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Namur, le 11 juin 2013
 

Nous avions, depuis plusieurs années, associé ces différents événements qui marquaient et marquent encore les années 2012 et 2013 : centième anniversaire de la Lettre au roi de Jules Destrée, centième anniversaire de la création de l’Assemblée wallonne, 75ème anniversaire de la création de l’Institut Destrée, ici à Namur, le 11 juin 1938, jour pour jour [1].

Mais, avec l’Institut Destrée, chacun sait depuis longtemps que le souvenir et l’histoire ne sont que des tremplins pour mieux comprendre le présent et pour préparer l’avenir.

Le souvenir et l’histoire ne sont que des tremplins pour mieux préparer l’avenir

L’évocation de La Lettre au roi nous a permis de redire l’actualité de ce texte, au moins sur le fond, ainsi que notre souhait de voir se poursuivre l’expérience du fédéralisme. De nos jours, ce n’est pas innocent à souligner. Un fédéralisme, voire un confédéralisme – système dans lequel nous sommes probablement déjà inscrits – plus évolué certes, plus avancé, parce que plus raisonnable et simplifié. Ce nouveau fédéralisme sera exclusivement fondé sur les régions, parce que dans la société dite de la connaissance, nous ne pouvons plus nous permettre de séparer l’économie, l’emploi, la formation, l’éducation, la culture et la recherche. Et ces régions, nous en verrions volontiers quatre, égales en droits et en compétences, parce que beaucoup de Germanophones le revendiquent, parce que beaucoup de Bruxellois le demandent, parce que beaucoup de Wallons le souhaitent et parce que les Flamands, je le pense vraiment, feront de toute manière ce qu’ils voudront…

Le centième anniversaire de la création de l’Assemblée wallonne, fondée le 20 octobre 1912, nous a donné l’occasion de sortir, d’une part, en co-édition avec le Parlement wallon, le beau livre de Paul Delforge, mais surtout de lancer, d’autre part, un appel aux députés wallons, pour leur dire que, à l’heure de tous les défis pour la Wallonie – qu’il s’agisse de son redéploiement économique et social, des transitions climatiques, énergétiques et environnementales, de son avenir institutionnel ou du renouveau de la gouvernance régionale –, l’Institut Destrée veut saluer le travail de terrain des parlementaires wallons d’aujourd’hui et les inviter à s’unir pour assumer avec vigueur le rôle, collectif et considérable à la fois, que la population attend d’eux dans les années qui viennent.

Ce salut, bien entendu, n’était pas ni purement formel, ni circonstanciel. Il renvoie plus largement à l’appel que nous avions lancé en mars 2011, au départ d’une vingtaine de membres de notre Collège régional de Prospective, présidé par Pierre Gustin, directeur Entreprises et Institutionnels Wallonie de la Banque ING. Appel destiné à sensibiliser le monde politique wallon, et en particulier le Gouvernement wallon, à la nécessité d’anticiper les résultats des réformes institutionnelles, surtout les effets de la loi de financement, en ouvrant un dialogue entre les différentes sphères de la société wallonne en vue de la rédaction d’un nouveau contrat social ou sociétal. Faut-il dire que l’accord institutionnel d’octobre 2011 n’a évidemment rien changé à cette nécessité.

Le 75ème anniversaire de l’Institut Destrée, enfin, était lui aussi moins destiné à évoquer le passé comme vain et prétentieux ressassement qu’à implanter des jalons pour l’avenir. Les intervenants d’aujourd’hui au Parlement wallon, comme Philippe Suinen lors du dîner officiel d’anniversaire de ce 10 juin au Cercle de Wallonie, y ont d’ailleurs largement contribué. Le Comité du futur de l’Institut Destrée a indiqué des directions qui sont claires en ce qui nous concerne et qui nous permettront de travail à l’avenir.

Ce que nous a dit le Comité du futur, c’est que les acteurs wallons continuent à nous attendre sur les problématiques majeures qui sont les nôtres. Ils nous invitent à le faire en lien avec les universités,en tout cas les universités de Liège et de Namur qui étaient représentées chacune par leur Recteur, exprimant un double besoin, une double nécessité, que Mme Annick Castiaux a utilement rappelé(e) ce matin : d’une part, voir l’Institut Destrée apporter ses compétences en prospective aux acteurs wallons, y compris les universités, pour renforcer leurs capacités d’anticipation, notre capacité commune ; voir l’Institut Destrée, d’autre part, participer au foisonnement intellectuel et scientifique, lié à l’innovation remarquable, qui existe aujourd’hui dans les universités, dans un certain nombre de centres de recherches et dans les entreprises wallonnes qui y sont associées. Le modèle que Mme Léna-Maija Laurèn de l’Université de Turku nous a exposé d’une Finland Futures Academy, passerelle vers un Comité de l’Avenir du Parlement de Finlande, est un modèle que nous pouvons explorer au travers de l’idée d’une Wallonia Futures Academy, réseau commun orienté vers la prospective, tourné vers le Parlement wallon. L’Assemblée wallonne étant effectivement la clef de voûte du système,parce que, dans une démocratie, le Parlement est le lieu indépendant de pensée et de préparation de l’action.

Prospective et prospective, gouvernance et gouvernance

Ce qui me paraît important aujourd’hui, et c’est une ambiguïté que je vais m’efforcer de lever, c’est qu’il y a prospective et prospective, comme il y a gouvernance et gouvernance.

Quand je dis qu’il y a prospective et prospective, c’est bien connu des prospectivistes qui savent qu’il existe une prospective qu’on appelle en anglais forecasting, qui est une prospective de prévision, d’observation du système, auquel on ne touche pas, qu’on n’essaie pas de mettre en œuvre, que l’on regarde, que l’on observe, que l’on examine, et sur lequel on fait des études et écrit des rapports. Parallèlement, il existe ce foresight, c’est-à-dire une prospective qui se veut stratégique, une prospective qui est évidemment orientée vers un long terme plus lointain,qui permet de rendre des marges de manœuvres aux acteurs, c’est-à-dire d’intégrer les idées de changement, qui sont fondamentales. Philippe Maystadt a rappelé le nom d’Egard Morin. Ainsi, avec l’auteur de La Méthode, il s’agit de faire des approches qui ne sont pas sectorielles, mais systémiques,qui sont, de plus, porteuses d’une volonté de changement,qui touchent donc au système et essaient de mettre ce système en mouvement, ou, comme le disait un prospectiviste portugais à l’OCDE, qui créent une movida, une mise en mouvement, comme on en a connu dans un certain nombre de territoires. Et c’est tout différent parce que la première s’habille d’une vision très scientifique, d’un regard épistémologique : on regarde et on ne touche pas. Elle sert à légitimer les décisions et les actions des élus qui diront : « j’ai un rapport de prospective éminent ici et je vais vous en dire les conclusions ». L’autre veut quant à elle faire bouger le système :  elle va mobiliser les acteurs  – pensons à Michel Crozier, L’Acteur et le Système : concevons le système ensemble, et puis travaillons, essayons de le connaître et activons ensemble le système, co-construisons. On voit que le positionnement de la prospective est différent. Le positionnement des élus est différent dans ce jeu-là aussi.

La gouvernance et la gouvernance sont deux mots différents. Il y a une première gouvernance dont on parle souvent, qui est celle de la procédure, du bon gouvernement, celle qui s’occupe du problème du cumul des élus et de choses semblables. Et puis il existe une autre gouvernance, celle qui est promue par le Programme des Nations Unies pour le Développement, d’abord orientée vers le Sud puis appliquée au Nord par la Commission européenne notamment, qui est une vision trifonctionnelle de la société, qui considère que les responsables politiques ne sont plus, dans le monde complexe et incertain dans lequel nous vivons, à même de prendre tous seuls les décisions qui modifient fondamentalement l’évolution de la société. Cette gouvernance s’articule sur au moins trois sphères. Je dis au moins trois, car la place des universités dans ce modèle n’est pas claire. Ces trois sphères sont : un monde de l’entreprise, un monde public, avec des élus et des fonctionnaires, et une société civile avec des citoyens et des associations. Une interaction doit être créée entre ces trois sphères. Une implication des entreprises est nécessaire dans l’action publique, une modestie qui est affirmée par les élus, qui sont, à ce moment-là, les maîtres des horloges, ceux qui donnent les impulsions. Cfr. les efforts en 1999, du Gouvernement arc-en-ciel, cette tentative d’Elio Di Rupo de dire : « nous vous tendons la main, qu’est-ce que vous voulez ? Faisons-le ensemble », avec l’idée de lancer un contrat d’avenir, et, à l’époque, il faut le reconnaître, une forme d’incompréhension d’un bon nombre des élus, de membres de la société civile et des entreprises ne comprenant pas ce qu’Elio Di Rupo voulait et pensant, probablement, qu’il faisait du marketing. Mais cette ouverture n’a malheureusement duré que quelques mois en Wallonie et s’est refermée après trois mois. Mais dans d’autres pays elle continue à s’ouvrir. Cela, c’est la gouvernance dans son deuxième sens.

Nous sommes aujourd’hui dans un pays qui vit des moments très difficiles. Très difficiles mentalement, très difficiles institutionnellement. C’est en tout cas, l’explication que l’on peut trouver sur la difficulté de remettre en place cette gouvernance. Le fait que, pour les Francophones – comme on dit –, mais surtout aussi pour les Wallons, se développe une crainte de voir l’État belgique disparaître par la volonté des Flamands. Le leitmotiv majeur est devenu : « il faut sauver la Belgique ». Un autre aspect, parallèle, qui se marque au niveau régional, sauf si je me trompe très fort, est de se plaindre qu’on crée des coalitions à trois, et de dire que c’est très difficile. Ces raisons sont des excuses, ou de bons motifs, pour créer une logique de gouvernement d’exception, en disant « nous devons absolument atteindre ces objectifs, notamment sauver la Belgique », ce qui est fondamental. Il n’est plus l’heure, il n’est plus temps d’avoir ou de créer une gouvernance ouverte telle que le prône le Programme des Nations unies pour le Développement.

Le sentiment que j’ai c’est que ces raisons, ces circonstances, nous poussent aujourd’hui à avoir un gouvernement plus fort, des partis plus prégnants, des acteurs plus contrôlés, des consultants plus disciplinés, et une prospective plus scientifique, c’est-à-dire non liée à la gouvernance.

Nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. Je lis un témoin peu suspect et à distance des problématiques wallonnes, écrire que « s’il n’y avait que les tyrans à ne pas aimer la démocratie, le monde irait mieux« . Ce témoin, c’est François Bayrou, dans son ouvrage De la vérité en politique. Et il poursuit : « les ennemis les plus retors, les plus dissimulés, les plus difficiles à débusquer, ce sont les gouvernants ordinaires, ordinairement cyniques, ceux qui considèrent, depuis l’origine pour ainsi dire de fondation, qu’il est inévitable de décider à la place du peuple obtus » [2]. C’est un discours que l’on entend aujourd’hui en Wallonie : « nous avons un peuple obtus. Nous avons des entreprises qui ne pensent qu’à elles. Nous avons une société civile qui revendique, une administration qui n’est plus à la disposition des élus ».

La Wallonie a besoin, je crois, d’une démocratie renforcée, c’est-à-dire, d’une part, d’un Parlement plus libre de l’Exécutif, un Parlement plus respecté par l’Exécutif, où les parlementaires sont respectés, et, d’autre part, où les partis politiques sont des lieux de renforcement de la démocratie et non des outils de lotissement de l’État.

La Wallonie a besoin d’une gouvernance renforcée où la sphère publique, l’Administration, sont valorisées pour leurs compétences, leur indépendance et le rôle de conseil, apprécié, qu’elles donnent aux élus,où les entreprises sont respectées, entendues, appréciées, non seulement dans une logique de concertation, comme on le voit au Conseil économique et social, avec des corps intermédiaires, mais aussi dans leur implication en tant qu’entreprises, comme parties prenantes du développement, au niveau régional comme au niveau territorial, c’est-à-dire, dans les intercommunales de développement – les agences de développement territorial comme on les appelle aujourd’hui. La Wallonie a également besoin d’une gouvernance dans laquelle la société civile est impliquée, avec des citoyennes et des citoyens en tant que tels, mais aussi des associations, des universités et des centres de recherche qui peuvent contribuer, ensemble, à des projets communs. Cette approche, je le répète, appelle la reconnaissance des acteurs entre eux. D’abord, évidemment les élus, que je n’ai pas cités dans ces dernières catégories, en les considérant, non pas avec mépris, mais comme les maîtres des horloges, ceux qui vont donner l’impulsion, même s’ils ne sont pas les seuls à la donner,mais surtout ceux qui vont prendre les décisions le moment venu. Tous doivent respecter les décisions qui sont prises dans les enceintes comme celles-ci, comme ce Parlement, qui est un lieu de démocratie représentative. C’est d’ailleurs ce que Philippe Maystadt nous a dit lorsqu’il a parlé des processus d’implication des acteurs dans le développement durable et le développement durable offre pour moi une chance réelle de pratiquer une prospective stratégique et une gouvernance délibérative.

Et je salue les représentants du Cabinet du Ministre Jean-Marc Nollet qui construisent les stratégies wallonnes de développement durable, parce qu’elles sont fondamentales sur les questions d’élaboration d’un pouvoir commun d’action, c’est-à-dire d’une gouvernance participative.

C’est dans ce cadre-là que nous avons offert par l’intermédiaire du rapport du Comité du Futur notre disponibilité à travailler avec les élus et en premier chef avec le Parlement wallon.

Au delà de l’avenir de l’Institut Destrée, celui de la Wallonie

Pour conclure, je voudrais vous remercier.

Je voudrais remercier ceux qui nous ont fait ou nous font confiance, nous ont encouragés, non pas depuis 75 ans mais depuis dix ou vingt ans ; avec qui l’Institut Destrée a œuvré dans des logiques vraiment partenariales. Un certain nombre d’entre eux sont dans cette salle. Beaucoup sont à l’extérieur. Robert Collignon quand il était ministre-président puis président du Parlement a été un interlocuteur très respectueux de notre positionnement et avec qui nous avons eu beaucoup de plaisir à travailler. Anne-Marie Straus nous a fait confiance, tant comme chef de Cabinet du Ministre Serge Kubla que comme directrice générale de la Recherche. Olivier Vanderijst nous a profondément encouragés dans notre travail sur la prospective à un moment, en 2004, où les relations avec le ministre-président qui était le sien était dans un contexte beaucoup plus difficile. Dans l’Administration, Angelo Antole qui a longtemps suivi nos dossiers au Secrétariat général, Florence Hennart dans notre exercice de prospective sur les politiques d’entreprises, Luc Maréchal, pour l’Aménagement du territoire et ses collègues de la direction de l’Aménagement et de l’Urbanisme, Christian Bastin, Claude Baleux avec qui l’Institut Destrée accompagne toujours les territoires en partenariat avec la DGO4 dans cet outil partenarial remarquable qu’est la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne pour lequel Ghislain Géron disait encore au Cercle de Wallonie sa satisfaction de le voir fonctionner. Philippe Suinen a rappelé nos collaborations depuis vingt ans, Olga Zrihen qui nous a fait confiance lorsqu’elle siégeait au Parlement européen et que nous retrouvons régulièrement sur le chantier du Cœur du Hainaut, Freddy Joris, qui était en première ligne comme chef de Cabinet de Robert Collignon, Philippe Adam, patron de la SPAQuE, plus ponctuellement mais avec beaucoup de plaisir, et bien d’autres, évidemment.

Je voudrais remercier le président de l’Institut Destrée, Jacques Brassinne, et les membres du Conseil d’Administration, nos deux vice-présidents, Micheline Libon et Paul Ficheroulle. Tous ceux qui nous font confiance, car changer de métier au sein même d’une organisation, dans une logique de rupture-filiation est toujours très difficile. Machiavel a écrit des choses terribles là-dessus. Remercier aussi Jacques Lanotte et Yves de Wasseige, la génération précédente de l’Institut Destrée, toujours présente sur le pont, et avec qui on garde la main serrée.

Et puis, remercier cette équipe d’élite qui est la nôtre : Marie-Anne Delahaut, Paul Delforge, Michaël Van Cutsem, les trois responsables des Pôles, Coumba Sylla et, en particulier, Marie Dewez et Jonathan Collin, ma garde rapprochée, qui ont magistralement organisé ces deux jours.

Remercier aussi Philippe Suinen et les membres du Comité du futur : Bernadette Mérenne, Denis Mathen, Pierre Gustin, Olivier Vanderijst, qui sont à nouveau parmi nous ce matin. Ils ont participé à un questionnement de nous-mêmes, en nous penchant vers le futur. Avec, vous en conviendrez, un risque énorme que nous avons pris et assumé. L’idée qui en est sortie est un renforcement de nos activités en prospective. Mais ce n’était pas la seule alternative.

Je voudrais aussi dire notre gratitude au Président du Parlement wallon, M. Patrick Dupriez, les parlementaires – ils étaient nombreux au Cercle de Wallonie et sont encore présents aujourd’hui. Grand merci aussi aux services du Parlement, en particulier Madame Bénédicte Lebrun et Monsieur Dany Olemans, pour leur accueil.

Nos vœux enfin, Monsieur le Président Dupriez, pour que, comme vous l’avez souligné, nous continuions le dialogue que nous avons entamé. Ce qui peut se passer sur ces questions de prospective et de gouvernance dépasse vraiment la question de l’avenir de l’Institut Destrée. Ne doutons pas que les choix qui devront être faits touchent à l’avenir de l’ensemble de la Wallonie. Et cela, c’est exaltant pour vous tous comme pour nous.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050


[1] Ce texte constitue la mise au net du discours prononcé au Parlement wallon le 11 juin 2013 à l’occasion du 75ème anniversaire de l’Institut Destrée.

[2] François BAYROU, De la vérité en politique, p. 57-58, Paris, Plon, 2013.

Namur, le 2 mars 2013

La mémoire, où puise l’histoire qui l’alimente à son tour, ne cherche à sauver le passé que pour servir au présent et à l’avenir, affirmait Jacques Le Goff. Faisons en sorte, poursuivait l’historien français, que la mémoire collective serve à la libération et non à l’asservissement des hommes [1]. Le souvenir trop fugace laissé par l’importante personnalité wallonne que fut Jacques Hoyaux, décédé ce 11 février 2013 à Boitsfort, a encore montré que la vision des disparus se laisse aisément modeler…

Jacques Hoyaux (1974)

Jacques Hoyaux (1974)

Vision collective et engagements personnels

Si Jacques Hoyaux, Wallon né à Uccle, fut porteur d’une vision de l’avenir, ce fut avant tout une vision collective à plusieurs horizons et de nombreux contenus. D’abord, parce que, par définition, une vision est une image de l’avenir que l’on tente de partager. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, chez les lycéens puis les étudiants wallons de Bruxelles, au Congrès national wallon puis à Wallonie libre et au Mouvement populaire wallon, ce militant socialiste wallon, comme il aimait qu’on le qualifie, s’inscrit assurément dans ces visions collectives qui revendiquèrent, non sans ambiguïté, à la fois une appartenance française de la Wallonie et l’instauration du fédéralisme en Belgique. Ensuite, parce que les discours et les commentaires partagés au moment de son décès ont permis de rappeler que Jacques Hoyaux, carolorégien d’adoption, fut le premier, au début des années 1970 à défendre, de manière argumentée, l’idée d’implanter l’administration wallonne à Namur. On se souviendra aussi que, en tant que renardiste, c’est-à-dire disciple du syndicaliste wallon André Renard, après avoir été longtemps marginal au sein du Parti socialiste belge (PSB) – sans toutefois être rebelle -, il fut le ministre wallon qui prépara les accords d’Egmont ainsi que du Stuyvenberg (1977-1978) et les transforma en textes de lois, avec son homologue flamand Ferdinand de Bondt. Il fut en première ligne lors de la dérobade de Léo Tindemans du 11 octobre 1978, avant de poursuivre sa carrière comme éphémère ministre de l’Éducation nationale et enfin contrôleur financier à l’Agence de Coopération culturelle et technique de la Francophonie. Enfin, parce que son rôle à l’Institut Destrée fut considérable, pendant sa présidence (1975-1985) et après celle-ci, notamment lors de la création du Centre René Lévesque, centre d’études des communautés de langue française, dont il présida le Comité scientifique en mettant aussi à la disposition de cette initiative, de 1988 à 1999, son carnet d’adresses [2].

La propre conception de Jacques Hoyaux se marquait par un caractère bien trempé et la place qu’il accordait aux affiliations dont il fut fait état lors de ses funérailles ainsi que dans la presse : son engagement socialiste, ainsi que son engagement laïc et maçonnique. Je n’y reviendrai pas. Le premier relève d’un parti qui, à ma connaissance, n’a jusqu’ici rendu aucun hommage public à cet homme qui lui était resté fidèle toute sa vie et pendant très longtemps, est revenu de Bourgogne, chaque année, commémorer le 1er mai à Charleroi ; le second engagement m’a toujours semblé relever de la sphère privée.

Le Manifeste de 1983 comme révélateur

Comme pour de nombreux Wallons, le Manifeste pour la Culture wallonne de 1983 fut un révélateur du positionnement institutionnel de Jacques Hoyaux. Affirmant la Wallonie haut et fort, ce texte pourfendait la Communauté française dans laquelle les auteurs du texte disaient ne pas se reconnaître et qui, à leurs yeux, aggravait la dépendance culturelle des Wallonnes et des Wallons par rapport à Bruxelles mais aussi à Paris, et ne pouvait que réduire le pays wallon à une province culturelle francophone.

Jacques Hoyaux n’en fut pas signataire. Or, tant Maurice Bologne et Aimée Lemaire que Guy Galand – qui lui étaient très proches sur le plan des affiliations wallonne et de gauche – avaient été parmi les premiers à apporter leur soutien au Manifeste. Lorsque Jacques Hoyaux, alors président de l’Institut Destrée, fut interpellé par des administrateurs puis par l’ensemble de la Section de Liège de l’Institut Destrée, afin que l’Institut Destrée fasse siens les objectifs du Manifeste, il réfuta les uns après les autres les arguments développés. Faut-il s’en étonner puisqu’il avait été l’un des premiers à défendre la Communauté française et plus particulièrement l’appellation Wallonie-Bruxelles  [3] ? Il exigea d’ailleurs que les discours de Philippe Moureaux, alors ministre-président de l’Exécutif de la Communauté française, prononcés à la Convention de l’Action culturelle à Morlanwelz en 1983 et au Centre d’Action culturelle de la Communauté d’expression française (CACEF) en 1984, soient publiés dans l’ouvrage Culture et Politique [4]. Cela constituait, à ses yeux, une compensation – sinon une expiation – pour l’annexe de l’ouvrage qui reproduisait le Manifeste, les noms de ses signataires et les suites que cette réflexion induisait. Lors des conseils d’administration de l’Institut Destrée consacrés à ces débats, la discussion avait été très vive, sinon l’une des plus vives que cette institution ait connues en presque 75 ans d’existence. Soutenu par le vice-président socialiste bruxellois, Claude Remy, alors directeur général du Conseil de la Communauté française, Jacques Hoyaux avait fustigé le repli wallon que constituait à ses yeux le Manifeste, invoquant la nécessaire solidarité Wallonie-Bruxelles face à la menace flamande. Son radicalisme sur la question avait été tel qu’aucun consensus n’avait été trouvé.

Tout comme son ancien et proche collègue hennuyer au Sénat Guy Spitaels, au milieu des années 1990, Jacques Hoyaux s’était progressivement rallié à une vision plus régionale et moins communautaire, faisant lui-même référence au contenu du Manifeste de 1983. Son déménagement depuis la Bourgogne, où il était domicilié depuis le milieu des années 1980, à Bruxelles, depuis ces dernières années, allait toutefois à nouveau l’amener à défendre une approche plus linguistique de la question « communautaire », à s’agacer du bilinguisme bruxellois, jusqu’à interpeller, courtoisement certes, Elio Di Rupo en septembre 2011 sur le fait que le Parti socialiste aurait cédé aux Flamands sur BHV et la périphérie bruxelloise. Les arguments que Jacques Hoyaux avait déployés dans les années 1970 sur l’importance de la localisation des fonctionnaires wallons en Wallonie pour favoriser une prise de décision bénéfique à cette région s’appliquaient désormais à ses propres points de vue.

L’essentiel n’était pourtant pas là en ce qui concerne Jacques Hoyaux.

Être Wallon, c’est être Français

Comme il l’écrivait en 2006 dans une sorte de testament politique, luttant pour le fédéralisme depuis les années 1950 jusqu’y compris pendant son secrétariat d’État à la Réforme des institutions, il lui était vite apparu que la réforme institutionnelle était le moyen et l’appartenance française l’essentiel. Dans son esprit, il ne s’agissait ni de francophilie ni d’attachement à une communauté francophone, mais de la conviction qu’être Wallon, c’était être Français. C’est pour concrétiser cette volonté que, dès la fin de sa carrière ministérielle, il prit la route de la France, incita ses trois enfants à s’y installer également et à devenir Français. Sa fierté était alors de dire que ses dix petits-enfants avaient la nationalité française.

Indiquant que le temps écoulé invitait à réfléchir, Jacques Hoyaux concluait que le fédéralisme est une réforme insuffisante, elle ne favorise pas l’affirmation de l’appartenance française de la plupart des Wallons et des Bruxellois de langue française. Regrettant la disparition des « ondes wallonnes », il estimait que le transfert des compétences de la Communauté française Wallonie-Bruxelles à la Région wallonne pourrait faire évoluer ce contexte. Bruxelles, circonscription européenne aurait sa propre vie tout en restant géographiquement proche de la Wallonie.

Jacques Hoyaux considérait néanmoins en 2006 mais aussi en 2012 – ses amis pourraient en témoigner – que ce serait insuffisant. La Belgique fait obstacle à l’affirmation par les Wallons de leur personnalité : être Wallon c’est être Français (Wallon donc Français). Et il poursuivait que l’absence de conscience wallonne et donc française leur fait considérer comme normal l’état de dépendance vis-à-vis de la Flandre. C’est un comportement indigne. Et si, écrivait-il, être Français, comme le dit le Président de la République, est une chance. Pour les Wallons (et les Bruxellois qui le souhaitent), ce devrait d’abord être un fait, des devoirs, des solidarités, une fierté [5].

Un miroir de nos convictions et de nos contradictions

Jacques Hoyaux fut un miroir de nos convictions fédéralistes mais aussi de nos contradictions, en tant que Wallonnes et Wallons, de nos hésitations et de nos doutes. Wallon né à Bruxelles, il a cru longtemps en l’idée de Communauté française Wallonie-Bruxelles, avant de défendre le projet de transfert de toutes les compétences de cette institution vers les régions. Profondément attaché à la langue française, il ne pouvait que difficilement se résoudre à limiter Bruxelles à ses dix-neuf communes. Mais, surtout et avant tout, il avait la conviction que la Wallonie est un morceau de France et qu’elle en ferait partie tôt ou tard.

Telle était la vision de Jacques Hoyaux.

Celle-ci n’engage évidemment pas l’Institut Destrée dont il était président d’honneur. Cet organisme est avant tout un générateur d’idées et un lieu de débats. Comme Jacques Hoyaux aimait l’écrire, lorsqu’il était circonspect, sa réflexion alimente la nôtre.

A titre personnel, je n’ai jamais émis de doute sur le fait que Bruxelles était bruxelloise, donc à la fois flamande et francophone. Ma conviction est faite depuis quelques décennies que les frontières de Bruxelles resteront, quoi qu’il arrive, limitées aux dix-neuf communes. Par contre, mon sang ne se glace pas en portant mon regard sur les coteaux de Champagne ni en remontant la vallée de la Meuse jusqu’à sa source. Au contraire, mon pied se fait plus léger. Je reste néanmoins convaincu de la nécessité pour la Wallonie de se refaire une beauté démocratique et une santé économique avant de négocier avec la France, s’il nous arrivait de considérer notre position dans la Belgique fédérale – ou confédérale – par trop insupportable. Ce serait alors l’affaire du Parlement wallon, seul porteur de la souveraineté wallonne.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050


[1] Jacques LE GOFF, Histoire et mémoire, p. 177, Paris, Gallimard, 1988.

[2] Voir la notice de Paul DELFORGE, extraite de L’Encyclopédie du Mouvement wallon, t.4, Parlementaires et ministres de la Wallonie (1974-2009), Namur, Institut Destrée, 2010.

http://www.wallonie-en-ligne.net/Encyclopedie/Biographies/Hoyaux_Jacques.htm

[3] Jacques HOYAUX, L’autonomie culturelle, Nalinnes-lez-Charleroi, Institut Destrée, 1965. – Jacques Hoyaux avait fait renommer les Feuillets de la Wallonie de l’Institut Destrée, Feuillets de la Communauté française Wallonie-Bruxelles en février 1976.

[4] Guy GALAND éd., Culture et Politique, Charleroi, Institut Destrée, 1984.

[5] ARCHIVES DE L’INSTITUT DESTREE, Fonds Jacques Hoyaux, Option personnelle et familiale, Déc. 2005-Juillet 2006, 4 pages (5 novembre 2006).

 Namur, le 8 février 2013

Le Pacte d’Egmont, aussi appelé Pacte communautaire, est le fruit de négociations qui se déroulent au Palais d’Egmont à Bruxelles au lendemain des élections législatives du 17 avril 1977. Le Premier Ministre Léo Tindemans ainsi que les représentants des partis politiques qui vont former la majorité gouvernementale se réunissent du 9 au 24 mai pour élaborer ce Pacte qui sera annexé à la déclaration gouvernementale du 7 juin 1977. Ce sont les deux secrétaires d’État à la réforme des institutions, Ferdinand De Bondt (CVP) et Jacques Hoyaux (PSB) qui ont été chargés de traduire cet accord politique en termes juridiques. Les zones de flou étant propices à des interprétations divergentes entre ces deux Cabinets, le Pacte d’Egmont est complété, affiné, par les négociations entre des délégués des partis politiques (Comité des Vingt-Deux) qui se tiennent du 24 septembre 1977 au 23 février 1978 au Château du Stuyvenberg et permettent de réaliser les arbitrages indispensables. Un accord en sort qui est présenté par le Premier ministre Léo Tindemans et adopté au Parlement le 28 février 1978. Un projet de loi concrétisant le Pacte communautaire et les accords du Stuyvenberg est déposé au Parlement début juillet 1978.

Des organes d’exécution non politiques

Dans le but d’alléger les tâches des communes et de rationaliser le secteur des intercommunales, le Pacte d’Egmont prévoit la création de sous-régions [1] qui doivent être mises en place en 1982 ou 1983. L’idée était inscrite comme hypothèse dans le programme de réforme de l’État que le PSB avait déposé à la veille des vacances parlementaires de 1976 après l’avoir fait approuver par ses fédérations flamandes, wallonnes et bruxelloises [2]. Elle avait également été préparée au sein de la SDRW dans le cadre des études préalables au Plan régional d’Aménagement du Territoire wallon, ainsi qu’à la section wallonne du Bureau du Plan [3]. Le Parti social chrétien et le CVP soutiennent les sous-régions comme ultime concession à la suppression des conseils provinciaux, pour que ces pouvoirs intermédiaires constituent, outre les communes, le réceptacle des compétences des provinces ou des intercommunales [4]. Sortie des discussions du palais d’Egmont, la sous-région ne se veut pas pas un pouvoir politique, mais un pouvoir d’exécution situé entre des communes fortes et dotées de larges compétences (y compris celles anciennement exercées par les provinces en tant que pouvoir décentralisé) et une région autonome et souveraine dans de nombreux domaines. Elles ne disposent donc d’aucun pouvoir réglementaire. Il faut observer que si la loi a consacré les notions d’intérêt communal et d’intérêt provincial, les négociateurs ont définitivement établi qu’il n’y a pas d’intérêt sous-régional [5].

Bien qu’organes d’exécution non politiques, les sous-régions se devaient toutefois d’être également des organes démocratiques. C’est pourquoi, un conseil de sous-région devait être organisé. Ses membres devaient être nommés sur base des communes. Lors des élections communales, des listes de sous-régions devaient être déposées sous le parrainage de listes communales. Ce parrainage devait être assumé par les listes déposées dans les différentes communes constituant la sous-région. Les voix en faveur de ces listes devaient être regroupées après le vote pour permettre de constituer un conseil de sous-région par un système innovant à mi-chemin entre élections directe et indirecte. Dès sa constitution, le conseil de sous-région devait désigner en son sein un président ainsi qu’un bureau selon le mode en vigueur pour la désignation des bureaux des CPAS par les conseils communaux, c’est-à-dire en assurant une représentation proportionnelle aux tendances politiques présentes au sein du conseil de sous-région. Certaines sources évoquaient un exécutif de cinq personnes [6]. Il faut noter que, s’il n’y avait pas d’incompatibilité entre un mandat communal et un mandat à la sous-région, il y avait incompatibilité entre la fonction de conseiller de sous-région et les mandats de membre de la Chambre des Représentants et de conseiller régional.

Des délimitations différentes en Flandre et en Wallonie

 Des divergences entre Flamands et Wallons sont apparues quant il s’est agi de réaliser le découpage en sous-régions, les premiers préconisant une organisation suivant les arrondissements électoraux, les seconds souhaitant s’appuyer sur une délimitation socio-économique de la Wallonie au travers des plans de secteur. Une délimitation différente au Nord et au Sud fut donc décidée. La Région flamande devait comprendre 11 sous-régions et la Région bruxelloise une sous-région dont les tâches seraient exécutées par les organes de la Région bruxelloise. Malgré le souhait de certains négociateurs francophones, en particulier du Parti social chrétien, de donner aux sous-régions une ampleur comparable aux provinces, voire d’en reconstituer certaines, comme le Luxembourg, une répartition de la Wallonie en 13 sous-régions fut réalisée en utilisant les plans de secteur, à l’exception de la sous-région germanophone, créée quant à elle sur base linguistique. Il faut noter que le projet précisait que plusieurs sous-régions pouvaient s’associer pour réaliser ensemble certaines tâches limitées.

Source : Archives de l'Institut Destrée, Fonds Jacques Hoyaux, Réforme de l'Etat 1978-1979, Egmont-StuyvenbergRéalisation DGO4 (Pascal Maes) - Institut Destrée

Source : Archives de l’Institut Destrée, Fonds Jacques Hoyaux, Réforme de l’Etat 1977-1978, Egmont-Stuyvenberg – Réalisation DGO4 (Pascal Maes) – Institut Destrée

 Les sous-régions conçues dans le cadre du Pacte d’Egmont et des accords du Stuyvenberg ne disposaient donc que d’attributions d’exécution, exercées sous le contrôle de la Région. Ces attributions étaient de quatre types :

– celles déléguées par la loi, notamment certaines attributions confiées par les communes aux intercommunales à buts multiples. La liste de ces compétences devait s’inspirer de celle figurant dans la loi du 26 juillet 1971 sur les agglomérations et sur les fédérations de communes ;

– celles librement déléguées par les communes, la région, la communauté ou l’État ;

– celles transférées des provinces aux sous-régions, sachant qu’une partie importante de ces attributions devait être transmises aux communes ;

– celles assumant un rôle d’organe consultatif privilégié pour diverses matières comme l’aménagement du territoire, les communications, etc., lorsque le problème porte sur un territoire excédant celui d’une commune [7]. Il était également annoncé que les attributions provinciales (enseignement, soins de santé, etc.) devaient être transférées aux communes qui auraient eu le choix entre leur intégration communale ou leur transfert à la sous-région. Le financement des sous-régions devait être assuré sans fiscalité sous-régionale, mais par des rétributions pour services rendus versés par les pouvoirs déléguants (communes, région, communauté, État), par des subventions de ces pouvoirs, par des donations et legs, par des emprunts souscrits avec la garantie des communes, de la Région ou de l’État, et enfin par des contributions des communes aux frais de fonctionnement selon une répartition fixée par la Région.

Les liens avec les intercommunales et les communes

Les intercommunales, qui exerçaient des tâches à objectifs généraux par délégation des communes, devaient être reprises, ainsi que leur patrimoine et leur personnel, par les sous-régions. Les communes gardaient la liberté de s’associer pour des tâches spécifiques ne relevant pas de la compétence obligatoire des sous-régions, mais un avis de la région pour créer de nouvelles intercommunales à objectifs obligatoirement limités devenait nécessaire. Une réforme de la loi de 1922 sur les intercommunales devait réaliser une plus grande démocratie interne au sein des intercommunales, limiter précisément leur objet ainsi que permettre la rationalisation et la coordination des intercommunales.

La dérobade du Premier Ministre Léo Tindemans à la Chambre, le 11 octobre 1978, faisait capoter le Pacte d’Egmont, les accords du Stuyvenberg et, par la même occasion, les sous-régions. Elles semblent disparaître. Elles n’émergent plus des discussions communautaires ni des lois d’août 1980. Le contexte socio-économique se modifie lui aussi [8]. La tentative de leur mise en place fin des années 1970 est particulièrement fascinante : avec la réalisation des plans de secteur, cette expérience représente probablement le plus grand effort politique d’organisation territoriale volontariste de la Région wallonne. On soulignera aussi ce moment de rapprochement entre des dynamiques administratives, de développement économique régional ainsi que d’aménagement du territoire.

 (A suivre)

Philippe Destatte

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[1] Qu’est-ce alors qu’une sous-région ? En 1972, un juriste aussi averti sur les questions régionales que Fernand Dehousse, les considérait comme des zones économiques. Annales parlementaires, Chambre des Représentants, 15 mars 1972, p. 488. A noter que Henri Deruelles, député de l’arrondissement de Mons et rapporteur de la loi sur les fédérations de communes et les agglomérations, considérait, le 28 mars 1973, qu’une sous-région était plus généralement une partie de région. Ibidem., 28 mars 1973, p. 1318. Enfin, en janvier 1975, Jean Gol secrétaire d’État à l’Ecole régionale wallonne indiquait au Parlement qu’il avait chargé ses services d’établir une étude des particularités de chacune des sous-régions wallonnes. Ibidem., 23 janvier 1975 p. 1322.

[2] Louis VERNIERS, Le citoyen dans la Belgique nouvelle,  p. 157, Bruxelles, A. De Boeck, 1976.

[3] René SCHOONBRODT dir., Etudes préparatoires au Plan régional d’Aménagement du Territoire wallon, Projet de création de sous-régions en Wallonie, 15 p. + cartes, SDRW, Décembre 1977. – Propositions pour une restructuration de la Wallonie en zones de développement et d’aménagement, Bureau du Plan, Section wallonne, 1977. – Voir Christian VANDERMOTTEN dir., Aires de coopération, Rapport final de la CPDT, p. 173, Namur, MRW, 15 décembre 2006.

[4] Charles-Ferdinand NOTHOMB, La vérité est bonne, coll. Politiques, p. 213, Bruxelles, Didier Hatier, 1987. Jacques Hoyaux confirme par ailleurs que l’idée des sous-régions était chère à André Cools comme moyen de suppression des provinces. Entretien du 9 janvier 2013. Néanmoins, dans le projet, les provinces en tant que telles n’étaient pas supprimées, sauf celle du Brabant qui devait être scindée ; les gouverneurs restaient en place avec une fonction de tutelle administrative. Les députations permanentes étaient supprimées en même temps que les conseils provinciaux. Du dialogue communautaire de l’hiver 1976-1977 au Pacte communautaire de mai 1977 (III), dans Courrier hebdomadaire, Bruxelles, CRISP, n° 783-784, 16 décembre 1977, p. 27-28.

[5] Archives de l’Institut Destrée, Fonds Jacques Hoyaux, Réforme de l’État, Egmont-Stuyvenberg, Groupes parlementaires, Rapport sur les négociations du Stuyvenberg,  28 janvier 1978, p. 11. – Bernard ANSELME, Les organes régionaux de décentralisation économique d’aujourd’hui et de demain, dans Socialisme, avril-juin 1978, p. 259-266.

[6] Egmont-Stuyvenberg : en pratique, ce qui va changer, dans Vers l’Avenir, 19 janvier 1978, reproduit dans Henri LEMAÎTRE, Les gouvernements belges de 1968 à 1980, Annexe XIV, Stavelot, Chauveheid, 1982. À noter que l’annexe XIII présente une carte des sous-régions.

[7] Pacte communautaire, p. 53, Bruxelles, Secrétariat d’Etat à la réforme des institutions, 1978.

([8]) Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, Un autre pays, Nouvelle histoire de Belgique, 1970-2000, p. 236sv., Bruxelles, Le Cri, 2009. – En avril 1980, l’Exécutif régional wallon a défini sept zones de rénovation économique : le Hainaut occidental, Mons-La Louvière, Charleroi, Namur-Brabant wallon, Luxembourg, Liège-Huy-Waremme, Verviers et décidé de la création de cinq agences de reconversion : Hainaut occidental (à Tournai), Namur-Brabant wallon (à Wavre), Luxembourg (à Arlon), Liège-Huy-Waremme-Verviers (à Liège). C’est le Conseil d’Administration de la SRIW qui a procédé à la nomination des responsables des agences. Dossier pour Wallonie 2000, CRISP-RTBF, p. 50, Bruxelles-Liège, 1982.

Namur, le 3 février 2013

Masquées par la régionalisation, par l’autonomie culturelle ainsi que par la protection des minorités, les questions d’organisation territoriale et de décentralisation administrative infrarégionale sont généralement oubliées lorsqu’on évoque le processus de réforme de l’État qui a marqué la vie politique belge depuis toutes ces décennies. On peut toutefois affirmer que les territoires, ou régions dans le sens anglo-saxon du terme, se sont constitués de manière progressive dans une logique de fonctionnalité, nourrie à la fois par les initiatives locales et gouvernementales, ainsi que par le cadre des politiques régionales en formation, depuis les premières initiatives de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) dans les années 1950. Notre objectif est d’en identifier quelques jalons de nature à éclairer les origines de la complexité présente et d’en tirer quelques pistes pour l’avenir.

En octobre 1962, dans son ouvrage La Belgique au défi, Flamands et Wallons à la recherche d’un État, François Perin notait que l’organisation administrative intérieure de chaque État dépendait naturellement du législateur et de l’exécutif régional : il appartiendra, écrivait le constitutionnaliste, aux assemblées compétentes de réorganiser rationnellement les territoires wallon et flamand [1]. Il faut se souvenir qu’à l’époque, en Belgique en tout cas, on hésite toujours, malgré les textes de référence existants [2], à déterminer ce qu’est une région et l’espace territorial pertinent où mener une politique régionale. Ainsi, la loi organique sur l’Aménagement du territoire du 29 mars 1962 ne définit pas clairement le mot « région », mais y voit une portion du territoire national, constituant un ensemble cohérent et présentant des caractéristiques propres, communes à cet ensemble, aux points de vue démographique, social et économique [3]. Une prise de conscience se dessine toutefois à ce moment, à la fois grâce à l’influence européenne, où la Belgique fait alors, par son retard, figure d’exception, [4] et au niveau local, où des initiatives endogènes se développent. Certaines personnalités politiques nationales se préoccupent également de cette situation. C’est le cas de Gaston Eyskens, qui a nourri depuis 1953 l’idée d’un plus grand développement régional [5] et est avant tout ému par l’important chômage structurel qui sévit en Flandre. Décrivant, avant la constitution de son gouvernement, un Programme d’action et de relance économique qu’il publie dans la Revue politique, éditée par le Centre d’Études et de Documentation du PSC, en juillet 1958, il énonce en quatre paragraphes un remède spécifique applicable aux zones de développement.

Il faut intégrer dans ce programme une politique systématique de développement des économies régionales. Nous sommes convaincus que l’on n’arrivera pas à favoriser le développement économique et social des régions caractérisées par un chômage structurel ou un niveau de vie insuffisant si l’on n’a pas le courage de procéder à des mesures sélectives. Cela nous permettra d’attaquer à la base le chômage structurel que nous savons se situer à concurrence de plus de 70 % dans les régions flamandes.

Le Marché commun donne de nouvelles chances aux produits finis et aux fabrications de qualité. Il paraît difficile de créer, tout au moins dans un délai prévisible, des industries lourdes dans certaines zones de développement ; mais la localisation de quelques nouvelles industries opérée durant ces dernières années, nous montrent que certaines nouvelles fabrications offrent de sérieuses possibilités à ces régions. Ceci suppose aussi que l’on tienne compte des perspectives et des besoins régionaux dans la politique d’expansion et d’orientation de l’enseignement professionnel et technique, ainsi que dans la politique du logement.

Cela constitue un des moyens de remédier aux inconvénients de la trop grande distance, qui, dans les régions moins développées, sépare les travailleurs et les familles de l’endroit où se situent les activités productives. Cela permettra aussi de résoudre les problèmes sociaux et moraux qui se posent aux travailleurs actuellement contraints à une mobilité exagérée, à des déplacements longs et épuisants, avec toutes les conséquences sociales qui en résultent.

Dans le cadre d’une politique systématique des zones de développement, il faut résoudre le problème du Borinage et de la fermeture des mines non rentables, il faut procéder par priorité à la reconversion d’industries anciennes et stimuler la création d’activités nouvelles. Cela doit aller de pair avec une réorientation de la qualification et de la formation technique [6].

On mesure toute l’actualité de ces intentions, tant pour le Borinage que pour les autres territoires aujourd’hui frappés par le repli sidérurgique européen. Le parallélisme peut aussi être fait avec le diagnostic qui renvoie tant à la formation des travailleurs qu’à ce qu’on appelait alors la question morale et qu’on évoque davantage de nos jours sous les vocables de conditions culturelles au développement ou de mentalités.

Alors qu’en Flandre, c’était le chômage structurel qui inquiétait, en Wallonie, le Borinage, très durement atteint par la crise charbonnière, a manifestement fait œuvre de pionnier à la fin des années cinquante [7]. Les mobilisations et grèves qui s’y déroulent en février 1959 contribuent à la prise de conscience et forcent le gouvernement central – il n’y en avait pas d’autre – à prendre des engagements et à les concrétiser [8]. D’autres territoires suivent rapidement dans leurs revendications, notamment Liège, emmenée par l’asbl Le Grand Liège, et la province de Luxembourg [9]. En 1959, un Comité ministériel d’Expansion économique et de Politique régionale est constitué au niveau du gouvernement central. Après s’être mis d’accord sur quelques principes généraux, ce comité s’enlise définitivement en 1961 dans le découpage des régions en suggérant toutefois de délimiter le territoire de la Belgique en grandes régions (flamande, bruxelloise et wallonne), en régions et en sous-régions [10].

Pourtant, au niveau local, le pragmatisme poussait les élus et les acteurs à s’organiser. Alors que le niveau communal apparaissait comme le lieu naturel d’action pour attirer les investissements et les entreprises, il s’avérait trop étroit pour prendre en charge des projets d’envergure, notamment dans le domaine des infrastructures. Au contraire, la loi du 1er mars 1922 donnait aux communes la faculté de s’associer entre elles mais aussi avec l’État, les provinces et des personnes physiques pourvu que l’intérêt reste public. L’expansion économique et l’aménagement du territoire pouvaient assurément relever de ces préoccupations. De même, en reconnaissant par les arrêtés ministériels du 13 juillet 1959 et du 23 février 1960 des comités provinciaux d’expansion économique, le gouvernement central manifestait son encouragement à la mise en place de structures territoriales ou régionales [11].

Une note d’Hilaire Willot à Gaston Eyskens (1958)

On pourrait, avec le député social-chrétien Hilaire Willot [12], considérer que la politique régionale – dans le sens actuel de territorial – est née en Belgique en 1959 dans le contexte de la crise charbonnière européenne, belge et européenne. C’est en effet le 10 février 1959 que ce député montois, dont les livres histoires n’ont guère retenu le nom, interpelle le Premier ministre Gaston Eyskens et son ministre des Affaires économiques libéral flamand Jacques Van der Schueren concernant la politique économique régionale que le gouvernement entend réaliser en Belgique. D’emblée, le député démocrate chrétien peut-il regretter que c’est la première fois que la Chambre discute de politique économique régionale. Hilaire Willot rappelle que, confronté depuis 1949 au problème charbonnier du Borinage, il avait, en 1952, proposé au ministre des Affaires économiques, Jean Duvieusart, de désigner des commissaires royaux qui auraient étudié et mis sur pied une politique économique régionale, tant en Flandres (sic) que dans certaines régions en état de régression économique en pays wallon [13]. Le député Willot indique également avoir adressé une note à Gaston Eyskens, avant la déclaration gouvernementale, en insistant sur la nécessité de réaliser une politique économique régionale. Le 1er juillet 1958, lors de la constitution de son gouvernement social-chrétien homogène (Eyskens II), le Premier ministre a en effet souligné la nécessité de reconversion de certains territoires :

Un effort particulier doit être entrepris en faveur des zones de développement ; certaines régions à chômage structurel, en Flandres (sic) et dans le sud-est de la Belgique, par ailleurs dans le Hainaut, où, sans transformations et reconversions importantes, le bien-être et le progrès social seraient mis en péril. II faut avoir le courage d’y appliquer certaines mesures sélectives et d’y utiliser par priorité les stimulants dont l’État peut disposer : l’encouragement des investissements, le crédit à taux réduit, la garantie de l’État donnée avec discernement à l’éclosion des initiatives nouvelles.

Un programme décennal de travaux publics réalisera un aménagement progressif du territoire national. Ainsi, les nombreux milliards que l’État et les autres pouvoirs publics consacrent aux travaux seront dépensés avec plus d’efficacité [14].

Comme le rappelle Hilaire Willot, qui cite, le 10 février 1959, cet extrait à la tribune de la Chambre, cette déclaration est reprise par le gouvernement libéral – social-chrétien (Eyskens II) le 18 novembre 1958, en y ajoutant, dans le programme économique et financier, que Le gouvernement appliquera spécialement dans le Borinage une politique audacieuse de reconversion économique [15]. En ce qui concerne la politique territoriale, le Premier ministre revient sur les régions en développement : au point de vue structurel encore, une attention particulière sera donnée au problème des zones de développement et de reconversion lié, jusqu’à un certain point, à la suppression des subventions à divers secteurs. Deux zones tests avaient été choisies par le Gouvernement précédent : d’une part le Borinage, et, d’autre part, le Hageland et le sud de la Campine anversoise. D’autres régions du pays verront leurs problèmes examinés et résolus avec l’aide des pouvoirs publics, notamment celles qui sont caractérisées par le chômage structurel en Flandre ou qui souffrent, comme le Luxembourg, d’un exode de la population [16].

La définition d’une politique régionale sélective

Dans sa réponse à l’aimable interpellation du député montois, le Premier ministre déclare que la politique économique régionale constitue une des grandes préoccupations de son gouvernement. Mais ce qui est intéressant, c’est que Gaston Eyskens décrit cette nouvelle politique régionale, tant dans ses aspects généraux que dans le cas précis du Borinage.

Évidemment, nous avons l’obligation d’essayer d’adapter la structure économique de la Belgique entière, de notre économie nationale aux exigences et nécessités nouvelles du Marché commun et du progrès. Mais, d’autre part, nous sommes obligés, tout en nous inspirant constamment de l’intérêt général, de tenir compte des impératifs imposés à une politique économique régionale. Aussi, devons-nous appliquer une politique économique régionale spécialement pour des régions qui connaissent des difficultés économiques ou sociales graves ; c’est le cas des régions de conversion, du Borinage et d’autres régions du pays qui connaissent le chômage structurel depuis longtemps, ou d’une région menacée d’un dépeuplement systématique, comme la province de Luxembourg. Cette politique régionale visera à promouvoir l’aménagement de l’ensemble du territoire par l’utilisation rationnelle des sites, la localisation rationnelle des entreprises, l’organisation de voies de communication adéquates, l’adaptation de logements et de services publics aux situations typiques de ces diverses régions. Et, dans cette optique, les plans régionaux d’aménagement, établis par le Ministère des Travaux publics, pourront rendre des services considérables. Ces plans régionaux couvriront, dans un avenir proche, l’ensemble de la carte de la Belgique. Ils comprendront le cadre général selon lequel une région devrait s’organiser. Ce cadre prévoit le zoning général : zone industrielle, zone réservée à l’habitat, zone de récréation, le tracé de voies de grande circulation, les prévisions pour les principales installations d’intérêt général [17].

Une politique pilote sera ainsi construite sur mesure pour le Borinage, avec des initiatives spécifiques que Gaston Eyskens décrit.

Gaston Eyskens rappelle que le précédent gouvernement avait déjà désigné, parmi d’autres, le Borinage comme région test, afin d’appliquer par priorité, dans celles-ci, certaines mesures notamment celles visant à l’adaptation de l’infrastructure aux nécessités de l’expansion industrielle, donc à la construction de canaux, de routes, de voies d’accès, à l’établissement d’un zoning industriel, mesures visant aussi à l’amélioration du climat industriel, notamment avec la collaboration de l’Office belge pour l’Accroissement de la Productivité, aux essais dans ces régions en vue de stimuler des activités nouvelles ou d’obtenir la transformation des méthodes utilisées dans les industries existantes, qui souffrent parfois, de vieillissement. Et enfin, il y a aussi les mesures visant à l’assainissement du sol ou même, à l’embellissement, car ceci a aussi sur le plan humain une grande importance.

Le Premier ministre décrit ensuite plus spécialement les décisions qu’il a prises pour reconvertir le Borinage : élaboration du plan régional d’aménagement, mise au gabarit de 1.350 tonnes du canal de Nimy-Blaton-Escaut, exécution de la branche est et ouest du Ringvaart, à Gand, aménagement de l’Escaut entre Péronnes et Gand et mise immédiate au gabarit de 1.350 tonnes du canal de Nimy-Obourg. Complémentairement, Gaston Eyskens évoque les autres mesures envisagées ou en préparation : l’aménagement d’un parc industriel de 445 hectares sur les territoires de Ghlin et Baudour, au sud du canal de Nimy à Blaton, la réalisation de la route axiale est-ouest reliant la darse de Ghlin à la route de Quaregnon, la liaison nord-sud vers la darse de Ghlin, dite du Pavé-Richebé, le pompage et l’assèchement du marais de Douvrain, le démergement de la Haine, etc. [18]. Mais c’est aussi à des projets endogènes que le Premier ministre fait appel et il annonce l’arrivée prochaine des lois d’expansion économique qui vont constituer un premier cadre pour les politiques régionales.

Je tiens à vous déclarer, et je le souligne, que si l’on présente au gouvernement un projet exécutable, celui-ci, soyez-en assurés, lui accordera le soutien qu’il peut lui donner en vertu des lois existantes, et il interviendra encore davantage si vous voulez bien voter – et vous pourrez le faire, je l’espère, à brève échéance – un projet de loi que je compte déposer très bientôt, et qui prévoira des avantages aux investissements nouveaux dans le pays en général et, de plus, des avantages spéciaux pour les régions qui seront décrétées être des zones de développement. Pour celles-ci, un effort tout spécial et même un effort discriminatoire sera proposé.

Mesdames, Messieurs, je vous ai annoncé ces choses non sans quelques hésitations, car j’ai bien dû constater, dans le passé, qu’on n’a jamais eu le courage d’aller jusque-là ni d’oser demander au législateur d’accorder au gouvernement le pouvoir d’appliquer sciemment en faveur de certaines régions des mesures discriminatoires pouvant apporter les solutions qui s’imposent.

Je tiens aussi à déclarer que le gouvernement n’est pas resté inactif, en ce qui concerne l’élaboration d’un ensemble de projets industriels, qui peuvent nous mener à de bons résultats [19].

On le voit, c’est toute une politique qui se conçoit, dont il faudrait du reste évaluer la mise en œuvre et le respect des délais qui ne sont d’ailleurs pas précisés , ce qui n’est pas notre sujet. Ce qui est plus important de montrer, c’est le cadre législatif et réglementaire qui tente alors de se mettre en place. L’objectif qui a été affirmé consiste en la mise en place d’une politique discriminante, sélective, d’aides aux régions qui en ont le plus besoin, suivant des critères qui restent à déterminer. Ce seront, bien évidemment, les lois d’expansion économique. Non pas dans des cadres régionaux tels que nous les percevons aujourd’hui mais dans des cadres sous-régionaux, territoriaux, ainsi que les références au Borinage ou au Hageland et au sud de la Campine anversoise semblent l’annoncer.

(A suivre)

Philippe Destatte

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[1] François PERIN, La Belgique au défi, Flamands et Wallons à la recherche d’un état, p. 175, Huy, Presses de l’Imprimerie coopérative, 1962.

[2] André SCHREURS, Contribution aux études d’économie régionale en Wallonie, Problèmes de méthode, dans Revue des Sciences économiques, n° 97, mars 1954, p. 93-114 et n° 98, p. 144-169. – Mais aussi, bien sûr : Georges TRUFFAUT et Fernand DEHOUSSE, L’État fédéral en Belgique, Liège, Editions de l’Action wallonne, 1938.

[3] Jacques HOEFFLER, L’évolution du droit de l’urbanisme depuis 1962, p. 19, dans Les Cahiers de l’Urbanisme, n° 1, p. 11-21. – Pierre LACONTE, La loi du 29 mars 1962 sur l’urbanisme et ses effets : quelques réflexions, dans Les Cahiers nouveaux, Août 2012, n° 82, p. 34-39.

[4] Paul ROMUS, Expansion économique régionale et Communauté européenne, Leyde, Sythoff, 1958.

[5] Gaston Eyskens présidait alors le Congrès des Économistes flamands, voir Francis BISMANS, Lois d’expansion économique et théorie des contrats, dans Ph. DESTATTE (dir.), Contrats, territoires et développement régional, p. 19, Charleroi, Institut Destrée, 1999.

[6] Gaston EYSKENS, Programme d’action de relance économique, dans La Revue Politique, n° 2, Juillet 1958, p. 335-344, (extrait p. 341-342). – Annales parlementaires, Chambre des Représentants, 18 novembre 1958, p. 13.

[7] W. DEGRYSE, Michel FAERMAN, A. LIEBMANN-WAYSBLATT, Borinage, avec une introduction de Max GOTTSCHALK, Bruxelles, coll. Etudes d’Economie régionale, Bruxelles, Institut Solvay, 1958. – Un groupe de pression, le Comité de Défense du Borinage, dans Courrier hebdomadaire, Bruxelles, CRISP, n°3, 23 janvier 1959 et n°31, 11 septembre 1959.

[8] Le problème des reconversions régionales en Belgique, dans Courrier hebdomadaire, Bruxelles, CRISP, n° 85, 18 novembre 1960, p. 13.

[9] Six mois d’action revendicative dans la province du Luxembourg, dans Courrier hebdomadaire, Bruxelles, CRISP, 25 septembre 1959.

[10] Comité de développement régional, Premier rapport remis au ministre des Affaires économiques et de l’Énergie à l’intention du Comité ministériel d’Expansion économique et de Politique régionale, Bruxelles, 3 novembre 1961. Cité dans Paul ROMUS, L’Évolution économique de la Belgique depuis la création du Marché commun (1958-1968), dans Revue des Sciences économiques, Septembre 1968, p. 5. – Maurice PIRAUX, Les instruments de la politique régionale, dans Marc DELBOVIER e. a., Une Wallonie pour les travailleurs, coll. Semaines sociales wallonnes, p. 89, Bruxelles, Vie ouvrière, 1969.

[11] Notamment pour la Wallonie, les comités d’expansion économique de la province du Hainaut, de la province de Liège ainsi que de la province de Namur. Robert SENELLE, La Constitution belge commentée, p. 386, Bruxelles, Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération au Développement, 1974.

[12] Hilaire Willot (1912-1983), né à Rebecq, représentant de l’arrondissement de Mons de 1946 à 1965. –- Robert Senelle partageait cet avis : on peut affirmer que le départ d’une politique spécifique de développement régional n’a été donné qu’en 1959. Robert SENELLE, La Constitution belge commentée…, p. 384-385.

[13] Annales parlementaires, Chambre des Représentants, 10 février 1959, p. 12.

[14] Annales parlementaires, Chambre des Représentants, 1er juillet 1958, p. 5. – Francis Bismans estime que l’origine du thème du développement régional, bien présent dans le plan-clé, se trouve dans le congrès de 1953 des Économistes flamands. Francis BISMANS, Croissance et régulation, La Belgique 1944-1974, coll. Histoire quantitative et Développement de la Belgique et de ses Régions, p. 513, note 2, Bruxelles, Palais des Académies, 1992.

[15] Annales parlementaires, Chambre des Représentants, 18 novembre 1958, p. 6.

[16] Ibidem., p. 7.

[17] Ibidem., 10 février 1959, p. 29sv.

[18] Ibidem.

[19] Ibidem.

Namur, Parlement wallon, 7 décembre 2012 [1]

Adroitement interrogé le 13 novembre 2012 par Jacques Vandenbroucke, conseiller en communication au SPW, sur la nécessité de renforcer l’identité wallonne à l’occasion de sa première conférence au Cercle de Wallonie à Namur, en tant que patron des patrons wallons, Jean-François Héris a manifestement été pris de court. Alors que le président et CEO d’AGC Glass Europe sait mieux que beaucoup d’autres à quel point l’adhésion de tous les cadres et employés à un projet d’entreprise est indispensable pour la santé, la vitalité ainsi que pour l’innovation de celle-ci, il a répondu connaître des Borains, des Liégeois, des Luxembourgeois et des Namurois, mais pas les Wallons. L’identité wallonne n’existerait pas. La construire n’aurait pas vraiment d’intérêt.

Loin de moi l’idée de critiquer cette position. Intellectuellement, elle peut être défendue au même titre que la professeure Bernadette Mérenne pouvait légitimement s’interroger, lors des travaux du congrès Wallonie 2030, à Namur le 25 mars 2011, sur la pertinence de l’espace territorial wallon. On peut en effet imaginer ou construire un scénario de la désintégration de la Wallonie. Et je ne suis pas certain que des légions d’acteurs ou de citoyens se lèvent pour le trouver absurde. Peut-être du reste gagnerions-nous beaucoup de temps si nous le prenions tout de suite en considération ce scénario. La Wallonie aurait ainsi été une idée du XIXème siècle, qui aurait traversé le XXème siècle, avant de s’éteindre au début du XXIème siècle. Les historiens qui aiment raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin seraient probablement ravis.

Les alternatives à cette identité wallonne sont nombreuses. Si nous ne sommes que Hennuyers, Liégeois, Namurois, etc. nous pouvons nous laisser aller à nos penchants naturels localistes, puiser dans la mythologie (rappelons-nous les quatre fils Aymon !) ou dans l’histoire de nos anciennes nationalités les forces d’un sauve-qui-peut campanisliste, ou fonder sur nos projets de territoire un avenir stand alone, ou encore activer nos solidarités transfrontalières, avec le Hainaut français, avec Bruxelles, avec le Luxembourg, la Lorraine ou quelque länder allemand. Nous pouvons aussi réinvestir notre vieux paletot belge unitaire, en nous pressant d’oublier tout fédéralisme. Belges unitaires nous étions, Belges unitaires nous serions. Monsieur le Bourgmestre de Namur trouvera bien à réaffecter de jolis bâtiments comme celui-ci, qui héberge le Parlement wallon : on a fait à Marche-en-Famenne de beaux hôtels dans de plus laides églises. D’ailleurs, si nous ne lisions plus que Le Soir et ne regardions plus que la RTBF en télévision, je suis sûr que nous accélérerions ce scénario belgicain. Et les Flamands me direz-vous ? D’aucuns nous assurent que, mêmes si les Flamands partaient, la Belgique resterait elle-même, toujours grande et belle,  Bruxelles et la Wallonie assurant, de conserve, la continuité du service.

Nous pourrions tout aussi rapidement retrouver notre identité française. Si nous repartons des prémisses de Félix Rousseau dans Wallonie, Terre romane, nous aurions une bonne base. De taal is gansch het volk, on connaît bien. Mieux que l’équipe de France de football, les Wallons, comme en 1830, en 1914-18, 40-45, 50, 60-61, etc. ne sont-ils pas toujours prêts à entamer une Marseillaise et à hisser les couleurs de la République ? Les réunionistes de tout poil nous assurent d’ailleurs quotidiennement de l’incapacité de la Wallonie à se redresser, dépeignent les Wallons de manière plus cruelle encore que ne le font les meilleurs activistes flamands et nous assurent qu’après la solidarité anversoise et gantoise, nous bénéficierons de la charité bienveillante de Paris.

Peu de Wallons prônent le rattachement à l’Allemagne mais ceux qui le font, ou qui l’ont fait, ne manquent pas d’arguments. Là nous serions dans un vrai fédéralisme cohésif et intégratif, avec de vrai(e)s chef(fe)s, et cet anschlüss-là ravirait les Prussiens qui, depuis qu’on leur a promis la Meuse en 1805, regardent avec envie une frontière qui les porteraient à Arlon, Bouillon ainsi que jusqu’à Heer-Agimont et Givet.

On le voit, les alternatives ne manquent pas. Pourquoi donc se préoccuper de l’identité wallonne ?

Pourquoi se préoccuper de l’identité wallonne ?

Je vais vous le dire : parce que certains Wallonnes et Wallons – dont je suis – pensent que l’avenir de la Wallonie dépendra davantage d’elle-même que de l’hypothétique secours de Paris, de Bruxelles, ou même de Berlin. On ne se marie pas couché… Relevons-nous d’abord et nous verrons alors qui sont nos prétendants…

Le 2 mars 2011, alors que les négociations pour constituer un gouvernement fédéral se poursuivaient toujours, une vingtaine de personnalités membres du Collège régional de Prospective de Wallonie ont lancé un appel pour un Contrat sociétal wallon qui permettrait d’anticiper les transferts prochains de compétences qui leur paraissaient inéluctables, en suggérant de considérer ce moment comme une occasion particulièrement favorable de transformer la Wallonie[2]. On sait également que les signataires des accords institutionnels du 10 octobre 2011, réalisés sous la houlette d’Elio Di Rupo, ont décidé, d’une part, du transfert de compétences importantes (4,4 % du PIB) – principalement en sécurité sociale [3] -, du niveau fédéral vers les régions et les communautés. D’autre part, ces mêmes signataires ont décidé la révision de la loi spéciale de financement du 16 janvier 1989. La nouvelle loi spéciale va modifier l’intervention de solidarité du pouvoir fédéral vers les régions et accroître l’autonomie fiscale de ces dernières. Ainsi, à l’avenir les centimes additionnels élargis sur les recettes fédérales de l’IPP constitueront les principales recettes des régions en remplacement de la dotation IPP de base. Dans ce cadre nouveau, la Wallonie recevra moins de moyens que précédemment. Toutefois, un mécanisme de transition sera mis en place. Bien qu’il ait été convenu de le maintenir à un niveau constant en termes nominaux pendant dix ans, il a été décidé que, au nom de la responsabilisation des entités fédérées, le financement complémentaire transitoire diminuera ensuite de manière linéaire durant les dix années suivantes jusqu’à disparaître complètement. Prenant acte de ces dispositions, le Gouvernement wallon a donc estimé dès janvier 2012 que l’horizon 2022 constituera l’horizon critique pour la Wallonie, moment où la Région devra être en ordre de marche pour assurer une autonomie très accrue.

C’est pourquoi il nous paraît que la Wallonie a plus que jamais besoin de cohésion forte et de vision commune, donc d’une identité clairement définie.

Quel serait donc le contenu de cette identité wallonne ? Pour moi, cette identité ne peut être que citoyenne, donc définie collectivement. Je vois au moins huit axes sur lesquels la fonder.

Huit axes sur lesquels fonder l’identité wallonne

 1. La citoyenneté est l’identité

L’identification des habitantes et des habitants à un territoire, générant les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous celles et ceux qui y résident, au nom des valeurs mises en avant, peut assurer la cohésion sociale nécessaire au redéploiement de ce territoire. Ce sont en effet les valeurs qui sont déterminantes dans l’identification. Le projet à construire est, dès lors, celui d’une identité politique ouverte, respectueuse des personnes, participative et citoyenne, pluraliste et permettant d’autres affiliations, à d’autres niveaux de gouvernance ou d’affinités. Cette identité consistera ainsi davantage en une volonté de participer au projet commun qu’en un sentiment d’appartenance. N’oublions jamais que la participation des citoyens dans les processus de décision constitue une exigence majeure du développement durable [4].

 2. L’éthique politique est indispensable

Le projet de développement régional de la Wallonie ne peut se réaliser que par l’action politique. Or celle-ci est dévalorisée par la crise de confiance qui, en Wallonie comme partout dans le monde, s’est instituée entre le personnel politique et les autres composantes de la gouvernance que sont les entreprises, la fonction publique et la société civile. L’éthique de l’engagement implique que le citoyen sache qu’il doit être acteur du changement et de la construction d’un futur commun et partagé mais implique aussi le respect des valeurs citoyennes et de leurs engagements par les élus au cours de leur mandat. Cette ambition nécessite une formation citoyenne, une information adéquate et la création d’un espace d’expression politique permettant le dialogue avec les représentants élus.

 3. La société wallonne est pluriculturelle

La société wallonne est une société pluriculturelle. Cela signifie concrètement que l’identité culturelle française ou l’identité culturelle wallonne, dans le sens que lui attribue l’Union culturelle wallonne, sont insuffisantes pour rendre compte de toute la richesse culturelle de la Wallonie et il importe de souligner que ce constat n’est porteur de mépris ni pour la culture française ni pour la culture wallonne. C’est pourquoi nous distinguons clairement identité politique et identité culturelle, et pourquoi nous nous refusons jusqu’ici à mettre les deux identités en adéquation dans un quelconque projet de type national.

 Cette démarche implique deux dynamiques. La première consiste à accueillir les immigrés, d’où qu’ils viennent – de l’Union européenne ou du reste du monde –, dans une citoyenneté de participation active au projet de développement régional. Aucun fondement idéologique ne permettant ni ne nécessitant de distinguer ces immigrés du reste de la population de la Wallonie, il s’agit dès lors de leur accorder le droit de vote et d’éligibilité aux niveaux tant communal, ce qui est fait, que régional, ce qui reste à faire. La deuxième dynamique découlant de la distinction entre identité politique et identité culturelle, de même qu’entre la culture, la société et le pouvoir, doit être celle du dialogue des cultures et de l’interculturalité dans le cadre même de la Région Wallonie. Il s’agit, dès lors, de valoriser les différences et de se distancier aussi bien d’un communautarisme constitutif de ghettos hiérarchisés que d’un multiculturalisme satisfait d’un relativisme culturel superficiel. L’intégration des immigrants ne doit donc pas être considérée comme réussie, simplement quand ils sont fondus dans la masse de notre population, mais bien quand les identités culturelles de Wallonie et d’ailleurs ont été mutuellement reconnues et respectées afin que leur existence simultanée puisse être reconnue comme étant un enrichissement pour la société et pour le projet commun [5]. Autant vous dire que ce n’est pas cette situation que j’observe, en particulier à l’égard des musulmans, souvent assimilés aux islamistes dans un contexte d’incompréhension, véhiculée par de nombreux Wallons, en particuliers parmi les militants laïcs et quelques médias.

Ainsi, la société pluriculturelle doit-elle naviguer entre deux courants qui déterminent son équilibre : d’un côté, une identité politique respectueuse des différences et, de l’autre, des communautés culturelles qui laissent une latitude à leurs membres et ne tentent pas de les monopoliser. Une société vraiment libre n’est-elle pas une société dans laquelle les identités complexes peuvent s’épanouir ?

 4. L’inscription dans le fédéralisme

Avec Jacques Brassinne de La Buissière et quelques amis, nous avons décrit un projet de régionalisation de la Belgique autour des quatre régions linguistiques définies progressivement en droit depuis la fin du XIXème siècle et inscrites dans la Constitution en 1970. Ce fédéralisme à quatre me paraît la voie d’avenir, qu’on le nomme comme tel ou qu’on l’appelle confédéralisme. Il permet en tous cas l’autonomie de chacun et est de nature à décrisper nos relations avec la Flandre [6].

Parallèlement, le transfert de l’exercice de compétences de la Communauté française vers la Région wallonne, d’une part, et vers la Commission communautaire française de Bruxelles, d’autre part, est à l’ordre du jour. Elle n’est, on le sait, possible, sans négociation avec la Communauté flamande, et ce, en vertu de l’article 138 de la Constitution. Cette procédure, réalisée par des votes à majorité spéciale au sein du Conseil de la Communauté française, du Parlement wallon et du groupe linguistique français du Conseil régional bruxellois permet en effet aux Bruxellois et aux Wallons de définir un nouveau mode de gestion des compétences de la Communauté française. Nombreux sont les Wallons et les Bruxellois qui, aujourd’hui, souhaitent établir une véritable dynamique régionale, en articulant le projet économique et le projet culturel mais aussi en réalisant la véritable décentralisation culturelle que Freddy Terwagne appelait déjà de ses vœux en 1970. Dans ce domaine, il faut impérativement mettre fin aux cris effarouchés qui veulent assimiler toute revendication de régionalisation de la culture, de l’enseignement ou de l’audiovisuel à une tentative d’abandon, par la Wallonie, de Bruxelles à la Flandre. Le discours sur la flamandisation de Bruxelles est un discours idéologique qui ne bénéficie pas, ni dans les faits ni dans les chiffres, de fondements objectifs – au contraire, puisque le poids politique et démographique flamand recule à Bruxelles. La Wallonie et Bruxelles ont chacune leurs cultures, aussi différentes que complémentaires. Les unes ne doivent pas être valorisées aux dépens des autres, leur coexistence fait partie de nos richesses communes.

 5. Les réformes de structure

En 1970 déjà, les auteurs d’un dossier pour un gouvernement wallon, Georges Vandersmissen et Emile Nols, se disaient persuadés que la Wallonie ne pourrait fondamentalement se rénover que par des réformes de structure économiques et sociales, que cette reconversion devait se faire non dans une perspective technocratique, qui donne priorité à la croissance des composantes macro-économiques, mais avec le souci de répondre aux besoins de la population et se réaliser avec la participation démocratique de celle-ci [7]. Évoquer aujourd’hui les réformes de structure, c’est, pour la Wallonie, marquer sa volonté d’être prête à modifier profondément les structures politiques sociales, culturelles vieillies ou dépassées par des mutations profondes. La prospective que l’on invoque de plus en plus en Wallonie – parfois du reste avec une certaine naïveté – n’a de sens que si elle produit des changements profonds, systémiques, structurels.

A ces mutations de structures doivent correspondre les mutations des esprits. En fait, il s’agit de mettre en place un véritable processus de changement par évaluation des besoins, mobilisation des ressources et motivation des acteurs, c’est-à-dire aussi des citoyennes et des citoyens. Vouloir régionaliser sur papier, sans modifier fondamen­talement les états d’esprit et les méthodes, c’est travestir les réformes, c’est accumuler les alibis, avait déjà prévenu l’ancien ministre libéral et bourgmestre de Liège Maurice Destenay, au lendemain de la réforme de l’Etat en 1971 ([8]).

 6. Le travail et l’emploi

Faut-il encore ici plaider sur l’enjeu que constitue la question de l’emploi dans la problématique de la participation de l’individu à la société ? Travail et emploi sont liés tant à la problématique de l’identité qu’à celle de la citoyenneté.

D’une part, il existe un besoin vital de reconnaissance pour toute personne, d’autant que le travail est un facteur essentiel d’intégration sociale, y compris pour les femmes.

D’autre part, l’exclusion du travail et de l’économie dégrade les conditions de la citoyenneté, notamment en provoquant une crise de confiance à l’égard des gestionnaires, en générant la méfiance envers toute solution potentielle et la mise en cause de tout système politique.

 7. Un printemps culturel

La citoyenneté, c’est aussi vivre dans un espace où l’on se manifeste culturellement. La tâche prioritaire en ce domaine consiste à créer un espace culturel wallon en mettant en place des institutions régionales qui permettent le développement d’une offre artistique et culturelle intense en Wallonie. Cet espace culturel se doit d’être qu’un espace de liberté et de création dans lequel ouverture et mobilité internationales constitueront les maîtres-mots.

Dans le domaine culturel, plus que dans tout autre, le paradigme enracinement – universalité est de mise. L’objectif n’est pas de développer une culture wallonne en tant que telle – tout débat sur son existence préalable ou non est stérile –, mais de créer les conditions d’un renouveau culturel en Wallonie qui favorise toutes les formes de créativités nécessaires au dynamisme d’une société et qui constitue la « vitrine » de ce dynamisme. A ce point de vue, il me semble que la renaissance à Namur, capitale de la Wallonie, d’un grand musée des Arts en Wallonie pourrait constituer l’un des projets majeurs de votre coopération.

 8. Une politique extérieure de solidarité

Parlant d’identification, nul ne peut nier que ce processus implique une part de reconnaissance extérieure, reconnaissance indispensable aux relations internationales et au commerce extérieur. Comment rester indifférent aux continents africain, sud-américain, asiatique ? Comment ne pas davantage intégrer dans notre horizon ces terres et ces populations en friches d’affection, d’espoir et de solidarité, vers lesquelles nous devons pourtant tourner notre jeunesse à défaut d’y avoir été suffisamment présents nous-mêmes ? Comment ne pas puiser dans ces mondes de joies et de malheurs les éléments de relativité qui rendent nos plaintes et nos conflits locaux dérisoires, parfois même dans leurs principes ?

 Une identité politique ouverte et non exclusive

Qu’on aime ou non le concept, l’identité politique est une des conditions de fonctionnement démocratique, tout comme, dans un État-nation démocratique, la nation constitue l’espace politique où s’exerce la démocratie. L’identité politique ouverte et non exclusive, tout comme l’idée postnationale de patriotisme constitutionnel, doivent constituer les garants de la liberté et du pluralisme de l’espace politique.

Le fédéralisme – largement teinté de confédéralisme – mis en place par les différentes réformes de l’État est porteur, pour les citoyens, de la nécessité d’une pluralité des affiliations. L’enjeu, sur le plan wallon, est de construire un espace d’expression et de fonctionnement de la démocratie wallonne, porteur d’avenir.

C’est là que réside la nécessité d’un projet de développement pour la Wallonie.

Au delà des incantations du court terme, faisons en sorte que des valeurs nouvelles émergent en Wallonie, que la créativité, la responsabilité et la solidarité soient réintroduites dans le débat régional et trouvent leurs modes de réalisation dans les projets concrets. Il n’existe pas de lieu plus approprié pour le rappeler que le Parlement wallon.

Philippe Destatte

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[1] Intervention au Parlement wallon ce 7 décembre 2012 lors du colloque Namur, Made in Wallonia, De l’installation… à l’identité… à l’image, organisé par NEW pour le Parlement wallon et la Ville de Namur.

[3] Patrick BISCIARI et Luc VAN MEENSEL, La réforme de la loi de financement des communautés et des régions, dans Revue économique, p. 84, Bruxelles, Banque nationale de Belgique, Juin 2012.

[4]  Un système politique qui assure la participation effective des citoyens à la prise de décisions. Gro Harlem BRUNDTLAND, Our Common Future, 1987.

[5] Alain TOURAINE, Qu’est-ce que la démocratie ?, p. 202, Paris, Fayard, 1994.

[6] Jacques BRASSINNE de La BUISSIERE et Philippe DESTATTE, Un fédéralisme raisonnable et efficace pour un État équilibré, dans Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, La Belgique va-t-elle disparaître ? Itinéraire d’une nation européenne, p. 81-87, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2011.

[7] Walter Nova, Dossier pour un gouvernement wallon, Fédéralisme et perspectives économiques, Liège, Fondation André Renard, 1970.

[8] Déclaration de Maurice Destenay, Ministre d’État, Bourgmestre de Liège, le 26 septembre 1971, cité dans Jean-Marie ROBERTI, Pour une radio-télévision wallonne démocratique, dans Combat, 30 septembre 1971, p. 7.