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Hour-en-Famenne, 4 juin 2018

Nous avons déjà eu l’occasion d’exposer à divers endroits notre analyse des deux Wallonie, issue notamment des travaux du Collège régional de prospective de Wallonie et de son premier exercice, développé de 2004 à 2008, sur la prospective des valeurs, des croyances et des comportements. Ces deux Wallonie sont, nous l’avons écrit, à l’image des cultures différentes – anciennes et modernes – qui se côtoient, se heurtent et s’affrontent au sein de chacun d’entre-nous, is aussi dans la vie politique et sociale : vieille culture industrielle lourde restant très marquée par les luttes ouvrières ancestrales et nouvelle gouvernance de la société technologique mondialisée. Deux mondes si différents et si tranchés que, partout face à face, ils génèrent chez les citoyens incompréhension, méfiance et inquiétude [1].

Cette approche se concilie assez bien avec la théorie du verre à moitié vide et du verre à moitié plein, rappelée une nouvelle fois, depuis le 23 mai 2018 dans les commentaires et débats qui ont fait suite à l’exposé du Ministre-Président du Gouvernement de Wallonie Willy Borsus devant le Parlement pour y dresser l’état de la Wallonie [2].

A l’instar de George Washington

Cet exercice, inauguré voici plus de dix ans par le Ministre-Président Elio Di Rupo devant le Parlement wallon le 31 janvier 2007 [3], répondait à un engagement fait en 2005 au moment du lancement du Plan prioritaire wallon, dit Plan Marshall pour la Wallonie. L’appellation comme le moment du discours faisaient implicitement référence au State of the Union Address, prononcé devant le Congrès des États-Unis depuis 1790 et pour la première fois par George Washington. En 2007, Elio Di Rupo avait pris le ton de l’objectivité et de l’humilité, déclarant sans triomphalisme, mais avec conviction que la Wallonie se porte mieux. Le redressement économique wallon est à l’œuvre. Nous devons ensemble l’accélérer [4]. Après le discours du Ministre-Président, le chef de groupe socialiste Maurice Bayenet avait conclu en précisant tant la vocation de l’exercice que sa trajectoire future :

Les engagements sont prometteurs. Les perspectives d’avenir sont tracées. Nous espérons que, d’année en année, ce discours sur l’état de la Wallonie sera l’occasion de montrer aux Wallonnes et aux Wallons que leur Région se porte mieux, de mieux en mieux. Ce discours démontrera chaque fois davantage qu’il y a, chez nous, des perspectives d’avenir pour tous. Il constatera que l’économie de notre Région se développe dans le respect de l’environnement. Mais, surtout, que l’économie wallonne se développe au bénéfice de toutes les femmes et de tous les hommes qui y vivent, y compris les plus fragilisés. Au bénéfice du bien-être de toutes les Wallonnes et de tous les Wallons [5].

Journalistes et observateurs, y compris académiques avaient apprécié diversement [6]. Il ne s’agissait pas de prononcer une nouvelle déclaration de politique régionale, mais plutôt de faire un bilan des travaux menés. Ce discours se dévoilait sans nul doute comme une initiative démocratique salutaire, une manière d’assurer, au moins dans la volonté de l’ancien initiateur du Contrat d’avenir pour la Wallonie, une information sur l’évolution de la Wallonie à l’aune des initiatives prises par le gouvernement. Le Ministre-Président avait d’ailleurs complété cet effort par une rencontre avec des parties prenantes régionales, dans un souci de gouvernance plus participative. Certes, c’était peu encore. Mais déjà beaucoup.

Disons-le : pour intéressant qu’il soit, l’exercice reste fragile, parce qu’assez mal défini et ambigu. Annuel, il voudrait ponctuer la mise en œuvre de la Déclaration de Politique régionale. Il le peut difficilement tant à cause de la petitesse du temps écoulé que du décalage que le rythme de production de données fiables impose. On aimerait que l’objectivation des résultats des politiques menées puisse se fonder sur des processus d’évaluation. L’information en serait améliorée et l’incertitude réduite. L’exercice pourrait s’inscrire dans le processus d’apprentissage d’une évaluation analyse partenariale, extérieure, vraiment indépendante, plutôt qu’une évaluation jugement. Néanmoins, malgré les décennies qui passent, l’acculturation à ces processus tarde à se mettre en place [7]. On me répondra avec raison que la carence en incombe probablement davantage à l’Assemblée parlementaire qu’à l’Exécutif.

Une continuité du regard ?

Depuis 2007, sans toujours entrer dans des querelles de chiffres ou d’origines des données, politologues, économistes, observateurs, plus ou moins avertis, et élus ont pris l’habitude d’appréhender de manière différente la situation économique et sociale de la Région. Tantôt, ils soulignent – comme ce fut le cas en 2018 – les constats moroses, l’autoflagellation ou la lucidité du Ministre-Président, tantôt ils affirment le consensus politique sur le diagnostic et la continuité objective du regard, d’un chef de l’Exécutif à l’autre [8]. En réponse à l’empressement de certains orateurs ou analystes à affirmer la cohérence de vue entre l’ancien et le nouveau Ministre-Président, on peut rappeler qu’en mai 2017 le prédécesseur de Willy Borsus s’enthousiasmait sur le fait que, depuis 2000, sur cette quinzaine d’années, le PIB wallon a crû de près de 20%, ce qui, affirmait-il, était une performance tout à fait remarquable [9]. Un an plus tard, son successeur notait qu’avec près de 32% de la population de la Belgique, la Wallonie ne crée que 23,22% de la richesse du pays, soit un PIB régional de moins de 100 milliards d’euros en 2016 (98,22) sur un total de 423 milliards. Si le PIB wallon a bien augmenté de 47,13% depuis 2003 (comparé au + 53,8% pour la Flandre) notait Willy Borsus, sa part relative dans le PIB belge a diminué de 23,62% en 2003 pour se réduire à 23,22 % en 2016 [10]. Le ministre-président libéral a même excellé en termes de pédagogie lorsqu’il a observé que, en 2016, le PIB/habitant wallon est de 27.220 €. (37.454 € pour la Belgique et 38.288 € pour la Flandre). Pour vous donner une idée de notre retard. En termes de PIB par habitant, les moyennes belge et flamande étaient à notre niveau en 2003. Nous avons donc 14 ans de retard[11]

Le nouveau leitmotiv de nombreux analystes est qu’il faut cesser de nous comparer à la Flandre qui est une des régions les plus dynamiques d’Europe et avec laquelle nous ne pourrons probablement pas rivaliser avant la fin du siècle, et encore…. Néanmoins – et Willy Borsus le souligne également, mais d’une autre manière – on doit bien constater que la richesse de la Wallonie, mesurée par Eurostat en PIB par habitant, la situe en 2016 15 points en dessous de la moyenne européenne (2016, EU=100). Tous nos voisins du Nord et de l’Est font largement mieux que nous. Au Sud, les anciennes régions françaises limitrophes sont au même niveau que la Wallonie. Une décomposition des données régionales wallonnes à l’échelle des provinces nuancerait d’ailleurs cette dernière affirmation.

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Personne ne peut être suspecté de vouloir faire dire ce qu’il veut aux chiffres, mais force est de constater que des angles d’approche trop serrés ne rendent pas compte de l’ensemble des réalités, même si des experts réputés, connus comme nuancés, tacticiens, diplomates – ou les trois à la fois – tentent parfois la synthèse ou parviennent, d’une formule, à marquer brillamment les esprits. Il en est ainsi de la périphrase souvent répétée et désormais bien connue de l’économiste Joseph Pagano : la Wallonie va mieux, mais elle ne va pas bien.

La Wallonie : trouver son chemin

Le psychothérapeute américain Alfred Benjamin racontait que, rentrant chez lui un soir à pied, il fut accosté par un passant qui lui demanda le chemin pour se rendre dans une certaine rue. C’est bien volontiers que le Dr. Benjamin lui indiqua le trajet pour que cet étranger puisse trouver sa destination, mais le premier fut surpris lorsque son interlocuteur partit dans la direction opposée à celle qui venait de lui être précisée. Comme le psychologue lui signalait qu’il prenait un chemin qui n’était pas celui qu’il venait d’indiquer, le passant lui répondit qu’il le savait bien, mais qu’il n’était pas encore prêt [12].

En ayant en mémoire cette histoire, rappelée par les chercheurs du changement transthéorique [13], on est en droit de se demander si cette longue période de stagnation des principaux indicateurs – je l’ai qualifiée d’encéphalogramme plat en septembre 2015 [14] – qui va de la fin des années 1990 et marque probablement la fin du déclin, jusqu’à nos jours, ne peut pas être vue comme un temps de préparation.Cette période pourrait constituer une ou plusieurs des phases de ce modèle sur lequel nous reviendrons et qui, longtemps nous fait regarder l’avenir sans être en mesure de l’entreprendre. Cela signifierait dès lors que nous pourrions, si nous le voulons, et sans déterminisme aucun, désormais être entré ou entrer en 2019 dans une nouvelle phase plus volontariste dont les deux dernières décennies n’auraient constitué que cette longue préparation.

Ainsi, ce qui rapproche les deux discours pourtant si différents de 2007 et de 2018 qui ont été évoqués plus haut, c’est le volontarisme des deux ministres-présidents, leur détermination à embrasser les enjeux de la Wallonie et le fait de préconiser des chemins – certes partiellement différents – pour y parvenir. Malheureusement, Elio Di Rupo quittera sa fonction dès le 19 juillet suivant, sans avoir pu impulser un mouvement suffisant ni mettre en œuvre l’ambition pour la Wallonie que lui avait prêtée Christophe de Caevel [15]. Comme en 2000, son départ de Namur éteindra le feu qu’il avait tenté d’allumer. Aujourd’hui, le temps constitue assurément une variable importante pour Willy Borsus. Le Ministre-Président n’a d’ailleurs pas manqué de souligner que son gouvernement en fait usage avec efficacité.

Quant à l’appel au WalDeal qui clôturait le discours du nouveau Ministre-Président, beaucoup d’observateurs, y compris parmi des experts de haut niveau, semblaient considérer que c’était la même logique qui était déjà à l’œuvre avec le Plan Marshall et qu’il ne faisait que s’inscrire dans une tradition d’appel aux forces vives. Je voudrais revenir sur ces points qui me paraissent essentiels, au travers de deux prochains papiers. Le premier portera sur la dynamique du changement, en essayant de décoder le déni des réalités et des risques qui prévaut souvent à l’origine d’un processus de prise de conscience puis d’action. Le second tentera de décrire en quoi une contractualisation sociétale, telle que celle prônée par Willy Borsus, pourrait être différente des expériences de relances de son moteur que la Wallonie a connues depuis 2000.

Car la difficulté qui s’annonce est bien celle qui a été soulignée tant par la (petite) majorité que par la (grande) minorité du Parlement de Wallonie. Le député Stéphane Hazée l’a bien exprimée lorsqu’il a observé que : il reste un travail considérable sur le chemin du redéploiement. Ce redéploiement demande clairement de sortir de certaines inerties et de revoir certains choix politiques [16].

Cela paraît bien être l’intention du Gouvernement. Il s’agit, sans aucun doute, d’une nouvelle donne à mettre en place. Un New Deal. Un WalDeal…

 

 

 

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, Nouvelle Histoire de Belgique 1970-2000, Un autre Pays, p. 278, Bruxelles, Le Cri, 2008.

[2] Le discours sur l’état de la Wallonie se fait en application des articles 70 et 135 du règlement du Parlement de Wallonie. Ce dernier article dispose en son point 2 que le Parlement entend, au courant du mois de mars de chaque année, un exposé du Gouvernment sur l’état de la Wallonie et les évolutions intervenues concernant les grandes orientations de la politique régionale. Cet exposé est suivi d’un débat.Parlement wallon, Session 2016-2017, 28 juillet 2017, Règlement du Parlement wallon, Texte adopté le 20 juillet 2010 et modifié les 23 avril 2014, 16 juillet 2015 et 28 juillet 2017. Doc. 883 (2016-2017) N°1, p. 25. http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/Documentation/roi.pdf

[3] Parlement wallon, Session 2006-2007, Compte rendu analytique de la séance du 31 janvier 2007, CRA (2006-2007), p. 6sv. Voir notamment le commentaire du député Michel de LAMOTTE, p. 32.

[4] Elio DI RUPO, Discours sur l’état de la Wallonie, Namur, 31 janvier 2007, 28 p., p. 27.

[5] Parlement wallon, Session 2006-2007, Compte rendu analytique de la séance du 31 janvier 2007, CRA (2006-2007), p. 41.

[6] Pour ne citer qu’un seul journal : Etat de la Wallonie : Elio Di Rupo veut renouer avec la prospérité, dans L’Echo, 31 janvier 2007. – Dans un discours pathétique sur l’état de la Région, dans L’Echo, 1er février 2007. – Christophe DE CAEVEL, Ambition wallonne, dans L’Echo, 1er février 2007. – Sophie LEROY, Un discours pensé pour les Wallons et les élections, 2 février 2007, dans L’Echo, 2 février 2007. – Sophie LEROY, Elio Di Rupo fait dans le marketing, dans L’Echo, 2 février 2007. – Gérard GUILLAUME, Encore 10 ou 15 ans et la Wallonie se portera mieux, dans L’Echo, 3 février 2007.

[7] Ph. DESTATTE, Bonne gouvernance : contractualisation, évaluation et prospective, Trois atouts pour une excellence régionale, dans Ph. DESTATTE dir., Evaluation, prospective et développement régional, p. 7-50, Charleroi, Institut Destrée, 2001.

[8] Voir notamment, outre les débats au Parlement, François-Xavier LEFEVRE, La tradition de l’autoflagellation, dans L’Echo, 24 mai 2018, p. 2. – Eric DEFFET, Discours d’équilibriste de Willy Borsus, dans Le Soir, 24 mai 2018, p. 5. – Pascale SERRET, Wallonie : état des lieux en six chiffres, dans L’Avenir, 24 mai 2018, p. 4. – RTBF, La Première, Débat 100% Wallonie du 25 mai 2018, animé par Bertrand HENNE, avec Sébastien Brunet, Giuseppe Pagano et Philippe Suinen.

[9] Parlement wallon, Session 2016-2017, Compte rendu analytique, Mardi 2 mai 2017, p. 2, Document n°18. – On pourrait aussi citer la formule de Paul Magnette (p. 7), selon lequel l’innovation et la recherche sont notre plus grand titre de fierté aujourd’hui, dans la logique de l’objectif européen des 3% du PIB. La récente étude du CERPE nuance elle aussi ces propos à tout le moins imprudents. Isabelle CLERBOIS, Christophe ERNAELSTEEN et Marcus DEJARDIN, Dépenses privées et publiques de R&D en Belgique, Nouveau diagnostic en vue de l’objectif “Europe 2020”, Université de Namur, CERPE, Working Papers, Avril 2018. http://www.unamur.be/cerpe

[10] Willy BORSUS, Etat de la Wallonie, Parlement de Wallonie, 23 mai 2018, 34 p., p. 15.

[11] Ibidem, p. 16.

[12] Alfred BENJAMIN, The Helping Interview, Boston, Houghton Mifflin, 1987.

[13] James O. PROCHASKA, Carlos C. DICLEMENTE, John. C. NORCROSS, In search of How People Change: Applications to addictive behaviors, in American Psychologist, 1992, p.1103.

Cliquer pour accéder à fa8ec68f810e3dfd3b2e59a93922a9dfc4ec.pdf

[14] Philippe DESTATTE, La Wallonie, une gouvernance démocratique face à la crise, Conclusion de la journée d’étude Les régions européennes face à la crise, Quels enjeux de gouvernance pour la Wallonie ?, organisée au Palais des Congrès de Namur le 11 septembre 2015 conjointement par Cardiff University, l’Université catholique de Louvain et l’Institut Destrée, avec le soutien de la Fondation Leverhulme (UK),

Blog PhD2050, 15 septembre 2015, https://phd2050.org/2015/09/15/crise/

[15] Christophe DE CAEVEL, Ambition wallonne, dans L’Echo, 1er février 2007.

[16] Parlement wallon, Session 2017-2018, Compte rendu analytique, Jeudi 24 mai 2018, p. 10.

Namur, Parlement de Wallonie, 21 novembre 2015 [1]

Cinquante ans s’étaient écoulés depuis 1940, lorsque Wallonie libre m’avait demandé, le 16 juin 1990, de prendre la parole à la commémoration organisée à Verviers, sous la présidence de Christian Louthe. Beaucoup de vétérans nous ont quittés depuis, en particulier François Perin et André Baudson, avec qui j’avais partagé la tribune ce jour-là. Vingt-cinq ans plus tard, me voici à nouveau parmi vous, cette fois dans ce Parlement de Wallonie, qui est à la fois le symbole de notre existence collective et celui de la construction de notre avenir démocratique [2]. Rappelons-nous, en effet, ce geste remarquable de Jules Destrée en 1912 : au moment où la Wallonie prenait conscience d’elle-même, il faisait en sorte que l’expression de sa réalité prenne la forme d’un Parlement représentatif de ses forces vives et politiques : l’Assemblée wallonne. C’est pour défendre cette idée de la démocratie que des Wallonnes et des Wallons se sont levés voici 75 ans, ainsi que vous en rendez compte.

D’autres que moi ont déjà rappelé l’importance qu’a constitué le geste de ces jeunes de l’Avant-Garde wallonne lorsque, dès le 2 juin 1940, ils décidèrent de maintenir, sous l’occupation allemande, et malgré elle, l’hommage qu’ils rendaient le 18 juin, depuis 1928, au monument à l’Aigle blessé, pour honorer la Grande Armée disloquée à Waterloo. Aller fleurir, moins de trois semaines après la capitulation de la Belgique, et le lendemain de celle de la République, un monument dédié à l’Armée française, constitue un geste assez inouï d’audace et de courage. Un professeur de lettres, Maurice Bologne, va assumer la présidence de ce groupe de résistance, qui s’appellera naturellement Wallonie libre aux lendemains de l’appel du Général de Gaulle.

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Dès la fin août 1940, le premier numéro d’un périodique portant ce nom paraît. C’est en toute logique que les premiers destinataires de ce journal sont les membres de la Société historique pour la Défense et l’Illustration de la Wallonie, dont Maurice Bologne est secrétaire depuis sa fondation en 1938. Cette société savante prendra, en janvier 1960, le nom d’Institut Jules Destrée.

La première page de ce premier numéro de Wallonie libre contient un appel aux Wallons :

Nous déciderons nous-mêmes de notre destin conformé­ment aux aspirations profondes de nos populations et sans prendre conseil auprès de l’étranger. […].

La République wallonne s’annonce déjà à l’horizon. Des hommes courageux et fiers, aux conceptions sociales har­dies, la préparent avec enthousiasme. Soyez dès à présent prêts à répondre à leur appel. VINDEX [3].Retenons, comme un exemple à suivre au XXIème siècle, ce volontarisme de ces pionniers de la Wallonie, soucieux d’affronter eux-mêmes leur destin. Retenons ce choix, malgré les immenses difficultés du moment, de rester maîtres de leur histoire et de suivre leur propre trajectoire.

Puisqu’il m’a été demandé, par le Président de la Wallonie libre d’aujourd’hui, M. Jacques Dupont, d’éclairer les perspectives d’une Wallonie autonome, je vais le faire à partir de quatre manières de définir le concept d’autonomie.

Je le ferai dans le même état d’esprit que celui que prônait le Ministre-Président Robert Collignon, le 9 février 1994, devant ce Parlement, c’est-à-dire sans complaisance et en considérant que la Wallonie a besoin de lucidité et d’efficacité, et non d’un discours qui occulterait tant ses réels redressements que ses faiblesses structurelles [4].

1. L’autonomie, c’est d’abord déterminer la loi à laquelle on se soumet

Étymologiquement, l’autonomie est la condition d’une personne ou d’une collectivité politique qui détermine elle-même la loi à laquelle elle se soumet [5]. Historiquement, en effet, le mot – qui n’est guère utilisé avant le milieu du XVIIIème siècle [6], désignait la liberté dont jouissaient les villes grecques dans l’Empire romain, puisqu’elles disposaient du droit de se gouverner par leurs propres lois, c’est-à-dire qu’elles choisissaient elles-mêmes leurs magistrats et ne dépendaient du gouverneur romain de la province dans laquelle elles se situaient que pour les affaires majeures qui intéressaient l’État. C’est donc, par extension, l’état d’un peuple qui se gouverne par ses propres normes, qui dispose du droit d’avoir une législation et une administration indépendantes [7]. Cette conception nous renvoie dès lors aux projets de réforme de l’État avancés depuis la fin du XIXème siècle par le Mouvement wallon. Je ne m’y étends pas : les travaux des historiens les ont longuement décrits [8]. Mais d’emblée, on y retrouve les idées de libre disposition, d’indépendance, de liberté, de self-government. Ce dernier concept, qui nous paraît très contemporain, ne fût-ce que par la langue employée, se trouvait déjà dans la bouche d’une personnalité comme Julien Delaite en 1898, lorsque ce professeur de Sciences à l’Université de Liège proposait que soient constitués un Parlement fédéral paritaire, trois ministères com­muns (Affaires étrangères, Guerre et, pour une part, les Finances), deux conseils régionaux ou Parlements provinciaux avec budget et exécutif propres [9]. Au travers de ce mot anglais de self-governement, on retrouve l’influence de son collègue Emile de Laveleye et, par l’intermédiaire de cet autre professeur, l’apprentissage de la pensée fédéraliste de l’Américain Alexander Hamilton [10] et du Britannique, d’origine irlandaise, James Bryce [11].

Lors du Congrès national wallon de 1945, Fernand Dehousse défendait le 20 octobre non pas l’option fédéraliste, comme on le dit souvent par raccourci, mais l’autonomie de la Wallonie. Bien entendu, s’exprimant le premier jour pour déployer son argumentation, le professeur de droit constitutionnel liégeois précisait que sous ce titre, c’est le fédéralisme qui est visé. S’il n’est pas mentionné plus explicitement, c’est, je pense, en raison de ses différentes formes, des différences nuances qu’il peut présenter. […] C’est un régime qui naît de l’histoire, qui est approprié aux besoins de chaque peuple et qui, par conséquent, présente un grand nombre de variantes [12]. Le 21 octobre, deuxième jour du congrès, Fernand Schreurs devait préciser que l’idée d’autonomie recouvrait au moins trois choses : le fédéralisme tel que décrit par la proposition Truffaut-Dehousse de 1938, le confédéralisme tel qu’on le trouve dans le projet de la Fédération liégeoise du Parti socialiste, ainsi que l’Union personnelle [13]. Celle-ci nous ramène à une forme de séparation administrative telle que les révolutionnaires de 1830 l’avaient préconisée pour maintenir un lien entre les royaumes de Hollande et de Belgique, avant que Guillaume d’Orange n’envoie son armée pour tenter de mater Bruxelles. On voit que cette autonomie-là n’est guère très éloignée de l’indépendance prônée en 1945 par François Van Belle et ses amis…

En effet, l’autonomie politique complète mène à la souveraineté. Depuis Jean Bodin, celle-ci se définit d’abord comme un pouvoir unifié, indivisible, suprême, attribué à l’État [14]. Mais cette vision théologico-politique de l’auteur de La République a évolué depuis le XVIème siècle français et, le fédéralisme passant par là, l’unité est devenue union contractuelle, libre entente, et l’État s’est décliné, répartissant entre ses composantes ce pouvoir qui s’est désacralisé. On sait que le système fédéral belge est vecteur de cette souveraineté dans les compétences qui sont transférées aux entités fédérées, qu’on appelle États fédérés, car c’est bien l’État lui-même qui est transféré – ni décentralisé, ni déconcentré – au niveau des Communautés et des Régions. Cela surprend des fédéralistes aussi concernés que les États-uniens et les Canadiens [15]. Cela place nos amis français dans l’incompréhension totale. Comme l’indiquait Jean-Maurice Dehousse en 1980, l’objectif de la suite de la réforme de l’État consistait à renverser l’équation, en établissant la souveraineté des Régions, ne délé­guant plus à l’État que des fonctions d’autorité et de sécurité auxquelles les Régions doivent être associées [16]. De même, la Wallonie a-t-elle accédé à la souveraineté internationale pour les gestions dont elle a la charge, y compris la capacité de conclure des traités, ainsi que le soulignait le Ministre-Président Guy Spitaels, dès novembre 1994 [17]. Ainsi, nous ne sommes guère si loin de ce que demandait Arille Carlier en 1937, lorsque l’ancien stagiaire de Jules Destrée revendiquait la reconnaissance de la souveraineté de l’État wallon, lequel doit avoir ses propres pouvoirs constitutionnels : un Parlement wallon, un Exécutif, le pouvoir judiciaire et la souveraineté extérieure [18].

Le 17 novembre 2015, lors du colloque organisé au Parlement de Wallonie sur le renouvellement de la démocratie, son président rappelait également que son assemblée constituait un Parlement national à part entière, au sens du Traité de Lisbonne [19]. André Antoine inscrivait lui aussi la Wallonie dans cette forme de séparation des pouvoirs verticale, en rappelant fort justement que les entités fédérées n’étaient pas sous le Fédéral dans un système pyramidal, mais à côté de lui et estimait que, dès lors, l’Exécutif fédéral comme le Législatif fédéral devraient renoncer à leur leadership pour présider chaque fois le Comité de Concertation quand il se réunissait, pour piloter seul la Cour des Comptes ou pour désigner les membres du Conseil constitutionnel [20]. Travaillant dans la clandestinité à leur proposition de fédéralisme, sous la direction de Fernand Dehousse, les socialistes liégeois notaient déjà que, dans leur projet, aucun lien de subordi­nation n’existe entre les États fédérés et la Fédération : chaque partie agit en pleine souveraineté dans le domaine qui lui est réservé [21]. Il est des rêves qui peuvent devenir des réalités…

Pour clore temporairement ce sujet, j’attire néanmoins votre attention sur le fait que le fédéralisme, ce n’est pas que de l’autonomie : c’est également de la coopération. Cela vaudrait un autre exposé [22].

2. L’autonomie, c’est ensuite prendre en compte les volontés individuelles

Plus philosophiquement, l’autonomie constitue la liberté et le droit, pour l’individu, de déterminer librement les règles auxquelles il se soumet. C’est l’expression de l’autonomie de la volonté, que l’on trouve dans l’éthique d’Emmanuel Kant. Le philosophe considère que l’autonomie est le principe de la dignité de la nature humaine et de toute nature raisonnable [23]. C’est donc l’idée que les volontés individuelles déterminent les formes, les conditions, les effets des actes juridiques. Combien de fois, aujourd’hui, dans la nouvelle gouvernance, n’invoque-t-on pas la nécessité de l’implication des citoyens dans la démocratie ? Involvement and commitment, comme disent les Anglo-saxons. Défendant la réforme de l’État au Sénat, le 18 juin 1970, le ministre wallon des Relations communautaires, Freddy Terwagne, estimait que, au centre de nos préoccupations fondamentales, il n’y a pas seulement la langue ou le territoire, mais encore et surtout l’homme. Instaurer un système régional, dans la Belgique de 1970, c’est construire une démocratie nouvelle [24].

Ce 17 novembre, au Parlement de Wallonie, la Professeure Dominique Schnapper a fait un plaidoyer pour la démocratie représentative. Mais la sociologue française a aussi insisté sur l’importance de la participation. Davantage que des mécanismes de consultation et de concertation, le bon fonctionnement de la démocratie nécessite en effet l’implication des acteurs et des citoyens en tant que collectivité politique. Cette logique de coconstruction des politiques régionales établit un nouveau rôle pour les élus. Ceux-ci doivent continuer à tendre vers l’idéal churchillien d’un leadership assumé, et conserver toute la souveraineté de leur décision en tant qu’élus, seuls légitimes pour engager la collectivité. Citoyens et acteurs peuvent, quant à eux, s’impliquer dans la préparation de la décision, favoriser des innovations et des alternatives, contribuer à la mise en œuvre et à l’évaluation. Plutôt que de s’inscrire dans des concertations d’interlocuteurs sociaux qui ne sont généralement que de futiles jeux de rôles, construisons donc de robustes partenariats avec les élus, pour faire avancer des idées concrètes et préparer des politiques collectives. Mais, de grâce, laissons-les décider là où ils sont en responsabilité.

3. L’autonomie, c’est aussi, l’indépendance matérielle ou individuelle

Plus couramment, lorsqu’on invoque l’autonomie, il s’agit de la liberté, comme indépendance matérielle ou individuelle, c’est-à-dire de vivre sans l’aide d’autrui : responsabilisation et capacité (empowerment, comme on dit aujourd’hui, à la manière du Président Barack Obama) [25].

C’est ici que nous avons un souci. Nous vivons, depuis la mise en place des lois de financement, aux crochets de la Flandre. Certains disent que c’est légitime. C’est peut-être légitime. Mais ce n’est pas digne. Doit-on se réunir à Bruxelles pour tenter de se sauver ? Doit-on se réunir à la France ? Je ne crois à aucune de ces formules, aujourd’hui, car elles reportent sur d’autres le poids de l’effort que nous avons nous-mêmes à fournir. Je pense en effet qu’il est urgent de nous relever d’abord par nous-mêmes, et de négocier ensuite des partenariats, des alliances, voire des fusions si nous en avons alors le désir. Et si les partenaires potentiels en ont eux-mêmes l’envie. Au tournant de 1988, dans une conjoncture favorable, nous sommes parvenus à arrêter notre déclin structurel. Nous avons stabilisé notre économie. Il s’agit désormais, comme l’a indiqué plusieurs fois le Ministre-Président Paul Magnette, d’accélérer notre redressement. Deux fois déjà, en 2011 et 2014, le Collège régional de Prospective de Wallonie a donné des pistes concrètes pour mener à bien ce processus [26]. Ces deux appels s’inscrivaient dans le cadre d’un travail prospectif important, intitulé Wallonie 2030, qui avait mobilisé une centaine d’acteurs et fait le double et lucide constat de la situation d’un fédéralisme wallon, exactement cinquante ans après la dénonciation de la désindustrialisation de la Wallonie par André Renard et la naissance du Mouvement populaire wallon. Nous y considérions alors, ce 11 mars 2011, que le projet de création d’une Wallonie, qui soit à la fois démocratique et prospère, avait partiellement réussi dans la mesure où un Parlement wallon, un gouvernement, un Conseil économique et social, une Société régionale d’Investissement, c’est-à-dire des institutions qui constituent une Région, avaient effectivement été conçus et créés. Mais nous considérions que ce projet a aussi partiellement échoué, car, pour toute une série de raisons, la Wallonie rêvée en 1961 n’a pas été réalisée dans la mesure où notre société elle-même, dite moderne et avancée, génère encore tant d’illettrisme, tant d’impéritie, tant d’incompétence, tant de chômage, tant de pauvreté [27]. Pouvons-nous soutenir un autre discours aujourd’hui ? Personnellement, je ne le crois pas. Les méthodologies qui sont prônées par les sages du Collège régional de Prospective n’ont pas été suivies. Il faut pouvoir le reconnaître.

Ce 20 novembre 2015, dans une brillante conférence à l’Université de Mons, consacrée au grand John Maynard Keynes, le Professeur Joseph Pagano résumait en quatre mots ou en deux phrases la théorie classique de l’économie, incarnée par Alfred Marshall. La formule était : tout va bien, attendons. A l’inverse, rappelait le vice-recteur de l’UMONS, le message de Keynes quant à lui était très différent, car il affirmait : occupons-nous des problèmes [28]. C’est du volontarisme de l’auteur de la Théorie générale dont nous devons assurément nous inspirer aujourd’hui.

4. L’autonomie, enfin, c’est aussi la distance que peut franchir un véhicule, sans être ravitaillé en carburant

C’est le sens de la formule qui porte sur l’autonomie du vol d’un avion, ou du voyage d’un navire. C’est la trajectoire qu’il peut réaliser par lui-même. Pour un territoire, pour la Wallonie, le carburant, ce sont les femmes et les hommes organisés, pas seulement les élues et élus qui siègent dans ce Parlement, mais toutes celles et tous ceux qui contribuent à faire avancer la Région, par leurs idées, leur travail, leurs contributions. Ce 21 novembre 2015, au Collège régional de Prospective de Wallonie, Etienne Denoël indiquait qu’en réformant l’enseignement de la Communauté française pour le rendre plus performant, on pouvait accroître le PIB de 0,9 %. Ainsi, selon le consultant de chez McKinsey, grâce à l’éducation, la Wallonie pourrait rejoindre la trajectoire de la Flandre en 50 ans… Cette idée m’est insupportable. D’abord parce que, évidemment, rejoindre la trajectoire de la Flandre n’est pas davantage une fin en soi pour la Wallonie que de vouloir sauver la Belgique à tout prix. Ensuite parce que, même si nous sommes tous d’accord pour dire que l’investissement dans l’enseignement est urgent, nous ne pouvons pas attendre de sacrifier à nouveau deux générations pour faire de la Wallonie une région prospère. Enfin, parce que je ne peux imaginer qu’on ne réforme pas plus rapidement nos institutions en charge de l’enseignement, de la culture, de la recherche et de l’audiovisuel, non seulement en les transférant aux régions, mais aussi en transformant complètement leur cadre budgétaire. En 1989, Philippe Maystadt indiquait que l’autonomie financière accrue constituait le vecteur d’une confiance renforcée qui repose sur la conviction de voir se former en Wallonie une capacité de gestion publique qui allie la rigueur à l’imagination [29]. La rigueur, c’est évidemment le retour rapide à l’équilibre budgétaire qui est la meilleure garantie de pérennisation et de confiance dans les institutions ; l’imagination, c’est la transformation complète de la manière d’appréhender les recettes et surtout les dépenses. L’autonomie fiscale, chère à Thierry Bodson, implique la confrontation régulière des dépenses à des objectifs et des finalités claires en matière de gestion publique. Reconnaissons qu’en Wallonie, ce mécanisme n’existe pas. Sans vision, nous favorisons les discours et les actes de tous ceux qui font leur lit de notre incapacité à construire un horizon commun. Sans vision partagée et lucide de ce que nous voulons faire de cette société, nous ne saurions affecter des moyens à des politiques qui ont du sens. Et ce qu’on dit du budget, on peut également le dire de la fonction publique, domaine où le chantier est considérable pour un gouvernement volontariste.

Conclusion : le contraire de l’autonomie, c’est la dépendance

Le contraire de l’autonomie, c’est la dépendance, la subordination, la tutelle, ces enfers auxquels le Mouvement wallon – et en premier lieu Wallonie libre, en 1940 – s’est toujours efforcé d’échapper.

L’autonomie, ce n’est donc pas seulement de l’ingénierie institutionnelle même si celle-ci reste importante – on sait que je promeus un fédéralisme à quatre régions.

François Perin déclarait au journal Le Monde le 23-24 mai 1971, concernant les résultats de la réforme institutionnelle de 1971 : un simple texte ne peut jamais calmer une anxiété quelconque. Or le problème de la reconversion industrielle wallonne et le problème de l’aménagement du territoire, de la liquidation de ce qui est vieux et inutilisable et de son remplacement par des industries plus modernes n’est pas résolu par quelques lignes dans la Constitution belge […] [30].

Faut-il rappeler que ces questions ne sont toujours pas résolues aujourd’hui ? Nous ne pourrons le faire qu’en étant pragmatiques, c’est-à-dire en se posant les questions pertinentes et en se saisissant concrètement des problèmes, sans a priori idéologiques, mais en prenant en compte le bien commun.

A l’heure où, à nouveau au côté de la France – qui vient de subir de lâches et méprisables attentats terroristes –, et aussi avec d’autres alliés, nous faisons face à de redoutables destructeurs de nos valeurs communes, je vous redis mon attachement à ce qui nous unit et réunit : plus de démocratie et un meilleur développement.

Wallonie libre et l’Institut Destrée ont, je l’ai rappelé, des fondateurs qui leur sont communs. Le 23 décembre 1998, devant le cercueil de la dernière d’entre eux, l’ancienne Préfète Aimée Lemaire, épouse de Maurice Bologne, j’ai fait le serment de ne pas rompre avec l’image qu’elle nous a laissée, ni avec la volonté wallonne qui fut la sienne. J’ai fait la promesse de nous impliquer dans la construction d’une société de l’intelligence, une Wallonie de l’humanisme, un monde de respect. Quel meilleur endroit pour s’en souvenir que ce Parlement de Wallonie ? Quel meilleur moment que cet anniversaire de notre entrée en Résistance ?

Je vous remercie.

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Ce texte constitue la mise au net de mes notes du discours prononcé le 21 novembre 2015 au Parlement de Wallonie à l’occasion du 75ème anniversaire du mouvement Wallonie libre et du 70ème anniversaire du Congrès national wallon de 1945.

[2] Voir Paul DELFORGE, L’Assemblée wallonne 1912-1923, Premier Parlement de Wallonie ?, Charleroi, Institut Destrée, 2013.

[3] VINDEX (= Maurice BOLOGNE), Wallons toujours, dans La Wallonie libre, n°[1], s.d. [août 1940], p. 1.

[4] Conseil régional wallon, Compte rendu, Séance du 9 février 1994, p. 6. – Paul PIRET, Dehousse secoue le cocotier PS, dans Vers l’Avenir, 10 février 1994.

[5] Maurice LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 101, Paris, PuF, 1976.

[6] Alain REY dir., Dictionnaire historique de la langue française, t.1, p. 264, Paris, Le Robert, 2006.

[7] Maurice LACHATRE, Nouveau dictionnaire universel, t. 1, p. 448, Paris, Docks de la Librairie, 1865-1870.

[8] Voir notamment : Freddy JORIS, Les Wallons et la réforme de l’Etat, Charleroi, Institut Destrée, 1995. – Paul DELFORGE, Un siècle de projets fédéralistes pour la Wallonie, Charleroi, Institut Destrée, 2005. – Philippe DESTATTE, L’identité wallonne, Essai sur l’affirmation politique de la Wallonie, XIX-XXème siècles, Charleroi, Institut Destrée, 1997.

[9] Julien DELAITE, Etude d’un régime séparatiste en Belgique, Rapport présenté au congrès wallon de Liège, p. 10-11, Liège, M. Thone, 1912.

[10] Alexander HAMILTON, The Federalist Papers, https://www.congress.gov/resources/display/content/The+Federalist+Papers. – Ron CHERNOW, Alexander Hamilton, NY, Penguin Press, 2004. – Morton J. FRISCH, Alexander Hamilton and the Political Order, NY-London, University Press of America, 1991.

[11] James BRYCE, The American Commonwealth, London, MacMillan, 1888, 1927 ; Philadelphia, John D. Morris & Cie, 1906.

https://archive.org/stream/americancoma00bryc#page/n9/mode/2up

[12] Fernand DEHOUSSE, Congrès national wallon, 20 octobre 1945, p. 43, Liège, Éditions du Congrès national wallon, 1945.

[13] Georges TRUFFAUT et Fernand DEHOUSSE, L’État fédéral en Belgique, Liège, Éditions de l’Action wallonne, 1938. Reproduction anastatique, Charleroi, Institut Destrée, 2002.

[14] Olivier BEAUD, Souveraineté, dans Philippe RAYNAUD et Stéphane RIALS, Dictionnaire de philosophie politique, p. 625-633, Paris, PuF, 1996.

[15] D’autant que, chez les Anglo-Saxons, l’idée de souveraineté est restée très absolue. Ainsi, Alan Renwick et Ian Swinburn la qualifient de pouvoir suprême : Sovereignty is supreme power. It resides in that body which has the ultimate decision-making power. A. RENWICK & I. SWUNBURN, Basic Political Concepts, p. 153, London-Sydney, Hutchinson, 1980.

[16] Jean-Maurice DEHOUSSE, Discours du premier mai 1985 à Ciney, dactylographié. – J.-M. Dehousse, au meeting du 1er mai à Liège : “La nécessité de notre liberté wallonne”, dans La Wallonie, 2 mai 1985, p. 6.

[17] CONSEIL REGIONAL WALLON, Compte rendu, Séance du 23 novembre 1993, p. 5.

[18] Huitième congrès de la Concentration wallonne, Tournai, 21 novembre 1937, Compte rendu officiel, p. 39, Courcelles, Office central de Propagande, s.d. – Le Huitième congrès de la Concentration wallonne, dans L’Action wallonne, 15 décembre 1937, p. 4.

[19] Même si, comme l’écrivait Jean-Marc Ferry, on peut revendiquer la souveraineté politique sans affirmer une identité nationale, et inversement l’affirmation de l’identité nationale peut trouver d’autres expressions que la souveraineté politique. Jean-Marc FERRY, Les puissances de l’expérience, t. 2, p. 182, Paris, Éditions du Cerf, 1991.

[20] Accueil par M. André Antoine, Président du Parlement de Wallonie, en attente de publication, 2016.

[21] FHMW, Fonds Jean Marcy, PSB, Commission des Affaires wallonnes, Étude du fédé­ralisme. – COMMISSION DES AFFAIRES WALLONNES DE LA FEDERATION LIE­GEOISE DU PSB, Projet d’instauration du fédéralisme en Belgique, p. 47, Liège, Société d’Impression et d’Edition, s.d. – Réédition en 1961 : PSB, Le fédéralisme, Ce qu’en pensait la Fédération lié­geoise du PSB dès 1945, Liège, Biblio, 1961. La Commission était composée de Fernand Dehousse, Jean Marcy, Léon-Eli Troclet, Paul Gruselin, Jean Leemans, Jules Lemaire et Simon Paque.

[22] voir Ph. DESTATTE dir., La Wallonie, une région en Europe, p. 382-392, Charleroi, Institut Destrée, 1997.

[23] Emmanuel KANT, Fondation de la métaphysique des mœurs, p. 117, Paris, Garnier Flammarion, 1994.

[24] Annales parlementaires, Sénat, 18 juin 1970, p. 2012.

[25] Le dictionnaire de philosophie politique de Raynaud et Rials ne s’y est pas trompé qui renvoie l’entrée “Autonomie” à l’entrée “Liberté (liberté et autonomie)“, rédigée par Alain RENAUT, op. cit., p. 47 et 345sv.

[26] Appel pour un contrat sociétal wallon, Namur, Collège régional de Prospective de Wallonie, 2 mars 2011, publié dans La Libre Belgique, 4 mars 2011. http://www.college-prospective-wallonie.org/Appel_Contrat-societal.htmPrincipes destinés à guider l’élaboration et la mise en œuvre de la prochaine déclaration de Politique régionale de Wallonie, Namur, Collège régional de Prospective de Wallonie, 27 mai 2014. http://www.college-prospective-wallonie.org/Principes_DPR-2014.htm

[27] Ph. DESTATTE, Wallonie 2030, Quelles seraient les bases d’un contrat sociétal pour une Wallonie renouvelée, Rapport général du congrès du 25 mars 2011.

Cliquer pour accéder à Philippe-Destatte_Wallonie2030_Rapport-General_2011-03-25_Final_ter.pdf

[28] Joseph PAGANO, Keynes, Université de Mons, 20 novembre 2015.

[29] Aspects financiers du fédéralisme, Le cas de la Région wallonne, p. 99, Namur, Ministère de la Région wallonne, Budget et Finances, Décembre 1989.

[30] Le Monde, le 23-24 mai 1971, p.10.

Namur, le 15 septembre 2015

Ce sont l’intérêt de l’analyse des régions européennes que sont l’Andalousie, le Pays de Galles, la Bretagne et la Wallonie, la problématique majeure de la vision partagée qui peut sous-tendre l’avenir de ces régions, ainsi que les enjeux de gouvernance et de leadership politiques, qui ont permis de réunir une centaine d’acteurs et de chercheurs au Palais des Congrès de Namur ce 11 septembre 2015 ! La qualité de ces ténors de la Science politique que sont Alistair Cole, Ian Stafford, Romain Pasquier et Christian de Visscher a constitué un facteur majeur d’attractivité. Avec le Président André Antoine, l’économiste Roland Gillet, ainsi que les différents intervenants, ils ont permis le succès de cette fructueuse journée. Celle-ci a également été rendue possible grâce au soutien de la Fondation Leverhulme, à l’implication des universités de Cardiff et de Louvain, et aux qualités organisatrices des collaboratrices et collaborateurs de l’Institut Destrée : Marie Dewez, surtout, mais aussi Jonathan Collin et Marie-Anne Delahaut.

L’objectif de cette intervention n’est évidemment pas de refaire une deuxième synthèse des travaux après celle qui a été brillamment réalisée par Christian de Visscher. Mon positionnement sera celui d’un rebond, qui se voudra questionnement et ouverture, davantage, bien entendu, que conclusion. Après l’analyse plus objective et plus froide du professeur de Science politique, mon regard sera moins comparatif, plus prospectif, davantage normatif assurément.

Lors de cette journée très riche, j’ai nourri trois questions, trois enjeux qui me paraissent déterminants pour la Wallonie :

– comment assumer la responsabilité collective du développement régional ?

– comment réactiver le redressement de la Wallonie ?

– comment donner davantage de cohérence institutionnelle à notre région ?

1. Comment assumer la responsabilité collective du développement régional ?

Les acteurs wallons n’endossent pas la responsabilité collective qui est la leur dans le redressement de la Wallonie. Pourtant, cette question me paraît essentielle, notamment en termes d’évaluation des politiques publiques. N’accepterait-on pas le principe d’une évaluation plus franche et plus sincère si on considérait que les politiques menées ne sont pas de la seule responsabilité des élus mais aussi de celle de tous les acteurs qui y sont impliqués ? Lors de la première table ronde, ce 11 septembre, le chef de groupe socialiste au Parlement wallon, le député Christophe Collignon, rappelait justement que la Wallonie est à un tournant de son développement, qu’il fallait accélérer la stratégie de reconversion mais que le monde politique n’était pas le seul à devoir s’investir.

On l’a peu rappelé mais c’est en ce sens que le concept de gouvernance est opératoire. En tant que processus par lequel une organisation ou une société se conduit elle-même, l’idée même de la gouvernance est particulièrement adéquate dans le contexte de l’implication des acteurs à l’occasion de la mise en œuvre d’une stratégie. Le politologue canadien Steven Rosell, auteur de cette définition en 1992, ajoutait que les dynamiques de commu­nication et de contrôle sont centrales dans ce processus 1. Précisons d’emblée que cette approche ne déresponsabilise en aucun cas les élus qui restent les seuls détenteurs, avec les fonctionnaires délégués, de la légitimité démocratique. Mais la gouvernance telle que décrite n’est pas encore établie, ainsi que l’a souligné le président du Parlement wallon dans son discours d’ouverture. Cette dynamique induit une tout autre approche que celle évoquée par le Délégué spécial du Gouvernement wallon, Alain Vaessen, lorsqu’il donnait en exemple, lors de la deuxième table ronde, le Plan wallon de Lutte contre la Pauvreté. Évidemment qu’on ne peut que se réjouir de voir un tel enjeu présenté et pris en charge par la totalité du Gouvernement sous la houlette du Président Paul Magnette. Nous admettons que visuellement cette réunion de tous les ministres est symbolique de transversalité et de mise en œuvre collective. Nous comprenons bien l’intérêt des concertations qui ont eu lieu en amont avec des acteurs concernés. Mais admettons aussi, que si le Plan wallon de Lutte contre la Pauvreté avait été co-construit par tous ces acteurs – l’Administration, les associations, les réseaux, les entreprises, les organisations syndicales, etc. – et qu’au lieu d’être présenté par huit ministres, il avait été présenté conjointement par le gouvernement et 50 ou 100 acteurs décidés à porter le changement, non seulement la responsabilité de ces acteurs à le réussir aurait été plus grande, mais les conditions de sa réussite auraient été plus réelles et l’évaluation de sa mise en œuvre plus objective, car moins risquée et moins culpabilisante pour les élus. Je n’oublie pas non plus que, la dernière fois qu’un ministre-président wallon a réellement tenté de mettre en place un dispositif de gouvernance aussi ouvert, c’était Elio Di Rupo en 1999, à l’occasion du premier Contrat d’Avenir lancé par le Gouvernement Arc-en-Ciel. Il faut reconnaître que, à de rares exceptions comme Inter-Environnement Wallonie ou l’Institut Destrée, les acteurs, suspicieux et peu conscients des enjeux de la participation, n’avaient guère été au rendez-vous.

La clef de ce mécanisme de gouvernance, c’est la contractualisation, c’est-à-dire l’engagement réciproque et formalisé des obligations que chacun prend pour atteindre l’objectif défini en commun. Il s’agit évidemment d’une logique de concertation et de convergence entre les acteurs, comme l’a préconisée Jean-Pierre Dawance au nom du Conseil économique et social de Wallonie. Mais il s’agit aussi de plus que cela : être ensemble au feu, dans la tranchée, et s’élancer ensemble vers les périls demandent bien davantage qu’une consultation, bien plus qu’une concertation. Ce mouvement exige confiance, respect et conviction. Cette dynamique implique des objectifs et des valeurs communs, donc une vision commune d’un avenir dans lequel on s’inscrit ensemble. Il s’agit de bien plus que de modalités de gouvernance, il s’agit de finalités.

Ne soyons pas nous-mêmes dupes. En termes de gouvernance, l’écart entre ce modèle et celui qui se pratique aujourd’hui en Wallonie est aussi important que la différence qui existe entre le jour et la nuit.

2. Comment réactiver le redressement de la Wallonie ?

Il existe des voix qu’on n’entend guère, ou qu’on ne veut pas entendre. Dès 2002, à l’occasion d’une présentation du mécanisme du Contrat d’Avenir pour la Wallonie au congrès annuel de l’Association française des Contrôleurs de Gestion (AFIGES), Serge Roland, auditeur à la Cour des Comptes, et moi-même, avions mis en évidence la faiblesse des moyens budgétaires dédiés à ce plan stratégique, comparée à l’ampleur de ses ambitions. Nous avions souligné alors que, avec moins de 5 % des budgets, le Contrat d’Avenir jouait sur les marges et n’atteignait pas la masse critique nécessaire pour obtenir des résultats tangibles [2]. Je me souviens avoir été invité à présenter cette analyse devant un groupe politique du Parlement wallon. Nous avons tenu ce même discours pour le Plan prioritaire wallon dit Plan Marshall. A l’occasion de l’annonce de la nouvelle version du Plan Marshall, près de dix ans après la première mouture et plus de 15 ans après le Contrat d’Avenir pour la Wallonie, le journal L’Echo a interrogé plusieurs acteurs majeurs – c’était le 21 mai dernier. Cette interview semble être passée quasi inaperçue et n’avoir pas été suivie d’effets. Pourtant, Martine Lefèvre, responsable du programme d’évaluation du Plan Marshall 2.vert à l’IWEPS y confirmait que le budget de cet instrument stratégique n’avait représenté que 4,7 % du budget total de la Région, concluant qu’il s’agissait d’un poids relatif par rapport à la masse globale. Giuseppe Pagano, interrogé lui aussi à cette occasion, déclarait que les montants mobilisés étaient insuffisants et, en tout cas, trop faibles pour avoir un impact sur le PIB, le budget Marshall représentant entre 0,5 et 0,8 % du PIB wallon par an. Didier Paquot, directeur du Département Économie de l’Union wallonne des Entreprises, estimait quant à lui que la question ne résidait pas dans un problème de volume budgétaire mais plutôt de l’efficacité de son affectation [3].

En fait, au moins quatre pistes de réponses ont été évoquées ce 11 septembre pour réactiver le redressement de la Wallonie.

2.1. Des mythes qui sont des freins à l’entrepreneuriat

La première piste part de l’idée, rappelée par le Professeur Pagano, que 30 à 40 ans de déclin ont laissé des traces économiques mais aussi et surtout mentales profondes sur la société wallonne. Ces stigmates, dont on a probablement sous-estimé les effets, ont affecté la culture de la Région. Il s’agit probablement de cette vieille culture industrielle – culture sociale-démocrate pour reprendre la catégorisation utilisée par Alistair Cole et par Christian de Visscher – culture du salarié en grande entreprise, qui cadenasse le développement de l’entrepreneuriat si nécessaire au redéploiement. Cette culture est alimentée par la déconnexion institutionnelle entre la Région wallonne et la Communauté française, par l’absence de projet culturel lié au projet économique comme l’a souvent souligné et dénoncé le très regretté Jean Louvet, par le manque d’intérêt des médias francophones localisés à Bruxelles pour l’avenir de la Wallonie. La barrière mentale que représente le passage à un modèle différent, c’est-à-dire la réalisation d’une transition culturelle, apparaît insurmontable en Wallonie et particulièrement dans les territoires les plus affectés par la désindustrialisation. Dans le Cœur du Hainaut, nous n’avons cessé d’entendre le président du Conseil de Développement, François Goudaillez, le dénoncer. Mais Charleroi, la Basse-Sambre et, dans une moindre mesure, le bassin liégeois sont aussi atteints. Et si Jean-Pierre Dawance appelait justement aux convergences entre les interlocuteurs sociaux et le Gouvernement wallon sur les stratégies de redressement, il faut néanmoins relever que le rôle des organisations syndicales est souvent ambigu quant il s’agit de s’atteler au redéploiement de la Wallonie. Personne ne peut nier qu’elles ont joué un rôle historique dans la prise de conscience du déclin wallon, comme d’ailleurs dans la recherche d’une autonomie régionale accrue pour que la Région puisse prendre son destin en main. Mais, aujourd’hui, nous avons souvent l’impression que ces organisations restent en retrait, que leur implication semble très mesurée, et que, souvent, elles contribuent à maintenir des mythes qui sont autant de freins à la rénovation de la Wallonie. Je ne doute pas que ces propos en agaceront quelques-uns. Je n’ignore pas non plus que si des organisations semblent rester au balcon, certaines sont à des étages plus élevés que d’autres.

2.2. Des coûts salariaux trop élevés et une valeur ajoutée insuffisante

La deuxième piste évoquée pour réactiver le redressement de la Wallonie est centrale. Giuseppe Pagano en a rappelé fort opportunément l’équation : à la fois des coûts salariaux trop élevés et une insuffisance de la valeur ajoutée générée. Concernant le premier handicap, le Tax shift wallon – évoqué à la fois par le Président André Antoine et par l’économiste du SPW Laurent Bosquillon – peut, en complément des effets bénéfiques des réformes fiscales fédérales, répondre, au moins partiellement, à cet enjeu. Dans le cadre de son redéploiement économique, la Wallonie a en effet tout intérêt, à l’instar du Fédéral ou comme l’envisage la Région bruxelloise, à envisager une réforme de sa fiscalité afin de soutenir le pouvoir d’achat de ses citoyens et de ses entreprises. La Région wallonne dispose en effet de différents outils pour, d’une part, procéder à une redistribution des richesses en demandant aux plus riches de contribuer au financement des politiques régionales en appliquant des taux progressifs selon les tranches d’impôts payés à l’impôt des personnes physiques, et, d’autre part, pour générer de nouvelles recettes lui permettant de retrouver le plus rapidement possible l’équilibre budgétaire afin de réduire le recours à l’emprunt et de dégager ainsi de nouvelles marges budgétaires qui serviront à financer des politiques de redéploiement économique.

La faiblesse de la valeur ajoutée adresse bien entendu la question de l’éducation : formation et enseignement. Cet enjeu, inscrit dans le nouveau Plan prioritaire wallon tout comme dans le Pacte d’Excellence de la Ministre de l’Éducation de la Communauté française, fait l’objet de toute l’attention de nombreux acteurs. L’Institut Destrée l’a mis au centre de ses préoccupations depuis La Wallonie au futur en 1988, a continué à y travailler dans Wallonie 2020 et a rouvert sa Fabrique de prospective sur l’enseignement obligatoire dans le cadre de Wallonie 2030 et des réflexions du Collège régional de Prospective de Wallonie. Celui-ci, le 5 septembre dernier, lors de son dernier séminaire, a écouté Bernard Delvaux (UCL-GIRSEF), invité à présenter ses scénarios pour « une tout autre école » [4]. D’autres experts sont programmés pour approfondir cette réflexion dans les mois à venir. Cette question, en particulier celle de l’enseignement technique et professionnel, ainsi que celle de la mise en œuvre des modèles de formation en alternance, sont probablement les plus importantes que la Wallonie ait à traiter. Le malheur, c’est qu’elles sont à la fois centrales et enlisées depuis plus de 30 ans.

2.3. Un cadre stratégique qui n’est pas à la mesure des enjeux

La troisième piste pour réactiver le redressement de la Wallonie est celle du cadre stratégique. C’est vrai, comme l’a indiqué Christian de Visscher, que l’on peut contester mon utilisation de cette formule de Jules Destrée datant de plus d’un siècle : qui donc éveillera la Wallonie qui dort ? J’ai rappelé ce 11 septembre matin qu’ils étaient plusieurs à tenter de réveiller la belle cendrillon wallonne : Paul Magnette, à la tête du Gouvernement, André Antoine à la présidence du Parlement, qui s’attache à rendre vigueur à la démocratie wallonne, mais aussi Pierre-Yves Jeholet, Jean-Luc Crucke et Stéphane Hazée depuis les bancs de l’opposition, Sylvie Marique au Secrétariat général du SPW, Marc Becker au Conseil économique et social, maintenant Yves Petre à l’Union wallonne des Entreprises, et quelques autres, trop rares, évidemment. Si on peut contester l’idée que la Wallonie sommeille, on peut difficilement nier que, si l’indice du PIB par habitant de la Région, à prix courants, comparé à la moyenne belge ou à la moyenne européenne, de 1995 à 2013, était un encéphalogramme, on dirait qu’il est plat. Flat line, comme on dit à Cardiff : activité cérébrale végétative, gouvernance de ses fonctions vitales éteinte ou en voie d’extinction. La question que nous nous sommes posée en fait lors de cette journée d’étude namuroise est de savoir si quelques neurones actifs et dynamiques – j’en ai cité quelques-uns – sont suffisants pour remettre en route un corps vieillissant, affaibli par des crises multiples et atteint par la nouvelle épidémie qui a frappé le monde occidental en 2007-2008. Si, comme d’autres, je tenais jusqu’en novembre 2014 le discours qui consistait à dire que la Wallonie résistait mieux que d’autres régions à la crise, l’exposé que Bernard Keppenne a présenté au Forum financier à Tournai à ce moment m’a fait perdre cette illusion. Le Chief Economist de CBC était pourtant celui qui avait, les années précédentes, contribué à faire passer cette idée en Flandre comme en Wallonie [5]. En fait, le taux de croissance du PIB wallon, qui avait été de 2,1% de 2000 à 2007, c’est-à-dire dans la moyenne belge et un peu moindre de celui de la Flandre, est passé à 0,7% de 2007 à 2013. Pendant cette dernière période marquée par la crise mondiale, la Flandre se maintenait à 1% de croissance et la Belgique à 0,8 % [6].

Ce que chacun ressent aujourd’hui, c’est que le cadre stratégique de la Wallonie n’est pas à la mesure des enjeux qui nous interpellent. A l’instar de ce que l’on fait pour les pouvoirs locaux – Laurent Bosquillon l’a rappelé –, il s’agit aujourd’hui d’étendre le Plan dit Marshall à l’ensemble des politiques régionales. Si, selon l’IWEPS, le Plan prioritaire wallon représentait 4,7 % du budget annuel dans l’ancienne législature, notons que, compte tenu du passage du budget wallon d’environ 8 à plus ou moins 14 milliards d’euros suite à la nouvelle réforme de l’État, il ne représente plus désormais qu’aux alentours de la moitié de ce pourcentage. De surcroît, et c’est là mon propos, nous devons nous intéresser aux 95,3 % qui ne sont pas dans la stratégie régionale. Il faut donc inverser l’équation et construire une stratégie qui intègre la quasi-totalité du budget régional. Je ne dis donc pas qu’il faut augmenter le budget de la région, je dis que tout le budget, toutes les politiques, toutes les structures, tous les instruments, toutes les mesures, doivent être interrogés à l’aune de la stratégie de redéploiement et intégrés dans cette stratégie : actions, salaires, infrastructures, etc. Toutes les politiques, toutes les dépenses.

En 2002, nous écrivions, Serge Roland et moi-même, ces quelques phrases, dans le texte que j’ai déjà cité :

D’une part, si le Contrat d’avenir avait représenté l’engagement réciproque entre les acteurs et le gouvernement, on aurait pu imaginer que la Région wallonne joue un effet de levier par rapport aux acteurs impliqués, chacun affectant une partie de ressources aux initiatives nouvelles définies en commun, comme c’est le cas pour les Fonds structurels européens. Cette démarche aurait pu – ou pourrait – s’appliquer à l’ensemble des institutions qui reçoivent des moyens financiers de la Région : organismes d’intérêt public, pouvoirs locaux, Conseil économique et social de la Région wallonne, institutions privées (UWE, Inter-Environnement Wallonie, etc.) et même la Communauté française. D’autre part, après avoir défini ses axes stratégiques avec les acteurs, le gouvernement wallon aurait pu faire de cette bible l’outil majeur de réaffectation de l’ensemble des moyens dont il dispose et qu’il utilise directement : une véritable table rase des différents postes budgétaires avant d’affecter les moyens, bien évidemment, par ordre de priorité [7].

Cette politique, telle qu’elle est préconisée n’est pas une sanction contre le gouvernement. Il s’agit, au contraire, d’un appel à toutes les forces wallonnes pour soutenir l’action du gouvernement.

2.4. Un déséquilibre d’activités non durable

Enfin, les échanges de ce 11 septembre 2015 ont, à nouveau, permis d’évoquer une question qui peut paraître idéologique mais qui, en fait, ne l’est pas fondamentalement. Si on voit bien que l’on trouve chez les économistes des conceptions philosophico-politiques différentes, des nuances dans les finalités des sociétés humaines, il faut pouvoir reconnaître qu’il existe des équilibres sans lesquels des systèmes ne peuvent assurer ce que le rapport Brundtland appelle l’harmonie. On peut discuter sans fin – et on a commencé à le faire – sur l’importance du poids de la fonction publique, ainsi que sur l’élément de stabilisation que celle-ci peut constituer en temps de crise. Il n’en reste pas moins que depuis le début des années 1990, notamment grâce à l’équipe d’Albert Schleiper dans le cadre des travaux de La Wallonie au futur, nous avons relevé l’importance d’un équilibre entre la sphère marchande productive et la sphère marchande non-productive [8]. D’autres, notamment l’Union wallonne des Entreprises, se sont également saisis de cette question. Le déficit persistant de plus de 80.000 emplois dans la première sphère est une question de durabilité pour la société wallonne. Il s’agit d’une question d’autant plus importante qu’elle se situe dans un cadre régional contraint par une dette publique wallonne totale (budget et hors budget) de 19,906 milliards d’euros annoncée au 31 décembre 2015, c’est-à-dire aujourd’hui [9]. Lorsque Roland Gillet parlait des cauchemars qui, parfois, se substituent aux rêves, il évoquait des situations qui, ailleurs, peuvent y ressembler…

3. Comment donner davantage de cohérence institutionnelle à la Wallonie ?

La dernière question que j’ai nourrie portait sur la cohérence institutionnelle à donner à la Wallonie. L’approche comparatiste nous y invitait, notamment l’analyse du degré d’autonomie de chaque région (Regional Authority Index). L’exposé de Romain Pasquier sur la Bretagne nous a livré des enjeux qui ne sont pas éloignés de ceux que nous connaissons en Wallonie sous cet aspect-là.

D’emblée, d’ailleurs, la Députée Virginie Defrang-Firket a mis en évidence des questions d’efficience et de lisibilité qui interrogent nos institutions communautaires, régionales, infra-régionales.

Avec Jean-Michel Javaux et Christophe Schoune, ce sont les lieux de territorialisation des politiques publiques mais aussi de démocratie délibérative que sont les bassins de vie qui ont été appréhendés. Il faut, c’est admis, des espaces de réflexion et d’action entre les communes et le niveau régional. Plusieurs de nos colloques et journées d’études précédents s’en sont saisis. La Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne y réfléchit régulièrement depuis bientôt dix ans, en nourrissant les réflexions sur le futur SDER. Derrière ces questions, se cachent aussi celles de la vision et de la cohésion territoriale de la Wallonie. Cela a été peu dit mais c’est une interrogation essentielle. Y a-t-il de la place en Wallonie pour un leadership qui s’exerce de Comines à Welkenraedt et de Wavre à Arlon ? Est-on légitime pour activer Liège quand on est Hennuyer ? Peut-on dire à Mons et à Charleroi ce qu’ils doivent faire quand on est Liégeois ? J’aimerais en être sûr.

Et puis, lors d’une intervention remarquée, Georges-Henry Simonis a évoqué une vraie question de science politique qu’on ne saurait ignorer, sauf à faire l’autruche : l’avenir de l’État belge. La question de la réalité du mouvement de réunion de la Wallonie à la France avait été posée par le Professeur Alistair Cole quelques heures à peine après son arrivée à Namur. Cette question n’est ni hors sujet, ni aberrante. Elle fait partie du paysage prospectif de la Wallonie et, comme l’a souligné le représentant de l’Alliance Wallonie-France, elle concurrence, en cas d’implosion de la Belgique, celle de l’indépendance de la Wallonie, celle de la Belgique résiduelle ou de toute autre formule que l’on pourrait concevoir. Il est vrai que si l’on se pose la question pour le Pays de Galles confronté aux scénarios écossais, il n’existe pas de raison pour lesquelles on ne poserait pas la question pour la Wallonie. Les risques d’être larguée sont plus grands pour la Wallonie que pour sa cousine d’origine celte. Depuis longtemps, je considère que cette problématique relèvera du Parlement wallon quand elle deviendra brûlante.

 

Conclusion : être libre en obéissant à la loi qu’on s’est donnée

La riche réflexion qui a été menée avec les chercheurs et acteurs régionaux européens, avec des éclairages particuliers sur la Bretagne, le Pays de Galles et surtout la Wallonie, a amené des questions qui mériteront des développements ultérieurs. Je pense notamment aux dimensions éthiques de l’action publique et à la nature de la démocratie que l’on veut activer.

Personnellement j’ai été très attentif et très sensible à ce que l’économiste Giuseppe Pagano a dit de l’urgence du redéploiement wallon mais surtout du devoir moral collectif de réduire le niveau de chômage à des niveaux acceptables. Souvenons-nous qu’en 1950, André Renard ne s’était rallié au fédéralisme que pour autant qu’on bannisse le chômage de la Wallonie qu’on se promettait de construire… J’avais moi-même, au moment des fêtes de Wallonie 2014, rappelé que nous ne pouvions pas, de dix ans en dix ans, annoncer aux jeunes que nous allions sortir du tunnel et les laisser dans la pénombre génération après génération. Si nous considérons, comme cela a été constaté dans l’interview de L’Echo du 21 mai 2015, que le Plan Marshall n’a pas d’effet suffisant sur le développement socio-économique de la Wallonie, il est moralement et politiquement urgent de reconstruire une nouvelle stratégie pour amplifier celle qui a été amorcée voici dix ans (le Plan prioritaire wallon), 15 ans (le Contrat d’Avenir pour la Wallonie), voire davantage (la Déclaration de politique régionale complémentaire de 1997). Il s’agit, bien entendu, d’une question de confiance du citoyen envers ses institutions. La majorité gouvernementale wallonne l’avait bien compris qui avait fait de la confiance le maître-mot de sa DPR en 2014.

En citant la typologie des politiques publiques face à la crise, élaborée par Jennifer Wallace & alii – rethinking, reforming, restructuring, retrenching [10] – Ian Stafford nous a rappelé la nature différente de ces stratégies telles qu’elles ont été menées dans le Pays de Galles. Certes, les coupes budgétaires sont souvent indispensables pour faire face, dans l’immédiateté, aux déficits publics. Mais seules les politiques qui réinterrogent le système, celles qu’on qualifie de politique en double boucle, constituent des changements structurels et donc les véritables bénéfices de la crise. Ces transformations doivent être préparées et co-construites de manière collective, ce qui demande une véritable ingénierie que Christophe Schoune a rappelée. On oublie aujourd’hui que nous avions été très loin dans ce dialogue entre élus et société civile dans des dynamiques comme La Wallonie au futur, sa conférence-consensus de 1994 ou encore lors des travaux de prospective citoyenne de Wallonie 2020, pour ne se référer qu’aux exercices dont l’Institut Destrée a été porteur. Mais nous ne pouvions réaliser ces travaux que parce que les élus étaient eux aussi conscients de l’importance de l’écoute, du respect des acteurs. Leur propre investissement savait aussi se situer en amont du dialogue, en mobilisant leurs collaborateurs pour être présents dans des ateliers ou en siégeant eux-mêmes, parfois des heures durant, parmi les participants à une réflexion.

Le dialogue avec les citoyennes et les citoyens, comme du reste avec les entreprises et les fonctionnaires, est à ce prix. Notons d’ailleurs que, ce 11 septembre, le représentant du SPW dans la première table ronde a salué le fait que le Parlement prenait des initiatives novatrices et salutaires pour reconnaître l’Administration comme acteur à part entière.

Permettez-moi de conclure par une citation qui illustre bien cet espoir d’une démocratie renouvelée par l’implication citoyenne de la nouvelle gouvernance politique :

Quand les lois peuvent infléchir la vie socio-économique, quand elle est soumise aux délibérations des citoyens, à travers l’État ou à côté de lui, on peut à nouveau être libre en obéissant à la loi qu’on s’est donnée.

A-t-elle été écrite par Montesquieu ?

Est-elle de Rousseau ?

Est-ce Condorcet ?

Ou plutôt Tocqueville ?

Que nenni. Ce texte est de la plume de Paul Magnette, Maître de conférences à l’Université de Bruxelles. Elle est tirée de son ouvrage intitulé La citoyenneté, Une histoire de l’idée de participation civique, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 261.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

Sur le même sujet :

L’économie wallonne : les voies d’une transformation accélérée (24 juin 2015)

Cinq enjeux majeurs pour la législature wallonne (16 septembre 2014)

Les conditions d’un redéploiement de la Wallonie (16 février 2014)

[1] Steven A. ROSELL e.a., Governing in an Information Society, p. 21, Montréal, Institute for Research on Public Policy, 1992. – Philippe DESTATTE dir., Évaluation, prospective et développement régional, p. 10sv, Charleroi, Institut Destrée, 2001. – Ph. DESTATTE, Retour sur un concept incompris : la gouvernance, Namur, Institut Destrée, 24 avril 2009. http://www.institut-destree.org/files/files/IDI_Education-permanente/2009/EP03_Philippe-Destatte_Retour_sur_un_concept_incompris_la_gouvernance_2009-04-24.pdf

[2] Philippe DESTATTE et Serge ROLAND, Le Contrat d’avenir pour la Wallonie, Un essai de contractualisation pour une nouvelle gouvernance régionale (1999-2001), Working Paper, p. 55-56, Namur, Institut Destrée, 2002.

[3] François-Xavier LEFEVRE, “La Wallonie a encore besoin de 20 ans pour revenir dans la moyenne belge”, dans L’Echo, 21 mai 2015.

[4] Bernard DELVAUX, Une tout autre école, Louvain-la-Neuve, GIRSEF-UCL, 2015.

[5] Bernard KEPPENNE, Une Wallonie en pleine relance ?, Tournai, Forum financier de la BNB, 20 novembre 2014.

[6] Florence HENNART, Evolution de l’économie régionale et enjeux, Exposé au Collège régional de Prospective de Wallonie, Namur, 5 septembre 2013. Données BfP / IWEPS

[7] Philippe DESTATTE et Serge ROLAND, Le Contrat d’avenir pour la Wallonie, Un essai de contractualisation pour une nouvelle gouvernance régionale…, p. 55-56.

[8] La Wallonie au futur, Le défi de l’éducation, p. 130sv, Charleroi, Institut Destrée, 1992.

[9] Sébastien THONET, Elodie LECUIVRE, Caroline PODGORNIK et Robert DESCHAMPS, Les perspectives budgétaires de la Wallonie de 2015 à 2025, p. 91, Namur, Université de Namur, CERPE, Août 2015. (Departement of Economics, Working Papers, n° 78, 2015/02).

[10] Jennifer WALLACE, Megan MATHIAS and Jenny BROTCHIE, Weathering the Storm? A look at Small Countries’s Public Services in Times of Austerity, Cardiff Business Scholl, CarnegieUK Trust, 2013.

http://www.carnegieuktrust.org.uk/publications/2013/weathering-the-storm—full-report

Mons, le 24 juin 2015

Le nouveau ministre-président issu des élections du 25 mai 2014 lançait deux signaux lors des fêtes de Wallonie [1]. D’une part, Paul Magnette déclarait au journal L’Écho le 20 septembre 2014 que La Wallonie ne se redresse pas assez vite, et qu’il fallait accélérer le mouvement [2]. D’autre part, dans son discours prononcé à Namur le même jour, le ministre-président soulignait que, s’il entendait les appels à la rupture, au changement, la vraie audace était d’y résister : quand on a développé une stratégie efficace, et toutes les évaluations reconnaissent que c’est le cas du Plan Marshall, la vraie audace c’est de résister à la tentation du changement pour le changement, et de maintenir le cap. L’économie wallonne a besoin de clarté et de prévisibilité [3]. Ces positionnements, qui ne sont contradictoires qu’en apparence, peuvent nous éclairer sur les chemins qui s’offrent désormais aux politiques régionales.

En effet, au moment où une nouvelle manne de compétences est transférée aux entités fédérées suite aux accords institutionnels d’octobre 2011, il est utile de rappeler ce que le professeur Michel Quévit écrivait en 1978, à savoir que l’autonomie de la Région wallonne ne suffit pas à jeter les bases d’un redéploiement industriel. Il faut de profondes réformes structurelles qui garantissent à la Wallonie le maintien d’une capacité d’action financière dans le cadre d’une politique industrielle valorisant les ressources humaines, matérielles et technologiques de sa région [4]. Ce discours, aux relents renardistes, est celui qui va être tenu dans de nombreux cénacles par plusieurs experts, y compris par le patron du RIDER dans le cadre des congrès prospectifs La Wallonie au futur qu’il co-animera de 1986 à 2003. Ces travaux, comme d’autres, auxquels l’Institut Destrée a contribué ou pas, ont été à la base des stratégies de reconversion qui ont été mises en place à partir de la fin des années 1990. Ce qu’il faut constater aujourd’hui c’est que l’ensemble de ces efforts ont consolidé le tissu économique et social de la Wallonie, ont profondément transformé notre région, ont fait émerger une véritable société d’acteurs – ce qui était une des ambitions de La Wallonie au futur -, ont multiplié les instruments pertinents de reconversion et de développement, ont empêché tout nouvel affaissement économique et mis en place les bases d’un redéploiement futur.

Ces efforts n’ont toutefois pas permis le redressement rapide et global de la Wallonie. C’est ce que montre bien l’évolution du PIB par habitant jusqu’en 2012, en tenant compte de toutes les limites que l’on connaît à cet indicateur.

Ayant dit et écrit cela, il faut pouvoir affirmer avec Paul Magnette la nécessité d’accélérer le mouvement [5]. La Déclaration de Politique régionale donne des pistes concrètes pour mettre en œuvre cette volonté. Je les ai présentées ailleurs, en réponse à cinq enjeux précis [6], et je les aurai bien entendu à l’esprit en envisageant les voies d’une transformation. Mon ambition ici est d’aller plus loin, sinon mon apport n’aurait que peu d’intérêt.

Mon exposé s’articulera en trois temps.

Le premier pour rappeler que, si nous sommes bien sortis du déclin, la situation de la Wallonie appelle bien une transformation accélérée.

Le deuxième pour évoquer quelles pourraient être, selon moi, quelques-unes des voies de cette transformation.

La troisième pour conclure sur l’idée d’une nouvelle bifurcation.

1. La Wallonie est sortie du déclin mais ne s’est pas redressée

Le temps long est le temps des sages, aimait répéter le grand historien français Fernand Braudel. Un regard sur l’indice du Produit intérieur brut estimé par habitant des trois régions rapportées à la Belgique (= 100) depuis la fin de la Révolution industrielle (1846-2012) montre en effet que la Wallonie a cessé de décliner, a stabilisé son évolution, et peut-être même amorcé un très léger redressement [7].

1_PhD2050_PIB_hab_1842-2012

Un regard plus précis sur l’évolution du Produit intérieur brut par habitant de la Belgique et de la Wallonie, en euros, de 1995 à 2012, sur base des comptes régionaux 2014 de l’Institut des Comptes nationaux (ICN) nous montre que le Produit intérieur brut par habitant de la Wallonie, prix courants, indices Belgique = 100 se maintient dans une fourchette de 71,9 (2002) à 73,6 (1996) depuis 1995 (73,5) jusqu’en 2012 (73,1). On pourra faire remarquer que le PIB est ici à prix courants mais si on le fait passer à prix constants, on ne gagne guère plus d’un point en 2011 : 74,2 % de la moyenne belge [8]. Dans tous les cas, on constate que, sous la barre des 75 % du PIB belge depuis les années 1990, malgré ses efforts, la Wallonie ne parvient pas à émerger au-dessus de ce niveau. Dit autrement, la part relative du PIB wallon qui était passée en dessus des 30 % du PIB dans les années 1950 (prix constants, séries lissées) n’a plus refranchi ce niveau [9].

Cette absence de décollage est à mettre en parallèle avec les sept plans stratégiques de redéploiement économique qui ont été lancés en Wallonie pendant cette période : Déclaration de Politique régionale complémentaire de 1997, Contrat d’Avenir pour la Wallonie de 1999-2000, Contrat d’Avenir actualisé de 2002, Contrat révisé en 2004, Plan Marshall de 2005, Plan Marshall 2.vert de 2009, Plan Marshall 2022 de 2012, ainsi que des programmes d’actions portés par les Fonds structurels européens pour un montant de 11,2 milliards d’€ – à prix constants 2005 – de 1989 à 2013 [10]. Si le montant des investissements affectés au Contrat d’Avenir durant ses premières années, faits surtout de réaffectations de moyens, reste difficile à établir avec précision, on peut néanmoins l’estimer à un peu moins d’un milliard d’euros. Pour ce qui concerne le Plan Marshall, durant la période 2004-2009, on atteint 1,6 milliards et pour 2009-2014, 2,8 milliards (y compris les financements dits alternatifs). On peut donc considérer qu’environ 5,5 milliards ont été affectés, en plus des politiques structurelles européennes auxquelles la Région wallonne apporte une large contribution additionnelle, aux stratégies de redéploiements de la Wallonie, de 2000 à 2014. Ce montant, apparemment considérable, reste toutefois de l’ordre de 5 à 7 % si on le rapporte au budget régional annuel [11].

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On souligne parfois que les performances de la Wallonie en matière de PIB par habitant se marquent surtout dans les accroissements annuels en % comparés à la Belgique. En faisant l’exercice pour la période 1995-2012, on observe en fait que la Wallonie ne fait mieux qu’en 1996, 1998, 2004, 2005, 2008 et 2010 [12]. Le calcul des accroissements moyens du PIB par habitant en % sur les périodes 1995-1999, 1999-2004, 2004-2008, 2008-2012, fait apparaître que la Wallonie n’a mieux performé que la Belgique que lors de la période 2004-2008.

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Si l’on observe la manière dont ces évolutions se marquent au niveau territorial, par exemple dans le Cœur du Hainaut, dans lequel nous travaillons depuis plusieurs années, la difficulté est d’abord statistique puisque les données ne sont pas formatées sur cet espace de 25 communes. En examinant les trois arrondissements de Mons, Soignies et Charleroi qui couvrent ce territoire mais en débordent largement, seul le dernier arrondissement atteint, sur la période 2003-2011, la moyenne du PIB wallon en passant de 105,2 à 100,9 (Wallonie=100), l’arrondissement de Mons passant de 87,9 à 84,8 et celui de Soignies – qui comprend les régions de La Louvière et du Centre – de 83,2 à 79 % de la moyenne wallonne [13]. Nous n’ignorons évidemment pas que ces territoires sont probablement les plus difficiles en matière de reconversion industrielle en Wallonie.

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Ces constats ne signifient évidemment pas que les politiques tant régionales qu’européennes qui ont été menées aient été mal conçues, inefficaces ou inefficientes. L’absence de décollage est aussi une stabilisation dans un contexte international, et en particulier européen, peu favorable. Nul ne peut prétendre en effet que ces efforts importants aient été inutiles. Nous pensons même pour notre part qu’ils s’inscrivent dans les politiques volontaristes considérables qui ont été menées par les élues et élus wallons, de manière de plus en plus émancipée et autonome du gouvernement central puis fédéral depuis 1968 [14].

La comparaison de l’évolution économique de la Wallonie avec Bruxelles et la Flandre étant peu pertinente hors de la géopolitique belge, il est intéressant de la mettre en parallèle avec les régions françaises voisines. Ainsi, lorsqu’on aligne les PIB par habitants de ces régions de 2009 à 2011, on observe que, si la Champagne-Ardenne (27.524 € en 2011) performe le mieux et la Picardie le moins bien, la Lorraine occupant la quatrième place de cette série de régions, la Wallonie (24.966 € en 2011) et le Nord Pas-de-Calais (25204 €) ont des évolutions semblables, alternant leur positionnement sur les deuxième et troisième places. Les chiffres 2012 – à confirmer -, placent la Wallonie en troisième position (24811 €) contre 24.866 € au Nord Pas-de-Calais.

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Si on peut mettre au crédit de Michel Quévit d’avoir décortiqué le déclin de la Wallonie au point que son nom ait longtemps été associé aux causes de cet affaissement, il faut lui reconnaître d’avoir été de ceux qui ont perçu les changements intervenus dans la période entre 1986 et 1991 dans laquelle, comme il l’indiquait en 1995, la Wallonie est sortie de sa première phase de restructuration défensive et a réalisé des ruptures culturelles importantes qui lui ont permis d’intégrer dans son approche de développement les nouvelles réalités de son environnement économique : globalisation, nouveaux modes de production, primauté des facteurs immatériels, etc. [15] J’ai moi même insisté, dans un exposé présenté à l’OCDE en 2000, puis publié par la DATAR l’année suivante, sur ce tournant de 1986, que les acteurs eux-mêmes avaient perçu. Que l’on lise les déclarations d’Arnaud Decléty, de Melchior Wathelet, de Philippe Busquin ou du président de l’UWE de l’époque, Michel Vanderstrick dans Wallonie 86, la revue du Conseil économique et social régional wallon [16]. Certes, cette inversion de tendance marque le pas après le retournement conjoncturel de 1990 et, si on observe une stagnation depuis la fin du siècle dernier, le déclin, c’est-à-dire la régression qui affectait la Wallonie, et plus particulièrement ses pôles de développement traditionnels, depuis le sortir de la Deuxième Guerre mondiale, paraissent bien s’être arrêtés. Les réponses régionales ont bien été essentiellement institutionnelles et défensives, même si quelques initiatives importantes ont été prises, par exemple dans le domaine des processus d’innovation. N’oublions pas du reste que, si un embryon de pouvoir et de politique économique régionale existe depuis la fin des années soixante et, surtout, depuis 1974, les secteurs nationaux, parmi lesquels la sidérurgie, restent gérés par le fédéral jusqu’en 1987.

Lors d’une conférence organisée, le 11 février 2013, à Namur, par le Forum financier, Joseph Pagano avait déjà insisté sur la chaîne causale qui handicape l’économie de la Wallonie, plombe son redressement mais permet également d’identifier les facteurs sur lesquels il faut activer les remèdes. Contrairement aux idées reçues, la capacité des Wallons à capter de la valeur ajoutée produite en dehors de la région est réelle, notamment par une mobilité de l’emploi vers Bruxelles, la Flandre et l’étranger, et joue favorablement puisque, au delà du PIB wallon, l’indice du revenu primaire s’élève à un niveau supérieur au PIB : 87,2 % de la moyenne belge. La différence entre ce niveau et le revenu disponible des Wallons (90,7 % de la moyenne belge en 2010) est constituée de la solidarité implicite. Toutefois, c’est le cumul de la faiblesse de la productivité et le bas niveau du taux d’emploi (84 % de la moyenne belge) qui continue à handicaper le PIB par habitant en Wallonie. Si la productivité régionale est plus faible que la moyenne belge (88 %), c’est à la fois à cause de la relative petitesse de la taille des entreprises wallonnes (97,21 % de la moyenne belge) et du manque de vigueur du dynamisme entrepreneurial wallon (86 % de la moyenne belge), le taux de création des entreprises étant élevé (104,26 % en 2012) mais contrecarré par un taux de disparition plus élevé que la moyenne belge (109 %) [17].

2. Les voies d’une transformation accélérée

Ma conviction en effet est que, en l’état, la Déclaration de Politique régionale 2014 permet de continuer à stabiliser l’économie wallonne, de poursuivre le redéploiement mais non de le réaliser dans des délais raisonnables. Au rythme actuel, Giuseppe Pagano estimait lors de ce même exposé, fait avec Vincent Reuter, le 11 février 2013, à la tribune du Forum financier de la BNB à Namur, que les efforts structurels entamés par le gouvernement régional, et notamment les mesures phares des différents Plans Marshall sont de nature à permettre à la Wallonie un rattrapage non pas de la Flandre mais de la moyenne belge – qu’elle contribue à tirer vers le bas – aux environs de 2040, c’est-à-dire dans 26 ans, plus d’un quart de siècle [18]. Avec un taux de croissance du PIB wallon de 4,4 % sur les années 2001 à 2011 contre 4 % en Flandre, des économistes sollicités par La Libre voyaient le rattrapage de cette région à l’horizon 2087, soit dans 73 ans [19]. Même si le prospectiviste pourrait gloser sur ces logiques mécanistes nécessitant la formule “toutes choses étant égales par ailleurs”, il est manifeste que ces constats sont intenables tant sur le plan social que sur le plan politique.

Nous devons donc impérativement considérer les voies d’une transformation accélérée.

Celle-ci passe assurément par une volonté de considérer, puis de surmonter, ce que l’exercice de prospective, mené en 2002-2003 avec la Direction de la Politique économique de l’Administration wallonne et l’Union wallonne des Entreprises, avait appelé les tabous wallons, ou ce que Christophe De Caevel a recensé comme les freins à l’industrialisation de la Wallonie dans un article de Trends-Tendances d’octobre 2014 [20].

Faisant référence à ce texte et à des opinions qui y sont exprimées, je voudrais faire part de deux convictions qui sont les miennes depuis de nombreuses années et qui s’en distancient. La première, c’est que je me porte en faux contre l’idée que le Plan Marshall ait des effets limités sur l’activité économique. La deuxième est que je ne pense pas que l’on puisse redéployer la Wallonie sans moyens financiers supplémentaires.

 

 2.1. Les effets structurels des plans prioritaires wallons

Le Plan Marshall et principalement les pôles de compétitivité qui sont, avec Creative Wallonia et avec le programme NEXT sur l’économie circulaire, les clefs de voûte de sa stratégie, constituent aujourd’hui le cœur du système d’innovation du nouveau Paradigme industriel de la Wallonie. Produit des efforts menés depuis des décennies, les six pôles de compétitivité (BioWin, GreenWin, Logistics in Wallonia, Mecatech, SkyWin, Wagralim) constituent les fondations sur lesquelles les acteurs wallons pourront à terme transformer et rebâtir leur économie. Ils constituent l’interface de redéploiement en ce qu’ils plongent leurs racines dans les compétences scientifiques, technologiques et industrielles anciennes de la région et les nourrissent pour les transformer en secteurs nouveaux. Un des enjeux du Nouveau Paradigme industriel consiste bien en cette faculté d’ajouter de la connaissance et des savoirs, notamment numériques, dans les secteurs traditionnels pour les inscrire, surtout par la formation, dans le nouveau modèle en cours d’élaboration. L’exemple de l’entreprise AMOS (Advanced Mechanical and Optical Systems) est, à cet égard, très parlant. Fondée en 1983 sous le signe d’un partenariat entre les Ateliers de la Meuse et l’Institut d’Astrophysique de Liège, cette entreprise est passée d’un modèle purement industriel à un paradigme cognitif innovant et performant que décrivait déjà son patron, Bill Collin, au début des années 2000 [21].

On aurait tort toutefois de vouloir mesurer les pôles de compétitivité à l’aune de la création d’emplois à court terme, comme on a eu tort d’en faire un argument politique de campagne en essayant de les vendre à l’opinion comme des machines pourvoyeuses d’emplois. La vocation des pôles de compétitivité est autre. Dans la conception que nous en avions, en 2003 déjà, il s’agissait d’utiliser les entreprises et entrepreneurs champions de la Wallonie comme catalyseurs de réactions en chaîne autour de métiers ou de filières implantés et fructueux, donc d’induire des cercles vertueux, par effet boule de neige, autour de différents noyaux d’excellence existants. L’impact attendu était davantage la création d’entreprises nouvelles, ainsi que le développement d’une image de marque, d’une notoriété et d’une visibilité pour la Wallonie [22]. Henri Capron qui en a été l’artisan scientifique en 2005 leur avait donné quatre objectifs :

– susciter un processus de fertilisation croisée entre les différentes catégories d’acteurs ;

– régénérer le capital social en favorisant les synergies entre acteurs ;

– assurer une meilleure maîtrise du potentiel de développement ;

– placer la région sur la voie des régions apprenantes, avec comme finalité de stimuler sur un territoire, le dynamisme, la compétitivité et l’attractivité [23].

Ces rôles-là ont assurément été tenus. Et avec beaucoup de sérieux et de savoir-faire.

2.2. Le redéploiement de la Wallonie a besoin de moyens supplémentaires

Depuis le premier Contrat d’avenir pour la Wallonie, lancé en 2000 par Elio Di Rupo, j’ai à la fois la conviction que les politiques qui sont inscrites dans ces stratégies wallonnes sont qualitativement globalement adéquates en termes de choix de mesures et insuffisantes quantitativement, c’est-à-dire sur les moyens mobilisés. Ainsi, ces mesures s’appuient sur les marges financières disponibles qui leur sont affectées et qui sont de l’ordre de 5 à 7 % du budget régional et non sur les 80 ou 90 % du budget régional, comme devrait le faire un réel business plan [24].

Ainsi, me paraît-il que le futur plan prioritaire wallon devrait investir une part du budget bien plus importante que les quelques centaines de millions d’euros annuels actuellement mobilisés. Et c’est d’autant plus vrai que, malgré les difficultés à la fois conjoncturelles et structurelles des finances publiques wallonnes, l’enveloppe des moyens régionaux s’est considérablement accrue avec les transferts du fédéral puisqu’elle passera – à la grosse louche – de moins de 8 milliards d’euros à plus de 13 milliards. Cette opération de mobilisation de moyens stratégiques nouveaux au profit du redéploiement wallon aurait l’avantage de réinterroger l’ensemble des politiques régionales. Ceux qui me connaissent savent que je reste frappé par la piste avancée par plusieurs administrateurs de l’UWE en 2003 lorsque, avec Didier Paquot et Pascale Van Doren, nous listions les tabous wallons à lever. Ces entrepreneurs affirmaient qu’ils étaient prêts à renoncer aux moyens dédiés par la Région wallonne aux politiques d’entreprises qui leur apparaissaient comme autant d’effets d’aubaine pour autant que le gouvernement wallon se saisisse des trois enjeux essentiels à leurs yeux qu’étaient le passage entre la recherche académique et la concrétisation de l’innovation dans l’entreprise, l’enseignement technique et professionnel ainsi que la mise à disposition de terrains industriels. C’est donc à plusieurs centaines de millions d’euros qu’ils étaient prêts à renoncer pour autant que ces moyens soient directement et clairement investis dans ces domaines-clefs. Tous les travaux que j’ai menés sur le terrain avec des entreprises, en particulier dans le Cœur du Hainaut, m’ont démontré la pertinence de ces constats.

Dans le même ordre d’idée, chacun a pu observer, à partir de ses compétences spécifiques, à quel point la Région wallonne avait développé, ces dernières années, une multitude de préoccupations dans des domaines qui semblent périphériques par rapport à ses métiers de base. La fonction publique wallonne s’est accrue de 18,4 % en passant de 2003 à 2012, de 14.755 à 17.482 emplois. Durant ces dix ans, le SPW est resté stable (de 10.360 à 10.036 agents) tandis que les OIP ont accru leur personnel en progressant de 4395 à 7446 [25].

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On peut dès lors s’interroger sur la possibilité – voire sur la nécessité – de resserrer son dispositif sur les compétences de base de l’Administration et d’y pourvoir, du reste, les postes de manière adéquate, ce qui est loin d’être le cas. La meilleure manière de procéder est certainement de laisser faire les instances du SPW, sur base du cahier des charges que constitue la Déclaration de Politique régionale.

Cet accroissement général de la fonction publique wallonne ne paraît pas toutefois la meilleure manière de répondre au déséquilibre depuis longtemps souligné entre les sphères marchandes productives et non productives en Wallonie. On se rappellera qu’un élément très important avait été apporté par la dynamique La Wallonie au futur en 1991, à l’initiative d’une équipe d’économistes qui avait travaillé sous la direction d’Albert Schleiper [26]. Ils avaient mis en évidence un déficit d’environ 80.000 emplois, dans le secteur marchand productif. Ces emplois auraient dû se trouver dans le secteur marchand et ils n’y étaient pas. L’Union wallonne des Entreprises est à plusieurs reprises parvenue à des conclusions similaires. Or, 80.000 emplois c’est évidemment considérable.

Ces problématiques, on le voit, sont au centre des questions de l’accélération du redéploiement. Les analyses, qui ont été réalisées sur les choix budgétaires comparés entre la Flandre, Bruxelles et la Wallonie, font apparaître des stratégies qui, me semble-t-il, peuvent être réinterrogées, non seulement à l’aune des politiques de rigueur ou d’austérité, ce qui est le cas, mais aussi selon l’objectif de ce redéploiement. Comme l’indiquent les auteurs d’une étude récente du département de Politiques économiques de l’Université de Namur, il est essentiel d’examiner les choix budgétaires à la lumière de leur impact potentiel sur la croissance et l’emploi. Or, tandis que les dépenses administratives et celles de la dette sont plus importantes en Wallonie qu’en Flandre, la recherche scientifique reste moins financée en Wallonie et à Bruxelles que dans le Nord. Néanmoins, la Wallonie affecte une plus grande proportion de ses dépenses publiques au domaine technologique, à l’expansion économique et à la formation professionnelle [27].

Complémentairement à ces considérations générales, je reprendrai, comme annoncé en introduction, à titre d’enjeux stimulants à saisir, et en les reformulant, les cinq freins au développement wallon identifiés par Christophe De Caevel et les experts qu’il a sollicités :

– la croissance des entreprises (Small n’est pas toujours beautiful) ;

– la territorialisation des politiques (le provincialisme) ;

– la valorisation des recherches ;

– la gestion de l’espace ;

– l’enseignement technique et professionnel (“la main d’œuvre”).

On constatera que les trois tabous wallons évoqués lors de la prospective des politiques d’entreprises en 2003, et dont le ministre de l’Économie et de la Recherche de l’époque n’avait pu se saisir, y sont toujours présents.

2.3. La croissance des entreprises

Je m’étendrai peu sur cet aspect que j’ai eu l’occasion de clarifier dans une analyse intitulée Le Nouveau Paradigme industriel, articulant les sociétés industrielles, la Révolution cognitive et le développement durable.

On sait que la croissance des entreprises, au delà de la moyenne de 9,3 personnes, constitue un enjeu par lui-même, bien après leur création. La diversification des PME et leur croissance par la valorisation de leur capital social constituent des pistes intéressantes à suivre. L’exemple du fournisseur d’énergie Lampiris est à cet égard intéressant. L’entreprise, créée par Bruno Venanzi, a lancé un programme intitulé Lampiris Smart en créant quatre outils : Lampiris Wood, Lampirist Nest, Lampiris Isol et Lampiris Warm [28]. Il s’agit pour l’entreprise liégeoise de valoriser son portefeuille de 800.000 clients en Belgique et 100.000 en France en développant des services nouveaux dans son environnement de métier.

Parallèlement, de nouvelles initiatives ont permis ces dernières années une mise en réseaux des entreprises, au delà des secteurs, ainsi que leur émergence dans un cadre wallon, au delà des organismes représentatifs comme l’Union wallonne des Entreprises, l’UCM, etc. Le rôle d’animation que constitue à cet égard le Cercle de Wallonie, avec ses différentes implantations à Liège, Belœil et Namur est un atout réel pour la Région.

Enfin, le développement d’un coaching de proximité et de niveau international, tel que nous l’avions imaginé dans la Prospective des Politiques d’Entreprises [29] et tel que le remplissent des organismes régionaux comme l’AWEX, la SOWALFIN, certains invests, peuvent renforcer toute cette dynamique porteuse.

2.4. La territorialisation des politiques régionales

Plusieurs questions se cachent derrière le reproche de provincialisme qui est adressé aux Wallons. D’une part, le fait pour des acteurs ou des entreprises de ne pas épouser la globalisation des économies et des marchés. Les efforts dans ce domaine, tant aux niveaux transfrontaliers qu’européen ou mondial ont été considérables et doivent être poursuivis. L’AWEX a déjà fait beaucoup. Le maillon le plus faible me paraît celui le plus facile à renforcer : le transfrontalier, où beaucoup reste à faire. Cet enjeu passe aussi par celui, beaucoup plus difficile, de la mobilité, qui est essentielle, et sur laquelle les Wallons ont manqué totalement d’ambitions. Ici, une vraie stratégie doit être réactivée, notamment dans le cadre de la révision du SDER ou de ce qu’il deviendra. D’autre part, vient la question de ce qu’on appelait les baronnies, de la guerre des bassins, etc. Même si tout le monde ne l’a pas encore compris, loin s’en faut, ce modèle est aujourd’hui dépassé. Si la Région wallonne et ses instruments de stimulation et de financement doivent garder un rôle de cohérence et de coordination, c’est bien au niveau territorial que les politiques d’entreprises doivent être menées et le sont d’ailleurs généralement. C’est dans cette proximité des acteurs autour des agences de développement, des invests, des universités, des centres de recherche, de formation et d’enseignement que doit se dessiner l’avenir économique de la Wallonie. C’est là que se construit l’environnement qui permettra aux entreprises de naître et de croître.

Il s’agit, à l’instar de ce qui se construit en France, de mettre en place un schéma stratégique territorial de développement économique et de l’innovation, en lien avec le processus de spécialisation intelligente de l’Union européenne [30]. L’objectif n’est évidemment pas d’imposer aux territoires wallons une vision régionale ou nationale comme cela a été fait dans le cadre des Contrats de Projets État-Régions mais de négocier un contrat, sur base d’une coconstruction stratégique [31]. Les efforts de conceptualisation de Systèmes territoriaux d’Innovation, tels qu’enclenchés dans le Cœur du Hainaut, vont dans ce sens.

 2.5. La valorisation des recherches

Objet de la préoccupation des pouvoirs publics wallons depuis les années 1970 – qui se souvient des centres de transposition créés par Guy Mathot comme ministre de la Région wallonne en 1978 ? [32] -, la question de la valorisation des recherches reste majeure et difficile. Celle-ci ne se résume pas au nombre de brevets ou projets d’investissements issus des pôles de compétitivité. Il n’y a pas de réponse simple à la question posée par des industriels montois ou borains au fait que, malgré le fait qu’ils soient diplômés ingénieur civil polytechnicien ou de gestion de l’UMons, que celle-ci dispose de laboratoires de pointe, avec des chercheurs de qualité, que les fonds structurels ont permis de mettre en place des fleurons technologiques comme Multitel, Materia Nova, InisMa, Certech, etc., ces entrepreneurs ont parfois l’impression de vivre à 1000 kms de ces outils. Et ils le disent. Or, je ne pense vraiment pas que le monde académique regarde aujourd’hui les industriels de haut comme ce fut peut-être le cas jadis en certains endroits. Je pense que désormais ce monde scientifique est très ouvert et très attentif à ces questions d’entrepreneuriat, de transferts de technologies, de dynamique d’innovation. Toutes les universités ont mis en place des outils d’interface avec les entreprises. Des outils locaux et performants aident aussi à mettre de l’huile dans les rouages, comme les Maisons de l’Entreprise, les Business Innovation Centres, etc. dont les responsables ont souvent les pieds et les mains dans les deux mondes.

Globalisation européenne et mondiale, territorialisation et entrepreneuriat constituent désormais les trois horizons des universités de Wallonie dans un environnement composé d’entreprises en mutations constantes et de jeunes spin-off…

 

2.6. La gestion de l’espace

La gestion de l’espace est une question essentielle, non seulement pour organiser un vivre ensemble durable mais aussi pour stimuler le redéploiement économique d’une région qui a été profondément marquée par son effondrement industriel dans les années 1960 et 1970 et en garde encore trop les stigmates. Beaucoup de choses ont été faites mais il faut bien pouvoir reconnaître que, contrairement à nos voisins français, le rythme des investissements à la réhabilitation n’a pas toujours été – et n’est toujours pas – aussi soutenu.

Néanmoins, Christophe De Caevel ne semble pas avoir été bien informé lorsque, évoquant l’asssainissement des friches par le Plan Marshall, il note qu’au dernier recensement toutefois, seuls 3 ha sur les 194 recensés dans le plan avaient été dépollués et aucune activité économique n’y avait été réinstallée [33].

Voici la situation des sites réhabilités fin octobre 2014, telle que communiquée par SPAQuE.

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2.7. L’enseignement technique et professionnel

Comment aborder en quelques mots un dossier aussi essentiel, aussi complexe, aussi difficile ? Sans faire de long développement, je me limiterai à trois principes généraux, en rappelant qu’aucune solution ne sera simple.

D’abord, dire qu’une révolution, c’est-à-dire une mutation profonde et systémique, de l’enseignement est indispensable. Je persiste à croire que la régionalisation peut constituer la base, le catalyseur, le déclencheur de cette révolution.

Ensuite, il me paraît que seule une autonomie – pédagogique et de gestion – des établissements, avec une responsabilisation multi-réseaux par bassin peut permettre cette révolution. Cette autonomie peut être limitée dans le temps, à cinq ou dix ans, afin de permettre l’expérimentation, l’évaluation puis la généralisation éventuelle de bonnes pratiques. Qu’on ne me dise pas que nous risquons de sacrifier une génération : cela fait des décennies que nous en sacrifions.

Enfin, faisons des entreprises les premières partenaires de l’enseignement technique et professionnel. Nous avons tous à y gagner.

Conclusion : Une bifurcation pour mettre en route l’accélérateur de particules

Ce que la Wallonie doit trouver, c’est le chemin d’une nouvelle bifurcation. Celle-ci permettra d’optimiser son système régional d’innovation. Il s’agit en effet de permettra à la région de renforcer ses capacités d’innovation, d’anticipation, d’adaptation au changement rapide et global. C’est pourquoi, il est essentiel d’en mesurer les enjeux et la manière d’y répondre. A nouveau, sans considérer par cette démarche qu’il n’existerait qu’un modèle unique, on peut mettre en évidence six enjeux d’un système régional d’apprentissage : l’extension et la professionnalisation des réseaux régionaux ; la construction d’une vision partagée du territoire ; la créativité pour produire de l’innovation ; la mobilisation du capital social ; la gouvernance des territoires ; la formation tout au long de la vie.

Ces défis, c’est-à-dire ces enjeux dont on se saisit, ne sont pas nouveaux. Nous les avons identifiés dès 2004 dans le cadre de la Mission Prospective Wallonie 21. Dix ans plus tard, nous gardons la même perception de deux Wallonie : celle qui se reconstruit, se diversifie et développe ses nouveaux pôles innovants et créatifs, et celle qui poursuit inéluctablement son affaissement. Dès lors, n’est-il pas nécessaire qu’on s’interroge – comme le fait, nous l’avons vu, le Ministre-Président wallon – sur les voies d’une transformation accélérée, c’est-à-dire qui permettrait d’activer une renaissance régionale dans des délais qui répondraient sans retard aux enjeux auxquels sont aussi confrontés la Belgique, l’Europe et le monde.

Avec Philippe Suinen, qui préside désormais l’Institut Destrée, je pense que l’assise économique de la Wallonie est désormais stabilisée grâce au plan Marshall et aux pôles de compétitivité. Au delà, l’ancien administrateur général de l’AWEX soulignait, dès février 2014, qu’il faut à présent mettre en route « l’accélérateur de particules » pour concrétiser la relance. Cela passera, disait-il à Édouard Delruelle à l’occasion des interviews de Zénobe 2, par la créativité, l’innovation… et l’ouverture au monde sans être décomplexé : « La Wallonie a besoin de cours d’extraversion ! » [34].

Cette ambition pourrait passer par trois choix stratégiques prioritaires.

  1. Considérer que la volonté crée la confiance mais que l’imposture la fait perdre. Ce qui implique, qu’au delà de la méthode Coué, c’est-à-dire de tentative de prophétie autoréalisatrice, on dise plutôt la vérité à tous et à chacun. Les êtres volontaires ne peuvent être que des citoyennes et des citoyens conscients.
  1. Faire en sorte que la pédagogie de l’action soit au centre de la responsabilité des élus. Comprendre pour expliquer le monde est leur tâche première. On ne peut mener une entreprise, une organisation ou une région à la réussite sans cueillir et fabriquer du sens. Aujourd’hui – faut-il le rappeler ? -, l’idéologie n’a plus cours. Mais le bien commun, l’intérêt général, les valeurs collectives, le pragmatisme et la cohérence du lien entre la trajectoire de l’individu et celle de la société tout entière, prévalent.
  1. Faire prendre conscience que la seule réelle capacité de transformation économique est dans l’entreprise. Le premier changement de mentalité pour les Wallons, c’est de quitter le seul chemin du salariat. C’est de prendre l’initiative. Parallèlement, le succès des entrepreneurs wallons passe par des réformes de comportements et de structures, qui dès la famille, dès l’école, donnent envie de créer et d’entreprendre. L’objectif est de faire en sorte que chacune et chacun se voient comme un entrepreneur.

Les travaux du Collège régional de Prospective de Wallonie ont montré, à partir d’expériences et d’exemples concrets, que, pour renouer la confiance en l’avenir, il était nécessaire pour les Wallonnes et les Wallons de développer des comportement plus positifs au travers des cinq axes que contituent une réelle coopération entre acteurs différents, la volonté de sortir de son univers de référence, les stratégies proactives offensives, l’adhésion à l’éthique et aux lois de la société, la prise de conscience de l’intérêt d’un avenir commun.

C’est assurément surtout de ces Wallonnes et de ces Wallons qu’il faut attendre le renouveau. Ce n’est que d’eux qu’il viendra. Soyons-en sûrs.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

Sur le même sujet :

Cinq enjeux majeurs pour la législature wallonne (16 septembre 2014)

Les conditions d’un redéploiement de la Wallonie (16 février 2014)

Cinq défis de long terme pour rencontrer le Nouveau Paradigme industriel (31 décembre 2014)

La Wallonie, une gouvernance démocratique face à la crise (15 septembre 2015)

[1] Ce texte constitue la mise au net de la conférence que j’ai présentée le 3 novembre 2014 à l’Université de Mons dans le cadre du Forum financier de la Banque nationale de Belgique. Les données, certes récentes, n’ont pas été actualisées en 2015. Le Powerpoint de base a fait l’objet d’une diffusion sur le moment même par la BNB.

[2] Paul Magnette :La Wallonie ne se redresse pas assez vite”, Interview par François-Xavier Lefèvre, dans L’Écho, 20 septembre 2014, p. 5.

[3] http://gouvernement.wallonie.be/f-tes-de-wallonie-discours-du-ministre-pr-sident-paul-magnette.

[4] Michel QUEVIT, Les causes du déclin wallon, p. 289, Bruxelles, Vie ouvière, 1978.

[5] Paul Magnette : “La Wallonie ne se redresse pas assez vite”, … – Voir aussi la déclaration de Paul Magnette dans l’interview donnée à Martin Buxant sur Bel RTL, le 13 novembre 2014 : Il y a un redressement trop lent qu’il faut accélérer.

[6] Philippe DESTATTE, Cinq enjeux majeurs pour la législature wallonne, Blog PhD2050, 16 septembre 2014, https://phd2050.org/2014/09/16/5enjeux/

[7] Benoît BAYENET, Henri CAPRON & Philippe LIEGEOIS, Voyage au cœur de la Belgique fédérale, dans B. BAYENET, H. CAPRON & Ph. LIEGEOIS dir., L’Espace Wallonie-Bruxelles, Voyage au bout de la Belgique, p. 355, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2007. Avec des compléments ICN et calculs propres. (INS 1846-1981), ICN, 2005, 2008 + ICN, 2014.

[8] Conférence de Giuseppe Pagano au Forum financier à Namur, le 11 février 2013. – Philippe DESTATTE, Les conditions d’un redéploiement de la Wallonie, Blog PhD2050, Hour-en-Famenne, 16 février 2014, https://phd2050.org/2014/02/16/redeploiement/.

[9] Michel MIGNOLET et Marie-Eve MULQUIN, PIB et PRB de la Wallonie : des diagnostics contrastés, dans Regards économiques, Juin 2005, n° 31, p. 10. (PIB des trois régions belges, Parts régionales sur base des statistiques brutes, en monnaie constante et Parts relatives des PIB régionaux à prix constants) 1955-2003, INS, ICN, calculs CREW.

[10] Henri CAPRON, L’économie wallonne, une nouvelle dynamique de développement, dans Marc GERMAIN et René ROBAYE éds, L’état de la Wallonie, Portrait d’un pays et de ses habitants, p. 344, Namur, Editions namuroises – Institut Destrée, 2012.

[11] H. CAPRON, op. cit., p. 344-345. – Philippe DESTATTE et Serge ROLAND, Le Contrat d’avenir pour la Wallonie, Un essai de contractualisation pour une nouvelle gouvernance régionale (1999-2001), Working Paper, Mars 2002.

[12] ICN, Comptes régionaux, 2014, nos propres calculs.

[13] ICN et IWEPS, 27 juin 2013.

[14] Ph. DESTATTE, La Région wallonne, L’histoire d’un redéploiement économique et social, dans Marnix BEYENS et Ph. DESTATTE, Un autre pays, Nouvelle Histoire de Belgique (1970-2000), p. 209-278, Bruxelles, Le Cri, 2009.

[15] Michel QUEVIT et Vincent LEPAGE, La Wallonie, Une région économique en mutation, dans Freddy JORIS et Natalie ARCHAMBEAU, Wallonie, Atouts et références d’une région, p. 236, Namur, Gouvernement wallon, 1995.

[16] Wallonie 86, 3-4, 1986. – Philippe DESTATTE, Les questions ouvertes de la prospective wallonne ou quand la société civile appelle le changement, dans Territoires 2020, Revue d’études et de prospective de la DATAR, p. 139-153, Paris, La Documentation française, 1er trimestre 2001. – M. BEYEN et Ph. DESTATTE, Un autre pays, Nouvelle Histoire de Belgique 1970-2000, … p. 254 sv.

[17] Conférence de Giuseppe Pagano au Forum financier à Namur, le 11 février 2013. – Philippe DESTATTE, Les conditions d’un redéploiement de la Wallonie, Blog PhD2050, Hour-en-Famenne, 16 février 2014,

https://phd2050.org/2014/02/16/redeploiement/.

[18] Ph. DESTATTE, Les conditions d’un redéploiement de la Wallonie, Blog PhD2050, 16 février 2014, http://phd2050.org/2014/02/16/redeploiement/

[19] Frédéric CHARDON, La Wallonie dépassera la Flandre en 2087, dans La Libre, 16 mai 2013.

http://www.lalibre.be/actu/belgique/la-wallonie-depassera-la-flandre-en-2087-51b8fce0e4b0de6db9ca9011

[20] Christophe DE CAEVEL, Les cinq freins à la réindustrialisation de la Wallonie, dans Trends-Tendances, 16 octobre 2014.

[21] Voir AMOS : http://www.amos.be/fr/a-propos-2&a-propos-d-amos_16.html

[22] Philippe DESTATTE et Pascale VAN DOREN dir., Réflexion sur les politiques d’entreprises en Wallonie, Rapport final, p. 13, Namur, Cabinet du Ministre de l’Economie et des PME de la Région wallonne, Direction générale de l’Economie et de l’Emploi, Direction des Politiques économiques du Ministère de la Région wallonne et Institut Destrée, Décembre 2003.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/ProspEnWal_Rapport-final_2003-12-04.pdf.

[23] Henri CAPRON, Economie régionale urbaine, Notes de cours, 2007. homepages.vub.ac.be/~hcapron/syleru2.ppt

[24] Philippe DESTATTE et Serge ROLAND, Le Contrat d’avenir pour la Wallonie, Un essai de contractualisation pour une nouvelle gouvernance régionale (1999-2001), p. 58, Namur, Institut Destrée, Mars 2002, (Working Paper), 66 p.

[25] La fonction publique de la Région wallonne, Tableau de bord statistique de l’emploi public, Namur, IWEPS, Avril 2009. – Chiffres-clefs de la Wallonie, n° 13, p. 212-213, Namur, IWEPS, Décembre 2013. – A noter que L’emploi public en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, Namur, IWEPS, Mars 2015, p. 20 limite également son information à l’année 2012.

[26] La Wallonie au futur, Le défi de l’éducation, p. 130sv, Charleroi, Institut Destrée, 1992. – Olivier MEUNIER, Regard sur l’économie wallonne : une brève analyse des comptes régionaux 1995-2006, Namur, IWEPS, 2008.

http://www.iweps.be/sites/default/files/Breves3.pdf

[27] Caroline PODGORNIK, Elodie LECUIVRE, Sébastien THONET et Robert DESCHAMPS, Comparaisons interrégionale et intercommunautaire des budgets et des dépenses 2014 des entités fédérées, Namur, Université de Namur, CERPE, Novembre 2014.

[28] http://www.lampiris.be/fr/smart

[29] Philippe DESTATTE et Pascale VAN DOREN dir., Réflexion sur les politiques d’entreprises en Wallonie…

http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/ProspEnWal_Rapport-final_2003-12-04.pdf

[30] Les Universités et l’innovation, agir pour l’économie et la société, Proposition de la Conférence des Présidents des Universités françaises, 2014. http://www.cpu.fr/wp-content/uploads/2014/10/recommandation_140916_val-2.pdf.

[31] Les Contrats de Projet État-régions, Enquête demandée par la Commission des Finances du Sénat, p. 23, Paris, Cour des Comptes, Juillet 2014.

[32] Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, Un autre pays…, p. 231.

[33] Christophe DE CAEVEL, Les 5 freins à la réindustrialisation de la Wallonie, dans Trends-Tendances, 16 octobre 2014.

[34] Philippe SUINEN, dans Edouard DELRUELLE, Un Pacte pour la Wallonie, Zénobe 2, Février 2014, p. 29.

Hour-en-Famenne, 9 juin 2014

Tondre sa pelouse reste, pour ceux qui ont la chance immense de disposer d’un jardin, un moment particulier. Moment apparemment désagréable puisqu’il s’agit sans aucun doute d’une corvée indispensable. J’avais bien tenté voici deux ans la fausse bonne idée de Natagora, de laisser pousser les herbes et éclore les fleurs sauvages : cette tentative d’échapper à la tonte a échoué lamentablement devant l’invasion des tiques, rendant pendant de longues semaines le jardin hostile tant pour les enfants que pour les animaux domestiques. Suivre ou pousser pendant une bonne heure un moteur pétaradant n’a rien d’exaltant pour qui souhaite goûter aux bonheurs de la campagne. Toutefois, tout comme ces moments de douche, heureusement plus fréquents, la tonte peut constituer un moment privilégié où l’on se vide le cerveau au terme d’une semaine bien chargée à courir entre Mons, Paris, Bruxelles, Liège et Namur et pendant laquelle l’esprit fut saturé par le surcroît d’informations – plus ou moins stratégiques – généré par l’après 25 mai 2014.

Mon esprit s’est ainsi ouvert pendant ce moment pourtant bruyant. Les deux bras bien arc-boutés au cadre de la tondeuse, je me suis forcé à penser à la mission qui attendait les formateurs du prochain gouvernement wallon. Si, à l’issue de ma tonte, j’avais quelques propos à leur tenir, quels seraient-ils ? Que ferais-je si j’étais moi-même pilote de la Région Wallonie ? J’ai d’abord chassé cette pensée me disant que les leaders politiques n’avaient rien à entendre de moi. Et puis, je me suis dit qu’on ne jugeait pas le coiffeur aux propos tenus pendant la tonte mais plutôt à la qualité de la coiffure. Je me suis donc appliqué à la double tâche : une pelouse rigoureusement soignée – que ma compagne a d’ailleurs saluée depuis – et sept propositions pour construire un programme pour le Gouvernement wallon et son administration.

Une feuille de route en 7 propositions

Dès lors, si j’étais pilote politique de la Région Wallonie,

1. je commencerais par affirmer ma volonté de rupture et de changement structurel avec l’essentiel de ce qui a précédé, en rappelant les enjeux majeurs, probablement sans précédents, auxquels la Wallonie tout entière est confrontée dans son nécessaire redéploiement [1]. Je dirais que l’heure est à l’intérêt régional, qui dépasse les stratégies de classes, les stratégies de territoires et les stratégies de partis. Et j’appellerais l’ensemble des acteurs wallons à s’inscrire dans cette idée gaulliste ;

2. j’affirmerais que le Parlement wallon est le cœur de la démocratie régionale et qu’il doit être le lieu fort et le symbole de cet intérêt général ; c’est là que je tiendrais un discours pour expliquer ce que j’attends de chacune et de chacun, aux parlementaires régionaux, mais aussi aux parlementaires wallons qui siègent au fédéral et à l’Europe ; je me présenterais entouré des chefs de file des autres grandes formations politiques de la majorité mais aussi de l’opposition et j’annoncerais la constitution d’un conseil de redéploiement d’une trentaine de membres des forces vives (administrations, entreprises, universités et associations) ;

3. je présiderais ce conseil de redéploiement destiné à recenser avec les acteurs les “tabous wallons” sur lesquels la Wallonie bute depuis trente ans avec la ferme volonté de leur apporter des réponses concrètes et immédiates. Il s’agirait, avec ces forces vives, de préparer un nouveau contrat d’avenir dans lequel chacun s’engagerait à contribuer de toutes ses forces aux objectifs communs, à le co-construire, à le mettre en œuvre, à l’évaluer ;

4. j’élargirais ma majorité au Parlement wallon et à l’assemblée de la Communauté française et au groupe linguistique francophone de la Région de Bruxelles-Capitale, de manière à pouvoir disposer de la majorité requise (2/3) pour transférer les compétences nécessaires au redéploiement des régions dans le cadre de l’article 138 de la Constitution [2]. Je négocierais avec les germanophones les transferts des compétences dont ils ont besoin pour avancer vers un modèle à quatre régions [3]. Cela impliquerait, dans tous les cas de figure, d’associer directement ou indirectement les socialistes et les libéraux à la majorité parlementaire. La plus large majorité possible serait en outre bénéfique pour la mobilisation générale attendue ;

5. je ferais en sorte que l’affectation des moyens et des ressources actuels de la Région wallonne, soit plus de 7 milliards d’euros, et ceux provenant des transferts de compétences du fédéral et de la Communauté française, soit réétudiée et plus seulement décidée sur base des politiques passées. Avec les acteurs impliqués, je définirais une stratégie globale, cohérente, transversale qui serait pilotée dans le cadre d’un plan systémique où les moyens, y compris en ressources humaines, seraient affectés à des politiques précises, donc clairement identifiées. Comme jadis au fédéral, toutes les politiques seraient naturellement remises en questionnement quant à leur essence et à leur valeur ajoutée, l’objectif étant de réaliser le maximum de concentration financière sur ce qui est véritablement estimé prioritaire dans la phase de reconversion. A aucun moment, jusqu’ici, le gouvernement wallon n’a travaillé dans cette logique. L’instrument naturel de cette démarche, pour accompagner le gouvernement, est le Service public de Wallonie, son secrétariat général et l’ensemble des directions générales, en pratiquant les processus requis par l’excellence opérationnelle ;

6. une nouvelle gouvernance serait ainsi mise en place dans laquelle l’administration wallonne jouerait le premier rôle auprès des ministres, limités à sept malgré les transferts de compétences du fédéral et des communautés. Cette prééminence de l’Administration, maintenue globalement à son volume actuel, y compris en comptant les autres membres de la fonction publique dans l’enseignement et la recherche, se marquerait par une stricte limitation des membres des Cabinets à dix collaborateurs tout niveau par ministre, quelle que soit l’ampleur de ses compétences ;

7. je me donnerais ainsi cinq ans pour transformer profondément la Wallonie de telle sorte que ses habitants puissent reprendre confiance en eux-mêmes, en leurs forces vives et en leurs élus. Les ministres que j’aurais choisis pour m’accompagner auraient fait le même engagement que le mien : travailler pour tous, sans espoir ou volonté de faire autre chose que ce qu’ils se sont engagés à réaliser pendant ces cinq ans : assurer le redéploiement de la Wallonie pour ses citoyennes et citoyens en dehors de toute considération partisane. J’y veillerais personnellement.

Un choix pour la Wallonie : entre la reconnaissance et l’humiliation collective

Ces sept points, jetés brutalement sur le papier, peuvent être nuancés par une approche plus soutenue, plus collective, plus élaborée, telle que présentée par le Collège régional de Prospective de Wallonie dans le cadre de ses travaux Wallonie 2030 et en particulier ses deux appels : d’une part, celui du 2 mars 2011 portant sur l’urgence de la construction d’un contrat sociétal wallon et, d’autre part, celui du 30 mai 2014, contenant des Principes destinés à guider l’élaboration et la mise en œuvre de la prochaine déclaration de politique régionale de Wallonie [4]. Mais l’essentiel sera dans la manière. Ainsi que je l’indiquais, le 16 février 2014 en évoquant les conditions d’un redéploiement de la Wallonie, suite aux excellentes conférences de Vincent Reuter et de Joseph Pagano, le nouveau leadership en Wallonie et pour la Wallonie ne viendra pas de femmes ou d’hommes providentiels au charisme écrasant, s’appuyant sur des Richelieu de partis et des Cabinets ministériels autoritaires. Le nouveau leadership se construira, en Wallonie et pour la Wallonie, au départ d’une ou d’un ministre-président avec son équipe de ministres et de collaborateurs aussi respectueux qu’attentifs au travail du Parlement, qui auront à cœur de replacer l’Administration wallonne d’abord, et les acteurs de la gouvernance ensuite, au cœur de l’action publique.

L’alternative à la mise en place d’un contrat sociétal pour la Wallonie a bien été identifiée par le Collège régional de Prospective de Wallonie : il s’agit d’une spirale infernale qui voit le développement tarder à nouveau, le contrôle l’emporter sur la démocratie, une amplification de ce phénomène d’exclusion sociétale que l’on appelle la sherwoodisation, le distanciement croissant des entreprises à l’égard de l’intérêt régional, le démantèlement de la cohésion sociale et un État fédéré dans lequel l’austérité est imposée par la force. Ainsi, par un mécanisme de paupérisation généralisée inscrit dans le temps, que décrit bien la sociologue française Dominique Schnapper, la société née pour assurer l’égalité de dignité de tous les êtres humains et les émanciper, pourrait devenir la société de l’humiliation [5]. Collectivement en ce qui concerne la Wallonie.

Revoilà Thomas Jefferson ?

Relisant ces quelques notes d’après tonte, ma compagne me suspecte d’encore me prendre pour Thomas Jefferson [6]… je m’en défends absolument. Mais j’émets l’espoir que l’esprit des pionniers de la Révolution américaine ou de tout autre acte fondateur ou refondateur, anime demain ceux qui seront en charge de la Wallonie au Parlement et au gouvernement wallons. Elio Di Rupo avait commencé à prendre cette voie en septembre 1999 avant de s’arrêter pour prendre la présidence de son parti au printemps de l’année suivante. Lui-même ou d’autres sont capables de reprendre ce chemin, aujourd’hui plus difficile, mais aujourd’hui plus nécessaire encore.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

[1] Le Collège régional de Prospective de Wallonie en a récemment listé huit majeurs :

– l’importance des changements dans les compétences et les moyens dont disposera la Région wallonne ainsi que dans la perspective d’une « responsabilisation » progressive de la Région, traduite par l’engagement de la société wallonne de prendre en charge les dépenses qui lui incombent, à partir de 2024 – à peine dix ans ! –avec la suppression progressive de la dotation de transition ;

– les défis auxquels nous sommes confrontés suite à la globalisation économique et financière, à la plus grande mobilité internationale des capitaux et des populations, à la nouvelle localisation des activités économiques dans le monde et aux lacunes de la construction européenne ;

– l’incapacité de réduire les écarts entre les citoyens dans l’accès à l’emploi de qualité, à la santé, au logement et aux autres droits sociaux fondamentaux, alors que les compétences que la Région wallonne détient dans ces domaines vont être élargies ;

– la crise structurelle que connaissent l’enseignement fondamental et l’enseignement secondaire ainsi que le sous-financement de l’enseignement supérieur, au cœur pourtant de la société de la connaissance ;

la difficulté récurrente de construire une politique culturelle fédérative avec tous les acteurs du territoire wallon, de manière à contribuer à la reconnaissance et à l’exercice des droits culturels ainsi que la Déclaration de Fribourg le préconise;

– les exigences de transformation des modèles de production et de consommation en vue de les rendre plus durables, en particulier plus économes en énergie et en matières premières, ce qui oblige à construire des chemins de transition qui soient efficaces et cohérents ;

– la nécessité de bâtir une solidarité wallonne forte prenant appui sur la diversité des acteurs, des citoyens, des entreprises et des territoires constituant la Wallonie ;

– le soutien des efforts inlassables d’amélioration de la gestion publique et de la gouvernance, tant dans leurs processus politiques et délibératifs que sous l’angle des procédures administratives.

Principes destinés à guider l’élaboration et la mise en œuvre de la prochaine déclaration de politique régionale de Wallonie, 27 mai 2014.

http://www.college-prospective-wallonie.org/Principes_DPR-2014.htm

[2] Constitution belge, Article 138 : Le Parlement de la Communauté française, d’une part, et le Parlement de la Région wallonne et le groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, d’autre part, peuvent décider d’un commun accord et chacun par décret que le Parlement et le Gouvernement de la Région wallonne dans la région de langue française et le groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et son Collège dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale exercent, en tout ou en partie, des compétences de la Communauté française.

Ces décrets sont adoptés à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés au sein du Parlement de la Communauté française et à la majorité absolue des suffrages exprimés au sein du Parlement de la Région wallonne et du groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, à condition que la majorité des membres du Parlement ou du groupe linguistique concerné soit présente. Ils peuvent régler le financement des compétences qu’ils désignent, ainsi que le transfert du personnel, des biens, droits et obligations qui les concernent.

Ces compétences sont exercées, selon le cas, par voie de décrets, d’arrêtés ou de règlements.

[3] Philippe DESTATTE, Quatre États fédérés pour plus de démocratie, dans Politique, n° 80, Mai-juin 2013.

http://politique.eu.org/spip.php?article2724

Jacques BRASSINNE de La BUISSIERE et Philippe DESTATTE, Un fédéralisme raisonnable et efficace pour un État équilibré, Namur, 24 février 2007. On trouvera le projet complet sur le portail de l’Institut Destrée :

http://www.institut-destree.eu/Documents/Publications/2007-02-24_J-Brassinne_Ph-Destatte_Quatrieme-Voie_FR.pdf

[4] Appel pour un contrat sociétal wallon, Collège régional de Prospective de Wallonie, 2 mars 2011, publié dans La Libre Belgique, 4 mars 2011,

http://www.lalibre.be/debats/opinions/appel-pour-un-contrat-societal-wallon-51b8cf40e4b0de6db9c04afa

et Principes destinés à guider l’élaboration et la mise en œuvre de la prochaine déclaration de politique régionale de Wallonie, 27 mai 2014,

http://www.college-prospective-wallonie.org/Principes_DPR-2014.htm

[5] Dominique SCHNAPPER, L’esprit démocratique des lois, p. 280-281, Paris, Gallimard, 2014.

[6] Philippe DESTATTE, “Faire naître les Etats-Unis avec Washington et Jefferson”, Entretien avec Pierre Havaux, dans Le Vif, 31 août 2012, p. 86-87.