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Federalism(e)

Hour-en-Famenne, le 22 août 2020

L’attention que j’ai portée aux questions du fédéralisme et du confédéralisme depuis plus de trente ans [1] est d’abord professionnelle : j’ai commencé à expliquer à des étudiants en 1980 que le fédéralisme était une doctrine préconisant une certaine liberté d’action des parties associées, combinée à une unité d’ensemble, plutôt qu’un dogme de division. Je continue à le faire aujourd’hui, notamment à l’École de Droit de l’Université de Mons. Parallèlement, le fédéralisme est devenu chez moi la meilleure réponse aux difficultés de répondre aux enjeux d’un pays complexe et la meilleure manière d’organiser l’État pour répondre à ses enjeux de manière pacifique. Cette conviction je l’ai acquise en fréquentant, écoutant, lisant François Perin, Jean-Maurice Dehousse, Jacques Hoyaux, Robert Collignon, Jacques Brassinne, Philippe Suinen, Karl-Heinz Lambertz et quelques autres…

Au-delà de la mécanique fédéraliste et de toutes ses variantes, il reste toujours pour moi une interrogation de l’ancien secrétaire général de la Commission européenne, Émile Noël, que j’ai connu comme président de l’Institut européen de Florence dans les années 1990. J’avais eu l’occasion de l’accueillir à Liège en 1995 pour un colloque européen. À cette occasion, celui qui était alors président du Centre de Formation européenne (CIFE) de Nice avait posé cette question fondamentale : la structure fédérale contribue-t-elle véritablement à l’épanouissement culturel, au dynamisme politique, au développement économique ? [2]

Ce doute, je ne suis pas le seul à le partager aujourd’hui. Une classe politique tout entière s’interroge, qui semble à la fois déconnectée du passé, victime d’amnésie et frappée d’effroi, celui qui empêche d’avancer dans l’avenir. Et j’ai de surcroît l’impression que de nombreux experts, politologues et constitutionnalistes sont figés dans des postures qui les empêchent eux aussi de franchir le pas vers l’avenir, et qu’ils participent à ce que Michel Crozier appelait “une société bloquée”.

Dans un débat organisé par Henri Goldman à paraître dans le numéro de septembre 2020 de la revue Politique, j’ai eu l’occasion d’échanger avec Philippe Van Parijs et Hugues Dumont sur l’évolution institutionnelle de la Belgique. Après ces échanges cordiaux que l’on découvrira dans peu de temps, j’ai voulu lever quelques ambiguïtés et rendre claire ma position en sept points.

  1. Je défends pour la Belgique un projet – que j’appelle fédéraliste – de quatre entités fédérées – des régions-communautés distinctes et territorialisées – intitulées Flandre, Bruxelles, OstBelgien et Wallonie, disposant des mêmes droits, des mêmes devoirs et des mêmes compétences, ainsi que nous le présentons avec Jacques Brassinne depuis 2007 [3].
  1. Comme le constitutionnaliste Fernand Dehousse – qui n’était pas un Flamand – l’a fait de 1938 à la fin de sa vie, au milieu des années 1970, je persiste à considérer que le confédéralisme n’est somme toute qu’une forme différente de fédéralisme [4].
  1. Si on veut appeler cela du confédéralisme et que cela fait plaisir aux partis politiques flamands qui ont tous – sauf le Belang et le Partij van de Arbeid – prôné cette formule confédérale à un certain moment, je n’y vois pas d’inconvénient : bien sûr, mon (con)fédéralisme à moi est à quatre composantes, à statut égal.
  1. De plus en plus, je pense que notre exécutif et notre législatif, au niveau fédéral, doivent abandonner un nationalisme désuet et dépassé, que quelques masques tricolores de mauvais goût ne parviendront pas à ranimer, et s’emparer de la formule que le professeur Élie Baussart exposait déjà en 1928 : “la Flandre et la Wallonie ne sont pas faites pour la Belgique, la Belgique est faite pour la Flandre et la Wallonie. Comme l’État, observait-il, est fait pour le citoyen et non le citoyen pour l’État” [5]. Sans doute, en 2020, aurait-il ajouté les entités de Bruxelles et de l’OstBelgien.
  1. Comme nous l’avions affirmé avec mon collègue historien de l’Université d’Anvers Marnix Beyen, en conclusion générale de la Nouvelle Histoire de Belgique (1970-2008), une fédération simplifiée et transparente aurait pour vertu d’augmenter l’attachement des citoyennes et des citoyens aux structures politiques, sans pour autant les exclure des identités multiples. Dans une telle configuration, l’identité belge ne reposerait plus en premier lieu sur des sentiments négatifs [6].
  1. Car, c’est un autre Dehousse – Franklin – petit fils de Fernand et fils de Jean-Maurice, ces deux réformateurs wallons de l’État belge, qui le constate avec force et raison aujourd’hui, ce 18 août 2020 : la Belgique est malade de sa mauvaise gestion publique – et de la particratie – bien plus que du fédéralisme [7].
  1. Les outils existent, tant pour soigner les plaies d’un État inachevé que celles de sa gestion chaotique. Au lieu de maudire les élues et les élus ainsi que les experts, il appartient aux citoyennes et aux citoyens de se saisir des enjeux de la Cité. Initiative de l’Observatoire québécois de la Démocratie de l’UQAM, l’Université d’été de la participation citoyenne et de la gouvernance démocratique en Wallonie et au Québec l’a bien montré en cette troisième semaine d’août 2020 : la santé démocratique d’un pays ne peut aujourd’hui se fonder que sur l’interaction constante entre, d’une part, une représentation solide d’élus déterminés à chercher le bien commun et, d’autre part, l’implication et l’expertise citoyennes que les parlements et autres assemblées nationales se doivent de mobiliser.

Il ne s’agit plus de gadgets pour faire semblant, mais d’innovations sociales et de contrôle démocratique.

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Notamment : Ph. DESTATTE, Séparation, décentralisation fédéralisme, La pensée régionaliste de Jules Destrée (1895-1936), Bruxelles, Direction générale de l’Enseignement, de la Formation et de la Recherche de la Communauté française, 1988. – Ph. DESTATTE, La Wallonie : une entité fédérée ? dans La Wallonie, une Région en Europe, coll. Études et documents, p. 382-392, Nice – Charleroi, Cife – Institut Destrée, 1997. – Ph. DESTATTE dir., Le fédéralisme dans les États-nations, Regards croisés entre la Wallonie et le monde, Bruxelles, Presses interuniversitaires européennes, 1999. – Ph. DESTATTE, Bruxelles, la Flandre et la Wallonie, un nouveau paradigme pour la Belgique ? dans Fédéralisme : stop ou encore ? p. 113-120, Numéro spécial des Cahiers marxistes, octobre-novembre 2000. https://phd2050.org/2020/08/21/resurgence-paradigme/ – Ph. DESTATTE, Le (con)fédéralisme en Belgique n’est pas un problème, c’est une solution, conférence (Con)federalism: cure or curse, Rethinking Belgium’s institutions in the European Context, 11th public event of the Re-Bel initiative, Fondation universitaire, Bruxelles,19 juin 2014. Blog PhD2050, 14 juillet 2014. https://phd2050.org/2014/07/14/confederalisme/ – Ph. DESTATTE, Quel avenir pour le fédéralisme belge ?, in Die Besonderheiten des belgischen Bundesstaatsmodells und ihre Auswirkungen auf die Rechtsstellung der Deutschsprachigen Gemeinschaft, Beiträge zum Kolloquium vom 16. September 2016 im Parlament der Der Deutschsprachigen in Eupen, Scriftenreihe der Deutschsprachigen Gemeinschaft, Band 3, 63-69, 2017. – Ph. DESTATTE, Le confédéralisme, spectre institutionnel, Blog PhD2050, Institut Destrée, Working Paper, 31 p., 28 décembre 2019, http://www.institut-destree.eu/wa_files/philippe-destatte_confederalisme_spectre-institutionnel_consolide_2019-12-31.pdf

[2] Ph. DESTATTE, A Émile Noël, La Wallonie, une Région en Europe, p. 9, Nice – Charleroi, Cife – Institut Destrée, 1997.

[3] Jacques BRASSINNE de LA BUISSIERE et Philippe DESTATTE, Un fédéralisme raisonnable et efficace pour un État équilibré, 24 février 2007, 4p. http://www.institut-destree.eu/Archives/2007-02-24_J-Brassinne_Ph-Destatte_Quatrieme-Voie_FR.pdf

[4] Notamment : Fernand DEHOUSSE et Georges TRUFFAUT, L’État fédéral en Belgique, p. 15, Liège, Éditions de l’Action wallonne, 1938. – Fernand DEHOUSSE, Les projets fédéralistes de 1938 à nos jours, dans Jacques LANOTTE éd., L’histoire du mouvement wallon, Journée d’étude de Charleroi, 26 février 1976, p. 27, Charleroi, Institut Destrée, 1978.

[5] Elie BAUSSART, 1930 verra-t-il la faillite de 1830 ?, dans La Terre wallonne, Octobre 1928, p. 24.

[6] Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, Un autre pays, Nouvelle histoire de Belgique 1970-2000, [volume 9 de la Nouvelle Histoire politique de la Belgique contemporaine de 1830 à nos jours, sous la direction de Michel Dumoulin, Vincent Dujardin et Mark Van den Wijngaert], coll. Histoire, p. 395, Bruxelles, Le Cri, 2009.

[7] Franklin DEHOUSSE, La Belgique, malade de sa mauvaise gestion publique bien plus que du fédéralisme, dans L’Écho, 18 août 2020, p. 9.

Cet article a été publié dans les Cahiers marxistes  d’octobre-novembre 2000, sous le titre Bruxelles, la Flandre et la Wallonie, Un nouveau paradigme pour la Belgique ? n°217, p. 113-120.

Charleroi, le 15 septembre 2000

C’est à juste titre qu’on a qualifié la dynamique de réforme de l’Etat belge de fédéralisme de distanciement. Ce constat est fondamental : trente ans de dynamique de transformation de la Belgique n’ont cessé d’éloigner les populations du royaume les unes des autres et ont été incapables de créer un projet fédéral commun. Bien au contraire, trente ans de réforme de l’Etat ont fait naître en Wallonie non seulement un manque d’intérêt pour la société et la culture de la Flandre, mais aussi une ignorance et une indifférence pour ce qui s’y passe vraiment. De même, sur la question de leurs relations avec la Flandre, l’incompréhension semble s’accroître entre, d’une part, les habitants de la Wallonie et, d’autre part, ceux qui à Bruxelles parlent le français.

La douce – mais courte – euphorie communautaire qui a présidé à la mise en place des gouvernements arc-en-ciel et au convol du prince héritier ne semble pas avoir inversé cette tendance. Aussi, paraît-il utile de décrire ici un nouveau paradigme pour la Belgique, paradigme où Bruxelles apparaît – une fois encore – au centre du système [1].

Bruxelles, un no man’s land pour les Flamands et les Wallons

Une contribution provocatrice à la revue Politique m’a donné l’occasion d’aborder la question d’un statut pour Bruxelles sur un plan politique, sinon philosophique [2]. Je voudrais d’abord rappeler cette analyse avant de prolonger ma réflexion sur le plan institutionnel.

Ce texte, je l’avais intitulé Bruxelles : oser être métis, par référence au reproche adressé à Jules Destrée – et constamment rappelé – d’avoir, à l’instar d’Albert Mockel, nommé les Bruxellois métis, c’est-à-dire comme il l’expliquait, hésitants entre Flamands et Wallons, et tirant parti de cette hésitation. Si à ce sujet l’on fait constamment référence, à La Lettre au roi de 1912, ou à Wallons et Flamands, de 1923, on oublie que, lors du premier texte cité, Destrée travaille dans la capitale du royaume et qu’à l’époque de la publication du deuxième il y réside – et qu’il y habitera jusqu’à sa mort, en 1936. De même, les glorieux publicistes qui s’en prennent au député de Charleroi omettent constamment de citer les conclusions que Jules Destrée tirait à la fin de son chapitre sur ce sujet en 1924 :

Ainsi, Bruxelles, dont la prospérité est magnifique, devient pour les idées, ce que sa situation géographique indiquait, un centre du monde, un point de contact des grandes civilisations du siècle. […] La cité des métis devient de cette façon l’ardent foyer d’une civilisation européenne ; c’est un rôle assez beau pour que nous puissions beaucoup lui pardonner  [3].

L’avenir de Bruxelles me paraît dès lors devoir être pris en compte par une approche nouvelle qui consiste à considérer l’ensemble de la population bruxelloise comme provenant essentiellement de l’immigration, y compris la population wallonne. Celle-ci  a connu, au niveau de sa troisième ou de sa quatrième génération, un phénomène d’intégration classique qui l’a transformée en population belge bruxelloise ou francophone de Bruxelles. Ce mécanisme d’intégration a d’ailleurs été facilité par le spectacle – souvent désolant – offert par une Wallonie en déclin à laquelle l’ambition sociale n’incitait pas à continuer de s’identifier. S’y est d’ailleurs ajoutée, plus récemment, l’incompréhension des Bruxellois à l’égard du choix, par les Wallons, de Namur comme capitale de la Wallonie. Il n’y a pas si longtemps, un représentant de la francité bruxelloise ne se laissait-il pas aller à trouver l’idée d’un parlement régional à Namur ridicule (4].

Ce qui est vrai pour les Wallons de Bruxelles est vrai pour toutes les populations qui y résident – et elles sont aujourd’hui aussi diverses que nombreuses. Du reste, en termes d’identité, ce qui a progressé le plus, ces dernières années à Bruxelles, c’est l’identité régionale bruxelloise, y compris l’identité bruxelloise des Flamands de Bruxelles. Mon espoir est, dès lors, celui de voir se construire – ou s’affiner si l’on est optimiste – une forte identité politique régionale bruxelloise, pour une société pluriculturelle qui valorise les expériences et les potentialités culturelles de ses populations. La ville-frontière en oublierait le gordel qui l’obsède et abandonnerait le fantasme de son couloir de Dantzig vers la Wallonie au travers de la forêt de Soigne. Ainsi, Bruxelles, lieu d’identités multiples, pourrait-elle  représenter, en tant que capitale de l’Europe, les valeurs et les projets de ceux et de celles qui l’ont faite et font ce qu’elle est : les Flamands, les Marocains, les Turcs, les Grecs, les Allemands, les Français, les Italiens, les Wallons, etc.

Pour qu’il en soit ainsi, il est néanmoins nécessaire de changer la dynamique générale qui provoque le conflit autour de la question de Bruxelles.

Ce changement implique que l’on reconnaisse, entre Flamands, Bruxellois et Wallons, un minimum de volonté de vivre ensemble dans un Etat fédéral ou confédéral ([5]). Or, au delà des slogans, la volonté de vivre ensemble demain entre Flamands, Bruxellois et Wallons n’est, aujourd’hui, ni établie, ni démontrée.

Choisissant par optimisme et par conviction fédéraliste [6] l’hypothèse de cette volonté, il me paraît que le problème de Bruxelles ne peut être résolu qu’en sortant de la dynamique d’affrontement entre les communautés – flamande et francophone – que nous avons connue jusqu’ici.

Cet affrontement est inscrit dans le terme même de communauté, concept pollué et rétrograde, qui trouve son origine dans un droit du sang (jus sanguinis) auquel même les Allemands sont en train de tourner le dos. Ce droit familial, ethnique, basé sur la langue et la culture a été sans cesse source d’incompréhension en Belgique. D’une part, du côté flamand, on considère encore trop généralement que “la langue est tout le peuple” (taal is gans het volk). L’aboutissement ultime de cette logique devrait d’ailleurs nous décider à nous rattacher respectivement aux Pays-Bas et à la France.

D’autre part, du côté francophone et wallon, on conteste aux Flamands un “droit du sol” en se parant d’un “droit des gens”, alors qu’en réalité, le premier est libérateur de l’individu car, référant au territoire, conçu comme espace de la démocratie, on attribue des droits à ceux qui y vivent, si possible sans discrimination. Jules Destrée se trompait lorsque, de façon méprisante, il reprochait aux Flamands le droit du sol en évoquant le serf attaché à la glèbe ([7].

Il faut, aujourd’hui, reconstruire la Belgique fédérale sur un régionalisme de citoyenneté, ce civisme constitutionnel cher à Jürgen Habermas, où la communauté est celle qui, comme le souligne Dominique Schnapper, réside sur un espace défini (8]. Comme un texan n’est qu’un habitant du Texas, un Flamand sera un habitant de la Flandre et un habitant de Bruxelles sera un Bruxellois.

Quatre repositionnements raisonnables

Ce nouveau paradigme pour la Belgique implique quatre repositionnements raisonnables :

Primo, les francophones doivent renoncer à la Communauté française qui, contrairement à ce que disent ses défenseurs, ne protège pas les Bruxellois de l’influence flamande – de la flamandisation diraient les francophones -, mais peut permettre cette flamandisation en créant une concurrence entre les communautés sur le territoire de Bruxelles, ce qui s’observe déjà. Outre qu’il est coûteux, cet affrontement est inutile et ne porte aucun fruit.

Secundo, les Flamands doivent créer une vraie région flamande, comme les Wallons l’ont fait pour la Wallonie, avec, par exemple, Anvers comme capitale, en la reconquérant au Vlaams Blok. Ainsi que je l’avais suggéré en août 1995, les Flamands pourraient, en drainant de toute la Flandre une population politique, administrative et de services, disputer au Vlaams Blok – avant qu’il ne soit trop tard – une ville qui, hier de cultures et de lumières, pourrait devenir demain, la Toulon fasciste du nord (9].

Tertio, les Bruxellois doivent promouvoir une véritable citoyenneté métissée et renoncer à assurer un leadership sur la Belgique par des alliances économiques avec les uns et par des solidarités culturelles avec les autres. Les Bruxellois doivent assumer leur  vocation européenne et internationale en jouant avec franchise leur rôle de relais avec la Flandre mais également avec la Wallonie. Ils doivent aussi examiner sans passion exagérée les statuts spécifiques que leur ville-capitale de l’Europe pourrait s’assigner tout en conservant ses institutions régionales. L’idée de statut européen ne peut être jugée indigne – voire scandaleuse – lorsqu’elle est avancée par le Flamand Louis Tobback et prise en considération quand elle provient du Wallon Michel Quévit ([10]) ou des Bruxellois francophones Renaud Denuit et Pierre Efratas. Comme l’écrivait cet écrivain et citoyen de Bruxelles, Bruxelles ne serait plus la capitale d’un Etat divisé, mais la ville de plusieurs centaines de millions d’Européens [11].

De toute manière, et en récusant l’idée de tutelle de la Flandre et de la Wallonie sur Bruxelles, la motivation du projet conçu par Michel Quévit dès 1984 me paraît garder toute sa pertinence, puisqu’il s’agissait de permettre aux Bruxellois de gérer de manière autonome leur spécificité propre, à savoir :

– les relations économiques que Bruxelles entretient avec la Flandre et la Wallonie ;

– la spécificité du développement urbain ;

– l’intégration harmonieuse des Bruxellois de langue néerlandophone dans son tissu sociologique, notamment en garantissant le droit de ses minorités ([12]).

 On ajoutera, avec Michel Quévit, mais aussi avec Robert Tollet et Robert Deschamps, deux motivations supplémentaires pour faire en sorte que Bruxelles dispose des mêmes institutions, des mêmes compétences et des même moyens que les deux autres régions :

– la spécificité culturelle propre qui ne peut s’assimiler ni à la région flamande, ni à la région wallonne,

– le caractère international qui doit être valorisé et doit profiter au développement des autres régions du pays (13].

Quarto, les Wallons doivent assumer leur situation économique en comptant davantage sur eux-mêmes que sur des solidarités forcées et créer, enfin, entre eux, le projet du plus grand dénominateur et non le consensus du plus petit commun multiple. Il y a longtemps que, à titre personnel, je répète que, lorsqu’on trace des frontières, on doit aussi pouvoir accepter que les politiques mais aussi les niveaux de vie diffèrent des deux côtés de la frontière. Il me paraît normal que le développement économique ou la fiscalité soient différents entre des régions économiquement et socialement différentes. Naturellement, il faut passer par des négociations globales : si on veut régionaliser la sécurité sociale, alors, il faut également accepter de régionaliser la dette publique, dans des proportions à convenir [14].

De plus, dans un fédéralisme à quatre régions, les germanophones pourront aussi assumer les compétences régionales qu’ils souhaiteront vouloir prendre en charge.

Conclusion : la décrispation par les régions

Quatre régions égales en droit, sans stratégies d’alliance particulière ni d’affrontement déterminé pourraient permettre la décrispation tant attendue depuis le début de la réforme de l’Etat. Bruxelles, no man’s land pour les Flamands, Wallons et francophones querelleurs, pourrait enfin se concentrer sur sa fonction de lien entre tous et chacun, au plan belge comme au plan européen et intercontinental.

Ainsi, l’horizon de l’engagement des Flamands comme des francophones et des Wallons dans leur mouvement citoyen ne sera plus celui d’un combat pour la conquête d’une hypothétique Jérusalem. Cet horizon pourra enfin être, pour la société, la volonté de ne plus abandonner derrière elle aucun laissé pour compte, quelle que soit sa langue, quelle que soit son origine et quelle que soit sa nationalité.

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] Une première mouture de cette réflexion a fait l’objet d’une conférence publiée dans la revue du Masereelfonds Aktief : Philippe DESTATTE, Een Waal over Brussel, [Brussel, Vlaanderen en Wallonië, Tussenkomst tijdens de conferentie over de toekomst van Brussel, georganiseerd door het Masereelfonds in Brussel op 10 december 1998.] dans Aktief, Mars-Avril 1999, p. 13-17.  Ce texte a également été nourri par le débat avec Philippe De Bruycker, professeur à l’ULB, organisé à Parentville le 5 mai 1999, dans le cadre de l’exposition y organisée sur le fédéralisme belge.

[2] Philippe DESTATTE, Bruxelles : oser être métis, dans Politique, Octobre-novembre 1998, p. 40-42.

[3] Jules DESTREE, Wallons et Flamands, La querelle linguistique en Belgique, p. 333, Paris, Plon, 1923.

[4] Emmanuelle JOWA, Cultiver ses racines wallonnes à Bruxelles [Interview de Jean Bourdon, président de Bruxelles français], dans Le Matin, 18 septembre 1998, p. 6.

[5] La différence entre fédéralisme et confédéralisme m’a toujours échappée, comme elle échappait à Fernand Dehousse – qui était lui un spécialiste -, parce que cette différence est pure question de définition.

[6] voire résignation fédéraliste si on se réfère à l’analyse faite lors du colloque organisé à Liège, les 19 et 20 novembre 1998 : Philippe DESTATTE dir., L’idée fédéraliste dans les Etats-nations, Regards croisés entre la Wallonie et le monde,  Bruxelles, Presses interuniversitaires européennes – Charleroi, Institut Jules Destrée, 1999.

[7] C’est là une conception du passé, une idée du Moyen Age. Jadis le serf était attaché à la glèbe. Aujourd’hui la personnalité humaine s’émancipe du sol où elle est née; elle se conçoit supérieure au territoire et libre de déterminer les directions de son activité. Le lien à un territoire est un reste de servitude. Le régionalisme flamand est un régionalisme attardé et d’esclavage; tandis que le mien est moderne et de liberté. La question des langues à l’armée, Séance du 22 mai 1913, dans Jules DESTREE, Discours parlementaires, p. 657, Bruxelles, Lamertin, 1914. – voir aussi : Hervé HASQUIN, Bruxelles, ville-frontière, le point de vue d’un historien francophone, dans Joël KOTEK, dir. , L’Europe et ses villes frontières, p. 213-214, Bruxelles, Complexe, 1996.- V.d.W., Beaufays (ULg) : “Le  droit du sol, une notion inerte”, dans La Libre Belgique, 5 février 1998, p. 3.

[8] Dominique SCHNAPPER, La communauté des citoyens, Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994. – Jürgen HABERMAS, L’intégration républicaine, Essais de théorie politique, Paris, Fayard, 1998. – Jürgen HABERMAS, Après l’Etat-nation, Une nouvelle constellation politique, Paris, Fayard, 2000.

[9] Philippe DESTATTE, Pratique de la Citoyenneté et identités, Rapport de synthèse, dans Pratique de la Citoyenneté et identités, Treizième conférence des Peuples de Lanque française, Liège, 13, 14 et 15 juillet 1995, Actes, p. 179, Charleroi, Centre René Lévesque, 1996.

[10] Michel QUEVIT, Une confédération belge : Solution institutionnelle équitable pour la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, dans Res publica, n°3, 1984, p. 352-361.

[11] Pierre EFRATAS, Pour Bruxelles, une ville libre à vocation européenne, dans La Libre Belgique, 29-30 novembre 1997, p. 15 (Courrier des lecteurs).

[12] Michel QUEVIT, op. cit, p. 361.

[13] Robert DESCHAMPS, Michel QUEVIT, Robert TOLLET, Vers une réforme de type confédéral de l’Etat belge dans le cadre du maintien de l’unité monétaire, dans Wallonie 84,  Liège, CESW, 2, n° 62, p. 95-111.

[14] Filip ROGIERS, Waalse beweging laakt “konstant njet” van PS, Interview de Philippe Destatte, dans De Morgen, 8 août 1996, p. 5. – Voir aussi Philippe DESTATTE, L’identité wallonne : une volonté de participer plutôt qu’un sentiment d’appartenance, Contribution à une réflexion citoyenne, dans Cahiers marxistes, n° 207, Octobre – novembre 1997, p. 149 – 168.

Entretien avec Filip Rogiers, journaliste au quotidien De Standaard [1]

Hour-en-Famenne, 27 juillet 2020

 

Une Wallonie d’où le chômage serait banni

Filip Rogiers : l’image d’un PS “demandeur de rien” depuis 2000 est-elle correcte, avec les deux exceptions que sont les accords du Lambermont en 2001 et l’accord dit Papillon en 2010 ?

Philippe Destatte : les réformes institutionnelles, de 1970 à 2014, correspondent pour moi, de manière évidente, à l’avancement d’un long processus. Pour les Wallons, il faut se dire que ce processus est d’une autre nature que la question linguistique ou communautaire à laquelle on la réduit souvent. N’oublions jamais qu’un député wallon comme Jules Destrée a voté la loi Coremans De Vriendt d’égalité (Gelijkheidswet) en 1898, de même qu’il a voulu mettre fin en 1928 à toute solidarité des Wallons avec les francophones de Flandre, car, disait-il, ils ne s’intéressaient pas au sort des ouvriers de Wallonie. Ce qui l’intéressait avant tout, c’est un projet de société correspondant à des valeurs humanistes, libérales et sociales-démocrates. C’est en cela que le régionalisme politique et le fédéralisme ont pris tout leur sens en Wallonie. Avec des socialistes qui, de Georges Truffaut à Guy Spitaels, en passant par Freddy Terwagne et Jean-Maurice Dehousse, ont revendiqué la réforme de l’État, non comme une fin en soi, mais pour atteindre des objectifs précis. Ces objectifs avaient été bien exprimés par le syndicaliste liégeois André Renard dès 1950 lorsqu’il avait rejoint le Mouvement wallon : faire de la Wallonie, disait-il, une région où il fait bon vivre et d’où le chômage serait banni. Après la réforme de 1993, les élus wallons ont considéré que c’était là leur objectif principal. Ils se sont focalisés sur cette ambition dont Elio Di Rupo a été le porteur en 1999 avec la tentative de Contrat d’Avenir, puis en 2005 avec le Plan Marshall piloté par Jean-Claude Marcourt, donc des politiques volontaristes de redressement. Leur problème institutionnel était plutôt intrafrancophone : celui de la Communauté française et sa loi de financement bancale, la difficulté aussi de s’accorder avec certains Bruxellois francophones qui ne s’intéressent pas à l’avenir de la Wallonie et sont encore à rêver à l’élargissement de Bruxelles au-delà des 19 communes ou au tracé d’un couloir par Rhode-Saint-Genèse… Cela, c’est une maladie qui a aussi touché les socialistes.

Filip Rogiers : peut-on défendre la thèse que la deuxième réforme de l’État de 1980 est la première réforme essentielle parce qu’elle ne concernait pas la langue, la culture ou l’éducation – comme en 1970 -, mais des domaines plus « durs » comme l’argent et autonomie économique ? C’est précisément cette réforme de l’État qui a été fortement influencée par le mouvement ouvrier socialiste et André Renard.

Philippe Destatte : les Flamands ont considéré en 1970 que, avec la Loi Terwagne de décentralisation économique, les Wallons étaient servis en échange de l’autonomie culturelle qui était accordée aux communautés et qui satisfaisait les Flamands. À partir de ce moment, et en l’absence d’une loi spéciale de mise en œuvre de l’article 107quater créant les régions, mais ne les délimitant pas, les Wallons vont courir longtemps après la création de leur région, dans un climat d’effondrement de leur économie. C’est le grand échec d’André Cools et de Fernand Dehousse, puis de Jacques Hoyaux avec la débâcle d’Egmont-Stuyvenberg à cause du manque de courage politique du Premier ministre CVP, Leo Tindemans. Au moment de la régionalisation provisoire et de la loi Perin-Vandekerckhove, de 1974 à 1977, les socialistes sont même complètement hors-jeu. Dans le gouvernement Martens, Guy Spitaels et Philippe Moureaux seront les artisans, du côté socialiste, de la mise en œuvre du 107quater pour la Wallonie et la Flandre, comme ils le seront pour la création de la Région de Bruxelles – de façon complètement inattendue – en 1988. On mesure évidemment le temps perdu pour qu’aboutisse enfin ce fédéralisme régional revendiqué depuis 1970, sinon depuis 1938 pour les socialistes wallons, si on se réfère à la proposition écrite par Fernand Dehousse et Georges Truffaut et déposée au Parlement en 1938. Rappelons que le parti libéral n’était pas absent de tout cela : il a apporté son soutien, décisif, en 1970 et en 1980 (avec Gérard Delruelle d’abord, Jean Gol ensuite) aux majorités socialistes – sociales- chrétiennes.

La priorité à la Région wallonne sur la Communauté française

Filip Rogiers : dans le passé, l’argent, notamment pour l’enseignement francophone, a joué un rôle crucial dans la volonté des partis francophones de parler ou non de la réforme de l’État.

 Philippe Destatte : la loi spéciale relative au financement des Communautés et des Régions du 16 janvier 1989 a été le ver dans le fruit de la réforme de l’État de 1988. J’ai toujours eu la conviction que ces accords  avaient été forcés par ce qu’on appellera plus tard l’Affaire Agusta. D’ailleurs l’idée des ordinateurs Toshiba flamands est un mythe : dès mai 1988, il apparaissait clairement aux yeux d’experts wallons que l’éducation ne pourrait pas se développer dans le cadre de la Communauté française. C’est d’ailleurs toujours le cas. C’est plus qu’un péché originel pour cette institution. C’est le mérite de Robert Collignon, soutenu par Guy Spitaels – comme JJ Merlot et Terwagne l’avaient fait en 1967 – d’avoir dessiné un autre modèle pour les Wallons au Congrès des Socialistes wallons à Ans en 1991. C’est ce modèle qui a été défendu en 1993 par Philippe Busquin, alors président du Parti socialiste, l’IEV, Jean-Maurice Dehousse et son Cabinet. La priorité à ce moment est véritablement donnée à la Région sur la Communauté, y compris pour les Wallons, la capacité constitutionnelle de transférer l’exercice des compétences communautaires vers les régions wallonne, bruxelloise ainsi que régionales wallonnes vers la Communauté-Région germanophone. La nouvelle discussion de la loi de financement a conduit aux accords de 2001, avec les transferts de compétences (lois communale et provinciale, agriculture, commerce extérieur) qui figuraient déjà dans le programme de 1991. En guise de concession, un peu plus d’autonomie fiscale fut accordée. Elle était revendiquée par les partis flamands. Ceux-ci seront de plus en plus obsédés par la question de la scission de BHV. Les blocages politiques au niveau fédéral en ces années 2004-2014 portent surtout sur des questions de cette nature. En réalité, pour les Wallons, ces impasses administratives et linguistiques constituent autant de pièges – comme la revendication de l’élargissement de Bruxelles – qui les écartent de leur objectif de redressement de la Wallonie. C’est d’ailleurs BHV qui est à l’origine de la réforme institutionnelle de 2011-2014, ultime effort, disait-on à l’époque, pour sauver durablement la Belgique. On comprend donc les réticences de responsables politiques wallons à s’engager dans de telles négociations qui mettent en péril in fine leurs capacités financières, comme ce fut le cas avec le transfert des soins de santé ou des allocations familiales, sans les budgets correspondants, et qui constituent tout de même un coup de canif dans ce qu’ils avaient identifié comme devant rester fédéral.

Une volonté de gestion serrée et sérieuse de la Wallonie

Filip Rogiers : grâce au COVID-19, on voit un changement de paradigme politique : les investissements publics (dans les soins de santé, par exemple) sont désormais plus facilement acceptés, il y a moins d’obsession pour l’équilibre budgétaire ou l’austérité. Cela pourrait-il faciliter la réforme de l’État, avec des exigences financières et économiques ?

Philippe Destatte : j’observe que pour le Parti socialiste – wallon et bruxellois –, comme pour les autres partis politiques « francophones », « toucher à la sécurité sociale » reste fondamentalement un tabou. En 2014, des concessions ont malheureusement  été faites aux Flamands en ces matières, en échange, probablement, d’avantages substantiels dans la loi spéciale de financement : je pense au moratoire de dix ans sur les transferts interrégionaux. Le programme actuel du PS n’indique pas qu’il pourrait en être de même à l’avenir. Paul Magnette a toujours été très clair sur le sujet, même si je vois bien que les matières transférées ont été prises en charge au niveau régional avec beaucoup de sérieux et même, je pense, sans état d’âme de la part des gestionnaires. Ceci dit, les discours sur les dépassements budgétaires en période de crise Covid-19 sont très relatifs. Ils ne dureront probablement qu’un temps et j’ai la conviction, qu’au-delà du Plan de relance européen, un pays comme la Belgique n’a pas la capacité de laisser filer ses dépenses publiques bien plus loin que ce qui a été fait depuis mars 2020. Il s’agit d’une question de durabilité et de respect des générations futures. En tout cas, le Gouvernement wallon Di Rupo-Borsus a mis en place fin 2019 une logique de Budget Base Zéro comme la préconisait Herman Van Rompuy au moment du plan de convergence pour entrer dans l’euro, lorsqu’il était ministre du Budget dans le gouvernement Dehaene. Le Covid n’a pas remis en cause cette logique vertueuse du Gouvernement wallon qui a même été réaffirmée par le ministre du Budget Jean-Luc Crucke lors d’une réunion du Gouvernement fin avril 2020. Dans son récent contrôle budgétaire de juillet 2020, le Gouvernement wallon a voulu également s’inscrire dans sa trajectoire d’avant Covid, ce qui montre à tout le moins une volonté de gestion serrée et sérieuse. Je n’ignore pas que, du côté de la Communauté française, des voix se sont élevées pour revoir la loi spéciale de financement de 2014. Je pense que ce ne serait pas sérieux de la part des Wallons de rompre un tel engagement en dernière phase du moratoire. Il faut assumer cet accord et faire avec les moyens dont on dispose sous peine de perdre en crédibilité. Cela passe à mon sens par une indispensable et urgente remise en ordre intrafrancophone. Donc par le transfert et la réorganisation de toutes les compétences de la Communauté française. Cela constitue, à mes yeux, une partie des réformes de structure dont parlait André Renard et qui devaient accompagner le fédéralisme : mettre de l’ordre dans sa maison.

L’institutionnel ne peut jamais être une finalité, juste un moyen

Filip Rogiers : quelle réforme de l’État pensez-vous que les négociations entre Bart De Wever et Paul Magnette pourraient donner? Quelle réforme de l’État souhaitez-vous voir naître?

Philippe Destatte : l’objectif premier est de trouver un modèle institutionnel qui permette à la Belgique de fonctionner autrement qu’à coup de gouvernements fédéraux en affaires courantes, en pouvoirs spéciaux conditionnés par des partis qui sont dans l’opposition, ou reposants sur une minorité de 31 députés sur 150. Ces situations ne sont pas dignes d’une démocratie moderne. Les différences fondamentales qui séparent la Wallonie et la Flandre ne datent pas d’hier, mais d’avant-hier. Dans cette relation, il faut désormais impérativement intégrer l’émergence des réalités bruxelloise – constitutionnellement bilingue et socialement multiculturelle, avec un rôle de capitale européenne – ainsi que germanophone. Comme le rappelle volontiers Philippe Suinen, président de l’Institut Destrée, la valorisation de la diversité de la Belgique constitue un atout pour chacune des Régions. Il faut donc organiser cette diversité autour de ces quatre régions linguistiques dont les frontières n’ont pas bougé depuis qu’elles ont été fixées en 1963. Le moment est venu – et Bart De Wever et Paul Magnette sont des hommes jeunes et nouveaux qui ont tout à prouver – de transformer à nouveau la Belgique. J’ai donné au moins deux pistes dernièrement : la première, inspirée par le constitutionnaliste bruxellois Hugues Dumont pourrait être d’ouvrir le jeu, comme en 1830-1831, en confiant à un congrès national élu la tâche de s’organiser en Constituante et au travers d’un large débat, de proposer et de débattre de solutions nouvelles. Ce congrès serait élu, travaillerait parallèlement et indépendamment du gouvernement, et pourquoi pas, serait constitué de manière innovante par un électorat plus ouvert et plus jeune [2]. La deuxième idée, débattue avec l’économiste flamand Geert Noels, consisterait à s’inspirer du modèle suisse pour former un gouvernement fédéral, celui-ci ou les suivants, en en faisant un organe plus consensuel, plus responsable, plus restreint – composé de 7 ministres – issu des partis politiques principaux, élus directement par la Chambre, et dont le ou la Première ministre serait désigné(e) pour un an, non renouvelable l’année suivante [3].

Filip Rogiers : est-il plausible que la distinction entre la Région wallonne et la Communauté française (Fédération Wallonie Bruxelles) soit supprimée?

Philippe Destatte : j’ignore si ce sujet est au programme des négociateurs. Mais vous n’êtes pas sans savoir qu’en 2007, un groupe de travail constitué au sein de l’Institut Destrée que nous avions constitué Jacques Brassinne et moi-même, a rédigé un projet simplifiant les institutions belges par la reconnaissance d’un fédéralisme à quatre entités fédérées. Cette idée s’impose de plus en plus dans le débat public. En étudiant le projet de confédéralisme défendu par la NVA, j’ai pris l’initiative de réfléchir aux points de concordance et de discordance entre ces deux approches. J’ai montré qu’un modèle hybride pouvait être constitué. Celui-ci n’est qu’un kriegspiel. Mais il a le mérite de montrer que, si on a la sagesse de ne pas se perdre dans les mots et les spectres – comme le confédéralisme [4] – un avenir commun peut être construit. Tout en ayant toujours à l’esprit que l’institutionnel ne peut jamais être une finalité, juste un moyen, pour pacifier les relations et amener davantage de bien-être à chacun.

[1] Ce texte constitue l’interview complète réalisée par Filip Rogiers par voie électronique et qui a servi de base à l’article publié dans De Standaard du 1er août 2020 : F. ROGIERS, PS : demandeur de rien (tot er geld nodig is). https://www.standaard.be/cnt/dmf20200730_95442949

[2] Ph. DESTATTE, Un congrès national pour se construire un nouvel avenir, Blog PhD2050, Hour-en-Famenne, 28 mars 2020,  https://phd2050.org/2020/03/28/congres-national/

[3] Ph. DESTATTE et Geert NOELS, Une formule magique pour former un gouvernement fédéral, Blog PhD2050, Bruxelles, 25 juillet 2020, https://phd2050.org/2020/07/25/magique/

[4] Ph. DESTATTE, Le confédéralisme, spectre institutionnel, Blog PhD2050, Institut Destrée, Working Paper, 31 p., 28 décembre 2019, http://www.institut-destree.eu/wa_files/philippe-destatte_confederalisme_spectre-institutionnel_consolide_2019-12-31.pdf

Bruxelles, le 25 juillet 2020 [1]

Comme le personnel politique belge aujourd’hui, les élus suisses des années 1920 et 1930 ont connu les pires difficultés à former une majorité gouvernementale et à la maintenir stable durablement. En effet, en cette époque troublée, les dissensions partisanes et les considérations tactiques des formations politiques semblaient rendre impossible toute construction de gouvernement fédéral de coalition.

Un système suisse inspirant

Ce qu’on a appelé la démocratie de concordance, par opposition à un système dit majoritaire ou de concurrence, représenta une manière de résoudre le problème. Dans ce système, les élus recherchent des accords à l’amiable et des compromis largement acceptés. Depuis les années 1930, tous les partis suisses importants sont impliqués dans ce processus démocratique original et disposent de fonctions politiques et des postes à responsabilité dans l’administration, l’armée et la justice, proportionnellement à leur force électorale respective [2].

Le gouvernement fédéral suisse est l’illustration la plus connue de cette démocratie de concordance. Appelé Conseil fédéral, ce gouvernement pluraliste est composé de sept membres (Conseillers fédéraux), élus par le Parlement (l’Assemblée fédérale, donc la réunion commune du Conseil national et du Conseil des États) après chaque renouvellement intégral de la Chambre, ou à l’occasion de la démission de l’un des membres de cet exécutif. Choisis parmi les citoyennes et citoyens éligibles au Conseil national, les membres du Conseil fédéral sont élus au bulletin secret et à titre individuel pour quatre ans. N’importe quel candidat peut recevoir des voix durant les deux premiers tours du scrutin.

Chaque année, un nouveau président de la Confédération est élu par l’Assemblée fédérale au sein du Conseil fédéral. Le président est l’égal des autres membres du conseil, à cela près qu’il dirige les séances du gouvernement et le représente vis-à-vis de l’extérieur. Son mandat, ainsi que celui du vice-président du Conseil fédéral, ne sont pas renouvelables l’année suivante, ce qui crée une intéressante rotation. Dans son fonctionnement, le Conseil fédéral représente de manière équilibrée les grandes forces politiques du pays [3] ; il est tenu de prendre ses décisions de manière collégiale [4]. En Suisse, ce mécanisme réunit une assez large adhésion d’autant plus qu’un exécutif qui se fonderait sur une courte majorité perdrait en efficacité face aux recours aux référendums populaires que ne manquerait pas d’activer un puissant parti de l’opposition [5].

Une formule magique pour le gouvernement belge ?

Satisfaits de la “paix sociale” réalisée à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, les partis suisses traditionnels, confrontés au Parti socialiste, l’ont prolongée en stabilisant progressivement leur système institutionnel au travers d’une répartition – non écrite et non figée – de la représentation au sein du Conseil fédéral : la somme de tous les conseillers forme un savant équilibre des sensibilités  religieuses, linguistiques et politiques du pays. La nouvelle Constitution, acceptée à la double majorité des cantons et du peuple suisse le 18 avril 1999 et entrée en vigueur le 1er janvier 2000, institutionnalise « la coutume » dans  son article 175 qui dispose que les diverses régions et les communautés linguistiques doivent être équitablement représentées au Conseil fédéral [6]. Pendant quelques décennies, une formule dite magique d’attribution des sièges au système fédéral a donc permis une gestion apaisée du système fédéral par un respect volontaire des rapports de force entre partis politiques. Même si, depuis les années 2000, le système est en évolution et connaît de fortes tensions [7], notamment par les succès électoraux de l’UDC nationaliste et conservatrice – pour ne pas écrire d’extrême droite – ce mécanisme pourrait être inspirant et apporter quelques innovations à la Belgique [8].

Il nous semble en effet que quelques politologues et juristes inspirés pourraient s’atteler durant un nombre réduit de jours à trouver une formule de ce type pour la Belgique. Il s’agirait, tout en maintenant le prescrit constitutionnel de la parité linguistique entre membres d’expression néerlandaise et française au Conseil des ministres (article 99) et en y ajoutant un équilibre des genres, de permettre l’élection par la Chambre de sept ministres – le chiffre n’est-il pas magique ? – constituant un gouvernement fédéral. Les quatre régions-communautés y seraient représentées : Flandre, Wallonie, Bruxelles et OstBelgien, de même que les grandes forces politiques.

Certes, il faudra un peu de temps pour stabiliser le système : des influences persisteront par le mécanisme du vote secret, le jeu des partis subsistera lors des différents tours de scrutin – la non-désignation de Zakia Khattabi à la Cour constitutionnelle nous l’a rappelé – et il n’est pas certain que des partis comme le Vlaams Belang ou le PVDA-PTB trouvent la place proportionnelle qu’ils attendraient dans cette élection. Si une place leur était faite, l’expérience suisse resterait probablement inspirante… Quelque sage post-Covid ou personnalité plus ou moins indépendantes pourrait aussi émerger pour faire partie voire piloter cette nouvelle équipe…

D’abord une expérience d’apaisement politique et d’efficience de gestion

Certains diront que cela implique une réforme de l’État, une modification de la Constitution, etc. Nous ne le pensons pas. Le système pourrait faire l’objet d’une expérience sur base des normes actuelles : ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que la rue de la Loi anticiperait un changement institutionnel…

On peut imaginer que le citoyen saluerait cette recherche de consensus, voire de consensualisation du politique [9], effort qui s’est déjà manifesté à plusieurs endroits en 2020 lors de la crise du Covid-19. De plus, le landerneau fédéral s’apaisant et évitant les querelles intestines pour se consacrer à une gestion plus efficiente de l’État, les entités fédérées pourront connaître un nouveau dynamisme démocratique, plus mobilisateur de la citoyenneté, et où les partis politiques pourront revendiquer leurs différences.

Début 2020, le Chancelier de la Confédération suisse, Walter Thurnherr, rappelait que l’historien Edgar Bonjour (1898-1991) affirmait que les constituants de son pays, en 1848, concevaient leur patrie davantage comme la terre des générations à venir que comme un héritage du passé [10]. C’est une leçon pour nous toutes et tous.

Qui osera se lancer dans cette démarche innovante pour l’État fédéral belge ?

par Geert Noels et Philippe Destatte

 

 

[1] Ce texte est une version longue de la carte blanche de Geert NOELS et Philippe DESTATTE, “Une formule suisse “magique” pour former un gouvernement fédéral, publiée dans L’Écho, samedi 18 juillet 2020, p. 10, en prolongement des dialogues de Val Duchesse, organisés par L’Echo et De Tijd.

https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/une-formule-magique-pour-former-un-gouvernement-federal/10239728.html

[2] Dictionnaire historique de la Suisse, Démocratie de concordance, 13 avril 2016.

https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/010095/2016-04-13/

[3] Actuellement, quatre membres proviennent de la Suisse alémanique, deux de la Suisse romande et un de la Suisse italienne. La composition politique est de 2 Libéraux-radicaux (PLR), 2 socialistes (PS), 2 Union démocratique du Centre (UDC) et 1 Parti démocrate chrétien (PDC). La formule dite “magique” qui a duré de 1959 à 2013 (44 ans) était ainsi composée : 2 PLR, 2 PDC, 2 PS et un UDC.

[4] Le principe de la collégialité implique que les conseillers fédéraux défendent la position du Conseil fédéral, même si leur parti la désapprouve ou qu’ils sont personnellement d’un autre avis. La Confédération en bref, 2020, p. 43, Berne, Chancellerie fédérale, Février 2020.

[5] Thomas FLEINER-GERSTER, Le Conseil fédéral : Directoire de la Confédération, dans Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, n°43, La Suisse, p.49-63 . https://revue-pouvoirs.fr/Le-Conseil-federal-Directoire-de.htmlDictionnaire historique de la Suisse, Le Conseil fédéral, 9 juillet 2015. https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/010085/2015-07-09/

[6] Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, (État au 1er janvier 2020).

https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/202001010000/101.pdf

[7] Hervé RAYNER et Bernard VOUTAT, Inerties et transformations de la politique suisse, dans Questions internationales, 2017, n°87, p. 43-56. – Clive H. CHURCH, Political Change in Switzerland: From Stability to Uncertainty, London – New York, Routledge, 2016. – Daniel BOCHSLER, Regula HÄNGGLI & Silja HÄUSERMANN ed., Consensus lost? Disenchanted Democracy in Switzerland, in Swiss Political Science Review, 2015, 21, n°4, p. 475-739.

[8] Dictionnaire historique de la Suisse, Formule magique, 25 janvier 2015 https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/010085/2015-07-09/ – Thierry BALZACQ e.a., Fondements de Science politique, p. 251, Louvain-le-Neuve, De Boeck, 2014.

[9] L’un des ressorts décisifs de l’institutionnalisation de la formule magique tient dans cette disposition des gouvernants et de leurs entourages à accepter ce qu’ils perçoivent et, ce faisant, consolident comme des “règles du jeu”. Des représentants de partis dont les différences idéologiques restent marquées se plient à des pratiques et à des normes qu’ils ne professaient pas initialement, conversion qu’ils jugent convenable et qui, en retour, accentue ce phénomène de convergence des attentes vers ce que les institutions ‘requièrent’. Voilà aussi ce que fait l’institution à ses occupants ou comment la ‘concordance’, de principe abstrait, se transforme en véritable ligne de conduite et produit des effets vérifiables sur les pratiques. Elie BURGOS, Oscar MAZZOLENI et Hervé RAYNER, La formule magique, Conflits et consensus dans l’élection du Conseil fédéral, Lausanne, coll. Le Savoir suisse, p. 120-121, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2011. – Elie BURGOS, La composition partisane du Conseil fédéral et !a « formule magique ». Le consensus helvétique en question, Thèse de doctorat en Science politique, 2018, p. 564, Originally published at: Thesis, University of Lausanne Posted at the University of Lausanne Open Archive http://serval.unil.chDocument URN : urn:nbn:ch:serval-BIB_23783F9708294

[10] La Confédération en bref, 2020, …, p. 3.

Mons, le 10 décembre 2019

 

La remise à plat des dépenses peut aider à dynamiser la Wallonie [1]

Le budget base zéro annoncé par le gouvernement wallon est, selon l’historien Philippe Destatte, un bon outil pour briser les tabous et cibler les moyens publics vers les vrais enjeux de redressement économique. De quoi rester optimiste même si, les statistiques le prouvent, aucune des politiques lancées ces dernières années n’a permis d’enrayer le déclin wallon.

Il ne veut surtout pas être pessimiste. Au cours de cet entretien dans les bâtiments de l’Université de Mons, Philippe Destatte insistera sur les leviers d’action, sur les opportunités et même sur les marges budgétaires disponibles. Mais il ne cachera pas son ” inquiétude ” devant l’évolution économique et financière d’une Wallonie toujours incapable de recoller à la croissance flamande, en dépit des fonds européens et des plans Marshall.

 

Utiliser le budget comme instrument stratégique

Christophe De Caevel : l’année 2020 va commencer, pour la Wallonie, avec un déficit assumé de 434 millions d’euros. Cela vous inquiète-t-il ?

Philippe Destatte : oui, cela m’inquiète fondamentalement. Ce déficit survient dans une situation déjà particulièrement difficile, avec des doutes quant à la fiabilité des chiffres. La dette régionale consolidée était, au 31 décembre 2017, de 17 milliards d’euros d’après le gouvernement wallon mais de 21,5 milliards selon les chiffres de l’Institut des Comptes nationaux (ICN). Ce delta de 4,5 milliards a été pointé au printemps dernier quand la Wallonie était dans une optique de retour à l’équilibre en 2019… Maintenant, ce n’est plus un équilibre mais un déficit de plus de 300 millions cette année et de plus de 400 millions l’an prochain. Oui, c’est inquiétant.

Christophe De Caevel : et ce sera même 750 millions, si la Commission européenne refuse de neutraliser budgétairement les 350 millions d’investissements stratégiques annoncés par le gouvernement wallon.

Philippe Destatte : absolument. D’où la réaction de la Cour des Comptes, qui a pointé le risque d’augmentation de la dette wallonne de 2,5 milliards sur la législature. Le nouveau gouvernement wallon insiste beaucoup sur le développement durable et les générations futures. Or, manifestement, la Wallonie entend léguer une dette importante aux générations futures.

Nous sommes aussi dans un cadre belge. La Flandre rappelle que ce que la Wallonie dépense, c’est en partie les Flamands qui le paient, à travers la loi de financement et les transferts personnels. Depuis 2011, le Collège régional de Prospective insiste pour que la Wallonie respecte sa trajectoire budgétaire, car cela la rendra beaucoup plus forte dans ses négociations avec la Flandre.

Christophe De Caevel : dans une optique de transition climatique et économique, s’endetter maintenant, avec des taux très bas, pour investir pour demain, n’est-ce pas pertinent à vos yeux ?

Philippe Destatte : non, pas du tout. Je ne vois pas pourquoi faire des investissements, même créatifs, nous absoudrait d’une bonne rigueur budgétaire.

Christophe De Caevel : vous ne suivez donc pas le ministre du Budget Jean-Luc Crucke quand il se demande à quoi sert un équilibre budgétaire si la planète n’est plus habitable…

Philippe Destatte : et il ne faudrait plus faire d’enfants non plus (sourire). Cela participe à une forme de catastrophisme auquel je n’adhère pas. Je suis au contraire optimiste : je regarde le budget et je vois des marges de manœuvre qui permettent de faire des investissements importants et de répondre aux enjeux climatiques. Cela implique une remise à plat de toutes les dépenses mais les marges sont bien là.

Christophe De Caevel : l’un des anciens ministres du Budget, André Antoine (cdH), assure que ce budget base zéro est impossible, vu la masse des engagements pluriannuels, des contrats de gestion…

Philippe Destatte : un gouvernement a la capacité de modifier une série de choses. Sur l’exercice 2018, la Wallonie avait accordé 2,3 milliards d’euros d’aides aux entreprises. Ce ne sont pas des ” cadeaux ” mais des aides à l’innovation, des appuis aux brevets, des compensations de mesures fédérales, etc. Une galaxie de dispositifs est ainsi à disposition des entreprises et celles-ci en usent logiquement – je ne dis pas qu’elles en abusent.

A la grosse louche, on peut maintenir entre 500 millions et un milliard d’aides aux entreprises, ciblées par exemple sur les start-up numériques, sur l’économie circulaire, sur des politiques nouvelles et ponctuelles. Cela réduit effectivement le volume d’aides directes aux entreprises – ce que j’ai appelé “l’effet guichet” – mais cela rend la capacité stratégique au ministre et à l’administration. Ils peuvent utiliser autrement les 1,3 milliard d’euros dégagés par un budget base zéro.

Christophe De Caevel : les entreprises qui reçoivent actuellement ces 2,2 milliards d’aides vont faire du lobbying pour ne pas les perdre; qu’est-ce qui vous fait penser que le gouvernement avancera malgré tout dans la direction annoncée ?

Je me base sur mon travail avec les entreprises depuis plus de 15 ans. La valorisation de la recherche est l’un des trois tabous de la politique économique wallonne, avec l’enseignement en alternance et la disponibilité des terrains. Si c’est pour y répondre et pas pour simplement engager plus de fonctionnaires, le monde patronal est certainement prêt à voir partir certaines aides.

Bien entendu, il faut de la pédagogie. Le gouvernement ne doit pas enfermer son budget base zéro dans un château mais l’envisager dans une logique d’open-governance, en discutant avec les syndicats, avec les associations environnementales, avec l’Union wallonne des Entreprises, avec les chambres de commerce. Alors, je crois qu’il peut arriver à un consensus. Les 1,3 milliard d’euros économisés peuvent être affectés à l’attractivité, à l’innovation etc. Ou à quelque chose qui intéresse beaucoup l’Union wallonne des entreprises : la transposition recherche-industrie. Le budget des pôles de compétitivité, dont c’est l’une des missions, est d’à peine 50 millions d’euros. En dégageant de nouvelles marges, on peut facilement doubler ce montant.

Atteindre des masses critiques de niveau européen

Christophe De Caevel : il existe déjà de nombreuses structures de financement en Wallonie. Le problème est-il vraiment celui du budget de la valorisation de la recherche ? N’est-ce pas plutôt le manque de projets de recherche effectivement valorisables ?

Philippe Destatte : de fait, la recherche n’est pas qu’une question de budget. L’une des maladies de la Wallonie, c’est la fragmentation. Tous nos voisins souffraient de la même maladie mais, eux, ils se sont soignés. Nos centres de recherche et nos universités sont complètement fragmentés. La mise en réseau ne suffit pas. Ils sont tous trop petits, trop ciblés sur quelques axes précis pour être vus sur la carte de l’Europe et nouer des partenariats.

Le Hainaut est un bon exemple avec Multitel (télécoms, à Mons), Materia Nova, Certech (chimie, à Seneffe), Terre & Pierre (Tournai), etc. Rapprochez Multitel et Inisma et vous serez peut-être audibles quand on parle des matériaux intelligents. Mis ensemble, ces centres atteignent des masses critiques de plus de 1.000 chercheurs. Si vous entrez dans une logique inter-bassins, vous grimpez à 3.000 ou 4.000 chercheurs et, là, vous êtes identifiés par les Fraunhofer en Allemagne, par les instituts Carnot en France, par leurs homologues en Flandre.

Christophe De Caevel : la Wallonie n’aurait-elle toujours pas dépassé son sous-régionalisme ?

Philippe Destatte : absolument. Et ce que je dis, on peut le transposer aux universités. Nous pourrions réunir tous les recteurs dans un même conseil d’administration, dédoublé avec des extérieurs, des chefs d’entreprise, des représentants de grandes ONG, des experts internationaux. Le FNRS serait intégré dans cet ensemble regroupant toutes les facultés universitaires. La gestion serait alors totalement assumée par ce CA, le ministre n’ayant plus qu’un rôle, non négligeable, de contrôle et de définition du cahier des charges. Il existe certes l’ARES (Académie de Recherche et d’Enseignement supérieur) aujourd’hui, mais cela reste un organisme extérieur. Ici, ce serait leur institution, ce serait leur CA. Et ce sont ces administrateurs qui décideraient peut-être de mettre en œuvre une grande école d’ingénieurs en Wallonie plutôt que quatre ou cinq petites.

Christophe De Caevel : Vous parlez de taille critique, n’est-ce pas la même chose en Wallonie : on peine à générer un effet de masse et d’entraînement, autour des belles histoires économiques qui existent ?

Philippe Destatte : oui, c’est un des éléments d’explication. Il y a une Wallonie qui réussit. Prenez l’évolution du PIB/hab par province. Anvers est loin devant et le Brabant wallon est deuxième, bien au-dessus de la moyenne européenne et même en progression alors qu’Anvers stagne. Mais malheureusement, toutes les autres provinces wallonnes sont en dessous de la moyenne européenne et, pire, elles sont toutes dans une logique de baisse sur les dix dernières années. Cela m’inquiète très fort car nous parlons d’une période de fonds FEDER et de Plan Marshall…

Des économistes me disent qu’il ne faut pas isoler le PIB, mais plutôt prendre en compte la moyenne de croissance. Et alors, expliquent-ils, on voit que la Wallonie est certes en retard par rapport à la Flandre mais qu’elle avance désormais à la même vitesse. Désolé, mais c’est inexact ! Les perspectives économiques régionales, publiées cette année par le Bureau du Plan avec les organismes statistiques régionaux, montrent qu’en 2017, la croissance était de 2% en Flandre, 1,6% en Wallonie et 0,8% à Bruxelles. Sur la période 2011-2017, la Flandre a connu une croissance moyenne de 1,6%, pour 0,7% en Wallonie. Et l’évolution de la zone euro est à 1,2%, nous sommes donc bien en dessous. Nous ne rattrapons pas du tout, nous continuons de décrocher par rapport à la Flandre et à la zone euro.

Activer deux leviers de redéploiement : la recherche et les entreprises

Christophe De Caevel : vous qui vouliez éviter le catastrophisme…

Philippe Destatte : il ne faut pas se lamenter mais essayer de comprendre. Pourquoi, par exemple, le Brabant wallon progresse si bien et quels leviers on peut actionner pour remonter la pente. J’en vois deux : la recherche et les entreprises. Les dépenses en R&D, base prospective de redéploiement, s’élèvent à 747 euros/hab en Wallonie. C’est mieux que l’Europe des 28 (624 euros en 2017) mais moins bien que la Belgique (1.045 euros), les deux autres Régions faisant beaucoup mieux. Et quand on regarde par province, on voit que le Brabant wallon est l’incontestable champion de Belgique avec plus de 2.500 euros/hab consacrés à la recherche.

Philippe-Destatte_The-Economist_Recherche_2019-12-10

C’est un effet GSK, UCB et quelques autres. Cela signifie que toutes les autres provinces wallonnes sont nettement en dessous de la moyenne européenne. L’an dernier, l’Union wallonne des Entreprises suggérait qu’on ajoute 300 millions d’euros dans la recherche pour conduire à une masse critique suffisante. Pour réaliser cela, il faut impérativement dégager des marges dans les budgets. Et la bonne nouvelle, c’est que c’est faisable avec un budget de type base zéro.

Christophe De Caevel : et le second levier, celui des entreprises ?

Philippe Destatte : le taux de création nette d’entreprises reste faible : 1,6% contre 2,4% en Flandre et 3,5% à Bruxelles en moyenne entre 2007 et 2017. Le secteur des administrations publiques contribue à 21% de l’emploi en Wallonie pour 15% en Flandre, tandis que pour les entreprises privées, c’est 57% d’un côté et 65% de l’autre. La part du secteur privé dans la création de valeur ajoutée en Wallonie a diminué sur la même période. Toute la différence est là, je pense. Le ministre Pierre-Yves Jeholet avait tenté de s’y attaquer avec sa réforme des Aides à l’Emploi (APE). C’est un milliard d’euros d’aides à l’emploi public dans les communes et le tissu associatif. Des aides d’une telle ampleur empêchent l’emploi privé d’émerger.

Christophe De Caevel : il s’agit le plus souvent de services publics utiles dans la culture, les hôpitaux, l’économie sociale, etc.

Philippe Destatte : je vous réponds avec deux exemples. Pourquoi le personnel des parcs à conteneurs doit-il relever des APE ? Nous sommes en plein dans l’économie circulaire. Ces agents pourraient parfaitement se trouver dans une coopérative sociale, avec de la TVA, et créer une filière dans le secteur des déchets. Second exemple : une entreprise d’insertion par le travail qui propose des services de traiteur tout à fait corrects à des prix très attractifs, grâce au système des APE. Mais c’est de la concurrence au secteur privé. Je comprends parfaitement la logique d’insertion mais elle implique une rotation, de la mobilité. Or, nous avons pu voir que des gens font toute leur carrière en étant APE, il y a même des directeurs d’institution APE. Il ne s’agit évidemment pas de supprimer des services communaux ou de retirer des APE d’organismes comme Lire et Ecrire. Mais un budget base zéro doit permettre de tout évaluer et de dégager les marges nécessaires pour dynamiser la Wallonie.

Christophe De Caevel : l’une des faiblesses de la Wallonie, par rapport à la Flandre mais aussi à d’autres, n’est-ce pas le manque de fierté et d’ambition ?

Philippe Destatte : le patriotisme économique n’est pas très développé, c’est vrai. Je suis sceptique face à cela. L’économie est tellement intégrée, les pièces qui composent un objet peuvent venir de partout. En revanche, des choses intéressantes émergent au travers des circuits courts, des ceintures alimentaires, des coopératives paysans-artisans, etc. Statistiquement, cela reste encore périphérique mais cela peut annoncer de vraies évolutions. Dans la distribution, les réflexes changent, les gens sont plus tournés vers le dialogue avec les producteurs. On sort du modèle de l’affrontement.

Christophe De Caevel : mais, dans le même temps, l’e-commerce explose avec des produits à bas prix venant d’Asie…

Je vois aussi des tas de petits commerces qui vendent leurs produits à travers des plateformes comme eBay ou Amazon et en bénéficient. L’arrivée d’Alibaba à Liège, c’est aussi cela. Et puis, ce sont des gens qui, sur le plan technologique, sont bien plus avancés que nous. Pour la logistique, la robotique, ils peuvent apporter beaucoup à notre tissu économique. Mais, j’en conviens, c’est un pari.

Maintenir l’État, fédéral ou confédéral

Christophe De Caevel : la Belgique vient de traverser une année sans gouvernement fédéral de plein exercice. Et en 2020 ?

Philippe Destatte : je comprends qu’il faille déminer et que cela prenne un peu de temps. Mais ce que je ne comprends pas, c’est cette manière de cultiver l’idée qu’on ne peut pas parler avec la N-VA. Je fais toujours la distinction entre ce parti et le Vlaams Belang, même si l’attitude d’un Theo Francken contribue à brouiller les cartes. J’entends les présidents du PS et d’Ecolo dire : ” Nous n’avons rien à faire avec la N-VA, nous n’avons rien de commun avec ce parti “. A mon avis, nous avons au moins une chose à faire avec la N-VA : maintenir l’État.

Christophe De Caevel : ce qui suppose qu’un parti nationaliste veuille vraiment maintenir cet État…

Philippe Destatte : la N-VA, qui historiquement prônait l’indépendance de la Flandre, a pris la même position que celle du CD&V et de l’Open Vld, c’est-à-dire le confédéralisme. Cela signifie le maintien d’une Belgique sous une forme différente, forme qui peut, j’admets l’idée, constituer un sas vers l’indépendance mais qui n’est pas l’indépendance. Bart De Wever a pris ce cap au début des années 2000 et, depuis, il campe sur cette position confédéraliste.

Depuis des décennies, on a maintenu l’État belge en suivant une logique de dégraissement de l’État central au profit des entités fédérées. Le confédéralisme, c’est la poursuite de cette logique. Si on estime ne plus avoir rien à faire avec eux, peut-être réussira-t-on à dégager au forceps une majorité alternative de type arc-en-ciel. Mais que fera-t-on en 2024 ? Nous aurons réussi à rapprocher la N-VA du Vlaams Belang et à renforcer Theo Francken par rapport à Bart De Wever.

Pour éviter cela, il faut bien entendu montrer des signes de redressement réel de la Wallonie, cela enlèvera des arguments aux nationalistes. Et accepter de négocier avec les nationalistes, pas sur leur programme mais sur les deux ou trois étapes qui nous conduiront vers le confédéralisme.

Christophe De Caevel : pas sur le programme de la N-VA, dites-vous. Mais le confédéralisme, c’est leur programme.

Bart De Wever peut dire tant qu’il veut que Bruxelles n’est pas une Région à part entière, il existe une loi spéciale qui affirme le contraire et qu’on ne pourra modifier qu’avec une majorité des deux tiers et une majorité dans chaque rôle linguistique. On ne pourra donc y toucher qu’avec le consentement des francophones. La Belgique confédérale, je la vois avec quatre Régions. A Bruxelles, il n’y aurait plus deux enseignements communautaires mais un enseignement régional totalement bilingue. Dans ce cadre-là, la Flandre pourrait déplacer sa capitale vers Gand ou Anvers. Cela ne me paraît pas impensable.

[1] Entretien avec Christophe De Caevel, publié dans The Economist – Trends-Tendances spécial Le Monde en 2020, du 19 décembre 2019, p. 16-19 sous le titre de Philippe Destatte, directeur de l’Institut Destrée “La remise à plat des dépenses peut aider à dynamiser la Wallonie”. Les titres des paragraphes ont été ajoutés.

Hour-en-Famenne, le 28 mars 2020

A plusieurs reprises, en ce début 2020, l’occasion m’a été donnée de valoriser l’idée de réunir un Congrès national [1], piste préconisée en novembre 2019 par le professeur de droit constitutionnel Hugues Dumont [2] pour trouver une solution à l’impasse institutionnelle belge.

La crise du Covid-19 ne doit pas servir de prétexte à abandonner toute réflexion sur l’avenir et surtout à considérer que, face au pire, ce qui n’allait pas avant ira mieux demain. Aujourd’hui comme hier, penser à réformer l’État belge vise à améliorer son efficience et à décrisper les relations entre ses communautés et régions.

La convocation d’un Congrès national fait référence à une procédure qui est fondatrice de l’État belge aux tournants de 1830 et 1831. Moins connu que la Muette de Portici, que les Journées de Septembre ou que la prestation de serment de Léopold sur la Constitution, la réunion du Congrès national belge fut à son époque l’occasion de véritables nouveautés politiques. À l’aube de la création de l’État belge, cette assemblée introduisit dans le corps politique, pour le rajeunir et le vivifier, des innovations que les autres peuples du continent entrevoyaient à peine dans l’avenir [3]. Aussi, au XXIe siècle, peut-il constituer un modèle pour les générations nouvelles.

Séance du Congrès national - Gouache de Jean-Baptiste Madou (1796-1877) Bruxelles MRBA

Séance du Congrès national – Gouache de Jean-Baptiste Madou (1796-1877) MRBA

« […] considérant qu’il importe de fixer l’état futur de la Belgique »

Les combats des Journées de Septembre 1830, qui ont vu l’armée du roi Guillaume d’Orange chassée de Bruxelles, sont à peine terminés que le Gouvernement provisoire proclame l’indépendance de la Belgique. Dans cet arrêté daté du 4 octobre 1830, le gouvernement provisoire, considérant qu’il importe de fixer l’état futur de la Belgique, annonce qu’il va prendre l’initiative d’un projet de Constitution et convoquer un Congrès national pour examiner ce projet et le rendre, comme constitution définitive, exécutoire dans toute la Belgique [4]. Immédiatement, des élections sont convoquées pour former la Constituante, ellipse d’Assemblée constituante, qui aura tant la fonction d’écrire la Constitution que la fonction législative en attendant la mise en place des institutions qu’elle créera. En octobre 1830, il s’agit bien sûr de légitimer l’action révolutionnaire, à l’instar de ce qui fut fait à Versailles le 9 juillet 1789 [5] . Comme l’indiquait l’historienne Els Witte, le nom choisi pour cette assemblée constituante : Congrès national en français et Volksraad en néerlandais, est symbolique [6].

Deux jours après l’annonce de cette convocation, le 6 octobre 1830, les chefs révolutionnaires belges nomment une Commission de Constitution. Indépendamment de l’élection du Congrès national, cette commission a la mission de proposer au Gouvernement provisoire un projet de Constitution, destiné, après examen par le Congrès national, à devenir la loi fondamentale de la Belgique. Présidée par le catholique Etienne-Constantin de Gerlache (1785-1871), conseiller à la cour de Liège et ancien membre des États généraux du Royaume-Uni des Pays-Bas, elle est composée d’une douzaine de membres, principalement juristes, conseillers ou avocats. Jean-Baptiste Nothomb (1805-1881), avocat luxembourgeois et rédacteur du Courrier des Pays-Bas, est le secrétaire de cette commission.

Cinq innovations importantes

La Commission de la Constitution arrête les bases du contenu du futur document le 16 octobre 1830. Les deux plus jeunes membres, le libéral brugeois et avocat liégeois Paul Devaux (1801-1880) et Jean-Baptiste Nothomb sont chargés de rédiger un premier texte, ce qu’ils font entre le 16 et le 23 octobre [7]. La Commission adopte le document le 25 octobre. C’est ce projet qui sera distribué lors de la séance solennelle d’ouverture du Congrès national [8] et qui y sera présenté par le gouvernement, sans qu’il y ait apporté de modification [9].

Chargé par ses pairs de mettre au point les dispositions de la formation du Congrès national et d’en rédiger le texte de l’arrêté électoral, Jean-Baptiste Nothomb propose au Gouvernement provisoire d’abaisser l’âge d’éligibilité à 25 ans – ce qui était en fait l’âge qu’il avait à ce moment – au lieu des 30 ans en usage dans le Royaume-Uni des Pays-Bas en vertu de la Loi fondamentale. Première innovation majeure, c’est cet âge d’éligibilité de 25 ans accomplis le jour de l’élection qui est retenu par le Gouvernement provisoire. Cela permet, à Nothomb, comme à d’autres jeunes, de siéger au Congrès national [10].

L’arrêté du Gouvernement provisoire du 10 octobre 1830 qui détermine le mode d’élection du Congrès national y inscrit une autre innovation de taille : l’élection directe. Ainsi, les 200 députés vont être élus directement par les citoyens [11]. Pour comprendre l’importance de cette rupture, il faut se souvenir que dans le Royaume-Uni des Pays-Bas, alors que les membres de la première Chambre des États généraux étaient nommés à vie par le roi, la Seconde Chambre était désignée par les États provinciaux dont les membres tenaient leur mandat de trois ordres : les nobles, les villes et les campagnes. Dans les campagnes, l’électeur nommait directement les membres des États provinciaux, mais dans les villes, il choisissait les membres d’un collège électoral qui, par un système aussi curieux que compliqué, nommaient les membres des régences municipales (les conseillers communaux) qui, seulement, désignaient les députés aux États provinciaux [12]. Ce mécanisme échelonné, à trois ou quatre degrés, a été qualifié “d’élection à ricochet” par un des constituants, le congressiste athois Eugène Defacqz (1797-1871) [13]. On mesure dès lors à quel point l’élection directe, probablement inspirée de la loi Lainé adoptée en France le 5 février 1817, vise à s’émanciper de l’ancien régime et de ceux qui voudraient s’y accrocher.

Une troisième innovation porte sur la nationalité. L’arrêté du 10 octobre dispose que tout citoyen né ou naturalisé belge ou qui compte six années de domicile en Belgique peut être électeur, s’il répond bien sûr aux conditions de fortune [14] ou de capacité d’autonomie intellectuelle et de compréhension des enjeux [15]. Les conditions d’éligibilité en tant que député au Congrès national s’étendent à l‘indigénat. Ainsi, étaient considérés comme indigènes, tous les étrangers qui avaient établi leur domicile en Belgique avant la formation du ci-devant Royaume des Pays-Bas (c’est-à-dire avant 1815) et avaient continué à y résider [16].

Quatrième innovation introduite pour l’élection au Congrès national : il n’est pas requis que le député ait son domicile dans la province où il aura été élu [17]. En effet, si l’électeur doit voter dans le district dans lequel il est domicilié, il peut se présenter comme candidat dans tout autre district et y être élu.

Cinquième innovation, que l’ancien magistrat et professeur John Gilissen (1912-1988) qualifie, avec l’élection directe, de nouveautés radicales [18] : aux censitaires, c’est-à-dire les citoyens qui payent la quotité de contributions permettant d’être électeurs et que les règlements des villes et des campagnes ont fixée, s’ajoutaient, sans qu’il soit exigé d’eux un cens, des capacitaires.  Les conseillers des cours, juges des tribunaux, juges de paix, avocats, avoués, notaires, ministres des différents cultes, officiers supérieurs depuis le grade de capitaine, docteurs en droit, en sciences, en lettres et en philosophie, en médecine, chirurgie et accouchements disposent désormais du droit de vote en vertu de leur diplôme ou de leur fonction [19].

Rajeunissement du corps électoral, élection directe, ouverture à l’ensemble des résidents présents depuis cinq ans, mobilité des candidats, vote des capacitaires, ces cinq innovations marquent l’élection du Congrès national en même temps que la volonté du Gouvernement provisoire de 1830 d’élargir sa légitimité et d’y faire adhérer un plus grand nombre d’acteurs et de citoyens.

Les élections du Congrès national ont lieu le 3 novembre 1830 : sur les 200 élus, 98 le sont dans les provinces flamandes, 75 dans les provinces wallonnes et 27 dans le Brabant [20]. Ils sont désignés par 30.000 électeurs sur les 46.000 inscrits, le vote n’étant pas obligatoire. De fait, la période houleuse et surtout l’orangisme – la fidélité à l’ancien régime – poussent certains à l’abstention [21].  Le 10 novembre, 152 députés [22] se réunissent pour une première séance à Bruxelles dans l’ancien palais des États généraux, actuel Palais de la Nation. Au fil des travaux, les 200 élus s’impliquent plus fortement et même tiennent des débats âpres et acharnés [23]. On pourrait ajouter qu’ils pratiquent une transparence politique : en arrêtant son règlement intérieur, les congressistes ont décidé que, sauf demandes expresses, les votes sont émis à haute voix sur toutes les questions [24].

Lors des travaux du Congrès, c’est le projet de Constitution émanant de la Commission établie par le Gouvernement provisoire qui est discuté de préférence à d’autres : sur les 131 articles de la Constitution promulguée le 7 février 1831, 108 sont repris du projet de la Commission, soit textuellement, soit en les aménageant légèrement [25].

 

 Un congrès national en 2020 ou 2021 ?

L’élection d’un congrès national en 2020 ou 2021 aurait beaucoup de sens pour appréhender d’une manière nouvelle la réforme de l’État, indépendamment du fait d’ailleurs que cette initiative pourrait contribuer à ce nouveau formatage de notre société que certains appellent de leurs vœux dans un monde post-Covid-19. Sur les réseaux sociaux n’évoque-t-on pas un reset de notre manière de vivre ensemble ? Davantage qu’une nouvelle échéance électorale que beaucoup pensent inéluctable, la préparation et la tenue d’un Congrès national – nous l’avons vu – sont porteuses d’un surcroît de légitimité et d’innovation.

À l’instar du Gouvernement provisoire de 1830, le Gouvernement Wilmes-Geens, provisoire lui aussi, pourrait préparer les élections d’un Congrès national de 200 membres. Pour ce faire, il pourrait, à défaut d’y avoir désigné d’emblée deux vice-premiers ministres PS et NVA, s’associer, comme dans le Conseil national (ou fédéral ?) de Sécurité, les ministres-présidents des entités fédérées. Il s’agirait de rédiger, sur des bases innovantes, une loi électorale permettant d’élire un Congrès national comme en 1830 et d’en déterminer les règles (protection des minorités, votes à majorité qualifiée, etc.). Le mode de scrutin devrait être aussi innovant que lorsque le jeune Jean-Baptiste Nothomb l’avait préparé en 1830. Pas plus qu’à l’époque, nous ne manquons de brillants et jeunes juristes… Ainsi, pourrait-on, par exemple, établir le droit vote à l’âge de 16 ans le jour de l’élection – les lycéennes et lycéens n’ont-ils pas montré dans la rue qu’ils se sentaient concernés par les affaires publiques ? -, de tous les résidents européens ou non européens en séjour légal dans le royaume depuis cinq ans. Il serait également possible de modifier les circonscriptions et de permettre, d’une manière ou d’une autre, un renouvellement et une mobilité plus grande des candidats, etc. La volonté d’innovation impose de lever les tabous… Tout cela peut-être largement débattu et mobiliser beaucoup d’intelligence collective et de créativité citoyenne.

Parallèlement, le gouvernement fédéral pourrait lui aussi mettre en place une Commission de la Constitution pour plancher de manière indépendante et libre sur des principes et un projet, préparer le terrain de la réforme comme a pu le faire dans les années 1950 le Centre Harmel [26].

Quinze jours après les élections, les 200 membres du Congrès national se réuniraient pour écrire la nouvelle Constitution de la Belgique – néo-fédérale, confédérale ou que sais-je encore ? Ils auraient six mois pour faire aboutir leur travail et l’obligation de le mener à bien. La démarche elle-même serait porteuse de transparence et d’un large débat public pour l’alimenter tout au long de son parcours.

L’avantage de la Constituante, c’est qu’elle peut renouveler les acteurs et être innovante. Elle permettra de déterminer également si les résidents de la Belgique veulent vivre ensemble sur cet espace et y développer des projets communs.

Certains diront que la crise du Covid-19 doit d’abord être résolue, ses impacts sanitaires, sociaux, économiques. Ils ont raison, c’est notre priorité à toutes et à tous. Les circonstances difficiles que nous subissons ne doivent cependant pas empêcher tout débat en profondeur, anticipation créatrice et réflexion solide sur l’avenir.

Lorsqu’en décembre 1943, le général US Dwight D. Eisenhower fut désigné à la tête du Quartier général suprême des forces expéditionnaires alliées (SHAEF) à Bushy Park (UK), de nombreuses opérations vitales étaient en cours sur tous les fronts : contre les nazis, contre les fascistes italiens et contre les militaristes japonais. Néanmoins, si Ike ne s’était pas attelé dès ce moment et avec toutes les forces qu’on lui avait confiées à préparer l’opération Overlord, le débarquement de Normandie n’aurait pas pu avoir lieu six mois plus tard avec le succès que l’on sait.

Si on ne veut rien changer dans le monde qui vient, on restera prisonnier du vieux monde… Si on veut le transformer, le questionnement sur l’opportunité du moment risque toujours de servir de prétexte à l’immobilisme.

Or, en dehors de cette possible transformation, nos scénarios sont inépuisables.

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Paul GERARD et Henk DHEEDENE, Geert Noels et Philippe Destatte : “Cette crise va accélérer la réforme de l’État”, dans le cadre des entretiens de Val Duchesse,  Une solution pour la Belgique, dans L’Écho, 21 mars 2020, p. 12-13. – Deze crisis zal hertekening van België in stroomversnelling brengen, Philippe Destatte: ‘We moeten een nationaal congres verkiezen om de grondwet te herschrijven.’ in De Tijd, 21 maart 2020.

[2] Hugues DUMONT, Étudions l’avenir possible pour l’État belge, dans Le Vif, 14 novembre 2019, p. 29.

[3] Théodore JUSTE, Le Congrès national de Belgique (1830-1831), t. 1, p. XIII, Bruxelles, 1880.

[4] Le gouvernement provisoire, considérant qu’il importe de fixer l’état futur de la Belgique, arrête :

Art. 1. Les provinces de la Belgique, violemment détachées de la Hollande constitueront un Etat indépendant.

Art. 2. Le comité central s’occupera au plus tôt d’un projet de Constitution.

Art. 3. Un congrès national, où seront représentés tous les intérêts des provinces, sera convoqué. Il examinera le projet de Constitution, le modifiera en ce qu’il jugera convenable, et le rendra, comme Constitution définitive, exécutoire dans toutes la Belgique. Arrêté du gouvernement provisoire du 4 octobre 1830.  Émile HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, 1830-1831, t. 4, Pièces justificatives, p. 10, Bruxelles, Adolphe Wahlen & Cie, 1844.

[5] La démarche même des révolutionnaires belges qui consiste à se choisir une assemblée constituante afin d’affermir et de légitimer un régime politique nouveau, implique en soi une relation significative, sinon intense, entretenue par ces révolutionnaires belges avec la configuration idéologique de la Révolution française. Philippe RAXHON, Mémoire de la Révolution française de 1789 et Congrès national belge (1830-1831), dans Revue belge d’Histoire contemporaine, t. XXVI, 1996, 1-2, p. 33-83, p. 36.

[6] Els WITTE, La construction de la Belgique, p. 92. selon Els Witte le mot renvoie à la Révolution brabançonne de 1790.  – A noter qu’E. WITTE utilise le mot Constituante en néerlandais E. WITTE e.a., Nieuw Geschiedenis van België (1830-1905), p. 110, Tielt, Lannoo, 2005.

[7] Robert DEMOULIN, Le courant libéral à l’époque du Royaume des Pays-Bas et dans la Révolution de 1830, p. 37, dans Hervé HASQUIN et Adriaan VERHULST dir., Le Libéralisme en Belgique, Deux cents ans d’histoire, Bruxelles, Centre Hymans – Delta, 1989.

[8] Th. JUSTE, Le Congrès national…, t.1, p. 151.

[9] Th. JUSTE, Le Congrès national…, t.1, p. 69.

[10] Th. JUSTE, Le Congrès national…, p. 62.

[11] évidemment masculins, personne ne pose alors la question…

[12] John GILISSEN, Le régime représentatif en Belgique depuis 1790, p. 60sv, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1958.

[13] J. GILISSEN, Le régime…, p. 66.

[14] Ces conditions étaient quelque peu plus élevées que sous le régime de Guillaume d’Orange… Els WITTE, Alain MEYNEN et Dirk LUYTEN, Histoire politique de la Belgique, De 1830 à nos jours, p. 19, Bruxelles, Samsa, 2017.

[15] On n’oubliera pas que les 44.069 électeurs inscrits, soit 38.429 censitaires et  capacitaires n’atteignant pas le cens, ne représentent qu’1% des 4 millions d’habitants de 1830. René VAN SANTBERGEN dir., Le Parlement au fil de l’histoire, 1831-1981, p. 13, Bruxelles, Chambre des Représentants et Sénat, 1981. – Henri PIRENNE, Histoire de Belgique, Des origines à nos jours, t.3, p. 521, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1950. –  Là aussi, comme aux élections communales, l’exigence des démocrates d’élargir le droit de vote n’est pas prise en compte. E. WITTE, Nouvelle histoire de Belgique (1828-1847), La construction de la Belgique, p. 68, Bruxelles, Le Cri, 2010. – Ce qui nous apparaît aujourd’hui scandaleux fut alors fait au nom de la liberté. Comme l’a écrit l’économiste et politologue Émile de Laveleye (1822-1892), si le peuple est assez peu éclairé pour écouter ceux qui lui promettent le bonheur par le despotisme militaire ou théocratique, alors accorder à tous le droit de voter, c’est creuser le tombeau de la liberté. p. n, dans la préface à Th. JUSTE, Le Congrès national…, 1880, p. n.

[16] Arrêté du gouvernement provisoire du 10 octobre 1830, Articles 10. É. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique…, t. 4, p. 11.

[17] Ibidem, Art. 11. – Th. JUSTE, Le Congrès national…, t.1, p. 62.

[18] J. GILISSEN, op. cit., p. 82.

[19] Ces capacitaires ne seront pas maintenus dans la Constitution du 7 février 1831 qui ne réservera plus le droit de vote, on le sait, qu’aux seuls censitaires.

[20] Louis-Th. MAES & René VAN SANTBERGEN dir., Documents d’histoire de Belgique, t. 2, La Belgique contemporaine, De 1830 à nos jours, p. 8, Bruxelles, Ministère des Affaires étrangères, 1978.

[21] Frans VAN KALKEN, La Belgique contemporaine, p. 45, Paris, A. Collin, 1930. – Voir aussi Els WITTE, Le Royaume perdu, Les orangistes belges contre la Révolution (1828-1850), Bruxelles, Samsa, 2016.

[22] Ibidem, p. 87.

[23] J. GILISSEN, Le régime…, p. 84.

[24] Ibidem, p. 93.

[25] Xavier MABILLE, Histoire politique de la Belgique, Facteurs et acteurs de changement, p. 107, Bruxelles, CRISP, 1986.

[26] Mina AJZENBERG-KARNY et Lili ROCHETTE-RUSSE, Centre Harmel, dans Paul DELFORGE, Philippe DESTATTE et Micheline LIBON dir., Encyclopédie du Mouvement wallon, t.  1, p. 241-242, Charleroi, Institut Destrée, 2000.

Hour-en-Famenne, le 28 décembre 2019

1. Acter le discours confédéral

L’État belge va encore muter, déclarait Hervé Hasquin le 13 octobre 2000. Et l’historien – alors également ministre-président de la Communauté française – d’estimer que, dans un délai sur lequel il ne voulait pas se prononcer, la Belgique ne sera plus un État fédéral, mais un État confédéral, ajoutant que : c’est du cousu main [1].

Le confédéralisme, je l’ai montré, est intrinsèquement lié à l’évolution institutionnelle de la Belgique, depuis ses origines, probablement au même titre que le fédéralisme. Le mentor de Hervé Hasquin en politique, le constitutionnaliste François Perin (1921-2013), l’avait évoqué dès 1969, à l’aube de la réforme de l’État. Lors d’une interpellation de Gaston Eyskens (1905-1988), le professeur liégeois avait observé que la philosophie du parti du Premier ministre CVP lui-même était davantage confédéraliste que fédéraliste [2]. Près de quarante ans plus tard et bien avant la réforme de 2014, deux jeunes chercheurs de la Faculté de Droit de l’Université de Liège, Marie Olivier et Michel Pâques, constataient, pour leur part, que le système belge était arrivé à mi-chemin entre l’État unitaire et la création d’États souverains. Par certains aspects, il emprunte déjà au confédéralisme [3], observaient-ils, tout en soulignant que certaines bases du fédéralisme faisaient encore défaut…

Le discours confédéral s’appuie sur un élément réel à la fois tactique et sociologique, notait le journaliste Christophe De Caevel en 2010 dans L’Écho. C’était l’époque où la N-VA venait d’inscrire le confédéralisme à son programme intitulé Nu durven veranderen (Oser changer maintenant) et alors que l’OpenVLD, le CD&V et le sp.a s’en faisaient les promoteurs, avec certes de fortes nuances entre eux [4]. De Caevel, qui est un des plus fins observateurs francophones de ce positionnement institutionnel flamand, qualifiait le discours confédéral de tactique parce que les partis traditionnels peuvent indiquer une volonté très ambitieuse de réforme de l’État au-delà d’une simple adaptation du fédéralisme, et aussi de sociologique, car, disait-il, les deux grandes communautés belges ne vivent pas ensemble, mais côte à côte, avec des références culturelles divergentes. Acter le discours confédéral aiderait, notait-il, à reconstruire les ponts entre communautés [5]. C’est ce que Didier Reynders avait tenté de faire en 2007 dans une interview au journal Le Monde, dans laquelle le président des libéraux francophones avait, disait-on, rompu un tabou. Le libéral liégeois avait simplement constaté la position politique flamande et prôné de la prendre sérieusement en compte : la logique à l’œuvre en Belgique est celle d’une confédération, avait dit Reynders. L’enjeu est donc d’apprendre à faire vivre ensemble des gens qui se meuvent déjà dans des univers différents. Et c’est cela qui me semble encore possible. Cette parole libre lui avait immédiatement valu le pilori en Wallonie et à Bruxelles [6]. En janvier 2008, Philippe Moureaux (1939-2018) s’essaya aussi à cet exercice en ouvrant la voie d’une négociation du confédéralisme à la flamande, pour autant, disait l’ancien ministre, que les francophones y conservent la solidarité nationale comme valeur ajoutée et qu’ils obtiennent la stabilisation du royaume de Belgique par un verrouillage institutionnel concrétisé par des lois spéciales désormais votées au 3/4 des suffrages [7]. Le socialiste bruxellois n’avait pas, lui non plus, été porté en triomphe dans sa communauté…

Si on dépasse ces ballons d’essai salutaires, un dialogue sérieux et fort entre les composantes institutionnelles de l’État belge reste essentiel. Néanmoins, ce qui pose problème dans les modèles prospectifs flamands, ce n’est pas l’accroissement de compétences renforçant les moyens d’action des entités fédérées, voire même la transformation de l’État vers un au-delà du fédéralisme : on sait depuis longtemps que le fédéralisme belge est de désintégration. Ce qui pose véritablement question, c’est l’évolution du discours flamand vers un modèle binaire renforcé, qui ne tient pas compte des mutations institutionnelles de ces cinquante dernières années. On pouvait penser que les changements constitutionnels allaient permettre d’abandonner une vision étriquée du paysage institutionnel ; on avait imaginé que ces transformations nous éloigneraient d’un face-à-face simpliste, parce que binaire et dichotomique ; on aurait aimé qu’évolue cet antagonisme passéiste qui ne parvient pas à dépasser le stade des deux grandes communautés. Si on tend l’oreille, on observe d’ailleurs qu’un certain nombre de Wallons et de Bruxellois francophones n’y échappent pas non plus, ce qui nous paraît très regrettable.

2. Une autre pensée institutionnelle, polycentrique et équilibrée

Il existe en effet une autre manière de penser la réalité. Elle se fonde sur une tradition (con)fédéraliste wallonne qui, de Julien Delaite à Jules Destrée, de Georges Truffaut à Freddy Terwagne et François Perin a mis en avant le fait régional. Il existe sans aucun doute un fil conducteur qui relie quelques renardistes de la droite et de la gauche de l’échiquier politique, issus du MPW ou de ses sympathisants et cheminant au travers de la commission institutionnelle du Manifeste pour la culture wallonne en 1983, à la longue préparation du congrès des socialistes wallons tenu à Ans en février 1991 où Robert Collignon avait espéré voir triompher un modèle qu’il avait esquissé deux ans auparavant [8]. Portée par Jean-Maurice Dehousse sur ce plan régional, la réforme de l’État de 1993 a constitué une étape vers cette vision. Six ans plus tard, c’est l’intervention du politologue spécialiste de l’État fédéral en Belgique, Jacques Brassinne, au Congrès La Wallonie au futur de 1998 qui permet de renouer le fil [9]. Le vice-président du CRISP et de l’Institut Destrée observait que, calquées sur les quatre régions linguistiques, on peut envisager l’existence in abstracto de quatre entités fédérées nanties d’une large autonomie ayant des compétences à la fois dans les matières régionales et communautaires. Jacques Brassinne ne cachait évidemment pas les réticences potentielles flamandes envers ce modèle ni le fait que ce processus prendrait du temps : en renforçant leurs compétences, ces quatre entités pourraient se développer d’une manière autonome dans le cadre de la Belgique fédérale, soit en dehors de celle-ci  [10].

En 2006 et 2007, l’Institut Destrée a mené un projet interne pour fonder une vision prospective institutionnelle. Il s’agissait de disposer d’un modèle clair, portant sur un horizon lointain, et constituant un atout stratégique indéniable pour tous ceux qui voudraient faire progresser les institutions de manière raisonnable et efficace.

Cette Belgique se présente comme un État fédéral composé de quatre Régions fédérées : la Flandre, la Wallonie, Bruxelles et la Région germanophone, OstBelgien. Elles seraient égales en droit et auraient un territoire définitivement fixé et reconnu. Elles disposeraient toutes des mêmes compétences et les exerceraient, respectivement, dans des matières identiques, uniquement sur leur propre territoire. Les frontières des quatre Régions seraient définitives et fixées sur la base actuelle, qui est celle qui a été fondée voici déjà plusieurs dizaines d’années. Les quatre Régions, chacune pour ce qui la concerne, seraient compétentes pour toutes les matières qui ne sont pas attribuées formellement à l’État fédéral par la Constitution. Afin que les Régions puissent pleinement assumer leurs responsabilités, elles seraient également responsables pour tout ce qui concerne les enseignements primaire, secondaire et supérieur, la recherche scientifique dans toutes ses composantes, ainsi que pour la culture et les matières personnalisables. Les quatre Régions fédérées assumeraient la pleine responsabilité de leurs actes politiques. La détermination des impôts fédéraux et des impôts régionaux serait établie de telle manière que toutes les entités puissent se financer par elles-mêmes sur le long terme. Le pouvoir fédéral exercerait ses compétences dans les matières suivantes : la cohésion économique, sociale et monétaire dans le cadre européen, la politique étrangère, la défense, la justice, la police fédérale, la sécurité sociale (solde de ce qui n’a pas été transféré par la réforme de 2011-2014), les pensions, la santé publique, la dette publique, l’octroi de la garantie de l’État, la fiscalité fédérale, la coordination dans le domaine de la recherche scientifique. Outre l’Exécutif, les institutions fédérales se composeraient d’une Chambre de cent-cinquante députés élus au suffrage universel dans quatre circonscriptions électorales régionales, proportionnellement à la population de chacune des quatre Régions, selon le système électoral fixé par la Chambre. Quant au Sénat, il deviendrait une véritable Chambre des Régions composée de soixante sénateurs élus par chacun des Parlements régionaux.

Un fédéralisme à 4 entités fédérées selon le projet Brassinne-Destatte (2007) –  Infographie PhD2050

Les compétences du Sénat porteraient à la fois sur la prévention et le règlement des conflits d’intérêts entre les entités fédérées, sur des compétences conjointes avec la Chambre, notamment sur les lois à adopter à une majorité spéciale. Le Sénat disposerait d’un droit d’évocation dans les autres matières. Le vote des propositions et projets de loi y serait conditionné à l’obtention de la majorité absolue dans chaque groupe territorial. Afin de favoriser une entente durable entre les Régions fédérées, il sera nécessaire d’identifier et de renforcer les mécanismes de coopération entre l’État fédéral et les Régions fédérées, mais également entre les quatre Régions fédérées elles-mêmes. Les mécanismes de coopération porteront aussi sur les domaines économique, social et fiscal. Chaque Région s’engagerait, conformément à la Constitution, à respecter les Droits de l’Être humain, les libertés fondamentales et les droits des minorités, conformément à la Convention-Cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales. Le projet volontariste d’un fédéralisme raisonnable et équilibré, fondé sur quatre Régions égales en droit est simple, pédagogique et facilement appropriable par les citoyennes et les citoyens, ce qui constitue une véritable innovation. Sa vertu profonde réside dans le fait qu’il permettrait de faire échapper la Belgique à la logique néfaste de l’affrontement entre les clans linguistiques, de rompre le face-à-face destructeur en recherchant un nouvel équilibre. Le fédéralisme à quatre Régions égales en compétences permettrait de donner à Bruxelles une vraie chance de trouver une cohésion territoriale répondant aux multiples enjeux que cette Région doit relever : capitale européenne, métropole multiculturelle, désindustrialisation, paupérisation urbaine, etc. La Région germanophone pourrait émerger sur le plan des compétences régionales et contribuer à l’équilibre de l’ensemble. La Flandre y trouverait l’occasion d’un redéploiement territorial sur la métropole anversoise et d’un affaiblissement des démons du nationalisme belliqueux, opposé au nationalisme amoureux, pour reprendre la typologie de l’historien Pierre Nora. Quant à la Wallonie, elle pourrait sortir l’enseignement, la recherche, la culture, l’éducation permanente de leur ghetto moral et financier : à l’heure de la société de la connaissance, elle retisserait enfin ces compétences essentielles avec celles de l’aménagement du territoire, de l’action sociale et du développement des entreprises [11].

En adoptant ce modèle, il serait assurément possible de stabiliser l’État belge au travers d’un fédéralisme très avancé qui peut apparaître comme une évolution légitime d’un système qui en a mis progressivement en place les balises. En tout cas, de Johan Vande Lanotte à Didier Reynders, ou de Karl-Heinz Lambertz à André Antoine, nombreux sont ceux qui ont pu le valoriser depuis divers bancs [12].

 

3. Une base de discussion confédérale entre la Flandre, Bruxelles, l’OstBelgien et la Wallonie

Après avoir précédemment décrit le modèle de la confédération belge selon la N-VA, telle qu’il s’est développé depuis octobre 2013 avec l’attribution de compétences résiduelles aux communautés flamande et wallonne et le maintien de deux régions spécifiques pour Bruxelles et la Communauté germanophone, il nous paraît utile, sinon indispensable, de rapprocher les formules pour en débattre. En comparant les deux figures que constituent, d’une part, le fédéralisme à 4 entités fédérées et, d’autre part, la confédération belge selon la N-VA, chacun mesure l’ampleur des différences… Aucun des deux ne survivra à une discussion institutionnelle. Un troisième modèle est à construire, de nature à satisfaire les différentes parties et à lui donner suffisamment de pertinence et de solidité pour en assurer la pérennité et la durabilité. Politiquement, ce passage vers un modèle de synthèse, encore à inventer, pose au moins deux problèmes majeurs. Le premier est celui de la légitimité : sur quelle base refonder pour les citoyens un cadre tellement différent du pacte de 1831, mais qui, en même temps, puisse faire sens et s’imposer sans être contesté ? Le second problème est celui de la robustesse de la nouvelle union entre les entités qui s’associeront dans le nouveau modèle fédéral avancé ou confédéral – j’ai déjà dit que les mots importaient peu en cette matière.

Pour donner une légitimité suffisante au nouveau modèle, il semble que la solution préconisée par le professeur de droit constitutionnel Hugues Dumont puisse posséder toute l’ampleur nécessaire : il s’agirait d’élire dans la circonscription fédérale les membres d’un Congrès national investi d’un pouvoir constituant. Ainsi, les Chambres rendues constituantes par l’adoption d’une déclaration de révision pourraient-elles fixer une procédure exceptionnelle pour que ce Congrès national (fédéral ou confédéral) refonde l’État, ou en tout cas son cadre, sur de nouvelles bases [13]. Cependant, et parallèlement, il s’agit de rendre le modèle robuste et pérenne par un pacte fédéral ou un traité confédéral conclu entre les différentes entités. Si le modèle approuvé par la constituante est celui que nous préconisons, les quatre entités auront dès lors à négocier entre elles pour finaliser ce document refondateur. Chacune ensuite rédigera sa propre charte ou constitution.

Sur la table du Congrès national et des entités qui refondent le pacte, parmi d’autres, se trouveront les modèles N-VA de confédéralisme à 2+2 et celui de fédéralisme à 4. Un confédéralisme à 4 peut être envisagé qui rejoindrait les points de vue et serait mis en débat. Un Parlement belge quadritaire jouerait à la fois le rôle de Chambre confédérale et de Sénat des Régions. Les députés confédéraux, au nombre de 60, seraient élus au scrutin secret au sein des parlements de Bruxelles, de Flandre, d’OstBelgien et de Wallonie qui en désigneraient chacun quinze. Aucune loi confédérale ne serait adoptée si elle ne rassemble pas la majorité dans chacun des groupes régionaux. Le Gouvernement confédéral serait composé de huit ministres désignés par les quatre régions. Cette désignation se ferait par le gouvernement de chaque état confédéré qui pourrait désigner quelqu’un en son sein ou choisir en-dehors une ou des personnalités qualifiées (un ancien commissaire européen, un ancien gouverneur, etc.), qui auraient à la fois vocation et capacité à représenter leur région confédérée, mais aussi à coopérer avec leurs pairs au niveau confédéral. Les ministres représenteraient clairement leur entité confédérée. La formation du gouvernement confédéral se ferait obligatoirement dans la foulée des gouvernements des entités confédérées dans les deux mois qui suivent les élections régionales. Seraient ainsi résolues ces longues crises post-électorales qui décrédibilisent le monde politique fédéral.

Un confédéralisme à quatre (2020-2030) – Infographie PhD2050

Les compétences du niveau confédéral porteraient sur la défense et la politique étrangère de la confédération, la fiscalité confédérale et la dette, la cohésion économique et sociale, la sécurité sociale et les pensions, la Cour de Cassation, la Cour constitutionnelle, la TVA et les accises. L’ensemble des autres compétences, dites résiduelles, y compris l’impôt sur les personnes physiques seraient attribuées aux entités confédérées.

L’organisation et le fonctionnement des parlements et gouvernements de Bruxelles, Flandre, OstBelgien et Wallonie seraient précisés dans le cadre de leur autonomie constitutive et inscrits dans leur charte ou constitution respective.

Un Conseil de Concertation permanente serait mis en place et réunirait mensuellement les Premiers ministres de Bruxelles, Flandre, OstBelgien et Wallonie. Un Conseil de même type se réunirait tous les deux mois entre les ministres des entités confédérées en charge des quinze enjeux d’avenir identifiés dans la déclaration de politique confédérale.

Conclusion : osons le confédéralisme, mais à quatre !

C’est l’ancien professeur de lettres et d’histoire, Élie Baussart (1887-1965), enseignant au Collège des Jésuites à Charleroi, qui écrivait dès 1928 que la Flandre et la Wallonie ne sont pas faites pour la Belgique ; la Belgique est faite pour la Flandre et la Wallonie. Comme l’État est fait pour le citoyen et non le citoyen pour l’État [14]. Ce qui semblait osé à ce moment relève aujourd’hui du simple bon sens. Quatre-vingt-dix ans plus tard, nous ajouterons Bruxelles et l’OstBelgien à la Flandre et à la Wallonie, car le fédéralisme, qu’on l’aime ou non, est passé par là. Et sa réalité a prévalu.

Au moment du Pacte d’Egmont, en 1978, le député CVP Jan Verroken évoquait les mécanismes de développement institutionnel inscrits dans l’accord, refusant de s’engager dans les étiquettes pour dire si l’évolution portait la Belgique vers le fédéralisme ou le confédéralisme, considérant que l’on pouvait se diriger vers une sorte de royaume de républiques unies (een soort koninkrijk van verenigde republieken) [15]. Ainsi, faut-il aujourd’hui cesser cette forme de postulat aussi futile qu’inutile chez certains francophones selon lesquels le confédéralisme ne serait qu’une dérive inéluctable vers la séparation, toute phase confédérale n’étant qu’une transition vers la dissolution de l’État [16]. En effet, nous pourrions avantageusement considérer que le confédéralisme constitue le fameux point d’équilibre recherché dans les sept vagues précédentes de réformes de l’État. Nous savons également que toute absence d’accord au niveau fédéral aboutirait à un confédéralisme de fait. Ne vaut-il donc pas mieux se mettre autour d’une table et construire ce que Bruxellois, Flamands, Germanophones et Wallons peuvent encore concevoir ensemble avec toute leur expérience de l’innovation dans l’ingénierie institutionnelle ? François Perin rappelait avec raison que, à la veille des émeutes de 1830 – et même pourrait-on ajouter, juste avant la fin de l’intervention hollandaise, le 26 septembre -, aucun n’imaginait l’indépendance de la Belgique. La suite de l’analyse du professeur est bien connue : raisonnablement, en attendant une plus grande unité européenne, sans doute à laube du troisième millénaire, le démembrement progressif et négocié de lÉtat belge est plus vraisemblable et aussi plus rentable pour tous quune brusque implosion provoquée par une crise sans issue. Fédéralisme ou confédéralisme ? Toutes les solutions transitoires et relativement instables seront très compliquées, fruits de compromis plus ou moins boiteux [17].

Ce choix du confédéralisme ne sera évidemment pas simple. Il impliquera des mécanismes de cohésion et de responsabilisation. Qui en douterait ? Et, si nous avons pu observer qu’au fil du temps, tous les grands partis démocratiques flamands se ralliaient à l’idée de confédéralisme, nous avons vu également que tous, y compris la N-VA [18], souhaitaient que ces mécanismes persistent. Comme l’affirmait déjà clairement le député Étienne Knoops lors de la discussion de la réforme de 1980 : dans un État, même fédéral ou confédéral, la règle de la solidarité doit être appliquée. Si tel n’était pas le cas, il n’y aurait plus d’État. Le libéral disait avoir frémi en entendant en commission certains membres vouloir appliquer, sans la nommer, ce que l’on appelle au niveau international la loi du juste retour. Si les régions et les communautés n’étaient financées que sur cette base du juste retour, il n’y aurait plus demain d’État belge sous quelque forme que ce soit [19].

Si ce principe est partagé et respecté à Anvers, Bruxelles, Eupen et Namur, n’hésitons pas à écrire, comme le faisait Christophe De Caevel en 2007 Osons le confédéralisme[20] Mais seulement si nous le mettons en place et l’assumons à quatre [21].

Et puis, s’il échoue, il sera toujours temps d’envisager d’autres formules. Notre créativité et notre capacité d’innovation ne seront certainement pas prises en défaut…

 

Philippe Destatte

@PhD2050

Article précédent :

Le confédéralisme, spectre institutionnel (4)  Une Flandre inachevée  (1995 à 2020)

 

Accès à l’ensemble du texte consolidé (les cinq parties) :

Philippe Destatte, Le confédéralisme, spectre institutionnel, Namur, Institut Destrée, Working Paper, 31 décembre 2019, 32 p.

 

[1] Hasquin : “On va vers le confédéralisme”, dans L’Écho, 13 octobre 2000.

[2] Interpellation de François Perin, dans Annales parlementaires, Chambre, 13 mai 1969 p. 5 et 6.

[3] Par exemple, en partageant la compétence des relations internationales (art. 167) et en permettant aux communautés, aux régions et à l’État de conclure entre eux des accords de coopération qui ressemblent à des traités entre sujets de droit international (article 92bis de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980). Michel PÂQUES et Marie OLIVIER, La Belgique institutionnelle, Quelques points de repère, dans Benoît BAYENET, Henri CAPRON et Philippe LIEGEOIS éds., L’Espace Wallonie-Bruxelles, Voyage au bout de la Belgique, p. 60,  Bruxelles, De Boeck, 2007. – La Belgique a construit son modèle institutionnel fédératif non par une dynamique de centralisation, mais de décentralisation. De surcroît, les partis politiques y jouent un rôle prédominant et les éléments confédéraux qui prévalent depuis l’origine de la réforme. Rolf FALTER, Belgium’s Peculiar Way to Federalism, in Kas DEPREZ and Louis VOS, Nationalism in Belgium, Shifting Identities, 1780-1995, p. 193, London, MacMillan, 1998.

[4] Confédéraliser, version N-VA : qu’est-ce qui reste ? dans L’Echo, 25 mai 2010. – Du confédéralisme “soft” à la vitrine de l’Open VLD, dans L’Echo, 24 mai 2010.

[5] Chr. DE CAEVEL, Le diable confédéral avance masqué, dans L’Echo, 29 mai 2010.

[6] Chr. DE CAEVEL, Tabou confédéral, Edito, dans L’Echo, 13 novembre 2007. – Jean-Pierre STROOBANTS, En Belgique, “la logique est celle d’une confédération”, Didier Reynders, libéral francophone, exige un “signal clair” des Flamands sur leur volonté de maintenir un État fédéral, dans Le Monde, 10 novembre 2007.

[7] L’État confédéral, selon Moureaux, Entretien avec Philippe Engels, dans Le Vif, 4 janvier 2008, https://www.levif.be/actualite/magazine/l-etat-confederal-selon-moureaux/article-normal-891367.html

[8] Robert COLLIGNON, La Communauté française ou le paradoxe de la réforme de l’État, dans A l’enseigne de la Belgique nouvelle, Revue de l’ULB, Bruxelles, 1989, 3-4, p. 179-181.

[9] Jacques BRASSINNE, La Wallonie et la réforme de l’Etat, dans La Wallonie au futur, Sortir du XXème siècle, évaluation, innovation, prospective, p. 262-263, Charleroi, Institut Destrée, 1999.

[10] Ibidem, p. 273.

[11] Jacques BRASSINNE de la BUISSIERE et Philippe DESTATTE, Un fédéralisme raisonnable et efficace pour un État équilibré, Namur, Institut Destrée, 24 février 2007. http://www.institut-destree.org/files/files/IDI_Education-permanente/2006/EP-A33-1_J-Brassinne_Ph-Destatte_Quatrieme-Voie_FR.pdf

[12] Ph. DESTATTE, Le (con)fédéralisme n’est pas un problème, c’est une solution, Blog PhD2050, Bruxelles, 14 juillet 2014,

https://phd2050.org/2014/07/14/confederalisme/

[13] Hugues DUMONT, Étudions l’avenir possible pour l’État belge, dans Le Vif, 14 novembre 2019, p. 29. A noter que, à l’heure des grandes manipulations occultes et numériques de l’opinion, je ne suis pas Hugues Dumont sur son éventuelle ratification par un référendum.

[14] Elie BAUSSART, 1930 verra-t-il la faillite de 1830 ?, dans La Terre wallonne, Octobre 1928, p. 24.

[15] Ik erkende zelfs dat er in dit Egmontplan ingebouwde mechanismen zitten die de geschetste strucruren automatisch tôt verdere ontwikke-lingen zullen laten komen. Ik wil mij thans verder evenmin bezondigen aan etiquettevitterij, over de vraag of wij hiermee al dan niet naar een federalisme of een confederalisme evolueren. Men zou evengoed kunnen stellen dat wij met dit land naar een soort koninkrijk van verenigde republieken evolueren. Intervention de Jan Verroken, Annales parlementaires, Chambre, 2 mars 1978, p. 1312.

[16] Christian FRANCK e.a., Choisir l’avenir, La Belgique en 1999, p. 27, Bruxelles, Luc Pire, 1999.

[17] François PERIN, Histoire dune nation introuvable, p. 296, Bruxelles, Legrain, 1988.

[18] Le confédéralisme belge selon la Nieuwe-Vlaamse Alliantie, dans L’Écho, 19 janvier 2019.

[19] Intervention d’Étienne Knoops, dans Annales parlementaires, Chambre, 31 juillet 1980, p. 2814.

[20] Christophe DE CAEVEL, Osons le confédéralisme, dans L’Écho, 6 octobre 2007. – Son éditorial du 10 juin 2008 y faisait référence : Un an après, seuls les séparatistes ont le sourire, écrit après les menaces de la nouvelle présidente du CD&V Marianne Thyssen, de mettre en cause la solidarité interpersonnelle à défaut d’une profonde réforme de l’État.

[21] Olivier MOUTON, Le confédéralisme à quatre pour débloquer la Belgique, dans Le Vif, 10 juillet 2014.

Namur, le 15 décembre 2019

1. Vers un Front flamand pour revendiquer le confédéralisme…

L’agitation du confédéralisme comme spectre institutionnel semblait avoir atteint son firmament lors des débats qui accompagnèrent le vote de la réforme de 1993. Si certains avaient peut-être prêché le faux à cette occasion, le vrai ne s’était pas encore fait connaître et n’allait pas tarder à se montrer. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer ” au sud de la Belgique “, la revendication confédéraliste ne renaît pas dans les rangs des nationalistes. Le 10 juillet 1994, dans un discours prononcé à Renaix, le ministre-président flamand, le CVP Luc Vanden Brande, en appelle, en effet, au développement d’une structure confédérale en Belgique. Il reçoit une réponse cinglante du ministre-président wallon Robert Collignon qui annule sa participation aux cérémonies officielles de la fête nationale flamande et, mettant en cause les compétences en droit constitutionnel de son homologue flamand, lui rappelle que la confédération entraîne la séparation [1]. Deux ans plus tard, au même moment de la fête de la Communauté flamande, les positions sur le confédéralisme adoptées par les socialistes Louis Tobback et Norbert de Batselier émeuvent à nouveau les Wallons et les Bruxellois francophones. Dans la note qu’il a rédigée pour la circonstance, de Batselier, alors président du Parlement flamand, conçoit une union confédérale d’États (Statenbond), cogestion à deux d’une Belgique qui maintient en son sein les compétences de la Justice, de la Politique étrangère et de la Défense comme matières confédérales. Cette position provoque une intervention courroucée du député Didier Reynders à la Chambre, le 16 juillet 1996 [2]. Évidemment, du côté de la Volksunie (VU), où il existe une véritable continuité de revendication, on se réjouit ; Bert Anciaux qui a été réélu à sa présidence en janvier 1996 porte l’idée de l’édification d’une confédération belge [3],. En juillet 1996, le député VU Karel Van Hoorebeke insiste sur la nécessité pour la Wallonie d’échanger avec la Flandre sur cette évolution au risque de rendre inévitable la scission de la Belgique [4]. En avril 1999, c’est la présidente du groupe VU à la Chambre, Annemie Van de Casteele, qui relaie la position de son parti qui, dit-elle, va au-delà des résolutions du Parlement flamand du 3 mars 1999 [5] ou des priorités du CVP. La Volksunie veut parvenir à un système confédéral dans lequel les États fédérés sont compétents pour toutes les questions pour lesquelles ils souhaitent l’être et qui décideront ensuite par consensus des initiatives qu’ils veulent prendre ensemble. Pour Bruxelles, il s’agit, annonce Annemie Van de Casteele, que la région soit gouvernée par les deux communautés et que le problème de la représentation flamande à Bruxelles soit réglé [6]. Au moment de l’éclatement de la Volksunie en 2000, Van de Casteele est, avec Bert Anciaux et son groupe ID21, parmi les fondateurs de SPIRIT dont elle devient présidente, avant de rejoindre l’Open VLD. En 2001, Geert Bourgeois, représentant de l’aile conservatrice, fonde la Nieuw-Vlaamse Alliancie (N-VA). Se posant en héritière directe de la Volksunie, la N-VA dépasse le confédéralisme et revendique la séparation de la Belgique, ainsi que l’indépendance de la Flandre. Toutefois, en cette année 2001 où le paysage politique flamand se recompose, la surprise vient des sociaux-chrétiens. Lors de son congrès de Courtrai, fin septembre, le vieux parti de Gaston Eyskens, Léo Tindemans, Wilfried Martens et Jean-Luc Dehaene entame sa rénovation sous le nom de Christen, Democratisch en Vlaams (CD&V) à l’initiative de son nouveau président Stefaan De Clerck. Sous l’influence des CVP-Jongeren et malgré les réticences de l’exécutif du parti, le congrès adopte un nouveau programme institutionnel prônant un confédéralisme à deux, réclamant le transfert à la Flandre et à la Wallonie des soins de santé, de la politique familiale ainsi que de la politique de l’emploi [7].

Chez les libéraux flamands, ce sont, semble-t-il, également les jeunes militants qui, dans la Déclaration du 17 novembre 2002, ont poussé l’Open VLD à inscrire le confédéralisme dans son programme institutionnel [8]. Le président du parti, Karel De Gucht avait néanmoins annoncé sur la chaîne VTM quelques jours auparavant, que la Belgique est, à terme, condamnée à disparaître, à partir en fumée et que, en attendant, elle n’apporte aucune valeur ajoutée à la Flandre [9]. Le 12 novembre, il se prononce en faveur du transfert des allocations familiales, de l’emploi, de la politique des handicapés et des personnes âgées, ainsi que de l’impôt des personnes physiques, celui des sociétés et de la gestion de la SNCB vers les communautés et les régions [10].

En prévision des prochaines élections fédérales, le président du CD&V, Stefaan De Clerck, appelle en mars 2003 à une révision de la Constitution. Son parti veut une réforme radicale qui débouche directement sur la création d’un État confédéral. Il réclame également que l’article 35 de la Constitution soit soumis à révision, de telle sorte que la Wallonie et la Flandre puissent décider quelles compétences – appelées dès lors “résiduelles” – doivent encore revenir à l’État fédéral. Comme chacun sait, cet article dispose que l’autorité fédérale n’a de compétences que dans les matières que lui attribue formellement la Constitution (…), tandis que les Communautés et Régions, chacune pour ce qui les concerne, sont compétentes pour les autres matières (…). Les sociaux-chrétiens flamands souhaitent supprimer les Régions et Communautés pour les remplacer par des “entités fédérées”, une Région capitale bruxelloise et une Communauté germanophone autonome [11].

Après ses défaites successives aux élections législatives de 1999 et de 2003, le CD&V, alors dans l’opposition, se choisit un nouveau président en la personne de son chef de groupe à la Chambre, Yves Leterme [12]. D’emblée, le nouveau président décide de s’adjoindre la N-VA afin de renforcer l’identité flamande de son parti et d’appuyer sa volonté de confédéralisme.

Quant à la N-VA, elle attend son heure. Elle va bientôt sonner…

2. La N-VA entre en lice

En novembre 2005, dans son Manifeste pour une Flandre indépendante dans l’Europe unie, le Groupe de réflexion flamand In de Warande propose une formule de confédération en vue d’émanciper la Flandre du poids d’une économie wallonne présentée en chute libre. Bruxelles serait sous la dépendance de deux États, la Wallonie et la Flandre, en attendant le renforcement de son rôle de capitale de l’Europe [13]. Comme l’indique l’ancien député AGALEV Luc Barbé, les propositions contenues dans ce texte ont produit un effet de résonance pendant plusieurs années, provoquant des inquiétudes toujours plus fortes sur le recul de la prospérité en Flandre [14].

En mars 2007, le président du CD&V Jo Vandeurzen appelle lui aussi à une nouvelle et profonde réforme de la Constitution. Avec l’appui de son allié N-VA présidé par Bart De Wever, il annonce avoir mis la dernière main à une proposition de révision de la Constitution traduisant leur volonté commune de transformer la Belgique en un État confédéral, dont les centres de gravité seraient la Flandre et la Wallonie. Bruxelles et la Communauté germanophone ne constitueraient pas des entités fédérées à part entière, mais recevraient un statut spécifique. Bruxelles resterait compétente pour les matières locales et verrait son rôle de capitale étendu, mais la Flandre et la Wallonie seraient également compétentes pour elle. Pour ce faire, le CD&V propose de réécrire les trois premiers articles de la Constitution [15]. L’alliance du CD&V avec la N-VA semble porter ses fruits. Aux élections fédérales du 10 juin 2007, le cartel CD&V/N-VA obtient près de 30% des voix à la Chambre.

Analysant le discours politique flamand en août 2007, le constitutionnaliste bruxellois Hugues Dumont note qu’en compilant les déclarations des partis flamands et en lisant entre les lignes lorsqu’ils parlent de confédéralisme, on peut décrypter ainsi leurs revendications :

– un État où les compétences non expressément attribuées (dites «résiduelles») reviennent aux Communautés et aux Régions, ce qui implique de réécrire complètement la Constitution belge ;

– un État où l’autonomie fiscale des entités fédérées est poussée jusqu’à son maximum, avec ce que cela entraîne comme conséquences de concurrence entre régions à ce niveau. Autonomie fiscale qui s’accompagne bien sûr de transferts de pans entiers de la sécurité sociale vers ces mêmes régions ;

– une réduction significative de l’autonomie de Bruxelles et de la Communauté germanophone (ce que l’on sait moins). Les inspirateurs du projet reprennent au confédéralisme l’idée de deux grands blocs autonomes, un wallon et un flamand, niant ainsi les spécificités bruxelloises et germanophones. La capitale serait appelée à être «cogérée» par les deux Régions, mais surtout pas par elle-même ;

– un État fédéral réduit à sa plus simple expression, puisque même des matières comme la justice ou les relations internationales lui échapperaient désormais. Tout au plus gérerait-il encore des compétences comme la police, la défense et les pensions. Mais guère plus. En fait, il serait plus dépouillé que n’importe lequel des gouvernements centraux qui existent à l’heure actuelle. Ce serait l’État fédéral le plus faible de la planète, une sorte de coquille vide [16].

Peu après avoir fait chuter le deuxième gouvernement d’Yves Leterme sur la question institutionnelle [17], Alexander De Croo, se rallie en mai 2010 à l’idée de confédéralisme. Le président de l’Open VLD souligne néanmoins qu’à ses yeux la réforme de l’État n’est pas une fin en soi, mais constitue une condition préalable pour relancer l’économie, payer les pensions, relever le taux d’emploi et rétablir d’ici 2015 l’équilibre des finances publiques. De Croo et ses collègues de l’Open VLD affirment rejeter le séparatisme et l’indépendance de la Flandre, marquant leur attachement au dialogue entre communautés. Pour Alexander De Croo, le confédéralisme est l’étape ultime de la transformation de la Belgique, le centre de gravité se situant au niveau des entités fédérées qui auraient négocié entre elles les compétences que le pouvoir fédéral continuera à exercer après activation de l’article 35 de la Constitution [18].

Le journaliste Christophe De Caevel décode alors la position des partis traditionnels flamands en campagne en observant, d’une part, que la référence au confédéralisme leur permet d’indiquer à la fois leur volonté d’une très ambitieuse réforme de l’État allant bien au-delà que des ajustements au fédéralisme et de marquer leur nette différence avec les partis séparatistes. D’autre part, le journaliste de L’Écho relève que les deux grandes communautés ne vivent pas ensemble, mais côte à côte, avec des références culturelles, des mentalités, une actualité différentes. Comme dans une confédération… Pour de Caevel, le discours confédéral s’appuie aussi donc sur un élément réel. L’acter, au lieu de perpétuer une fiction unitaire, aiderait peut-être à mieux appréhender certaines revendications flamandes (ce qui ne veut pas dire les accepter). Et, dans le même temps, à reconstruire les ponts entre les Communautés, à tonifier les références culturelles communes qui subsistent [19].

Comme le rappelle en janvier 2013 le député fédéral N-VA Ben Weyts, par ailleurs politologue à l’Université de Gand, dire que le confédéralisme désigne la collaboration entre deux États indépendants, c’est en donner une définition académique. En Belgique, il existerait une autre définition selon laquelle le confédéralisme est une autonomie poussée des entités fédérées, de telle sorte qu’elles exercent leurs compétences au plus près des gens. Quant à la politique étrangère et à la défense, elles seraient mieux exercées au niveau fédéral [20]. Ainsi, Jan Velaers, professeur de droit constitutionnel à l’Université d’Anvers, peut-il constater en 2013 que quatre partis politiques flamands – le CD&V, l’Open VLD, la liste Dedecker et la N-VA – représentant 66%, soit les deux tiers de l’électorat flamand, prônent, du moins officiellement, le confédéralisme [21]. C’est en effet après la chute de Leterme II, en avril 2010, que le leader de la N-VA Bart De Wever a mis en sourdine le discours indépendantiste pour camper sur la ligne confédéraliste [22]. Il l’a fait sans le CD&V puisque depuis le congrès de la N-VA du 21 septembre 2008, le parti fondé en 2001 ne soutient plus le gouvernement fédéral et a donc fait exploser le cartel flamand.

Après avoir d’abord défendu un programme institutionnel assez rudimentaire et approximatif, la N-VA va solidement définir, en vue des élections de 2014, ce qu’elle entend réellement par confédéralisme, en s’appuyant notamment sur les compétences de professeurs de droit public, en particulier Hendrik Vuye, alors en charge des questions institutionnelles au sein du parti.

 3. Un projet confédéral substantiel

Ainsi, lors d’une conférence de presse le 30 octobre 2013, la N-VA présente-t-elle par un document de 76 pages son modèle confédéral : Verandering voor Vorruitgang (Le changement pour le progrès) [23], thème du congrès présidé par Ben Weyts qui doit se tenir début 2014. Dans ce projet de réforme de l’État belge, la Confédération serait compétente pour la Défense, les Affaires étrangères, les Finances, les conditions d’octroi de la nationalité, l’asile, la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle, ainsi que la lutte contre la grande criminalité. Avec un budget de l’ordre de 28 milliards d’euros, collectés par la TVA et les accises qu’elle continuerait à percevoir, ainsi que si nécessaire des dotations venant des entités confédérées, la Confédération verserait la contribution belge au budget européen et prendrait en charge la réduction de la dette publique belge.

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La confédération belge selon la N-VA Infographie PhD2050

Le gouvernement confédéral, paritaire, serait composé de six ministres désignés par la Flandre et la Wallonie. Les 50 députés confédéraux seraient choisis paritairement au sein des parlements flamand et wallon, avec une représentation garantie des Bruxellois et des germanophones. Les Bruxellois qui optent pour le régime fiscal et social néerlandophone contribueraient à élire le Parlement flamand ; ceux qui choisissent le régime francophone voteraient pour le Parlement wallon. La monarchie deviendrait strictement protocolaire. La Flandre et la Wallonie recevraient toutes les compétences résiduelles, y compris la perception de l’Impôt sur les Personnes physiques (IPP), sauf celles qui sont spécifiquement confiées à la Confédération. Bruxelles aurait la maîtrise de sa politique économique, y compris l’impôt des sociétés et les aides à l’emploi, en plus des actuelles compétences en logement, environnement, aménagement du territoire, etc. Ses habitants seraient toutefois rattachés à l’un des deux systèmes de sécurité sociale. Les communes bruxelloises seraient fusionnées et leurs compétences transférées au gouvernement régional, de même en ce qui concerne les CPAS et les zones de police. La Région pourrait lever des additionnels à l’IPP et au précompte immobilier. Elle serait gérée par un gouvernement paritaire, responsable devant un parlement de 70 députés, parmi lesquels une représentation garantie de 15 néerlandophones. La solidarité entre les différentes entités ne disparaît pas. Elle est organisée de manière permanente en mobilisant les moyens confédéraux, notamment la TVA, pour les entités où le revenu fiscal par habitant n’atteint pas 95% de la moyenne nationale [24]. Elle se veut chiffrable, transparente et responsabilisante. Un Conseil de Concertation permanente belge est composé des ministres-présidents de la communauté flamande, de la communauté wallonne et des régions bruxelloise et germanophone ou réunit les ministres compétents des différents domaines quand les besoins l’imposent. Au congrès de la N-VA, tenu à Anvers en janvier et février 2014, le confédéralisme est ainsi réaffirmé. Pour Bart De Wever, il signifie d’abord que la souveraineté descend du niveau fédéral vers les entités fédérées [25]. Interrogé à propos de ce modèle, le professeur de Sciences politiques à la KULeuven Bart Maddens estime qu’il s’agit du projet le plus détaillé qu’il lui ait été donné de voir sur l’avenir de la Belgique et qui se rapproche fortement d’un pur modèle confédéral au travers de trois innovations : d’abord, la suppression de la Constitution belge au profit d’un traité constitutionnel entre les entités fédérées, ensuite, la disparition des élections fédérales, seuls les parlements régionaux étant élus directement, enfin, la scission pure et simple de la sécurité sociale [26].

En attendant de conclure : un État fédéral sur un champ de ruines

Dans la postface de l’ouvrage de l’historien Frank Seberechts, Onvoltooid Vlaanderen, Van Taalstrijd tot Natievorming (La Flandre inachevée, Du combat linguistique à l’édification d’une nation), Bart De Wever observait en mai 2017 que sa stratégie s’inscrivait dans le long terme, comportait de nombreux risques et n’avait pas d’issue certaine. Néanmoins, affirmait le leader de la N-VA, cette stratégie lui apparaissait la plus réaliste pour faire advenir un nouveau paradigme en Flandre et en Belgique [27].

Comme l’écrivait l’éditorialiste Alain Narinx au lendemain des élections régionales, fédérales et européennes du 26 mai 2019, ces élections législatives laissent l’État fédéral sur un champ de ruines [28]. Si la N-VA perd 8 sièges, elle en conserve 25, se maintenant comme premier parti de Belgique. Plus inquiétant est le résultat du parti indépendantiste et fascisant flamand, le Vlaams Belang qui renoue avec son score des années 1990 et qui, progressant de 15 sièges, en atteint 18. Le CD&V et l’Open VLD obtiennent chacun 12 sièges, en en perdant respectivement 6 et 2. Les socialistes flamands du SPa voient leur représentation encore réduite passant de 13 à 9 sièges, faisant à peine mieux que Groen (8+2). Au Parlement flamand, le Vlaams Belang rassemble désormais 23 députés sur 124 élus, contre 35 à la N-VA et respectivement 19 et 16 aux sociaux-chrétiens et aux libéraux. On le voit, avec 58 sièges sur 124, le scénario indépendantiste est à portée de main. Quant au confédéralisme, il est sans nul doute à l’ordre du jour.

Quelle conclusion tirer de cette évolution et de cette situation présente ? Nous la tenterons dans un prochain papier. Assurément, le projet de confédéralisme de la N-VA n’est pas notre modèle. En Wallonie, nous sommes de plus en plus nombreux à penser en termes de réforme institutionnelle sur base de quatre régions et non de deux communautés tutélaires. Nombreux sont ceux aussi qui à Bruxelles et en OstBelgien réfléchissent sur cette base.

Faut-il dire que nous n’avons rien en commun avec la N-VA ? Je ne le crois pas. Nous avons probablement le même désir de transformer l’État pour qu’il atteigne un nouvel équilibre et soit plus pertinent, plus efficient, plus démocratique. Cela implique évidemment de concevoir des passerelles entre les différents projets. C’est à cela que nous nous attacherons dans notre prochain et dernier papier.

Philippe Destatte

@PhD2050

 Suite et fin :

Le confédéralisme, spectre institutionnel (5)  Ce confédéralisme qui vient…

 

[1] Van den Brande veut un État confédéral, Collignon refuse l’invitation flamande, dans L’Écho, 12 juillet 1994.

[2] Intervention de Didier Reynders, Annales parlementaires, Chambre, 16 juillet 1996, p. 3120.

[3] Serge GOVAERT, La Volksunie. Du déclin à la disparition (1993-2001), dans Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1748 , Bruxelles, 2002/3, p. 5-44.

[4] Wanneer Wallonië niet bereid is over het invullen van een goed confederalisme van gedachten te wisselen, is de definitieve splitsing van België onvermijdelijk. Dit is thans niet onze doelstelling. Tot onze Waalse collega’s zeg ik dat dit niet hoeft te gebeuren op voorwaarde dat het confederalisme waarvoor de Volksunie staat ook op correcte wijze wordt ingevuld. Daaromtrent gaan meer en meer signalen op. – Intervention de Karel Van Hoorebeek, Annales parlementaires, Chambre, 13 juillet 1996, p. 85 – 2933.

[5] Le Vlaams Blok s’était abstenu lors du vote en commission considérant que la proposition de résolution s’inscrivait dans la logique d’un État fédéral. Giuseppe PAGANO, Les résolutions du Parlement flamand pour une réforme de l’État, Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1670-1671, 2000.

[6] Collega’s, de Volksunie had een eigen voorstel ingediend dat verder gaat dan de verzuchtingen van het Vlaams Parlement. Ik wil daarover heel duidelijk zijn. Onze partij vindt dat België momenteel vierkant draait. Er moet niet alleen werk worden gemaakt van de vijf prioriteiten die ook de CVP heeft onderschreven. Wij willen tot een confederaal systeem komen, waarin de deelstaten bevoegd zijn voor alle materies waarvoor zij bevoegdheid willen krijgen. In consensus kunnen zij dan besluiten welke beslissingen zij nog samen willen nemen. Een confederalisme dat werkelijk kadert in een Europees geheel van volkeren en regio’s en waarbij de achterhaalde structuren van 1830 worden aangepast. In die confederale logica willen wij ook een oplossing vinden voor het prangend probleem van Brussel waarop de heer Dewael daarnet terecht wees; een oplossing waarbij Brussel door beide gemeenschappen in dit land wordt bestuurd. Wij willen dat eveneens een oplossing wordt geboden aan het probleem van de Vlaamse vertegenwoordiging in Brussel. Daarvoor stelde zelfs de eerste minister zich borg, maar de CVP neemt ook hier een bocht van 180°.  – Intervention d’Annemie Van de Casteele, Annales parlementaires, Chambre, 28 avril 1999, p. 342-11995.

[7] Wouter BEKE, Living Apart Together, Christian Democracy in Belgium, p. 142 sv, in Steven VAN HECKE & Emmanuel GERARD ed., Christian Democratic Parties in Europe since the end of the Cold War, Leucven University Press, 2004. – Boudewijn VANPETEGHEM, De Clerck stapt combattief naar CD&V-congres, in De Standaard, 28 septembre 2001. – W. MARTENS, Mémoires pour mon pays…, p. 406.

[8] Le VLD n’y va pas par quatre chemins, Belga, dans La Libre, 17 novembre 2002.

[9] Karel De Gucht, président du VLD, sur VTM le 6 novembre 2002. België is op termijn veroordeeld om te verdwijnen, in rook op te gaan, en dit, zonder intussen nog enige meerwaarde aan Vlaanderen bij te brengen.

[10] Anne TREFOIS et Jean FANIEL, L’évolution des partis politiques flamands (2002-2007), dans Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1971, 26, 2007.

[11] Le CD&V veut une révision radicale de la Constitution dans une perspective confédérale, dans L’Écho, 13 mars 2003.

[12] Le CD&V place son espoir de reconquête de l’électorat en Yves Leterme, dans L’Écho, 1er juillet 2003.

[13] Manifeste pour une Flandre indépendante dans l’Europe unie, Bruxelles, In de Warande, 2006.

[14] Luc BARBE, La N-VA expliquée aux francophones, p. 54,Namur, Etopia, 2019.

[15] Le CD&V annonce la couleur du confédéralisme pour les prochaines élections, dans L’Écho du 21 mars 2007.

[16] Dominique JOUCKEN, Il n’existe pas d’État confédéral, Interview de Hugues Dumont, dans L’Écho, 7 août 2007.

[17] Les réactions des politiques après la chute du gouvernement, Belga, dans La Libre, 27 avril 2010.

[18] Jean-Paul BOMBAERTS, L’Open VLD met le cap sur le confédéralisme, dans L’Écho, 25 mai 2010

[19] Christophe DE CAEVEL, Le diable confédéral avance masqué, dans L’Écho, 29 mai 2010.

[20] Pourquoi la N-VA choisit le confédéralisme, dans L’Écho, 4 janvier 2013. – Quel est le confédéralisme prôné par la N-VA ? dans L’Écho, 6 janvier 2013.

[21] Jan VELAERS, Quel avenir pour la Belgique, dans Annemie SCHAUS et Marc UYTTENDAELE, La sixième réforme de l’État (2012-2013), Tournant historique ou soubresaut ordinaire ?,  Bruxelles, Centre de Droit public – Anthemis, 2013. – voir aussi J. VELAERS, Federalisme / confederalisme… en de weg ernaartoe, Brussels, Koninklijke Vlaamse Academie van België, 2013. – François BRABANT, Faut-il craindre le confédéralisme, dans Le Vif, 28 mai 2010.https://www.levif.be/actualite/belgique/faut-il-craindre-le-confederalisme/article-normal-145535.html – Bart MADDENS, La Belgique à la croisée des chemins : entre fédéralisme et confédéralisme, dans Outre-Terre, 2014/03, n°40, p. 251-261.

[22] Ian BURUMA, Le Divorce, in The New Yorker, January 10, 2011, 36.  Interview de Bart de Wever.

[23] N-VA, Verandering voor Vooruitgang, Congresteksten, 31 Januari – 1 & 2 Februari 2014, Antwerpen, 2013. 76 p.

https://www.n-va.be/sites/default/files/generated/files/news-attachment/definitieve_congresbrochure.pdf – Le changement pour le progrès, 2e partie, N-VA, 30 octobre 2013, 15 p. https://francais.n-va.be/sites/international.n-va.be/files/generated/files/news-attachment/conference_de_presse_3010_-_le_confederalisme_0.pdf – Ben WEYTS, Verandering voor Vooruitgang, 30 oktober 201https://www.n-va.be/nieuws/verandering-voor-vooruitgang

[24] Christophe DE CAEVEL, Bart De Wever abat ses cartes confédérales, dans L’Écho, 31 octobre 2013. – L’objectif confédéral de la N-VA, dans L’Echo, 29 octobre 2013. – Christian DE VISSCHER et Vincent LABORDERIE,  Belgique : stop ou encore ? Entre fédéralisme, confédéralisme et séparatisme, dans Politique étrangère, n° 4, 2013, p. 23-35. – Eric STEFFENS, La N-VA donne sa définition du confédéralisme, VRT-NWS, https://www.vrt.be/vrtnws/fr/2013/10/30/la_n-va_donne_sadefinitionduconfederalisme-1-1766676/

[25] Benoît MATHIEU, Voici à quoi ressemble le confédéralisme à la sauce N-VA, dans L’Écho, 15 janvier 2016. – La confédération belge selon la Nieuw-Vlaamse Alliantie, dans L’Écho, 19 janvier 2019.

[26] Olivier MOUTON, “La N-VA propose une vision plus cohérente de la Belgique”, Interview de Bart Maddens, dans Le Vif, 28 janvier 2014. https://www.levif.be/actualite/belgique/la-n-va-propose-une-vision-plus-coherente-de-la-belgique/article-normal-61881.html

[27] Frank SEBERECHTS, Onvoltooid Vlaanderen, Van Taalstrijd tot Natievorming, Antwerpen, VrijDad, 10 avril 2017. – BELGA, La stratégie de Bart De Wever pour arriver au confédéralisme, dans Le Vif, 2 mai 2017. https://www.levif.be/actualite/belgique/la-strategie-de-bart-de-wever-pour-arriver-au-confederalisme/article-normal-654855.html – Salim NESBA, Les plans de De Wever pour arriver au Confédéralisme, dans L’Écho, 2 mai 2017- Pour un État confédéral, De Wever s’en remet aux francophones, dans L’Écho, 3 mai 2017.

[28] Alain NARINX, La Belgique ingouvernable ? dans L’Écho, 28 mai 2019.

Namur, le 25 novembre 2019

Les 11 et 12 mai 1946, le Congrès national wallon tient ses assises à Charleroi. Six fédérations libérales, six fédérations socialistes et six fédérations communistes sont officiellement représentées au congrès auquel plus de cinquante parlemen­taires ont adhéré [1]. Il s’agit de concrétiser les décisions prises lors du Congrès précédent, qui s’est tenu à Liège les 20 et 21 octobre 1945. Les congressistes décident de proposer au Parlement un projet de réforme institutionnelle. Celui-ci est mis au point par une commission travaillant sous l’égide du Comité permanent – pluraliste – du Congrès. Cherchant à définir ce que devraient être l’autonomie culturelle, l’autonomie économique, l’autonomie politique, la Commission des questions constitution­nelles, présidée par Fernand Dehousse, a considéré comme acquis que le déclin de la Wallonie réclamait des remèdes qu’aucun pouvoir central belge ne pourrait apporter. Elle a décidé d’inscrire la législation économique parmi les attributions des pouvoirs régionaux [2]. À l’unanimité moins trois voix et huit abstentions, le congrès opte pour la constitution d’un État fédéral formé de deux entités fédé­rées, la Flandre et la Wallonie, auxquelles sont attribuées les compétences résiduaires. En outre, le congrès reconnaît aux habitants de l’agglomération bruxelloise le droit de fixer eux-mêmes leur statut particulier dans l’État belge [3].

1. La Belgique est une confédé­ration formée par deux États régionaux, la Flandre et la Wallonie, et par la Région fédé­rale de Bruxelles

Amendé par le Groupe parlementaire wallon créé par le député liégeois François Van Belle (1881-1966) le 2 juillet 1946, avec les 36 sénateurs et les 22 députés d’opinion fédéraliste [4], un projet de révision de la Constitution est déposé à la Chambre le 6 mars 1947 par six parlementaires, soutenus par trente-trois députés wallons [5]. Les trois partis de la gauche sont associés dans cette démarche qui réunit des personnalités aussi importantes que le socialiste Marcel-Hubert Grégoire (1902-1982), le libéral Jean Rey ou le communiste Julien Lahaut (1884-1950). Le projet dit Grégoire-Rey précise en son article premier que la Belgique est une confédé­ration formée par deux États régionaux, la Flandre et la Wallonie, et par la Région fédé­rale de Bruxelles, formée des 19 communes de l’agglomération [6]. Le projet s’écarte très peu de celui préparé au sein de la Commission constitutionnelle du congrès wallon à l’exception du droit de sécession des États fédérés, écarté par le groupe parlementaire wallon [7]. La période de la Régence servira de prétexte pour écarter ce projet de révision de la Constitution. Quarante députés wallons, soit une majorité d’entre eux, ont voté pour la prise en considération ; parmi les Flamands, seuls deux communistes et un socialiste ont voté positivement, les autres députés flamands votant en bloc contre la prise en considération [8]. Pourtant, le Congrès wallon, réuni au Théâtre de Namur les 3 et 4 mai 1947, et qui avait approuvé la teneur de ce texte, avait aussi attiré solennellement l’attention du Parlement et de l’opinion publique sur le retentissement qu’aurait dans le pays wallon le rejet de la proposition de révision constitutionnelle et sur la gravité d’une décision qui serait considérée par la Wallonie comme une méconnaissance de ses aspirations légitimes et comme un défi [9].

Autre moment où la revendication autonomiste se manifeste puissamment : les grèves de 1960-61 lancées par André Renard et ses collègues syndicalistes wallons de la FGTB. À l’occasion de la journée du 3 janvier 1961, proclamée journée de deuil pour la Wallonie, les réformes de structure sont associées à la revendication fédéraliste, voire confédéraliste. Cette orientation est bien présente dans le syllabus intitulé La Wallonie lutte, qui est distribué ce jour-là aux militants rassemblés par le Comité de coordination des Régionales wallonnes de la FGTB : ils peuvent en effet lire la formule suivante : Que veulent les Wallons, qui sont minoritaires dans cet État unitaire et dominateur ? Ils veulent un régime d’association entre les régions, association progressiste et fraternelle, dans la cadre d’une Confédération [10].

3.2. Le Prix du Conseil économique wallon à une réforme de type confédéral

Vingt ans plus tard, au lendemain de la loi spéciale de réforme institutionnelle de 1980 qui fait vraiment entrer la Belgique dans un fédéralisme régional, d’autres voix wallonnes vont s’élever pour affirmer l’idée confédérale.

En 1982, le député FDF Georges Clerfayt fustige l’État belge et ses institutions unitaires qu’il voit périmées et mal régionalisées. Le député FDF estime qu’on a refusé de donner à cet État la seule solution valable : un fédéralisme radical et même un confédéralisme, parce que tous les débats communautaires se terminent toujours par des compromis excessivement coûteux, obérant les finances publiques (…) [11].

De brillants intellectuels nourrissent également le débat sur l’avenir de l’État. En 1983 et 1984, les professeurs Robert Deschamps (1942-2016), Michel Quévit et Robert Tollet, respectivement issus des universités de Namur, Louvain et Bruxelles, appellent à une réforme de type confédéral de l’État belge dans le cadre du maintien de l’unité monétaire [12]. Le texte ne passe pas inaperçu : largement commenté, il reçoit un prix décerné par le Conseil économique et social de Wallonie. Michel Quévit poursuivra ses analyses dans deux autres papiers publiés en 1984 et 1985. Le texte des trois chercheurs est fondé sur le constat que la Belgique ne vit pas un processus associatif de fédéralisation, mais un lent processus de désagrégation né de son histoire [13]. L’idée centrale consiste à montrer que le système fédéral belge appelle de nouveaux ajustements et de nouvelles compétences même s’il comprend d’ores et déjà de sérieuses caractéristiques de type confédéral [14]. Deschamps, Quévit et Tollet vont d’ailleurs mettre en débat et tenter de clarifier ces notions de fédération et de confédération en s’appuyant sur les travaux du spécialiste français de droit international, le professeur Paul Reuter (1911-1990). Ils concluent leur réflexion – qui prépare en fait les réformes de 1988-1989 et de 1993, mais aussi au-delà – en soulignant l’intérêt de concilier les avantages de la confédération avec ceux de la fédération. La vision qu’ils déploient tend à une intégration institutionnelle poussée en sauvegardant la personnalité juridique internationale des composantes internes de la confédération. L’objectif est à la fois de garantir des relations équitables dans les échanges entre les régions, et de maintenir une solidarité effective sur le plan économique et social. L’ensemble est réglé par une Constitution confédérale à trois régions autonomes qui disposent des mêmes institutions, des mêmes compétences, des mêmes moyens, ainsi que du pouvoir résiduel. Comme ils l’indiquent, ce modèle constitue une confédération d’intégration gérant des forces politiques centrifuges et des intérêts économiques communs [15].

Mais l’idée de confédéralisme fait déjà peur au monde politique. En février 1984, depuis l’opposition, le chef de groupe socialiste à la Chambre, Alain Van der Biest (1943-2002), rappelle que le renardisme était un courant fédéraliste, mais que le gouvernement social-chrétien – libéral mène le pays sur la voie du confédéralisme… [16] C’est la même année aussi que Lucien Outers (1924-1993), président du FDF, répond lui-même à la Chambre à la question de savoir Qu’est-ce que le confédéralisme ? Tous les traités de droit international, disait le député, expliquent que c’est l’association d’entités indépendantes, qui décident de s’associer pour examiner ce qu’elles ont encore de commun, ce qu’elles peuvent encore faire ensemble. Rappelant qu’il avait été fédéraliste toute sa vie, Outers estime que tout le monde connaît les objectifs de la Flandre et qu’elle les réaliserait un jour : s’orienter vers une autonomie qui sera sans doute totale. Lucien Outers, docteur en droit de l’Université de Liège, rappelle que si le fédéralisme est par définition une union de gens entre eux, le confédéralisme aussi. Ce sont des gens qui étaient séparés et qui s’unissent. Mais le président des fédéralistes bruxellois ne croit pas que les parlementaires rendent un grand service au pays en ignorant les problèmes et en différant sans cesse leur solution [17]. Dans le même débat, au nom du Groupe socialiste, le député liégeois Alain Van der Biest dit ne pas penser qu’une quelconque formule — quel que soit le nom qu’on lui donne de fédéralisme avancé ou de confédéralisme — doit se faire dans une sorte de repli politique [18].

Fin août 1984, le président du Pèlerinage de la Tour de l’Yser à Dixmude, Paul Daels (1921-1984), une des grandes figures du Vlaamse Volksbeweging et du Mouvement flamand en général, présente lui aussi le confédéralisme comme une alternative nécessaire au fédéralisme. Il indique dans son discours que le seul système qui semble acceptable pour la Flandre est une structure confédérale, une confédération d’États dans lesquelles la Flandre et la Wallonie seraient dotées de tous les pouvoirs et de toutes les ressources dont sont pourvus les États. Pour Paul Daels, ces entités conviendront ensuite librement ce qu’elles voudront faire ensemble de manière judicieuse et dans quelles conditions [19].

Un certain émoi touche la Chambre en 1985 lorsque le ministre régional wallon Valmy Féaux dépose un projet de taxe sur l’eau dans le cadre de son projet de décret sur la protection des eaux de surface contre la pollution [20]. Le député Volksunie Jef Valkeniers [21], dénonce l’attitude de la Wallonie qui, à ses yeux, ne se rend pas compte qu’en déposant un projet de taxe sur l’eau, alors qu’elle bénéficie de milliards d’euros de transferts de la Flandre dans le secteur social, elle porte atteinte à la solidarité fédérale. Pour Valkeniers, la question doit être posée de savoir s’il est toujours logique que, premièrement, la Flandre paie et, deuxièmement, que la Flandre et la Wallonie restent ensemble. Alors que le fédéralisme d’union n’apparaît plus crédible aux yeux du député, il dit vouloir pour la plus large autonomie possible, un confédéralisme dans lequel la solidarité n’est plus imposée, mais dans laquelle cette solidarité est déterminée par les Flamands eux-mêmes [22].

Dans l’ensemble de ces prises de positions, on observe aisément que le confédéralisme des uns est à trois composantes, alors que celui des autres n’en comptent que deux. Par conséquent, la voie du confédéralisme ne se réduit pas à une volonté de simplifier l’un des enjeux les plus importants du débat fédéral, la reconnaissance de l’existence de Bruxelles en tant que région à part entière.

 

 3.3. Basculer dans le confédéralisme, 1988 : le spectre prend forme

La constitution du Gouvernement Martens VIII et l’accord de mai 1988 ouvrent la voie à une nouvelle réforme de l’État dans des circonstances particulièrement difficiles pour le Parti socialiste qui défend un fédéralisme radical [23]. Le 13 mai, à la Chambre, le député libéral Armand De Decker (1848-2019) s’en prend au Premier ministre et à sa majorité : la constitution de votre gouvernement marquera l’histoire politique de notre pays à plus d’un titre, affirme-t-il, avant d’estimer que ce gouvernement entrera avant tout dans l’histoire comme le Gouvernement qui, après huit années de tentatives fédéralistes, aura fait basculer le pays dans le confédéralisme avant de le mener au séparatisme et bientôt peut-être à l’éclatement. La formule va percoler longuement dans les esprits… Le député bruxellois accuse le gouvernement non seulement de communautariser l’enseignement, mais de régionaliser toute l’économie alors qu’il prétend vouloir respecter le cadre normatif général qui assure l’unité monétaire et l’union économique belges [24].

Ce n’est pas l’avis d’Elio Di Rupo. Le jeune député socialiste montois intervient le lendemain, 14 mai 1988, pour souligner que trois questions négociées dans l’accord du gouvernement Martens VIII lui paraissent fondamentales : d’abord, l’approfondissement de la régionalisation ; ensuite, la promotion d’une politique sociale et économique marquée par le retour du cœur ; enfin, la volonté de rendre à la recherche scientifique une place prioritaire. Citant Jules Destrée, Elio Di Rupo rappelle il n’y a pas de Belge, c’est-à-dire que la Belgique est un État politique, qu’elle n’est pas une nationalité. Deux Communautés s’y ignorent ou s’y affrontent et l’usage d’une langue différente paraît être le substrat fondamental de cet état de choses. Et le député d’affirmer lui aussi que La fusion des Flamands et des Wallons, artificiellement opérée en 1831, s’est avérée au fil du temps, un mélange hétérogène, parfois explosif. Dès lors, pour Elio Di Rupo, il est vain de souhaiter son maintien. En revanche, poursuit-il, l’avènement d’une Belgique fédérale ou confédérale à édifier de façon équilibrée et stable répondrait aux aspirations des deux Communautés, et chacune pourrait y tirer profit efficacement de sa différence culturelle et économique. Et le député montois de conclure cette partie de son discours en affirmant que l’accord de gouvernement constituerait une des dernières chances de ne pas diviser notre pays de manière anarchique [25].

Néanmoins, un peu plus tard, son collègue du Parti des Réformes et de la Liberté (PRL), Daniel Ducarme (1954-2010), dénonce le fait que la déclaration gouvernementale porte les germes d’un confédéralisme belge favorable à la Flandre [26]. Willem Draps, député libéral de Bruxelles, va plus loin : le moment doit être retenu pour l’Histoire de Belgique. Pour Draps, cette nouvelle réforme de la Constitution va faire passer la Belgique d’un régime fédéral qui ne dit pas son nom à un confédéralisme plus que lâche, en transférant aux futurs États confédérés une masse budgétaire annuelle de 600 milliards de francs actuels, soit près de 40 % du budget total de l’État ; enfin, l’objectif de la majorité, dénonce-t-il, est de faire de l’État central une institution d’exception aux compétences strictement limitées alors que Régions et Communautés disposeraient de la compétence résiduaire [27].

Un mois plus tard, le 14 juin 1988, alors que la fièvre politique n’est pas retombée, Armand De Decker revient sur le sujet en accusant le gouvernement : votre démarche démontre, d’une façon que je dirai totale, que vous n’avez plus la volonté de maintenir un fédéralisme d’union, voire un fédéralisme tout court, mais que vous allez bien vers un confédéralisme. (…) Vous refusez donc une hiérarchie des normes, mais dans le même temps vous transférez les compétences résiduaires aux composantes de l’État et vous ne permettez même plus à l’État central de régler les compétences résiduaires. Je crois que cet exemple est unique, mais il est en tout cas la démonstration la plus radicale que ce que vous nous préparez n’est plus un fédéralisme, mais un confédéralisme qui refuse que la structure centrale entre les entités ait un mot essentiel à dire [28]. Et puis, c’est Jean Gol (1942-1995) lui-même qui le 17 juin 1988 s’écrie : le fédéralisme que vous prétendez mettre au point est en réalité une ébauche de confédéralisme. Il signifie à terme la destruction de l’État central par implosion financière ; il signifie – nous prendrons date aujourd’hui à cet égard – la pénurie pour la Région wallonne et la Région bruxelloise. C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons en aucun cas vous suivre dans ce que je n’hésite pas à qualifier de véritable folie [29]. Le 7 juillet, son collègue libéral liégeois Marcel Neven observe que le système qui nous est proposé ne s’apparentera pas au fédéralisme et à peine au confédéralisme. Nous sommes en route vers le séparatisme [30].

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Jean Gol (17 avril 1992) © coll. Institut Destrée (G330f)

Le chef de l’État lui-même s’inquiétait de l’évolution de la réforme et multipliait les messages d’avertissement aux personnalités politiques qu’il rencontrait. Le 11 juillet 1988 – jour de la fête de la Communauté flamande – il écrit un courrier à l’adresse du Premier ministre. Dans celui-ci, le roi Baudouin dit craindre que les buts et la vision d’ensemble des structures d’un État fédéral n’apparaissent plus clairement et qu’à défaut d’utiliser les structures classiques d’un État fédéral on aboutisse à une construction ambigüe que les uns appellent un État fédéral, les autres des États fédérés, et d’autres encore une confédération d’États différents [31].

Quelques semaines plus tard, lorsque les députés d’abord, le 30 juillet 1988, les sénateurs ensuite, le 5 août, finissent d’adopter la loi spéciale transférant les nouvelles compétences aux Régions et Communautés [32], le journaliste politique de La Libre Belgique, André Méan (1946-1990) observe que les élus de la Nation (ou ce qu’il en reste) viennent de faire basculer la Belgique, de manière irréversible, dans la voie du fédéralisme, voire même du confédéralisme [33].

Mais la tentative de pacification qu’induit cette loi spéciale n’empêche pas les tensions de se poursuivre, notamment dans le contexte de l’émergence inespérée de la troisième région : Bruxelles-Capitale. Le 2 décembre 1989, le président du PSC Gérard Deprez adresse un avertissement clair aux Flamands : le peuple wallon n’est pas un peuple mendiant. Il ne faut pas le forcer à choisir entre un confédéralisme de la dignité et un fédéralisme de la mendicité [34]. La loi spéciale de financement des communautés et des régions du 16 janvier 1989 va pourtant largement embourber ces Wallons – tout comme d’ailleurs les Bruxellois francophones -, ainsi que certains l’avaient clairement anticipé…

3.4. Le débat sur l’article 1er de la Constitution en 1993

En 1992-1993, tant en Commission de réformes institutionnelles que dans la discussion générale en séance plénière sur l’article 1er de la Constitution, les libéraux et le FDF vont utiliser la sémantique de 1988 et soutenir que l’évolution institutionnelle belge mènen le pays droit, non plus au fédéralisme, mais au confédéralisme. Dès le 14 octobre 1992, le ton est donné lors d’un échange entre Jean Gol et le Premier ministre Jean-Luc Dehaene (1940-2014) au sujet du fédéralisme. Le FDF Georges Clerfayt tonne : le fédéralisme flamand n’est pas un fédéralisme, affirme-t-il, c’est un confédéralisme ! [35] Quelques semaines plus tard, c’est le député socialiste de l’arrondissement de Thuin, José Canon (1946-2014) qui intervient sur la crise des finances publiques et de l’État providence. Une des causes de cette situation, indique-t-il, réside dans toutes les réformes institutionnelles. Nous avons d’abord connu la communautarisation, ensuite la régionalisation, et enfin le fédéralisme dit d’union. Nous en sommes actuellement au confédéralisme si ce n’est pas le pré-séparatisme [36]. Le même jour, le député Louis Michel confirme en s’adressant au Premier ministre Dehaene : au lieu d’avoir construit un fédéralisme d’union, vous êtes aujourd’hui dans un confédéralisme complet et vous entrez déjà dans la voie du séparatisme [37]. Magda Alvoet, s’inscrit en faux contre cette analyse. La députée AGALEV estime que personne ne peut alors dire que l’accord de la Saint-Michel constituerait un modèle confédéral, en particulier si on regarde quels sont les pouvoirs fédéraux [38].

La Commission de la réforme institutionnelle et de révision de la Constitution a consacré douze réunions à la discussion générale sur la réforme de l’État et à la discussion sur l’article 1er de la Constitution. La première réunion a eu lieu le 25 novembre 1992 et la dernière le 28 janvier 1993. D’emblée, selon la rapportrice, la libérale flamande bruxelloise Annemie Neyts, la réforme a été qualifiée par des parlementaires de dynamique davantage confédérale que fédérale. Le ministre de la Politique scientifique, Jean-Maurice Dehousse qui, avec Louis Tobback,faisait conjointement fonction de ministre des réformes institutionnelles, a répondu sur la question de savoir si la réforme était confédérale ou fédérale. Comme son père Fernand Dehousse l’avait fait si souvent, il a souligné que la doctrine était très divisée sur la nature de l’État et sur la différence ou la contradiction entre le fédéralisme et le confédéralisme. Pour l’ancien ministre-président de la Wallonie, tous les types de fédéralisme diffèrent, car ils tiennent compte de la spécificité des États. Le fédéralisme belge, a-t-il observé, est clairement celui qui passe de l’État aux composantes et non l’inverse. Il a estimé que, plus on met l’accent sur le fédéralisme, plus on se rapproche du confédéralisme. Selon le ministre, rejoignant par-là l’analyse de son collègue juriste Karel Rimanque, dès 1970 la réforme avait à la fois des caractéristiques fédérales et confédérales. À titre d’exemple, il cite l’article 59bis. Cet article confère aux Communautés des capacités internationales dès 1970. Jean-Maurice Dehousse a néanmoins estimé que la réforme discutée en 1992-1993 ne constitue pas une nouveauté par rapport à 1970 [39].

Les déclarations provocatrices du ministre-président flamand Luc Van den Brande à La Libre Belgique le 11 janvier 1993 selon lequel les Accords de la Saint-Michel ouvriraient la voie au confédéralisme puis au séparatisme, vont, outre la convocation du ministre-président CVP chez le roi [40], incendier les bancs de l’opposition à la Chambre [41]. Le 18 janvier 1993, un ordre du jour est déposé par les députés Didier Reynders, Armand De Decker et Olivier Maingain : il fait suite à une série d’interpellations du Premier ministre visant le retrait de la confiance au Gouvernement [42]. Ce jour-là, Jean Gol confirme à la tribune de la Chambre : nous sommes entrés dans le confédéralisme, prélude à l’autonomie complète des composantes de l’État [43]. Le 4 février 1993, c’est encore le leader libéral liégeois qui dénonce le confédéralisme de la majorité : avec la Volksunie vous avez durci encore, dans un sens confédéral, par les pouvoirs résiduaires et par un début de régionalisation de la sécurité sociale, les projets que vous aviez concoctés au sein de votre majorité ; ces projets étaient pourtant déjà bien avancés au sens où l’on parle d’un fromage avancé. (…) On nous a demandé si nous étions d’accord de transférer des compétences des Communautés vers les Régions. Nous avons évidemment répondu non, puisque cela allait fondamentalement à rencontre de notre conception de la cohésion des institutions francophones. Enfin, (…) on nous a demandé si nous étions d’accord d’opérer un transfert massif de compétences vers les Communautés et les Régions. Nous avons répondu non parce que nous avons pensé que cela irait à rencontre de notre souci de maintenir un État réellement fédéral qui ne laisserait pas la porte ouverte au confédéralisme [44]. Et Georges Clerfayt de confirmer : cette réforme abîme, détériore, dégrade ce beau système politique qu’est le fédéralisme. Et, sous couvert de fédéralisme, brandi comme un paravent mensonger, c’est du confédéralisme qu’on met en place, c’est-à-dire en fait une version hypocrite du séparatisme [45]. Antoine Duquesne (1941-2010), député PRL et  juriste, estime que la preuve est désormais faite que le président de l’exécutif flamand enfourche le cheval du confédéralisme pour une Flandre jamais rassasiée. Je dis bien le confédéralisme, c’est-à-dire deux États souverains et indépendants qui établissent quelques liens tissés dans l’ordre international et chacun sait que les cas de confédéralisme résistant à l’épreuve du temps sont rares. C’est une antichambre de la séparation… [46]. Une nouvelle résolution est déposée par l’opposition où il est demandé à la majorité de confirmer que la réforme qui va être votée ne conduira ni au confédéralisme ni au séparatisme. Deux textes s’opposent alors : celui qui rejette expressément le séparatisme et le confédéralisme qui, dans le contexte belge, mène inévitablement au séparatisme et celui de la majorité, qui constate que les accords de la Saint-Michel ne sont pas séparatistes. Cette résolution, affirme Jean Gol, devait agir à la manière d’un révélateur, mieux que la teinture de tournesol ne saurait le faire pour distinguer un acide d’une base. Et de réaffirmer : en réalité, ce n’est pas un État fédéral que vous mettez sur pied ; c’est l’antichambre du confédéralisme et du séparatisme [47]. Le 5 février 1993, la motion déposée par Jean Gol, Louis Michel et Georges Clerfayt a été refusée. Celle-ci disait finalement que : la Chambre des Représentants rejette expressément le séparatisme et le confédéralisme qui, dans le contexte belge, conduit inéluctablement au séparatisme [48].

Pour Armand De Decker, cette question fondamentale, posée dans le cadre de la réforme de l’État, hante les esprits des parlementaires, en tout cas de ceux qui souhaitent une évolution vers le fédéralisme et non vers le confédéralisme. De Decker cite le renommé professeur de Droit public à la Sorbonne Pierre Pactet (1923-2012), qui a écrit que la confédération associe les États confédérés sans superposition d’un État fédéral et qu’un tel système présente l’avantage de parfaitement respecter la souveraineté, au sens plein, des États confédérés, mais il présente, en contrepartie, l’inconvénient d’être très peu efficace en raison de l’extrême faiblesse de la superstructure institutionnelle et de la règle de l’unanimité [49]. Quelques jours plus tard, c’est Louis Michel qui revient sur la question. Le député libéral estime que les francophones avaient intérêt à ne transférer que peu de compétences nouvelles, sinon aucune ; plutôt le fédéralisme que le confédéralisme. Il observe que, à nouveau, la volonté flamande l’emportera et que ce sera le confédéralisme et estime qu’on se dirige tout droit vers le séparatisme. On y ajoutera dans les prochaines années, et peut-être plus vite qu’on ne le croit, la sécurité sociale. On a ouvert la porte à ce débat et, plus grave, on a ouvert l’appétit de nos collègues flamands [50].

 Ainsi, la notion de confédéralisme, associée linéairement au séparatisme est-elle, lors des réformes de l’État de 1988 et 1993 dont ils étaient écartés, devenue une véritable machine de guerre pour les libéraux wallons et bruxellois, ainsi que leur allié FDF. Mais l’opposition n’est certainement pas unanime sur ces questions. Le 9 février 1993, le député libéral flamand André Denys refuse quant à lui d’entrer dans un débat entre le fédéralisme ou le confédéralisme. Il estime que c’est de la sémantique et que l’essentiel n’est pas là. Il dit connaître des États confédéraux où la solidarité est plus grande que dans les États fédéraux. Pour l’élu de Gent-Eeklo, la discussion se situe plutôt entre l’un ou l’autre ou le séparatisme : avec le séparatisme, il n’y a plus de solidarité et c’est la grande différence entre les deux [51]. C’est ce débat que la plupart des élus flamands vont mener à partir de 1994, en se rassemblant progressivement autour de la revendication du confédéralisme.

À suivre : Le confédéralisme, spectre institutionnel (4)  Une Flandre inachevée  (1995 à 2020)

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] Fernand SCHREURS, Les congrès de rassemblement wallon de 1890 à 1959, p. 37, Charleroi, Institut Destrée, 1960.

[2] F. SCHREURS, Rapport général présenté le 11 mai 1946 au Congrès national wallon de Charleroi, p. 22. – Rapport de la Commission des questions constitutionnelles, Congrès national wallon 11-12 mai 1946, Charleroi, p. 6. – René DUPRIEZ, Le congrès wallon tient aujourd’hui ses assises à Charleroi, dans La Nouvelle Gazette, 11 et 12 mai 1946. – H. SARTINI, Le congrès wallon de Charleroi, Séance de samedi après-midi, dans Le Soir, 13 mai 1946. – Le congrès wallon se prononce avec enthousiasme pour des propositions réalistes présentées par le Parti communiste, dans Le Drapeau rouge, 13 mai 1946. – Le deuxième congrès wallon adopte le principe du fédéralisme à deux, Il en fera déposer le projet au Parlement, dans Le Peuple, 13 mai 1946, p. 1 et 3. – La résolution du congrès, dans Wallonie libre, juin 1946, p. 1.

[3] F. SCHREURS, Rapport général présenté au Congrès de Bruxelles les 21 et 22 février 1948, p. 6.

[4] Le groupe parlementaire wallon est constitué sous la présidence de François Van Belle, dans La Wallonie libre, août 1946, p. 1.

[5] Le congrès de Namur, des 3 et 4 mai 1947, Débats et résolutions, Ed. du Congrès national wallon, [s.d.], p. 18. – Proposition de loi relative à l’instauration du régime fédéral en Belgique, dans Le Gaulois, 15 mars 1947, p. 2 et 5. – René DUPRIEZ, Le Congrès national wallon s’ouvre aujourd’hui à Namur, dans La Nouvelle Gazette, 3 et 4 mai 1947. Désiré DENUIT, Le Congrès national wallon s’est ouvert samedi à Namur, dans Le Soir, 4 mai 1947. – Samedi s’est ouvert à Namur le troisième congrès wallon, dans La Nation belge, p. 1 et 3. – Après des débats souvent houleux, le congrès wallon fait confiance aux mandataires qui défendront le projet d’instauration d’un régime fédéral, dans La Wallonie, 5 mai 1947.

[6] Documents parlementaires, Chambre des Représentants, 1946-1947, n°257, 25 mars 1947, Proposition de révision de la Constitution, Annexe II, Projet de Constitution fédérale, p. 16.

[7] Freddy JORIS, Les Wallons et la réforme de l’État, p. 90, Charleroi, Institut Destrée, 1998.

[8] F. JORIS, op. cit., p. 91.

[9] Le Congrès de Namur, des 3 et 4 mai 1947…, p. 104.

[10] Robert MOREAU, Combat syndical et conscience wallonne, Du syndicalisme clandestin au Mouvement populaire wallon, 1943-1963, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1984, p. 163.

[11] Intervention de Georges Clerfayt, Annales parlementaires, Chambre, Séances du mercredi 13 janvier 1982, p. 365.

[12] Robert DESCHAMPS, Michel QUEVIT, Robert TOLLET, Vers une réforme de type confédéral de l’Etat belge dans le cadre du maintien de l’unité monétaire, dans Wallonie 84, n° 2, p. 95-111. – Trois régions, trois politiques, une fiscalité, une monnaie : la Belgique vue par trois chercheurs, Propos recueillis par Janine CLAEYS et Catherine FERRANT, dans Le Soir, 16 mai 1983, p. 1 & 3.

[13] Ibidem, p. 102.

[14] Michel QUEVIT, Une confédération belge : solution institutionnelle équitable pour la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, dans Res publica, 1984, n° 3, p. 351-362. – Michel QUEVIT, Entre l’Etat central, les régions et les communes de Belgique : scénarios d’adap­tation au système fédéral allemand et au système confédéral suisse, dans Wallonie 85, n° 1, p. 1-24.

[15] R. DESCHAMPS, M. QUEVIT, R. TOLLET, Vers une réforme de type confédéral de l’Etat belge…, p. 111.

[16] Intervention d’Alain Vander Biest, Annales parlementaires, Chambre, Séance du jeudi 2 février 1984, p. 1375.

[17] Intervention de Lucien Outers, Annales parlementaires, Chambre, 3 février 1984, p. 1401-1402.

[18] Intervention d’Alain Van der Biest, Annales parlementaires, Chambre, 4 février 1984, p. 1489.

[19] Het enige nog voor ons aan-vaardbare stelsel is een confederale struc-tuur. een statenbond, waarin Vlaanderen en wallonië volwaardige staten worden met al de hieraan verbonden bevoegd-heden en middelen, en die vanuit deze volwaardigheid vrij zullen overeenkomen wat zij nog zinnig samen zullen doen en onder welke voorwaarden. Cité dans Bart MADDENS, De uitvinder van het confederalisme, in Doorbraak, Novembre 2013, p. 9. – voir aussi Hendrik VUYE, Confederalisme : al 117 jaar een Franstalige eis, NVA, 21 mai 2014. https://www.n-va.be/nieuws/confederalisme-al-117-jaar-een-franstalige-eis

[20] Conseil régional wallon, Doc. 107/1 à 27.

[21] Jef Valkeniers est passé huit ans au parti libéral flamand Vlaamse Liberalen en Democraten (VLD) fondé par Guy Verhofstadt en 1992.

[22] Mijnheer Féaux, de daad die u heeft gesteld — laat het ons zeggen zoals het is — is een tijdbom onder de samenwerking tussen de gemeenschappen in dit land. Dit unionistisch federalisme van 1980 valt als een kaartenhuisje in mekaar. Wat wij nog alleen wensen is de ruimst mogelijke autonomie en confederalisme waarin wij van jullie geen lessen meer gespeld krijgen, waarin wij ook niet verplicht zijn de door jullie opgelegde solidariteit te handhaven maar waar wij zelf bepalen wat wij nog over hebben aan solidariteit tegenover Wallonië. Intervention de Jef Valkeniers, Annales parlementaires, Chambre, 10 juillet 1985, p. 3250.

[23] Voir Ph. DESTATTE, Guy Spitaels: plus socialiste et plus wallon, dans Politique, n°77, Novembre – décembre 2012, p. 7-9. Blog PhD2050, https://phd2050.org/2019/07/16/spitaels2012/ – En août 1988, le Groupe Coudenberg écrivait dans son rapport  : En Wallonie, le Mouvement wallon est porté par le Parti socialiste, qui a épousé l’ensemble des thèses confédéralistes du Mouvement wallon (non sans difficultés à l’intérieur du parti et après un débat souvent âpre opposant fédéralistes et unitaristes). “Le fédéralisme radical” proposé par le parti socialiste rejoint de très près les propositions confédérales du Congrès wallon de l’après-guerre et n’est pas très éloigné des prises de positions confédérales de la Volksunie.” Quelle Belgique pour demain ?, Rapport Coudenberg, p. 97, Bruxelles, Direct social Communications, Août 1988.

[24] Intervention d’Armand De Decker, Annales parlementaires, Chambre, 13 mai 1988, p. 239.

[25] Intervention d’Elio Di Rupo, Annales parlementaires, Chambre, 14 mai 1988, p. 376. – voir aussi H. VUYE, Confederalisme : al 117 jaar een Franstalige eis….

[26] Intervention de Daniel Ducarme, Annales parlementaires, Chambre, 14 mai 1988, p. 409.

[27] Intervention de Willem Draps, Annales parlementaires, Chambre, Séance du 14 mai 1988, p. 389.

[28] Intervention d’Armand De Decker, Annales parlementaires, Chambre, 14 juin 1988, p. 521.

[29] Intervention de Jean Gol, Annales parlementaires, Chambre, 17 juin 1988, p. 664.

[30] Intervention de Marcel Neven, Annales parlementaires, Chambre, 7 juillet 1988, p. 1000.

[31] Wilfried MARTENS, Mémoires pour mon pays, p. 419-420, Bruxelles, Racine, 2006.

[32] Charles BRICMAN, Les députés ont voté : la Belgique devient fédérale, dans Le Soir, 31 juillet 1988. – Voté : la Belgique est un Etat fédéral, dans Le Soir, 6 et 7 août 1988, p. 1 & 3.

[33] André MEAN, Sur la mer calmée ?, dans La Libre Belgique, 6 et 7 août 1988.

[34] André MEAN, M. Deprez : faire des Bruxellois francophones des Wallons, dans La Libre Belgique, 4 décembre 1989, p. 4.

[35] Intervention de Georges Clerfayt, Annales parlementaires, Chambre, 14 octobre 1992, p. 14/28.

[36] Intervention de José Canon, Annales parlementaires, Chambre, 10 novembre 1992, p. 8-247.

[37] Intervention de Louis Michel, Annales parlementaires, Chambre, 10 novembre 1992, p. 7-215.

[38] Niemand kan op dit ogenblik zeggen dat het Sint-Michielsakkoord, zoals het nu politiek is vastgelegd, een confederaal model zou zijn, vooral niet wanneer u ziet welke de federale bevoegdheden zijn. Intervention de Magda Alvoet, Annales parlementaires, Chambre, 18 janvier 1993, p. 22 – 754.

[39] Een volgende spreker oordeelde dat de huidige hervorming meer confederaal dan federaal is. De autonomie van de deelgebieden is namelijk zeer groot en er bestaat geen normenhiërarchie. Vervolgens wordt het belang van de band tussen Vlaanderen en Brussel onderstreept. Tot slot wordt er gepleit voor een gedeeltelijke federalisering van de sociale zekerheid.  Daarna gaf de minister van Wetenschapsbeleid zijn visie op de vraag of de hervorming confederaal of federaal is. Hij wees er allereerst op dat de rechtsleer zeer verdeeld denkt over het wezen van de Staat en over het verschil of de tegenstelling tussen federalisme en confederalisme. Alle types van federalisme verschillen omdat ze rekening houden met de specificiteit van de staten. Ons federalisme is er duidelijk een dat uitgaat van de Staat naar de componen en niet omgekeerd. Hoe meer het federalisme wordt beklemtoond, hoe dichter men bij het confederalisme komt. Volgens de minister vertoonde de hervorming vanaf 1970 zowel federale als confederale kenmerken. Als voorbeeld van dit laatste haalde hij artikel 59bis aan. Dit artikel kent vanaf 1970 buitenlandse bevoegdheden toe aan de Gemeenschappen. Hij besloot dat wat thans aan de orde is geen nieuwigheid is vergeleken met 1970. Intervention d’Annemie Neyts, Annales parlementaires, Chambre, 4 février 1993. p. 27-971.

[40] Wilfried MARTENS, Mémoires pour mon pays…, p. 219.

[41] Confédéralisme : Gol interpelle Moureaux, dans L’Echo, 30 janvier 1993. – Olivier Maingain considérait, le 14 juillet 1994, que Luc Van den Brande avait été le premier à lancer par cette interview l’idée de confédéralisme. Le Soir du 12 janvier 1993 avait titré : “Van den Brande crucifie Saint-Michel”. Annales parlementaires, Chambre, 14 juillet 1994, p. 53-2152.

[42] Annales parlementaires, Chambre, 18 janvier 1993, p. 22-759.

[43] Intervention de Jean Gol, Annales parlementaires, Chambre, 18 janvier 1993, p. 22 – 749.

[44] Intervention de Jean Gol, Annales parlementaires, Chambre, 4 février 1993, p. 27 – 987.

[45] Intervention de Georges Clerfayt, Annales parlementaires, Chambre, 4 février 1993, p. 27 – 1.030 sv.

[46] Intervention d’Antoine Duquesne, Annales parlementaires, Chambre, 5 février 1993, p. 29- 1082 sv.

[47] Intervention de Jean Gol, Annales parlementaires, Chambre, 6 février 1993, p. 31-1196.

[48] Intervention d’Armand De Decker, Annales parlementaires, Chambre, 6 février 1993, 30 – 1146-1149.

[49] Intervention d’Armand De Decker, Annales parlementaires, Chambre, 6 février 1993, 30 -1143. – Pierre PACTET, Institutions politiques, Droit constitutionnel, Paris, Masson, 1983, 6e éd.

[50] Intervention de Louis Michel, Annales parlementaires, Chambre, 10 février 1993, 1437.

[51] Ik weiger een debat aan te gaan over federalisme of confederalisme. Dat is semantiek. Voor mij is de essentie niet het verschil tussen federalisme en confederalisme. Ik ken confederale staten waar de solidariteit groter is dan in federale staten. Voor mij geldt vooral het evenwicht tussen enerzijds het principe van de autonomie en de “juste retour” en anderzijds de solidariteit. Dat is belangrijk. Er zijn federale en confederale staten waar dat evenwicht gelijkaardig is. Hierover gaat volgens mij de discussie niet. De discussie gaat tussen ofwel het ene ofwel separatisme. Bij separatisme is er geen solidariteit meer en dat is het grote onderscheid tussen beide. Intervention d’André Denys, Annales parlementaires, Chambre, 9 février 1993, p. 33 -1.310.

Namur, le 16 novembre 2019

La référence au confédéralisme apparaît souvent dans des moments d’intenses tensions politiques. C’est d’ailleurs ce qui rend son appréhension difficile et freine voire empêche généralement toute tentative d’en dégager les principes clairs, pour en établir une théorie générale ou pour le définir en tant que notion autonome, comme a pu le faire le juriste français Olivier Beaud pour le fédéralisme [1].

1. Séparation administrative, fédération et confédération

En Belgique, les idées de fédération et de confédération vont intéresser dès la fin du XVIIIe siècle ceux qui s’interrogent sur l’avenir des pays et recherchent une autonomie provinciale, régionale voire – concept hérité de 1830 et du conflit avec le roi Guillaume d’Orange – une séparation administrative [2]. Celle-ci avait notamment été proposée par Alexandre Gendebien (1789-1869), personnalité libérale montoise et futur membre du Gouvernement provisoire, un des principaux porte-paroles de la délégation belge envoyée à La Haye début septembre 1830. Lors d’une entrevue avec le ministre de l’Intérieur du Royaume uni des Pays-Bas, Edmond de la Coste (1788-1870), l’idée avait été exprimée par ceux qui se considéraient comme les représentants des Belges, de maintenir la dynastie Nassau à la tête de ce royaume, mais de confier au Prince d’Orange la fonction de vice-roi ou de lieutenant-général de la Belgique, avec une résidence continue à Bruxelles [3]. Cette solution à la crise entre La Haye et Bruxelles, qui plaçait la Belgique et les Pays-Bas sous le même sceptre, était celle qui unissait alors la Norvège et la Suède. Cette opinion fut également défendue à Amsterdam notamment dans un plaidoyer daté d’octobre 1830 et attribué à l’ancien ministre des Affaires étrangères Guisbert Charles Van Hogendorp (1762-1834) pour lequel l’idée de la séparation sous une même dynastie s’opposait à une séparation absolue de la Belgique et des Pays-Bas, de type monarchie constitutionnelle voire république fédérative et indépendante [4].

Dès lors, en 1894 consécutivement aux effets électoraux de la première révision constitutionnelle [5], puis en 1897 avec le projet de réforme de l’État de Julien Delaite (1868-1928) [6], puis encore en 1912, au Congrès wallon de Liège, mais aussi dans La Lettre au roi de Jules Destrée [7], l’idée de séparation administrative vient à nouveau au-devant de la scène politique. Ce concept est encore présent dans la mémoire collective, même si on lui reproche déjà son caractère flou et instable, voire son manque d’opérationnalité [8]. Néanmoins, comme l’écrira Destrée en 1921, ce mot de séparation, qui n’avait rien de bien effrayant avant la guerre, deviendra une sorte d’épouvantail [9]. C’est vrai que la Flamenpolitik était passée par là. À cette époque, une partie du Mouvement flamand a revendiqué le fédéralisme et l’a obtenu partiellement et momentanément dans le cadre du Raad Van Vlaanderen, mis en place en collaboration avec l’appui de l’occupant allemand. Ainsi, comme l’a montré l’historien Paul Delforge, le Vlaamsche Landsbond est créé à Bruxelles dès juin 1916. Dans le manifeste produit le 26 août de la même année, cette organisation flamande déclare poursuivre comme objectif principal la réalisation de la séparation de la Wallonie et de la Flandre, au sein d’une confédération de régions autonomes sous le nom d’États-Unis de Belgique. L’État confédéral ne conserverait comme compétence que les Affaires étrangères, les douanes, le système monétaire, la marine et les chemins de fer [10].

Fin du XIXe siècle,  à côté de l’idée de “séparation administrative”, souvent brandie comme une menace, celle de confédération fait l’objet de réflexion et apparaît comme une formule plus constructive. Quand en 1897 le poète et homme politique libéral liégeois Albert Mockel (1866-1945) donne une description de la séparation administrative complète entre la Wallonie et la Flandre, il voit un parlement pour chacune d’elles, et l’union des deux petits États dans une chambre fédérale élue paritairement [11]. On retrouve cette parité dans le projet déjà mentionné du chimiste liégeois Julien Delaite qui conçoit un Parlement fédéral, composé de députés wallons et flamands en nombre égal, comme en Autriche, où les deux parties de l’Empire ont le même nombre de députés à l’Assemblée législative [12]. Au Congrès wallon de juillet 1912, pendant le vaste débat qui fut mené autour de l’idée de séparation administrative, le député socialiste liégeois Léon Troclet (1872-1946) imaginait une confédération des États-Belgique-Unis, dans lesquels la Flandre et la Wallonie seraient associées avec les Pays-Bas et le Grand-duché de Luxembourg [13]. La formule renvoyait manifestement aux événements de la Révolution dite brabançonne de 1789. En effet, lorsque, en conflit avec leur empereur Joseph II d’Autriche, les États généraux se réunissent en congrès souverain à Bruxelles en janvier 1790, à l’invitation des États de Brabant, les provinces s’unissent et se confédèrent sous la dénomination d’États belgiques unis (Article 1 de leur Traité d’union) [14]. Ainsi, après s’être déclarées libres et indépendantes, les différentes provinces s’émancipent de la couronne de l’empereur d’Autriche, jugé trop centralisateur, et créent un État fédératif [15]. Elles délèguent leurs intérêts collectifs – organisation et entretien de l’armée, relations avec les puissances étrangères, frappe de la monnaie [16] – à un Congrès souverain des États belgiques unis renouvelable tous les trois ans. Comme l’indique l’historien Henri Pirenne (1862-1935), pour établir leur République belge, les révolutionnaires ont pris comme modèle la Constitution américaine, sans les droits politiques ni les garanties démocratiques qu’elle contient [17]. La Constitution belgique de 1790 refuse à toute province le droit de sécession [18].

Certes, ce type de confédéralisme nous renvoie davantage à des formules provinciales que régionales, mais nous devons nous souvenir que, certainement jusqu’en 1967, au Congrès des socialistes wallons des 25 et 26 novembre à Verviers, l’option d’une régionalisation sur base des provinces était restée une trajectoire crédible chez de nombreux élus, wallons comme flamands d’ailleurs [19]. D’ailleurs, depuis le projet Delaite, certains projets de fédéralismes régionaux étaient eux-mêmes fondés sur l’assemblage des provinces [20].

2. Le gouvernement national incomplet selon Émile de Laveleye

Fédéralisme et confédéralisme sont théorisés en Belgique au XIXe siècle. J’ai montré ailleurs [21] l’influence directe d’Émile de Laveleye (1863-1892) sur le Mouvement wallon.  Cette personnalité de niveau européen, voire mondial, qui enseigna à l’Université de Gand, mais aussi l’économie politique à l’Université de Liège de 1863 jusqu’à sa mort, rendit populaires les analyses sur la Constitution américaine d’Alexis de Tocqueville (1805-1859), de James Bryce (1868-1928) et d’Albert Shaw (1857-1947) [22].

Dans le chapitre de l’ouvrage Le gouvernement dans la démocratie, intitulé Le Régime fédératif, Émile de Laveleye rappelle que Tocqueville a exposé en quoi consiste le régime fédératif des États-Unis et le nomme, faute d’un terme plus adéquat, un gouvernement national incomplet. Dans la science politique allemande, écrit le professeur liégeois, on trouve le mot juste qui le définit : c’est un Bundestaat, un État fédératif, en opposition avec un Staatenbund, ou fédération d’États.

Dans l’État fédératif, le gouvernement central a le droit de faire des lois et d’en imposer le respect à ses agents : cours de justice, force publique, employés du fisc, et ainsi agir directement sur tous les citoyens de l’Union. Dans la fédération d’États, qui n’est en réalité qu’une alliance étroite et permanente d’États indépendants, le pouvoir central n’a de rapports qu’avec ces États et il n’atteint les citoyens que par leur intermédiaire [23].

Prenant l’exemple des États-Unis, de Laveleye note qu’en 1787, Alexander Hamilton (1757-1804) exposa avec une lucidité merveilleuse les principes fondamentaux qui doivent servir de base à un État fédératif, observant que c’est à lui que les États-Unis doivent la force d’union qui fait leur force. Et de Laveleye de citer Hamilton : Chaque État aura intérêt à payer le moins possible et à laisser payer le plus possible ses voisins. Les intérêts particuliers ont plus d’action sur les hommes que les intérêts généraux. Les États fédérés, ne consultant que leur avantage immédiat, seront autant de pouvoirs excentriques, suivant une direction opposée à celle du gouvernement de l’Union, et comme ils entraîneront leurs citoyens, la confédération sera sans cesse menacée de dissolution [24]. C’est évidemment une leçon de l’histoire…

Observant que Montesquieu, Rousseau, Bryce et Tocqueville ont vanté les avantages du système fédératif, de Laveleye cite l’auteur de La démocratie en Amérique qui disait voir dans ce système une des plus puissantes combinaisons en faveur de la prospérité et de la liberté humaines [25]. On comprend évidemment qu’Émile de Laveleye constitue une des sources du fédéralisme belge, pour les Wallons et les Flamands du reste, même si, au XIXe siècle, ce sont les premiers qui s’y intéressent [26]. Dans un autre chapitre de son livre, le professeur liégeois précise toutefois que lorsque l’histoire a créé un État unitaire, il peut être difficile de le transformer en fédération. Il propose alors de rendre aux provinces leur autonomie, en conservant au pouvoir central les attributions nécessaires pour le maintien de l’ordre et la défense de l’indépendance nationale [27]. L’État démocratique, qu’il décrit alors, ne doit être que la confédération des villes libres et des provinces autonomes [28].

Les Belges du XIXe et du XXe siècle savent donc bien que, à côté du fédéralisme, existe le confédéralisme. Ils ont bien sûr entendu parler de l’histoire américaine. Ils savent que les États-Unis ont fondé un système confédéral entre 1777 et 1781 sous la forme d’une union d’États, l’ont transformé en un État d’Union ou État fédéral en 1787 [29].

Néanmoins, comme le rappelait le politologue français Thierry Chopin (1972-), à la fin du XVIIIe siècle, au moment de la campagne de ratification par les conventions des États du projet de Constitution fédérale américaine, le terme de fédération est encore entendu dans son acception classique, c’est-à-dire comme synonyme de confédération [30]. Il n’est pas sûr qu’ils perçoivent clairement les différences, mais comme le souligne Chopin en citant Tocqueville : Le grand caractère qui distingue la nouvelle Union américaine de l’ancienne est celui-ci : l’ancienne Union gouvernait les États, non les individus. […]. Le nouveau gouvernement fédéral est bien véritablement le gouvernement de l’Union, dans tout ce qui est de son ressort ; il ne s’adresse point aux États, mais aux individus ; il commande à chacun des citoyens américains, qu’il soit né dans le Massachusetts ou la Géorgie, et non point au Massachusetts ou à la Géorgie, et il a des moyens qui lui sont propres de forcer chacun de ses individus à l’obéissance sans recourir à d’autre autorité que la sienne. […] L’action du pouvoir central sur chaque individu dans ce cas est directe et non indirecte [31].

Les Belges n’ignorent pas que les États sudistes ont voulu refonder une confédération – The Confederate State of America – en 1861 pour des raisons d’ailleurs largement économiques. C’est la cause principale de la Guerre civile.

3. L’État (con)fédéral en Belgique ?

Durant l’Entre-deux-guerres, dans un contexte marqué par la résurgence de projets autonomistes flamands portés par le Frontpartij et les partis fascisants Vlaams Nationaal Verbond (VNV) ou Verdinaso [32], les Wallons vont s’intéresser à nouveau de très près à ces questions, en particulier Fernand Dehousse (1906-1976), professeur de droit constitutionnel à l’Université de Liège, et Georges Truffaut (1901-1942), député socialiste liégeois, un des animateurs de l’Action wallonne avec Jean Rey et Marcel Thiry, notamment. Dans une étude que Truffaut et Dehousse signent en 1938 et qui est intitulée L’État fédéral en Belgique, ils indiquent que, à côté du fédéralisme dont la définition n’est pas unique puisqu’il désigne des formes diverses d’association entre deux ou plusieurs collectivités humaines, existe la Confédération d’États. Celle-ci, écrivent-ils, n’est pas aisée à caractériser, car il s’agit ici aussi, d’un mode très variable d’association. Souvent, notent-ils encore, la Confédération d’États se distingue assez peu de l’État fédéral [33]. Ces différentes formes sont donc le produit de l’histoire non de la raison, idée que le professeur Fernand Dehousse – et futur ministre des réformes institutionnelles du gouvernement de Gaston Eyskens en 1971-72 – répétera toute sa vie [34], à la suite de Jules Destrée. Dans un autre texte éclairant, daté de 1947, le professeur rappellera que les chercheurs ont consacré à ces concepts une abondante littérature qui pourrait remplir toute une bibliothèque et que la science politique ne sait toujours pas à quoi s’en tenir à ce sujet. Dès lors, indique-t-il à la manière de de Laveleye, toute la question est là, et elle n’est pas simple : où finit la Confédération d’États (le Staatenbund des Allemands) et où commence l’État fédéral (dénommé, par les mêmes, Bundesstaat). La réponse, dit Dehousse, est toute empirique : c’est le volume des attributions respectivement dévolues au pouvoir central dans la Confédération d’États et dans l’État fédéral. Si ce volume est réduit, on a, à notre avis, affaire à une Confédération d’États. S’il est important, l’association est un État fédéral [35]. Plus tard, lors d’un colloque organisé par l’Institut Destrée, en 1976, Fernand Dehousse évoquera comme autre différence l’existence ou non du droit de sécession [36]. Lors du Congrès national wallon de 1945 néanmoins, le professeur avait préconisé ce droit pour la Wallonie, considérant devant ses amis que le fédéralisme constituait un dernier essai de vie en commun dans le cadre de la Belgique [37].

1936-37 constitue un autre moment important pendant lequel le confédéralisme va se manifester en Wallonie. Lorsque Léon Blum (1872-1950) constitue le gouvernement du Front populaire, le 4 juin 1936 à Paris, en le fondant sur une majorité composée de communistes, de socialistes et de radicaux de gauche, certains à Bruxelles s’inquiètent du régime qui se met en place dans la République. Par le discours du roi du 14 octobre 1936, le Gouvernement de Paul Van Zeeland (1893-1973) et de Paul-Henri Spaak (1893-1973) dénonce les accords militaires signés avec la France depuis le 7 septembre 1920. Ces accords d’États-majors donnaient pourtant quelques espoirs de résister à l’Allemagne devenue hitlérienne depuis 1933. Face au retour à une neutralité dite des “mains libres”, y compris de s’accommoder du Reich, comme Léopold III tentera de le faire plus tard, les Wallons s’exaspèrent. Le 21 novembre 1937, Arille Carlier (1887-1963), personnalité libérale carolorégienne, s’exprime au Congrès du mouvement La Concentration wallonne réuni à Tournai, pour revendiquer la reconnaissance de la souveraineté de l’État wallon, lequel doit avoir ses propres pouvoirs constitutionnels : législatif (un Parlement wallon), exécutif et judiciaire, ainsi que les autres attributs de la souveraineté extérieure : défense nationale, traités de commerce). En effet, pour l’ancien avocat stagiaire de Jules Destrée, la doctrine fédéraliste considérant les affaires étrangères comme une chose commune, il faut, dit-il, aller plus loin. Ce que Arille Carlier revendique alors, c’est la transformation de l’État belge unitaire et centralisé en une Confédération d’États : Wallonie, Bruxelles, Flandre. Le lien belge est maintenu par une union réelle ou personnelle [38]. Aux réticences des députés socialistes liégeois François Van Belle et Georges Truffaut, présents, qui demandent qu’on attende la fin des travaux de la Commission mise en place à Liège sous la présidence de Fernand Dehousse pour préparer un projet de fédéralisme, Carlier répond que le fédéralisme impliquant une politique étrangère commune ne convient plus et que la Wallonie entend disposer librement d’elle-même dans tous les domaines [39]. La résolution n’est finalement que très légèrement amendée. L’ordre du jour qui est voté affirme que la Wallonie ne pourra atteindre son idéal national, dans le cadre belge, que si la Belgique prend la forme d’États-Unis de Flandre, de Bruxelles et de Wallonie [40].

Cette revendication de la Concentration wallonne montre à nouveau le caractère fluctuant du périmètre de l’État fédéral face à des enjeux que l’on peut qualifier de vitaux. Vitaux en effet, car, comme l’indiquait Jean Rey (1902-1983) un an plus tard : la neutralité, dans l’Europe de 1938, c’est en réalité la résignation devant une éventuelle servitude, c’est l’acceptation de la défaite de nos idéaux, c’est l’acceptation de vivre en nation d’esclaves plutôt que de combattre en peuple d’hommes libres [41]. Quelle formidable clairvoyance, tellement différente de la cécité de Paul-Henri Spaak [42] ! Aujourd’hui, en Belgique, les relations internationales sont attribuées aux entités qui disposent de la compétence considérée. Régions et communautés possèdent ainsi la capacité de signer des traités internationaux pour ce qui relève des compétences qui leur ont été transférées.

C’est aussi dans un contexte dramatique, celui de la Seconde Guerre mondiale, qu’un projet  clandestin voit le jour à l’initiative de la Fédération liégeoise du Parti socialiste belge et de sa Commission des Affaires wallonnes. Fernand Dehousse, qui y a largement contribué avec d’autres personnalités comme Jean Marcy, Simon Paque, Léon-Eli Troclet et Paul Gruselin, le qualifiera de vraiment très avancé et qui, même s’il conserve des éléments de l’État fédéral, se rapproche même beaucoup plus d’une Confédération étant donnée l’étendue des compétences qu’il donne aux États fédérés [43]. Le projet se présente sous forme de 14 résolutions. La résolution 2 indique que la Commission se prononce pour un système fédéral à trois membres, tout en indiquant à la résolution 3 que :

1° La Belgique est une Confédération d’États comprenant trois parties : Bruxelles, la Flandre, la Wallonie ;

2° Dans les États, tous les pouvoirs émanent de la collectivité ; dans la Confédération, ils émanent des États. La Confédération n’a d’autres attributions que celles qui lui sont expressément déléguées par les États ;

3° Le droit de sécession est reconnu à chacun des États membres (…) [44]. Notons que l’État bruxellois est composé des 19 communes de l’agglomération, même s’il peut être étendu par référendum. Le projet précise qu’un sort spécial pourrait être réservé au sein de la confédération aux cantons d’Eupen et de Saint-Vith ainsi qu’aux communes allemandes du canton de Malmedy. Nous sommes en 1944…

Ainsi, le confédéralisme est inscrit de manière presque aussi nette que le fédéralisme dans la revendication wallonne de la fin du XIXe siècle jusqu’à, y compris, la Seconde Guerre mondiale. L’observation de l’Après-Guerre ne fait pas apparaître une autre dynamique même si, le fédéralisme aboutissant, le confédéralisme sera diabolisé comme une menace. Comme l’avaient été la séparation administrative et le fédéralisme avant lui.

À suivre : Le confédéralisme, spectre institutionnel (3),  Une dialectique endogène  (1946 – 1995)

Philippe Destatte

PhD2050

 

[1] Thierry CHOPIN, Olivier Beaud, Théorie de la Fédération, dans Critique internationale, vol. 46, n° 1, 2010, p. 187-193. – Olivier BEAUD, Théorie de la fédération, Paris, PuF, 2ed., 2009. – Le juriste français n’hésite d’ailleurs pas à repartir de la définition du philosophe allemand Samuel Pufendorf (1632-1694) qui a inauguré la pensée politico-juridique moderne relative au phénomène fédéral. Selon Pufendorf, la confédération consiste en ce que plusieurs peuples, sans cesser d’être autant d’États distincts, s’unissent pour toujours en vue de leur conservation et de leur défense mutuelle, faisant pour cet effet dépendre de leur commun consentement l’exercice de certaines parties de leur souveraineté. Samuel PUFENDORF, Du droit naturel et des gens (De iure naturae et gentium), dans Œuvres complètes, Gesammelte Werke, Bd 4, 2 Teil, Berlin, Akademie Verlag, 1998, p. 685, cité dans Olivier BEAUD, Théorie de la Fédération…, p. 17. Beaud se réfère aussi au juriste italien Pellegrino Rossi qui définissait ainsi la (con)fédération en 1832 : Toute Confédération (Confederazione) est un état intermédiaire entre l’indépendance absolue de plusieurs individualités politiques et leur complète fusion dans une seule souveraineté. Ibidem, p. 17. – Yves LEJEUNE, L’État fédéral est-­il une bonne clé pour comprendre le fédéralisme. Un commentaire du livre d’Olivier Beaud, Théorie de la Fédération, dans Revue belge de Droit constitutionnel, 2009/2.

[2] Robert DEMOULIN, Les journées de septembre 1830 à Bruxelles et en province, Etude critique d’après les sources, p. 71n, Paris, Droz – Liège, Faculté de Philosophie et Lettres, 1934. – voir une lettre de de Potter à Gendebien écrite à Paris le 31 août 1830 où le premier évoque une “séparation administrative et parlementaire”. Théodore JUSTE, La Révolution belge de 1830, Appendice, p. 172, Bruxelles, 1872. – R. DEMOULIN, La Révolution de 1830, p. 24, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1950.

[3] Théodore JUSTE, Histoire de la Révolution belge de 1790, précédé d’un tableau historique du règne de l’Empereur Joseph II et suivie d’un coup d’œil sur la Révolution de 1830, vol. 2, p. 33 et 43, Bruxelles, Jamar, 1846.

[4] Séparation de la Hollande et de la Belgique, 22 octobre 1830, p. 43, Amsterdam, Diederichs Frères, 1830. (De Scheiding van Holland en België, ibidem). – R. DEMOULIN, Les journées…, p. 37.

[5] La division des deux parties du pays au point de vue des opinions deviendra plus sensible encore par la question des langues. La scission qui se fera au Parlement entre les deux éléments dont se compose le pays ira s’accentuant, et du Parlement s’étendra au reste du pays. Les Wallons perdront tout espoir de ramener l’entente avec les habitants de la partie flamande du pays sur le terrain politique ; la question des langues achèvera le divorce, et de là à une séparation administrative, il n’y aura qu’une faible distance. Gazette de Charleroi, 2 septembre 1894, p. 1.

[6] “Comité exécutif” dans L’Ame wallonne, 1er janvier 1898, n°1, p. 1. – Julien DELAITE, Étude d’un régime séparatiste en Belgique, Rapport présenté au Congrès wallon de Liège, p. 6, Liège, M. Thone, 1912.

[7] Sur cette lettre, voir Ph. DESTATTE, Catherine LANNEAU et Fabrice MEURANT-PAILHE dir., Jules Destrée, La Lettre au roi , et au-delà, 1912-2012, Liège-Namur, Musée de la Vie wallonne-Institut Destrée, 2013.

[8] Le député limbourgeois et ministre d’État catholique Joris Helleputte (1852-1925) n’était d’ailleurs pas contredit lorsqu’il affirmait à la Chambre en 1920 que l’autonomie politique pouvait s’entendre dans des sens différents : est-ce la séparation du pays en deux régions autonomes, ayant un souverain commun, réalisant ainsi un système d’union personnelle -, sous la souveraineté du roi Albert ? Ou bien est-ce la séparation absolue de façon à constituer deux pays distincts? Nous ne le savons pas très bien. De tout temps d’ailleurs, ceux qui se sont réclamés de la séparation administrative se sont gardés de définir leur système. L’honorable M. Destrée lui-même n’a jamais donné à cet égard des précisions à la Chambre. Je connais évidemment moins bien ce qui se passe au dehors ; ceci a d’ailleurs moins d’importance et moins d’autorité… Annales parlementaires, Chambre, 9 mars 1920, p. 502.

[9] Jules DESTREE, Wallons et Flamands… #, p. 152. – On peut évidemment contester l’idée que le concept n’avait rien d’effrayant, notamment si on se souvient de la résolution du congrès de juillet 1912 : “Le Congrès, toutes réserves faites au sujet des formes à donner à l’idée séparatiste ; émet le vœu de voir  la Wallonie séparée de la Flandre en vue de l’extension de son indépendance vis-à-vis du pouvoir central et de la libre extension de son activité propre ; désigne aux fins d’étudier la question une Commission, à raison d’un membre par quarante mille habitants.” #

[10] Paul DELFORGE, La Wallonie et la Première Guerre mondiale, Pour une histoire de la séparation administrative, p. 140, Namur, Institut Destrée, 2008.

[11] Albert MOCKEL, Camille Lemonnier et la Belgique, dans Mercure de France, tome 22, Avril-juin 1897, p. 101n.

[12] J. DELAITE, op. cit.

[13] Congrès wallon organisé par la Ligue wallonne de Liège, 7 juillet 1912, p. 40, Liège, Imp. Victor Carpentier, 1912.

[14] Traité d’union et établissement du Congrès souverain des Etats Belgiques Unis, Bruxelles, le 11 janvier 1790, dans Recueil des Ordonnances des Pays-Bas, 3e série, t. XIII, p. 418sv, reproduit dans L. VERNIERS, P. BONENFANT et F. QUICKE, Lectures historiques, L’Histoire d’après les sources, Histoire de Belgique, t. II, p. 229, , Bruxelles, De Boeck, 1936.

[15] Henri PIRENNE, Histoire de Belgique, vol. 3, p. 245, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1950.

[16] Ces provinces mettent en commun, unissent et concentrent la puissance souveraine ; laquelle elles bornent toutefois et restreignent aux objets suivants : à celui d’une défense commune ; au pouvoir de faire la paix et la guerre, et par conséquent, à la levée et l’entretien d’une armée nationale ; ainsi qu’à ordonner faire construire et entretenir les fortifications nécessaires ; à contracter des alliances, tant offensives que défensives, avec les puissances étrangères ; à nommer envoyer et recevoir, des résidents ou ambassadeurs, ou autres agents quelconques ; le tout par l’autorité seule de la puissance ainsi concentrée,  et sans aucun recours aux provinces respectives. L’on est convenu en même temps, de l’influence que chaque province, par ses députés, aura dans les délibérations et sur les objets repris dans le présent traité (Article 2).

[17] H. PIRENNE, Histoire de Belgique…, vol. 3, p. 245-246.

[18] Cette union sera stable, perpétuelle, irrévocable. Il ne sera libre à aucune province, ni à plusieurs, pas même à la pluralité, de rompre cette union, ou de s’en séparer, sous prétexte ou d’après un motif quelconque. (Article 11). Traité d’union et établissement du Congrès souverain des Etats Belgiques Unis…, op. cit, p. 229.

[19] Pierre BARY, Le provincialisme dépassé pour les socialistes wallons, C’est la Wallonie tout entière qui constitue une région, La création d’un exécutif et d’une assemblée à l’ordre du jour du prochain congrès de Verviers, dans Le Soir, 31 octobre 1967, p. 2.

[20] P. DELFORGE, Un siècle de projets fédéralistes…, p. 31. – Les projets (con)fédéralistes à base provinciale restent d’actualité chez certains chercheurs, voir par exemple : Filip REYNTJENS, Onze provincies als deelstaten, in De Standaard, 4 Juli 2019, p. 36. F. Reyntjens est professeur émérite en Droit et Politique – Institute of Development Policy (IOB) à l’Université d’Anvers.

[21] PhD Identité wallonne et fédéralisme

[22] Emile de LAVELEYE, La forme nouvelle du gouvernement aux Etats-Unis et en Suisse, dans La Revue des Deux Mondes, t. 77, 1886, p. 626-650. – La transformation du gouvernement local aux Etats-Unis, dans Revue des Deux Mondes, t. 94, 1887, p. 638-668. – James BRYCE, The Predictions of Hamilton and De Tocqueville,  – J. BRYCE, The American Commonwealth, Macmillan and Co, 1888.

[23] E. de LAVELEYE,  p. 71,

[24] Ibidem, p. 72. – (…) it will be the interest of each state to pay as little itself and to let its neighbors pay as much as possible. Particular interests have always more influence upon men than general. The several states therefore consulting their immediate advantage may be considered as so many eccentric powers tending in a contrary direction to the government of the union ; and as they will generally carry the people along with them, the confederacy  will be in continual danger of dissolution. Alexander HAMILTON, Speech to the New York Assembly, February 15, 1787, in Carson HOLLOWAY & Bradford P. WILSON, The Political Writings of Alexander Hamilton, Vol. 1, 1769-1789, p. 283, New York, Cambridge University Press, 2017.

[25] E. de LAVELEYE, Le gouvernement dans la démocratie…, p. 72.

[26] Ph. DESTATTE, Some questions regarding the birth of Federalist demands in Wallonia, in Ph. DESTATTE, L’idée fédéraliste dans les Etats-nations, Regards croisés entre la Wallonie et le monde, p. 13-35, Bruxelles, Presses interuniversitaires européennes, 1999. – Ph. DESTATTE, L’identité wallonne, Essai sur l’affirmation politique de la Wallonie (XIX-XXèmes siècles), p. 63-64, Charleroi, Institut Destrée, 1997.

[27] E. de LAVELEYE, Le gouvernement…, p. 78.

[28] Ibidem, p. 80.

[29] Même si on peut considérer avec Olivier Beaud le caractère anachronique de voir dans le régime constitutionnel américain des débuts (1787-1861) un Etat fédéral, donc un pouvoir (relativement) centralisé au seul motif que la jurisprudence de la Cour suprême aurait interprété la Constitution dans un sens favorable au pouvoir de l’Union. O. BEAUD, Théorie de la fédération…, p. 26.  – Jean-Maurice DEHOUSSE, Subsidiarité et coopération dans le système fédéral, dans Ph. DESTATTE e.a., La Wallonie, une Région en Europe, p. 335, Nice-Charleroi, CIFE-Institut Destrée, 1997.

[30] Thierry CHOPIN, Tocqueville et l’idée de fédération, dans Revue française d’Histoire des Idées politiques, vol. 13, n° 1, 2001, p. 73-103.

[31] Th. CHOPIN, Tocqueville et l’idée de fédération…,op. cit.

[32] P. DELFORGE, Mouvement wallon et fédéralisme, dans Ph. DESTATTE, L’idée fédéraliste dans les Etats-nations, Regards croisés entre la Wallonie et le monde, p. 286, Bruxelles, Presses inteuniversitaires européennes, 1999.

[33] Georges TRUFFAUT & Fernand DEHOUSSE, L’Etat fédéral en Belgique, p. 14-15, Liège, Editions de l’Action wallonne, 1938. – http://www.sfdi.org/wp-content/uploads/2014/03/MelRousseau.pdf

[34] Chaque groupe d’Etats se conforme, en fait, aux conditions qui sont les siennes et qui diffèrent d’un groupe à l’autre. Les formes de fédéralisme sont, dès lors, le produit de l’histoire, non celui d’on ne sait quelle raison abstraite. C’est là une constatation d’une portée capitale (…) Fernand DEHOUSSE, Le Fédéralisme et la Question wallonne, Congrès des Socialistes wallons, 5 et 6 juillet 1947, p. 11, La Louvière, ICO, 1947. – F. DEHOUSSE, Les projets fédéralistes de 1938 à nos jours, p. 27, dans Jacques LANOTTE éd., L’histoire du Mouvement wallon, Journée d’étude de Charleroi, le 26 février 1976, p. 27, Charleroi, Institut Destrée, 1978. – Fernand Dehousse n’est d’ailleurs pas le seul à défendre cette idée, voir par exemple Paul REUTER, Confédération et fédération : “vetera et nova”, dans La Communauté internationale, Mélanges offerts à Charles Rousseau, p. 1999-218, Paris, Pedone, 1974. http://www.sfdi.org/wp-content/uploads/2014/03/MelRousseau.pdf-

“les structures fédérales ne relèvent d’aucune règle juridique générale que celle-ci soit de droit international ou de droit constitutionnel ; chacune d’entre elles ne relève que du droit constitutionnel qui lui est propre.

[35] F. DEHOUSSE, Le fédéralisme et la question wallonne…, p. 12-15.

[36] F. DEHOUSSE, Les projets fédéralistes…, p. 28.

[37] F. DEHOUSSE, L’autonomie de la Wallonie dans le cadre de la Belgique, dans Le Congrès de Liège des 20 et 21 octobre 1945, Débats et résolutions, p. 45, Liège, Editions du Congrès national wallon, s.d., 1945.

[38] Huitième congrès de la Concentration wallonne, Tournai, 21 novembre 1937, Compte rendu officiel, p. 39, Courcelles, Office central de Propagande, sd.

[39] Ibidem, p. 41 et 45.

[40] Ibidem, p. 46.

[41] Jean REY, La politique étrangère de la Belgique, p. 12, Liège, Editions de l’Action wallonne, Octobre 1938.

[42] Ph. DESTATTE, Paul-Henri Spaak et la politique des “mains libres”, Intervention au colloque Paul-Henri Spaak et la France, organisé à Louvain-la-Neuve par le Département d’histoire, les 15 et 16 mai 2006, publié dans Geneviève DUCHENNE, Vincent DUJARDIN et Michel DUMOULIN, Rey, Snoy, Spaak, fondateurs belges de l’Europe, Actes du colloque organisé par la Fondation Paul-Henri Spaak et l’Institut historique belge de Rome, en collaboration avec le Groupe d’Etudes d’Histoire de l’Europe contemporaine, à l’Academia Belgica à Rome, 10-11 mai 2007, p. 57-77, Bruxelles, Bruylant, 2007.

[43] F. DEHOUSSE, Les projets fédéralistes…, p. 31.

[44] On en trouve une description précise dans Paul DELFORGE, Un siècle de projets fédéralistes pour la Wallonie, 1905-2005, p. 70-71, Charleroi, Institut Destrée, 2005. – Commission des Affaires wallonnes de la Fédération liégeoise du PSB, Projet d’instauration du fédéralisme en Belgique, Liège, Société d’impression et d’édition, (1944). – Freddy JORIS, Les Wallons et la réforme de l’État, DE l’État unitaire à L’État “communautaire et régional” (1890-1970), p. 202, Charleroi, Institut Destrée, 1998.