vue qui est le mien, c’est-à-dire la direction de l’Institut Destrée.

Ainsi, je distinguerai trois périodes :

– une première période de limbes de la pensée prospective wallonne, de 1976 à 1986 ;

– une deuxième période d’émergence de la prospective régionale, de 1986 à 2004 ;

– une troisième période de consolidation chaotique, de 2004 à 2014.

1. Les limbes de la pensée prospective wallonne (1976-1986)

La prospective en Wallonie ne naît certainement pas sui generis. Comme dans les autres pays européens, elle subit l’influence considérable des futures studies états-uniennes, de manière directe ou par l’intermédiaire de la stratégie, de la systémique, voire d’une jeune prospective française dans ce qu’elle a de différent du forecasting. La SEMA [2] et Jacques Lesourne ont eu une action pionnière sur les territoires, notamment au travers des études de reconversion des régions du Borinage, du Centre et du Pays de Charleroi, au début des années 1960 [3]. L’influence des travaux du Club de Rome, du Rapport Meadows, d’Interfuturs puis du programme FAST de la Commission européenne [4] sur les uns et les autres reste considérable. Tout cela reste à écrire. Quelques personnalités wallonnes sont identifiables qui jouent les passeurs dans les années 1970 et 1980 : on pense à Claire Lejeune [5], à Raymond Collard [6], à Paul Duvigneaud [7], à Gilbert de Landsheere [8] et à quelques professeurs des Facultés universitaires de Namur versés dans les rapports entre Sciences, technologie et société : Jacques Berleur, Georges Thill, Gérard Fourez [9], etc.

Voici près de quarante ans que l’Institut Destrée s’intéresse formellement à la prospective. Une réalisation en témoigne : la réflexion prospective structurée organisée autour de l’avenir culturel de la Wallonie depuis 1976 et publiée sous le titre de L’Avenir culturel de la Communauté française en 1979, avec une préface du nouveau président wallon Jean-Maurice Dehousse, ce qui n’est qu’un premier paradoxe [10]. Cet ouvrage, dont le cahier des charges mérite d’être relu, deviendra bien vite de référence. Il aura des suites concrètes dans un fort débat entre acteurs, intitulé Culture et politique. Celui-ci se clôturera par un colloque éponyme à Liège en mars 1983 [11]. Cette journée de travail est un des lieux d’incubation du Manifeste pour la culture wallonne, diffusé le 1er octobre 1983 et dont les effets se font toujours sentir aujourd’hui. Sur le plan de la pensée, malheureusement moins sur celui des actes…

Sur le plan de la prospective, deux occasions sont manquées durant cette période. La première est l’échec de l’Institut Destrée à trouver, en 1978, des partenaires pour lancer une prospective économique de la Wallonie [12]. Une initiative est toutefois prise pour organiser une journée d’étude portant sur L’Institutionnel, clé de l’économique. Celle-ci est organisée à Charleroi, le 19 mai 1979, avec la participation de Henry Miller – Section wallonne du Bureau du Plan –, Joseph Henrotte – Conseil économique régional de Wallonie –, Michel Dewaele – Société de Développement régional wallon –, Jacques Defay – chef de Cabinet adjoint du président de l’Exécutif wallon –, Urbain Destrée – SETCa –, ainsi que les députés Philippe Maystadt et Philippe Busquin – en remplacement de Jean-Maurice Dehousse, ministre de l’Economie régionale wallonne –, Etienne Knoops – en remplacement de Jean Gol, ancien secrétaire d’Etat à l’Economie régionale wallonne. Cette journée se clôture par un appel du député Philippe Busquin qui souhaite qu’un effort de vulgarisation soit entrepris par l’Institut Destrée, afin d’éclairer, à partir d’exemples précis, l’état de dépendance économique de la Wallonie [13]. La préoccupation du député de Charleroi est partagée : le professeur Michel Quévit, auteur de l’ouvrage Les causes du déclin wallon a été invité à la tribune de l’Institut Destrée en mars 1978 à la Maison de la Francité à Bruxelles. Le débat qui a suivi, animé par plusieurs personnalités des mondes scientifiques et culturels wallon et bruxellois, est arrivé à la conclusion que le redressement économique de la Wallonie implique en priorité, d’une part, la création d’un important organisme bancaire régional, et, d’autre part, la régionalisation des principaux départements économiques et financiers de l’Etat, dans une mesure bien supérieure à celle qui est envisagée par le pacte d’Egmont [14] . Michel Quévit, prix Bologne du Wallon de l’année en 1981, sera à nouveau l’invité de l’Institut Destrée pour une conférence au Palais des congrès de Liège, le 12 juin 1982, au moment de la sortie de son ouvrage La Wallonie : l’indispensable autonomie.

La seconde occasion manquée est celle du refus du Conseil d’Administration de l’Institut Destrée, le 26 octobre 1980, de répondre à la sollicitation du ministre-président wallon de constituer un service d’études et de recherches au profit de l’Exécutif wallon, compte tenu des risques financiers qui auraient été liés à cette opération et auraient dès lors pu menacer l’indépendance de l’Institut Destrée [15].

Il faut également signaler, durant cette période, trois initiatives intéressantes. La première est la réflexion appelée “Walter Nova”, menée par Emile Nols et Georges Vandersmissen (1970), la deuxième est celle menée par la Commission Avenir économique de la Belgique (1981), lancée par la Fondation Roi Baudouin dans la foulée du rapport de l’OCDE Interfuturs, la troisième est le dossier Wallonie 2000 qui a vu collaborer le CRISP et la RTBF Liège (1982) [16].

2. L’émergence de la prospective régionale : le chemin de la Wallonie au futur (1986-2004)

La rencontre avec Michel Quévit a été déterminante pour l’Institut Destrée. Alors qu’en 1985 l’ancien ministre Robert Moreau, administrateur et président de la section carolorégienne de l’Institut pousse à l’amplification de la démarche culturelle en la reliant à la problématique du travail à l’horizon 2000 qui lui tient à cœur, je suis, comme nouveau directeur, fasciné par la reconnaissance de la complexité par Ilya Prigogyne [17], les idées de mutations sociétales portées par le prospectiviste américain John Naisbitt [18] et que véhiculent également les rapports qui circulent en France : Simon-Nora (1978), Mattelart-Stourdze (1982), Gaudin-Portnoff (1983) [19]. Je tente difficilement d’orienter les travaux vers un champ plus ouvert, plus global, traversé par les dimensions technologiques et de créativité. Michel Quévit nourrit directement ce champ pluridisciplinaire par sa connaissance des terrains académiques et de l’Europe. Outre ses réseaux universitaires, il apporte à la démarche – qui prend le nom de Wallonie au futur – ses connexions et les apports des réseaux européens dans lesquels il évolue : la Communauté de Travail des Régions européennes de Tradition industrielle (RETI), le Groupe de Recherche européen sur les niveaux innovateurs (GREMI), les travaux de prospective relatifs à l’impact du programme Europe 1992, le Programme FAST de la Commission européenne. La relation avec FAST est importante puisqu’elle permet d’embarquer Riccardo Petrella dans la démarche dès 1987, puis, dans un deuxième temps, de nous connecter avec Europrospective lors de la deuxième conférence, en 1991, à Namur : Emilio Fontela, Jacques Berleur, Thierry Gaudin, Pierre Gonod, etc. font désormais partie de notre environnement intellectuel.

Michel Quévit va être en première ligne de la dynamique comme rapporteur général du congrès permanent et président de son comité scientifique, jusqu’en 1998 et son départ pour EBN (European Business and Innovation Network). Il restera néanmoins encore très présent jusqu’au début 2004, notamment dans le cadre de Wallonie 2030. Les travaux de La Wallonie au futur sont connus : cinq exercices de prospective ont été menés de 1985 à 2004 et l’Institut Destrée en a été à la fois le commanditaire et l’opérateur : Vers un nouveau paradigme (1986-1988), Le défi de l’éducation (1989-1994), Quelles stratégies pour l’emploi ? (1995-1996), Sortir du XXème siècle : évaluation, innovation, prospective (1997-2000), Wallonie 2020, Une réflexion prospective citoyenne pour la Wallonie au futur (2001-2004). Ils ont fait l’objet d’une large diffusion sous forme de livres, de cédérom et de publications en ligne et ont connu plusieurs évaluations [20]. A partir de 1988, grâce à l’intérêt qu’y ont perçu notamment Francis Mossay et Olivier Vanderijst, cette démarche a reçu l’appui des différents ministres-présidents wallons jusqu’à ce que Jean-Claude Van Cauwenberghe mette brutalement fin à ces financements en 2004.

C’est une gageure de vouloir résumer l’ensemble de cette démarche qui a ambitionné, pendant plus de 15 ans, d’être, sinon de contribuer à construire un projet de société par cinq volontés majeures :

  1. la nécessité d’une stratégie de développement régional pour le tissu économique wallon, en particulier pour rééquilibrer l’écart entre le volume d’emploi productif et non productif ;
  2. l’exigence d’une politique efficace de la science et de la technologie sur les deux axes des entreprises et des programmes de recherches européens ;
  3. l’adaptation de notre système éducatif au double enjeu de l’émancipation individuelle et des besoins collectifs ;
  4. le développement de notre identité, à la fois humanisme d’enracinement et d’universalité ;
  5. la mise en place d’un contrat social wallon pour surmonter les défis institutionnels, économiques et sociaux.

Ces principes étaient assortis de propositions relativement générales, souvent très argumentées. Quelques chantiers toutefois ont été très approfondis, comme ce fut le cas pour les questions d’éducation en particulier du pilotage scolaire (avec Gilbert De Landsheere), de l’emploi (avec surtout Albert Schleiper, Jacques Defay et Yves de Wasseige), de l’évaluation (avec Jean-Louis Dethier), de la prospective et de la contractualisation (chantiers dans lesquels, avec Pascale Van Doren, nous nous sommes davantage investis). Sur le plan de la gouvernance, les conclusions de Sortir du XXème siècle, Innovation, évaluation, prospective ont débouché sur des outils précis, dont certains ont abouti, d’autres pas. On peut penser au Contrat d’avenir pour la Wallonie, à la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective, à la cellule interdépartementale d’évaluation et de prospective dans l’administration wallonne. On peut aussi penser à l’ambition d’Elio Di Rupo de créer une cellule de back office et d’appui prospectif au Gouvernement wallon puis de la préparation très poussée, avec Gaëtan Servais, du projet CiPré : Cellule indépendante de prospective régionale pour la Wallonie.

Deux phrases se percutent à ce point de vue. La première sous la plume d’Elio Di Rupo, pour la clôture d’un colloque à la Géode à Charleroi, le 31 mars 2000 :

Si çà et là différents instituts ou centres de recherche font de la prospective, nous ne disposons pas de centre régional de prospective. Reconnaissons-le, nos universités n’ont pas encore structuré, fédéré, une démarche prospective. Par le biais de son conseil d’administration, l’Institut Destrée s’est proposé d’ériger en son sein une cellule indépendante de prospective régionale.

Mes collaborateurs et moi-même avons longuement réfléchi sur ce sujet pour trouver un système qui permette d’une part, la garantie du niveau d’indépendance requis pour une telle cellule et d’autre part, des retombées directes et effectives sur le Contrat d’avenir pour la Wallonie et la Région wallonne. Moyennant quelques retouches que nous discuterons, je m’apprête donc à financer, au départ de mon budget, la création d’une cellule indépendante de prospective au sein de l’Institut Destrée.

Cette cellule sera en relation avec le Service des Études et de la Statistique de la Région wallonne, les universités, la cellule de prospective de la Commission européenne, mais également, le contractant de l’évaluation du Contrat d’avenir[21].

Elio Di Rupo quittait malheureusement la présidence du gouvernement wallon quatre jours plus tard pour prendre celle du Parti socialiste. Son successeur avait une vision beaucoup moins respectueuse de la gouvernance régionale. Moins de trois mois plus tard, il nous recevait à l’Elysette pour annoncer que :

La prospective régionale est une chose trop importante que pour être confiée à une asbl qui, par nature, est fragile. Je ne veux en cette matière confier à l’Institut Jules Destrée qu’un rôle d’assistance du gouvernement. La convention-cadre, sur base de l’article budgétaire de l’Institut Jules Destrée constitue un lieu trop transparent pour faire des études de prospective. Si on fait cela, je serai constamment sollicité par les parlementaires pour pouvoir disposer des études au moment où elles me seront remises [22] .

C’était effectivement un changement de paradigme dans la gouvernance par rapport à l’impulsion qui venait, quelques mois auparavant, d’être donnée par Elio Di Rupo.

L’Institut Destrée allait donc travailler dans une logique de service au Gouvernement en poursuivant jusqu’en 2004 la mission confiée en 1999 par le ministre-président montois sous la forme de ce que nous allions appeler la Mission prospective Wallonie 21 : d’une part, une réflexion prospective régionale continue, comprenant l’animation d’une réflexion générale sur l’avenir de la Région wallonne, la veille méthodologique et la détection des signaux porteurs de sens, ainsi qu’une activité de recherche prospective, menée directement ou en partenariat et, d’autre part, assumer une fonction de conseil en fournissant au gouvernement wallon des vues prospectives, notamment en matière d’identité régionale, ainsi que des propositions d’actions dans le cadre du Contrat d’Avenir pour la Wallonie. L’Institut Destrée devait développer en son sein un Pôle Prospective de manière à disposer d’une expertise accrue en cette matière et à la mettre notamment à la disposition du gouvernement wallon et plus particulièrement de communiquer des informations stratégiques à la Cellule Gouvernance constituée au sein du Cabinet du président du gouvernement. De même, l’Institut Destrée devait mobiliser son Pôle Prospective pour informer le gouvernement wallon sur les analyses et scénarios de prospective mondiaux, européens, transfrontaliers et fédéraux réalisés ou en cours de réalisation ainsi que sur la position que la Région wallonne occupait dans ces différents scénarios.

Un séminaire résidentiel au profit de la Cellule Gouvernance du ministre-président du gouvernement wallon – alors dirigée par Marc Debois –, et intitulé Questions de Prospective appliquées à la Wallonie s’est tenu à Ave-et-Auffe, les 16 et 17 mars 2001. Ces travaux ont permis d’établir un consensus sur la mise en place par le Pôle Prospective de l’Institut Destrée d’un Système régional wallon de Prospective (SRWP), en appliquant à la prospective, sur le conseil de Michel Quévit, le processus méthodologique que la Commission européenne avait construit pour les Système régionaux d’Innovation. Ce SRWP inscrivait la mission du Pôle Prospective dans le cadre de la démarche régionale collective et participative du Contrat d’avenir pour la Wallonie, et plus généralement de la contractualisation régionale avec les acteurs, en ce compris les éléments de préparation d’un possible prochain contrat régional.

La Mission Prospective Wallonie 21 comportait trois phases. La première a permis d’établir des fondements de la prospective wallonne (compréhension et appropriation de la prospective formelle et choix méthodologiques) et d’analyser des tendances lourdes susceptibles d’avoir un impact durable sur le développement de la Wallonie à l’horizon de vingt ans. Ces travaux ont fait l’objet d’un premier rapport intitulé La Wallonie à l’écoute de la prospective, publié en août 2002. La description de la discipline prospective et l’analyse des tendances lourdes ont ainsi constitué la base du colloque La prospective territoriale comme outil de gouvernance, organisé par l’Institut Destrée au Château de Seneffe, le 28 septembre 2002. Approches méthodologiques et cas pratiques de niveau européen ont constitué les axes centraux de cet événement auquel a participé le Commissaire européen à la Recherche, Philippe Busquin [23]. Partant de cette écoute de la prospective globale, la deuxième phase de la Mission Prospective Wallonie 21 a eu pour objet d’identifier les enjeux que les dix tendances lourdes, décrits dans la phase précédente, induisaient pour la Wallonie. Dix séminaires prospectifs ont été organisés de novembre 2002 à avril 2003, chacun traitant d’une tendance, et réunissant au total environ 120 acteurs et experts wallons. En complément, un groupe d’experts, sous la présidence de Marc Luyckx Ghisi, ancien collaborateur de la Cellule prospective de Jacques Delors à la Commission européenne et chercheur à l’Institut Destrée, a été chargé d’identifier, de manière transversale, les implications du changement de paradigme en Wallonie. De même, un socle informationnel complémentaire a été construit, permettant de fonder les tendances sur le territoire wallon et d’identifier des contre-tendances éventuelles. L’ensemble des enjeux identifiés ont été mis en débats et affinés lors d’un séminaire participatif organisé à La Géode à Charleroi, en septembre 2003. Le dernier rapport, orienté sur la stratégie, était remis en 2004, renforcé par tout un volet sur les régions créatives, à la demande d’Olivier Vanderijst qui, en tant que chef de Cabinet du ministre-président, a fortement interagi avec la démarche [24].

Considérant qu’il était alors trop tôt culturellement pour faire dialoguer directement, sur le plan de la prospective, les sphères politiques et de l’État, le monde des entreprises ainsi que le monde associatif, le projet de réflexion générale sur l’avenir de la Région wallonne devait être mené au travers de trois groupes d’étude prospective constitués au profit des acteurs eux-mêmes. Ces groupes devaient permettre leur propre formation à la prospective et constituer un des éléments d’information du Pôle Prospective pour sa propre mission. Il était expressément convenu que la Cellule Gouvernance du Cabinet du ministre-président ne devait pas être représentée dans ces groupes. Trois initiatives devaient être prises :

Dynamique de la Société wallonne, groupe constitué à partir d’associations pluralistes wallonnes ayant vocation à développer un secteur d’activité précis et considéré comme stratégique pour l’avenir de la Région ;

Entreprises et développement régional, constitué à partir d’entreprises de différents domaines et tailles permettant d’instruire la Région de manière prospective sur les besoins du monde des entreprises dans la logique d’une compétitivité territoriale européenne et mondiale ;

Gouvernance et territoires, groupe constitué d’acteurs (élus, administratifs, etc.) de la sphère de l’Etat et des collectivités locales : Région wallonne, Communauté française, provinces, communes, intercommunales, etc. Ce groupe d’étude prospectif devait permettre d’aborder à la fois les nouveaux modes de gouvernance (Rapport Vignon, etc.) en liaison avec une approche de prospective territoriale (SDEC, SDER, logique de pays, etc.).

Une convergence devait être recherchée entre ces trois lieux du Système régional wallon de Prospective, par exemple dans le cadre du Congrès permanent La Wallonie au futur, initiative indépendante de cette mission prospective mais à laquelle le Pôle Prospective de l’Institut Destrée devait rester attentif [25].

Le groupe de prospective, consacré à la Dynamique de la Société wallonne et constitué de représentants d’associations à vocation régionales, a été constitué début 2001 et s’est réuni régulièrement de juin à décembre. Il a rassemblé les organismes suivants : le Chapitre Wallonie de l’Internet Society, la Fondation pour les Générations futures, la Fondation rurale de Wallonie, l’Institut pour un Développement durable, Inter-environnement Wallonie, le Mouvement wallon pour la Qualité, la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective et l’Institut Destrée qui a confié l’animation du groupe à Hugues de Jouvenel (Futuribles). Le travail mené a permis de diffuser la culture et la pédagogie de la prospective parmi ces institutions et de commencer l’élaboration d’une banque de données de faits porteurs d’avenir et de tendances prospectives. Ce groupe a constitué, avec les groupes de prospective de Wallonie 2020 une des bases d’intelligence collective pour la Mission Prospective Wallonie 21 [26].

L’initiative prise par le ministre de l’économie Serge Kubla, dans le cadre du projet global 4X4 pour Entreprendre, a constitué une occasion unique de mettre en place un groupe prospectif tel que celui imaginé sous le titre d’Entreprises et développement régional. En effet, l’Institut Destrée était mobilisé pour lancer une réflexion prospective sur les politiques d’entreprises en Wallonie (ProspEnWal). Cet exercice a été mené en 2002 et 2003. Il s’agissait d’aider le Cabinet du ministre et la direction générale de l’Économie et de l’Emploi du ministère de la Région wallonne à redéfinir les politiques régionales d’appui aux entreprises, en prenant en compte les enjeux à l’horizon 2020. Le travail s’est fait essentiellement avec des chefs d’entreprises, l’Union wallonne des Entreprises et des experts de niveau européen du monde de l’entreprise, et a débouché sur un rapport qui a été remis successivement au ministre Serge Kubla et, après le changement de législature au printemps 2004, au ministre Jean-Claude Marcourt [27].

Quant au groupe Gouvernance et territoires, s’il n’a pas été mis en place dans le cadre de la Mission Prospective Wallonie 21, il préfigurait l’initiative partenariale prise avec l’Administration wallonne de l’Aménagement du Territoire, à partir de 2006, sous la forme de la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne.

Les impacts de ces travaux, assez complémentaires, ont été réels, notamment en termes d’acculturation régionale à la prospective. La mission Prospective Wallonie 21 a permis de mobiliser de nombreux acteurs régionaux dans des séminaires portant sur l’avenir de la région. L’ouverture internationale de la démarche était essentielle tant au niveau mondial, grâce aux connections avec le Millennium Project, aux travaux duquel l’Institut Destrée participe depuis 2001 avec la constitution du Nœud transfrontalier de l’Aire de Bruxelles (Millennium Project Brussels’ Node Area), qu’au niveau européen avec l’European Millennium Project Nodes Initiative (EuMPI), lancée à San Francisco en juillet 2003 (kick-off meeting, le 21 novembre 2003 au Parlement européen, puis l’organisation de la conférence internationale de Louvain-la-Neuve des 13 et 14 avril 2005 The Futures of Europeans in the Global Knowledge Society [28] ), puis, parallèlement, avec l’European Regional Foresight College, constitué à Paris avec l’appui de la DATAR, en avril 2004, et à la destinée duquel j’allais présider pendant huit ans.

Le financement du Pôle Prospective et de ces démarches a été pendant toutes ces années une question cruciale. L’apport régional, qui n’avait pas été accru en 2000 ni les années suivantes, était diminué de 80.000 euros en 2004 pour transférer à l’IWEPS le budget correspondant à un équivalent temps plein, afin que celui-ci puisse sous-traiter un travail annuel avec l’Institut Destrée. Ce qui ne sera réalisé que bien plus tard et deux années seulement en dix ans. Ainsi, il y avait-il un paradoxe de voir les moyens régionaux attribués à la prospective diminuer au moment même où le ministre-président semblait s’y intéresser davantage.

3. Une troisième période de consolidation chaotique (de 2004 à 2014)

Quatre outils de prospective ont été mis en place au service de la Wallonie depuis 2004 :

– le Collège régional de Prospective, à l’initiative de l’Institut Destrée ;

– la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, à l’initiative conjointe de la DGATLP (Luc Maréchal) et de l’Institut Destrée, avec l’appui des ministres de l’Aménagement du territoire, André Antoine puis Philippe Henry ;

– le processus de recherche prospective Millennia2015, “Femmes actrices de développement pour les enjeux mondiaux”, à l’initiative de l’Institut Destrée et en collaboration avec le Millennium Project (Washington) ;

– le Système régional de Recherche et de Veille en Prospective, à l’initiative conjointe de l’IWEPS et de l’Institut Destrée.

 

2.1. Le Collège régional de Prospective

Le Collège régional de Prospective, créé en novembre 2004 par l’Institut Destrée, se veut à la fois un cercle de débats et un lieu d’apprentissage collectif. Il comporte une trentaine de membres qui émanent des différentes sphères de la société (entreprises, sphère publique et société civile). Depuis sa création, le Collège régional de Prospective s’est attelé à un travail prospectif relatif à la manière de lever les obstacles au développement de la Wallonie, particulièrement dans le domaine des valeurs collectives. Il a identifié une série de comportements concrets, déficients et majeurs qui caractérisent le mal-développement wallon et a décidé de focaliser sa réflexion et son action sur cinq chantiers prioritaires :

– l’insuffisance généralisée de culture du risque et du changement;

– l’absence de responsabilisation des acteurs et de clarification de leurs objectifs;

– les immobilités physiques et mentales face à l’évolution de la formation, de l’emploi, du marché;

– l’affaissement de la norme, de la déontologie et de l’éthique;

– les réflexes d’attachement aux piliers, entraînant des coûts exorbitants.

 Outre trente-six séminaires d’une journée organisés principalement au Cercle de Wallonie à Namur et à Liège, deux colloques ont été organisés : Le rôle et la gestion des services publics face aux mutations du XXIème siècle (La Hulpe, 9 novembre 2007) [29] et Culture du changement, responsabilisation et créativité : défis de l’éducation tout au long de la vie (Cercle de Wallonie à Namur, 13 février 2009) [30].

Le 23 avril 2010, le Collège a lancé une dynamique destinée à ouvrir ses portes et à disséminer ses travaux. Il s’agit de Wallonie 2030 : anticiper les bifurcations futures et choisir les comportements positifs. Neuf « fabriques » de prospective ont été lancées avec une nouvelle méthode permettant de construire des stratégies à partir des acteurs. Ces groupes de travail portaient sur :

  1. La territorialisation des politiques (décentralisation régionale et pouvoirs locaux) (Luc Maréchal, Dominique Hicguet)
  2. La gouvernance publique régionale y compris la fonction publique (Jean-Louis Dethier)
  3. Le pilotage et la croissance des entreprises (Pierre Gustin et Bernard Fierens)
  4. Les structures et modèles d’éducation et de formation (Michel Molitor et Bernadette Mérenne)
  5. L’articulation entre l’emploi et le travail (Marie-Hélène Ska et Basilio Napoli)
  6. L’environnement et l’énergie (Marc Installé)
  7. La pauvreté, l’insertion, la cohésion sociale (Michel Goffin)
  8. Le vieillissement démographique et la santé (André Lambert)
  9. La participation à la démocratie (Philippe Destatte et Michaël Van Cutsem) [31]

Une collaboration et des synergies sont d’ailleurs menées avec les fabriques de Prospective du Collège régional de Prospective du Nord – Pas-de-Calais – dont Philippe Destatte est membre du Comité d’Orientation – tandis que Pierre-Jean Lorens, responsable de la prospective au Conseil régional, est membre du Collège de Wallonie. Un congrès intitulé Vers un contrat sociétal pour la Wallonie dans un cadre de régionalisation renouvelé, s’est tenu le 25 mars 2011 au Palais des Congrès de Namur [32].

Le Collège régional de Prospective de Wallonie a en outre rédigé deux appels aux acteurs et en particulier au monde politique : Appel pour un contrat sociétal wallon, en février 2011 et Principes destinés à guider l’élaboration et la mise en œuvre de la prochaine déclaration de politique régionale de Wallonie, en mai 2014 [33].

L’ensemble des travaux du Collège a été mené par l’Institut Destrée sur fonds propres et sans autre appui extérieur qu’un appui ponctuel de la SRIW. Le 27 novembre 2014, le Collège régional de Prospective de Wallonie devait fêter ses dix ans au Parlement wallon à l’occasion d’un colloque intitulé Prospective, société et décision publique [34].

2.2. La Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne

Cette initiative a été lancée en janvier 2006 avec l’appui de l’ancien ministre du gouvernement wallon André Antoine en charge de l’Aménagement du territoire et de Luc Maréchal, Inspecteur général à la Direction générale de l’Aménagement du Territoire, du Logement et du Patrimoine (Division de l’Aménagement et de l’Urbanisme) du ministère de la Région wallonne. L’Institut Destrée a construit une plateforme d’information dédiée aux projets de territoires en Wallonie, dans la perspective de la mise en œuvre du Schéma de Développement de l’Espace régional, afin d’assurer une information sur les initiatives de prospective territoriale menées sur les aires de coopération communales et supracommunales [35]. Plusieurs exercices – pour certains desquels l’Institut Destrée a apporté un appui méthodologique – y sont présentés : Luxembourg 2010, Herve au futur, Charleroi 2020, Prospect 15, Liège 2020, Wallonie picarde 2025, Molinay 2017, Ottignies-Louvain-la-Neuve 2050, Bassin du Cœur du Hainaut 2025, Pays de Famenne, etc. Outre l’organisation de plus de trente séminaires, l’Institut Destrée a mené une enquête auprès des communes wallonnes pour identifier les instruments prospectifs et stratégiques utilisés. A chacun des séminaires, un prospectiviste ou expert étranger du développement territorial vient présenter une conférence pour participer à l’apprentissage collectif des acteurs territoriaux. Ainsi, de nombreuses personnalités européennes du monde de l’aménagement du territoire et de la prospective se sont-elles succédé à la tribune de la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne. Certains séminaires se sont faits sur le terrain (Seraing, Tournai, etc.) [36].

Parallèlement, en 2011 et 2012, le Ministre Philippe Henry a confié à l’Institut Destrée une mission d’accompagnement de l’Administration wallonne et de la CPDT en matière de formation à la prospective et d’élaboration des scénarios lors de la révision du SDER [37].

2.3. Le processus de recherche prospective Millennia 2015

Conçu et mis en œuvre par Marie-Anne Delahaut, directrice de recherche et responsable du Pôle Société de l’information, en suivi du programme “Prospective et gouvernance de l’internet” [38] organisé dans le cadre de sa contribution au Sommet mondial sur la société de l’information [39], le processus de recherche prospective Millennia2015 “Femmes actrices de développement pour les enjeux mondiaux” [40] a été lancé lors de la conférence internationale tenue les 7 et 8 mars 2008 au Palais des Congrès de Liège, à l’initiative de l’Institut Destrée avec l’appui du Millennium Project (Washington), de l’Organisation internationale de la Francophonie, de la Région wallonne et de la Communauté française. Millennia2015 a pour objet de mettre en lumière le rôle crucial des femmes dans la société et de valoriser leurs capacités à bâtir des futurs alternatifs, considérant leur volonté de s’orienter résolument vers l’avenir, d’être médiatrices de paix, et d’agir à tous les niveaux de prise de décision en égalité avec les hommes (économie, politique, santé, éducation, formation, égalité des droits, …), en créant de nouvelles solidarités proactives en réseaux. Reconnu au plan international, Millennia2015 a permis à l’Institut Destrée d’obtenir les titres d’ONG partenaire officiel de l’UNESCO (statut de consultation) ainsi que le statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) dès 2012. Le patronage de l’UNESCO lui a été octroyé pour la conférence internationale Millennia2015 “Un Plan d’action pour l’autonomisation des femmes” organisée au Siège de l’UNESCO à Paris en 2012 [41]. La troisième conférence internationale est programmée aux Nations Unies à New York en 2017. Partout dans le monde, le Réseau international de Chercheur-e-s volontaires de Millennia2015 [42] se mobilise autour d’un même travail prospectif conçu par l’Institut Destrée où travaille actuellement sur ce chantier une équipe de trois personnes pilotée par Marie-Anne Delahaut. Des communautés sont actives en Francophonie, à Goma-RDC, en Inde, notamment, ainsi que le groupe de travail international Millennia2015 “Femmes et eSanté”. En mars 2010, l’Institut Destrée a présenté le concept de société de l’information solidaire aux Nations Unies à New York dans le cadre de la 54ème Commission sur le statut des femmes “Pékin+15” 43.

L’exercice de prospective de Millennia2015 a été inauguré au plan international autant qu’au niveau de la Wallonie, le 8 décembre 2010, à l’UNESCO, à Paris, avec l’appui de la directrice de la Division Égalité des Genres de l’UNESCO, en lien direct avec le Cabinet de la directrice générale [44]. Les premiers résultats ont été analysés lors de du séminaire international organisé par Millennia2015 à l’École des Mines à Paris en novembre 2011 [45].

Sur base des valeurs inscrites dans la charte de Millennia2015, la Fondation Millennia2025 “Femmes et innovation”, fondation d’utilité publique, a été créée en avril 2012, avec pour objectif de récolter des fonds afin de mettre en œuvre les activités du processus de recherche prospective Millennia2015 pour l’autonomisation des femmes et l’égalité des genres. Elle est en charge de leur réalisation et du suivi des plans d’actions avec les organisations partenaires locales de Millennia2015. A cet effet, agissant en lien étroit avec l’Institut Destrée, la Fondation Millennia2025 s’active principalement à la levée de fonds pour le financement des plans d’actions issus de l’exercice de prospective présenté à l’UNESCO en décembre 2012 ; à la mise en place de partenariats et collaborations avec des universités, ONGs et entreprises du secteur privé, dans le but de renforcer les capacités des femmes par la solidarité numérique; à fournir des prestations de services, formations, consultance, expertises, publications, organisation de conférences et séminaires dans le cadre des objectifs de Millennia2015 [46].

2.4. Le Système régional de Veille et de Recherche en Prospective (SRPW)

Conformément à la volonté exprimée par le ministre-président du gouvernement wallon Elio Di Rupo, en décembre 2006, l’IWEPS et l’Institut Destrée ont construit un partenariat afin d’associer leurs compétences au profit de la prospective régionale. Dès janvier 2007, de nombreuses réunions se sont tenues entre les deux institutions pour aboutir à un projet de collaboration qui a été remis au Cabinet, en octobre 2007 [47]. Parmi les différentes propositions formulées, deux axes de travail ont été retenus : d’une part, le lancement d’une recherche sur la transmission d’entreprises, d’autre part, la mise en place d’une plateforme wallonne de la prospective. Celle-ci serait fondée sur trois objectifs :

– réaliser et encourager le transfert de connaissances et d’expériences en matière de prospective (banques de données des acteurs, des expériences, etc.) ;

– promouvoir la démarche prospective (faire connaître les méthodes et pratiques) ;

– fédérer les acteurs de la prospective en vue de projets communs.

Le 9 février 2010, le Système régional de Veille et de Recherche en Prospective wallon était lancé par l’IWEPS et l’Institut Destrée avec la finalité de mobiliser des départements universitaires et des centres de recherche de niveau universitaire, de Wallonie et de Bruxelles, au profit de la prospective régionale, c’est-à-dire de rapprocher les compétences du réseau ainsi formé des besoins d’expertises régionaux en termes d’anticipation. Dans le même temps, le Cabinet du ministre-président et les différentes directions générales du SPW étaient associés à l’initiative.

Sur base d’une première convention, créant un contrat de service entre l’IWEPS et l’Institut Destrée, de mai 2009 à juillet 2010, une première étude sur la reprise et transmission d’entreprises a été réalisée tandis que l’Institut Destrée se voyait confier une mission d’appui à la mise en place du SRPW.

Plusieurs tâches préliminaires ont été réalisées dans ce cadre :

  1. L’établissement d’un inventaire des membres potentiels du SRPW : 49 unités de recherche ont été identifiées et invitées à rejoindre le réseau. 30 ont été rencontrées à cet effet.
  2. La définition de protocoles pour réguler les échanges et construction d’un site internet.
  3. L’identification des enjeux régionaux pour lesquels des études et travaux prospectifs seront nécessaires.
  4. Les premiers jalons d’une recherche relative au repreneuriat matérialisée par la publication d’un Discussion Paper [48].

Une nouvelle convention a été signée, en mars 2011, par l’IWEPS et l’Institut Destrée, portant sur un appui de l’Institut Destrée aux activités de prospective menées par l’IWEPS (réalisation de notes de veille, animation du SRPW, etc.). Une différence considérable est toutefois apparue entre l’ambition initiale et commune des deux institutions exprimée à l’époque d’Elio Di Rupo et la mise en œuvre contrainte menée sous l’égide du Cabinet Demotte. Cette évolution a probablement contribué à freiner la participation des universités au réseau et à démotiver les chercheurs des deux institutions qui, initialement, s’en étaient voulues les moteurs. Le SRPW ne poursuivra pas ses activités au delà de 2012.

Conclusion : un regard contrasté sur une prospective très liée à la qualité de la gouvernance régionale

Notre regard sur la prospective en Wallonie est contrasté. D’une part, la prospective se développe avec une vigueur certaine au niveau des territoires wallons (Luxembourg 2010, Wallonie picarde 2025, Pays de Famenne, Bassin du Cœur du Hainaut 2025, Louvain-la-Neuve 2040, etc.). D’autre part, l’Institut Destrée s’est très impliqué dans la prospective au niveau européen : Philippe Destatte a assumé la présidence du Collège européen de Prospective territoriale, de 2004 à 2012, avant de confier la présidence à Ibon Zugasti (Prospektiker, San Sebastian), organisation dont Michaël Van Cutsem, directeur de recherche et responsable du Pôle Prospective de l’Institut Destrée, occupe aujourd’hui encore, le secrétariat. L’Institut Destrée reste très présent au niveau européen où il a été l’un des animateurs du projet Cities of Tomorrow de la DG Politiques régionales de la Commission européenne. En outre, l’Institut Destrée a accompagné – avec Prospektiker et Futuribles – la mise en place de la nouvelle Cellule de Prospective du Comité des Régions. Il en est de même pour la prospective mondiale : un accord de partenariat a été conclu entre l’Institut Destrée et l’Université de Houston pour la réalisation d’un certificat en prospective qui s’est tenu pour la première fois à Bruxelles en mai 2011, tandis que Philippe Destatte a été élu membre du Board du réseau mondial du Millennium Project dont le siège est à Washington.

L’évaluation de la prospective est d’une difficulté sans nom. Nous y avons beaucoup travaillé avec la Commission européenne dans le cadre du programme FOR-LEARN pour arriver à ce constat [49]. La prospective est un processus de changement, de transformation. J’en suis de plus en plus convaincu, au point d’avoir fait évoluer la définition construite en 1999-2000 : elle a récolté un quasi consensus, tant à la SWEP qu’à la Mutual Learning Platform de la Commission européenne et au Collège européen de Prospective, pour renforcer cette dimension [50]. En cela, je rejoins probablement tant Gaston Berger que Richard Slaughter [51].

Pour alimenter les controverses, ainsi que la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective nous y invite, je me permettrai quelques hypothèses liées aux impacts des travaux prospectifs que j’ai évoqués.

  1. Si on a pu observer un processus d’institutionnalisation de la prospective en Wallonie depuis 1999, celui-ci a eu pour principal objet de faire de cette discipline un enjeu de pouvoir. On peut considérer qu’il y a une forme de rupture entre, d’une part, l’affirmation de la prospective comme outil de gouvernance, c’est-à-dire de construction d’un dialogue et d’un discours stratégiques entre les acteurs pour élaborer collectivement un projet, et, d’autre part, un outil managérial au service des décideurs. Cette rupture se manifeste clairement entre avril et juin 2000. De manière étonnante, et à part quelques rares moments d’exceptions, le modèle qui s’instaure en Wallonie à ce moment s’est poursuivi jusqu’à ce jour.
  1. Malgré les efforts menés, la vision de la prospective qui domine les institutions wallonnes reste manifestement profondément ancrée soit dans un scientisme où prédomine la prévision soit, à tout le moins, dans une prospective vue uniquement comme exploratoire et non comme une prospective complète, totale, certes exploratoire mais aussi normative, à vocation stratégique, c’est-à-dire orientée vers l’action concrète et opérationnelle. La recherche d’une légitimité scientifique destinée à faire croire que l’action menée est objective, voire la seule possible à mener en fonction des données du présent, reste au centre de la conception des élus et des décideurs. A titre d’exemple, l’observation attentive des discours justifiant la démarche Horizon 2022 lors de la législature 2009-2014 fonde cette analyse.
  1. Une des difficultés majeures de l’évaluation de la prospective consiste à revendiquer des actions ou des réalisations qui sont menées en aval des exercices. Non seulement cette démarche peut paraître manquer de modestie mais, en plus, elle peut désapproprier des acteurs majeurs des résultats des travaux pour lesquels ils ont dépensé en amont beaucoup d’efforts et beaucoup de diplomatie pour que l’appropriation ait lieu. De surcroit, il est rare qu’une décision résulte de manière linéaire d’une seule source d’inspiration. Néanmoins, les exemples sont importants et nombreux de propositions, provenant des travaux de prospective menés de 1999 à 2004, qui sont présentes dans les politiques menées par les gouvernements wallons dans les législatures suivantes. Sans mettre en cause les autres et multiples influences, ni le génie propre de nos élus et décideurs, on peut mettre en évidence quelques propositions qui ont pu faire leur chemin :

– c’est particulièrement vrai de l’activation des ressources en créativité au profit du développement régional qui a été au centre des recommandations de la Mission Prospective Wallonie 21, dès 2004 [52] ;

– parmi ces recommandations, plusieurs ont été mises en œuvre ultérieurement, d’autres sont toujours en chantier. Voici quatre exemples, avec leur numéro d’origine, datant de mai 2004 :

1. Réunir un collège des directeurs généraux comme organe transversal de la coordination des institutions publiques wallonnes sous la forme opérationnelle de task-forces thématiques public-public qui pourraient être coordonnées par des agents ayant compétence dans la gestion des réseaux et leur animation ;

7. Mettre en place un groupe de travail interministériel régional sur les effets multiples du vieillissement démographique en Wallonie, dont la tâche serait d’étudier de façon transversale les répercussions du vieillissement de la population wallonne sur l’emploi, la santé, la consommation, les loisirs, le logement, etc.

11. Lancer un programme mobilisateur de recherche relatif aux nouveaux indicateurs et instruments de mesure du capital social dans les régions de la connaissance devant aboutir à un canevas actualisé de nouveaux critères de performance et de compétitivité de la Wallonie à l’usage de tous les acteurs, entreprises et systèmes d’évaluation des politiques régionales.

12. Créer un cluster de la créativité économique associant des partenaires des industries culturelles, du design, de l’enseignement artistique, etc. destiné à générer de nouveaux emplois et à renforcer l’activité économique par le développement de la croissance, de la vitalité et de la compétitivité de la Wallonie [53].

– la Prospective des entreprises wallonnes avait, en 2003, présenté une série de fiches-actions conçues avec la Direction de la Politique économique et appuyées par l’Union wallonne des Entreprises. La fiche d’action prioritaire “Attractivité du territoire” préconisait de développer un programme de stimulation pour la création de pôles de compétence wallons à partir de “champions” existants. La finalité de cette recommandation était d’utiliser les entreprises et les entrepreneurs “champions” de la Wallonie actuelle comme catalyseur de réactions en chaîne autour de métiers ou de filières implanté(e)s et fructueux(ses). Induire ainsi des cercles vertueux par effet boule de neige autour de différents noyaux d’excellence existants. Réaliser cette opération en cohérence avec les initiatives existantes de grappes, clusters et autres. Les modes opératoires, d’intervention, les opérateurs ressources, les bénéficiaires, la durée et le contexte, ainsi que l’impact attendu et les critères de suivi et d’évaluation étaient précisés [54].

  1. De plus nombreuses propositions d’initiatives ont été négligées, méprisées ou laissées en friche. Certes, toutes n’étaient pas pertinentes. La plupart relèvent des politiques régionales. Trois auraient pu être portées par l’Institut Destrée qui, toutefois, n’avait seul pas les moyens de les lancer ou de les soutenir dans la durée. La première est le cluster de la créativité, proposé en 2004 et que, finalement, nous voyons se déployer dans le cadre de Creative Wallonia. Le deuxième projet a été approuvé par le Conseil d’administration de l’Institut Destrée du 1er juillet 1998 : il s’agissait de créer un instrument dénommé PRIDE, Plateforme régionale d’Information sur le Développement économique. Compte tenu des lacunes informatives et statistiques dont tous les acteurs se plaignent en Wallonie encore aujourd’hui, malgré les investissements considérables consentis, il semble que l’idée de créer un véritable outil au service de la Région et des entrepreneurs, wallons ou étrangers, à la recherche d’informations interdisciplinaires et indépendantes, sectorielles et conjoncturelles, banque d’indicateurs pour l’évaluation et la prospective, avait toute sa pertinence. Le dernier projet, lancé mais peu investi en tant que tel, date du 28 mars 2003. C’est celui d’un Centre international des Changements de Paradigmes sociétaux et des Mutations structurelles. Projet innovant, au carrefour de la recherche historique et de la prospective, il reste parmi nos préoccupations.
  1. Enfin, depuis Pays basque 2010 (1992), Michel Godet a fait passer l’idée que la prospective, c’est réfléchir librement et ensemble. On s’en souvient encore à Bayonne, à Anglet et à Biarritz, je peux en attester. On devrait le savoir à Namur. Divers projets menés au niveau régional lors des dernières législatures ne portaient pas cette marque. J’ai personnellement le souvenir d’avoir entendu dire que le mot délibératif était inacceptable hors du Gouvernement wallon et qu’un processus prospectif indépendant était dangereux. Or – le ministre-président Elio Di Rupo l’avait bien compris en 2000, et le Collège régional de Prospective le rappelait en 2011 [55] :– en dehors d’une bonne gouvernance, c’est-à-dire impliquant démocratiquement et respectant les acteurs, il n’y a pas de salut pour la prospective. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les prospectivistes préconisent souvent que leur discipline / indiscipline soit logée au sein des parlements plutôt qu’activée par les gouvernements ?

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

[1] L’Évaluation et la prospective en Wallonie et à Bruxelles : trop de consensus, pas assez de controverses !, Invitation au colloque du 15 mai 2014, Namur, Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective, 5 mai 2014.

[2] La Société d’Économie et de Mathématique appliquée, fondée par Jacques Lesourne en 1958.

[3] Jacques LESOURNE, Un homme de notre siècle, De polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, p. 325, Paris, Odile Jacob, 2000. – Entretien avec Jacques Lesourne du 27 avril 2000. – Ph. DESTATTE, La Belgique dans l’accroissement de l’interdépendance, dans M. BEYEN et Ph. DESTATTE, Un autre pays, Nouvelle histoire de Belgique, p. 15sv, Bruxelles, Le Cri, 2009.

[4] Forecasting and Assessment in the field of Science and Technology. Michel Godet, qui avait été directeur du département SEMA Prospective, à partir de 1978, a été en charge du lancement du programme FAST, de 1979 à 1980, en tant qu’administrateur principal de la CEE. Michel Godet était d’ailleurs venu à Louvain-la-Neuve, du 23 au 25 avril 1980, occuper la Chaire Quetelet Perspectives de population, d’emploi et de croissance urbaine, pour y faire un exposé sur Deux crises dévisagées par la prospective : 1°. les causes d’erreurs de prévision ; 2° à la recherche des emplois de demain. ARCHIVES DE L’INSTITUT DESTREE, Fonds Yves de Wasseige, Politique industrielle (2). – Voir aussi Stéphane CORDOBES et Philippe DURANCE, Les Entretiens de la la Mémoire de la Prospective : Jacques Lesourne, Président de l’Association Futuribles International, Paris, CNAM, Septembre 2004, p. 7.

http://www.laprospective.fr/dyn/francais/memoire/J_Lesourne_%28entretien%29_v2c.pdf.

[5] Claire Lejeune, professeur à l’Université de Mons a animé le Centre interuniversitaire d’Études philosophiques de l’Université de Mons (CIEPHUM) et la revue Réseaux, de même que les Cahiers du Symbolisme, autour de vecteurs de la prospective. – Prospective et pensée du futur, dans Réseaux, n° 22-23, 1974 (avec notamment Yves Barel et André-Clément Decouflé). – Prospective, sociologie, Régions, dans Réseaux, n° 28-29, 1976. – Bernard CROUSSE coord., La prospective revisitée : évaluation d’un savoir, dans Réseaux, n° 50-51-52, 1986-1987, Colloque du 17 février 1986 , Mons, CIEPHUM, 1986-1987.

[6] Raymond Collard était professeur à la Faculté des Sciences économiques et sociales de Namur et vice-président de l’Office de Promotion industrielle. Il devint plus tard directeur du Service des Études et de la Statistique de la Région wallonne. Il anima aussi le Groupe de Recherche et Développement de Louvain (créé en 1965), jusqu’en 2014. – Voir Raymond COLLARD et Yvan JOIRET, La régionalisation : contraintes et opportunités pour la Wallonie, Bruxelles, IEV, 1980. – R. COLLARD, La valorisation industrielle des grandes filières du futur, Note manuscrite, s.d. (1976). ARCHIVES DE L’INSTITUT DESTREE, Fonds Yves de Wasseige, Politique industrielle (2). Il contribua, par ses chroniques dans le journal La Wallonie, au début des années 1980, à me faire découvrir la prospective, notamment les travaux de Thierry Gaudin et André-Yves Portnoff. Voir par exemple : R. COLLARD, On cherche des pionniers wallons ! , dans La Wallonie, 15 mars 1985, p. 10. – R. COLLARD, Sciences, techniques et entreprises, Qu’attendre des entreprises wallonnes ?, dans La Wallonie, 4 avril 1985, p. 10. – R. COLLARD, Prospective 2007… sorties de la crise, transformations des modes de production, du travail et de l’emploi, dans La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, Cahier n° 2, p. 123-124.

[7] Paul DUVIGNEAUD, La synthèse écologique, p. 190, 289, 298-299, 317, Paris, Doin, 2ème éd., 1980 (1ère éd. 1974). – P. DUVIGNEAUD et Martin TANGHE, L’avenir, Des ressources naturelles à préserver, dans Hervé HASQUIN dir., La Wallonie, Le Pays et les Hommes, Histoire – Économies – Sociétés, t. 2, De 1830 à nos jours, p. 471-495, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1980.

[8] Notamment par ses travaux dans le cadre de la Fondation européenne de la Culture et de l’UNESCO. – Voir Gilbert DE LANDSHEERE e.a., La formation des enseignants demain, Tournai, Casterman – Amsterdam, Fondation européenne de la Culture, 1976.

[9] Pierre-Philippe DRUET, Peter KEMP, Georges THILL, Technologies et sociétés, Paris, Galilée, 1980.

[10] Jacques LANOTTE éd., L’avenir culturel de la Communauté française, Charleroi, Institut Destrée, 1979.

[11] Guy GALAND éd., Culture et politique, Promouvoir la création culturelle en Wallonie, Charleroi, Institut Destrée, 1984.

[12] Philippe DESTATTE, Les questions ouvertes de la prospective wallonne ou quand la société civile appelle le changement, dans Territoires 2020, Revue d’études et de prospective de la DATAR, n° 3, 1er semestre 2001, p. 139-153, p. 143.

[13] Archives de l’Institut Destrée, Dossier activités 1979. – L’institutionnel, clé de l’économique, dans Feuillets de la Communauté Wallonie-Bruxelles, Juin 1979, p. 2-3.

[14] PL, Le déclin économique wallon à l’Institut Jules Destrée : d’abord une banque régionale, dans Le Soir, 28 avril 1978.

[15] Ph. DESTATTE, L’Institut Destrée (1938-1988), dans Encyclopédie du Mouvement wallon, vol. 2(F-N), p. 851, Charleroi, Institut Destrée, 2000. – INSTITUT DESTREE, Fonds Institut Destrée, Conseil d’Administration du 26 octobre 1980, p. 3.

[16] Ph. DESTATTE, Les questions ouvertes de la prospective wallonne…, p. 142-143.

[17] Voir notamment son texte La lecture du complexe, dans Le Complexe de Léonard ou la Société de la Création, Colloque de la Sorbonne, Février 1983, p. 61-76, Paris, Editions du Nouvel Observateur – J-Cl Lattès, 1984.

[18] John NAISBITT, Les dix commandements de l’avenir (Megatrends), Paris-Montréal, Sand-Primeur, 1984.

[19] Voir Ph. DESTATTE dir., Evaluation, prospective et développement régional, p. 31-38, Charleroi, Institut Destrée, 2001. – Thierry GAUDIN, André-Yves PORTNOFF, La Révolution de l’intelligence, Rapport sur l’état de la technique, Paris, Sciences et Techniques, 1983. – Armand MATTELART et Yves STOURDZE, Technologie, culture et communication, Rapport au ministre de la Recherche et de l’Industrie, Paris, La Documentation française, 1982. – Simon NORA & Alain MINC, L’informatisation de la société, Rapport à M. le Président de la République, Paris, La Documentation française, 1978.

[20] La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, Charleroi, Institut Destrée, 1989. – La Wallonie au futur, Le défi de l’éducation, Charleroi, Institut Destrée, 1992. – La Wallonie au futur, Le défi de l’éducation, Conférence-consensus, Charleroi, Institut Destrée, 1994. – La Wallonie au futur, Quelles stratégies pour l’emploi ?, Charleroi, Institut Destrée, 1996. – La Wallonie au futur, Sortir du XXème siècle : évaluation, innovation, prospective, Charleroi, Institut Destrée, 1999. – Wallonie 2020, Une réflexion prospective citoyenne sur le devenir de la Wallonie, Charleroi, Institut Destrée, 2005. La plupart de ces ouvrages sont épuisés mais l’ensemble des actes sont néanmoins disponibles en ligne sur le portail de l’Institut Destrée :

http://www.wallonie-en-ligne.net/wallonie-publications/Wallonie-Futur_Index-Congres.htm

[21] Elio DI RUPO, Une cellule indépendante de prospective pour la Wallonie, dans Ph. DESTATTE dir., Evaluation, prospective et développement régional, p. 306-307, Charleroi, Institut Destrée, 2001.

[22] Archives de l’Institut Destrée, Philippe Destatte, Rencontre avec Jean-Claude Van Cauwenberghe, Ministre-Président du Gouvernement wallon, Namur, 5 juin 2000, Charleroi, Institut Destrée, 5 juin 2000, 2 p. (5IJD/PhD/00-228/bis).

[23] Ph. DESTATTE et Pascale VAN DOREN, La prospective comme outil de gouvernance, Charleroi, Institut Destrée, 2003.

[24] Trois rapports ont été diffusés : Ph. DESTATTE dir., Mission prospective Wallonie 21, La Wallonie à l’écoute de la prospective, Premier rapport au Ministre-Président du Gouvernement wallon, Charleroi, Institut Destrée, Août 2002. – Ph. DESTATTE et P. VAN DOREN dir., La prospective territoriale comme outil de gouvernance, Charleroi, Institut Destrée, 2003. – Ph. DESTATTE et P. VAN DOREN dir., Mission prospective Wallonie 21, La prospective à l’écoute de la Wallonie, Charleroi, Institut Destrée, Mai 2004. La plupart de ces rapports sont publiés en ligne :

http://www.wallonie-en-ligne.net/Mission-Prospective_Wallonie-21.htm

[25] Ph. DESTATTE, Mission prospective pour le gouvernement wallon, 2000-2004, Namur, Institut Destrée, 11 mai 2001, 5 p.

[26] Ph. DESTATTE, Dynamique de la société wallonne, Tendances et volontés, Groupe d’études prospective mis en place par les acteurs associatifs wallons, Namur, Institut Destrée, 28 avril 2001, 6 p. (IJD/PhD/01-182)

[27] Philippe DESTATTE et Pascale VAN DOREN dir., Réflexion prospective sur les politiques d’entreprises en Wallonie, Rapport final, Namur, Direction générale de l’Economie et de l’Emploi du Ministère de la région wallonne (Direction des Politiques économiques) – Institut Destrée, décembre 2003, 50 pages.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/ProspEnWal_Rapport-final_2003-12-04.pdf

[28] The Futures of Europeans in the Global Knowledge Society, A Meeting Point for Europeans Creating Futures, en collaboration avec la DG Recherche de la Commission européenne et le Millennium Project. A cette occasion, et pour la première fois, un Planning Committee du Millennium Project s’est tenu en Europe, à Louvain-la-Neuve.

http://www.wallonie-en-ligne.net/2005_EuMPI/index.htm

[29] Le rôle et la gestion des services publics face aux mutations du XXIème siècle, Château de La Hulpe, 9 novembre 2009.

[30] Culture du changement, responsabilisation et créativité : défis de l’éducation tout au long de la vie, Namur, Cercle de Wallonie, 13 février 2009.

[31] Lancé en avril 2010 Wallonie 2030 : anticiper les bifurcations stratégiques et choisir les comportements positifs, a consisté à décrire une série de domaines choisis, étudiés dans des fabriques de prospective et pilotés par des membres du Collège, la trajectoire passée et future de chaque domaine et d’en tirer des pistes de stratégies pour la société wallonne. Le résultat transversal de ces travaux fait apparaître la nécessité d’ouvrir un partenariat stratégique régional à partir de la société civile, des entreprises et des administrations afin de préparer un dialogue avec les forces politiques wallonnes et de préparer les pistes d’un contrat sociétal pour la Wallonie dans un cadre renouvelé.

[32] Congrès Wallonie 2030, Vers un contrat sociétal pour la Wallonie dans un cadre de régionalisation renouvelé, Namur, Palais des Congrès, 25 mars 2011.

[33] Appel pour un contrat sociétal wallon, Namur, Collège régional de Prospective de Wallonie, 28 février 2011. ­- Principes destinés à guider l’élaboration et la mise en œuvre de la prochaine déclaration de politique régionale de Wallonie, Namur, Collège régional de Prospective de Wallonie, 27 mai 2014.

http://www.college-prospective-wallonie.org/Principes_DPR-2014.htm

[34] www.institut-destree.org/Prospective_et_decision_publique

[35] Voir le site : http://www.intelliterwal.net/

[36] Plusieurs publications ont pu être réalisées dans ce cadre, parues dans la revue Territoires wallons ou dans la newsletter du développement territorial : Michaël VAN CUTSEM, Des projets de territoires : quelles valeurs, quelles solidarités et quelle citoyenneté ? dans Territoire(s) wallon(s)Trente ans de fusion des communes, CPDT, Région wallonne, août 2008, p. 47 à 62. – M. VAN CUTSEM, Lecture transversale de la DPR à la lumière des objectifs poursuivis par la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, dans Newsletter du Développement territorial, n° 5, Décembre 2009, p. 2 à 17. – M. VAN CUTSEM, La prospective territoriale en Wallonie : un mécano à géométries variables, dans Territoires wallons, Hors série, 2010. – Ph. DESTATTE et Luc MARECHAL, Prospective des espaces en transition territoriale et politique : la Wallonie, dans Yves JEAN et Guy BAUDELLE dir., L’Europe, Aménager les territoires, p. 378-389, coll. U, Paris, A. Colin, 2009.

[37] M. VAN CUTSEM et Charlotte DEMULDER, Quels scénarios pour l’aménagement du territoire à l’horizon 2040 ?, Namur, SPW-Institut Destrée, 2011.

[38] – Marie-Anne DELAHAUT (dir), Prospective de l’Internet – Foresight of the Internet, Actes du colloque,
Préface de Viviane REDING, Postface de Markus KUMMER,
Namur, Institut Jules-Destrée, 544 pages (livret photos en couleurs), 2005 http://www.wallonie-en-ligne.net/2005_Prospective-Internet/index.htm

– M-A DELAHAUT, Les progrès structurants des technologies de l’information et de la communication, http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/Mission-Prosp_W21/Rapport-2002/1-1_Progres-structurants_TIC.htm

[39] http://www.wallonie-en-ligne.net/2005_Prospective-Internet/index.htm

[40] http://www.millennia2015.org/Processus_de_prospective

[41] Actes de la conférence : http://www.millennia2015.org/unesco_2012_actes et notamment :-   http://www.millennia2015.org/tempFiles/532876889_0.1359369/Millennia2015_UNESCO_2012_MU03_Marie_Anne_DELAHAUT_2012_12_03_FR_EN.pdf – Ph. DESTATTE, Millennia2015 à l’Unesco : à la recherche d’une nouvelle harmonie pour les femmes du monde entier, Blog PhD2050, 11 décembre 2012. https://phd2050.org/2012/12/19/millennia2015/

[42] http://www.millennia2015.org/Equipe_Reseau

[43] www.millennia2015.org/2010_03_03_new_york_csw54_millennia2015

[44] http://www.millennia2015.org/Millennia2015_UNESCO_2010

[45] Marie-Anne DELAHAUT et Ph. DESTATTE, Millennia2015, Méthodologie du processus de recherche prospective, Namur, Institut Destrée, 14 octobre 2009, 23 p. – M-A. DELAHAUT et Coumba SYLLA, Millennia2015 – UNESCO, Rapport du processus de recherche prospective préparatoire à la conférence internationale 2011, Namur, Institut Destrée, 22. juillet 2010, 466 p. www.millennia2015.org/Methode. –   http://www.millennia2015.org/actes_seminaire_2011

([46]) www.millennia2015.org/fondation_millennia2025

[47] Collaboration IWEPS-Institut Destrée en matière d’études prospectives, Namur, 9 octobre 2007, 34 p.

[48] Jean-Luc GUYOT et M. VAN CUTSEM, La transmission d’entreprise en Région wallonne : discours et enjeux, Namur, IWEPS, 2010, 100 pages.

[49] Ph. DESTATTE, Evaluation of Foresight : how to take long term impacts into consideration, FOR-LEARN Mutual Learning Workshop, Evaluation of Foresight, Sevilla, IPTS, DG RTD, Dec. 13-14, 2007.

[50] La prospective est une démarche indépendante, dialectique et rigoureuse, menée de manière transdisciplinaire en s’appuyant sur la longue durée. La prospective peut éclairer les questions du présent et de l’avenir, d’une part en les considérant dans leur cadre holistique, systémique et complexe et, d’autre part, en les inscrivant, au delà de l’historicité, dans la temporalité. Résolument tournée vers le projet et vers l’action, elle a vocation à provoquer une ou plusieurs transformations au sein du système qu’elle appréhende en mobilisant l’intelligence collective. Ph. DESTATTE, Qu‘est-ce que la prospective ?, Blog PhD2050, Namur, 10 avril 2013.

https://phd2050.org/2013/04/10/prospective/

[51] Richard A. SLAUGHTER, Luke NAISMITH and Neil HOUGHTON, The Transformative Cycle, p. 5-19, Australian Foresight Institute, Swinburne University, 2004.

[52] Vers une activation des ressources en créativité au profit du développement régional (2004). Dans tous les cas, le concept de “Régions de la créativité” peut permettre d’activer, au départ des préoccupations de recherche et de compétitivité économique de la Région wallonne, des ressources dépendant institutionnellement de la Communauté française mais situées géographiquement sur le territoire régional de la Wallonie. Ces ressources s’inscriraient, dès lors, dans une stratégie régionale, dont le prochain Contrat d’Avenir pour la Wallonie pourrait constituer le cadre dynamique. Ph. DESTATTE, Les concepts de “régions de la connaissance, apprenantes et créatives” comme outils de développement régional, MPW21, 3 mai 2004, p. 19.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/MPW21_R2004_02_Philippe-Destatte_Vision-Wallonie21_2004-05-03.pdf

[53] Ph. DESTATTE dir. Vingt actions pour faire de la Wallonie une région apprenante et créative, MPW21, Recommandations, 3 mai 2004. A noter que l’ensemble des actions n’a pas été perdu pour tout le monde puisque celles-ci ont été présentées à Rennes dans le cadre d’un colloque sur les territoires apprenants réunis à l’initiative d’Edmond Hervé : Ph. DESTATTE, La formation tout au long de la vie, un enjeu pour un développement humain et durable des territoires, dans Yves MORVAN dir., La Formation tout au long de la vie, Nouvelles questions, nouvelles perspectives, Colloque Rennes Métropole, 6-7 mars 2006, p. 253-270, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.

[54] Ph. DESTATTE et P. VAN DOREN, dir., 4 X 4 pour Entreprendre, Réflexion prospective sur les politiques d’entreprises en Wallonie, Rapport final, 3 décembre 2003, p. 13.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/ProspEnWal_Rapport-final_2003-12-04.pdf

[55] Comment établir une gouvernance collective, participative et publique à la mesure de la démocratie du XXIème siècle, s’appuyant sur des processus de débat, de concertation et de décision ? Plus que jamais, les Wallonnes et les Wallons ont besoin d’un horizon et d’un projet communs, ainsi que d’un contrat par lequel, en construisant leurs convergences et en mesurant leurs divergences, ils s’organisent collégialement pour le réaliser et pour en partager équitablement les fruits. Appel pour un contrat sociétal wallon, dans La Libre Belgique, 4 mars 2011.

http://www.college-prospective-wallonie.org/Appel_Contrat-societal.htm

Hour-en-Famenne, le 24 août 2013

 Le débat qui fait suite aux déclarations du ministre-président du Gouvernement wallon au sujet du nationalisme wallon en cette fin août 2013, m’incite à publier sur ce blog un texte de 2004. Cette année-là, en effet, dans le cadre d’une collaboration avec l’Institut pour un Développement durable, Philippe Defeyt m’avait suggéré de traiter la problématique de “La Nation” en ce qui concerne la Wallonie. Ce texte a été édité, sous la direction de Marc Germain et de Jean-François Potelle, dans l’ouvrage collectif La Wallonie a l’aube du XXIème siècle, Portait d’un pays et de ses habitants, Namur, 2004, p. 487-500. Il me paraît de nature à éclairer le débat qui se tient actuellement. Et qui pourrait se prolonger en 2014…

Hour-en-Famenne, le 27 septembre 2004

Le concept de nation apparaît largement tabou quand on parle de la Wallonie, tantôt méprisant ou admiratif quand il s’agit de la Flandre, tantôt incertain ou dérisoire lorsque l’on évoque la Belgique. Le choix d’une contribution sur la nation wallonne à l’aube du XXIème siècle relève-t-il de la naïveté, de la clairvoyance ou de la provocation ? Je me suis posé la question, lorsque, bien avant que l’Institut Destrée ne soit impliqué dans la conception de cet ouvrage, La Wallonie à l’aube du XXIème siècle, les chercheurs de l’Institut pour un Développement durable m’ont demandé de préparer une contribution portant le titre La Nation. Je n’ai voulu y voir qu’une curiosité stimulante pour la réflexion.

 Aborder la Wallonie à l’aube du XXIème siècle sous l’angle de la nation ne constitue cependant pas une sinécure. D’abord, parce le concept de nation est d’une complexité sans borne et débouche sur tous les clivages et toutes les écoles des sciences sociales [1]. Ensuite, parce l’idée a fait l’objet de colloques nombreux et de publications multiples en Wallonie, en Flandre, à Bruxelles ainsi qu’à l’étranger : scientifiques et publicistes ont interrogé les identités de la Wallonie et de la Belgique pour souvent s’affronter dans des querelles peu productives. Enfin, parce que, dévalorisé par les conflits de la fin du XXème siècle, et particulièrement la guerre civile en ex-Yougoslavie, l’idée nationale – et son sentiment exacerbé, le nationalisme – ont été l’objet d’enjeux politiques entre, d’une part, les mouvements fascisants qui en avaient fait leur fonds de commerce et, d’autre part, des intellectuels ou des élus qui ne souhaitaient pas abandonner à ces mouvements un concept qu’ils jugeaient pertinents.

La difficulté de traiter un article où les mots Wallonie et nation s’inscrivent côte à côte n’échappera à personne. C’est avec l’approche et la méthode de l’historien que je m’attellerai à la tâche.

A l’occasion d’une conférence qu’il fit sur ce thème au Jeune Barreau d’Anvers en 1906, Jules Destrée se disait sans grand espoir, d’ailleurs, d’éclairer un débat très complexe et très confus, car il faudrait d’abord commencer par en décrire les termes ; et, dès qu’on s’y essaie, on perçoit que l’entreprise est à peu près irréalisable. Peuple, population, nation, nationalité, nationalisme et internationalisme, patrie, patriote, patriotisme, Etat sont des mots dont chacun comprend le sens, mais dont chacun le comprend avec une nuance différente. Vêtements lâches, flottants qui s’adaptent, sans qu’on y prenne garde, à des réalités diverses et parfois contradictoires […] [2].

Dans la riche introduction d’un ouvrage que l’auteur qualifie de politique, le professeur François Perin relève que, alors que la définition de la nation est introuvable, les nations existent bel et bien dans la mesure où les personnes qui les composent se reconnaissent une identité nationale commune.

Ce sentiment existe quelle que soit son origine. Historiquement, la volonté des personnes de vivre ensemble n’existe guère mais, à longueur de temps, l’habitude de vivre ensemble sous une même autorité finit par engendrer un sentiment collectif. […] L’Etat crée la Nation, plus que la Nation ne crée ou n’entretient la vie de l’Etat. […]

Désormais, grâce à la démocratie, la “volonté de vivre ensemble” cesse d’être une fiction ou un hypocrite discours officiel. Cette volonté, libérée des contraintes, des violences, ou de l’arbitraire du passé peut faire de la nation une réalité qui dépend réellement de la volonté des personnes. La nation n’est donc pas protégée par un tabou quelconque [3].

Comme le fera plus tard Gil Delannoi [4], François Perin en déduit qu’il n’y a pas de critère objectif pour fonder la nation. Et le professeur liégeois d’écarter l’histoire, la langue, la religion, l’économie, la volonté de puissance et l’économie comme critères fondateurs potentiels.

Il n’y a pas de définition scientifique de la nation. Toute prétention d’en découvrir une cache la tentative d’imposer aux personnes un sentiment qu’il n’appartient qu’à elles de créer, de maintenir ou de faire disparaître [5].

Dans son avant-dernier ouvrage, consacré à l’histoire du sentiment national en Belgique, Jean Stengers relève que de nombreux politologues, sociologues et historiens partis à la recherche d’une définition de la nation ne se rendent pas compte, après leur longue quête que, in fine, ils ne font que préciser leur vision personnelle. Dressant une typologie de sept acceptions du concept, le professeur de l’Université libre de Bruxelles n’échappait toutefois pas à cette forme de fatalité qu’il a lui-même identifiée [6]. Du reste, son volumineux travail –  pensée progressivement construite depuis sa thèse de doctorat sur les fondements historiques de la nationalité belge (1948) –, aboutit à nier toute idée nationale wallonne, à ne reconnaître en Belgique que deux nations distinctes : la belge et la flamande, et à poser l’hypothèse, “au sud”, d’une nation francophone tout au plus en devenir ([7]). L’acuité visuelle des historiens de la nation belge semble ainsi décliner depuis Henri Pirenne, qui discernait, lui, en 1905, sous la communauté de civilisation de la Belgique, deux autres civilisations distinctes, deux autres sentiments nationaux parfaitement raisonnables : le sentiment national wallon et le sentiment national flamand [8].

On sait que, en Europe, où est née l’idée nationale, les intellectuels et plus particulièrement les historiens ont été les grands prêtres des idéologies nationales et nationalistes [9]. Ainsi, en inscrivant la réflexion sur la nation dans une perspective identitaire, les historiens ont trop souvent tendance à confondre enjeux de mémoire et enjeux de savoir, souligne Gérard Noiriel [10]. Pour l’auteur des Origines républicaines de Vichy, trois caractéristiques renouvelant la recherche doivent être prises en considération – je les reprends ci-dessous pour formuler trois principes innovants. Le premier consiste à mieux comprendre les relations complexes que l’historien entretient avec l’Etat-nation auquel il appartient. Affronter cette tension au lieu de l’ignorer, constitue une exigence méthodologique incontournable pour toute réflexion critique sur la question nationale. Le deuxième principe identifié par Gérard Noiriel consiste à replacer chaque étude dans un ensemble plus vaste permettant la démarche comparatiste : aucun système social ne se construit en vase clos. Enfin, le troisième principe active la recherche des individus, des humains, derrière la personnification de la nation, pour mesurer jusqu’à quel point l’idée nationale est parvenue à structurer peu à peu de nouvelles formes de vie sociale et de nouvelles identités collectives [11].

C’est un plan construit sur base de ces trois principes qui va structurer ma réflexion sur l’idée de nation et la Wallonie.

1. Les relations avec la nation et la question wallonne

La première fois que je me suis penché sur la question de la nation en Wallonie fut pour analyser les relations idéologiques entre socialisme national et national socialisme. Un de mes étudiants m’avait interpellé pour essayer de comprendre la signification d’un tract dénonçant le régional-socialisme de la Wallonie. Ce document daté de 1983 s’inscrivait dans le contexte de l’évolution que connaissait le Parti socialiste en rapport avec les changements institutionnels de l’État belge et le positionnement du Parti présidé par Guy Spitaels sur les thèmes jadis portés par le Rassemblement wallon. C’est donc pour des raisons pédagogiques que je tentai de clarifier cette idée dans un article. J’y considérais que l’approche historique des liaisons entre le nationalisme et le mouvement social permettait de comprendre les limites entre ce qui constituait une évolution régionale d’un parti politique et une dérive de type national [12]. La réflexion s’inspirait de l’analyse faite de l’attrait idéologique qu’avait constitué, pendant l’Entre-deux-Guerres, le rapprochement entre la jeune Droite intellectuelle de Thierry Maulnier et le révisionnisme à la Hendrik De Man, autour de l’idée de nation. Outre les marxistes orthodoxes, n’avait à ce moment résisté que cet élément qui n’est socialiste que parce qu’il est démocrate, qui reste attaché à la cause du prolétariat considérée comme intimement liée à celle de la liberté [13].

D’emblée, le contexte de mon étude a été renforcé de l’appui méthodologique des travaux de Raoul Girardet et de Zeev Sternhell, alors directeur du Centre d’Études européennes de l’Université hébraïque de Jérusalem. Ces travaux m’ont mis en contact avec la vision de la nation la plus fermée, celle du nationalisme des nationalistes, celle de La Terre et les Morts [14], avec laquelle, à tous niveaux, je ne manque pas de me distancier.

Une conférence donnée à la Dante Alighieri de Charleroi en 1986 sur le thème de Jules Destrée et l’Italie me donna l’occasion d’aborder à nouveau cette question et de poursuivre de manière expérimentale la réflexion entamée précédemment. Considérant que le rapprochement des deux concepts de nation et de socialisme, séparément attribués à Jules Destrée, pouvait être lourd de questions, j’élucidais jusqu’à quel point des préoccupations sociales et une sensibilité liée à l’idée de nation peuvent mener, chez un homme comme Destrée, hier, ou chez quiconque aujourd’hui, à tomber dans un piège idéologique [15]. La question n’était pas futile concernant un tribun qui avait connu la révolution de la pensée européenne de la fin du XIXème siècle, l’émergence des nouvelles sciences de l’homme, la critique du libéralisme et du marxisme au profit de l’exaltation de la nation comme unité de solidarité première, l’Affaire Dreyfus et l’avènement du fascisme italien.

Chez le député de Charleroi, c’est l’éthique et l’attachement à la démocratie qui constituent le rempart contre le nationalisme. Cet extrait de 1918, écrit sur base de son expérience de l’Italie et de l’exemple allemand, précise bien sa pensée :

Qu’un homme aime et exalte sa patrie, fort bien. Mais si ce patriotisme n’est point renfermé dans des limites morales, avec quelle rapidité il peut, par degrés insensibles, glisser à l’infatuation chauvine et devenir un danger d’agression à l’extérieur, de compression à l’intérieur ! Le “surpeuple” menace la liberté chez les autres et ne peut l’assurer à ses citoyens. Survienne une crise et la folie des grandeurs le mène au crime.

C’est pourquoi, tout en croyant l’action d’une minorité nationaliste un stimulant salutaire, je considèrerais comme extrêmement redoutable pour l’Europe et pour l’Italie elle-même, qu’un pareil parti fût quelque jour le maître des destinées de la nation [16].

Prenant à l’époque mes fonctions de directeur d’un institut de recherche créé par le Mouvement wallon et portant comme référence le nom de Jules Destrée, la question a pris chez moi, faut-il l’écrire, une dimension existentielle profonde.

La troisième réflexion touchant à l’idée de nation et la Wallonie fut celle de la prise de conscience, d’une part, d’un mouvement d’identification de type national en Wallonie – dépassant donc de fait la simple affirmation régionale – et, d’autre part, le rôle ambigu qui était dévolu aux historiens dans cette dynamique [17]. Cette interrogation s’inscrit à la fois dans le cadre de la fondation du Centre interuniversitaire d’Histoire de la Wallonie et du Mouvement wallon et dans l’écriture d’un premier texte, à la demande de la société La Wallonne de Paris – qui fêtait alors son centième anniversaire. Sous le titre Le mouvement wallon : la constitution d’une collectivité politique, j’indiquai que, dès avant la Première Guerre mondiale, se développe une mise en question de la nation belge, et la conception d’un nationalisme wallon qui s’identifiera dans de nombreux cas avec le concept de nation française. J’y évoque également le mouvement flamand qui, à partir de 1933, évolue vers un nationalisme étroit, voire autoritaire [18].

Le titre de cet article devait beaucoup à une communication du professeur Francis Delperée faite à l’Institut Destrée le 26 février 1976 et dont la lecture avait été comme une révélation, à la fois de l’action menée par le Mouvement wallon depuis trois quarts de siècle, mais aussi comme une feuille de route à suivre par l’Institut Destrée dans le cadre de sa mission d’éducation permanente : faire comprendre aux hommes et aux femmes de Wallonie qu’ils sont à même de constituer une collectivité politique [19]. Et Francis Delperée de préciser qu’il comprend la Wallonie comme autre chose qu’une population de trois millions et demi d’habitants disséminés sur un territoire qui irait de Virton à Louvain-la-Neuve et d’Eupen à Comines. La Wallonie est plus que cela. Elle est collectivité d’hommes, c’est-à-dire qu’elle regroupe un peuple qui peut se réclamer de traditions particulières et qui est à même de poursuivre des objectifs qui lui sont spécifiques [20]. Ces traditions et objectifs sont, pour le professeur de l’Université catholique de Louvain, ceux qui se résument dans le mot liberté. Enfin, sa réflexion débouche sur le concept de collectivité politique :

Les mouvements wallons ont compris que la recherche par la Région wallonne de son identité passe par la consécration de son identité politique. En d’autres termes, la Région wallonne doit s’exprimer en termes de pouvoir [21].

La revue Wallonie Région d’Europe de mars 1990, contient, à côté de contributions plus politiques, deux textes qui explorent le concept de nation. Le premier est juridique et est dû à Jean-Maurice Dehousse qui, reprenant sa plume d’ancien chercheur à la Faculté de Droit de l’Université de Liège, a rédigé une note terminologique afin d’éclaircir des concepts fondamentaux : État, nation, région, communauté, en signalant que ces mots relèvent de plusieurs disciplines – sociologie, science politique, droit public, droit international. Après avoir souligné qu’aucune de ces sciences ne bénéficie d’un vocabulaire reconnu universellement, le premier ministre-président de la Région wallonne dresse trois définitions succinctes des mots peuple, nation et État, considérant la nation comme un peuple organisé […] disposant d’organes propres, organes qui parlent en son nom, exercent des fonctions de conduite sociale ou même de représentation [22].

Le second texte s’intitule La Wallonie, une communauté française. J’y aborde la question de l’identité de manière normative pour tenter de concilier les deux voies possibles de l’identification de la Wallonie – la wallonne et la française –, décrites par François Perin lors du premier congrès La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme [23]. D’abord, j’y propose de concevoir l’identité de la Wallonie en termes de projet dynamique. Ensuite, j’indique les limites de l’interrogation du passé pour affirmer la volonté de former une collectivité politique. Enfin, j’indique, avec Fernand Braudel, la complexité du processus d’identification, en citant l’auteur de l’Identité de la France :

Une nation ne peut être qu’au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique, de s’opposer à autrui sans défaillance, de s’identifier au meilleur, à l’essentiel de soi, conséquemment de se reconnaître au vu d’images de marque, de mots de passe connus des initiés [24].

L’Aperçu historique sur l’identité wallonne, écrit et publié en 1991 rappelait d’entrée que les Wallons n’ont pas d’unité politique commune avant 1794 : après la bataille de Fleurus, au moment où provinces des Pays-Bas autrichiens et Principauté de Liège sont amalgamées puis incorporées dans la “Grande Nation”, la République française. Les facteurs de l’identification des Wallons relevés ainsi étaient classiques : le fait capital de la romanisation (Félix Rousseau), la métallurgie – et bien plus tard – l’industrialisation, les apports successifs multiples d’échange de population sur cette terre de marche celtique dont on dénommait déjà ses habitants comme des “étrangers” (Walha). Enfin, au cœur même de l’affirmation de la région par le mouvement wallon : les principes de liberté et de démocratie. Un rapide parcours de l’aperçu historique lui-même révèle plusieurs occurrences du concept de nation. Ainsi, y sont successivement évoqués la Nation franchimontoise, la Nation liégeoise, la Nation française, le nationalisme belge, le Congrès national wallon, la fête nationale wallonne (1912), l’unité nationale belge (Jacques Leclercq), le Vlaams National Verbond, le Centre de Recherches pour la Solution nationale des Problèmes politiques, sociaux et juridiques en Régions wallonne et flamande (Centre Harmel), le Conseil national de la FGTB, nos institutions nationales belges (adresse des Socialistes wallons réunis à Saint-Servais le 13 janvier 1961), l’unité nationale (André Oleffe en 1961). Un constat : à aucun moment, le concept de nation n’est utilisé pour expliquer l’évolution historique. Ce sont les acteurs eux-mêmes qui ont accolé les termes de nation ou national aux adjectifs liégeois, français, belge, flamand et wallon. La conclusion de ce petit ouvrage portait notamment sur les limites morales de l’identification, c’est-à-dire sur l’éventuelle dérive nationaliste des porteurs d’une affirmation wallonne radicale, qu’elle soit d’origine militante ou ministérielle [25]. L’analyse de Jules Destrée sur le « surpeuple » y était rappelée, tandis qu’une citation de Maurice Piron permettait de soutenir l’idée de l’absence d’un nationalisme wallon en Wallonie :

Aussi longtemps que les tâches essentielles du mouvement wallon coïncideront avec la lutte pour la liberté, pour le respect des droits de la personne contre l’accaparement de la “communauté”, pour la défense de nos ouvriers et de nos industries menacées, le mouvement restera fidèle à sa vocation démocratique. Il servira au lieu de dominer. Et c’est très bien ainsi. Sur le plan intellectuel et moral, un nationalisme wallon consistant en un culte exclusif et artificiellement exalté de nos caractéristiques aboutirait à la négation, ou, du moins, à un rétrécissement considérable de la culture [26].

La couverture de l’Aperçu historique représente un paysage de Famenne [27]. Un texte, tiré d’Offrande wallonne, écrit en captivité à l’Oflag de Prenzlau en 1941-1942 par le philologue Albert Henry y figure en exergue. Ce texte, purement descriptif du paysage et sans malice, a suscité des réactions outrées [28]. Pourtant, dans ce livre, Albert Henry éclaire notre quête :

La nationalité est la consécration juridique d’un hasard de naissance. La patrie, pour qui la cherche en soi-même, là où véritablement elle existe, c’est un monde d’images, de sentiments et de souvenirs, une construction idéale bien souvent, quelque chose qui ressemble à un grand amour, lequel crée en soi et de soi, ne prenant au dehors que l’occasion ou le prétexte, la présure pour ainsi dire.

Et d’interroger :

La Belgique est-elle toujours, pour le Wallon, une patrie sereine et maternelle, un foyer où l’on se sent au chaud, où l’on devine des présences confiantes et des mains amicales ? [29]

En première page de son ouvrage, Albert Henry rappelait cette formule de Montesquieu : Tout citoyen est obligé de mourir pour sa patrie, personne n’est obligé de mentir pour elle.

Différents événements – la crise yougoslave, les prises de position de José Happart dans la question fouronnaise, la commémoration de la Grande Grève de 1960-61 [30], la décision de Guy Spitaels d’assumer les fonctions de ministre-président du gouvernement wallon [31] – ont provoqué, au début des années 1990, un large débat sur ce que d’aucuns qualifiaient de “dérive nationaliste wallonne” ou, à tout le moins, sur les risques d’une telle dérive [32]. Trois colloques illustrent ce temps des interrogations :

La Question des Nationalités, Versailles aujourd’hui, organisé par l’Inspection de l’Enseignement supérieur de la Communauté française, à Esneux, les 18 et 19 avril 1991.

Vlaamse Eigenheid – Identité wallonne, organisé par Dialoog-Dialogue, en collaboration avec l’Institut Destrée, à Anvers, le 14 décembre 1992.

Nationalisme et postnationalisme, organisé par les Facultés Notre-Dame de la Paix et l’Institut Destrée, à Namur, le 30 avril 1994.

Lors de chacune de ces trois rencontres, il m’a été demandé de traiter du nationalisme en Wallonie. J’y rappelais d’abord que, dans notre vocabulaire courant de la science politique mais aussi dans certains modèles comme celui de Zeev Sternhell et de son école [33], l’allusion au nationalisme renvoie à une doctrine structurée, organisée, représentée par certains mouvements – ce que l’historien Raoul Girardet appelle le nationalisme des nationalistes [34]. Ce nationalisme, né dans la France de la fin du XIXème siècle, vulgarisé par Barrès et Maurras, apparaît dans l’histoire comme associé à des attitudes politiques précises, conservatrices le plus souvent, toujours antilibérales et antiparlementaires. L’amour immodéré de la terre de ses ancêtres et, en son nom, la dénonciation du “tumulte parlementaire” aura un succès plus redoutable encore, mieux connu en Italie et en Allemagne.

Trois réflexions m’apparaissaient alors fondamentales.

1. D’abord, le fait qu’il existe, en Wallonie, un sentiment national français prenant parfois la forme d’un nationalisme français, qui n’a cessé de s’exprimer depuis l’insertion des provinces autrichiennes et de la Principauté de Liège dans la République puis l’Empire. Dès lors, le scénario du rattachement de la Wallonie à la France a toujours constitué, pour les forces vives wallonnes – et pas seulement le mouvement wallon – une hypothèse d’avenir, au moins aussi pertinente que l’indépendance de la Wallonie ou que le fédéralisme dans le cadre belge ou dans celui de l’Europe.

2. Ensuite, le constat que le mouvement wallon a fondé sa doctrine sur un refus du nationalisme. L’acquisition d’une meilleure connaissance du mouvement wallon et de ses ténors m’a permis d’étayer aisément cette évidence. Les positions claires de Fernand Dehousse dans L’Action wallonne de décembre 1937 [35]étaient là pour en attester. En fait, on ne pouvait que se réjouir de cet humanisme et se délecter des réponses de tribune faites par François Perin vingt-sept ans plus tard, face à la même accusation de nationalisme wallon :

Le racisme wallon, c’est une plaisanterie… La race wallonne, c’est bien connu est faite de l’assimilation de fils d’Italiens, de Polonais, et de Flamands. L’appartenance à la Wallonie est de mœurs et non de race. Le nationalisme wallon fait sourire les Wallons eux-mêmes.

Mais, dans la même intervention, le cofondateur du Rassemblement wallon allait plus loin, jetant dans les poubelles de l’histoire la nation wallonne avec le nationalisme wallon :

Il n’existe pas de nation wallonne. Où est même l’unité de corps wallonne ? Ce ne sont pas les Wallons qui, à l’unanimité des voix, ont annexé, contre leur gré, des populations, sous prétexte que le sol était germanique. Ça c’est du racisme, ou je ne m’y comprends plus! [36].

3. Enfin, l’idée que l’engagement national wallon, que le nom même de Congrès national wallon porté depuis le milieu du XXème siècle n’était pourtant pas incompatible avec cette idée de rejet du nationalisme . Ainsi, André Renard avait-il lié l’émancipation du peuple wallon et son effort de libération nationale [37]. Comparant le processus flamand avec ce qui s’était passé en Wallonie, le président du Mouvement populaire wallon notait en 1961 que la conscience de classe s’est développée avant le sentiment national […]. C’est en luttant comme classe sociale sur son propre sol, et en s’apercevant que, dans l’ensemble de la Belgique, c’était lui qui pesait le plus dans l’équilibre des forces ouvrières, que le peuple wallon prit conscience de son destin solidaire comme peuple. La lutte des classes, conclut Renard, vient ainsi de prendre, en Wallonie, un aspect de libération nationale, qui va trouver un écho profond dans tous les milieux [38].

Ces trois constats permettaient de substituer, à une conception désuète du nationalisme, une conception moderne de l’identité qui, comme le préconisait également Jean-Marie Klinkenberg [39], objective le concept, rejette toute construction substantiviste et intègre le projet à l’idée. Il ne s’agissait plus de définir le sentiment national comme l’attachement à la terre, à la langue ou à la culture mais comme une réponse historique à un défi historique lancé par l’histoire contemporaine, comme une idéologie conforme aux besoins de l’Etat-régional moderne qui, tout en intégrant l’idéologie qui l’a précédée, s’en distingue nettement [40].

C’est dans cet esprit que j’ai entrepris, dans mon Essai sur l’affirmation politique de la Wallonie aux XIXème et XXème siècles [41], de rapprocher les idées de nation et d’identité, tout en les distinguant. J’y ai été fortement aidé par deux apports intellectuels majeurs.

Le premier était la lecture de La Communauté des Citoyens, Sur l’idée moderne de la nation, de la sociologue Dominique Schnapper. Ce que la fille de Raymond Aron mettait en évidence, c’est la pertinence d’un concept moderne de la nation comme unité politique dont la légitimité repose sur l’existence d’une communauté des citoyens. Ainsi, dans cette perspective, l’idée de nation implique celle de citoyen, c’est-à-dire, l’individu défini abstraitement par un ensemble de droits et de devoirs, indépendamment de toutes ses caractéristiques particulières [42]. L’idée centrale de la pensée de la sociologue est que la nation moderne est en premier lieu une forme particulière d’union politique. En ce sens, comme toute unité politique, elle se définit par sa souveraineté, à l’intérieur pour intégrer les populations et, à l’extérieur, en affirmant son existence par rapport aux autres unités politiques. Mais la nation moderne, la nation démocratique, ajoute une dimension propre, essentielle : c’est une unité politique dont la légitimité repose sur l’existence d’une communauté de citoyens [43]. Dominique Schnapper notait toutefois que cette nation démocratique lui apparaissait menacée, moins par le regain du nationalisme ou par le procès fait constamment à la nation que par l’affaiblissement du projet lui-même et de la volonté politiques.

Le second apport qui m’était donné était celui des rencontres de Pétrarque, consacrées en 1995 à l’identité de la France, et particulièrement les interventions de l’historien Pierre Nora qui récusait le concept de nationalisme, tout en estimant que, s’il fallait vraiment l’utiliser, il faudrait distinguer le nationalisme belliqueux du nationalisme amoureux. Pour l’auteur des Lieux de mémoire cet ajout change tout :

Il change complètement la nature de ce mot lui-même que j’emploie décomplexé dans la mesure où je n’y mets pas du tout ce que le nationalisme habituel y met, et que je pense profondément que la tâche que nous avons devant nous, que la mission qui nous incombe, comme historien et comme citoyen, est de fonder une nation sans nationalisme, c’est-à-dire de ne pas laisser aux extrémistes la pensée de la nation et le monopole de la France [44].

Dès lors, il était permis de conclure que les deux concepts – nation et identité – et les dynamiques qu’ils induisent peuvent répondre au problème de l’inté­gration de l’individu dans la société, question essentielle de développement social. Ce qui fait la qualité du modèle national républicain de la France, c’est la qualité des valeurs promues par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Elle a déter­miné la nation française, quels que soient les errements auxquels de mauvaises applications ont pu donner lieu, et cette réticence n’est autre que celle de la trahison des principes. De même, l’identité d’une société sera déterminée par les valeurs qui la fondent, permettant l’intégration de franges plus ou moins larges de population, selon que son projet sera plus ou moins ouvert à la tolérance. Cette conception est proche de celle du patriotisme constitutionnel cher à Jean-Marc Ferry, qui dissocie l’identité politique de l’appartenance nationale et se construit sur les principes d’universalité, d’autonomie et de responsabilité, liés à la démocratie et à l’État de droit [45].

Ces fondations conceptuelles ont conduit mon essai sur l’identité wallonne à se clôturer sur l’idée d’un régionalisme fécond puisque résous en humanisme [46] mais aussi à s’ouvrir sur la construction de l’avenir et du projet, donc sur la prospective. L’interrogation majeure y restait celle que formulait Arille Carlier en 1938 lorsque l’avocat carolorégien notait qu’il n’est pas démontré qu’un peuple de nationalité française ne puisse atteindre à la plénitude de sa vie nationale sans faire partie de l’Etat français [47]. Cette formule est d’ailleurs proche de l’analyse de Marc Ferry qui considère que l’on peut revendiquer la souveraineté politique sans affirmer une identité nationale, et inversement l’affirmation de l’identité nationale peut trouver d’autres expressions que la souveraineté politique [48].

Cet ouvrage déboucha sur la participation à une réflexion lancée dans le contexte d’un atelier des États généraux de l’Ecologie politique animé par Nicolas Bardos-Féltoronyi. L’idée des organisateurs était d’interroger les concepts de nation et d’identité en Belgique sur base de l’expérience yougoslave. C’était, bien évidemment, une manière de pousser chacun dans ses derniers retranchements. Ceux-ci tiennent en quelques phrases :

– l’identité wallonne se veut une volonté de participer plutôt qu’un sentiment d’appartenance ;

– la méfiance des habitants de la Wallonie à l’égard du phénomène national observé en Flandre et mettant en péril l’État belge commun, ainsi que l’absence de réponse au morcellement politique provincial et municipal accentué par la structure des médias et le poids de la France ont empêché l’éclosion d’une dynamique nationale wallonne tangible et durable ;

– la nation de référence, pour la Wallonie – et de concurrence pour la Belgique – , c’est la nation française. Comme l’indiquait Léopold Genicot : une région contiguë de la France, qui ne lui appartient pas mais qui partage depuis des siècles sa langue et sa civilisation, voilà le problème [49] ;

– l’avenir de la Wallonie dépendra davantage d’elle-même que du secours de Paris ou de Bruxelles ;

– la nation, modèle de représentation de l’espace politique aux XIXème et XXème siècles, est un concept dépassé pour la Wallonie [50].

Ainsi, en ouvrant le concept de nation sur celui de participation et de citoyenneté, le cheminement de la pensée débouche sur la gouvernance que balisent à la fois des valeurs et des méthodes. Nous y reviendrons.

2. Les nations et la Wallonie

Si nous acceptons l’idée de Gérard Noiriel selon laquelle aucun système social ne se construit en vase clos, admettons que rarement système fut plus ouvert dans l’espace et le temps que le système belge depuis 1830. Certes, on peut rappeler le pacte politique fondateur de la nation belge, légitimant la puissance des partis politiques – d’abord catholiques et libéraux – et assumant la domination censitaire d’une bourgeoisie francophone implantée dans toutes les villes belges, mais puisant l’essentiel de sa puissance et de sa renommée dans la Révolution industrielle wallonne. On doit toutefois convenir, avec Dominique Schnapper, du caractère tardif de l’introduction par l’Etat belge des instruments sur base desquels se construit une nation : la conscription date de 1909, tandis que l’enseignement obligatoire et le suffrage universel ne seront progressivement mis en place que dix ans plus tard [51]. C’est là que réside, avant tout, l’aggravation du déficit de 1830 [52]. On pourrait y ajouter que la contestation par le Mouvement flamand du monopole du français fut rapidement acceptée par le pouvoir central (la première loi dite linguistique date de 1873) et que les efforts fournis dans les arts et en littérature ne résistèrent pas devant les puissants courants français, anglais ou italiens.

Jules Destrée avait donc bien raison en 1912 : la faiblesse de la cohésion nationale belge était patente. Ce que l’auteur de La Lettre au roi sanctionnait, c’était l’échec de la bourgeoisie industrielle francophone – aussi bien wallonne que flamande – dans sa tentative de créer une nation belge linguistiquement homogène de 1848 à 1884. Durant cette période, la Wallonie s’était identifiée à la Belgique.

Les deux guerres ont-elles renforcé la nation belge ? Distinguons. D’une part, les deux conflits ont aiguisé les différences entre les affiliations diverses des habitants de la Belgique; d’autre part, ils ont permis de rendre omniprésent et crédible un discours national belge autour de l’unité retrouvée et d’un certain nombre de valeurs communes pour fonder une résistance, donc un avenir. De la même façon, ces guerres ont renforcé des sentiments nationaux concurrents, à côté de l’espace national belge – c’est le cas du sentiment national français en Wallonie –, ou à l’intérieur de cet espace – tels les sentiments nationaux flamand et wallon, ainsi qu’au niveau des anciennes provinces, particulièrement à Liège.

C’est donc davantage en termes de concurrence que la nation belge est apparue faible aux yeux des observateurs, au point que nombreux sont ceux qui ont pu, comme François Perin [53] ou René Swennen [54], en nier tout simplement l’existence, ou encore, comme Jean Ladrière, considérer que l’État belge ne correspondait que très relativement à une communauté nationale [55]. Pourtant, dès 1938, dans un article intitulé Qu’est-ce qu’une nation ?, Arille Carlier notait que l’État belge était un fait un fait important. Rêveur qui n’en tient pas compte [56].

Près de cent soixante-quinze ans après la Révolution belge, grâce aux efforts constants de cet État, de son exécutif – y compris la monarchie des Saxe-Cobourg-Gotha –, de son administration, ainsi que des médias inscrits dans ce système belge et le valorisant, une nation belge – collectivité politique au regard tourné vers Bruxelles, la rue de la Loi et le Palais royal –, existe assurément. On peut assurément suivre Jean-Marie Cauchies, lorsque le professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis relevait avec prudence en 1988 que le fait d’avoir entrepris et réussi quelque chose de commun – la Belgique – depuis plus d’un siècle atteste que l’on possédait indubitablement quelque chose de commun [57]. L’interrogation qui subsiste réside toutefois dans l’identité du “on”.

Évoquer le concept de nation dans cet espace renvoie d’abord à la Constitution belge, et particulièrement aux articles 33, 42 et 193, de sa nouvelle mouture. Le premier dispose que Tous les pouvoirs émanent de la Nation et qu’ils sont exercés de la manière établie par la Constitution. Le deuxième porte sur les Chambres fédérales – Chambre des Représentants et Sénat – et stipule que Les membres des deux Chambres représentent la Nation, et non uniquement ceux qui les ont élus. Le troisième article qui fait référence à la nation (art. 193) précise que La Nation belge adopte les couleurs rouge, jaune et noire, et pour armes du Royaume le Lion Belgique avec la légende : L’Union fait la force [58]. Francis Delperée a donné la clef de lecture de ces articles en rappelant la référence fondamentale au pouvoir constituant de 1831 : le fait que le Congrès national réunissait les représentants par excellence de la Nation souveraine, que c’était en son nom qu’ils avaient procédé à l’opération créatrice de l’État. La Nation désigne, dans cette perspective, la collectivité humaine qui préexistait à l’État [59]. Toutefois, partant de l’article 42, Francis Delperée note, en 2000, qu’on ne saurait soutenir que chaque parlementaire représente, aujourd’hui, cette volonté préliminaire. Pour le constitution­naliste, le parlementaire représente la Nation d’aujourd’hui, soit concrètement les dix millions de personnes qui vivent sur le territoire national [60].

Évoquer la nation belge implique ensuite de passer en revue quatre autres sentiments nationaux qui lui sont concurrents sur l’espace qu’elle ambitionne de structurer politiquement. Leur ordre de présentation ne constitue pas une hiérarchisation.

1. D’abord la nation flamande, dont le mouvement n’a cessé de se renforcer dans sa double marche vers la conquête de l’appareil d’Etat belge et vers l’autonomie. La logique nationale flamande a été très étudiée tant elle est classique. Cette logique reste portée à la fois par une vision nationaliste étroite et maurassienne qu’incarne le Vlaams Blok, et par une aile progressiste héritée de la Volksunie mais disséminée dans plusieurs formations politiques.

2. Deuxièmement la nation française. Depuis la Révolution de 1789, la Grande Nation irradie tout au long de sa frontière nord grâce à ses journaux, ses livres et ses « grands Hommes ». Elle le fait par les ondes et les câbles plus grandement encore depuis quelques dizaines d’années. La nation française bénéficie d’un capital historique de sympathie dans le monde politique et culturel wallon. Même si ce penchant s’exprime plus souvent dans la confidence que par des déclarations publiques, il subsiste souvent une impression de trahison après cet aveu. Particulièrement pour tous ceux – et ils sont nombreux – qui ont juré fidélité au Roi, à la Constitution et aux lois du Peuple belge.

Le sentiment national français trouve ses relais institutionnels par le biais de revues et d’associations wallonnes dont il ne faut pas sous-estimer l’influence. Le Manifeste pour le retour à la France, de 1986, en a été son credo. Cette affirmation nationale est relayée au sein de la République : ambassadeurs de France, députés et sénateurs, maires et présidents de Conseils régionaux et généraux s’informent, favorisent, jettent des ponts. La communauté scientifique elle-même y est attentive. Depuis le commencement des années 1990, la Belgique y est de plus en plus perçue dans toute sa complexité dichotome, dans tous ses futurs possibles.

3. Ensuite la nation wallonne. Les Wallons ne sont pas une invention de la Belgique. La conscience d’une population wallonne, distincte des populations flamandes et hollandaises existait bien dans le Royaume des Pays-Bas [61], comme elle existait dans l’Empire français, et sous le régime prussien. Le sentiment d’un ensemble wallon, sentiment diffus chez Henri Pirenne au début du XXème siècle, réaffirmé par Jules Destrée en des termes tantôt relativistes, tantôt vifs [62], porté et structuré par le Mouvement wallon dans son histoire tumultueuse faite de colères et de désespoirs, ce sentiment a progressivement fait place – depuis 1970 [63] – à la réalisation institutionnelle d’une entité fédérée et d’une société d’acteurs. Le drapeau wallon, jadis séditieux, flotte désormais naturellement au côté des emblèmes du monde entier, au gré des visiteurs accueillis à l’Elysette – siège du gouvernement wallon à Namur, capitale de la Wallonie – et des manifestations sportives. Nos enfants n’ont plus besoin de longues explications sur une réalité régionale qui s’impose à eux au même titre que l’Europe. La Wallonie devient quotidienne, non pas comme une réalité en devenir, mais comme un fait complémentaire et concurrent aux autres affiliations.

Là réside probablement la faiblesse de tous les sondages portant sur l’identité, qui opposent et hiérarchisent les affiliations au lieu de les articuler et d’en rechercher les résultantes. Car, dans la vie réelle des jeunes comme des plus âgés, tout se mêle : la Wallonie rêvée des parents; la langue wallonne des ateliers dans l’industrie, des transports en commun, des préaux et des campagnes; les journées du patrimoine, les fêtes de Wallonie et le Contrat d’avenir. Rien n’altère ce quotidien : ni la RTBF, ni Le Soir, ni les drapeaux belges hissés sur certaines résidences secondaires en Ardenne, en Hesbaye et en Famenne.

Seule l’attribution des compétences de la culture, de l’éducation et de la recherche fondamentale à la Communauté française plutôt qu’à la Région wallonne en retarde le processus, tant – comme l’avait remarqué Dominique Schnapper pour la Belgique – ces attributs impactent le développement national. Le rôle que joue l’école dans ce dossier est difficilement cernable. Les responsables de l’enseignement semblent distribuer – distiller – ce flou institutionnel tout azimut. Les hésitations sur l’appellation de la Communauté française (Wallonie – Bruxelles ?) de Belgique se répercutent dans les classes qui, au gré des professeurs, encouragent tantôt la Belgique, tantôt la Communauté française, tantôt la Wallonie et/ou Bruxelles, tantôt un marais francophone peu porteur d’une quelconque idée nationale.

La connexion entre le sentiment national quotidien de la population wallonne et une affirmation politique nationale wallonne est ténue : elle s’exprime dans les révoltes ou les provocations des partis et des hommes – ainsi Guy Spitaels dans son discours d’hommage à Freddy Terwagne prononcé à Amay en février 1991 –, ou dans certaines pages de Toudi. Le Manifeste pour la Culture wallonne peut s’inscrire dans ce cadre. Lancé par le cinéaste Jean-Jacques Andrien, le chanteur Julos Beaucarne, le professeur Jacques Dubois, le journaliste et philosophe José Fontaine, l’écrivain Jean Louvet et le professeur Michel Quévit, il a été signé par quatre-vingts personnalités au moment de sa diffusion, s’inscrivant sans aucun doute dans la lignée de la célèbre Lettre au roi de Jules Destrée [64]. Ce manifeste associait, avec une certaine naïveté, avec une certaine audace, – comme l’a écrit José Fontaine – l’identité nationale et internationale à la Wallonie [65].

4. Enfin, le sentiment national liégeois constitue toujours une donnée tangible en Wallonie. Mille ans de nation liégeoise ont laissé plus de traces que les identités namuroise, hennuyère ou luxembourgeoise, même si celles-ci sont toujours vivaces, – la situation du Brabant étant plus compliquée. Félix Rousseau faisait sienne l’analyse d’Edmond Poullet, selon lequel La nationalité était provinciale. Dans son Histoire politique nationale (1882), ce dernier notait que, dans les anciens Pays-Bas, il n’y avait pas de Belges au point de vue juridique, mais seulement des Brabançons, des Flamands, des Liégeois [66].

L’esprit principautaire est bien connu. Il ne semble pas céder davantage à la Wallonie qu’il n’a cédé à la Belgique, c’est-à-dire peu de chose. L’intérêt général liégeois reste souvent prioritaire. Liège ne se reflète que très partiellement dans les institutions namuroises qui, souvent, semblent lui être périphériques.

Comme les identités, les affiliations nationales ne sont pas incompatibles ni irréductibles l’une à l’autre. On peut être Belge et Wallon, Wallon et Liégeois, Liégeois et Flamand. Ajoutons qu’un sentiment national européen se greffe sur le tout et que, à Bruxelles, un processus semble être en formation porteur d’un sentiment national bruxellois, probablement très proche d’une affirmation belge francophone telle que valorisée par le Manifeste Choisir l’Avenir [67].

3. Les personnes derrière la nation : la nouvelle gouvernance territoriale

On ne saurait méconnaître la transformation profonde que l’idée de nation a connue lors de la Révolution française. Avec Sieyès, au travers de la Révolution même et de l’instauration de la République, le concept s’est émancipé de l’idée de fait pré-politique – la communauté d’origine, marquée par le langage, les mœurs et la tradition – pour devenir ce que Jürgen Habermas nomme le trait constitutif de l’identité politique des citoyens d’une communauté démocratique [68]. Le philosophe allemand considère toutefois que la compréhension moderne de cette liberté républicaine doit s’émanciper de la conscience de la liberté nationale qui lui a donné naissance. Ainsi, pour Habermas, les caractéristiques imputées traditionnellement à la nationalité que sont le lieu de résidence et le lieu de naissance (jus soli et jus sanguinis) ne constituent plus que des critères administratifs et ne justifient pas une soumission irrévocable à la puissance de l’Etat. Dès lors, c’est la citoyenneté qui marque l’affiliation à l’organisation étatique et son statut est défini par les droits et par les devoirs du citoyen. Habermas donne d’ailleurs une dimension particulière à cette citoyenneté lorsque, en s’interrogeant sur la politique délibérative, il dépasse l’argumentation républicaine d’Hannah Arendt où démocratie est synonyme d’auto-organisation de la société, en appelant, au travers de la théorie de la discussion, la mise en œuvre de procédures appropriées et institutionnalisées. Celles-ci se déroulent, d’une part, sous la forme de délibérations menées dans les corps parlementaires et, d’autre part, dans le réseau des communications des espaces publics politiques [69].

La Nation, écrivait Marcel Mauss, ce sont les citoyens animés d’un consensus [70]. Comme l’indique Dominique Schnapper, ce consensus signifie que les citoyens acceptent les règles qui permettent de résoudre – au moins provisoirement – leurs conflits de manière non violente. Ils le font par la discussion, le compromis et la référence, acceptée par tous, à un intérêt général, proclamé et accepté comme tel, qui ne se confond pas avec celui des individus ou des groupes particuliers [71].

Dans sa communication déjà évoquée, faite en 1976 à l’Institut Destrée, Francis Delperée appelait à la constitution d’une force d’animation et d’éducation civique pour les Wallonnes et les Wallons, à la formation d’une nouvelle génération politique – celle des dirigeants mais aussi celle des citoyens – dont la Wallonie, largement maîtresse de la définition de son destin, a un urgent besoin [72]. Cette tâche était assurément déterminante pour l’avenir. Au delà des transferts de compétences juridiques et de moyens budgétaires, la priorité à laquelle certains – notamment l’Institut Destrée – se sont attelés porte sur la création d’une société en Wallonie, une société d’acteurs, de parties prenantes d’un espace défini bien qu’encore déficitaire, tant en matière de projets que de consensus minimum. La démarche du congrès permanent La Wallonie au futur a probablement participé fortement, de 1987 à 2004, à ce rôle de construction d’une société wallonne, aux côtés – voire en face – du Gouvernement wallon.

Le quatrième congrès La Wallonie au futur, tenu à Mons en octobre 1998, en réunissant cinq cents décideurs et acteurs de Wallonie, a considéré l’évaluation, la prospective ainsi que le dialogue social et la contractualisation comme porteurs en termes stratégiques. Contractualiser, c’est d’abord engager la démarche qui apparaît aujourd’hui comme la plus adéquate pour rencontrer le déficit démocratique – constaté partout en Europe – entre la société civile et les élus. Au moment de son élaboration, le contrat rapproche les acteurs des responsables politiques, les amène à se connaître mutuellement, à ajuster leurs aspirations réciproques et à définir – pour y adhérer – un projet commun.

Contractualiser démocratiquement, c’est obliger l’ensemble des acteurs des collectivités territoriales à se fixer des objectifs, à utiliser des démarches prospectives, donc stratégiques et à pratiquer l’évaluation contradictoire des politiques menées. C’est également, au nom du principe de subsidiarité, les inciter à élaborer des partenariats, voire à construire des contrats avec d’autres niveaux de pouvoir et leurs services déconcentrés au niveau régional ou infra-régional. Enfin, contractualiser, c’est gérer les tensions ainsi que les rapports de forces et de pouvoirs, auxquels le contrat ne met pas fin, mais qu’il permet de dépasser. On substitue ainsi le droit à l’influence. On valorise le contrat comme mode de régularisation des rapports de pouvoirs dans l‘interrelation entre les acteurs. En fin de compte, c’est la légitimité du projet qui est ainsi renforcée.

La pratique des contrats de plan – ou contrats-projets, pour préférer la terminologie de Jacques Cherèque – est désormais bien intégrée dans le système politique français. Cette pratique a toutefois connu, lors de la génération de la fin des années 1990, une dynamique plus profonde et plus étendue de mobilisation et de participation des citoyens de la Région – que l’on songe ici au questionnement des quatre mille acteurs par le Président Gérard Longuet, dans le cadre de la préparation du Quatrième Plan lorrain 2000-2006; que l’on songe notamment aux Quatre Chantiers pour l’Avenir, mis en œuvre par le Président Martin Malvy et le Conseil régional Midi-Pyrénées; à la dynamique intitulée Notre région, un avenir à inventer ensemble, lancée par le Président Michel Vauzelle, en Région Provence-Alpes-Côte d’Azur; au Document d’Orientations régionales largement diffusé par le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais; au projet Horizon 2006, de la Région Centre; à Limousin 2007; à la Conférence Aquitaine

En Wallonie, avec le lancement du Contrat d’Avenir par les gouvernements conduits par Elio Di Rupo puis par Jean-Claude Van Cauwenberghe, c’est manifestement la première fois qu’une démarche participative régionale d’une telle ampleur a pu se construire. Même s’il reste beaucoup à faire pour que cette dynamique soit plus structurante que visuelle, le progrès en termes de gouvernance est tangible. Le chemin parcouru est considérable, si l’on se souvient de l’intérêt mais aussi du scepticisme qui avaient généralement accueilli, en mai 1999, la présentation de notre proposition de créer une dynamique d’excellence régionale wallonne, sur le modèle préconisé par Michèle Cascalès, et d’en faire un axe de la rédaction de la future Déclaration de Politique régionale [73].

Nous avions alors défini cette excellence territoriale comme un processus, inscrit dans le temps et dans l’espace, qui devait mettre en œuvre les instruments que nous avions considérés comme innovants dans les conclusions du quatrième congrès La Wallonie au futur : la prospective, comme outil stratégique; l’évaluation systématique, sur base d’un cahier des charges, des objectifs et des enjeux que se sont assignés les porteurs du projet de territoire; les études d’impact; la démarche qualité développée sur l’ensemble du territoire et mettant en œuvre les capacités d’écoute, de dialogue, de compréhension pour mobiliser autour du projet; l’intelligence économique, ses informations stratégiques, ses banques de données connectées en réseau.

Si la contribution de l’Institut Destrée au Contrat d’Avenir peut – parmi d’autres – déjà être perçue en aval de la démarche [74], cela ne saura suffire à dynamiser l’implication citoyenne. L’importance de l’évaluation et de la prospective, soulignés au congrès de Mons mais aussi lors de la mise en place du Gouvernement wallon, impliquent nécessairement l’apprentissage, par les Wallonnes et par les Wallons, de savoir-faire ainsi que de savoir-être nouveaux : la méthodologie, la technicité et surtout la culture de l’évaluation et de la prospective.

Pas plus que la dynamique nationale, le fédéralisme ou la décentralisation, la contractualisation et la gouvernance ne sont des fins en soi. Elles constituent un défi politique : celui d’une citoyenneté assumée et d’une gestion publique volontariste et transparente, toutes deux porteuses et portées par un projet fort. La finalité, quant à elle, reste – tout simplement – l’intérêt général…

La chute du Mur de Berlin a en effet consacré la faillite d’un type de citoyenneté qui, en tant que conscience collective chargée de l’idée républicaine de volonté générale, agit contre la société civile au nom des principes démocratiques sur lesquels elle a fondé son système. Contrairement à cette conception rousseauiste, il est possible de valoriser la citoyenneté qui affirme les droits de l’individu au sens de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, face aux pouvoirs et aux institutions, et éventuellement contre eux [75].

Cette approche revisitée du politique implique une double éthique : celle du citoyen et celle de l’édile. L’éthique de l’engagement implique que le citoyen considère qu’il peut être acteur du changement et de la construction d’un futur. Cette ambition nécessite une formation citoyenne, une information adéquate et la création d’un espace d’expression politique permettant le dialogue avec les représentants élus. Le succès de cet engagement est également lié à la capacité de renouvellement de la classe politique, grâce à son ouverture à la société civile. L’éthique de la représentation implique un effort constant de mise en concordance des valeurs proclamées, des programmes qui ont été défendus et des actions qui sont menées. C’est, en effet, par le respect scrupuleux des engagements pris que l’homme et la femme politiques pourront non seulement obtenir mais aussi conserver la confiance du citoyen. De même que l’engagement, la confiance est personnelle et contractuelle : elle ne saurait donc autoriser les reniements ou les atteintes à l’honnêteté civique en les retranchant derrière les instances de parti ou de gouvernement.

L’expérience de la gouvernance est, pour la Wallonie comme pour d’autres régions, un chemin difficile mais fructueux. Difficile car les stigmates de la vieille culture industrielle et de ses pratiques politiques ne constituent probablement pas le terreau le plus fertile pour ces initiatives. Chemin fructueux néanmoins car le besoin de changement est si vif que les moindres progrès  constituent les signaux faibles d’un renouveau que tous espèrent.

Le chemin, on le sait, constitue déjà le projet. Ainsi, le concept de projet politique permet de dépasser l’opposition simpliste entre les définitions objectives et subjectives de la nation [76].

Certaines questions restent toutefois pendantes quant à la capacité réelle de passer de la nation à la gouvernance. L’invitation à poser ces questions, adressée aux auteurs des articles par les directeurs de cet ouvrage, constitue un tremplin pour toute prolongation de cette réflexion. Trois sujets se révèlent importants :

– comment la variable économique, comprise en termes d’enjeux et de pouvoirs, s’articule-t-elle avec les visions nationales qui coexistent sur le territoire de la Wallonie ? On sait cette dimension évolutive;

– de quelle manière la gouvernance territoriale peut-elle constituer une ressource pour assurer la cohésion sociale ? Comment appréhender l’idée nationale, qui semble traditionnellement pouvoir constituer une ressource, particulièrement à l’égard de populations défavorisées ?

– l’idée nationale peut se complexifier également lorsque, aux critères territoriaux, on ajoute les critères idéologiques. L’adhésion wallonne à la France du Front populaire, n’était pas de même nature que sa relation à la France de Vichy ou à la France libre. Comment dès lors construire un modèle qui intègre toutes ces dimensions ?

Ces éléments, ébauchés ici, pourraient faire l’objet d’études ultérieures.

Conclusion : des choix qui engageront l’avenir

Évoquer la question nationale – les questions nationales – quand il s’agit de la Belgique ou de la Wallonie, c’est en assumer à la fois la complexité, le relativisme et le subjectif. Les gouvernements, tout autant que les individus, doivent se mouvoir dans des espaces, des territoires et des affiliations multipolaires, en faisant des choix temporaires, en établissant des hiérarchies instables.

Comme l’indiquait Yves de Wasseige voici près de dix ans, l’avenir de la Wallonie, dépendra de notre capacité à prendre notre place simultanément dans ces espaces différents. C’est une manière d’être et d’agir à laquelle nous avons été peu habitués jusqu’ici. Il ne suffit pas, en effet, de reproduire à l’échelon régional le modèle de l’Etat-nation. Cela ne se fait pas sans difficultés : il faut inventer [77].

L’invention est déterminante. Elle est une des composantes essentielles de la prospective dans laquelle nous sommes engagés, car celle-ci fait appel à la créativité et à l’innovation. De toute évidence, à l’aube du XXIème siècle, cette prospective exploratoire mais aussi normative est nécessaire, tant les choix que nous aurons à faire pour les prochaines années engageront l’avenir. Non seulement l’avenir de la Wallonie en tant que Région mais surtout, – ce qui est plus important encore – l’avenir de ses habitants actuels et futurs, et celui de leurs enfants.

 

Philippe Destatte

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[1] Comme l’indique Gil Delannoi, il est question d’un être qui est théorique et esthétique, organique et artificiel, individuel et collectif, universel et particulier, indépendant et dépendant, idéologique et apolitique, transcendant et fonctionnel, ethnique et civique, continu et discontinu. La nation est prose de monsieur Jourdain et énigme de Sphynx. Devant la difficulté, les théories de la nation ne s’accordent pas et semblent se trouver devant une évidence qui aveugle, une certitude qui s’évapore. Elles ne s’accordent ni sur la définition du national, ni sur la définition du nationalisme Gil DELANNOI, La théorie de la nation et ses ambivalences, dans Gil DELANNOI et Pierre-André TAGUIEFF, Théories du nationalisme, p. 9, Paris, Kimé, 1991.

[2] Jules DESTREE, Une Idée qui se meurt: la patrie, Conférence au Jeune Barreau d’Anvers, en 1906, dans Semailles, p. 45, Bruxelles, Lamertin, 1913.

[3] François PERIN, Histoire d’une nation introuvable, p. 5-6, Bruxelles, Paul Legrain, 1988.

[4] Gil DELANNOI, La théorie de la nation et ses ambivalences…, p. 13.

[5] Ibidem, p. 7.

[6] Jean STENGERS, Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, t. 1, Les racines de la Belgique, p. 7-13, Bruxelles, Racine, 2000.

[7] Jean STENGERS et Eliane GUBIN, Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, t. 2, Le grand siècle de la nationalité belge, De 1830 à 1918, p. 201, Bruxelles, Racine, 2002.

[8] Compte rendu analytique du congrès wallon de Liège, Journées des 30 septembre, 1er et 2 octobre [1905], dans Wallonia, t. 13, n°12, décembre 1905, p. 512. Ce sentiment national wallon et ce sentiment national flamand existent certainement tous deux sous la communauté de civilisation que nous avons constatée dans certains domaines de la vie publique et de la vie sociale, communauté dans laquelle l’apport des Wallons et l’apport des Flamands viennent se confondre de telle sorte qu’il serait bien difficile d’en faire le décompte. Sous cette communauté de civilisation, il y a certainement chez nous, deux autres sentiments parfaitement reconnaissables : le sentiment national wallon et le sentiment national flamand. Compte rendu officiel du Congrès wallon, p. 243, Liège, Exposition universelle de Liège, 1906. – Philippe CARLIER, Henri Pirenne, historien de la Wallonie ? dans Henri Pirenne, de la cité de Liège à la ville de Gand, Actes du colloque organisé à l’Université de Liège le 13 décembre 1985, p. 65-78, Liège, 1987.

[9] Dominique SCHNAPPER, La Communauté des citoyens, Sur l’idée moderne de la nation, p. 21, Paris, Gallimard, 1994.

[10] Gérard NOIRIEL, La construction historique de la nation, Conférence du 2 juin 2000, dans Yves MICHAUD, Université de tous les savoirs, t.3, Qu’est-ce que la société ? p. 739-748, Paris, Odile Jacobs, 2000.

[11] Ibidem, p. 740.

[12] Philippe DESTATTE, Socialisme national et nationalisme social, Deux dimensions essentielles de l’enseignement du national-socialisme, dans Cahiers de Clio, 93/94, p. 13-70, Université de Liège, 1988. – Le début de cette longue contribution avait été publiée dans les Mélanges René Van Santbergen, p. 154-157, Bruxelles, Liège, Centre de la Pédagogie de l’Histoire et des Sciences de l’Homme, 1984. – J’ai retrouvé plus tard le concept de régional-socialisme sous la plume de Raymond Rifflet, dès 1980 : Raymond RIFFLET, Réflexions sur les réalités et la prospective belges, dans L’Europe en formation, Numéro spécial La Réforme de l’Etat belge, n°240, Novembre-décembre 1980, p. 78.

[13] Zeev STERNHELL, Ni Droite ni Gauche, L’idéologie fasciste en France, p. 57, Paris, Seuil, 1983.

[14] Maurice BARRES, La Patrie française, La Terre et les Morts, [1899], dans Maurice BARRES, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, Plon, 1925. – Voir Zeev STERNHELL, Maurice Barrès et le nationalisme français, Paris, Presses de la Fondation nationale scientifique, 1972.

[15] Philippe DESTATTE, Jules Destrée et l’Italie, A la rencontre du National-socialisme, Conférence donnée le 25 février 1986 à l’initiative de l’Association “Dante Alighieri” de Charleroi, sous les auspices de l’Institut italien de Culture de Bruxelles, dans Revue belge d’Histoire contemporaine, XIX, 3-4, p. 543-585, Bruxelles, 1988.

[16] Jules DESTREE, Figures italiennes d’aujourd’hui, p. 227-228, Bruxelles-Paris, G. Van Oest & Cie, 1918.

[17] Philippe DESTATTE, Questionnement de l’histoire et imaginaire politique, l’indispensable prospection, dans La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, p. 308-310, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1989. Cette communication, présentée au premier congrès La Wallonie au Futur a aussi été publiée dans Les Cahiers marxistes, février-mars 1988, n°157-158, p. 49-53.

[18] Philippe DESTATTE, Le mouvement wallon : la constitution d’une collectivité politique, dans La Wallonne de Paris fête son centenaire, 1887-1987, p. 5-6 Paris, 1987.

[19] Francis DELPEREE, Histoire des Mouvements wallons et avenir de la Wallonie, p. 90 dans Jacques LANOTTE éd., L’histoire du mouvement wallon, Journée d’étude de Charleroi, 26 février 1976, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1978.

[20] Ibidem.

[21] Francis DELPEREE, Histoire des mouvements wallons et avenir de la Wallonie…, p. 91.

[22] Jean-Maurice DEHOUSSE, Jean-Maurice DEHOUSSE, Etat, nation, région, communauté, dans Wallonie Région d’Europe, n°8, Mars 1990, p. 6-8.

[23] François PERIN, Spécificité wallonne ou Wallonie Région française ?, dans La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, p. 454-455, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1989 – http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie-Futur-1_1987/WF1-151_Perin-Fr.htm

[24] Fernand BRAUDEL, L’identité de la France, Espace et histoire, p. 17, Paris, Arthaud-Flammarion, 1986.

[25] Philippe DESTATTE, L’identité wallonne, Aperçu historique, p. 102, Namur, Région wallonne, 1991.

[26] Maurice PIRON, dans La Cité chrétienne, Bruxelles, 20 mai 1939.

[28] Philippe DESTATTE, Jules Destrée, l’antisémitisme et la Belgique, Lettre ouverte à tous ceux qui colportent des mythes éculés sur les Wallons et leur histoire, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 1995.

[29] Albert HENRY, Offrande wallonne, p. 130, Liège, Georges Thone, 1962.

[30] Ancien leader de la FGTB de Charleroi, Ernest Davister rappelait qu’en 1960, sa régionale avait privilégié la solidarité des travailleurs à un combat nationaliste dans lequel entrèrent des hommes comme Perin, Gol ou Knoops qu’on peut difficilement qualifier d’hommes de gauche. L.F., Les Anciens Combattants de la “Grève du siècle” se souviennent, Fédéralisme et réforme de structure. dans Journal de Charleroi – Nouvelle Gazette, vendredi 21 décembre 1990, p. 28. Ernest DAVISTER pose la question dans la brochure, publiée pour le cinquantième anniversaire: “Avec la naissance du Mouvement populaire wallon, au coeur même de l’effervescence passionnée de la grève, ne risque-t-on pas des débordements d’un “nationalisme wallon“, incompatible avec la conception socialiste?“. “Hiver 60-61, La Grève du Siècle“, publiée par la Fédération des Métallurgistes FGTB de Charleroi et Sud-Hainaut”, avec une préface et des conclusions de Mirello Bottin, p. 6, Charleroi, 1991.

[31] J.-P. STROOBANTS, Philippe Busquin, Face au défi nationaliste, Un regard de gauche sur le “nouveau style” à la tête du P.S., dans Le Soir, 31 janvier 1992, p.3., voir aussi, notamment l’interview dans Le Vif-L’Express du 17 janvier 1992, ainsi que la réponse de Jacques MOISSE dans le même hebdomadaire du 28 février 1992. On trouve un “Point de vue” semblable dans La Libre Belgique du 25 janvier 1992: Cl. DEMELENNE, Entre rigueur et Happartisme. ) – J. GEVERS, La Désunion francophone, éditorial de Le Vif, L’Express, du 30 octobre 1992, p. 5.

[32] A l’heure des commémorations du 50e anniversaire de la Libération, l’expression Ré-Zi fut souvent employée pour fustiger ce que d’aucuns appréhendaient comme un « régional-socialisme ».

[33] Notamment: Zeev STERNHELL, Ni Droite, ni Gauche, L’Idéologie fasciste en France, Paris, Seuil, 1983. Z. STERNHELL, Mario SZNAJDER et Maia ASHERI, Naissance de l’idéologie fasciste, Paris, Fayard, 1989.

[34] Maurice Barrès, La Querelle des Nationalistes et des Cosmopolistes, Le Figaro, 4 juillet 1892.

[35] Fernand DEHOUSSE, Y a-t-il un nationalisme wallon? dans L’action wallonne, 15 octobre 1937, p. 3

[36] François PERIN, au Congrès extraordinaire du PSB, le 16 novembre 1963, dans La Wallonie, 18 novembre 1963, p. 4.

[37] André RENARD, A propos d’une synthèse applicable à deux peuples et à trois Communautés, dans Synthèse, 16ème année, n° 186, novembre 1961, p. 28.

[38] Ibidem, p. 30.

[39] Jean-Marie KLINKENBERG, L’identité wallonne : hypothèques et faux papiers, dans La Wallonie au Futur, Vers un nouveau paradigme, Actes du Congrès, p. 208-215, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1989. – Les blocages dans l’identification wallonne : germes d’une identité postnationale, dans Philippe DESTATTE, Jean-Charles JACQUEMIN, Françoise ORBAN-FERAUGE et Denise VAN DAM, Nationalisme et postnationalisme, Actes du colloque tenu à Namur le 30 avril 1994, p. 47-64, Namur, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix et Institut Jules Destrée, 1995.

[40] G.M. TAMAS, Les Idoles de la Tribu, L’Essence morale du sentiment national, traduit du hongrois par G.KASSAI, p. 18 Paris, Arcantere, 1991.

[41] Philippe DESTATTE, L’identité wallonne, Essai sur l’affirmation politique de la Wallonie, XIX-XXèmes siècles, Charleroi, Institut Destrée, 1997.

[42] Nation et démocratie, Entretien avec Dominique SCHNAPPER, dans La Pensée politique, La Nation, p. 152, Paris, Hautes Etudes-Gallimard-Le Seuil, Mai 1995. voir aussi Jacques-Yvon THERIAULT, Citoyenneté, espace public et identité, dans Options, Droit de cité, … p. 43sv.

[43] Nation et démocratie, Entretien avec Dominique SCHNAPPER, dans La Pensée politique, La Nation, p. 152, Paris, Hautes Etudes-Gallimard-Le Seuil, 1995.

[44] Pierre NORA, A propos de l’identité et de la nation françaises, dans Les Rencontres de Pétrarque, France-Culture, 9 août 1995.

[45] Jean-Marc FERRY, Les puissances de l’expérience, Essai sur l’identité contemporaine, t. 2, p. 194, Paris, Editions du Cerf, 1991.

[46] Philippe DESTATTE, L’identité wallonne, Essai…, p. 432.

[47] Arille CARLIER, Qu’est-ce qu’une nation ? Qu’est-ce qu’un Etat ?, dans La Wallonie nouvelle, 6 mars 1938, p. 1 & 2.

[48] Jean-Marc FERRY, Les puissances de l’expérience…, t. 2, p. 182.

[49] Léopold GENICOT, Histoire de la Wallonie, p. 5, Toulouse, Privat, Editions universitaires, 1973.

[50] Philippe DESTATTE, L’identité wallonne : une volonté de participer plutôt qu’un sentiment d’appartenance, Contribution à une réflexion citoyenne, dans De la Yougoslavie à la Belgique, Numéro spécial des Cahiers marxistes, Octobre – novembre 1997, p. 149-168.

[51] Dominique SCHNAPPER, op. cit., p. 120.

[52] José FONTAINE, Le citoyen déclassé, Monarchie belge et société, p. 46, Toudi n°8 – Contradictions n°77, 1995.

[53] Tentant de dénouer les concepts de nationalité et de citoyenneté, François Perin notait en 1962 que s’il y avait cent définitions de la Nation – phénomène difficilement saisissable de psychologie collective –, aucune n’avait de valeur juridique rigoureuse. La Nation est donc un phénomène politique récent, d’ordre affectif et collectif qui caractérise l’évolution politique des peuples au XIXème et XXème siècle.A ce point de vue, il n’y a pas de Nation belge, il n’y a qu’un Etat belge qui contient deux petites “nations”, la Flandre et la Wallonie; François PERIN, La Belgique au défi, Flamands et Wallons à la recherche d’un Etat, p. 181-182, Huy, Presses de l’Imprimerie coopérative, 1962.

[54] René SWENNEN, Belgique Requiem, p. 132, Paris, Julliard, 1980. – François PERIN, Histoire d’une nation introuvable, Bruxelles, Paul Legrain, 1988.

[55] Jean LADRIERE, Philosophie et identité culturelle, Conversation avec Jean Ladrière et Jacques Dubois, dans Toudi, Culture et Société, p. 111, Quenast, Centre d’Etudes wallonnes, 1988. – voir aussi Hervé HASQUIN, La Belgique et ses nations au regard de l’histoire, dans Jacques LEMAIRE et André MIROIR, La Belgique et ses nations dans la nouvelle Europe, p. 9-19, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 1997.

[56] Arille CARLIER, Qu’est-ce qu’une nation ? Qu’est-ce qu’un Etat ? dans La Wallonie nouvelle, 6 mars 1938, p. 1 & 2.

[57] Jean-Marie CAUCHIES, Y a-t-il une nation belge ?, dans Hugues DUMONT, Christian FRANCK, François OST, Jean-Louis DE BROUWER, Belgitude et crise de l’Etat belge, p. 172, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1989.

[58] La Constitution belge, Texte coordonné du 17 février 1994 [avec les modifications jusqu’au 21 février 2002], http://www.senate.be/doc/const_fr.html. 29 juillet 2002.

[59] Francis DELPEREE, Le droit constitutionnel de la Belgique, p. 441, Paris-Bruxelles, LGDJ-Bruylant, 2000.

[60] Ibidem.

[61] Jean STENGERS, Depuis quand les Liégeois sont-ils des Wallons ?, dans Hervé HASQUIN, Hommages à la Wallonie, Mélanges offerts à Maurice-A. Arnould et Pierre Ruelle, p. 444-447, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, 1981.

[62] A toute propagande de nationalisme belge, j’opposerai, en m’emparant des arguments mêmes de mon interlocuteur, mon nationalisme wallon. J’exalterai ma terre natale, la Wallonie et ma race, la française. Jules DESTREE, Une idée qui meurt : la patrie, Conférence au Jeune Barreau d’Anvers, en 1906, publiée dans la revue La Belgique artistique et littéraire de Bruxelles, dans Semailles, p. 58, Bruxelles, Lamertin, 1913.

[63] Maurice BOLOGNE, La nation wallonne, dans L’Europe en formation, n°119, Février 1970,  p. 16-20.

[64] La formule est de Guido Fonteyn dans De Standaard, 17 septembre 1983, reproduit dans La Wallonie et les intellectuels…, p. 136.

[65] José FONTAINE, La Communauté et les théories de la culture en Belgique, dans Toudi, Culture et société, t.6, p. 45, Enghien, Centre d’Etudes wallonnes, 1992.

[66] Félix ROUSSEAU, La nationalité namuroise sous l’Ancien Régime, dans Anciens Pays et Assemblées d’Etats, XXII, 1961, p. 189-205, dans Félix ROUSSEAU, A travers l’histoire de Namur, du Namurois et de la Wallonie, p. 228, Bruxelles, Crédit communal de Belgique, 1977.

[67] Christian FRANCK, André-Paul Frognier, Bernard REMICHE et Vincent Vagman, Choisir l’avenir, La Belgique en 1999,  Bruxelles, 1998.

[68] Jürgen HABERMAS, L’intégration républicaine, Essais de théorie politique, p. 71, Paris, Fayard, 1998.

[69] J. HABERMAS, L’intégration républicaine…, p. 73-74.

[70] Marcel MAUSS, Œuvres, p. 593, 1969, (1920?), p. 593. cité dans Dominique SCHNAPPER, La Communauté des citoyens…, p. 101.

[71] Dominique SCHNAPPER, op. cit., p. 101-102.

[72] Francis DELPEREE, Histoire des mouvements wallons et avenir de la Wallonie…, p. 97.

[73] Voir notamment Patricia DEL MARMOL, Contractualiser pour mieux baliser les décisions wallonnes, L’Institut Jules Destrée propose un “contrat-plan” wallon, facteur d’équilibre entre gouvernants et gouvernés, dans L’Echo, 22-24 mai 1999, p. 5. – Théo FAUCONNIER j., Philippe Destatte a fait un rêve, Le contrat-plan wallon de 10 ans, dans Le Matin, 22 mai 1999, p. 9.

[74] Théo FAUCONNIER j., La sortie officielle du projet de “contrat d’avenir pour la Wallonie”, Consultation générale, Le gouvernement Di Rupo lance les rencontres et les débats ouverts à tous, dans Le Matin, 17 septembre 1999, p. 12.

[75] Alain TOURAINE, op. cit., p. 244.

[76] Dominique SCHNAPPER, La Communauté des Citoyens…, p. 54.

[77] Yves de WASSEIGE, Espace européen – Espace wallon (18 mars 1992), dans Toudi, Culture et société, t.6, p. 61, Enghien, Centre d’Etudes wallonnes, 1992. – Nicolas BARDOS-FELTORONYI, Géoéconomie, Etat, espace, capital, Bruxelles, De Boeck-Université, 1991.