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Namur, le 2 juin 2020 [1]

Une énigme. C’est ainsi que, au début des années 1970, le juriste et spécialiste des institutions, mais aussi des systèmes techniques, Jacques Ellul (1912-1994), voyait l’ordinateur. Non pas – disait-il – en ce qui concerne sa fabrication ni son emploi, mais parce que l’être humain semble incapable de prévoir quoi que ce soit au sujet de l’influence qu’il pourrait exercer sur la société et sur l’Homme [2]. Bien entendu, pour l’historien comme pour le prospectiviste, comprendre est toujours plus utile que prévoir. C’est ce qu’ont tenté de faire tous ceux qui, de Daniel Bell [3] (1919-2011) à Henri Lilen [4] ont observé ce qu’on appelle aujourd’hui la Révolution numérique.

1. Une mutation technique et sociétale

Ce que les Anglo-saxons dénomment Digital Revolution constitue une mutation à la fois technique [5] et sociétale. Celle-ci ne date évidemment pas d’hier, même si quelques chercheurs, de nombreux consultants et parfois même certaines femmes et hommes politiques tentent parfois de nous vendre la Révolution numérique comme à peine sortie de l’œuf [6] et déguisent les sons en bruits [7].  L’ancien ministre liégeois Jean Defraigne (1929-2016), quant à lui, parlait d’or dès 1974, lorsque, secrétaire d’État à l’Économie régionale wallonne, il affirmait que le calcul électronique et l’automatisme étaient les causes d’une seconde révolution industrielle, aussi décisive que celle qui substitua au XIXe siècle la force mécanique aux muscles de l’homme et de l’animal [8]. C’est ce que confirmait en 2018, Nature Outlook qui indiquait que, en l’espace de 50 ans, le monde numérique s’est développé pour devenir essentiel au fonctionnement de la société. La révolution, écrivait Richard Hodson, s’est déroulée à une vitesse vertigineuse, soulignant qu’aucune technologie n’a atteint plus de personnes en aussi peu de temps qu’internet et affirmant que la Révolution numérique n’est pas encore terminée [9].

Nommer les événements qui se déroulent devant nos yeux est toujours difficile. On s’est toutefois rendu assez vite compte du fait que, face à l’ampleur des mutations, qualifier simplement la nouvelle ère de post-industrielle, comme l’avaient d’abord fait Daniel Bell ou Alain Touraine [10], ou encore de société de l’information comme l’avaient fait, parmi beaucoup d’autres, Simon Nora et Alain Minc, n’appréhendait pas l’ampleur du phénomène [11]. Dès 1967, le sociologue américain avait constaté que, alors que la société industrielle se préoccupe de la production de biens, la société post-industrielle est organisée autour de la connaissance [12]. De même, en 1974, dans son ouvrage The Coming of Post-industrial Society, Bell affirmait sans hésitation que la société post-industrielle, c’est clair, est une société de la connaissance dans un double sens : premièrement, les sources d’innovation dérivent de plus en plus de la recherche et du développement (et plus directement, il existe une nouvelle relation entre science et technologie en raison de la centralité des connaissances théoriques); deuxièmement, le poids de la société – mesuré par une plus grande proportion du Produit national brut et une plus grande part de l’emploi – réside de plus en plus dans le domaine de la connaissance [13].

Un rapport du Centre de Prospective et d’Évaluation, service commun aux ministères français du Redéploiement industriel, d’une part, de la Recherche et des Technologies, d’autre part, écrit sous la direction de Thierry Gaudin et d’André-Yves Portnoff est publié en octobre 1983 par la revue Science et Technique. Ce rapport est intitulé La Révolution de l’intelligence [14]. Il complète alors très bien les travaux de Bell et des prospectivistes américains Alvin Toffler [15] et John Naisbitt [16]. Ce travail a été directement diffusé en Wallonie grâce à une personnalité clef : Raymond Collard, ancien professeur d’économie à l’UNamur et directeur du Service des Études et de la Statistique du ministère de la Région wallonne, animateur dans les années 1990 du Groupe de Recherche et Développement de l’Université de Louvain-la-Neuve. Un tisseur de liens, comme l’a bien qualifié Portnoff [17].

Lors du congrès La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, organisé par l’Institut Destrée en 1987 à Charleroi, Raymond Collard observait qu’on avait pu écrire que la microélectronique intellectualisait l’industrie. Nous vivons, écrivait-il, une révolution industrielle que l’on peut qualifier de “révolution de l’intelligence”. Le développement des possibilités ouvertes par les progrès fulgurants de la microélectronique a ouvert des champs immenses à l’informatique. Demain, on utilisera davantage l’intelligence artificielle, qui se manifestera partout avec la mise en place des ordinateurs de la cinquième génération [18]. Bienfait de la culture numérique, ce texte est toujours en ligne sur le site de l’Institut Destrée où il a été publié voici près d’un quart de siècle…

2. La Révolution numérique est-elle de même nature que la Révolution industrielle ?

 Dans son essai de prospective technologique, intitulé Les métamorphoses du futur, Thierry Gaudin constatait dès la fin des années 1980 que si, depuis le début de l’humanité, des inventions procurent des améliorations et évolutions progressives, d’autres comme le feu, l’agriculture, l’imprimerie ou l’ordinateur font faire des bons aux sociétés humaines. Ces ruptures technologiques instaurent, pour un temps plus ou moins long, des systèmes civilisationnels qui tendent à un état stable, avant de connaître une nouvelle déstabilisation. Ces métamorphoses qui rythment les siècles, observe le directeur du Centre de Prospective et d’Évaluation, bouleversent chaque fois le monde occidental [19]. Comme l’avait écrit Bertrand Gille, la notion même de système technique impose, dans une mesure certaine, une mutation globale, et non une série, ou des séries d’inventions indépendantes les unes des autres, de progrès techniques partiels [20].

De tous les changements historiques, la Révolution industrielle est une des grandes ruptures en histoire ; il n’est pas impossible en fait d’affirmer que cela a été la plus importante, a observé l’un des grands spécialistes mondiaux de la Révolution industrielle, le professeur australien Ronald Hartwell (1921-2009) qui a longtemps enseigné à Oxford et montré, contrairement aux idées reçues, l’impact positif de l’industrialisation sur le niveau de vie moyen des populations [21]. Savoir si les mutations en cours sont de même nature que celles qui ont donné naissance aux sociétés industrielles est une question qui peut paraître difficile. Elle s’est au fond déjà posée à la fin du XIXe siècle lorsque de nouvelles vagues d’innovations ont secoué le système technique [22]. Certains soutiendront ainsi que le passage de la machine à vapeur au moteur à explosion alimenté par le pétrole ou que le moteur électrique ont  également constitué une Révolution industrielle semblable à celle du début du XIXe siècle. Je n’en crois rien car ces transformations ont été limitées au système technique mais n’ont pas affecté sensiblement les relations sociales, le capitalisme, le libéralisme politique ni la démocratie.

Ce qui caractérise une révolution industrielle, rappelait un célèbre rapport du Conseil d’Analyse économique, ce n’est pas tant l’apparition d’une nouvelle technologie, car cela se produit presque à chaque instant et il est dans la nature profonde d’une économie de marché d’engendrer de nouvelles technologies et de nouveaux produits. Ce qui définit plutôt une révolution, ce sont les changements qu’entraîne la diffusion d’une technologie dans la façon de produire et de consommer, ou dans les relations de travail, ou encore dans l’aménagement de l’espace et le développement urbain [23]. Probablement faudrait-il remplacer les “ou” par des “et” entre les variables du système qui s’activent dans un mouvement commun de transformation . C’est l’effet d’entraînement qui provoque la mutation et qui peut générer la formidable croissance que les économistes et statisticiens ont mise en évidence au lendemain de la Révolution industrielle [24].

Personnellement, nourri des travaux qui viennent d’être évoqués, ainsi que de ceux qui m’ont inspiré dans les années 1980 sur la Révolution industrielle en Belgique, pilotés par le professeur Pierre Lebrun (1922-2014) de l’Université de Liège, j’ai défendu depuis l’été 1984 que l’informatique était porteuse d’une mutation structurelle et systémique. Dans une revue pédagogique réalisée pour le ministre des Technologies nouvelles Melchior Wathelet, j’écrivais en effet que nous ne sommes déjà plus dans les sociétés industrielles. La technique a effectué, en quatre décennies, des progrès de portées infiniment plus élevées qu’au cours des quatre siècles précédents. La naissance du nouveau système technique à laquelle nous assistons est en train d’entraîner une mutation qui aura pour l’humanité une importance comparable à celle provoquée au siècle passé par l’implantation des premières machines à vapeur.

La seconde révolution industrielle est commencée. Comme la première, elle ne va pas consister en un simple remplacement d’une génération technologique par une autre, mais ce sont tous les domaines de la civilisation qu’elle va affecter : à la fois les principes de la production, l’organisation sociale et la culture. Changement radical, cassure avec la société dans laquelle nous vivons, cette mutation secrète son passage vers une autre ère [25].

On sait en effet depuis l’historien Bertrand Gille (1920-1980) que les progrès techniques peuvent être abordés par leurs interdépendances et donc en les considérant comme un système technique [26] porté par une unité de mouvement dans laquelle le changement enfante le changement [27]. Comme l’indiquaient Gaudin et Portnoff, l’existence de ces interactions traduit le caractère pluridisciplinaire et souvent intersectoriel des principaux progrès [28].

Ainsi, en 2020, comme en 1975, face à l’expression de Révolution numérique, deux voies s’ouvrent à nous : la première est de considérer cette transformation comme une série d’innovations, d’inventions, d’évolutions dans les techniques, donc un changement du système ou du sous-système technique de la société limité à ce sous-système. La seconde voie consiste à regarder cette Révolution comme un changement sociétal, c’est-à-dire une transformation du modèle de société, une mutation de l’ensemble du système dans lequel, par un jeu de contagion ou de domino, un ou plusieurs sous-systèmes activent tous les autres : économique, social, culturel, éducatif, scientifique, d’innovation, écologique, démographique, spatial, pour finalement transformer l’ensemble du système et le porter vers un nouveau paradigme.

3. La Transition : une époque parenthèse

Nous vivons une époque parenthèse, disait John Naisbitt en 1982 [29]. La question qui se pose est celle du passage, ainsi que de la structure de passage : comment les différentes dimensions de la société (économie, culture, technologie, social, démographie, politique, juridique, institutionnelle, …) peuvent-elles évoluer pour passer d’un paradigme sociétal ancien à un modèle nouveau ?

Ce type de transformation peut être rapporté aux théories éclairantes décrites par le chercheur américain d’origine allemande Kurt Lewin (1890-1947). Celui-ci a développé la science expérimentale de la dynamique des groupes, avant de s’intéresser au changement social. Lewin a travaillé sur la notion d’équilibre des forces égales et opposées permettant d’atteindre un état quasi stationnaire. La recherche d’un nouvel équilibre se fait après modification des forces pour provoquer un changement vers cet objectif. Trois périodes marquent ce processus : d’abord, une période de décristallisation pendant laquelle le système remet en question ses perceptions, habitudes et comportements. Les acteurs se motivent. Ensuite, une période de transition, pendant laquelle les comportements et attitudes deviennent instables et contradictoires. Les acteurs en expérimentent puis en adoptent certains. Enfin, une période de recristallisation pendant laquelle l’ensemble du système généralise les comportements pilotes adaptés à la nouvelle situation et harmonise les nouvelles pratiques [30].

Cette transition ne se fait évidemment pas du jour au lendemain. Pour un changement sociétal, la mutation dans ses mouvements longs se mesure en siècles. Pierre Lebrun l’a bien montré pour ce qui concerne la périodisation longue de la Révolution industrielle en Belgique. En 2001, dans ses entretiens avec François L’Yvonnet, Thierry Gaudin nous a prévenus : chaque fois, la transformation complète du système technico-social prend un à deux siècles [31]. Ainsi, si on considère que, en 2020, nous avons parcouru 50 ans de mutations et que nous observons l’ampleur du changement pendant ces cinq décennies, nous aurons de la peine à imaginer la profondeur des changements à venir d’ici 2170…

Pendant toute la durée de la transition, nous vivrons probablement dans ce que j’ai appelé le nouveau paradigme industriel, c’est-à-dire l’espace de trois mouvements simultanés : d’abord, la poursuite de la société industrielle pendant encore quelques décennies, parce que les sous-systèmes culturel, social, politique, administratif continueront à résister aux transformations. Comme l’écrit Gaudin, à chaque transformation du système technique, une classe dirigeante, atteinte d’irréalité, cède la place à de nouveaux venus moins arrogants, mais plus efficaces [32]. Ensuite, le mouvement créé par l’informatique, la télécommunication, la connaissance, toutes leurs innovations, forme un deuxième axe de développement, d’abord parallèle, puis qui progressivement se superpose au premier. Nous l’appelons Révolution numérique ou Révolution cognitive, cette dernière appellation ayant ma préférence. Elle agit de plus en plus vigoureusement depuis la fin des années 1960. Enfin, un troisième mouvement, né à peine plus tard, nous interpelle et en bâtit un troisième qui interagit avec les deux premiers :  le développement durable. Sa prise de conscience est liée au programme Apollo, à la vue et la prise de conscience de cette biosphère et de ses limites que le Rapport Meadows patronné par Jay W. Forrester (MIT) et Aurelio Peccei (Club de Rome) va bien mettre en évidence dès 1972. Toutes les questions liées à l’empreinte humaine trop pesante sur le climat et sur la planète – ce qu’on appelle aujourd’hui l’anthropocène – s’y inscrivent.

4. Quatre pôles de restructuration du système

Les métamorphoses dont parlaient Gaudin et Portnoff se manifestent par l’évolution simultanée de quatre domaines en étroites relations. Ainsi, selon un modèle inspiré par Bertrand Gille, quatre pôles restructurent l’ensemble du système civilisationnel : matière, énergie, temps et relation avec le vivant  [33].

La mutation à partir du système technique médiéval vers le système industriel se manifeste dans les quatre pôles : en matière d’énergie, c’est la combustion qui remplace progressivement la force animale (ou humaine), l’éolien et l’hydraulique. Aux passages du XVIIIe au XXe siècle, les besoins en énergie vont être rencontrés en utilisant le bois, le charbon de terre, le pétrole et l’électricité. L’acier et le ciment remplacent comme matériaux le bois, la pierre et le fer de l’ancien régime. Lors de la Révolution industrielle, le rapport au temps change, par décrochage des rythmes solaires, les cadrans solaires, clepsydre, sablier et horloges à poids sont remplacés par des horloges à pendules puis par des chronomètres précis. La relation très empirique avec le vivant, construite sur la domestication des plantes et des animaux fait place à la classification, à la compréhension de l’évolution (Charles Darwin) et à la connaissance de la microbiologie (Louis Pasteur).

Dans la nouvelle transition vers la société numérique – ou mieux cognitive -, on observe des transformations similaires dans les quatre pôles : une formidable tension s’instaure entre la puissance de l’énergie électrique nucléaire et de l’économie des ressources énergétiques dans un contexte de recyclage et un redéploiement de sources non fossiles, un hyperchoix marque le domaine des matériaux qui, eux aussi, deviennent intelligents et percolent horizontalement, allant des usages dans les secteurs de pointes aux utilisations les plus usuelles. La nouvelle structure du temps est rythmée en nanosecondes par les microprocesseurs. Enfin,  la relation avec le vivant est marquée par l’immense domaine des biotechnologies, y compris la génétique qui réinterroge l’espace humaine, son évolution, son avenir [34].

C’est également au travers de ces quatre pôles qui les structurent que l’on peut comparer les processus qui ont favorisé les deux révolutions sociétales ou civilisationnelles en s’inspirant des circonstances extérieures et des éléments intérieurs qui avaient permis la Révolution industrielle sur le continent européen au XIXe siècle. Dans le modèle que j’ai construit sur base des travaux de l’historien Pierre Lebrun et de son équipe, sept facteurs sont déterminants. D’emblée, je peux proposer, en vis-à-vis, sept facteurs qui correspondent dans le modèle de la Révolution numérique ou cognitive.

(1) Ainsi, dans le modèle industriel, l’imitation provient de la Révolution industrielle anglaise. Bien entendu, on songe aux techniques : pompes à feu de Newcomen ou machine à vapeur de Watt, mais il faut également embarquer les recettes et méthodes économiques : Adam Smith en constitue l’exemple parfait. Dans la Révolution numérique, l’influence est certainement nord-américaine et même plus précisément celle de la Silicon Valley. On sait également l’importance de Seattle avec Microsoft. J’ai déjà évoqué Boston avec le MIT…

(2) Au facteur de la Révolution française comme effet majeur de destruction des corporations permettant l’accessibilité de tous à tous les métiers, la liberté d’entreprendre, la libération de la créativité, peuvent correspondre, pour la Révolution numérique, aux efforts de libéralisation de l’Union européenne : libéralisation des marchés, des services, des capitaux par les différents traités.

(3) La création d’un grand marché européen protégé de l’Angleterre, sous la République française, le Consulat et l’Empire, avec suppression des douanes ont boosté la Révolution industrielle du début du XIXe siècle. Ce même facteur peut être trouvé pour la Révolution cognitive pour ce qui concerne la globalisation, et notamment l’Organisation mondiale du Commerce.

(4) Aux progrès de l’agriculture, grâce notamment aux changements climatiques favorables du XVIIIe siècle (reprise de l’activité solaire à partir de 1710), mais aussi aux perfectionnements de ce que certains ont, probablement à tort, appelé la Révolution agricole, j’ai fait correspondre ce facteur d’innovation que constituent les progrès de la science. On sait que la recherche-développement comme nous la connaissons aujourd’hui n’existe pas pour la Révolution industrielle machiniste. Celle-ci est activée par des inventeurs et des techniciens, qui travaillent souvent en marge du développement des connaissances scientifiques : les Thomas Bonehill (1796-1858), Zénobe Gramme (1826-1901), Étienne Lenoir (1822-1900) ne sont pas des chercheurs, mais des ouvriers, des ingénieurs, des inventeurs.

(5) Au développement de l’infrastructure – route, canaux, mais aussi surtout chemin de fer – produit et moteur de la Révolution industrielle du XIXe siècle, investissement majeur de l’État réalisé par la bourgeoisie censitaire arrivée au pouvoir en 1830 – correspond évidemment, dans la Révolution cognitive, l’explosion de la connectivité. Son importance est telle que le sociologue espagnol Manuel Castells, professeur à Berkeley, a pu écrire que la révolution technologique actuelle avait fait naître La Société en réseaux, The Network Society [35].

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(6) La création des manufactures, destructrice du travail à domicile et lieu de formation et d’intégration dans la société industrielle, a constitué un facteur majeur de cette Révolution. Dans la société de la connaissance, c’est le système éducatif qui est devenu central parce que premier lieu de l’apprentissage, même s’il connaît des tensions voire est remis en cause par le système socio-économique en évolution rapide.

(7) Enfin, dans les deux mutations, le rôle des entrepreneurs est fondamental. À la fois parce que l’initiative leur revient, individuellement et collectivement. C’est à eux qu’appartiennent les décisions majeures d’adoption des techniques dans les secteurs clefs. De John Cockerill (1790-1840) à Jean Stéphenne, pour prendre deux entrepreneurs emblématiques des deux mutations en Wallonie, ces capitaines d’industrie ont piloté avec innovation une stratégie de transformation de leur domaine.

5. Les technologies-clefs à l’œuvre dans les quatre pôles de transformation

Le système technique est évidemment actif, de manière transversale dans les quatre pôles de transformation. Régulièrement, les chercheurs, pouvoirs publics, consultants, voire les trois ensemble, listent les technologies-clefs permettant d’anticiper les stratégies sectorielles à mettre en place. Les entreprises sont attentives à ces exercices réguliers comme Prométhée, organisé par le ministère de la Région wallonne fin des années 1990 dans le cadre de la Regional Innovation Strategy (RIS) de la Commission européenne [36], les 47 technologies-clefs à l’horizon 2020 destinées à préparer l’industrie du futur listées en 2014-2015 par le ministère français de l’Industrie et du Numérique [37], le travail mené en 2014 par TNO pour le Parlement européen dans le cadre d’Horizon 2020 [38], l’inventaire – réalisé en 2018 et plus normatif – High Tech Strategy 2025 du ministère fédéral allemand de la Recherche [39], etc. Les grands bureaux de consultants développent régulièrement ce type d’outil : on pense notamment au McKinsey Global Institute qui publie des listes de technologies dites de ruptures [40]. En 2016, la Commission européenne a mis en place un KETs Observatory, destiné à fournir des informations aux institutions, mais aussi aux acteurs des différents pays européens sur les technologies (Key Enabling Technologies) développées dans les différentes parties du monde et bénéficiant de l’attention qui leur est portée par les entreprises [41]. La Commission met également en avant les Technologies futures émergentes : FET (Future Emerging Technologies). Tous ces efforts sont utiles et précieux, même si les temporalités de ces émergences, annoncées par ces prospectives, sont rarement en phase avec les annonces.

Il est donc possible de s’interroger sur les secteurs d’innovation qui portent les pôles de transformation dans la Révolution numérique et constituent ainsi le système technique numérique du XXIe siècle. Celui-ci apparaît d’un tel foisonnement que nous avons, pour le modéliser, limité les secteurs à quatre par pôles et gardé les secteurs d’innovations les plus structurants ou transversaux dans les interstices. En parcourant les travaux susmentionnés, nous avons retenu les secteurs d’innovation qui suivent :

– pôle énergie : énergies renouvelables, véhicules électriques, exploration avancée et récupération du pétrole et du gaz, stockage d’énergie, etc.

– pôle matériaux : imprimantes 3D, économie circulaire, matériaux avancés, internet des objets, etc.

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– pôle de structure du temps : hyperconnectivité et temps réel, déplacements à grande vitesse, véhicules autonomes, informatique quantique, etc.

– pôle de relation au vivant : les innovations médicales, la cybersécurité, l’automatisation du travail cognitif, la prochaine génération de la génomique, etc.

Dans les interstices et transversalités, j’ai placé avant tout ce qui favorise les réseaux, les accès, le travail collaboratif : technologie cloud, internet mobile, technologie blockchain, ainsi que les mastodontes porteurs que sont notamment la robotique avancée (Industrie 4.0), les Smart Cities, l’intelligence artificielle. On sait néanmoins que la dynamique la plus transformatrice à long terme est faite de l’alliance entre l’informatique sous toutes ses formes et la biologie, dans l’axe des sciences du vivant.

 

Conclusion : une transformation inscrite dans le long terme, entre passé, présent et futur

Davantage qu’une simple évolution du système technique, le numérique constitue vraiment une transformation de celui-ci, déclencheur d’une Révolution industrielle que nous appelons cognitive, et qui s’inscrit dans le long terme, passé, mais surtout futur. Passé parce que cette mutation a commencé fin des années 1960 – début des années 1970, même si de nombreux prolégomènes seraient nécessaires pour décrire toutes les étapes permettant de parvenir au moment où l’ordinateur longtemps analogique devient essentiellement numérique [42]. J’aime assez la proposition d’Henri Lilen de prendre comme étape-clef l’invention du microprocesseur 4004 par les ingénieurs d’Intel Corporation en 1971 : Marcian “Ted” Hoff, Frederico Faggin, Stanley Mazor et Masatoshi Shima [43]. C’est peut-être ce moment déclencheur qui rend les éléments complémentaires et cohérents pour provoquer la mutation technique plus ou moins globale qu’évoquait Bertrand Gille [44].

Cependant, cette Révolution s’inscrit surtout dans le futur parce que, comme le souligne régulièrement Thierry Gaudin, elle n’a probablement parcouru qu’une partie de son chemin et que, dès lors, l’ampleur des changements à venir durant les quelques prochaines décennies est évidemment considérable, en particulier dans les relations avec le vivant.

C’est assurément pour cette raison que les êtres humains doivent rester à la barre. En particulier les entrepreneurs dont j’ai dit l’importance centrale, même si la société est concernée dans son ensemble. Car, ne nous y trompons pas, la compréhension commune du monde “qui est” et la vision partagée de celui “qui pourrait être” ont une influence déterminante sur le comportement des femmes et des hommes, quelle que soit l’époque dans laquelle ils vivent et celle qu’ils veulent construire.

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Ce papier est la remise au net de la Master Class donnée le 20 mai 2020 par MS Teams devant le personnel de NSI dans le cadre de l’Université NSI organisée à l’initiative de son directeur général, Manuel Pallage. NSI est une société de services informatiques membre du Groupe IT Cegeka. https://www.nsi-sa.be/

[2] Jacques ELLUL, Le Système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977. (rééd. Le Cherche Midi, 2004, p. 103-104.).

[3] Daniel BELL, The Social Framework of the Information Society (1975) in Tom FORESTER ed., The Microelectronics Revolution, Oxford, Basil Blackwell, 1980. – et aussi dans Michael DERTOUZOS & Joel MOZES eds, The Computer Age, A Twenty Year View, Cambridge Ma, MIT Press, 1980.

[4] Henri LILEN, La Belle histoire des révolutions numériques, Électronique, Informatique, Robotique, Internet, Intelligence artificielle, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2019. Henri Lilen évoque la Révolution numérique comme seconde révolution industrielle. Il considère que si l’informatique est née en 1948, c’est l’invention en 1971 du micro-processeur qui déclenche la véritable numérisation de la société. (p. 11).

[5] technique : nous faisons nôtre la définition d’André Lebeau : une activité dont l’objet est de donner forme à la matière en recourant pour cela à différentes formes d’énergie. A. LEBEAU, Système technique et finitude planétaire, dans  Th. GAUDIN et Elie FAROULT coord., L’empreinte de la technique, Ethnotechnologie prospective, Colloque de Cerisy, p. 21, Paris, L’Harmattan, 2010.

[6] La révolution culturelle et industrielle à laquelle nous assistons est aussi importante que la naissance de l’écriture ou l’invention de l’imprimerie. Ceux qui passeront à côté de cet enjeu seront mis de côté pour longtemps. Ce serait une tragédie pour la Wallonie. Eric DEFFET, Paul Magnette : Passer à côté de la Révolution numérique serait une tragédie pour la Wallonie, dans Le Soir, 25 mars 2015. https://www.lesoir.be/art/832312/article/actualite/belgique/politique/2015-03-25/paul-magnette-passer-cote-revolution-numerique-serait-une-tragedie-pour-w

[7] C’est ce que Pierre Musso qualifie justement de baillon sonore ou baillon médiatique. P. MUSSO, « Révolution numérique » et « société de la connaissance », dans Ena Hors Les Murs, 1er avril 2014, p. 47-49.

[8] Jean DEFRAIGNE, L’économie wallonne, hier, aujourd’hui et demain, dans Wallonie 74, n°2, Conseil économique régional de Wallonie, p. 102-106.

[9] Richard HODSON, Digital revolution, An explosion in information technology is remaking the world, leaving few aspects of society untouched, in Nature Outlook, 29 November 2018. https://media.nature.com/original/magazine-assets/d41586-018-07500-z/d41586-018-07500-z.pdf

[10] Alain TOURAINE, La Société post-industrielle, Paris, Denoël, 1969.

[11] Simon NORA et Alain MINC, L’informatisation de la société, Rapport à M. le Président de la République, p. 11, Paris, La Documentation française, 1978. Sur la critique du concept : Frank WEBSTER, Theories of the Information Society, New York, Routledge, 1995.

[12] D. BELL, Notes on the Post-Industrial Society in Public Interest, n°6 & 7, 1967.

[13] The post-industrial society, it is clear, is a knowledge society in a double sense: first, the sources of innovation are increasingly derivative from research and development (and more directly, there is a new relation between science and technology because of the centrality of theorical knowledge); second, the weight of the society – measured by a larger proportion of Gross National Product and larger share of employment – is increasingly in the knowledge field. D. BELL, The Coming of Post-industrial Society, A Venture in Social Forecasting, p. 212, London, Heinemann, 1974.

[14] La Révolution de l’intelligence, Rapport sur l’état de la technique, Paris, Ministère de l’Industrie et de la Recherche, Numéro Spécial de Sciences et Techniques, Octobre 1983.

[15] Alvin TOFFLER, The Third Wave, New York, William Morrow and Company, 1980. – Edition française : La Troisième vague, Paris, Denoël, 1980.

[16] John NAISBITT, Megatrends, Ten New Directions Transforming our Lives, New York, Warner Book, 1982. – London and Sydney, Futura – Macdonald & Co, 1984. – Edition française : Les dix commandements de l’avenir, Paris-Montréal, Sand-Primeur, 1982.

[17] André-Yves PORTNOFF, Raymond Collard, un tisseur de liens, Note, Paris, 10 septembre 2018. Sur Raymond Collard, voir aussi : Ph. DESTATTE, Les métiers de demain… Question d’intelligence(s), Blog PhD2050, 24 septembre 2018. https://phd2050.org/2018/09/24/helmo2018/

[18] Raymond COLLARD, Prospective 2007… sorties de la crise, transformations des modes de production, du travail et de l’emploi, 1987. http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie-Futur-1_1987/WF1-CB05_Collard-R.htm #

[19] Thierry GAUDIN, Les métamorphoses du futur, Essai de prospective technologique, p. 5-6, Paris, Economica, 1988.

[20] B. GILLE dir., Histoire des techniques, Technique et civilisations, Technique et Sciences, coll. Encyclopédie de la Pléade, p. 773-774, Paris, NRF, 1978.

[21] Ronald Max HARTWELL, The Causes of the Industrial Revolution, An Essay in Methodology, in The Economic History Review, vol. 18, 1, p. 164-182, August 1965.

[22] Le système technique selon B. Gille : à chaque époque, les savoir-faire que maîtrise l’être humain forment un ensemble cohérent parce qu’ils sont liés entre eux par un réseau d’interactions. A. LEBEAU, Système technique et finitude planétaire…, p. 21.

[23] Nicolas CURIEN et Pierre-Alain MUET, La société de l’information, Rapport du Conseil d’Analyse économique, p. 9, Paris, La Documentation française, 2004.

[24] Angus MADDISON, L’économie mondiale, Une perspective millénaire, p. 280sv, Paris, OCDE, 2001.

[25] Ph. DESTATTE, Mutations, dans Actualquarto n° 355, du 6 septembre 1984, p. 8-9.

https://phd2050.org/2018/10/05/mutations-1984/

[26] toutes les techniques sont, à des degrés divers, dépendantes les unes des autres, et (qu’) il faut nécessairement entre elles une certaine cohérence : cet ensemble de cohérences aux différentes niveaux de toutes les structures de tous les ensembles et de toutes les filières compose ce qu’on peut appeler un système technique. Bertrand GILLE, Prolégomènes à une histoire des techniques, dans B. GILLE dir., Histoire des techniques, Technique et civilisations, Technique et Sciences, coll. Encyclopédie de la Pléade, p. 19, Paris, NRF, 1978.

[27] David S. LANDES, L’Europe technicienne, coll. Bibliothèque des idées, p. 11, Paris, Gallimard, 1975. – The Unbound Promotheus, Technological change and industrial Development in Western Europe from 1750 to the present, p. 2, London – New York, Cambridge University Press, 1969. – La Révolution de l’intelligence…, p. 31.

[28] La Révolution de l’intelligence…, Ibidem.

[29] John NAISBITT, Megatrends, p. 249-250, New York, Warner Books, 1982.

[30] K. LEWIN, Psychologie dynamique, Les relations humaines, coll. Bibliothèque scientifique internationale, p. 244sv., Paris, PuF, 1964. – Bernard BURNES, Kurt Lewin and the Planned Approach to change: A Re-appraisal, Journal of Management Studies, septembre 2004, p. 977-1002.

[31] Thierry GAUDIN, L’avenir de l’esprit, Prospectives, Entretiens avec François L’Yvonnet, Paris, Albin Michel, 2001. –  Th. Gaudin avait déjà évoqué ces grands vagues technologiques d’environ deux siècles dans Th. GAUDIN, Les métamorphoses du futur, Essai de prospective technologique, p. 5, Paris, Economica, 1988.

[32] Th. GAUDIN, 2100, Récit du prochain siècle, p. 54-55, Paris, Payot, 198

[33] Thierry GAUDIN, Les métamorphoses du futur, Essai de prospective technologique, p. 5-6, Paris, Economica, 1988.

[34] Th. GAUDIN et André-Yves PORTNOFF, Rapport sur l’état de la technique : la révolution de l’intelligence, Paris, Ministère de la Recherche, 1983 et 1985.

[35] Manuel CASTELLS, The Rise of the Network Society, Oxford, Wiley-Blackwell, 1996.

[36] Prométhée, Une politique d’innovation à la hauteur des stratégies régionales,  Namur, Région wallonne, 2000.

https://recherche-technologie.wallonie.be/fr/menu/archives/archives/programme-promethee.html

[37] Technologies Clés 2020, Préparer l’avenir de l’industrie du futur, Paris, Ministère de l’Industrie et du Numérique, Direction générale des Entreprises, 2016. https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/politique-et-enjeux/innovation/technologies-cles-2020/technologies-cles-2020.pdf

[38] Maurits BUTTER e.a., Horizon 2020: Key Enabling Technologies (KETs), Booster for European Leadership in the Manufacturing Sector, TNO-European Parliament, October, 2014.

https://www.researchgate.net/publication/272613645_Horizon_2020_Key_Enabling_Technologies_KETs_Booster_for_European_Leadership_in_the_Manufacturing_Sector

[39] High Tech Strategy 2025, Research and Innovation that benefit the people, Berlin, Bundesministerium für Bildung und Forschung, September 2018. https://www.bmbf.de/upload_filestore/pub/Research_and_innovation_that_benefit_the_people.pdf

[40] Mc Kinsey Global Institute : https://www.mckinsey.com/mgi/our-research/technology-and-innovation

[41] Key Enabling Technologies (KETs) Observatory, Knowledge for Policy, 26 January 2018 :

https://ec.europa.eu/knowledge4policy/publication/key-enabling-technologies-kets-observatory_en

[42] B. GILLE, Histoire des Techniques…, p. 919.

[43] Microprocesseur  distribué en 4 circuits, fonctionnant sur 4 bits et regroupant 2300 transistors. H. LILEN, op. cit., p. 166-168

[44] B. GILLE, Histoire des Techniques…, p. 914.

Referring to a study in March 2017 by the Institute for the Future (Palo Alto, California), the Mosan Free University College (HELMo) [1] noted, at the start of the 2018-2019 academic year, that 85% of the jobs in 2030 have not yet been invented [2]. The HELMo team rightly pointed out that population ageing, climate and energy changes, mass migrations and, of course, digital technologies, robotisation and other scientific advances are all drivers of change that will revolutionise the entire world. Highlighting its vocational emphasis as a higher education institution, it wondered whether the jobs for which it was training people today would still exist tomorrow. At the same time, its Director-President Alexandre Lodez, along with the teaching staff representative, lawyer Vincent Thiry, and the student representative, pointed out that HELMo did not only want to train human operational resources in response to a particular demand from the labour market, but also wanted to train responsible citizens capable of progressing throughout their careers and lives. Everyone was asking a key question: What, therefore, are the key skills to be consolidated or developed?

I will try to answer this question in three stages.

Firstly, by mentioning the global upheavals and their effects on jobs. Then, by drawing on a survey carried out by futurists and experts from around the world this summer, the results of which were summarised in early September 2018. And finally, by a short conclusion expressing utopia and realism.

1. Global upheavals

On the issue of technical and economic changes, we could proceed by mentioning the many contemporary studies dealing with this topic, including those by Jeremy Rifkin [3], Chris Anderson [4], Dorothée Kohler and Jean-Daniel Weisz [5], François Bourdoncle and Pierre Veltz and Thierry Weil [6]. We could also describe the New Industrial Paradigm [7]. Or, to reflect current events, we could even call on Thierry Geerts, head of Google Belgium, whose work, Digitalis [8] is very popular at present.

But it is to Raymond Collard that I will refer. Former professor at the University of Namur, Honorary Director-General of the Research, Statistics and Information Service at the Ministry of the Wallonia Region – the current Public Service of Wallonia – and scientific coordinator of the permanent Louvain Research and Development Group, Raymond Collard was born in 1928, but his death in Jemeppe-sur-Meuse on 8 July 2018 was met with indifference by Wallonia. It was only through an email from my colleague and friend André-Yves Portnoff on 13 September that I learned, from Paris, about his death.

On 15 March 1985, an article in the journal La Wallonie caught my attention. The title of this paper by Raymond Collard was provocative: Seeking Walloon pioneers! But the question was specific and could be asked again thirty-three years later: Are there, among the readers of this journal, men and women who can identify large or small businesses in Wallonia that truly live according to the principles of the “intelligence revolution”? The paper made reference to the presentation, in Paris, of the report drawn up by a team led by futurists: according to the report on the state of technology, we are witnessing the advent not of the information society, as is often said, particularly in Japan, but of the “creation society”, whose vital resource is intelligence and talent rather than capital. That is also why we talk of the intelligence revolution, a revolution which requires the harnessing of intelligence, something which cannot be done by force. The normal relationships between power and skills are altered at all levels.

The report itself, entitled La Révolution de l’intelligence [9], complemented my reading of the works of John Naisbitt [10] and Alvin Toffler [11]. It was described extensively by Raymond Collard. This relationship builder, as André-Yves Portnoff [12] called him, had travelled to Paris for the presentation of this document by Thierry Gaudin, civil engineer and head of the Centre de Prospective et d’Évaluation [Foresight and Assessment Centre] at the French ministry of Research, and Portnoff, then editor-in-chief of Sciences et Techniques, published by the French Society of Scientists and Engineers. The Minister for Research and Technology, Hubert Currien, and the Minister for Industrial Redeployment and Foreign Trade Edith Cresson were present at the event. Both were members of the government of Laurent Fabius while François Mitterrand was President of the Republic. It is not surprising that two ministers were present since the Centre de Prospective et d’Évaluation (CPE) was a service common to both ministries.

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After finding this report, then photocopying it in the library, I literally devoured it – and then bought it on eBay. In 2018, it spells out a first clear message: the upheavals we are experiencing today are not new, even if they seem to be gathering momentum. Another message from Thierry Gaudin is that the cognitive revolution, reflected in the changes underway, has been ongoing since the start of the 1970s and will continue for several more decades.

I was not surprised then, as I am not surprised now. The conceptual context of the evolution of the technological system, leading to widespread change in all areas of society, is one I was familiar with. It had been taught to me at the University of Liège by Professor Pierre Lebrun, a historian and economist with a brilliant, incisive mind, whose astute words I would go and listen to, as one might listen to some freebooter down at the harbour. I taught this conceptual context to my students at Les Rivageois (Haute École Charlemagne) and at the High School Liège 2, and I teach it still at the University of Mons and even in Paris. Which is only fitting.

The analysis model for this context was conceptualised by Bertrand Gille, a technology historian and Professor at the École pratique des Hautes Études in Paris. In it, the director of the remarkable Histoire des Techniques in L’Encyclopédie de La Pléade, at Gallimard [13], clearly showed that it was the convergence of the rapid changes in the levels of training among the population and the spread of scientific and technical knowledge that was the driver of the technological progress that brought about the engineering Industrial Revolution. It will come as no surprise that Bertrand Gille was also a former teacher of Professor Robert Halleux, who was himself the founder of the Science and Technology Centre at the University of Liège. In this way, Bertrand Gille left his mark on several generations of researchers, historians and futurists, some devoting themselves to just one of the tasks, others to the other, and still others to both.

This model, which was reviewed by Jacques Ellul and Thierry Gaudin, imagines that the medieval technological system, highlighted by Fernand Braudel, Georges Duby and Emmanuel Leroy Ladurie, corresponds to an industrial technological system, which was the driving force and the product of an Industrial Revolution, described by Pierre Lebrun, Marinette Bruwier et al.[14], and, finally, a technological system under development, under construction, fostering the Intelligence Revolution and far from over. Land was key in the first revolution, capital in the second, and the third is based on the minds of men and women. Each time, it is materials, energy, the relationship with living beings and time that are involved.

In 1985, Raymond Collard explained what he had clearly understood from the report produced by Gaudin and Portnoff and the several hundred researchers they enlisted: the importance of the four major changes in the poles that are restructuring society:

– the huge choice of materials and their horizontal percolation, ranging from uses in the high-tech sectors to more common uses;

– the tension between nuclear power and saving energy resources, in a context of recycling;

– the relationship with living beings and the huge field of biotechnology, including genetics;

– the new structure of time punctuated in nanoseconds by microprocessors.

Raymond Collard explored all these points some time later in a remarkable speech to the first Wallonia toward the future Congress in Charleroi, in October 1987, entitled: Foresight 2007 … recovering from the crisis, changes in work production methods and employment, which is still available online on The Destree Institute website [15]. In this speech, Collard, who was Professor at the Faculty of Economics and Social Sciences at the University of Namur, noted the following: it has been written that microelectronics is intellectualising industry. We are experiencing an industrial revolution that can be described as an “intelligence revolution”. The development of the possibilities created by the dramatic advances in microelectronics has opened up vast spheres to computer technology. Tomorrow, we will make greater use of artificial intelligence, which will be in evidence everywhere with the implementation of fifth-generation computers [16].

The 1985 report by the CPE remains a mine of information for anyone wanting to understand the changes underway, by looking both retrospectively – examining futures that did not happen – and prospectively – envisaging possible futures to construct a desirable future. There are some precepts to be drawn that are useful mainly for higher educational institutions and our businesses. The following give us cause to reflect:

experience shows that the introduction of new technologies is harmonious only if the training comes before the machines” (p.15).

it is no longer possible to develop quality without giving each person control over their own work” (p.15).

giving a voice only to management means wasting 99% of the intellectual resources in the business” or the organisation. (…) Harnessing all the intelligence is becoming essential (p.42).

“a successful company is one that is best able to harness the imagination, intelligence and desire of its staff” (45).

“the new source of power is not money in the hands of a few, but information in the hands of many”. Quotation taken from the works of John Naisbitt (p.45).

But, above all, the text shows, in the words of the German philosopher Martin Heidegger, that the essence of technology has nothing to do with technology [17]. Everything in technology was first dreamed up by man, and what has been successful has also been accepted by human society, states the report [18]. For this report on the state of technology is also a lesson in foresight. It reminds us, specifically through retrospect, that we are very poor at anticipating what does not already exist. Of course, as Gaston Berger stated on several occasions, the future does not exist as an object of knowledge. It exists solely as a land for conquest, desire and strategy. It is the place, along with the present, where we can innovate and create.

We often mistakenly believe that technologies will find their application very quickly or even immediately. Interviewed in February 1970 about 1980, the writer Arthur Koestler, author of Zero and Infinity, envisaged – as we do today – our houses inhabited by domestic robots that are programmed every morning. He imagined electric mini-cars in city centres closed to all other forms of traffic. He thought that telematic communications would, in 1980, allow us to talk constantly by video so as to avoid travelling. Interviewed at the same time, the great American futurist Herman Kahn, cofounder of the Hudson Institute, imagined that, in 1980, teaching would be assisted by computers which would play, for children, an educational role equivalent to the role filled by their parents and teachers[19].

The world continues to change, sustained, and also constrained, by the four poles. The transition challenges us and we are trying to give the impression that we are in control of it, even if we have no idea what we will find during its consolidation phase, sometime in the 22nd century.

Which jobs will survive these upheavals? Such foresight concerning jobs and qualifications is difficult. It involves identifying changes in employment and jobs while the labour market is changing, organisations are changing and the environment and the economic ecosystem are changing. But it also involves taking into account the possible life paths of the learners in this changing society [20], anticipating skills needs and measuring workforce turnover.

What we have also shown, by working with the area authorities, vocational education institutions and training bodies is that it is often at micro and territorial level that we are able to anticipate, since it seems that the project areas will be required, in ten to fifteen years at the latest, to be places for interaction and the implementation of (re)harmonised education, training and transformation policies for our society, with varying degrees of decentralisation, deconcentration, delegation, contractualisation and stakeholder autonomy. It is probably the latter context that will be the most creative and innovative, and one in which progress must be made. This requires cohesive, inspirational visions per area at the European, federal, regional and territorial level.

In leading the permanent Louvain Research and Development Group since the mid-1960s, particularly with the help of Philippe le Hodey and Michel Woitrin and the support of Professor Philippe de Woot, Raymond Collard had successfully set up and operated a genuine platform of the sort advocated by the European Commission today. Referring, as always, to Thierry Gaudin, he noted in 2000 that understanding innovation means grasping technology, not in terms of what is already there but in terms of revealing what is not yet there [21]. And although Raymond Collard recognised that this required a considerable R&D effort, he observed that this was not enough: as an act of creation which the market has to validate, innovation is the result of an interdisciplinary and interactive process, consisting of interactions within the business itself and between the business and its environment, particularly in terms of “winning” and managing knowledge and skills [22]. With, at the heart its approach, the idea, dear to François Perroux and highlighted by the work of the Louvain Research and Development Group in 2002, that a spirit is creative if it is both open and suited to combining what it receives and finding new combinatorial frameworks [23].

This thought is undoubtedly still powerful, and will remain so.

2. Foresight: from technological innovation to educational innovation

Like any historian, the futurist cannot work without raw material, without a source. For the latter, collective intelligence is the real fuel for his innovative capacity.

To that end, in 2000, The Destree Institute joined the Millennium Project. This global network for future studies and research was founded in 1996 in Washington by the American Council for the United Nations University, with the objective of improving the future prospects for humanity. It is a global participatory think tank, organised in more than sixty nodes, which are themselves heads of networks, involving universities, businesses and private and public research centres. Since 2002, The Destree Institute has represented the Brussels-Area Node which aims to be cross-border and connected with the European institutions [24].

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In preparation for a wide-ranging study entitled Future Work/Technology 2050, the Millennium Project Planning Committee drafted some global scenarios to which they sought reactions from around 450 futurists and other researchers or stakeholders. A series of seminars was organised in twenty countries in order to identify the issues and determine appropriate strategies to address them. It was on this basis that a series of real-time consultations with experts (Real-Time Delphi) was organised on issues of education and learning, government and governance, businesses and work, culture and art and science and technology. From a series of 250 identified actions, 20 were selected by the panel of experts in the field of education and learning.

The complete list of the 20 actions is shown below. I have ordered them, for the first five at least, according to their level of relevance – effectiveness and feasibility –, as they were ranked by the international panel.

The first action on this list concerns the educational axes. This involves:

4. Increase focus on developing creativity, critical thinking, human relations, philosophy, entrepreneurship (individual and teams), art, self-employment, social harmony, ethics, and values, to know thyself to build and lead a meaningful working life with self-assessment of progress on one’s own goals and objectives (as Finland is implementing). 

The second will delight futurist teachers, since it involves:

20. Include futures as we include history in the curriculum. Teach alternative visions of the future, foresight, and the ability to assess potential futures. 

The third action is a measure of social cohesion:

6. Make Tele-education free everywhere; ubiquitous, lifelong learning systems.

The fourth, in my view, is probably the most important at the operational level:

2. Shift education/learning systems more toward mastering skills than mastering a profession. 

The fifth will totally transform the system:

3. In parallel to STEM (and/or STEAM – science, technology, engineering, arts, and mathematics) create a hybrid system of self-paced inquiry-based learning for self-actualization; retrain teachers as coaches using new AI tools with students.

The 15 other actions are listed in no particular order, some complementing initiatives on the ground, particularly in the Liège-Luxembourg academic Pole.

1. Make increasing individual intelligence a national objective of education (by whatever definition of intelligence a nation selects, increasing “it” would be a national objective). 

5. Continually update the way we teach and how we learn from on-going new insights in neuroscience. 

7. Unify universities and vocational training centres and increase cooperation between schools and outside public good projects.

8. Utilize robots and Artificial Intelligence in education. 

9. Focus on exponential technologies and team entrepreneurship.

10. Change curriculum at all levels to normalize self-employment. 

11. Train guidance counsellors to be more future-oriented in schools. 

12. Share the responsibility of parenting as an educational community. 

13. Promote “communities of practice” that continually seek improvement of learning systems. 

14. Integrate Simulation-Based Learning using multiplayer environments. 

15. Include learning the security concerns with respect to teaching (and learning) technology. 

16. Incorporate job market intelligence systems into education and employment systems. 

17. The government, employers across all industry sectors, and the labour unions should cooperate in creating adequate models of lifelong learning. 

18. Create systems of learning from birth to three years old; this is the key stage for developing creativity, personality. 

19. Create mass public awareness campaigns with celebrities about actions to address the issues in the great transitions coming up around the world [25].

We can appreciate that these actions do not all have the same relevance, status or potential impact. That is why the top five have been highlighted. However, the majority are based on a proactive logic of increasing our capacities for educating and emancipating men and women. The fact that these actions have been thought about on all continents, by disparate stakeholders, with a genuine convergence of thought, is certainly not insignificant.

3. Conclusion: in the long term, humans are the safest bet

As regards Wallonia, and Liège in particular, we are familiar with the need to create value collectively so that we are able to make ourselves autonomous and so that we can be certain of being able to face the challenges of the future. Without question, we must place social cohesion and energy and environmental risks at the top of this list of challenges. Innovative and creative capacities will be central to the skills that our young people and we ourselves must harness to address these challenges. These needs can be found at the core of the educational and learning choices up to 2050 identified by the Millennium Project experts.

The 1985 report on The Intelligence Revolution, as highlighted by Raymond Collard, is both distant from us in retroforesight terms and close to us in terms of the relevance of the long-term challenges it contains. In this respect, it fits powerfully and pertinently into our temporality. In the report, Thierry Gaudin and André-Yves Portnoff noted that setting creation in motion means sharing questions before answers and accepting uncertainty and drift. Dogmatism is no longer possible (…) as a result, utopia is evolving into realism. In the long term, humans are the safest bet [26].

Of course, betting on humans has to be the right decision. It is men and women who are hard at work, and who must remain so. This implies that they are capable of meeting the challenges, their own and also those of the society in which they operate. Technically. Mentally. Ethically.

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] This text is a revised version of a speech made at the start of the HELMo 2018-2019 academic year, on 18 September 2018, on the subject of The jobs of tomorrow... A question of intelligence.

[2] The experts that attended the IFTF workshop in March 2017 estimated that around 85% of the jobs that today’s learners will be doing in 2030 haven’t been invented yet. This makes the famous prediction that 65% of grade school kids from 1999 will end up in jobs that haven’t yet been created seem conservative in comparison. The next era of Human/Machine Partnerships, Emerging Technologies, Impact on Society and Work in 2030, Palo Alto, Cal., Institute for the Future – DELL Technologies, 2017.

http://www.iftf.org/fileadmin/user_upload/downloads/th/SR1940_IFTFforDellTechnologies_Human-Machine_070717_readerhigh-res.pdf

[3] In particular, his best book: Jeremy RIFKIN, The End of Work, The Decline of the Global Labor Force and the Dawn of the PostMarket Era, New York, Tarcher, 1994.

[4] Chris ANDERSON, Makers, The New Industrial Revolution, New York, Crown Business, 2012.

[5] Dorothée KOHLER and Jean-Daniel WEISZ, Industrie 4.0, Les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, p. 11, Paris, La Documentation française, 2016.

[6] François BOURDONCLE, La révolution Big Data, in Pierre VELTZ and Thierry WEIL, L’industrie, notre avenir, p. 64-69, Paris, Eyrolles-La Fabrique de l’Industrie, Colloque de Cerisy, 2015.

[7] Philippe DESTATTE, The New Industrial Paradigm, Keynote at The Industrial Materials Association (IMA-Europe) 20th Anniversary, IMAGINE event, Brussels, The Square, September 24th, 2014, Blog PhD2050, September 24, 2014.

https://phd2050.org/2014/09/26/nip/

[8] Thierry GEERTS, Digitalis, Comment réinventer le monde, Brussels, Racine, 2018.

[9] La Révolution de l’intelligence, Rapport sur l’état de la technique, Paris, Ministère de l’Industrie et de la Recherche, Sciences et Techniques Special Edition, October 1983.

[10] John NAISBITT, Megatrends, Ten New Directions Transforming our Lives, New York, Warner Book, 1982. – London and Sydney, Futura – Macdonald & Co, 1984.

[11] Alvin TOFFLER, The Third Wave, New York, William Morrow and Company, 1980.

[12] André-Yves PORTNOFF, Raymond Collard, un tisseur de liens, Note, Paris, 10 September 2018.

[13] Bertrand GILLE dir., Histoire des Techniques, Techniques et civilisations, Technique et sciences, Paris, Gallimard, 1978.

[14] Pierre LEBRUN, Marinette BRUWIER, Jan DHONDT and Georges HANSOTTE, Essai sur la Révolution industrielle en Belgique, 1770-1847, Brussels, Académie royale, 1981.

[15] Raymond COLLARD, Prospective 2007… sorties de la crise, transformations des modes de production, du travail et de l’emploi, dans La Wallonie au futur, Cahier n°2, p. 124, Charleroi, The Destree Institute, 1987.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie-Futur-1_1987/WF1-CB05_Collard-R.htm

[16] R. COLLARD, Prospective 2007…, p. 124.

[17] This was his 1953 lecture. Martin HEIDEGGER, Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958. – Our translation.

[18] La Révolution de l’intelligence…, p. 182.

[19] La Révolution de l’intelligence…, p. 24.

[20] Didier VRANCKEN, L’histoire d’un double basculement, preface to D. VRANCKEN, Le crépuscule du social, Liège, Presses universitaires de Liège, 2014.

[21] Thierry GAUDIN, Les dieux intérieurs, Philosophie de l’innovation, Strasbourg, Koenigshoffen, Cohérence, 1985.

[22] Raymond COLLARD, Le Groupe permanent Recherche – développement de Louvain, p. 11, Brussels, Centre scientifique et Technique de la Construction (CSTC), 2000.

[23] Permanent Leuven Research and Development Group, 37th year, Peut-on industrialiser la créativité?, 2002. – François PERROUX, Industrie et création collective, t. 1, Saintsimonisme du XXe siècle et création collective, p. 166, Paris, Presses universitaires de France, 1964.

[24] http://www.millennium-project.org/

[25] Jerome GLENN, Results of the Education and Learning Real-Time Delphi that assessed 20 long-range actions to address future works-technology dynamics, Sept 2, 2018.

[26] La Révolution de l’intelligence…, p. 187.

Au XXIème siècle, l’abus de l’utilisation du concept de révolution industrielle nous apparaît flagrant. Après la révolution numérique puis la même mutation que l’on nomme digitale, celle des imprimantes 3D, celle du Big Data – qui sont sans nul doute fondamentalement liées -, il est même jusqu’à l’exploration de Mars qui aurait déjà provoqué une nouvelle révolution industrielle…

2. La Révolution cognitive entamée au XXème siècle

2.1. La Quatrième Révolution industrielle en… 1977 ?

Même s’ils n’ont pas été les premiers à observer la nouvelle vague de transformations [1], Simon Nora et Alain Minc ont bien établi, dès 1978, le lien entre ce qu’ils ont d’emblée appelé la révolution informatique, et les transformations technologiques qui, dans le passé, avaient eu cette vocation de provoquer une intense réorganisation de l’économie et de la société (…) : la machine à vapeur, les chemins de fer, l’électricité. Ainsi que les deux inspecteurs des finances l’écrivaient dans leur rapport au Président Valéry Giscard d’Estaing sur l’informatisation de la société : la « révolution informatique » aura des conséquences plus larges. Elle n’est pas la seule innovation technique de ces dernières années, mais elle constitue le facteur commun qui permet et accélère toutes les autres. Surtout, dans la mesure où elle bouleverse le traitement de l’information, elle va modifier les systèmes nerveux des organisations et de la société tout entière [2]. Ainsi, s’inscrivait-on dans une approche de changement social telle que décrite pour la Révolution industrielle et non la simple apparition de cette quatrième génération d’ordinateurs, celle des circuits intégrés, décrite en 1977 par Jacques Ellul. Celui-ci constatait l’accélération technique à partir d’exemples concrets de résultats si considérables, s’interrogeant pour savoir si on ne devait pas parler d’une quatrième Révolution industrielle… Déjà. [3] Étudiant en 1982 l’économie mondiale sur la trajectoire 1970-1990, le Centre d’Études prospectives et d’Informations internationales (CEPII) tentait, quant à lui, d’y identifier les enjeux d’une Troisième révolution industrielle, en vue de l’élaboration du neuvième plan [4]. Partout en Europe, la corrélation entre automatisation et montée du chômage se fait au moment où le nombre d’inactifs s’accroît et que les tensions sur la sécurité sociale s’accroissent. En décembre 1982, en Belgique, on songe sérieusement à taxer les robots [5]. Trente-cinq ans plus tard, on y réfléchit toujours…

La mise sur le marché, en 1983, de la mémoire RAM de 256 K, quadruplant alors la norme de 64 K est alors lue par le journal Le Monde comme une accélération de la révolution électronique pour des ordinateurs déjà considérés comme surdoués [6]. L’arrivée des PC Advanced Technologies (AT) d’IBM en 1984 – avec une mémoire interne de 512 k et une capacité de disque dur de 20 mégabytes, qualifiée de prodigieuse – donne, elle aussi, aux observateurs, cette impression révolutionnaire [7]. Joël de Rosnay observe alors l’avènement des machines intelligentes et décrit la mutation vers une nouvelle configuration : il se crée ainsi de nouveaux réseaux dans un système social complexe constitué par les hommes, les machines mécaniques et électroniques et les nouveaux moyens de communication intégrant la micro-informatique individualisée. C’est ce réseau pensant, analyse-t-il en octobre 1982, qui va bouleverser les conditions de vie de l’après-2000 en conduisant à ce que l’on pourrait appeler la “dématérialisation de l’économie” [8].

2.2. Vers une société de l’intelligence

C’est par l’intermédiaire de Raymond Collard, et d’un journal quotidien, que j’ai découvert, en avril 1985, le Rapport sur l’état de la technique, dont la présentation venait d’être faite à Paris. Ce nouveau rapport annonçait non pas l’avènement de la société de l’information, mais de la société de la création, dont la ressource essentielle est l’intelligence, le talent, et non plus le capital. C’est aussi pourquoi l’on parle de la révolution de l’intelligence, une révolution qui impose la mobilisation des intelligences, mobilisation qui ne peut pas s’effectuer par la contrainte [9]. Ce que Thierry Gaudin, Marcel Bayen et André-Yves Portnoff venaient de mettre en évidence, faisant suite à deux enquêtes successives sur l’innovation, mobilisant d’abord 300, puis 1200 experts, c’était que le monde occidental faisait face à un changement systémique dans lequel quatre registres de la technique étaient en train de s’activer simultanément, entraînant derrière eux leurs effets multiples sur la société. Ces domaines, en interaction systémique, sont les matériaux, l’énergie, la microélectronique et la biotechnologie / les sciences du vivant. Une mutation profonde des structures y était décrite, transformation pendant laquelle notre société passerait d’une industrie de masse, organisée en hiérarchies, avec du personnel moyennement qualifié, à une industrie de petites unités, structurées en réseaux, à haute densité de matière grise et de talents [10]. La transformation relevait moins des progrès dans chaque domaine que de l’intensité des relations entre ceux-ci et du foisonnement des possibilités offertes : hyperchoix et performances des matériaux (techno-polymères) et de la relation intellectuelle que l’on entretient avec eux (design), diversification ainsi que décentralisation des sources d’énergie et interconnexion de leurs réseaux, transformations des technologies de l’information et de la communication induisant la contraction fondamentale du temps, questions existentielles enfin que posent les sciences du vivant, l’application de l’informatique à la biologie sous le nom de génomique, relations ambigües de l’être humain et de ses sociétés avec la biosphère [11].

Le plus remarquable, peut-être de ce travail prospectif, auquel nous avons souvent fait allusion, et qui se décline ensuite par un grand nombre de développements, c’est qu’il a étendu le modèle d’analyse conçu par Bertrand Gille à l’ensemble de la société contemporaine [12]. François Caron notait d’ailleurs en 1997 que la recomposition du système technique s’est, depuis les années 1960, accompagnée d’une réorientation de la demande sociale. La critique de l’American way of life et la contestation de la consommation de masse de la décennie suivante apparaissent d’ailleurs comme une renaissance de cette société sous une forme nouvelle, correspondant mieux tant à la diversité des goûts des citoyens qu’à la personnalité des opérateurs industriels [13]. A nouveau, on observait un changement de civilisation, systémique dans ses transformations, dans ses effets et dans ses structures, comparable aux révolutions industrielles qui avaient pu se dérouler au Moyen Age ou à la période industrielle et que Jean Gimpel [14] ou Fernand Braudel avaient pu décrire [15].

2.3. La société des valeurs immatérielles

Parmi d’autres, en 1997, Paraskevas Caracostas et Ugur Muldur observent que le monde est entré dans la société de l’apprentissage [16]. De son côté, dans l’hommage qu’il rend à Jacques Lesourne en 1999, Alexis Jacquemin note, que les conditions de compétitivité sont désormais liées aux valeurs immatérielles : qualité de l’éducation et de la formation, efficacité de l’organisation industrielle, capacité d’amélioration continue des processus de production, intensité des efforts de recherche développement, qualité des produits et intégration dans les stratégies d’entreprises, prise en compte de la protection de l’environnement [17] . A côté de l’attention que l’on accorde au système éducatif dans la société de la connais­sance [18], il faut relever le rôle particulier de l’entreprise, celui d’une organisation apprenante au sein de laquelle les connaissances et les processus d’apprentissage construisent les compétences [19]. Dans son effort pour mesurer les investissements en capital humain dans l’entreprise américaine, Anthony Siesfield définit la connaissance comme l’ensemble des idées et des entendements accumulés, à la fois explicites et implicites, que les employés d’une entreprise utilisent pour accomplir leurs tâches quotidiennes [20]. Le capital humain et le capital d’organisation par des processus y sont aussi importants que complémentaires [21]. Dès lors, dans ce nouveau paradigme, l’entreprise apparaît-elle bien plus dépendante de ses employés que dans le monde industriel classique [22].

Ainsi, l’économie de la connaissance qui apparaît au XXème siècle peut-elle être définie comme une transformation des rapports de force existant entre les différents agents du champ économique, basée sur la maîtrise plus ou moins dominante des savoir-faire liés à la connaissance, à son accès, à sa production, à son utilisation et à sa diffusion [23]. L’utilisation des informations et des connaissances dans des processus économiques demande un apprentissage permanent au plan individuel, organisationnel et institutionnel. Cet apprentissage implique de mettre en question les routines de l’acquisition des connaissances, du rafraîchissement et de l’application concrète des connaissances [24].

On mesure ainsi, à la lecture de ces modèles et analyses, à la fois l’ampleur de la mutation en cours, la complexité d’en appréhender le système, mais surtout d’en comprendre et d’en communiquer les chemins. Nous les avions esquissés dans le cadre de la Mission Prospective Wallonie 21 [25].

N’oublions pas non plus la question des temporalités. En 2001, Thierry Gaudin, dans ses entretiens avec François L’Yvonnet, avait prévenu : chaque fois, la transformation complète du système technosocial prend un à deux siècles [26].

(à suivre)

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

[1] Parmi les pionniers, on peut citer Daniel BELL, Vers la société post-industrielle, Paris, Laffont, 1976. Alvin Toffler et John Naisbitt aussi, bien sûr.

[2] Simon NORA et Alain MINC, L’informatisation de la société, Rapport à M. le Président de la République, p. 11, Paris, La Documentation française, 1978. – Chris FREEMAN & Francisco LOUCÄ, As time goes by, From the Industrial Revolutions to the Information Revolution, Oxford University Press, 1998.

[3] J. ELLUL, Le système technicien…, p. 292-293.

[4] CEPII, L’économie mondiale 1970-1990 : enjeux d’une Troisième révolution industrielle, Rapport pour le IXe Plan, Septembre 1982.

[5] Belgique : le poids des inactifs, dans Le Monde de l’économie, 7 décembre 1982, p. 25.

[6] Roland-Pierre PARINGAUX, Composants électroniques : la guerre des “puces”, bataille de géants, Pourquoi les Japonais partent gagnant, dans Le Monde, 19 juillet 1983, p. 11.

[7] Jacques PONCIN, Deux nouveaux pions IBM sur l’échiquier des P.C., dans Le Soir, L’Economie aujourd’hui, 24 août 1984. – Il faut rappeler qu’à l’époque (1983), 97% des brevets utilisés par l’informatique européenne étaient américains ou japonais. Philippe DELMAS, Le Cow-boy et le Samouraï, Réflexion sur la compétitivité nippo-américaine dans les hautes technologies, Paris, Ministère des Relations extérieures, Centre d’Analyse et de Prévision, 1993.

[8] Joël de ROSNAY, Le réseau pensant, L’avènement des machines intelligentes annonce la diffusion du pouvoir, dans Deux siècles de révolution industrielle, p. 397, Paris, L’Expansion, 1983.

[9] Raymond COLLARD, Sciences, techniques et entreprises, Qu’attendre des entreprises wallonnes ?, dans La Wallonie, 4 avril 1985, p. 10. (A propos du Rapport sur l’état de la technique, La Révolution de l’intelligence, Sciences et Techniques, numéro spécial, mars 1985).  Raymond Collard allait poursuivre cette réflexion au travers du Groupe permanent de Recherche-Développement de Louvain (GRD). R. COLLARD, Le Groupe permanent de reche-développement de Louvain, Centre scientifique et technique de la Construction (CSTC), 2000, 23p. (Brochure publiée à l’occasion du 35ème anniversaire du GRD).

[10] Rapport sur l’état de la technique, La Révolution de l’intelligence, dans Sciences et Techniques, numéro spécial, mars 1985, Paris, ISF, Paris. – Rapport sur l’état de la technique, La Révolution de l’intelligence, dans Sciences et Techniques, numéro spécial, octobre 1983, Paris, Ministère de l’Industrie et de la Recherche.

[11] Thierry GAUDIN, Actualité de l’ethnotechnologie, dans Thierry GAUDIN et Elie FAROULT coord., L’empreinte de la technique, Ethnotechnologie prospective, Colloque de Cerisy, p. 379-392, Paris, L’Harmattan, 2010.

[12] L’auteur de l’Histoire des techniques, indiquait d’ailleurs lui-aussi que la notion même de système technique impose, dans une mesure certaine, une mutation globale, et non une série, ou des séries d’inventions, indépendantes les unes des autres, de progrès techniques partiels. B. GILLE dir., Histoire des techniques, p. 773-774, Paris, Gallimard, 1978.

[13] François CARON, Les deux Révolutions industrielles du XXème siècle, p. 373, Paris, Albin Michel, 1997.

[14] Jean GIMPEL, La Révolution industrielle au Moyen Age, Paris, Seuil, 1975.

[15] Th. GAUDIN, Actualité de l’ethnotechnologie…, p. 385 sv.

[16] Society is now a “learning” society, growth renders the process of technological change and intangible factors endogeous, and the development is now partly driven by perceived needs. Paraskevas CARACOSTAS & Ugar MULDUR, Society, The Endless Frontier, A European Vision of Research and Innovation Policies for the 21st Century, Brussels, European Commission, 1997.

[17] Alexis JACQUEMIN , La Compétitivité européenne et l’entreprise dans Jacques THEPOT, Michel GODET, Fabrice ROUBELAT et Assad SAAB dir., Décision, Prospective, Auto-organisation, Mélanges en l’honneur de Jacques Lesourne, p. 51, Paris, Dunod, 2000.

[18] B.A. LUNDVALL, The Learning Economy, Implications for Knowledge Base of Health and Education Systems, Séminaire Production, Mediation and Use of Knowledge in the Education and Health Systems, Paris, OCDE, 14 et 15 mai 1998.

[19] Christian LE BAS et Fabienne PICARD, Intelligence économique, analyse stratégique évolutionniste et compétences de l’organisation, dans Bernard GUILHON et Jean-Louis LEVET, De l’intelligence économique à l’économie de la connaissance, p. 15, Paris, Economica, 2003.

[20] Knowledge is the accumulated insights and understandings, both explicit and implicit, that the employees of a firm use to accomplish their assignments everyday. Laurie J. BASSI, Baruch LEV, Jonathan LOW, Daniel P. Mc MURRER, G. Anthony SIESFELD, Measuring Corporate Investments in Human Capital, dans Margaret M. BLAIR and Thomas A. KOCHAN, The New Relationship, Human Capital in the American Corporation, p. 337, Washington DC, Brookings Institution Press, 2000.

[21] Margaret M. BLAIR and Thomas A. KOCHAN, The New Relationship, Human Capital in the American Corporation, p. 22, Washington DC, Brookings Institution Press, 2000.

[22] Baruch LEV, Intangibles, Management, Measurement, and Reporting, p. 13, Washington DC, Brookings Institution Press, 2001.

[23] Philippe CLERC et Rémy PAUTRAT, Prospective des dispositifs nationaux d’intelligence économique, dans Bernard GUILHON et Jean-Louis LEVET dir., De l’intelligence économique à l’économie de la Connaissance…, p. 145.

[24] Gerhard KRAUSS, La pratique de l’intelligence économique d’un point de vue régional : l’exemple du Bade-Wurtemberg en Allemagne, dans Bernard GUILHON et Jean-Louis LEVET dir., De l’intelligence économique à l’économie de la Connaissance, p. 169.

[25] Ph. DESTATTE, La formation tout au long de la vie, un enjeu pour un développement humain et durable des territoires, dans Yves MORVAN dir., La formation tout au long de la vie, Nouvelles questions, nouvelles perspectives, p. 253-270, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006. – Ph. DESTATTE, MPW21, Les concepts de “régions de la connaissance, apprenantes et créatives” comme outlls de développement régional, Namur, Institut Destrée, 3 mai 2004. http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/MPW21_R2004_02_Philippe-Destatte_Vision-Wallonie21_2004-05-03.pdf

[26] Thierry GAUDIN, L’avenir de l’esprit, Prospectives, Entretiens avec François L’Yvonnet, Paris, Albin Michel, 2001. – Th. Gaudin avait déjà évoqué ces grands vagues technologiques d’environ deux siècles dans Th. GAUDIN, Les métamorphoses du futur, Essai de prospective technologique, p. 5, Paris, Economica, 1988.

Namur, le 16 mai 2014

Ce texte trouve son origine dans l’intervention que j’ai faite lors du colloque de la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective (SWEP), organisé à Louvain-la-Neuve, le 15 mai 2014. Sous le titre “L’évaluation et la prospective en Wallonie et à Bruxelles : trop de consensus, pas assez de controverses !”, la SWEP regrettait que les contraintes budgétaires et les modes de gouvernance ont souvent davantage privilégié la réflexion à court terme que le choix de modèles de transition inscrits dans le long terme. Malgré la qualité parfois remarquable des démarches initiées, l’appropriation régionale est faible et le lien à l’action, invisible [1]. Une occasion de dresser, sans fard ni pommade, un bilan des réalisations concrètes et des occasions manquées dans le domaine de la prospective régionale en Wallonie, du point de vue qui est le mien, c’est-à-dire la direction de l’Institut Destrée.

Ainsi, je distinguerai trois périodes :

– une première période de limbes de la pensée prospective wallonne, de 1976 à 1986 ;

– une deuxième période d’émergence de la prospective régionale, de 1986 à 2004 ;

– une troisième période de consolidation chaotique, de 2004 à 2014.

1. Les limbes de la pensée prospective wallonne (1976-1986)

La prospective en Wallonie ne naît certainement pas sui generis. Comme dans les autres pays européens, elle subit l’influence considérable des futures studies états-uniennes, de manière directe ou par l’intermédiaire de la stratégie, de la systémique, voire d’une jeune prospective française dans ce qu’elle a de différent du forecasting. La SEMA [2] et Jacques Lesourne ont eu une action pionnière sur les territoires, notamment au travers des études de reconversion des régions du Borinage, du Centre et du Pays de Charleroi, au début des années 1960 [3]. L’influence des travaux du Club de Rome, du Rapport Meadows, d’Interfuturs puis du programme FAST de la Commission européenne [4] sur les uns et les autres reste considérable. Tout cela reste à écrire. Quelques personnalités wallonnes sont identifiables qui jouent les passeurs dans les années 1970 et 1980 : on pense à Claire Lejeune [5], à Raymond Collard [6], à Paul Duvigneaud [7], à Gilbert de Landsheere [8] et à quelques professeurs des Facultés universitaires de Namur versés dans les rapports entre Sciences, technologie et société : Jacques Berleur, Georges Thill, Gérard Fourez [9], etc.

Voici près de quarante ans que l’Institut Destrée s’intéresse formellement à la prospective. Une réalisation en témoigne : la réflexion prospective structurée organisée autour de l’avenir culturel de la Wallonie depuis 1976 et publiée sous le titre de L’Avenir culturel de la Communauté française en 1979, avec une préface du nouveau président wallon Jean-Maurice Dehousse, ce qui n’est qu’un premier paradoxe [10]. Cet ouvrage, dont le cahier des charges mérite d’être relu, deviendra bien vite de référence. Il aura des suites concrètes dans un fort débat entre acteurs, intitulé Culture et politique. Celui-ci se clôturera par un colloque éponyme à Liège en mars 1983 [11]. Cette journée de travail est un des lieux d’incubation du Manifeste pour la culture wallonne, diffusé le 1er octobre 1983 et dont les effets se font toujours sentir aujourd’hui. Sur le plan de la pensée, malheureusement moins sur celui des actes…

Sur le plan de la prospective, deux occasions sont manquées durant cette période. La première est l’échec de l’Institut Destrée à trouver, en 1978, des partenaires pour lancer une prospective économique de la Wallonie [12]. Une initiative est toutefois prise pour organiser une journée d’étude portant sur L’Institutionnel, clé de l’économique. Celle-ci est organisée à Charleroi, le 19 mai 1979, avec la participation de Henry Miller – Section wallonne du Bureau du Plan –, Joseph Henrotte – Conseil économique régional de Wallonie –, Michel Dewaele – Société de Développement régional wallon –, Jacques Defay – chef de Cabinet adjoint du président de l’Exécutif wallon –, Urbain Destrée – SETCa –, ainsi que les députés Philippe Maystadt et Philippe Busquin – en remplacement de Jean-Maurice Dehousse, ministre de l’Economie régionale wallonne –, Etienne Knoops – en remplacement de Jean Gol, ancien secrétaire d’Etat à l’Economie régionale wallonne. Cette journée se clôture par un appel du député Philippe Busquin qui souhaite qu’un effort de vulgarisation soit entrepris par l’Institut Destrée, afin d’éclairer, à partir d’exemples précis, l’état de dépendance économique de la Wallonie [13]. La préoccupation du député de Charleroi est partagée : le professeur Michel Quévit, auteur de l’ouvrage Les causes du déclin wallon a été invité à la tribune de l’Institut Destrée en mars 1978 à la Maison de la Francité à Bruxelles. Le débat qui a suivi, animé par plusieurs personnalités des mondes scientifiques et culturels wallon et bruxellois, est arrivé à la conclusion que le redressement économique de la Wallonie implique en priorité, d’une part, la création d’un important organisme bancaire régional, et, d’autre part, la régionalisation des principaux départements économiques et financiers de l’Etat, dans une mesure bien supérieure à celle qui est envisagée par le pacte d’Egmont [14] . Michel Quévit, prix Bologne du Wallon de l’année en 1981, sera à nouveau l’invité de l’Institut Destrée pour une conférence au Palais des congrès de Liège, le 12 juin 1982, au moment de la sortie de son ouvrage La Wallonie : l’indispensable autonomie.

La seconde occasion manquée est celle du refus du Conseil d’Administration de l’Institut Destrée, le 26 octobre 1980, de répondre à la sollicitation du ministre-président wallon de constituer un service d’études et de recherches au profit de l’Exécutif wallon, compte tenu des risques financiers qui auraient été liés à cette opération et auraient dès lors pu menacer l’indépendance de l’Institut Destrée [15].

Il faut également signaler, durant cette période, trois initiatives intéressantes. La première est la réflexion appelée “Walter Nova”, menée par Emile Nols et Georges Vandersmissen (1970), la deuxième est celle menée par la Commission Avenir économique de la Belgique (1981), lancée par la Fondation Roi Baudouin dans la foulée du rapport de l’OCDE Interfuturs, la troisième est le dossier Wallonie 2000 qui a vu collaborer le CRISP et la RTBF Liège (1982) [16].

2. L’émergence de la prospective régionale : le chemin de la Wallonie au futur (1986-2004)

La rencontre avec Michel Quévit a été déterminante pour l’Institut Destrée. Alors qu’en 1985 l’ancien ministre Robert Moreau, administrateur et président de la section carolorégienne de l’Institut pousse à l’amplification de la démarche culturelle en la reliant à la problématique du travail à l’horizon 2000 qui lui tient à cœur, je suis, comme nouveau directeur, fasciné par la reconnaissance de la complexité par Ilya Prigogyne [17], les idées de mutations sociétales portées par le prospectiviste américain John Naisbitt [18] et que véhiculent également les rapports qui circulent en France : Simon-Nora (1978), Mattelart-Stourdze (1982), Gaudin-Portnoff (1983) [19]. Je tente difficilement d’orienter les travaux vers un champ plus ouvert, plus global, traversé par les dimensions technologiques et de créativité. Michel Quévit nourrit directement ce champ pluridisciplinaire par sa connaissance des terrains académiques et de l’Europe. Outre ses réseaux universitaires, il apporte à la démarche – qui prend le nom de Wallonie au futur – ses connexions et les apports des réseaux européens dans lesquels il évolue : la Communauté de Travail des Régions européennes de Tradition industrielle (RETI), le Groupe de Recherche européen sur les niveaux innovateurs (GREMI), les travaux de prospective relatifs à l’impact du programme Europe 1992, le Programme FAST de la Commission européenne. La relation avec FAST est importante puisqu’elle permet d’embarquer Riccardo Petrella dans la démarche dès 1987, puis, dans un deuxième temps, de nous connecter avec Europrospective lors de la deuxième conférence, en 1991, à Namur : Emilio Fontela, Jacques Berleur, Thierry Gaudin, Pierre Gonod, etc. font désormais partie de notre environnement intellectuel.

Michel Quévit va être en première ligne de la dynamique comme rapporteur général du congrès permanent et président de son comité scientifique, jusqu’en 1998 et son départ pour EBN (European Business and Innovation Network). Il restera néanmoins encore très présent jusqu’au début 2004, notamment dans le cadre de Wallonie 2030. Les travaux de La Wallonie au futur sont connus : cinq exercices de prospective ont été menés de 1985 à 2004 et l’Institut Destrée en a été à la fois le commanditaire et l’opérateur : Vers un nouveau paradigme (1986-1988), Le défi de l’éducation (1989-1994), Quelles stratégies pour l’emploi ? (1995-1996), Sortir du XXème siècle : évaluation, innovation, prospective (1997-2000), Wallonie 2020, Une réflexion prospective citoyenne pour la Wallonie au futur (2001-2004). Ils ont fait l’objet d’une large diffusion sous forme de livres, de cédérom et de publications en ligne et ont connu plusieurs évaluations [20]. A partir de 1988, grâce à l’intérêt qu’y ont perçu notamment Francis Mossay et Olivier Vanderijst, cette démarche a reçu l’appui des différents ministres-présidents wallons jusqu’à ce que Jean-Claude Van Cauwenberghe mette brutalement fin à ces financements en 2004.

C’est une gageure de vouloir résumer l’ensemble de cette démarche qui a ambitionné, pendant plus de 15 ans, d’être, sinon de contribuer à construire un projet de société par cinq volontés majeures :

  1. la nécessité d’une stratégie de développement régional pour le tissu économique wallon, en particulier pour rééquilibrer l’écart entre le volume d’emploi productif et non productif ;
  2. l’exigence d’une politique efficace de la science et de la technologie sur les deux axes des entreprises et des programmes de recherches européens ;
  3. l’adaptation de notre système éducatif au double enjeu de l’émancipation individuelle et des besoins collectifs ;
  4. le développement de notre identité, à la fois humanisme d’enracinement et d’universalité ;
  5. la mise en place d’un contrat social wallon pour surmonter les défis institutionnels, économiques et sociaux.

Ces principes étaient assortis de propositions relativement générales, souvent très argumentées. Quelques chantiers toutefois ont été très approfondis, comme ce fut le cas pour les questions d’éducation en particulier du pilotage scolaire (avec Gilbert De Landsheere), de l’emploi (avec surtout Albert Schleiper, Jacques Defay et Yves de Wasseige), de l’évaluation (avec Jean-Louis Dethier), de la prospective et de la contractualisation (chantiers dans lesquels, avec Pascale Van Doren, nous nous sommes davantage investis). Sur le plan de la gouvernance, les conclusions de Sortir du XXème siècle, Innovation, évaluation, prospective ont débouché sur des outils précis, dont certains ont abouti, d’autres pas. On peut penser au Contrat d’avenir pour la Wallonie, à la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective, à la cellule interdépartementale d’évaluation et de prospective dans l’administration wallonne. On peut aussi penser à l’ambition d’Elio Di Rupo de créer une cellule de back office et d’appui prospectif au Gouvernement wallon puis de la préparation très poussée, avec Gaëtan Servais, du projet CiPré : Cellule indépendante de prospective régionale pour la Wallonie.

Deux phrases se percutent à ce point de vue. La première sous la plume d’Elio Di Rupo, pour la clôture d’un colloque à la Géode à Charleroi, le 31 mars 2000 :

Si çà et là différents instituts ou centres de recherche font de la prospective, nous ne disposons pas de centre régional de prospective. Reconnaissons-le, nos universités n’ont pas encore structuré, fédéré, une démarche prospective. Par le biais de son conseil d’administration, l’Institut Destrée s’est proposé d’ériger en son sein une cellule indépendante de prospective régionale.

Mes collaborateurs et moi-même avons longuement réfléchi sur ce sujet pour trouver un système qui permette d’une part, la garantie du niveau d’indépendance requis pour une telle cellule et d’autre part, des retombées directes et effectives sur le Contrat d’avenir pour la Wallonie et la Région wallonne. Moyennant quelques retouches que nous discuterons, je m’apprête donc à financer, au départ de mon budget, la création d’une cellule indépendante de prospective au sein de l’Institut Destrée.

Cette cellule sera en relation avec le Service des Études et de la Statistique de la Région wallonne, les universités, la cellule de prospective de la Commission européenne, mais également, le contractant de l’évaluation du Contrat d’avenir[21].

Elio Di Rupo quittait malheureusement la présidence du gouvernement wallon quatre jours plus tard pour prendre celle du Parti socialiste. Son successeur avait une vision beaucoup moins respectueuse de la gouvernance régionale. Moins de trois mois plus tard, il nous recevait à l’Elysette pour annoncer que :

La prospective régionale est une chose trop importante que pour être confiée à une asbl qui, par nature, est fragile. Je ne veux en cette matière confier à l’Institut Jules Destrée qu’un rôle d’assistance du gouvernement. La convention-cadre, sur base de l’article budgétaire de l’Institut Jules Destrée constitue un lieu trop transparent pour faire des études de prospective. Si on fait cela, je serai constamment sollicité par les parlementaires pour pouvoir disposer des études au moment où elles me seront remises [22] .

C’était effectivement un changement de paradigme dans la gouvernance par rapport à l’impulsion qui venait, quelques mois auparavant, d’être donnée par Elio Di Rupo.

L’Institut Destrée allait donc travailler dans une logique de service au Gouvernement en poursuivant jusqu’en 2004 la mission confiée en 1999 par le ministre-président montois sous la forme de ce que nous allions appeler la Mission prospective Wallonie 21 : d’une part, une réflexion prospective régionale continue, comprenant l’animation d’une réflexion générale sur l’avenir de la Région wallonne, la veille méthodologique et la détection des signaux porteurs de sens, ainsi qu’une activité de recherche prospective, menée directement ou en partenariat et, d’autre part, assumer une fonction de conseil en fournissant au gouvernement wallon des vues prospectives, notamment en matière d’identité régionale, ainsi que des propositions d’actions dans le cadre du Contrat d’Avenir pour la Wallonie. L’Institut Destrée devait développer en son sein un Pôle Prospective de manière à disposer d’une expertise accrue en cette matière et à la mettre notamment à la disposition du gouvernement wallon et plus particulièrement de communiquer des informations stratégiques à la Cellule Gouvernance constituée au sein du Cabinet du président du gouvernement. De même, l’Institut Destrée devait mobiliser son Pôle Prospective pour informer le gouvernement wallon sur les analyses et scénarios de prospective mondiaux, européens, transfrontaliers et fédéraux réalisés ou en cours de réalisation ainsi que sur la position que la Région wallonne occupait dans ces différents scénarios.

Un séminaire résidentiel au profit de la Cellule Gouvernance du ministre-président du gouvernement wallon – alors dirigée par Marc Debois –, et intitulé Questions de Prospective appliquées à la Wallonie s’est tenu à Ave-et-Auffe, les 16 et 17 mars 2001. Ces travaux ont permis d’établir un consensus sur la mise en place par le Pôle Prospective de l’Institut Destrée d’un Système régional wallon de Prospective (SRWP), en appliquant à la prospective, sur le conseil de Michel Quévit, le processus méthodologique que la Commission européenne avait construit pour les Système régionaux d’Innovation. Ce SRWP inscrivait la mission du Pôle Prospective dans le cadre de la démarche régionale collective et participative du Contrat d’avenir pour la Wallonie, et plus généralement de la contractualisation régionale avec les acteurs, en ce compris les éléments de préparation d’un possible prochain contrat régional.

La Mission Prospective Wallonie 21 comportait trois phases. La première a permis d’établir des fondements de la prospective wallonne (compréhension et appropriation de la prospective formelle et choix méthodologiques) et d’analyser des tendances lourdes susceptibles d’avoir un impact durable sur le développement de la Wallonie à l’horizon de vingt ans. Ces travaux ont fait l’objet d’un premier rapport intitulé La Wallonie à l’écoute de la prospective, publié en août 2002. La description de la discipline prospective et l’analyse des tendances lourdes ont ainsi constitué la base du colloque La prospective territoriale comme outil de gouvernance, organisé par l’Institut Destrée au Château de Seneffe, le 28 septembre 2002. Approches méthodologiques et cas pratiques de niveau européen ont constitué les axes centraux de cet événement auquel a participé le Commissaire européen à la Recherche, Philippe Busquin [23]. Partant de cette écoute de la prospective globale, la deuxième phase de la Mission Prospective Wallonie 21 a eu pour objet d’identifier les enjeux que les dix tendances lourdes, décrits dans la phase précédente, induisaient pour la Wallonie. Dix séminaires prospectifs ont été organisés de novembre 2002 à avril 2003, chacun traitant d’une tendance, et réunissant au total environ 120 acteurs et experts wallons. En complément, un groupe d’experts, sous la présidence de Marc Luyckx Ghisi, ancien collaborateur de la Cellule prospective de Jacques Delors à la Commission européenne et chercheur à l’Institut Destrée, a été chargé d’identifier, de manière transversale, les implications du changement de paradigme en Wallonie. De même, un socle informationnel complémentaire a été construit, permettant de fonder les tendances sur le territoire wallon et d’identifier des contre-tendances éventuelles. L’ensemble des enjeux identifiés ont été mis en débats et affinés lors d’un séminaire participatif organisé à La Géode à Charleroi, en septembre 2003. Le dernier rapport, orienté sur la stratégie, était remis en 2004, renforcé par tout un volet sur les régions créatives, à la demande d’Olivier Vanderijst qui, en tant que chef de Cabinet du ministre-président, a fortement interagi avec la démarche [24].

Considérant qu’il était alors trop tôt culturellement pour faire dialoguer directement, sur le plan de la prospective, les sphères politiques et de l’État, le monde des entreprises ainsi que le monde associatif, le projet de réflexion générale sur l’avenir de la Région wallonne devait être mené au travers de trois groupes d’étude prospective constitués au profit des acteurs eux-mêmes. Ces groupes devaient permettre leur propre formation à la prospective et constituer un des éléments d’information du Pôle Prospective pour sa propre mission. Il était expressément convenu que la Cellule Gouvernance du Cabinet du ministre-président ne devait pas être représentée dans ces groupes. Trois initiatives devaient être prises :

Dynamique de la Société wallonne, groupe constitué à partir d’associations pluralistes wallonnes ayant vocation à développer un secteur d’activité précis et considéré comme stratégique pour l’avenir de la Région ;

Entreprises et développement régional, constitué à partir d’entreprises de différents domaines et tailles permettant d’instruire la Région de manière prospective sur les besoins du monde des entreprises dans la logique d’une compétitivité territoriale européenne et mondiale ;

Gouvernance et territoires, groupe constitué d’acteurs (élus, administratifs, etc.) de la sphère de l’Etat et des collectivités locales : Région wallonne, Communauté française, provinces, communes, intercommunales, etc. Ce groupe d’étude prospectif devait permettre d’aborder à la fois les nouveaux modes de gouvernance (Rapport Vignon, etc.) en liaison avec une approche de prospective territoriale (SDEC, SDER, logique de pays, etc.).

Une convergence devait être recherchée entre ces trois lieux du Système régional wallon de Prospective, par exemple dans le cadre du Congrès permanent La Wallonie au futur, initiative indépendante de cette mission prospective mais à laquelle le Pôle Prospective de l’Institut Destrée devait rester attentif [25].

Le groupe de prospective, consacré à la Dynamique de la Société wallonne et constitué de représentants d’associations à vocation régionales, a été constitué début 2001 et s’est réuni régulièrement de juin à décembre. Il a rassemblé les organismes suivants : le Chapitre Wallonie de l’Internet Society, la Fondation pour les Générations futures, la Fondation rurale de Wallonie, l’Institut pour un Développement durable, Inter-environnement Wallonie, le Mouvement wallon pour la Qualité, la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective et l’Institut Destrée qui a confié l’animation du groupe à Hugues de Jouvenel (Futuribles). Le travail mené a permis de diffuser la culture et la pédagogie de la prospective parmi ces institutions et de commencer l’élaboration d’une banque de données de faits porteurs d’avenir et de tendances prospectives. Ce groupe a constitué, avec les groupes de prospective de Wallonie 2020 une des bases d’intelligence collective pour la Mission Prospective Wallonie 21 [26].

L’initiative prise par le ministre de l’économie Serge Kubla, dans le cadre du projet global 4X4 pour Entreprendre, a constitué une occasion unique de mettre en place un groupe prospectif tel que celui imaginé sous le titre d’Entreprises et développement régional. En effet, l’Institut Destrée était mobilisé pour lancer une réflexion prospective sur les politiques d’entreprises en Wallonie (ProspEnWal). Cet exercice a été mené en 2002 et 2003. Il s’agissait d’aider le Cabinet du ministre et la direction générale de l’Économie et de l’Emploi du ministère de la Région wallonne à redéfinir les politiques régionales d’appui aux entreprises, en prenant en compte les enjeux à l’horizon 2020. Le travail s’est fait essentiellement avec des chefs d’entreprises, l’Union wallonne des Entreprises et des experts de niveau européen du monde de l’entreprise, et a débouché sur un rapport qui a été remis successivement au ministre Serge Kubla et, après le changement de législature au printemps 2004, au ministre Jean-Claude Marcourt [27].

Quant au groupe Gouvernance et territoires, s’il n’a pas été mis en place dans le cadre de la Mission Prospective Wallonie 21, il préfigurait l’initiative partenariale prise avec l’Administration wallonne de l’Aménagement du Territoire, à partir de 2006, sous la forme de la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne.

Les impacts de ces travaux, assez complémentaires, ont été réels, notamment en termes d’acculturation régionale à la prospective. La mission Prospective Wallonie 21 a permis de mobiliser de nombreux acteurs régionaux dans des séminaires portant sur l’avenir de la région. L’ouverture internationale de la démarche était essentielle tant au niveau mondial, grâce aux connections avec le Millennium Project, aux travaux duquel l’Institut Destrée participe depuis 2001 avec la constitution du Nœud transfrontalier de l’Aire de Bruxelles (Millennium Project Brussels’ Node Area), qu’au niveau européen avec l’European Millennium Project Nodes Initiative (EuMPI), lancée à San Francisco en juillet 2003 (kick-off meeting, le 21 novembre 2003 au Parlement européen, puis l’organisation de la conférence internationale de Louvain-la-Neuve des 13 et 14 avril 2005 The Futures of Europeans in the Global Knowledge Society [28] ), puis, parallèlement, avec l’European Regional Foresight College, constitué à Paris avec l’appui de la DATAR, en avril 2004, et à la destinée duquel j’allais présider pendant huit ans.

Le financement du Pôle Prospective et de ces démarches a été pendant toutes ces années une question cruciale. L’apport régional, qui n’avait pas été accru en 2000 ni les années suivantes, était diminué de 80.000 euros en 2004 pour transférer à l’IWEPS le budget correspondant à un équivalent temps plein, afin que celui-ci puisse sous-traiter un travail annuel avec l’Institut Destrée. Ce qui ne sera réalisé que bien plus tard et deux années seulement en dix ans. Ainsi, il y avait-il un paradoxe de voir les moyens régionaux attribués à la prospective diminuer au moment même où le ministre-président semblait s’y intéresser davantage.

3. Une troisième période de consolidation chaotique (de 2004 à 2014)

Quatre outils de prospective ont été mis en place au service de la Wallonie depuis 2004 :

– le Collège régional de Prospective, à l’initiative de l’Institut Destrée ;

– la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, à l’initiative conjointe de la DGATLP (Luc Maréchal) et de l’Institut Destrée, avec l’appui des ministres de l’Aménagement du territoire, André Antoine puis Philippe Henry ;

– le processus de recherche prospective Millennia2015, “Femmes actrices de développement pour les enjeux mondiaux”, à l’initiative de l’Institut Destrée et en collaboration avec le Millennium Project (Washington) ;

– le Système régional de Recherche et de Veille en Prospective, à l’initiative conjointe de l’IWEPS et de l’Institut Destrée.

 

2.1. Le Collège régional de Prospective

Le Collège régional de Prospective, créé en novembre 2004 par l’Institut Destrée, se veut à la fois un cercle de débats et un lieu d’apprentissage collectif. Il comporte une trentaine de membres qui émanent des différentes sphères de la société (entreprises, sphère publique et société civile). Depuis sa création, le Collège régional de Prospective s’est attelé à un travail prospectif relatif à la manière de lever les obstacles au développement de la Wallonie, particulièrement dans le domaine des valeurs collectives. Il a identifié une série de comportements concrets, déficients et majeurs qui caractérisent le mal-développement wallon et a décidé de focaliser sa réflexion et son action sur cinq chantiers prioritaires :

– l’insuffisance généralisée de culture du risque et du changement;

– l’absence de responsabilisation des acteurs et de clarification de leurs objectifs;

– les immobilités physiques et mentales face à l’évolution de la formation, de l’emploi, du marché;

– l’affaissement de la norme, de la déontologie et de l’éthique;

– les réflexes d’attachement aux piliers, entraînant des coûts exorbitants.

 Outre trente-six séminaires d’une journée organisés principalement au Cercle de Wallonie à Namur et à Liège, deux colloques ont été organisés : Le rôle et la gestion des services publics face aux mutations du XXIème siècle (La Hulpe, 9 novembre 2007) [29] et Culture du changement, responsabilisation et créativité : défis de l’éducation tout au long de la vie (Cercle de Wallonie à Namur, 13 février 2009) [30].

Le 23 avril 2010, le Collège a lancé une dynamique destinée à ouvrir ses portes et à disséminer ses travaux. Il s’agit de Wallonie 2030 : anticiper les bifurcations futures et choisir les comportements positifs. Neuf « fabriques » de prospective ont été lancées avec une nouvelle méthode permettant de construire des stratégies à partir des acteurs. Ces groupes de travail portaient sur :

  1. La territorialisation des politiques (décentralisation régionale et pouvoirs locaux) (Luc Maréchal, Dominique Hicguet)
  2. La gouvernance publique régionale y compris la fonction publique (Jean-Louis Dethier)
  3. Le pilotage et la croissance des entreprises (Pierre Gustin et Bernard Fierens)
  4. Les structures et modèles d’éducation et de formation (Michel Molitor et Bernadette Mérenne)
  5. L’articulation entre l’emploi et le travail (Marie-Hélène Ska et Basilio Napoli)
  6. L’environnement et l’énergie (Marc Installé)
  7. La pauvreté, l’insertion, la cohésion sociale (Michel Goffin)
  8. Le vieillissement démographique et la santé (André Lambert)
  9. La participation à la démocratie (Philippe Destatte et Michaël Van Cutsem) [31]

Une collaboration et des synergies sont d’ailleurs menées avec les fabriques de Prospective du Collège régional de Prospective du Nord – Pas-de-Calais – dont Philippe Destatte est membre du Comité d’Orientation – tandis que Pierre-Jean Lorens, responsable de la prospective au Conseil régional, est membre du Collège de Wallonie. Un congrès intitulé Vers un contrat sociétal pour la Wallonie dans un cadre de régionalisation renouvelé, s’est tenu le 25 mars 2011 au Palais des Congrès de Namur [32].

Le Collège régional de Prospective de Wallonie a en outre rédigé deux appels aux acteurs et en particulier au monde politique : Appel pour un contrat sociétal wallon, en février 2011 et Principes destinés à guider l’élaboration et la mise en œuvre de la prochaine déclaration de politique régionale de Wallonie, en mai 2014 [33].

L’ensemble des travaux du Collège a été mené par l’Institut Destrée sur fonds propres et sans autre appui extérieur qu’un appui ponctuel de la SRIW. Le 27 novembre 2014, le Collège régional de Prospective de Wallonie devait fêter ses dix ans au Parlement wallon à l’occasion d’un colloque intitulé Prospective, société et décision publique [34].

2.2. La Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne

Cette initiative a été lancée en janvier 2006 avec l’appui de l’ancien ministre du gouvernement wallon André Antoine en charge de l’Aménagement du territoire et de Luc Maréchal, Inspecteur général à la Direction générale de l’Aménagement du Territoire, du Logement et du Patrimoine (Division de l’Aménagement et de l’Urbanisme) du ministère de la Région wallonne. L’Institut Destrée a construit une plateforme d’information dédiée aux projets de territoires en Wallonie, dans la perspective de la mise en œuvre du Schéma de Développement de l’Espace régional, afin d’assurer une information sur les initiatives de prospective territoriale menées sur les aires de coopération communales et supracommunales [35]. Plusieurs exercices – pour certains desquels l’Institut Destrée a apporté un appui méthodologique – y sont présentés : Luxembourg 2010, Herve au futur, Charleroi 2020, Prospect 15, Liège 2020, Wallonie picarde 2025, Molinay 2017, Ottignies-Louvain-la-Neuve 2050, Bassin du Cœur du Hainaut 2025, Pays de Famenne, etc. Outre l’organisation de plus de trente séminaires, l’Institut Destrée a mené une enquête auprès des communes wallonnes pour identifier les instruments prospectifs et stratégiques utilisés. A chacun des séminaires, un prospectiviste ou expert étranger du développement territorial vient présenter une conférence pour participer à l’apprentissage collectif des acteurs territoriaux. Ainsi, de nombreuses personnalités européennes du monde de l’aménagement du territoire et de la prospective se sont-elles succédé à la tribune de la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne. Certains séminaires se sont faits sur le terrain (Seraing, Tournai, etc.) [36].

Parallèlement, en 2011 et 2012, le Ministre Philippe Henry a confié à l’Institut Destrée une mission d’accompagnement de l’Administration wallonne et de la CPDT en matière de formation à la prospective et d’élaboration des scénarios lors de la révision du SDER [37].

2.3. Le processus de recherche prospective Millennia 2015

Conçu et mis en œuvre par Marie-Anne Delahaut, directrice de recherche et responsable du Pôle Société de l’information, en suivi du programme “Prospective et gouvernance de l’internet” [38] organisé dans le cadre de sa contribution au Sommet mondial sur la société de l’information [39], le processus de recherche prospective Millennia2015 “Femmes actrices de développement pour les enjeux mondiaux” [40] a été lancé lors de la conférence internationale tenue les 7 et 8 mars 2008 au Palais des Congrès de Liège, à l’initiative de l’Institut Destrée avec l’appui du Millennium Project (Washington), de l’Organisation internationale de la Francophonie, de la Région wallonne et de la Communauté française. Millennia2015 a pour objet de mettre en lumière le rôle crucial des femmes dans la société et de valoriser leurs capacités à bâtir des futurs alternatifs, considérant leur volonté de s’orienter résolument vers l’avenir, d’être médiatrices de paix, et d’agir à tous les niveaux de prise de décision en égalité avec les hommes (économie, politique, santé, éducation, formation, égalité des droits, …), en créant de nouvelles solidarités proactives en réseaux. Reconnu au plan international, Millennia2015 a permis à l’Institut Destrée d’obtenir les titres d’ONG partenaire officiel de l’UNESCO (statut de consultation) ainsi que le statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) dès 2012. Le patronage de l’UNESCO lui a été octroyé pour la conférence internationale Millennia2015 “Un Plan d’action pour l’autonomisation des femmes” organisée au Siège de l’UNESCO à Paris en 2012 [41]. La troisième conférence internationale est programmée aux Nations Unies à New York en 2017. Partout dans le monde, le Réseau international de Chercheur-e-s volontaires de Millennia2015 [42] se mobilise autour d’un même travail prospectif conçu par l’Institut Destrée où travaille actuellement sur ce chantier une équipe de trois personnes pilotée par Marie-Anne Delahaut. Des communautés sont actives en Francophonie, à Goma-RDC, en Inde, notamment, ainsi que le groupe de travail international Millennia2015 “Femmes et eSanté”. En mars 2010, l’Institut Destrée a présenté le concept de société de l’information solidaire aux Nations Unies à New York dans le cadre de la 54ème Commission sur le statut des femmes “Pékin+15” 43.

L’exercice de prospective de Millennia2015 a été inauguré au plan international autant qu’au niveau de la Wallonie, le 8 décembre 2010, à l’UNESCO, à Paris, avec l’appui de la directrice de la Division Égalité des Genres de l’UNESCO, en lien direct avec le Cabinet de la directrice générale [44]. Les premiers résultats ont été analysés lors de du séminaire international organisé par Millennia2015 à l’École des Mines à Paris en novembre 2011 [45].

Sur base des valeurs inscrites dans la charte de Millennia2015, la Fondation Millennia2025 “Femmes et innovation”, fondation d’utilité publique, a été créée en avril 2012, avec pour objectif de récolter des fonds afin de mettre en œuvre les activités du processus de recherche prospective Millennia2015 pour l’autonomisation des femmes et l’égalité des genres. Elle est en charge de leur réalisation et du suivi des plans d’actions avec les organisations partenaires locales de Millennia2015. A cet effet, agissant en lien étroit avec l’Institut Destrée, la Fondation Millennia2025 s’active principalement à la levée de fonds pour le financement des plans d’actions issus de l’exercice de prospective présenté à l’UNESCO en décembre 2012 ; à la mise en place de partenariats et collaborations avec des universités, ONGs et entreprises du secteur privé, dans le but de renforcer les capacités des femmes par la solidarité numérique; à fournir des prestations de services, formations, consultance, expertises, publications, organisation de conférences et séminaires dans le cadre des objectifs de Millennia2015 [46].

2.4. Le Système régional de Veille et de Recherche en Prospective (SRPW)

Conformément à la volonté exprimée par le ministre-président du gouvernement wallon Elio Di Rupo, en décembre 2006, l’IWEPS et l’Institut Destrée ont construit un partenariat afin d’associer leurs compétences au profit de la prospective régionale. Dès janvier 2007, de nombreuses réunions se sont tenues entre les deux institutions pour aboutir à un projet de collaboration qui a été remis au Cabinet, en octobre 2007 [47]. Parmi les différentes propositions formulées, deux axes de travail ont été retenus : d’une part, le lancement d’une recherche sur la transmission d’entreprises, d’autre part, la mise en place d’une plateforme wallonne de la prospective. Celle-ci serait fondée sur trois objectifs :

– réaliser et encourager le transfert de connaissances et d’expériences en matière de prospective (banques de données des acteurs, des expériences, etc.) ;

– promouvoir la démarche prospective (faire connaître les méthodes et pratiques) ;

– fédérer les acteurs de la prospective en vue de projets communs.

Le 9 février 2010, le Système régional de Veille et de Recherche en Prospective wallon était lancé par l’IWEPS et l’Institut Destrée avec la finalité de mobiliser des départements universitaires et des centres de recherche de niveau universitaire, de Wallonie et de Bruxelles, au profit de la prospective régionale, c’est-à-dire de rapprocher les compétences du réseau ainsi formé des besoins d’expertises régionaux en termes d’anticipation. Dans le même temps, le Cabinet du ministre-président et les différentes directions générales du SPW étaient associés à l’initiative.

Sur base d’une première convention, créant un contrat de service entre l’IWEPS et l’Institut Destrée, de mai 2009 à juillet 2010, une première étude sur la reprise et transmission d’entreprises a été réalisée tandis que l’Institut Destrée se voyait confier une mission d’appui à la mise en place du SRPW.

Plusieurs tâches préliminaires ont été réalisées dans ce cadre :

  1. L’établissement d’un inventaire des membres potentiels du SRPW : 49 unités de recherche ont été identifiées et invitées à rejoindre le réseau. 30 ont été rencontrées à cet effet.
  2. La définition de protocoles pour réguler les échanges et construction d’un site internet.
  3. L’identification des enjeux régionaux pour lesquels des études et travaux prospectifs seront nécessaires.
  4. Les premiers jalons d’une recherche relative au repreneuriat matérialisée par la publication d’un Discussion Paper [48].

Une nouvelle convention a été signée, en mars 2011, par l’IWEPS et l’Institut Destrée, portant sur un appui de l’Institut Destrée aux activités de prospective menées par l’IWEPS (réalisation de notes de veille, animation du SRPW, etc.). Une différence considérable est toutefois apparue entre l’ambition initiale et commune des deux institutions exprimée à l’époque d’Elio Di Rupo et la mise en œuvre contrainte menée sous l’égide du Cabinet Demotte. Cette évolution a probablement contribué à freiner la participation des universités au réseau et à démotiver les chercheurs des deux institutions qui, initialement, s’en étaient voulues les moteurs. Le SRPW ne poursuivra pas ses activités au delà de 2012.

Conclusion : un regard contrasté sur une prospective très liée à la qualité de la gouvernance régionale

Notre regard sur la prospective en Wallonie est contrasté. D’une part, la prospective se développe avec une vigueur certaine au niveau des territoires wallons (Luxembourg 2010, Wallonie picarde 2025, Pays de Famenne, Bassin du Cœur du Hainaut 2025, Louvain-la-Neuve 2040, etc.). D’autre part, l’Institut Destrée s’est très impliqué dans la prospective au niveau européen : Philippe Destatte a assumé la présidence du Collège européen de Prospective territoriale, de 2004 à 2012, avant de confier la présidence à Ibon Zugasti (Prospektiker, San Sebastian), organisation dont Michaël Van Cutsem, directeur de recherche et responsable du Pôle Prospective de l’Institut Destrée, occupe aujourd’hui encore, le secrétariat. L’Institut Destrée reste très présent au niveau européen où il a été l’un des animateurs du projet Cities of Tomorrow de la DG Politiques régionales de la Commission européenne. En outre, l’Institut Destrée a accompagné – avec Prospektiker et Futuribles – la mise en place de la nouvelle Cellule de Prospective du Comité des Régions. Il en est de même pour la prospective mondiale : un accord de partenariat a été conclu entre l’Institut Destrée et l’Université de Houston pour la réalisation d’un certificat en prospective qui s’est tenu pour la première fois à Bruxelles en mai 2011, tandis que Philippe Destatte a été élu membre du Board du réseau mondial du Millennium Project dont le siège est à Washington.

L’évaluation de la prospective est d’une difficulté sans nom. Nous y avons beaucoup travaillé avec la Commission européenne dans le cadre du programme FOR-LEARN pour arriver à ce constat [49]. La prospective est un processus de changement, de transformation. J’en suis de plus en plus convaincu, au point d’avoir fait évoluer la définition construite en 1999-2000 : elle a récolté un quasi consensus, tant à la SWEP qu’à la Mutual Learning Platform de la Commission européenne et au Collège européen de Prospective, pour renforcer cette dimension [50]. En cela, je rejoins probablement tant Gaston Berger que Richard Slaughter [51].

Pour alimenter les controverses, ainsi que la Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective nous y invite, je me permettrai quelques hypothèses liées aux impacts des travaux prospectifs que j’ai évoqués.

  1. Si on a pu observer un processus d’institutionnalisation de la prospective en Wallonie depuis 1999, celui-ci a eu pour principal objet de faire de cette discipline un enjeu de pouvoir. On peut considérer qu’il y a une forme de rupture entre, d’une part, l’affirmation de la prospective comme outil de gouvernance, c’est-à-dire de construction d’un dialogue et d’un discours stratégiques entre les acteurs pour élaborer collectivement un projet, et, d’autre part, un outil managérial au service des décideurs. Cette rupture se manifeste clairement entre avril et juin 2000. De manière étonnante, et à part quelques rares moments d’exceptions, le modèle qui s’instaure en Wallonie à ce moment s’est poursuivi jusqu’à ce jour.
  1. Malgré les efforts menés, la vision de la prospective qui domine les institutions wallonnes reste manifestement profondément ancrée soit dans un scientisme où prédomine la prévision soit, à tout le moins, dans une prospective vue uniquement comme exploratoire et non comme une prospective complète, totale, certes exploratoire mais aussi normative, à vocation stratégique, c’est-à-dire orientée vers l’action concrète et opérationnelle. La recherche d’une légitimité scientifique destinée à faire croire que l’action menée est objective, voire la seule possible à mener en fonction des données du présent, reste au centre de la conception des élus et des décideurs. A titre d’exemple, l’observation attentive des discours justifiant la démarche Horizon 2022 lors de la législature 2009-2014 fonde cette analyse.
  1. Une des difficultés majeures de l’évaluation de la prospective consiste à revendiquer des actions ou des réalisations qui sont menées en aval des exercices. Non seulement cette démarche peut paraître manquer de modestie mais, en plus, elle peut désapproprier des acteurs majeurs des résultats des travaux pour lesquels ils ont dépensé en amont beaucoup d’efforts et beaucoup de diplomatie pour que l’appropriation ait lieu. De surcroit, il est rare qu’une décision résulte de manière linéaire d’une seule source d’inspiration. Néanmoins, les exemples sont importants et nombreux de propositions, provenant des travaux de prospective menés de 1999 à 2004, qui sont présentes dans les politiques menées par les gouvernements wallons dans les législatures suivantes. Sans mettre en cause les autres et multiples influences, ni le génie propre de nos élus et décideurs, on peut mettre en évidence quelques propositions qui ont pu faire leur chemin :

– c’est particulièrement vrai de l’activation des ressources en créativité au profit du développement régional qui a été au centre des recommandations de la Mission Prospective Wallonie 21, dès 2004 [52] ;

– parmi ces recommandations, plusieurs ont été mises en œuvre ultérieurement, d’autres sont toujours en chantier. Voici quatre exemples, avec leur numéro d’origine, datant de mai 2004 :

1. Réunir un collège des directeurs généraux comme organe transversal de la coordination des institutions publiques wallonnes sous la forme opérationnelle de task-forces thématiques public-public qui pourraient être coordonnées par des agents ayant compétence dans la gestion des réseaux et leur animation ;

7. Mettre en place un groupe de travail interministériel régional sur les effets multiples du vieillissement démographique en Wallonie, dont la tâche serait d’étudier de façon transversale les répercussions du vieillissement de la population wallonne sur l’emploi, la santé, la consommation, les loisirs, le logement, etc.

11. Lancer un programme mobilisateur de recherche relatif aux nouveaux indicateurs et instruments de mesure du capital social dans les régions de la connaissance devant aboutir à un canevas actualisé de nouveaux critères de performance et de compétitivité de la Wallonie à l’usage de tous les acteurs, entreprises et systèmes d’évaluation des politiques régionales.

12. Créer un cluster de la créativité économique associant des partenaires des industries culturelles, du design, de l’enseignement artistique, etc. destiné à générer de nouveaux emplois et à renforcer l’activité économique par le développement de la croissance, de la vitalité et de la compétitivité de la Wallonie [53].

– la Prospective des entreprises wallonnes avait, en 2003, présenté une série de fiches-actions conçues avec la Direction de la Politique économique et appuyées par l’Union wallonne des Entreprises. La fiche d’action prioritaire “Attractivité du territoire” préconisait de développer un programme de stimulation pour la création de pôles de compétence wallons à partir de “champions” existants. La finalité de cette recommandation était d’utiliser les entreprises et les entrepreneurs “champions” de la Wallonie actuelle comme catalyseur de réactions en chaîne autour de métiers ou de filières implanté(e)s et fructueux(ses). Induire ainsi des cercles vertueux par effet boule de neige autour de différents noyaux d’excellence existants. Réaliser cette opération en cohérence avec les initiatives existantes de grappes, clusters et autres. Les modes opératoires, d’intervention, les opérateurs ressources, les bénéficiaires, la durée et le contexte, ainsi que l’impact attendu et les critères de suivi et d’évaluation étaient précisés [54].

  1. De plus nombreuses propositions d’initiatives ont été négligées, méprisées ou laissées en friche. Certes, toutes n’étaient pas pertinentes. La plupart relèvent des politiques régionales. Trois auraient pu être portées par l’Institut Destrée qui, toutefois, n’avait seul pas les moyens de les lancer ou de les soutenir dans la durée. La première est le cluster de la créativité, proposé en 2004 et que, finalement, nous voyons se déployer dans le cadre de Creative Wallonia. Le deuxième projet a été approuvé par le Conseil d’administration de l’Institut Destrée du 1er juillet 1998 : il s’agissait de créer un instrument dénommé PRIDE, Plateforme régionale d’Information sur le Développement économique. Compte tenu des lacunes informatives et statistiques dont tous les acteurs se plaignent en Wallonie encore aujourd’hui, malgré les investissements considérables consentis, il semble que l’idée de créer un véritable outil au service de la Région et des entrepreneurs, wallons ou étrangers, à la recherche d’informations interdisciplinaires et indépendantes, sectorielles et conjoncturelles, banque d’indicateurs pour l’évaluation et la prospective, avait toute sa pertinence. Le dernier projet, lancé mais peu investi en tant que tel, date du 28 mars 2003. C’est celui d’un Centre international des Changements de Paradigmes sociétaux et des Mutations structurelles. Projet innovant, au carrefour de la recherche historique et de la prospective, il reste parmi nos préoccupations.
  1. Enfin, depuis Pays basque 2010 (1992), Michel Godet a fait passer l’idée que la prospective, c’est réfléchir librement et ensemble. On s’en souvient encore à Bayonne, à Anglet et à Biarritz, je peux en attester. On devrait le savoir à Namur. Divers projets menés au niveau régional lors des dernières législatures ne portaient pas cette marque. J’ai personnellement le souvenir d’avoir entendu dire que le mot délibératif était inacceptable hors du Gouvernement wallon et qu’un processus prospectif indépendant était dangereux. Or – le ministre-président Elio Di Rupo l’avait bien compris en 2000, et le Collège régional de Prospective le rappelait en 2011 [55] :– en dehors d’une bonne gouvernance, c’est-à-dire impliquant démocratiquement et respectant les acteurs, il n’y a pas de salut pour la prospective. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les prospectivistes préconisent souvent que leur discipline / indiscipline soit logée au sein des parlements plutôt qu’activée par les gouvernements ?

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

[1] L’Évaluation et la prospective en Wallonie et à Bruxelles : trop de consensus, pas assez de controverses !, Invitation au colloque du 15 mai 2014, Namur, Société wallonne de l’Évaluation et de la Prospective, 5 mai 2014.

[2] La Société d’Économie et de Mathématique appliquée, fondée par Jacques Lesourne en 1958.

[3] Jacques LESOURNE, Un homme de notre siècle, De polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, p. 325, Paris, Odile Jacob, 2000. – Entretien avec Jacques Lesourne du 27 avril 2000. – Ph. DESTATTE, La Belgique dans l’accroissement de l’interdépendance, dans M. BEYEN et Ph. DESTATTE, Un autre pays, Nouvelle histoire de Belgique, p. 15sv, Bruxelles, Le Cri, 2009.

[4] Forecasting and Assessment in the field of Science and Technology. Michel Godet, qui avait été directeur du département SEMA Prospective, à partir de 1978, a été en charge du lancement du programme FAST, de 1979 à 1980, en tant qu’administrateur principal de la CEE. Michel Godet était d’ailleurs venu à Louvain-la-Neuve, du 23 au 25 avril 1980, occuper la Chaire Quetelet Perspectives de population, d’emploi et de croissance urbaine, pour y faire un exposé sur Deux crises dévisagées par la prospective : 1°. les causes d’erreurs de prévision ; 2° à la recherche des emplois de demain. ARCHIVES DE L’INSTITUT DESTREE, Fonds Yves de Wasseige, Politique industrielle (2). – Voir aussi Stéphane CORDOBES et Philippe DURANCE, Les Entretiens de la la Mémoire de la Prospective : Jacques Lesourne, Président de l’Association Futuribles International, Paris, CNAM, Septembre 2004, p. 7.

http://www.laprospective.fr/dyn/francais/memoire/J_Lesourne_%28entretien%29_v2c.pdf.

[5] Claire Lejeune, professeur à l’Université de Mons a animé le Centre interuniversitaire d’Études philosophiques de l’Université de Mons (CIEPHUM) et la revue Réseaux, de même que les Cahiers du Symbolisme, autour de vecteurs de la prospective. – Prospective et pensée du futur, dans Réseaux, n° 22-23, 1974 (avec notamment Yves Barel et André-Clément Decouflé). – Prospective, sociologie, Régions, dans Réseaux, n° 28-29, 1976. – Bernard CROUSSE coord., La prospective revisitée : évaluation d’un savoir, dans Réseaux, n° 50-51-52, 1986-1987, Colloque du 17 février 1986 , Mons, CIEPHUM, 1986-1987.

[6] Raymond Collard était professeur à la Faculté des Sciences économiques et sociales de Namur et vice-président de l’Office de Promotion industrielle. Il devint plus tard directeur du Service des Études et de la Statistique de la Région wallonne. Il anima aussi le Groupe de Recherche et Développement de Louvain (créé en 1965), jusqu’en 2014. – Voir Raymond COLLARD et Yvan JOIRET, La régionalisation : contraintes et opportunités pour la Wallonie, Bruxelles, IEV, 1980. – R. COLLARD, La valorisation industrielle des grandes filières du futur, Note manuscrite, s.d. (1976). ARCHIVES DE L’INSTITUT DESTREE, Fonds Yves de Wasseige, Politique industrielle (2). Il contribua, par ses chroniques dans le journal La Wallonie, au début des années 1980, à me faire découvrir la prospective, notamment les travaux de Thierry Gaudin et André-Yves Portnoff. Voir par exemple : R. COLLARD, On cherche des pionniers wallons ! , dans La Wallonie, 15 mars 1985, p. 10. – R. COLLARD, Sciences, techniques et entreprises, Qu’attendre des entreprises wallonnes ?, dans La Wallonie, 4 avril 1985, p. 10. – R. COLLARD, Prospective 2007… sorties de la crise, transformations des modes de production, du travail et de l’emploi, dans La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, Cahier n° 2, p. 123-124.

[7] Paul DUVIGNEAUD, La synthèse écologique, p. 190, 289, 298-299, 317, Paris, Doin, 2ème éd., 1980 (1ère éd. 1974). – P. DUVIGNEAUD et Martin TANGHE, L’avenir, Des ressources naturelles à préserver, dans Hervé HASQUIN dir., La Wallonie, Le Pays et les Hommes, Histoire – Économies – Sociétés, t. 2, De 1830 à nos jours, p. 471-495, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1980.

[8] Notamment par ses travaux dans le cadre de la Fondation européenne de la Culture et de l’UNESCO. – Voir Gilbert DE LANDSHEERE e.a., La formation des enseignants demain, Tournai, Casterman – Amsterdam, Fondation européenne de la Culture, 1976.

[9] Pierre-Philippe DRUET, Peter KEMP, Georges THILL, Technologies et sociétés, Paris, Galilée, 1980.

[10] Jacques LANOTTE éd., L’avenir culturel de la Communauté française, Charleroi, Institut Destrée, 1979.

[11] Guy GALAND éd., Culture et politique, Promouvoir la création culturelle en Wallonie, Charleroi, Institut Destrée, 1984.

[12] Philippe DESTATTE, Les questions ouvertes de la prospective wallonne ou quand la société civile appelle le changement, dans Territoires 2020, Revue d’études et de prospective de la DATAR, n° 3, 1er semestre 2001, p. 139-153, p. 143.

[13] Archives de l’Institut Destrée, Dossier activités 1979. – L’institutionnel, clé de l’économique, dans Feuillets de la Communauté Wallonie-Bruxelles, Juin 1979, p. 2-3.

[14] PL, Le déclin économique wallon à l’Institut Jules Destrée : d’abord une banque régionale, dans Le Soir, 28 avril 1978.

[15] Ph. DESTATTE, L’Institut Destrée (1938-1988), dans Encyclopédie du Mouvement wallon, vol. 2(F-N), p. 851, Charleroi, Institut Destrée, 2000. – INSTITUT DESTREE, Fonds Institut Destrée, Conseil d’Administration du 26 octobre 1980, p. 3.

[16] Ph. DESTATTE, Les questions ouvertes de la prospective wallonne…, p. 142-143.

[17] Voir notamment son texte La lecture du complexe, dans Le Complexe de Léonard ou la Société de la Création, Colloque de la Sorbonne, Février 1983, p. 61-76, Paris, Editions du Nouvel Observateur – J-Cl Lattès, 1984.

[18] John NAISBITT, Les dix commandements de l’avenir (Megatrends), Paris-Montréal, Sand-Primeur, 1984.

[19] Voir Ph. DESTATTE dir., Evaluation, prospective et développement régional, p. 31-38, Charleroi, Institut Destrée, 2001. – Thierry GAUDIN, André-Yves PORTNOFF, La Révolution de l’intelligence, Rapport sur l’état de la technique, Paris, Sciences et Techniques, 1983. – Armand MATTELART et Yves STOURDZE, Technologie, culture et communication, Rapport au ministre de la Recherche et de l’Industrie, Paris, La Documentation française, 1982. – Simon NORA & Alain MINC, L’informatisation de la société, Rapport à M. le Président de la République, Paris, La Documentation française, 1978.

[20] La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, Charleroi, Institut Destrée, 1989. – La Wallonie au futur, Le défi de l’éducation, Charleroi, Institut Destrée, 1992. – La Wallonie au futur, Le défi de l’éducation, Conférence-consensus, Charleroi, Institut Destrée, 1994. – La Wallonie au futur, Quelles stratégies pour l’emploi ?, Charleroi, Institut Destrée, 1996. – La Wallonie au futur, Sortir du XXème siècle : évaluation, innovation, prospective, Charleroi, Institut Destrée, 1999. – Wallonie 2020, Une réflexion prospective citoyenne sur le devenir de la Wallonie, Charleroi, Institut Destrée, 2005. La plupart de ces ouvrages sont épuisés mais l’ensemble des actes sont néanmoins disponibles en ligne sur le portail de l’Institut Destrée :

http://www.wallonie-en-ligne.net/wallonie-publications/Wallonie-Futur_Index-Congres.htm

[21] Elio DI RUPO, Une cellule indépendante de prospective pour la Wallonie, dans Ph. DESTATTE dir., Evaluation, prospective et développement régional, p. 306-307, Charleroi, Institut Destrée, 2001.

[22] Archives de l’Institut Destrée, Philippe Destatte, Rencontre avec Jean-Claude Van Cauwenberghe, Ministre-Président du Gouvernement wallon, Namur, 5 juin 2000, Charleroi, Institut Destrée, 5 juin 2000, 2 p. (5IJD/PhD/00-228/bis).

[23] Ph. DESTATTE et Pascale VAN DOREN, La prospective comme outil de gouvernance, Charleroi, Institut Destrée, 2003.

[24] Trois rapports ont été diffusés : Ph. DESTATTE dir., Mission prospective Wallonie 21, La Wallonie à l’écoute de la prospective, Premier rapport au Ministre-Président du Gouvernement wallon, Charleroi, Institut Destrée, Août 2002. – Ph. DESTATTE et P. VAN DOREN dir., La prospective territoriale comme outil de gouvernance, Charleroi, Institut Destrée, 2003. – Ph. DESTATTE et P. VAN DOREN dir., Mission prospective Wallonie 21, La prospective à l’écoute de la Wallonie, Charleroi, Institut Destrée, Mai 2004. La plupart de ces rapports sont publiés en ligne :

http://www.wallonie-en-ligne.net/Mission-Prospective_Wallonie-21.htm

[25] Ph. DESTATTE, Mission prospective pour le gouvernement wallon, 2000-2004, Namur, Institut Destrée, 11 mai 2001, 5 p.

[26] Ph. DESTATTE, Dynamique de la société wallonne, Tendances et volontés, Groupe d’études prospective mis en place par les acteurs associatifs wallons, Namur, Institut Destrée, 28 avril 2001, 6 p. (IJD/PhD/01-182)

[27] Philippe DESTATTE et Pascale VAN DOREN dir., Réflexion prospective sur les politiques d’entreprises en Wallonie, Rapport final, Namur, Direction générale de l’Economie et de l’Emploi du Ministère de la région wallonne (Direction des Politiques économiques) – Institut Destrée, décembre 2003, 50 pages.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/ProspEnWal_Rapport-final_2003-12-04.pdf

[28] The Futures of Europeans in the Global Knowledge Society, A Meeting Point for Europeans Creating Futures, en collaboration avec la DG Recherche de la Commission européenne et le Millennium Project. A cette occasion, et pour la première fois, un Planning Committee du Millennium Project s’est tenu en Europe, à Louvain-la-Neuve.

http://www.wallonie-en-ligne.net/2005_EuMPI/index.htm

[29] Le rôle et la gestion des services publics face aux mutations du XXIème siècle, Château de La Hulpe, 9 novembre 2009.

[30] Culture du changement, responsabilisation et créativité : défis de l’éducation tout au long de la vie, Namur, Cercle de Wallonie, 13 février 2009.

[31] Lancé en avril 2010 Wallonie 2030 : anticiper les bifurcations stratégiques et choisir les comportements positifs, a consisté à décrire une série de domaines choisis, étudiés dans des fabriques de prospective et pilotés par des membres du Collège, la trajectoire passée et future de chaque domaine et d’en tirer des pistes de stratégies pour la société wallonne. Le résultat transversal de ces travaux fait apparaître la nécessité d’ouvrir un partenariat stratégique régional à partir de la société civile, des entreprises et des administrations afin de préparer un dialogue avec les forces politiques wallonnes et de préparer les pistes d’un contrat sociétal pour la Wallonie dans un cadre renouvelé.

[32] Congrès Wallonie 2030, Vers un contrat sociétal pour la Wallonie dans un cadre de régionalisation renouvelé, Namur, Palais des Congrès, 25 mars 2011.

[33] Appel pour un contrat sociétal wallon, Namur, Collège régional de Prospective de Wallonie, 28 février 2011. ­- Principes destinés à guider l’élaboration et la mise en œuvre de la prochaine déclaration de politique régionale de Wallonie, Namur, Collège régional de Prospective de Wallonie, 27 mai 2014.

http://www.college-prospective-wallonie.org/Principes_DPR-2014.htm

[34] www.institut-destree.org/Prospective_et_decision_publique

[35] Voir le site : http://www.intelliterwal.net/

[36] Plusieurs publications ont pu être réalisées dans ce cadre, parues dans la revue Territoires wallons ou dans la newsletter du développement territorial : Michaël VAN CUTSEM, Des projets de territoires : quelles valeurs, quelles solidarités et quelle citoyenneté ? dans Territoire(s) wallon(s)Trente ans de fusion des communes, CPDT, Région wallonne, août 2008, p. 47 à 62. – M. VAN CUTSEM, Lecture transversale de la DPR à la lumière des objectifs poursuivis par la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, dans Newsletter du Développement territorial, n° 5, Décembre 2009, p. 2 à 17. – M. VAN CUTSEM, La prospective territoriale en Wallonie : un mécano à géométries variables, dans Territoires wallons, Hors série, 2010. – Ph. DESTATTE et Luc MARECHAL, Prospective des espaces en transition territoriale et politique : la Wallonie, dans Yves JEAN et Guy BAUDELLE dir., L’Europe, Aménager les territoires, p. 378-389, coll. U, Paris, A. Colin, 2009.

[37] M. VAN CUTSEM et Charlotte DEMULDER, Quels scénarios pour l’aménagement du territoire à l’horizon 2040 ?, Namur, SPW-Institut Destrée, 2011.

[38] – Marie-Anne DELAHAUT (dir), Prospective de l’Internet – Foresight of the Internet, Actes du colloque,
Préface de Viviane REDING, Postface de Markus KUMMER,
Namur, Institut Jules-Destrée, 544 pages (livret photos en couleurs), 2005 http://www.wallonie-en-ligne.net/2005_Prospective-Internet/index.htm

– M-A DELAHAUT, Les progrès structurants des technologies de l’information et de la communication, http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/Mission-Prosp_W21/Rapport-2002/1-1_Progres-structurants_TIC.htm

[39] http://www.wallonie-en-ligne.net/2005_Prospective-Internet/index.htm

[40] http://www.millennia2015.org/Processus_de_prospective

[41] Actes de la conférence : http://www.millennia2015.org/unesco_2012_actes et notamment :-   http://www.millennia2015.org/tempFiles/532876889_0.1359369/Millennia2015_UNESCO_2012_MU03_Marie_Anne_DELAHAUT_2012_12_03_FR_EN.pdf – Ph. DESTATTE, Millennia2015 à l’Unesco : à la recherche d’une nouvelle harmonie pour les femmes du monde entier, Blog PhD2050, 11 décembre 2012. https://phd2050.org/2012/12/19/millennia2015/

[42] http://www.millennia2015.org/Equipe_Reseau

[43] www.millennia2015.org/2010_03_03_new_york_csw54_millennia2015

[44] http://www.millennia2015.org/Millennia2015_UNESCO_2010

[45] Marie-Anne DELAHAUT et Ph. DESTATTE, Millennia2015, Méthodologie du processus de recherche prospective, Namur, Institut Destrée, 14 octobre 2009, 23 p. – M-A. DELAHAUT et Coumba SYLLA, Millennia2015 – UNESCO, Rapport du processus de recherche prospective préparatoire à la conférence internationale 2011, Namur, Institut Destrée, 22. juillet 2010, 466 p. www.millennia2015.org/Methode. –   http://www.millennia2015.org/actes_seminaire_2011

([46]) www.millennia2015.org/fondation_millennia2025

[47] Collaboration IWEPS-Institut Destrée en matière d’études prospectives, Namur, 9 octobre 2007, 34 p.

[48] Jean-Luc GUYOT et M. VAN CUTSEM, La transmission d’entreprise en Région wallonne : discours et enjeux, Namur, IWEPS, 2010, 100 pages.

[49] Ph. DESTATTE, Evaluation of Foresight : how to take long term impacts into consideration, FOR-LEARN Mutual Learning Workshop, Evaluation of Foresight, Sevilla, IPTS, DG RTD, Dec. 13-14, 2007.

[50] La prospective est une démarche indépendante, dialectique et rigoureuse, menée de manière transdisciplinaire en s’appuyant sur la longue durée. La prospective peut éclairer les questions du présent et de l’avenir, d’une part en les considérant dans leur cadre holistique, systémique et complexe et, d’autre part, en les inscrivant, au delà de l’historicité, dans la temporalité. Résolument tournée vers le projet et vers l’action, elle a vocation à provoquer une ou plusieurs transformations au sein du système qu’elle appréhende en mobilisant l’intelligence collective. Ph. DESTATTE, Qu‘est-ce que la prospective ?, Blog PhD2050, Namur, 10 avril 2013.

https://phd2050.org/2013/04/10/prospective/

[51] Richard A. SLAUGHTER, Luke NAISMITH and Neil HOUGHTON, The Transformative Cycle, p. 5-19, Australian Foresight Institute, Swinburne University, 2004.

[52] Vers une activation des ressources en créativité au profit du développement régional (2004). Dans tous les cas, le concept de “Régions de la créativité” peut permettre d’activer, au départ des préoccupations de recherche et de compétitivité économique de la Région wallonne, des ressources dépendant institutionnellement de la Communauté française mais situées géographiquement sur le territoire régional de la Wallonie. Ces ressources s’inscriraient, dès lors, dans une stratégie régionale, dont le prochain Contrat d’Avenir pour la Wallonie pourrait constituer le cadre dynamique. Ph. DESTATTE, Les concepts de “régions de la connaissance, apprenantes et créatives” comme outils de développement régional, MPW21, 3 mai 2004, p. 19.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/MPW21_R2004_02_Philippe-Destatte_Vision-Wallonie21_2004-05-03.pdf

[53] Ph. DESTATTE dir. Vingt actions pour faire de la Wallonie une région apprenante et créative, MPW21, Recommandations, 3 mai 2004. A noter que l’ensemble des actions n’a pas été perdu pour tout le monde puisque celles-ci ont été présentées à Rennes dans le cadre d’un colloque sur les territoires apprenants réunis à l’initiative d’Edmond Hervé : Ph. DESTATTE, La formation tout au long de la vie, un enjeu pour un développement humain et durable des territoires, dans Yves MORVAN dir., La Formation tout au long de la vie, Nouvelles questions, nouvelles perspectives, Colloque Rennes Métropole, 6-7 mars 2006, p. 253-270, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.

[54] Ph. DESTATTE et P. VAN DOREN, dir., 4 X 4 pour Entreprendre, Réflexion prospective sur les politiques d’entreprises en Wallonie, Rapport final, 3 décembre 2003, p. 13.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/ProspEnWal_Rapport-final_2003-12-04.pdf

[55] Comment établir une gouvernance collective, participative et publique à la mesure de la démocratie du XXIème siècle, s’appuyant sur des processus de débat, de concertation et de décision ? Plus que jamais, les Wallonnes et les Wallons ont besoin d’un horizon et d’un projet communs, ainsi que d’un contrat par lequel, en construisant leurs convergences et en mesurant leurs divergences, ils s’organisent collégialement pour le réaliser et pour en partager équitablement les fruits. Appel pour un contrat sociétal wallon, dans La Libre Belgique, 4 mars 2011.

http://www.college-prospective-wallonie.org/Appel_Contrat-societal.htm

Namur, le 19 octobre 2014

 Il est classique, surtout en période de difficultés ou de tensions économiques d’entendre dire ou de lire que la crise n’est pas conjoncturelle mais qu’elle constitue une transformation de structure de l’économie ou de la société. On évoque alors le changement de paradigme [1].

1. Qu’entend-on par un Nouveau Paradigme industriel ?

Tenter d’identifier aussi clairement que possible le nouveau paradigme industriel dans lequel nous nous dirigerions impose tout d’abord d’expliquer les trois mots qui composent ce concept.

1.1. Un paradigme est avant tout un modèle, un système de référence et de représentation du monde, que nous inventons et construisons mentalement, pour tenter de saisir et décrire ses composantes. Edgar Morin décrit les paradigmes comme les principes des principes, les quelques notions maîtresses, qui contrôlent les esprits, qui commandent les théories, sans qu’on en soit conscient nous-mêmes. Et le sociologue évoque le monde actuel un peu comme le ferait Joseph Schumpeter lorsqu’il parle d’innovation : je crois que nous sommes dans une époque où nous avons un vieux paradigme, un vieux principe qui nous oblige à disjoindre, à simplifier, à réduire, à formaliser sans pouvoir communiquer, sans pouvoir faire communiquer ce qui est disjoint, sans pouvoir concevoir des ensembles et sans pouvoir concevoir la complexité du réel. Nous sommes dans une période “entre deux mondes”; l’un qui est en train de mourir mais qui n’est pas encore mort, et l’autre qui veut naître, mais qui n’est pas encore né [2].

1.2. Ce paradigme, nous le qualifions d’industriel. Cela signifie que nous nous référons au modèle qui s’est mis en place en Angleterre à la fin du XVIIIème siècle et qui a donné naissance à des activités économiques fondées sur l’exploitation et la transformation de matières premières et de sources d’énergie, par l’être humain et par la machine, en vue de fabriquer des produits et de les mettre sur le marché pour qu’ils y soient consommés. Nous n’oublions pas, toutefois, avec Jean Vial, que tant le développement des fonctions administratives, éducatives et sociales de l’État, que l’extension des activités tendant à assurer le confort et les loisirs des personnes, constituent des traits caractéristiques de la civilisation industrielle, au même titre que le crédit, la banque, les assurances, l’expansion des transports ainsi que les instruments de la commercialisation, liée à la consommation [3].

1.3. Enfin, nous annonçons que ce modèle est nouveau. Cela signifie que nous observons un renouvellement. Cette dernière dimension est de loin la plus difficile à appréhender tant les signaux qui nous sont envoyés par les scientifiques et par les acteurs économiques, politiques ou sociaux sont divers, voire contradictoires. Comme le sociologue Manuel Castells l’indique une société peut être dite nouvelle quand il y a eu transformation structurelle dans les relations de production, dans les relations de pouvoir, dans les relations entre personnes. Ces transformations entraînent une modification également notable de la spatialité et de la temporalité sociales, et l’apparition d’une nouvelle culture [4].

Le niveau auquel nous nous situerons pour analyser le Nouveau Paradigme industriel sera celui des mutations, c’est-à-dire des transformations profondes et durables. J’y distinguerai d’emblée les mutations observées et les mutations voulues. Les premières relèvent de la prospective exploratoire, de l’analyse et du constat. Les secondes relèvent de la prospective normative et renvoient à des stratégies élaborées pour atteindre des avenirs souhaités. Les une et les autres peuvent se confondre, se renforcer ou s’opposer. La transition est, elle, tout naturellement, la séquence de passage au coeur d’un changement, d’une transformation ou d’une mutation [5].

Ainsi, trois grandes mutations me paraissent structurer ce début de XXIème siècle.

2. Les trois mutations qui activent les industries du XXIème siècle

2.1. Nous évoluons toujours dans la Société industrielle

La première mutation est l’approfondissement et l’extension du paradigme né de la Révolution industrielle qui a été décrit par Adam Smith en 1776 dans Ses recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations, en 1776, puis par Karl Marx dans le livre I du Capital (1867), puis bien sûr, par tant d’autres jusqu’à Joseph E. Stiglitz [6] et Thomas Piketty [7] pour ne citer qu’eux. Si je le rappelle, c’est que, contrairement à d’autres, ma conviction est que nous continuons et continuerons à nous inscrire longtemps dans ce modèle. Il ne s’agit pas uniquement du machinisme, pas uniquement du capitalisme, pas uniquement d’un certain modèle social et d’un certain modèle politique. Il s’agit d’un système complexe né d’une mutation globale. Bien sûr, ce système a connu de nombreuses vagues d’innovations, différents régimes politiques et sociaux. Ces changements n’ont toutefois pas affecté l’essence de son modèle. Alain Touraine a, voici longtemps, estimé qu’il ne fallait pas confondre un type de société, qu’il s’agisse de la société industrielle ou de la société d’information, avec ses formes et ses modes de modernisation. Le sociologue français rappelait que nous avions appris à distinguer la société industrielle, type sociétal, du processus d’industrialisation, par exemple capitaliste ou socialiste [8]. De plus, le passage de la machine à vapeur, à la dynamo, au moteur diesel ou à l’énergie atomique n’ont pas provoqué de mutations telles que le modèle aurait changé de nature. Il devrait donc survivre aux futures vagues d’innovations ainsi qu’aux nouvelles valeurs et finalités nées de la troisième mutation. Certes, la part de l’industrie dans le PIB ou dans le volume d’emploi tend à se restreindre, comme s’en attriste la Commission européenne [9]. Mais, outre le fait que l’outsourcing biaise les statistiques, toute notre société reste très largement sous-tendue par la société industrielle et continue de s’y inscrire largement.

2.2. Nous vivons actuellement la Révolution cognitive

La seconde mutation a été progressivement observée depuis la fin des années 1960 et surtout depuis 1980. De Daniel Bell [10] et Jean Fourastié [11] à William Halal [12], de Thierry Gaudin [13] à John Naisbitt [14] et James Rosenau [15], de nombreux prospectivistes ont décrit comment l’ère industrielle cède progressivement sa place à une ère dite cognitive, au travers d’une nouvelle révolution du même nom. Celle-ci affecte l’organisation de tous les domaines de la civilisation, tant la production que la culture, en s’appuyant sur les changements nombreux qu’induisent l’informatique et la génétique, en considérant l’information comme infinie ressource [16]. L’intelligence, la matière grise, est la matière première, et ses produits sont informationnels, donc largement dématérialisés.

L’élément majeur de cette mutation est la convergence entre, d’une part, les technologies de l’information et de la communication et, d’autre part, les sciences de la vie. Sur le long terme, le mouvement est plus large et plus important qu’on ne l’imagine communément. En fait, la tendance lourde générale réside dans le développement phénoménal de la capacité de gestion de l’information. Ainsi, la croissance accélérée des technologies permettant d’étudier la biologie moléculaire est intimement liée à l’évolution des technologies de l’information et de la communication. Le cas de la génétique est flagrant – mais n’est pas le seul – : des outils informatiques ont été créés qui permettent d’analyser et de comprendre les interactions entre les gènes. C’est la convergence entre sciences du vivant et sciences de l’information qui a réellement dopé la biologie moléculaire.

Mais, nous l’avons dit, cette mutation observée s’est aussi révélée stratégie lorsqu’en mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne s’était donné pour tâche de définir un nouvel objectif straté­gique pour la décennie 2000-2010 : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quanti­tative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale  [17]. Toutes les politiques qui ont été menées ensuite dans le domaine de l’innovation ont eu ce même objectif de préparer la transition vers une société et une économie fondées sur la connaissance [18].

2.3. Nous construisons une nouvelle harmonie au travers du Développement durable

La troisième mutation a été voulue. Elle est elle-même née de trois processus distincts mais complémentaires, jadis renforcés par le programme Apollo de la NASA, qui a très largement contribué à notre prise de conscience que la planète bleue est un système relativement clos et fragile. D’abord, de la contestation de la modernité, de la critique de la société industrielle ainsi de l’American Way of Life par un certain nombres intellectuels : on pense à Herbert Marcuse [19], mais aussi à Donella Meadows [20] ou Aurelia Peccei [21]. Ensuite, des programmes des Nations Unies pour l’Environnement, dont les conférences, de Stockholm à Rio II, ont bâti un nouveau cadre de pensée. Enfin, de l’expérience humaine générée au fil du temps par les catastrophes écologiques, dont certaines ont été très spectaculaires : Torrey Canyon (1967), Amoco Cadiz (1978), Three Mile Island (1979), Tchernobyl (1986), Deepwater Horizon (2010), Fukushima (2011), qui ont contribué à la prise de conscience de la fragilité de la biosphère. Depuis le rapport de la Première Ministre Gro Harlem Brundtland (1987), la définition du développement durable s’est imposée à nous comme une finalité majeure en insistant sur les limites que nous impose la nécessité d’harmonie entre les êtres humains et entre l’homme et la nature. Cet objectif vers le développement durable nous a fait repenser l’ensemble de nos politiques économiques, la gestion de toutes nos entreprises, dans tous les domaines de l’activité humaine ainsi qu’en y intégrant le temps long. Nos politiques industrielles sont en train d’être reformatées par la transition vers une société bas-carbone. Les nouvelles approches industrielles, comme l’économie circulaire et toutes ses composantes, répondent à ces nécessités nouvelles. La secrétaire générale de l’Association européenne des Matériaux industriels (IMA), Michelle Wyart-Remy, a raison de souligner que l’efficience en matière de ressources ne consiste pas seulement à utiliser moins de ressources mais à les utiliser mieux. A chaque étape de la chaîne de valeur, l’industrie travaille à accroître son efficacité. Ce processus maximise l’efficience des ressources utilisées [22] et contribue à découpler la croissance économique de l’utilisation des ressources et de leurs impacts environnementaux – ce qui constitue un des objectifs majeurs de la stratégie Europe 2020 [23].

Conclusion : quatre facteurs vitaux et une interrogation

Bertrand Gille a bien montré dans son histoire des techniques que c’est la conjonction entre l’évolution rapide des niveaux de formation des populations et la diffusion des connaissances scientifiques et techniques qui a constitué le moteur du progrès technique permettant la Révolution industrielle machiniste [24]. C’est à partir des travaux de cet historien que Thierry Gaudin et Pierre-Yves Portnoff ont mis en évidence le fait que, dans les grandes déstabilisations de la technique que l’Occident avait connues, les quatre pôles que sont les matériaux, l’énergie, la structure du temps et la relation avec le vivant étaient activés en même temps. Ils décrivaient les transformations contemporaines :

– l’hyperchoix des matériaux et leur percolation horizontale, allant des usages dans les secteurs de pointes aux utilisations les plus usuelles ;

– la tension entre la puissance de l’énergie électrique nucléaire et l’économie des ressources énergétiques, dans un contexte de recyclage ;

– la relation avec le vivant et l’immense domaine des biotechnologies, y compris la génétique;

– la nouvelle structure du temps rythmé en nanosecondes par les microprocesseurs [25].

Nouveau-Paradigme-Industriel_Dia_2014-10-19

Ainsi ce qui surprend le plus, parallèlement au facteur vitesse dans l’accélération du changement [26], c’est la durée de la mutation. Alors que Alvin Toffler pensait, en 1980, que l’irruption de la Troisième vague serait un fait accompli en quelques décennies [27], on consi­dère aujourd’hui que le changement pourrait encore s’étendre sur un à deux siècles. Ces mutations constituent des mouvements longs qui traversent le temps et conquièrent l’espace. Comme nous l’avons indiqué, la Révolution industrielle, entamée vers 1700, continue à s’étendre sur de nouveaux territoires tandis que ses effets tendent à disparaître en d’autres lieux. De même, dans son analyse de la force de travail des États Unis, William H. Halal fait remonter le temps long de la société de la connaissance à la fin du XVIIIème siècle [28]. Le professeur à la Washington University affirme du reste sa conviction selon laquelle les grands changements sont encore à venir  [29].

A l’heure des grandes interrogations sur l’avenir de nos modèles économiques, il ne semble pas y avoir lieu d’annoncer autre chose que ce que nous analysons depuis plusieurs décennies. C’est pourquoi, je veux ici confirmer les trois mouvements observés : d’abord, des sociétés industrielles en transformation continue, ensuite, une Révolution cognitive construisant progressivement une Société de la Connaissance dont nous n’imaginons pas encore l’ampleur de la mutation future, enfin, le Développement durable comme recherche consciente de l’harmonie. Ces trois mouvements poursuivront longtemps encore leurs interactions, et – nous pouvons l’espérer – leur convergence. Ces trois mouvements constituent le Nouveau Paradigme industriel dans lequel nous œuvrons, et dans lequel nous œuvrerons encore pendant quelques décennies.

Le directeur général de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme, Pierre Calame, notait avec raisons, voici quelques années déjà, que des mutations gigantesques nous attendent, comparables en ampleur au passage du Moyen Age au monde moderne. La capacité de nos sociétés à concevoir et à conduire ces mutations sera décisive pour l’avenir. Et il s’interrogeait : y sommes-nous prêts ? [30].

Nous ne le sommes assurément pas suffisamment. Mais nous y travaillons. Et plus nous nous investissons collectivement dans l’avenir, moins nous le craignons.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

[1] Une première version de ce texte a été écrite sous le titre The New Industrial Paradigm, pour un exposé présenté à l’occasion du vingtième anniversaire de l’Association des Matériaux industriels (IMA-Europe) à Bruxelles, The Square, le 24 septembre 2014.

[2] Edgar MORIN, Science et conscience de la complexité, dans Edgar MORIN et Jean-Louis LE MOIGNE, L’intelligence de la complexité, p. 40, Paris-Montréal, L’Harmattan, 1999.

[3] Jean VIAL, L’avènement de la civilisation industrielle, p. 164-165, Paris, Presses universitaires de France, 1973.

[4] Manuel CASTELLS, L’ère de l’information, t. 3, Fin de Millénaire, p. 398 et 403, Paris, Fayard, 1999.

[5] Un changement est une évolution suffisamment nette pour que l’objet ou le sujet considéré soit devenu différent. Je considère que les changements se font au sein des systèmes. Quand ces derniers se modifient profondément par l’activation de l’ensemble de leurs éléments, je qualifierais cette opération de transformation.

[6] Joseph E. STIGLITZ & Bruce C. GREENWALD, Creating a Learning Strategy: A New Approach to Growth, Development and Social Progress, New York, Columbia University Press, 2014. – J. STIGLITZ, Globalization and its Discontents, New York, Norton, 2002. – La Grande Désillusion, Paris, Fayard, 2002.

[7] Thomas PIKETTY, Capital in the Twenty-First Century, Boston, Harvard University Press, 2014.

[8] Alain TOURAINE, Préface, dans Manuel CASTELLS, L’ère de l’information, t. 1, La société en réseaux, p. 9, Paris, Fayard, 2001. – Du reste, écrire que nous vivons dans les sociétés industrielles ne veut pas dire que nous viverions dans des sociétés capitalistes. Fernand BRAUDEL distinguait bien les deux idées : Une rupture plus grave que celle des années 30, Entretien de Fernand Braudel avec Gérard Moatti, dans Deux siècles de Révolution industrielle, p. 368, Paris, L’Expansion, p. 368, 1983.

[9] Pour une renaissance industrielle européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil économique et social et au Comité des Régions, SWD(2014) 14 final, Bruxelles, Commission européenne, 22 janvier 2014, COM(2014) 14 final.

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/ALL/?uri=CELEX:52014DC0014

[10] Daniel BELL, The Coming of Post-Industrial Society, A Venture in Social Forecasting, New York, Basic Books, 1973.

[11] Jean FOURASTIE, La civilisation de 1995, p. 123, Paris, PUF, 1974.

[12] William HALAL, A Forecast of the Information Revolution, in Technological Forecasting and Social Change, Août 1993, p. 69-86. – William E. HALAL and Kenneth B. TAYLOR, Twenty-First Century Economics, Perspectives of Socioeconomics for a Changing World, New York, St Martin’s Press, 1999.

[13] Thierry GAUDIN, Introduction à l’économie cognitive, La Tour d’Aigues, L’Aube, 1997. – Th. GAUDIN, L’Avenir de l’esprit, Prospectives, Entretiens avec François L’Yvonnet, Paris, Albin Michel, 2001. – Th. GAUDIN, Discours de la méthode créatrice, Entretiens avec François L’Yvonnet, Gordes, Le Relié, 2003. – Th. GAUDIN, L’impératif du vivant, Paris, L’Archipel, 2013. – Voir aussi Pierre VELTZ, La grande transition, Paris, Seuil, 2008.

[14] John NAISBITT, Megatrends, New York, Warner Books, 1982. – John NAISBITT & Patricia ABURDENE, Megatrends 2000, New York, William Morrow, 1989.

[15] James N. ROSENAU, Along the Domestic-Foreign Frontier, Exploring Governance in a Turbulent World, Cambridge University Press, 1997. – James N. ROSENAU et J. P. SINGH éd., Information Technologies and Global Politics, The Changing Scope of Power and Governance, New York, State University of New York Press, 2002. –

[16] William E. HALAL éd., The Infinite Resource, San Francisco, Jossey Bass, 1998.

[17] Conseil européen de Lisbonne : conclusions de la présidence, Council documents (en-fr) mentioned in the Annex to be found under Presse Release, p. 2, Lisbon (24/3/2000) Nr: 100/1/00 – http://europas.eu.int/comm/off/index – 20/04/02

[18] Ibidem.

[19] Herbert MARCUSE, One-Dimensional Man, Boston, Beacon Press, 1964.

[20] Donella H. MEADOWS et al. Limits to Growth: A Report for the Club of Rome’s Project on the Predicament of Mankind, New American Library, 1977 (1972).

[21] Aurelio PECCEI, The Chasm Ahead, New York, Macmillan, 1969.

[22] Imagine the Future with Industrial Minerals, 2050 Roadmap, p. 24-25 & 37, Brussels, IMA-Europe, 2014. The industrial minerals sectors estimates that up to 60% of all minerals consumed in Europe are recycled along with the glass, paper, plastics or concrete in which they are used (p. 37). The goal for 2050 is a 20% improvement in recycling of industrial materials (p. 38). – Recycling Industrial Materials, Brussels, IMA-Europe, October 2013. http://www.ima-europe.eu/content/ima-europe.eu/ima-Recycling-Sheets-full

[23] Reindustrialising Europe, Member’ States Competitiveness, A Europe 2020, Initiative, Commission Staff working Document, Report 2014, SWD(2014) 278, September 2014, p. 42. – Europe 2020 Strategy, “A Ressource-efficient Europe”

[24] Bertrand GILLE, Histoire des Techniques, coll. Bibliothèque de la Pléade, Paris, Gallimard, 1978. – B. GILLE, La notion de “système technique” (essai d’épistémologie technique), dans Culture technique, CNRS, 1979, 1-8.

[25] Thierry GAUDIN et André-Yves PORTNOFF, Rapport sur l’état de la technique : la révolution de l’intelligence, Paris, Ministère de la Recherche, 1983 et 1985.

[26] John SMART, Considering the Singularity : A Coming World of Autonomous Intelligence (A.I.), dans Howard F. DIDSBURY Jr. éd., 21st Century Opprtunities an Challenges : An Age of Destruction or an Age of Transformation, p. 256-262, Bethesda, World Future Society, 2003.s

[27] Alvin TOFFLER, La Troisième Vague, p. 22, Paris, Denoël, 1980. – il est intéressant de noter avec Paul Gandar que Toffler n’a pas pu décrire le passage à la société de la connaissance par l’effet du numérique. Paul GANDAR, The New Zealand Foresight project dans Richard A. SLAUGHTER, Gone today, here tomorrow, Millennium Preview, p. 46, St Leonards (Australia), Prospect Media, 2000.

[28] William HALAL, The New Management, Democracy and enterprise are transforming organizations, p. 136, San Francisco, Berrett-Koehler, 1996.

[29] William H. HALAL, The Infinite Resource: Mastering the Boundless Power of Knowledge, dans William H. HALAL et Kenneth B. TAYLOR, Twenty-First Century Economics…, p. 58-59.

[30] Pierre CALAME, Jean FREYSS et Valéry GARANDEAU, La démocratie en miettes, Pour une révolution de la gouvernance, p. 19, Paris, Descartes et Cie, 2003.

Brussels, 24 September 2014

Foresight is a future and strategy-oriented process, which aims at bringing about one or more transformations in the system by mobilising collective intelligence. Foresight is used to identify long-term issues, to design a common and precise vision of the future of the organisation, company or territory, to build strategies to reach it and to implement measures in order to achieve the changes and tackle the challenges [1].

Futurists should therefore not be seen as gurus who would own the truth about the future, but as people who try to understand developments and are able to gather other actors and get them to work and think together.

It is commonplace, especially in times of economic difficulty or tensions, to hear it said or read that the crisis is not cyclical, but represents a structural transformation of the economy or society. What is being referred to is a paradigm shift.

1. What do we mean by a New Industrial Paradigm?

An attempt at the clearest possible identification of the “new industrial paradigm” towards which we are said to be moving first of all requires an explanation of the three words of which the term is composed.

1.1. A paradigm is essentially a model and a system of reference and of representation of the world, which we invent and construct mentally in an attempt to grasp and describe its components. The sociologist Edgar Morin describes paradigms as the principles of principles, the few dominant concepts that control minds and govern theories, without our being aware of them ourselves. He refers to today’s world in terms reminiscent of Schumpeter on innovation: “I think we are living in a time in which we have an old paradigm, an old principle that compels us to disconnect, to simplify, to reduce and to formalise without being able to communicate or ensure the communication of that which is disconnected, without being able to conceptualise entities and without being able to conceptualise the complexity of reality. We are in a period “between two worlds”: one that is dying but not yet dead, and another that wants to be born, but has not yet been born ” [2].

1.2. We describe this paradigm as industrial. In doing so we refer to the model that was introduced in Britain in the late eighteenth century and gave rise to economic activities based on the extraction and processing of raw materials and energy sources, by humans and machinery, in order to manufacture products and put them on the market for consumption.

1.3. Finally, we have said that this model is new. This means that we are seeing a renewal. This final dimension is by far the hardest for both you and me to grasp, so diverse and even contradictory are the signals that are sent to us by scientists and by economic, political or social actors. As the Professor at the University of California (Berkeley) Manuel Castells suggests, a society can be called new when structural transformation has occurred in the relations of production, in the relations of power, in interpersonal relations. These transformations bring about an equally significant change in social spatiality and temporality, and the emergence of a new culture [3].

The level we will consider in order to analyse the New Industrial Paradigm will be that of radical shifts, in other words profound and lasting transformations. I will start by drawing a distinction between observed shifts and desired shifts. For the former, an exploratory approach must be taken consisting of analysing and recording. For the latter, a normative approach is appropriate, and strategies need to be developed to achieve desired futures. The two may merge, reinforce one another or oppose one another. Transition is of course the sequence during which one passes to the heart of a change, transformation or shift.

Thus, I believe that the beginning of the 21st century is patterned by three main shifts.

2. The three shifts driving 21st century industry

2.1. We are still in the Industrial Society

The first shift is the deepening and extension of the paradigm born of the Industrial Revolution and described by Adam Smith in An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations in 1776, then by Karl Marx in the first volume of Das Kapital (1867), and then of course by many others all the way down to Joseph E. Stiglitz [4] and Thomas Piketty [5] to name but a few. The reason that I point this out is because, unlike some others, I believe that we are continuing and will continue in this model for a long time. The model does not just involve mechanisation, capitalism, or a particular social model and a particular political model. It is a complex overall system born of a global shift. Of course, this system has undergone many waves of innovation, and various political and social systems. However, these changes have not affected the essence of the model. The French sociologist Alain Touraine long ago noted that we should not confuse a type of society – whether the industrial society or the information society – with its forms and its modes of modernisation. He pointed out that we had learned to distinguish the industrial society, as a societal type, from the process of industrialisation, which might be capitalist or socialist, for example [6]. In addition, the transition from the steam engine to the dynamo, to the diesel engine or to atomic energy did not cause sufficient shifts to change the nature of the model. It should therefore survive future waves of innovation and the new values and goals arising from the other shifts. It is true that industry’s contribution to GDP or employment is tending to decrease, as the European Commission has lamented. But leaving aside the fact that outsourcing skews the statistics, our entire society remains largely underpinned by industrial society and continues to largely fall within that category.

The reason why I stress this continuity is that some authors such as Jeremy Rifkin regularly announce the end of industry and the end of capitalism in the years ahead. Personally, I observe that we are continuing and will continue in this model for a long time.

2.2. We are now living the Cognitive Revolution

The second shift has been gradually observed since the late 1960s and especially since 1980. From Daniel Bell and Jean Fourastié [7] to William Halal [8], and from Thierry Gaudin [9] to John Naisbitt [10] and James Rosenau [11], many futurists have described how the industrial age is gradually giving way to a ‘cognitive age’, through a new revolution – The Cognitive Revolution. This latter affects the organisation of all aspects of civilisation, both production and culture, and is based on the many changes brought about by computing and genetics, and by the notion of information as an infinite resource [12]. Intelligence – grey matter – is the raw material, and its products are informational, and hence largely intangible.

The key factor in this shift is the convergence between, firstly, information and communication technology and secondly, the life sciences. In the long term, this development is broader and more significant than is commonly imagined. The general trend is for a phenomenal development in information management capacity. Thus, the accelerated growth of technologies for studying molecular biology is closely linked with the development of information and communication technologies. The case of genetics is obvious, but not isolated: computer tools have been created that can be used to analyse and understand the interactions between genes. It is the convergence between life sciences and information sciences that has really given molecular biology a boost.

But, as we have said, this observed shift also turned out to be a strategy when in March 2000 the Lisbon European Council set itself the task of establishing a new strategic goal for the decade 2000-2010: “to become the most competitive and dynamic knowledge-based economy in the world, capable of sustainable economic growth with more and better jobs and greater social cohesion” [13]. Most of the policies that were subsequently conducted in the field of innovation had this same objective of “preparing the transition to a competitive, dynamic and knowledge-based economy” [14].

2.3. We are building a new harmony through Sustainable Development

The third shift was wanted. It is itself the result of three distinct but complementary processes reinforced by NASA’s Apollo Program, which greatly contributed to our collective awareness that the Blue Planet is a rather closed and fragile system. First, there has been the challenging of modernity and the critique of industrial society and the American way of life by intellectuals such as Herbert Marcuse [15], but also Donella Meadows [16] and Aurelio Peccei [17]. Next, there have been the environmental programmes of the United Nations, whose conferences, from Stockholm to Rio II, have constructed a new conceptual framework. Finally, there has been the human experience generated over time by ecological disasters, some of them very spectacular – such as Torrey Canyon (1967), Amoco Cadiz (1978), Three Mile Island (1979), Chernobyl (1986), Deepwater Horizon (2010) or Fukushima (2011) – which have contributed to an awareness of the biosphere’s fragility. Since the report of the Prime Minister Gro Harlem Brundtland (1987), the definition of sustainable development has been accepted as a major goal, stressing as it does the limits imposed by the need for harmony between humans and between mankind and nature. This goal of sustainable development has caused us to rethink our entire economic policies and the management of all our businesses in all areas of human activity, and to adopt a long-term view. Our industrial policies are being reformatted by the transition to a low-carbon society. New industrial approaches such as the circular economy and all its components represent a response to these new needs. The Secretary General of the Industrial Materials Association Europe, Michelle Wyart-Remy, is right in saying that resource efficiency is not just about using less resources but about using resources better. At every stage of the supply chain, industry is working to be increasingly resource-efficient. That path will maximise the efficiency of resources used [18] and will contribute to the decoupling of economic growth from resource use and its environmental impacts – a stated goal of the Europe 2020 Strategy [19].

 3. Four vital factors: materials, energy, structure of time and relationship with life

Bertrand Gille convincingly showed in his history of technology that it was the conjunction of rapidly rising levels of education in the population and the dissemination of scientific and technical knowledge that drove technological progress forward and made the machine-based Industrial Revolution possible [20]. It is on the basis of that historian’s work that Thierry Gaudin and Pierre-Yves Portnoff have highlighted the fact that, in the three main technological destabilisations that the West has undergone, four vital factors – materials, energy, the structure of time and our relationship with life – were activated simultaneously. They described contemporary transformations:

– hyperchoice of materials and their horizontal seepage from applications in cutting-edge sectors to the most everyday forms of use;

– the tension between the power of nuclear energy and the economy of energy resources, in the context of recycling;

– our relationship with life and the immense field of biotechnology, including genetics;

– the new structure of time, divided into nanoseconds by microprocessors[21].

Although I have no wish to announce new structural changes, I do wish to assert that the three shifts – industrial societies in continuous transformation, the Cognitive Revolution building a new Knowledge Society, and Sustainable Development as a conscious search for harmony, will continue their interactions, and, hopefully, their convergence. For me, this is the New Industrial Paradigm in which we are living and working, and in which we will live and work for some decades.

Philippe-Destatte_The-New-Industrial-Paradigm_2014-09-24

Thus what is most surprising, alongside the speed and accelerating pace of change[22], is how long the shift is taking. Whereas Alvin Toffler thought in 1980 that the emergence of the ‘Third Wave’ would be a fait accompli in a few decades [23], we believe today that the change could extend over another century or two. These shifts are long-term movements which straddle time and conquer space. As we have indicated, the Industrial Revolution, which began in around 1700, continues to extend into new territories even as its effects are disappearing in other places. Likewise, in his analysis of the labour force in the United States, Professor William H. Halal of Washington University traces the long term of the knowledge society back to the late eighteenth century [24]. He also affirms his belief that the big changes are yet to come [25].

4. Five long-term challenges to tackle in order to face the New Industrial Paradigm

4.1. How can industry be reinforced with the innovations of the Cognitive Revolution?

Since the 1980s, we have observed the development of smart or intelligent materials able to respond to stimuli, thanks to the knowledge embedded in their structure in order to transform them. The reinforcement of the link between research and innovation is a classic issue. We can also point to the capacity to orient public research, and especially academic research, more effectively and to use industrial innovation in order to bridge the gap between science and industrial technology (market-driven research) through open innovation [26].

4.2. How can we concretely apply the principles of the circular economy to all the activities of the supply chain, in order to achieve a zero-waste business model for the industry of the future?

The circular economy appears to be a major line of development, with a global-to-local structure and underpinning systemic and cross-disciplinary policies pursued at European, national/federal, regional and divisional level. These policies are intended to fit together and link up with each other, becoming more and more concrete as and when they get closer to the actors on the ground, and therefore companies [27]. Although considerable improvements are still necessary to achieve a zero-waste business model, we know that such a strategy can help at a time when accessibility and affordability of raw materials is vital for ensuring the competitiveness of the EU’s industry [28].

4.3. How can we reduce energy consumption in order to improve the competitiveness of industry?

We know that the industrial sector consumes about half of the world’s total delivered energy. According to the US Information Energy Administration, despite the global crisis, energy consumption by the industrial sector worldwide is expected to increase by an average of 1.4% per year, growing by more than 50% by 2040 [29]. We are far from the target of a 40% improvement in energy efficiency by 2030 on the EU agenda [30]. That is why the EU Council in Luxembourg on 13 June 2014emphasised the need to accelerate efforts in particular as regards reviewing the Energy Efficiency Directive in a timely manner [31].

4.4. How can we prepare the different actors, and especially companies, for the Low-Carbon Economy?

The EU Commission has stressed the need to develop new low-carbon production technologies and techniques for energy-intensive material processing industries. Technology Platforms have been established and Lead Market Initiatives have been introduced. The Sustainable Industry Low Carbon (SILC I & II) initiatives aim to help sectors achieve specific GHG emission intensity reductions, in order to maintain their competitiveness. The involvement of companies, including SMEs, in these projects as well as the development of public-private collaboration are needed to ensure the deployment and commercialisation of the innovations in this field, including carbon capture and storage [32].

4.5. How can we build a real partnership between policymakers, civil society and companies in order to create positive / win-win multilevel governance?

With the new public governance, born in the 1990s, the role of companies themselves, but also of their commercial, sectorial, or territorial representatives, from individual cities up to European level and higher, has moved towards the building of common partnership policies. I prefer that term to ‘public policies’ because the incapacity of political leaders, who have failed to activate the stakeholders, is widely recognised nowadays. But we all know that the process of organising democratic and efficient multilevel governance is very difficult, and needs exceptional people to run it, with strong leadership and a real openness to the culture of the other actors. These decision-makers are the ones who will provide their country or their region with strategic thinking and implementation capacities. They are also the ones who will shape the environment for entrepreneurship and create the institutional framework that can enable companies, including SMEs, to reach their full potential [33].

Conclusion: Are we ready?

These long-term challenges are mostly present in the Industrial Materials Association – Europe roadmap as identified issues. What is crucial is for the people involved in working with these issues on a day-to-day basis to identify, with precision, what processes and measures they will have to introduce, year after year, in response to them.

The CEO of the Charles Léopold Mayer Foundation for Human Progress, Pierre Calame, said rightly, some years ago, that Huge shifts await us, comparable in magnitude to the transition from the Middle Ages to the modern world. The ability of our societies to understand and manage these shifts will be decisive for the future. Are we ready? [34]

The power to change lies in your hands: do not be afraid!

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

[1] See: Philippe DESTATTE, What is Foresight?, Blog PhD2050, Brussels, May 30, 2013.

What is foresight?

This text is the reference paper of a conference presented at The Industrial Materials Association (IMA-Europe) 20th Anniversary, IMAGINE event, Brussels, The Square, September 24th, 2014.

About the challenges, see: Jerome C. GLENN, Theodore J. GORDON & Elizabeth FLORESCU dir., 2013-14, State of the Future, , Washington, The Millennium Project, 2014.

[2] Edgar MORIN, Science et conscience de la complexité, dans Edgar MORIN et Jean-Louis LE MOIGNE, L’intelligence de la complexité, p. 40, Paris-Montréal, L’Harmattan, 1999.

[3] Manuel CASTELLS, The Information Age, Economy, Society and Culture, Oxford, Blackwell, 2000. – L’ère de l’information, t. 3, Fin de Millénaire, p. 398 et 403, Paris, Fayard, 1999.

[4] Joseph E. STIGLITZ & Bruce C. GREENWALD, Creating a Learning Strategy: A New Approach to Growth, Development and Social Progress, New York, Columbia University Press, 2014.

[5] Thomas PIKETTY, Capital in the Twenty-First Century, Boston, Harvard University Press, 2014.

[6] Alain TOURAINE, Préface, dans Manuel CASTELLS, L’ère de l’information, t. 1, La société en réseaux, p. 9, Paris, Fayard, 2001.

[7] Jean FOURASTIE, La civilisation de 1995, p. 123, Paris, PUF, 1974.

[8] William HALAL, A Forecast of the Information Revolution, in Technological Forecasting and Social Change, Août 1993, p. 69-86. – William E. HALAL and Kenneth B. TAYLOR, Twenty-First Century Economics, Perspectives of Socioeconomics for a Changing World, New York, St Martin’s Press, 1999.

[9] Thierry GAUDIN, Introduction à l’économie cognitive, La Tour d’Aigues, L’Aube, 1997. – Th. GAUDIN, L’Avenir de l’esprit, Prospectives, Entretiens avec François L’Yvonnet, Paris, Albin Michel, 2001. – Th. GAUDIN, Discours de la méthode créatrice, Entretiens avec François L’Yvonnet, Gordes, Le Relié, 2003. – Th. GAUDIN, L’impératif du vivant, Paris, L’Archipel, 2013. – See also: Pierre VELTZ, La grande transition, Paris, Seuil, 2008.

[10] John NAISBITT, Megatrends, New York, Warner Books, 1982. – John NAISBITT & Patricia ABURDENE, Megatrends 2000, New York, William Morrow, 1989.

[11] James N. ROSENAU, Along the Domestic-Foreign Frontier, Exploring Governance in a Turbulent World, Cambridge University Press, 1997. – James N. ROSENAU et J. P. SINGH éd., Information Technologies and Global Politics, The Changing Scope of Power and Governance, New York, State University of New York Press, 2002. –

[12] William E. HALAL ed., The Infinite Resource, San Francisco, Jossey Bass, 1998.

[13] Conseil européen de Lisbonne : conclusions de la présidence, Council documents mentioned in the Annex to be found under Presse Release, p. 2, Lisbon (24/3/2000) Nr: 100/1/00 – http://europas.eu.int/comm/off/index – 20/04/02

[14] Ibidem.

[15] Herbert MARCUSE, One-Dimensional Man, Boston, Beacon Press, 1964.

[16] Donella H. MEADOWS et al. Limits to Growth: A Report for the Club of Rome’s Project on the Predicament of Mankind, New American Library, 1977 (1972).

[17] Aurelio PECCEI, The Chasm Ahead, New York, Macmillan, 1969.

[18] Imagine the Future with Industrial Minerals, 2050 Roadmap, p. 24-25 & 37, Brussels, IMA-Europe, 2014. The industrial minerals sectors estimates that up to 60% of all minerals consumed in Europe are recycled along with the glass, paper, plastics or concrete in which they are used (p. 37). The goal for 2050 is a 20% improvement in recycling of industrial materials (p. 38). – Recycling Industrial Materials, Brussels, IMA-Europe, October 2013. http://www.ima-europe.eu/content/ima-europe.eu/ima-Recycling-Sheets-full

[19] Reindustrialising Europe, Member’ States Competitiveness, A Europe 2020, Initiative, Commission Staff working Document, Report 2014, SWD(2014) 278, September 2014, p. 42. – Europe 2020 Strategy, “A Ressource-efficient Europe”… #

[20] Bertrand GILLE, Histoire des Techniques, coll. Bibliothèque de la Pléade, Paris, Gallimard, 1978.

[21] Thierry GAUDIN et André-Yves PORTNOFF, Rapport sur l’état de la technique : la révolution de l’intelligence, Paris, Ministère de la Recherche, 1983 et 1985.

[22] John SMART, Considering the Singularity : A Coming World of Autonomous Intelligence (A.I.), dans Howard F. DIDSBURY Jr. éd., 21st Century Opprtunities an Challenges : An Age of Destruction or an Age of Transformation, p. 256-262, Bethesda, World Future Society, 2003.s

[23] Alvin TOFFLER, La Troisième Vague, … p. 22. – il est intéressant de noter avec Paul Gandar que Toffler n’a pas pu décrire le passage à la société de la connaissance par l’effet du numérique. Paul GANDAR, The New Zealand Foresight project dans Richard A. SLAUGHTER, Gone today, here tomorrow, Millennium Preview, p. 46, St Leonards (Australia), Prospect Media, 2000.

[24] William HALAL, The New Management, Democracy and enterprise are transforming organizations, p. 136, San Francisco, Berrett-Koehler, 1996.

[25] William H. HALAL, The Infinite Resource: Mastering the Boundless Power of Knowledge, dans William H. HALAL & Kenneth B. TAYLOR, Twenty-First Century Economics…, p. 58-59.

[26] Imagine Roadmap…, p. 33 & 50.

[27] Ph. DESTATTE, The circular economy: producing more with less, Blog PhD2050, Namur, August 26, 2014.

http://phd2050.org/2014/08/26/ce/

[28] Reindustrialising Europe…, p. 42.

[29] Industrial Sector Energy consumption, US Energy Information Administration, Sep. 9, 2014. http://www.eia.gov/forecasts/ieo/industrial.cfm

[30] EU’s Energy Efficiency review puts high target on agenda, in Euractiv, June 17, 2014.

http://www.euractiv.com/sections/energy/eus-energy-efficiency-review-puts-high-target-agenda-302836

[31] EU Council of The European Union, Council conclusions on “Energy prices and costs, protection of vulnerable consumers and competitiveness, Council Meeting Luxembourg, 13 June 2014.

http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/trans/143198.pdfImagine Roadmap…, p. 29.

[32] Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions, An Integrated Industrial Policy for the Globalisation Era Putting Competitiveness and Sustainability at Centre Stage, Brussels, COM(2010), 614 final, 28.10.2010, p. 30.

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2010:0614:FIN:EN:PDFImagine Roadmap…, p. 31.

About SILC: http://ec.europa.eu/enterprise/newsroom/cf/itemdetail.cfm?item_id=6492&lang=en

[33] Countries’ overall direction is shaped by their ability to define their interests and assets (including industrial), have a clear vision of the challenges and risks ahead, set coherent long-term goals, make informed policy choices and manage uncertainty. Leading, enabling and delivering strategic policy- making requires strong leadership and effective strategic-thinking skills in public institutions. It calls for a strong centre of the government that is capable of promoting coherent cross-departmental cooperation and better implementation of government reform programmes. The consultation of expert communities as well as the general public on future trends, opportunities and risks offers the chance to engage more strongly with the public and helps (re)build trust in government.” Reindustrialising Europe…, p. 60 & 55. – Imagine Roadmap…, p. 23 & 49.

[34] Pierre CALAME, Jean FREYSS et Valéry GARANDEAU, La démocratie en miettes, Pour une révolution de la gouvernance, p. 19, Paris, Descartes et Cie, 2003.