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Namur, le 21 avril 2017

La démarche qu’entame le panel citoyen réuni au Parlement de Wallonie du 21 avril au 12 mai 2017 a une triple vocation [1] : démocratique, prospective et innovatrice :

démocratique, parce que ce processus participe au moins à deux des trois fonctions de la démocratie que sont d’abord la concertation collective entre les citoyens, ensuite, la responsabilité du corps social à l’égard de la chose publique, du bien qui nous est commun – ou devrait l’être – et, enfin, tâche ici plus difficilement identifiable, le contrôle civique sur les instances du pouvoir [2] ;

prospective signifie que l’on veut s’appuyer sur le long terme, à partir de regards diversifiés, rechercher des alternatives nouvelles pour transformer la problématique – la gestion du vieillissement en Wallonie – sur laquelle porte notre attention, pour permettre de passer, dès lors, de la pensée à l’action ;

innovatrice parce que le Parlement et le Gouvernement de Wallonie font le pari de la modernisation de la gouvernance wallonne et investissent, en mobilisant une partie de la communauté des citoyen(ne)s au profit d’un processus démocratique délibératif, qui s’ajoute au régime représentatif et s’articule à celui-ci.

Une méthode solide : la conférence-consensus

La méthode utilisée est celle de la conférence-consensus, qui se fonde sur la reconnaissance et le dialogue des trois composantes fondamentales d’un triangle : les citoyens, les experts et les élus, ainsi que le dialogue au sein même de ces composantes. L’appellation de cette méthode, en provenance des pays nordiques, ne doit pas nous tromper. Il ne s’agit pas de rechercher un consensus faible, voire mou, entre les idées des un(e)s et des autres, mais au contraire, d’assumer la gestion intelligente des opinions diverses et de laisser argumenter fortement des personnes qui se positionnent avec conviction, tout en restant fondamentalement à l’écoute des autres. On appelle également ce mécanisme une conférence-confrontation. Nous savons que, dans nos familles comme dans nos entreprises ou nos organisations, l’innovation vient du choc des idées et que le changement n’est pas un long fleuve tranquille. Évidemment, nous devons rester conscients que nous sommes dans un jeu de rôle. Si les élu(e)s sont des décideurs politiques, ils sont aussi des citoyen(ne)s et ne sont pas sans expertises, de même que les experts sont aussi citoyens et les citoyens disposent de quelques expertises, particulièrement sur une question comme le vieillissement qui est au cœur de l’expérience de chacun, davantage par exemple que la maternité, la plongée sous-marine ou la fusion thermonucléaire.

L’intérêt d’une conférence-consensus réside dans son exigence de produire une déclaration à l’adresse des élus qui précise les enjeux du domaine abordé et dont les citoyens se saisissent, la vision à long terme que s’en fait le panel ainsi les pistes de réponses qu’elle préconise pour ces enjeux. Il s’agit donc d’un vrai travail de production pour lequel le panel sera souverain et donc seul responsable. L’ambition est certainement limitée. Il s’agit moins de résoudre tous les problèmes que d’apporter quelques réponses innovantes à des questions ciblées.

Fort de leurs travaux en amont, les experts auront pu nourrir les citoyens. Les élus, interpellés par cette déclaration lors de la séance plénière du Parlement de Wallonie du 12 mai, se sont engagés à écouter et à y répondre verbalement. Les élus conservent bien entendu – et chacun doit en être conscient, particulièrement les membres du panel -, toute leur liberté pour se saisir ou non des enjeux ainsi que des propositions qui seront formulées par les citoyens. Cette règle est fondamentale, elle évitera de faire naître des regrets ou des désillusions. C’est en cela que le processus est qualifié de délibératif, davantage que de participatif. Cette dénomination indique que les citoyennes et citoyens ne seront pas califes à la place du calife : en contribuant à porter la voix de la société vers les élus, ils complèteront la démocratie représentative, la continueront [3], mais ne s’y substitueront pas.

Photo Parlement de Wallonie, 21 avril 2017

A la recherche du bien commun…

Ces précautions sur le processus entamé ne signifient évidemment pas, au contraire, que l’attente à l’égard du panel ne soit pas considérable. Lors de sa réunion du 11 avril 2017, le Comité scientifique interuniversitaire, mis en place par le Parlement de Wallonie [4], l’a rappelé : le processus engagé par le Parlement constitue une remarquable avancée – jusqu’ici jamais réalisée à ce point – et une occasion de faire progresser la démocratie en Wallonie et de mener une expérience de dialogue constructif entre les citoyen(ne)s et les élu(e)s. Cette démarche apparaît d’autant plus innovante qu’elle concerne l’ensemble de la population, est prospective et porteuse d’enjeux sociétaux très forts. Ce qui, nous semble-t-il, caractérise, cette initiative, c’est la grande confiance qui est placée dans le panel comme étape dans la réappropriation de la capacité politique par les citoyens. Elle leur rappelle qu’en dehors des élections, les citoyennes et citoyens ont ou peuvent avoir des marges de manœuvre, dans ce cadre ou dans d’autres. On se souviendra longtemps du Yes, we can de Barack Obama, même s’il n’a pu aller aussi loin avec le Congrès que nous essayons de le faire avec le Parlement de Wallonie.

Il s’agit dès lors de tabler sur l’intelligence collective et sur ce que Jacques Testart appelle l’humanitude, l’émulation qui peut jaillir au sein d’un groupe en effervescence intellectuelle, morale et affective, qui peut – si les conditions sont remplies – produire du bien commun et de l’intérêt général [5]. Nous pouvons témoigner de la vitalité de ces mécanismes au travers des nombreuses expériences qui ont été menées depuis le début des années 1980 dans le cadre des dynamiques La Wallonie au futur – notamment la conférence-consensus de 1994 consacrée au pilotage du système éducatif [6] -, la démarche prospective citoyenne Wallonie 2020 [7] ou encore les travaux du Collège régional de Prospective de Wallonie [8]. La Fondation pour les Générations futures, l’IWEPS et de nombreux organismes ont également expérimenté des démarches délibératives de cette nature, notamment sur la question du vieillissement [9]. Au-delà de ces bonnes pratiques, jamais néanmoins, en Belgique, un Parlement ne s’est montré aussi disponible pour accueillir et aussi susciter le débat citoyen et, surtout, l’articuler à ses propres travaux.

Principes de fonctionnement du panel

Les principes de fonctionnement du panel que nous avons voulu mettre en exergue sont avant tout des facteurs de réussite et donc aussi des facteurs de cette confiance, déjà évoquée.

  1. La mise en place d’un comité de pilotage parlementaire et d’un comité scientifique sont des facteurs d’exigence qui renforcent la légitimité et la crédibilité de la démarche. Une évaluation de la démarche est déjà en préparation sous la direction de ce comité scientifique.
  2. Le mode de recrutement du panel fondé sur un effort d’échantillonnage en termes d’âge, de genre, de territoire de résidence, de profil socio-économique, sur base d’un sondage réalisé par SONECOM et en se calquant sur le profil de la société wallonne, renforce cette légitimité même si le caractère volontariste des participants reste essentiel.
  3. La valorisation d’une documentation de référence, produite par des chercheurs de disciplines différentes, permet de disposer d’un socle de connaissance et d’expertise, en particulier l’étude IWEPS-UCL publiée en juillet 2016 et consacrée à la gestion du vieillissement en Wallonie aux horizons 2025-2045 [10]. L’intérêt est grand aussi de disposer des documents permettant de disposer d’un état des actions et ambitions des décideurs publics en Wallonie qui sera mis à la disposition du panel de citoyens, ainsi que d’autres documents provenant de la société civile, organisée ou non. Les membres du panel ont tout intérêt à renforcer leur capacité d’appréhender le sujet et ses réalités en Wallonie. L’enquête audiovisuelle qualitative réalisée pour le Parlement de Wallonie par Canal C, avec l’appui de l’Institut Destrée, ainsi que le sondage mené par SONECOM ont aussi cette vocation. L’appropriation par le panel de tous les éléments de connaissance, l’empêchera de se laisser disqualifier parce que certains le considèreraient comme incompétent.
  4. L’indépendance, la liberté et la souveraineté du panel pour aborder les enjeux dont il voudra se saisir dans le cadre du cahier des charges des objectifs rappelés et portant sur le vieillissement ont été garanties. Cette souveraineté, cette liberté et cette indépendance s’exerceront aussi farouchement à l’égard des experts et des deux facilitateurs techniques du processus consensus. Nous ne sommes que des burettes, de l’huile à mettre dans les rouages et nous n’interviendrons évidemment pas dans la construction des contenus.
  5. La courtoisie est la fleur de l’humanité, disait l’ancien ministre des Sciences et des Arts Jules Destrée. Elle sera le mot d’ordre des relations entre les membres du panel, ce qui, nous l’avons dit, n’empêchera pas la confrontation des idées. Au sein du panel, d’ailleurs, nous multiplierons les dispositifs afin de faire en sorte que, contrairement d’ailleurs à ce qui se passe parfois chez les députés, toutes les citoyennes et tous les citoyens du panel soient sur le même pied d’égalité pour s’exprimer. Même pour des raisons d’efficacité, il est en effet hors de question de donner d’emblée plus d’importance à certains citoyens qu’à d’autres pour des raisons d’éducation, de formation ou de capacité de leadership. Chacune et chacun contribuera donc au projet commun.
  6. Cette courtoisie, exercée également à l’égard des experts et des élus, sera attendue de ceux-ci afin que le panel soit respecté pour ce qu’il est : un groupe de femmes et d’hommes qui ont décidé de consacrer quelques jours de leur temps pour une aventure intellectuelle et politique, en mettant leur expérience au service de l’intérêt commun et en tenant à distance les a-priori, les idées toutes faites, les grandes certitudes idéologiques ainsi que le prêt-à-porter mental.

C’est pourquoi, on ne saurait trop remercier ceux qui ont accepté d’être présents au sein de ce panel, ces « citoyens invisibles », comme dit Pierre Rosanvallon, devenus bien concrets aujourd’hui, aux côtés des élues et des élus du Parlement, dans une gouvernance partagée et respectueuse de nos institutions.

Il nous semble qu’il faut également remercier le Président, le Bureau, le Greffier et les Services du Parlement de Wallonie, qui nous accueillent, mais aussi le Gouvernement wallon. Nous avions indiqué voici plus de cinq ans que les intelligences citoyennes n’auraient toute leur place dans une démocratie moderne que si le pouvoir régional leur ménage les espaces nécessaires et qu’il accepte le dialogue avec ceux qui occuperont ces espaces.

C’est ainsi que pourrait se construire en Wallonie une démocratie collective, comme il existe une intelligence collective. La force et la vigueur de cette démocratie n’en seront que davantage renforcées.

Philippe Destatte et Pascale Van Doren

[1] Ce texte constitue la remise au net de la note préparatoire à l’exposé fait au Parlement de Wallonie ce 21 avril à l’occasion de l’accueil du Panel citoyen.

[2] Philippe DESTATTE, Quel avenir pour la démocratie wallonne dans la société de la connaissance ? dans Marc GERMAIN et René ROBAYE éds., L’état de la Wallonie, Portrait d’un pays et de ses habitants, p. 494-500, Namur, Les éditions namuroises – Institut Destrée, 2012. – Jean CHESNEAUX, Habiter le temps, Passé, présent, futur : esquisse d’un dialogue politique, p. 17-18, Paris, Bayard, 1996.

[3] Claude LEFORT, L’invention démocratique, Paris, Fayard, 1981. – Dominique ROUSSEAU, Radicaliser la démocratie, Propositions pour une refondation, p. 19, Paris, Seuil, 2015.

[4] Ce Comité scientifique est composé de Benoit Derenne, directeur de la Fondation pour les Générations futures ; Marie Göransson, professeure et chercheuse en Management public, présidente du jury du Master en GRH, Université libre de Bruxelles ; Yves Henrotin, professeur de Pathologie générale, kinésithérapie et réadaptation fonctionnelle, à l’Université de Liège, directeur de l’Unité de Recherche sur l’Os et le Cartillage (UROC), chef du service de kinésithérapie et de réadaptation fonctionnelle de l’hôpital Princesse Paola de Marche-en-Famenne ; André Lambert, démographe, directeur de l’Association pour le Développement de la Recherche Appliquée en Sciences Sociales (ADRASS) – Ottignies-Louvain-la-Neuve ; Natalie Rigaux, professeure au Département des Sciences économiques, sociales et de la Communication de l’Université de Namur, coordinatrice du Groupe de Recherche interdisciplinaire sur les Vieillissements ; Anne Staquet, professeure à l’Université de Mons, chef du service de Philosophie et d’Histoire des Sciences. membre du Comité national, de Logique, d’Histoire et de Philosophie ; Philippe Urfalino, professeur et directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, Chaire de Sociologie de la Décision et de la Délibération collective, Directeur de Recherche au CNRS, Centre d’Etudes sociologiques et politiques Raymond Aron ; Christian de Visscher, professeur de Sciences politiques et de Management public à l’Université catholique de Louvain.

[5] Jacques TESTART, L’humanitude au pouvoir, Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, p. 39, Paris, Seuil, 2015.

[6] La Wallonie au futur, Le Défi de l’éducation, Conférence-Consensus, Où en est et où va le système éducatif en Wallonie ? Comment le savoir ?, Actes de la Conférence-consensus, Charleroi, Institut Destrée, 1995.

[7] http://www.wallonie-en-ligne.net/wallonie-futur-5_2003/

[8] Notamment Wallonie 2030 : http://www.college-prospective-wallonie.org/

[9] En particulier, le panel de citoyens intitulé « Notre Futur », consacré à l’avenir des séniors à l’horizon 2030 :

http://www.foundationfuturegenerations.org/fr/projet/notre-futur

[10] https://www.iweps.be/publication/gestion-vieillissement-wallonie-aux-horizons-2025-2045-enjeux-prospective/

Dans un premier papier précédent, j’ai indiqué que le Cœur du Hainaut, c’est-à-dire les vingt-cinq communes de la zone d’action de l’Intercommunale wallonne IDEA sur l’espace Mons-Borinage-Centre-La Louvière, semblait constituer un espace pertinent pour analyser les transitions sociétales. Ces mutations sont au nombre de trois : d’abord, la Révolution industrielle, que j’ai abordée dans un deuxième texte, ensuite, la Révolution cognitive que nous connaissons actuellement et, enfin, la transition vers le développement durable qui accompagne cette dernière mutation. C’est cette transformation que j’envisage ici, en l’appliquant à l’évolution de ce territoire.

2. Le développement durable comme ambition de métamorphoser la société

Dans les années 1970 et 1980, les mutations de la société étaient bien engagées. Elles l’étaient notamment par la volonté des femmes et des hommes qui recherchaient une nouvelle harmonie au travers de l’espoir d’un développement plus soutenable. Ces mutations s’inscrivaient aussi dans une concurrence effreinée de recherche d’une productivité nouvelle par la Révolution de l’information et de la connaissance ainsi que par la construction rapide d’une nouvelle mondialisation de laquelle aucun territoire ne saurait rester à l’écart.

Les mutations industrielles du Cœur du Hainaut ont largement contribué à la prise de conscience de l’enjeu de la durabilité du territoire. Quatre champs de réflexion méritent d’être investis.

 2.1. Le Borinage : la dynamique d’un développement non-durable

Le système industriel sans développement et l’écroulement charbonnier dans le Borinage, tels que Paul-Marie Boulanger et André Lambert en ont ultérieurement démonté les processus [1], ont montré aux acteurs ce qu’était réellement une dynamique non durable et quelles étaient ses conséquences dramatiques pour la population. Or, comme les deux chercheurs de l’ADRASS l’ont bien mis en évidence, le développement d’une économie régionale consiste en une succession continue et harmonieuse d’activités, d’entreprises et de qualifications humaines. Pour que cette situation prévale, il est vital, écrivent-ils, que coexistent en permanence plusieurs générations d’activités et de technologies, plusieurs types concurrents d’usage des ressources naturelles, qu’à côté des activités en déclin ou en pleine maturité il y ait une pépinière suffisamment riche pour assurer demain les remplacement de la source des richesses actuelles. Et de conclure : la recherche d’une explication au caractère non-durable de l’expérience industrielle du Borinage passe donc par une compréhension de cette incapacité à attirer, retenir ou favoriser la croissance d’entreprises dynamiques, possédant les ressources nécessaires pour innover et s’adapter ainsi aux évolutions de la technique et de la demande ainsi qu’aux pressions de la concurrence [2]. Ce travail systématique reste à réaliser, tant pour le Borinage que pour le Cœur du Hainaut ou même pour l’ensemble de la Wallonie. Le réaliser permettrait sans nul doute de repartir aujourd’hui sur des bases plus tangibles…

 2.2. Des entreprises Seveso avant Seveso, comme éléments de prise de conscience

C’est sans nul doute que l’installation dans les années 1970 de nombreuses entreprises chimiques dont quelques-unes dites depuis 1982 « Seveso » – mais la catastrophe lombarde a eu lieu en 1976 –, corresponde à la prise de conscience écologique mondiale (Missions Apollo, rapports Meadows et Interfuturs, conférences des Nations Unies pour l’Environnement, etc.). Par effet retour, l’industrie chimique dans le Borinage et le Centre a contribué à l’engagement environnementaliste, au delà du simple effet NIMBY. Sous le titre la réindustrialisation et l’écologique, un collaborateur du Bureau d’Études économiques et sociales du Hainaut s’étonnait que, sous l’influence des mouvements écologiques, des populations se mobilisent contre les entreprises chimiques : nos populations, habituées aux nuisances engendrées par les charbonnages, les entreprises sidérurgiques, les cimenteries, etc. … les supportent ! Pourquoi cette intransigeance envers certaines entreprises ? s’interrogeaient-ils [3]. De nombreux comités de défense se sont en effet institués à Saint-Ghislain (notamment lors de l’implantation de Reilly Chemicals à Hautrage), Seneffe (émanations de la raffinerie Chevron à Feluy, etc.) ou ailleurs, pour refuser l’installation d’usines potentiellement dangereuses ou pour s’insurger contre des nuisances ou des dégagements nauséabonds. La création, fin 1973, d’une Commission provinciale de l’Environnement au sein du Bureau d’Etudes économiques et sociales en constitue une des étapes [4], de même que la création [5] du Service provincial de l’Environnement, avec son téléphone vert dédié, ainsi que, en 1978, l’inscription du Hainaut dans une politique globale de la collecte, du traitement et du recyclage des déchets [6] . En janvier 1990, la Commission provinciale organisait un colloque consacré à l’environnement, clef du futur, avec une table ronde conclusive composée des représentants des intercommunales de développement [7].

2.3. Une urbanisation sous pression industrielle

Le désordre de l’urbanisation, tant dans le Borinage que dans le Centre, deux espaces caractérisés par l’imbrication de l’industrie et de l’habitat, ont fait comprendre la nécessité d’un aménagement du territoire qui prenne en compte les écosystèmes. Dans les années 1970, le Borinage comportait pas loin de 100 terrils et sites charbonniers couvrant plus de 700 hectares tandis que le Centre comptait 56 terrils. L’ensemble avait été estimé en volume à l’équivallent de 1000 buttes de Waterloo… [8] Au point de vue de l’impact de ces reliquats de l’industrie, de leurs interactions avec l’habitat, de la question des reboisements, etc., l’influence des travaux du botaniste et écologue Paul Duvigneaud, professeur à la Faculté des Sciences ainsi qu’à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’ULB, fut considérable. Le concepteur du Programme biologique mondial permit de donner un cadre de référence à l’analyse des situations urbaines en Hainaut [9].

4.4. Des questions énergétiques centrales

Enfin, faut-il rappeler à quel point, depuis le XVIIIème siècle, les questions énergétiques sont profondément liées à ce territoire ? En 1980 déjà, Philippe Busquin rappelait l’importance d’une vision régionale des problèmes énergétiques [10]. L’appellation Cœur du Hainaut, centre d’énergies a voulu le mettre en exergue. Au delà du charbon traditionnel, de la géothermie [11], de l’énergie solaire [12], des éoliennes [13], de la valorisation de la houille [14], etc., qui le façonnent, cet espace se voudrait exemplaire comme territoire à faible émission de carbone où les questions de développement durable sont au centre des préoccupations. Contrairement à d’autres régions, et grâce en particulier à l’IDEA et aux entreprises locales, l’économie circulaire n’est pas ici juste un slogan mais une dynamique largement mise en œuvre comme à Tertre-Hautrage-Villerot. N’en doutons pas, demain, les écozonings seront aussi des réalités dans le Centre. Pour divers auteurs, écrivait Paul Duvigneaud en 1980, la nouvelle révolution industrielle de la fin du XXème siècle sera le recyclage généralisé des déchets [15]. Certes, on en est encore loin mais ceux qui ont le plus souffert des nuisances peuvent être ceux qui relèvent le plus efficacement les défis.

Né de la Révolution industrielle et des déséquilibres engendrés par les sociétés industrielles, le développement durable, comme recherche d’une harmonie systémique, s’applique bien entendu également aux nouveaux paradigmes industriels et cognitifs.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

 Lire la suite : Transitions et reconversions dans le Cœur du Hainaut depuis la Révolution industrielle (4)

[1] Paul-Marie BOULANGER, Chronique d’une mort économique annoncée : l’évolution des activités et des structures industrielles du Borinage, Bruxelles, Services scientifiques, techniques et culturels (SSTC) – Ottignies, ADRASS, 1999. – Paul-Marie BOULANGER et André LAMBERT, La dynamique d’un développement non-durable : le Borinage de 1750 à 1990, Bruxelles, SSTC, 2001.

[2] P.-M. BOULANGER et A. LAMBERT, La dynamique d’un développement non-durable…, p. 49-50.

[3] J-P BERTIAUX, Problèmes écologiques et développement industriel, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 28, 1977/2, p. 15. (réindustrialisation, p. 10 et citation p. 11). – Voir aussi Didier VERHEVE, La pétroléochimie et l’environnement, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 33, 1979, p. 5-11.

[4] Ibidem, p. 15.

[5] Philippe BUSQUIN, La lutte contre la pollution en Hainaut : création d’un Service interdisciplinaire de l’Environnement, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 30, 1978, p. 5-12.

[6] La Société de Développement régional pour la Wallonie (SDRW) avait, à ce moment, proposé un plan global de prise en charge des déchets pour la Wallonie suite à une étude réalisée à la demande du Comité ministériel des Affaires wallonnes. Jacques HOCHEPIED, De la notion de déchets à celle de gaspillage, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 31, 1978, p. 6. – Philippe BUSQUIN, Des réalisations et carences actuelles, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 31, 1978, p. 7. – Raoul PIERARD, Collecte, traitement et recyclage des déchets en Hainaut, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 31, 1978, p. 8-17. – R. DEVROEDE, Un plan wallon de gestion des déchets, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 31, 1978, p. 17. – Alfred CALIFICE, Les objectifs de la politique wallonne en matière de déchets solides, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 31, 1978, p. 20-21. – J-M DUBOIS, Un exemple de réutilisation des déchets : le recyclage du verre dans l’industrie du verre creux, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 33, 1979, p. 12-13. – P. MOISET, Les déchets comme source d’énergie, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 35, 1980/1, p. 22-26.

[7] L’environnement, clé du futur, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 53, 1990, p. 84.

[8] Le boisement des terrils, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 21, 1975/1, p. 44. A noter que ce numéro est tout entier consacré à l’environnement.

[9] Emilien VAES, Editorial, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 50, 1988, p. 4. – Voir Paul DUVIGNEAUD, La synthèse écologique, Populations, communautés, écosystèmes, biosphère, noosphère, Paris, Doin, 2ème éd., 1980. – Ecologie urbaine, Charleroi 18 novembre 1980, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 48, 1987, p. 10. – Paul DUVIGNEAUD e.a., Les composantes de l’écosystème Charleroi et les prospectives de développement socio-économique régional, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 38, 1981, p. 5-23. – Paul DUVIGNEAUD e.a., Les composantes de l’écosystème Charleroi et les prospectives de développement socio-économique régional, Mons, Bureau d’Études économiques et sociales du Hainaut, 1986, 60 p.

[10] Philippe BUSQUIN, La politique énergétique : une dimension régionale ?, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 35, 1980/1, p. 5-7.

[11] André DELMIER, La géothermie en Hainaut, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 35, 1980/1, p. 8-10. – D’importantes décisions du Conseil d’administration de l’IDEA en avril 1981, Géothermie, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 37, 1981/1, p. 47. – A Saint-Ghislain, Utilisation de la géothermie, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 47, 1987, p. 60.

[12] On songe au Centre de Recherche sur l’Énergie solaire (CRES) et aux travaux des professeurs Jacques Bougard et André Pilatte à la Faculté polytechnique dans les années 1980. Chr. BOUQUEGNEAU, La recherche à la Faculté polytechnique de Mons, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 50, 1988, p. 44.

[13] N’a-t-on pas oublié qu’en 1985 on fabriquait des mâts d’acier supports d’éoliennes de 9 tonnes et 22 mètres de longueur pour la Californie et pour Zeebruge à l’Industrielle Boraine à Quiévrain ? Industrielle boraine, Quiévrain, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 45, 1985, p. 61.

[14] Gazéification, Thulin, dans Bulletin économique du Hainaut, n° 49, 1987, p. 9. – W. DEGRYSE, M. FAERMAN, A. LIEBMANN-WAYSBLATT, Borinage..., p. 217.

[15] P. DUVIGNEAUD, La synthèse écologique…, p. 282.