Millennia2015 à l’Unesco : à la recherche d’une nouvelle harmonie pour les femmes du monde entier

Namur, le 11 décembre 2012

Rendre les femmes actrices de développement pour les enjeux mondiaux, construire un plan d’action pour l’autonomisation des femmes : au delà de ses objectifs très ambitieux, la deuxième conférence Millennia2015, organisée à Paris au siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO [1]) du 3 au 6 décembre 2012 m’a à la fois surpris par son ampleur et enthousiasmé par la très forte motivation des participantes et participants. Cet événement constituait le temps fort de la deuxième phase du processus lancé au Palais des Congrès de Liège par l’Institut Destrée en mars 2008.

Fondatrice et pilote du projet, Marie-Anne Delahaut, directrice de recherche à l’Institut Destrée, responsable de son pôle Société de l’Information, ainsi que présidente de la nouvelle Fondation d’utilité publique Millennia2025 « Femmes et Innovation » a su, depuis le lancement de la démarche en 2007, s’entourer de personnalités de premier plan qui l’ont soutenue dans son ambitieuse entreprise. Ainsi a-t-elle rassemblé au sein d’un comité stratégique Eleonora Barbieri Masini (professeure émérite de Prospective à l’Université grégorienne à Rome), Françoise Massit-Folléa (chercheure, responsable du programme scientifique « Vox Internet » de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme à Paris, présidente du Comité de Pilotage de Millennia2015), Véronique Thouvenot (responsable du Groupe de travail international Millennia2015 « Femmes et eSanté » « WeHealth ») et Coumba Sylla, chargée de recherche au pôle Société de l’information de l’Institut Destrée et pour Millennia2015,). Elle y a associé Ted Gordon (scientifique et prospectiviste américain mondialement connu, une des chevilles ouvrières du Millennium Project) et de nombreuses personnalités telles Jocelynne Scutt, Lois Herman, Marcia Cohen, Irene Sullivan, Fahima Nasrin ou Kristie Holmes, (http://www.millennia2015.org/Programme_Conference_UNESCO) ainsi que des expertes renommées en prospectives et questions de genre comme Leena-Maija Laurén (Finland Futures Research Centre), et Hélène von Reibnitz (Scenario+Vision). Mais l’appui le plus important se construit depuis 2008 avec les  communautés Millennia2015 (Niger, Sénégal, Haïti, Goma-RDC, Côte d’Ivoire, Bénin, Pérou, Bangladesh, Mauritanie, Népal, Mali, Mongolie, Éthiopie, Femmes africaines actives de la Diaspora) qui travaillent sans relâche en appliquant la méthodologie prospective de Millennia2015 au contexte particulier de leur pays ou de leur région.

Le processus d’émancipation des femmes : le fait majeur inachevé du XXème siècle

Le fait majeur du XXème siècle est sans nul doute l’enclenchement du processus d’émancipation sociale et juridique des femmes. Ce mouvement est loin d’être abouti. Mené au sein des cellules familiales, dans les entreprises mais aussi dans les quartiers et au niveau des États, il s’est inséré également dans l’agenda global des droits de l’être humain, malgré l’ampleur des différences de situations d’un pays ainsi que d’un continent à l’autre. Alors que l’autonomisation des femmes autant que l’égalité des femmes et des hommes s’inscrivaient dans l’évolution d’un monde qui s’ouvrait à des aspirations communes, il semble que, depuis la conférence de Pékin en décembre 1995, le processus d’émancipation rencontre trop d’obstacles. Génocides, épurations ethniques, guerres et rebellions ont profondément affecté la trajectoire positive que beaucoup pensaient acquise, tandis que les enquêtes sur le quotidien des pays développés ou en développement mettaient en évidence des réalités bien dommageables : les femmes sont encore trop souvent considérées comme secondaires par rapport aux hommes. Elles sont méprisées, rabaissées, violentées, maltraitées, violées, battues, assassinées. En situation de guerre, elles sont utilisées comme arme de guerre et doivent surmonter des situations atroces pour elles et pour leur famille. Et, en situation de paix, elles bénéficient trop rarement de la reconnaissance qu’elles méritent. Au Sud plus que partout ailleurs mais au Nord aussi. En novembre 2012, le secrétaire général de l’Onu Ban Ki-moon rappelait que, sur le champ de bataille, dans leur propre foyer, dans la rue, à l’école, sur leur lieu de travail ou au sein de leur communauté, la proportion de femmes qui subissent des sévices physiques ou sexuels à un moment de leur vie peut atteindre 70%, et jusqu’à un quart de l’ensemble des femmes enceintes [2].

 La Déclaration universelle des Droits humains (Human Rights), votée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies, a confirmé l’égalité des droits des hommes et des femmes. Elle a rejeté toute distinction de droits ou de libertés qui pourrait être fondée sur le sexe, comme d’ailleurs sur la race, la couleur, la langue, la religion. Les Nations Unies ont poursuivi leurs efforts pour soutenir les femmes dans la conquête de leurs droits. L’Assemblée générale a adopté le 7 novembre 1967 la Déclaration sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Ce texte a été complété le 18 décembre 1979 par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Parallèlement, et depuis l’Année internationale de la femme, décrétée en 1975, plusieurs conférences dédiées au progrès des droits des femmes ont été organisées par les Nations Unies, notamment à Mexico (1975), Copenhague (1980), Nairobi (1985), où ont été adoptées les Stratégies prospectives d’Action pour la promotion des femmes à l’horizon 2000, Pékin (1995) et New York (2005).

En fait, une des motivations majeures de l’organisation de la conférence de Pékin provenait de l’inquiétude exprimée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1990 mais aussi  manifestée par le Conseil économique et social et d’autres instances, devant le rythme très inégal de la mise en œuvre des Stratégies prospectives d’action adoptées à Nairobi. En dépit de quelques progrès dans certains domaines, on restait très loin d’atteindre les objectifs d’égalité des droits entre êtres humains, de prévention de la violence à l’égard des femmes, de progression de leur participation aux efforts de promotion de la paix et à la prise de décisions dans les domaines économique et politique. La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement du 14 juin 1992 a rappelé que les femmes ont un rôle vital dans la gestion de l’environnement et le développement, et que leur pleine participation est donc essentielle à la réalisation d’un développement durable. En 1995, les accords de Pékin ont été marqués par un volontarisme visant à relancer le processus de Nairobi et, par la mise en œuvre du nouveau Programme d’action destiné à « entraîner des changements fondamentaux« . Si c’est aux gouvernements qu’incombe pour l’essentiel la responsabilité de leur exécution, les Nations Unies estiment que celle-ci dépend également des institutions des secteurs public, privé et non gouvernemental aux échelons local, national, régional et international. Les gouvernements ont été invités à préparer immédiatement des plans nationaux d’action, avec la collaboration de la société civile. De même, en septembre 2000, les responsables des États ont décidé, d’un commun accord, de concrétiser ces engagements dans la Déclaration du Millénaire et se sont engagé à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement.

La Conférence régionale africaine sur les femmes, organisée à Addis-Abeba en octobre 2004 dans le cadre du processus d’évaluation de Pékin + 10, a constitué un intéressant bilan des efforts fournis ces dernières décennies. Ce texte souligne que, malgré la mobilisation des femmes et leur reconnaissance aux différents niveaux, les progrès normatifs ne se traduisent pas encore par des changements majeurs dans leur vie quotidienne. Les femmes africaines, en particulier les femmes rurales et les femmes handicapées, rencontrent encore de graves problèmes. Leur faible accès aux ressources productives, comme la terre, l’eau, l’énergie, le crédit, les moyens de communication, l’éducation et à la formation, la santé, et l’emploi rémunéré et décent a contribué à ce que davantage de femmes africaines qu’il y a 10 ans vivent aujourd’hui dans la pauvreté, voire dans l’extrême pauvreté. Les effets cumulés du VIH/sida, de la tuberculose et du paludisme, de l’insécurité alimentaire, de la faiblesse de la productivité économique et de faibles niveaux d’éducation, ainsi que la recrudescence de la violence sexuelle sont autant de problèmes considérables qui rendent les femmes et les filles africaines plus vulnérables [3]. Ainsi que le souligne le rapport de la Conférence régionale africaine sur les femmes, les gouvernements ont reconnu que l’adoption de lois et de politiques spécifiques ne suffisait pas pour garantir une véritable égalité et équité entre les sexes et le respect des droits des femmes. Plus que jamais, le besoin de réduire l’écart entre les engagements pris et leur concrétisation dans la réalité se fait sentir.

La Conférence de New York de février-mars 2005 a bien sûr réaffirmé son attachement aux principes du processus de Pékin et sa volonté à le faire aboutir. Mais elle a surtout alimenté le document final du Sommet mondial (Assemblée générale des Nations Unies) qui a réaffirmé dans son article 58 qu’un progrès pour les femmes est un progrès pour tous, ainsi que la volonté des nations de l’Onu de promouvoir l’égalité entre les sexes et d’éliminer le sexisme qui est omniprésent, a) en éliminant les disparités entre les garçons et les filles, le plus tôt possible, dans l’enseignement primaire et secondaire et d’ici à 2015 à tous les niveaux d’enseignement ; b) en garantissant aux femmes le droit de posséder des biens ou d’en hériter, et en leur assurant la sécurité d’occupation des terres et du logement; c) en assurant l’égalité d’accès à la médecine de la procréation ; d) en améliorant la situation des femmes sur le plan de l’égalité d’accès aux marchés du travail et à un emploi durable, ainsi que sur celui de la protection des travailleurs ; e) en assurant aux femmes l’égalité d’accès aux moyens de production, y compris la terre, le crédit et la technologie ; f) en éliminant toutes les formes de discrimination et de violence à l’égard des femmes et des filles, notamment en mettant fin à l’impunité et en assurant la protection des civils, en particulier les femmes et les filles, pendant et après les conflits armés, comme le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits de l’homme en imposent l’obligation aux États; g) en favorisant une meilleure représentation des femmes dans les organes décisionnaires de l’État, y compris en veillant à ce que les femmes aient les mêmes chances que les hommes pour ce qui est de participer pleinement à la vie politique [4].

 

L’UNESCO à Paris, étape  sur le chemin de Millennia2015 entre Liège et New York (2008-2015)

En recevant plus de cent cinquante d’intervenantes en séances plénières et en travaux de commissions au Palais des Congrès de Liège les 7 et 8 mars 2008, les organisatrices de Millennia2015 ont pu dresser un diagnostic prospectif de la situation des femmes partout dans le monde (http://www.millennia2015.org/Actes_2008) et lancer le processus de recherche nécessaire pour renforcer la connaissance des 37 variables-clefs qui ont été identifiées à partir de ces travaux (http://www.millennia2015.org/KP2010_37_variables_FR). Celles-ci portent sur des sujets aussi divers que l’accès à l’information et au savoir, les situations de conflits et de guerres, le climat, écologie et respect de l’environnement, l’éducation et la formation tout au long de la vie, les droits de l’être humain, les violences faites aux femmes, les migrations, la créativité et la culture, les sciences et les technologies, etc. Mais, ainsi que Marie-Anne Delahaut l’avait annoncé d’emblée, l’objectif de Millennia2015 ne consiste pas à produire simplement une analyse portant sur les questions de genre mais à faire progresser le statut des femmes, tant aux niveaux global que local. La valorisation des travaux de la conférence de Liège a donc permis de construire un socle informationnel impressionnant autour duquel un réseau mondial de plusieurs centaines puis milliers de chercheuses et chercheurs volontaires s’est activé. Fin novembre 2012, ce réseau comptait un centre bouillonnant d’intelligence collective de 1.178 chercheurs et acteurs réunis en thinktank, avec, au delà, 2.936 membres et 9.498 contacts relais répartis selon un ratio de 70% de femmes et 30 % d’hommes provenant de 117 pays ou régions.

Lorsque le processus de prospective s’est remis en route, au lendemain de la conférence de Liège et suite au lancement de l’exercice à l’Unesco le 8 décembre 2010, 213 enjeux ont été identifiés par le réseau, regroupés ensuite en sept macro-enjeux destinés à interroger de manière innovante et précise les dynamiques de changement et d’élaborer les stratégies qui mèneront à la réalisation d’un avenir souhaitable pour les femmes du monde entier (http://www.millennia2015.org/7_macro_enjeux_fr). Un peu partout, des groupes et communautés Millennia2015 se sont constitués pour répondre aux enjeux et produire de la connaissance par processus d’intelligence collective. Ces travaux ont été complétés par des contributions individuelles. Vision commune à l’horizon 2025, axes stratégiques et déjà plusieurs dizaines d’actions concrètes ont été identifiées lors de la conférence organisée par l’Institut Destrée et la Fondation Millennia2025 Femmes et Innovation avec le patronage de l’Unesco en son siège à Paris les 3 et 4 décembre 2012 (http://www.millennia2015.org/millennia2015_unesco_conference_2012_fr). Ainsi, c’est la véritable trame d’un plan d’action pour l’autonomisation des femmes qui a été produit lors de la conférence. Ce programme d’action sera encore augmenté et renforcé dans les mois qui viennent, puis décliné au niveau local. D’ailleurs, dans la foulée, en renforcement de l’ensemble de la dynamique, un travail de formation à l’autonomisation des femmes par la prospective a été lancé au travers de séances d’initiation à la prospective, organisées sous l’égide du Millennium Project et de l’Institut Destrée. L’Université de Houston pourrait également y être associé dans les mois qui viennent.

Lors de la conférence, Madame Irina Bokova, directrice générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture, a rappelé l’importance qu’elle accordait au partenariat entre Millennia2015 et l’Unesco : elle a conclu en affirmant sa conviction que le Plan d’action de Millennia2015 sur l’autonomisation des femmes sera une contribution essentielle pour accélérer la réalisation des objectifs du Millénaire d’ici 2015 et au delà, pour définir l’agenda du développement où l’égalité des genres doit occuper une place centrale (http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002186/218617m.pdf).

Avec ses nombreux et importants partenaires, Millennia2015 renforce sa démarche dans la ligne du gender mainstreaming des grandes organisations et des États concernés par la mise en œuvre des objectifs du Millénaire et du processus engagé à Pékin. De plus, le noyau de femmes et d’hommes qui se sont engagés à travailler ensemble hier à Liège, aujourd’hui à Paris et, demain à New York, constitue un renfort tangible s’il aide à la mise en mouvement concrète des initiatives portées par tous les réseaux et plateformes dont ils constituent les têtes et les relais. Comme l’indiquait la Communauté Millennia2015 Haïti, très dynamique à Paris, c’est ensemble que nous pouvons réussir. Ces Haïtiennes écrivent d’ailleurs en conclusion d’un petit livre sur Femme et citoyenneté politique : nous cherchons à frayer le chemin pour d’autres jeunes comme nous, afin de leur faire comprendre qu’elles et qu’ils peuvent réussir ensemble [5]. C’est également l’idée de tracer un chemin que Françoise Massit-Folléa a mentionnée dans sa conclusion de la conférence à l’Unesco : certes, soulignait-elle, les conditions des femmes sont plurielles, mais l’un des enjeux de Millennia2015 consiste bien à construire des ponts entre le Nord et le Sud, le local et le global, la vie de famille et la vie publique, les genres et les générations.

Un engagement construit en partenariat égalitaire par les femmes et les hommes

Car enfin, de nos jours, et à l’heure des discours autour du développement durable, il n’est plus possible, en Wallonie, en Flandre, en France, en Europe ou ailleurs, de concevoir un projet de société sans y intégrer, au cœur même de nos propres enjeux, de nos propres visions et de nos propres stratégies, un engagement central et puissant : contribuer à construire, avec les pays du Sud, et pour nous tous, un bien commun. Celui d’un monde meilleur basé sur la paix, l’harmonie et le co-développement.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050


[1] Rappelons que la mission de l’UNESCO est de contribuer à l’édification de la paix, à l’élimination de la pauvreté, au développement durable et au dialogue interculturel par l’éducation, les sciences, la culture, la communication et l’information.L’Organisation se concentre, en particulier, sur deux priorités globales : l’Afrique et l’égalité entre les sexes

[2] Message du Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-Moon, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 25 novembre 2012. (SG/SM/14662 – OBV/1162 – FEM/1930.

http://www.un.org/News/fr-press/docs/2012/SGSM14662.doc.htm

[3] Septième Conférence régionale africaine sur les femmes (Beijing + 10) : Évaluation décennale de la mise en œuvre de la Plateforme d’action de Dakar et du Programme d’action de Beijing,
Résultats et Perspectives, p. 3, Addis-Abeba 12-14 octobre 2004.

[4] ORGANISATION DES NATIONS UNIES, Sommet mondial de 2005, Soixantième Session de l’Assemblée générale des Nations Unies, 15 septembre 2005, Article 58, p. 18 et 19. (A/60/L.1.).

[5] Marie Nélège BYRON e.a., sous la direction de Hérold TOUSSAINT,  Femme et Citoyenneté politique, Lettre à la jeunesse haïtienne, p. 107, Port-au-Prince, Collectif des Universitaires citoyens, 2012.

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