Et c’est qui cette “société civile” ?
Hour-en-Famenne, le 23 juin 2019
La question que le caricaturiste Kroll faisait poser au président du Parti socialiste Elio Di Rupo, le 20 juin 2019, est tout à fait intéressante et pertinente. Elle nous inspire et mérite plusieurs niveaux de réponse même si, comme le soulignait le chercheur finlandais Jussi Laine en 2014, définir le concept de société civile constitue lui-même un projet politique [1].
On pourrait trouver une première réponse par la philosophie politique qui s’est attelée à la définir, d’Aristote à Karl Marx et Jünger Habermas, en passant par Thomas d’Aquin, Jean Bodin, Thomas Hobbes, John Locke, Adam Ferguson et son célèbre Essay on the History of Civil Society (1759) [2], Jean-Jacques Rousseau, Emmanuel Kant, Georg W. F. Hegel, Edmond Burke, Johann G. Fichte et quelques autres. Ces philosophes ont théorisé sur les rapports entre la société, la politique, l’État, l’affrontement entre le particulier et le général, et enfin ouvert la porte de l’économie politique [3]. Dans ces différentes conceptions, la communauté politique, organisée en Etat ou non, s’oppose aux droits naturels que l’on investit plus ou moins de contenus et de droits liés à la personne. La relation à l’activité économique y est également présente depuis les origines, même si elle fait débat.
1. La société civile : des pouvoirs organisés contre l’État?
C’est en référence à la tradition hégélienne, marxiste et en faisant appel aux travaux d’Antonio Gramsci que, en 1977, Robert Fossaert a défini la société civile comme l’ensemble des pouvoirs organisés dans la société, ensemble considéré par opposition avec l’État. L’économiste français notait dans sa théorie générale de la société que l’opposition entre la société civile et l’État n’est pas une séparation rigoureuse. Elle ne constitue pas un antagonisme permanent entre, d’une part, du pouvoir étatique qui assurerait la domination et, d’autre part, des contre-pouvoirs, positionnés dans la société civile, qui combattraient la domination établie. L’État et la société civile, écrivait-il, se compénètrent, se soutiennent et se combattent en une dialectique variable d’une société à l’autre [4]. Fossaert note que, à la faveur de l’activité parlementaire et de la liberté d’association, une bonne partie des pouvoirs sociaux non étatiques rentrent dans cette catégorie appelée société civile, ainsi que dans la sphère politique. Toutefois, une part de la société civile est enracinée hors de cet espace politique : les entreprises, les firmes, les corporations, les syndicats, les Églises, les associations aux vocations les plus diverses y font, de quelque manière, sentir leur poids politique. Dans ce riche ensemble, l’économiste français comprend des pouvoirs occultes, informels ou inavoués [5]. Fossaert insiste donc sur la diversité et l’hétérogénéité des organisations de la société civile : aucun principe unifiant ne préside à leur genèse, ne guide leur activité ; leur seul dénominateur commun est l’État, à l’emprise duquel ils échappent plus ou moins[6]. Comme souvent, Robert Fossaert a bien balisé le sujet.
Néanmoins, comme l’indiquait en 2004 l’historien Pierre Rosanvallon, à l’heure de la globalisation, on ne peut plus appréhender les problèmes d’aujourd’hui dans le cadre d’une histoire conflictuelle longue des rapports entre l’État et la société civile et prenant la forme d’un jeu à sommes nulles [7]. Même si cette histoire nous a marqués profondément. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de se souvenir avec l’auteur de l’ouvrage Le bon gouvernement [8] du dernier décret pris par l’Assemblée constituante française, le 30 septembre 1791. Celui-ci disposait que nulle société, club, association de citoyens ne peuvent avoir, sous aucune forme, une existence politique, ni exercer aucune action ni inspection sur les actes des pouvoirs constitués et des autorités légales ; que, sous aucun prétexte, ils ne peuvent paraître sous un nom collectif, soit pour former des pétitions ou des députations, pour assister à des cérémonies publiques, soit pour autre objet. Le rapporteur de ce décret n’était nul autre que Le Chapelier, celui-là même qui avait marqué de son nom quelques semaines auparavant la suppression des groupements professionnels et des corporations de métiers. Isaac Le Chapelier avait argumenté le 29 septembre 1791 en plaidant qu’il n’y a de pouvoirs que ceux constitués par la volonté du peuple exprimée par ses représentants ; il n’y a d’autorités que celles déléguées par lui ; il ne peut y avoir d’action que celle de ses mandataires revêtus de fonctions publiques [9].” Cette conception va évidemment nourrir la description qu’Alexis de Tocqueville fera plus tard de cet État omnipotent et régnant en maître sur une société civile asservie. C’est l’histoire et la France, bien entendu. Mais est-on bien sûr que ces tentations nous sont étrangères, même en 2019 ? Elles font, en tout cas, partie du contexte des relations entre l’État, sous ses différentes formes, et la société civile, espace des activités privées, dont l’indépendance quand elle est véritable continue souvent à agacer…
Bien au-delà de ce péché originel de la République, Rosanvallon argumentait plus de deux siècles plus tard autour d’une vision devenue désenchantée tant de la politique que de la démocratie. Dans cette remise en cause que l’historien observait, ni l’État ni la société civile n’étaient épargnés. À l’heure de la gouvernance, écrivait le directeur de recherche à l’École des Hautes Études en Sciences sociales, les visions enchantées du monde associatif et de la décentralisation ne sont plus de mise ; pas plus que les vieilles certitudes institutionnelles et procédurales sur la formation du bien social [10]. Et pourtant, on pouvait croire que les nouveaux modèles sortis du XXe siècle avaient pu revivifier tant la démocratie que la société civile.
2. La société civile, partie prenante de la nouvelle gouvernance?
La fin de la guerre froide et la perte des repères traditionnels de la souveraineté, nés de l’accroissement de l’interdépendance, ont provoqué un changement profond dans l’appréhension du politique et de ses institutions. Les enrayages multiples de la démocratie représentative et notamment le maintien de régimes autocratiques dans les années 1980 et 1990, ont induit une perte de confiance fondamentale en l’efficacité de la gestion de l’État par le politique, à quelque niveau qu’il se situe. Cette évolution, conjuguée à la difficulté d’agir sur l’interdépendance à partir des gouvernements nationaux, a affaibli la sphère de l’État au profit de la sphère économique et de la société civile. Ce flottement de la notion de pouvoir étatique, la complexité du système qui se mettait en place, tout comme les réseaux qui le composent et les processus qui l’animent, ont fait apparaître le concept de gouvernance comme principe d’organisation. Ce principe s’est développé dans un contexte de tensions et de malaises encore accrus par la dénonciation des dysfonctionnements produits par la bureaucratie, par une revendication éthique dans la gestion publique et par la judiciarisation de la société [11].
Les travaux sur la gouvernance publique, tels que développés au sein d’organisations internationales comme les Nations Unies ou l’Union européenne depuis la fin des années 1980 ont fait de la société civile un des trois piliers de la gouvernance au côté de la sphère publique et du monde des entreprises. Nous avons largement analysé ce modèle par ailleurs, y compris dans ses évolutions possibles et souhaitables [12]. Composée de tous les citoyens, organisés ou non au travers des institutions non gouvernementales, des organisations professionnelles, des associations religieuses, féminines, culturelles, communautaires, etc., la société civile y est décrite comme facilitatrice de l’interaction politique et sociale, notamment en mobilisant des groupes de citoyens pour qu’ils participent aux activités économiques, sociales et politiques et formulent quantité de points de vue dynamiques et divers [13].
Mais, même dans ce cadre relativement nouveau de gouvernance, la difficulté d’appréhender concrètement la société civile et d’en définir les frontières subsiste [14]. Cette difficulté s’accroît d’ailleurs lorsque l’on tente d’établir des critères de sélection pour pouvoir en distinguer les composantes. Le sociologue et politologue Jan Aart Scholte s’y est essayé. Il observe d’abord que la société civile se situe dans la sphère non gouvernementale et non dans le secteur public. Ce professeur à l’Université de Warwick puis à celle de Göteborg, estime que la société civile n’a pas pour objet de contrôler l’appareil d’État, ce qui devrait, selon lui, en exclure les partis politiques. De plus, elle s’inscrit dans le domaine non commercial et ne cherche pas à faire du profit. Cette caractéristique, dit-il, en écarte la presse tout comme les coopératives, car la société civile se situe en dehors du secteur privé de l’économie de marché. La société civile est ainsi identifiée à un troisième secteur qui n’est ni l’État ni le marché. Sa vocation est pour lui, autre : extérieures à ces deux sphères, les activités de la société civile impliquent un effort délibéré pour déterminer des politiques, des normes et/ou des structures sociales, formelles ou informelles, plus profondes. La “société civile” est donc la dénomination collective des organisations et groupes citoyens [15].
Loin de sacraliser la société civile, Jan A. Scholte en a identifié les potentialités et les limites d’action politique. Il lui voit une plus-value possible dans les domaines suivant :
– contribuer à l’éducation publique ;
– élargir la participation des citoyens aux groupes qui ont du mal à se faire entendre ;
– nourrir le débat par des alternatives ;
– formuler des analyses, des méthodes et des propositions nouvelles ;
– contribuer à la transparence et à l’imputabilité démocratiques par une fonction de surveillance des marchés et de respect de la réglementation ;
– asseoir la légitimité de la gouvernance ;
– accroître la cohésion sociale en limitant les inégalités et les phénomènes d’exclusion.
Néanmoins, la société civile ne produit pas ces bienfaits automatiquement. Elle peut, selon lui, être l’objet ou à l’origine d’un certain nombre de travers :
– manquer de ressources humaines, matérielles ou créatives par rapport à ses tâches ;
– agir de manière mal intentionnée ou incivique ;
– pratiquer la désinformation à des fins idéologiques ;
– prêcher la violence, le racisme ou l’intolérance ;
– manquer de capacité analytique ou de connaissances ;
– avoir des pratiques non démocratiques et non transparentes ;
– être prisonnière de sa composition inégalitaire, biaisée, développée, lettrée, élitaire anglophone, judéo-chrétienne, etc. [16]
Dans les différentes définitions du concept de gouvernance, la problématique du positionnement de la société civile et de sa capacité à entamer un dialogue global avec la sphère politique est au centre de la revitalisation de la démocratie et de la réhabilitation du politique [17]. L’élément clef de la compréhension tout comme de la valorisation de la gouvernance réside probablement dans la notion de parties prenantes de la politique ou de l’enjeu déterminé, qui fait de cette partie un acteur potentiel [18]. L’acteur trouve dans ce mouvement, dans cette action, la légitimité de s’inscrire dans la gouvernance de l’espace ou du secteur défini. Quant au secteur public et particulièrement le gouvernement, il peut y découvrir une nouvelle occasion de repenser son rôle et, ainsi, une nouvelle vitalité [19].
3. La société civile dans un nouveau contrat social, un pacte à dix ans, un WalDeal
L’idée de nouveau contrat social est intéressante, car elle suggère la recherche d’une régulation contractuelle favorisant les échanges et médiations entre les trois sphères de la gouvernance, régulation contractuelle permettant de répondre à une démarche qui reste tout de même très empirique et encore très instable. Cette idée de contrat social implique également la reconnaissance préalable qu’aucun des concepts actuellement défendus par une société civile manifestement créative ne lui appartienne en propre. Certes, l’appropriation progressive du bien public par la société civile a contribué à induire le concept de gouvernance, mais la société civile n’est pas la seule sphère théorisant ou produisant des contenus relatifs à cette gouvernance. De même, les idées d’intérêt général, de droits de l’homme ou de développement durable qui portent l’action des ONG, sont-elles aussi débattues dans ces autres parties prenantes que sont les sphères de l’État ou des entreprises. Celles-ci sont aujourd’hui de plus en plus souvent en première ligne pour travailler sur les Objectifs du Développement durable et de plus en plus d’entrepreneurs font du bien commun une finalité [20].
Le 20 mai 2019, à l’issue de son assemblée générale extraordinaire, l’Institut Destrée appelait à un triple développement harmonieux aux niveaux européen, fédéral belge et de la Wallonie. Dans la logique des apports du congrès “Bifurcations 2019-2024” organisé avec le Collège régional de Prospective de Wallonie à Namur, le 4 décembre 2018, l’Institut Destrée appelait à la constitution d’une majorité la plus large possible des partis démocratiques au lendemain des élections du 26 mai. Dans l’esprit des membres de l’Assemblée générale, seule cette majorité pourra être capable d’appréhender l’ensemble des compétences de la Région wallonne et de la Communauté française, opérationnelles en Wallonie, dans une même vision et une même stratégie, pensées depuis la Wallonie. Elle pourra ainsi réaliser les ajustements institutionnels intrafrancophones nécessaires à son développement harmonieux. L’Institut préconisait que l’avenir de la Wallonie soit préparé pour une période suffisamment longue, avec une trajectoire centrale solide afin de pouvoir poursuivre et accélérer son développement au départ d’un véritable consensus entre ses parties prenantes (élues et élus wallons des partis démocratiques, partenaires sociaux, société civile, organisations non gouvernementales, acteurs de l’éducation, de la formation et de la recherche) et d’une implication parallèle de citoyennes et citoyens (forums, panels, etc.). Ce consensus, adopté par une majorité de parlementaires, devrait fixer des objectifs prioritaires pour deux législatures, avec des moyens d’action et des indicateurs de réalisation. Il constituerait l’inspiration et la base pour un axe central continu de politiques publiques et collectives grâce à l’implication et au soutien actifs de tous les acteurs.
L’espoir de l’Institut Destrée était que cette majorité, dès sa mise en place, se fonderait sur une sélection de quelques grands principes politiques et une méthodologie de co-construction avec les acteurs régionaux d’une politique collective, publique et privée. Cette méthodologie permettant au nouveau gouvernement de travailler durant tout l’été avec l’ensemble des acteurs pour élaborer un programme précis et innovant, refondant complètement le budget régional et le mobilisant dans sa totalité en faveur d’un renouveau de la Wallonie. La Déclaration de Politique régionale définitive prendrait alors la forme d’un engagement réciproque des acteurs (contrat, nouveau plan stratégique prioritaire, WalDeal, etc.) qui serait signé par les parties prenantes puis présenté lors de la rentrée parlementaire en septembre 2019. Après évaluation des résultats, ce pacte fédérateur à dix ans pourrait être amélioré et prolongé [21].
Le journaliste politique au magazine Le Vif/L’Express, Olivier Mouton, a bien pointé le 18 juin 2019 la différence très nette entre la démarche dite du Coquelicot minoritaire et la dynamique de Gouvernement ouvert qui est préconisée par l’Institut Destrée [22].
Contrainte, manipulation, ou établissement de relations contractuelles, de construits démocratiques d’action collective?
Les semaines qui ont suivi les élections régionales laissent une impression de profond malaise. L’absence de volonté des partis politiques et de leurs leaders de constituer des majorités larges et solides, leurs états d’âme, leurs tergiversations, les fantasmes en tout genre ne paraissent pas à la hauteur des enjeux formidables qui interpellent la Wallonie. Le discours sur la société civile comme substitut à la légitimité démocratique représentative et parlementaire pose véritablement question. Nous pensons en effet, avec Jan Aart Scholte et Pierre Rosanvallon que la société civile n’est pas, par elle-même, vertueuse et encore moins porteuse de souveraineté.
De plus, dans le modèle belge et wallon en particulier, le fait associatif a été progressivement intégré dans la généralité. On peut d’ailleurs en dire de même pour les corps intermédiaires. Ce phénomène s’est fait, comme en France d’ailleurs [23], mais peut-être avec plus d’ampleur, d’une triple façon : en tant que relais politique de la vision nationale ou régionale, comme auxiliaire de L’État, et enfin, avec la constitution des grands corps. De loin ou de près, la plupart des institutions non étatiques s’inscrivent peu ou prou dans le périmètre de l’État et en sont aussi les acteurs. Ils agissent en son nom ou à ses côtés, avec des moyens qui leur sont alloués. On pourrait du reste tenir un discours semblable à l’égard d’une bonne partie de la sphère entrepreneuriale, en tout cas si on en juge par l’ampleur des budgets publics qui leur sont alloués.
En fait, la méprise tient surtout au fait de se focaliser dans une logique de gouvernance, uniquement sur la société civile en l’isolant dans un face à face avec le politique. Il s’agit d’un défaut optique de la même nature que lorsque certains Flamands ne voient dans le système institutionnel belge que deux entités : la Flandre et la Wallonie, alors qu’il en existe au moins quatre.
Dans le système social, c’est à l’ensemble des acteurs, c’est-à-dire des parties prenantes du développement régional, qu’il faut s’adresser pour coconstruire des politiques collectives. À commencer bien entendu par l’ensemble des forces politiques, de la majorité comme de l’opposition et de toutes les forces qui peuvent contribuer à faire avancer ou même à freiner le redéploiement régional.
Que l’on s’interroge à partir du citoyen ou à partir de l’État, la question fondamentale de la gouvernance et de son fonctionnement reste prioritairement celle que posait Michel Crozier en ouverture de L’acteur et le système. Ce que l’ancien directeur de recherche du CNRS rappelait, c’est que toute entreprise collective repose sur l’intégration des comportements des acteurs sociaux concernés, individus ou groupes. Or, cette intégration ne peut être réalisée que de deux façons. D’une part, par la contrainte et la manipulation affective ou idéologique ; et d’autre part, par l’établissement de relations contractuelles, de construits démocratiques d’action collective.
Les construits d’action collective dans leurs différentes modalités constituent la solution. Par eux, les problèmes sont redéfinis et les champs d’interaction aménagés ou “organisés” de telle façon que, dans la poursuite de leurs intérêts spécifiques, les acteurs ne mettent pas en danger les résultats de l’entreprise collective, voire les améliorent. Bref, ils organisent des modes d’intégration qui assurent la nécessaire coopération entre acteurs sans supprimer leurs libertés, c’est-à-dire leurs possibilités de poursuivre des objectifs contradictoires [24].
La question fondamentale pour la Wallonie est donc moins de savoir qui, aujourd’hui fait partie de la société civile, mais qui est un acteur, une ressource, une variable positive voire négative de son avenir. L’objectif n’est donc pas de se limiter à travailler avec les organisations politiquement compatibles, pour reprendre une hypothèse bien identifiée par la politologue Caroline Van Wynsberghe, mais d’étendre le champ à tous les acteurs pertinents du système [25]. Nous voici loin des consultations, des concertations ou d’autres jeux de rôles plus ou moins formalisés. Nous voici dans l’action véritable et la dynamique de transformation. Cet effort demande non de composer entre des intérêts particuliers, mais, pour parler comme Rosanvallon, de construire ensemble de la généralité qui transcende ces intérêts. Les questions ne sont évidemment plus idéologiques et politiciennes, mais politiques et techniques : comment adresse-t-on ensemble les transitions énergétiques, comment réduit-on ensemble la pauvreté, comment sauvegarde-t-on la biodiversité, comment maintient-on la paix, comment crée-t-on ensemble de la valeur pour assurer la durabilité du système, comment redéfinit-on les moyens humains et budgétaires alloués aux différents enjeux, etc.. Ainsi, démocratie civile et démocratie politique se complètent, mais l’une ne saurait remplacer l’autre. La tradition démocratique et libérale rencontre ainsi la tradition utopique dans une synthèse d’action, sur un espace public et médiatique [26], certes encore à construire, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes de ce paysage wallon.
Ce sont la femme politique et l’homme politique qui sont au cœur de ces enjeux et des dispositifs et processus qui devront y répondre. Parce que ce sont eux qui se sont présentés aux suffrages des Wallonnes et des Wallons. Et parce que c’est à eux – aux 75 parlementaires – qu’ils ont adressé leur confiance pour qu’ils fassent le job. Parce que c’est eux – et eux seuls – qui détiennent la souveraineté des compétences régionales et communautaires. Les citoyennes et citoyens, les associations, les universités, les entreprises, les administrations et les opérateurs territoriaux sont probablement prêts à leur emboîter le pas. Pour déminer et coconstruire en amont un programme et le mettre en œuvre, sur base d’une majorité politique solide. C’est probablement moins lyrique que certaines déclarations entendues ces derniers temps.
Mais c’est certainement plus efficace pour redresser la Wallonie…
Philippe Destatte
@PhD2050
[1] Jussi LAINE, Debating Civil Society: Contested Conceptualizations and Development Trajectories, in International Journal of Not-for-Profit Law / vol. 16, no.1, September 2014/ 60. http://www.icnl.org/research/journal/vol16iss1/debating-civil-society.pdf – Voir aussi Neil A. ENGLEHART, What Makes Civil Society Civil? The State and Social Groups in Polity, vol. 43, no. 3, 2011, pp. 337–357. JSTOR, www.jstor.org/stable/23015027
[2] Norbert WASZEK, An Essay on the History of Civil Society, d’Adam Ferguson : contextes et lignes de force , in Études anglaises, 2011/3 (Vol. 64), p. 259-272.
https://www.cairn.info/revue-etudes-anglaises-2011-3-page-259.htm
[3] Catherine COLLIOT-THELENE, Etat et société civile, dans Philippe RAYNAUD et Stéphane RIALS, Dictionnaire de philosophie politique, p. 225-230, Paris, PuF, 1996.
[4] Robert FOSSAERT, La Société, 1. Une théorie générale, p. 63, Paris, Seuil, 1977.
[5] Ibidem, p. 64.
[6] Ibidem, p. 65.
[7] Pierre ROSANVALLON, Le modèle politique français, La société civile contre le jacobinisme, de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 2004, Kindle Emplacement 1111.
[8] P. ROSANVALLON, Le bon gouvernement, Paris, Seuil, 2015.
[9] Décret du 30 septembre 1791, Annales parlementaires, t. 31, p. 624. – Rapport sur les sociétés populaires, du 29 septembre 1791, t. 31, p. 617. Cité dans P. ROSANVALLON, Le modèle politique français…
[10] P. ROSANVALLON, Le modèle politique français…, Kindle Emplacement 8732.
[11] Thierry de MONTBRIAL, Le monde au tournant du siècle, dans Thierry de MONTBRIAL et Pierre JACQUET, Rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies (Ramses), p. 16, Paris, 1999.
[12] Philippe DESTATTE, Some “new” governance models in Europe and the United States, World Bank and World Academy of Arts and Science, Round Table on Governance and Law: Challenges and Opportunities, Washington, November 5th, 2018, publié dans Cadmus, Vol. 3, Issue 6, May 2019, p. 73-89.
https://phd2050.org/2019/01/18/waas-wb/ – Ph. DESTATTE, Les “nouveaux” modèles de gouvernance démocratique, Blog PhD2050, Hour-en-Famenne, 30 décembre 2018.
https://phd2050.org/2019/01/09/gouvernance1/
[13] G. Shabbir CHEEMA, Politique et gouvernance du PNUD : cadre conceptuel et coopération au développement, p. 10, New York, PNUD, Direction du Renforcement de la Gestion et de la Gouvernance, 1999.
[14] Steven KLEIN and Cheol-Sung LEE, Towards a Dynamic Theory of Civil Society: The Politics of Forward and Backward Infiltration, in Sociological Theory, 2019, Vol. 37(1), p. 62-88.
[15] Jan Aart SCHOLTE, Global Civil Society : Changing the World ?, in CSGR Working Paper n°31/99, p. 4, Coventry, University of Warwick, Centre for the Study of Globalisation and Regionalisation, Mai 1999.
[16] Pierre JACQUET, La gouvernance globale à l’épreuve des contestations, p. 85-86. – Jan SCHOLTE, Global Civil Society : Changing the World ?…, p. 24-32. – Jan Aart SCHOLTE, Civil Society and Democracy in Global Governance, CSGR Working Paper N°65/01, University of Warwick, Department of Politics and International Studies, Janvier 2001. – voir aussi Bertrand SCHNEIDER, La Révolution aux pieds nus, Rapport au Club de Rome, p. 284sv, Paris, Fayard, 1985.
[17] Martine BARTHELEMY, Les associations et la démocratie : la singularité française, dans Yves MICHAUD, Université de tous les savoirs, Qu’est-ce que la société ?, p. 423-422, Paris, Odile Jacob, 2000.
[18] La société civile et l’OCDE, dans Synthèses, Paris, OCDE, Décembre 2001, p. 1.
[19] Lester M. SALAMON, The Tools Approach and the New Gouvernance : Conclusion and Implications, dans Lester M. SALAMON, The Tools of Government, A Guide to the New Governance, p. 600-610, New-York, Oxford University Press, 2002.
[20] Pascal DEMURGER, L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2019.
[21] Wallonie : ensemble pour un triple développement harmonieux, Communiqué de l’Assemblée générale de l’Institut Destrée, Namur, 20 mai 2019. http://www.institut-destree.eu/presse_2019-05-20.html
[22] Olivier MOUTON, Un Coquelicot minoritaire ? Non plutôt une large majorité ! dans Le Vif, 18 juin 2019, Le ballon d’essai de Jean-Marc Nollet a pourtant le mérite de mettre sur la table l’idée d’une vaste coalition de gens de bonnes volontés pour répondre aux urgences de l’heure – climatiques, sociales, migratoires… Son initiative rejoint l’idée d’un Open Government chère à l’Institut Destrée et à bon nombre de forces vives au sud du pays : pour accomplir enfin un sursaut décisif dans le redressement de la Wallonie, ou du moins dans sa réorientation au profit de tous, il convient de faire converger toutes les énergies possibles dans la même direction. Ce beau discours est resté lettre morte jusqu’ici : les divisions politiques l’ont toujours emporté sur les convergences. Et la Wallonie ne s’est pas redressée, les institutions restent complexes, les choix de société insuffisamment partagés… https://www.levif.be/actualite/belgique/un-coquelicot-minoritaire-non-plutot-une-large-majorite/article-opinion-1154965.html?fbclid=IwAR3z561i0IlgGkvYhDv7qRE06ke6sSdrzAIRVl7Jo6QQqMAkiBJv-GgScRA
[23] P. ROSANVALLON, op. cit., emplacement Kindle 7739.
[24] Michel CROZIER, Erhard FRIEDBERG, L’acteur et le système, Les contraintes de l’action collective, p. 22, Paris, Seuil, 1977-1992.
[25] Dans son intéressant papier “Coquelicot” et société civile : quel fond derrière la forme ? en ligne sur Politique, 21 juin 2019. https://www.revuepolitique.be/coquelicot-et-societe-civile/ . A noter que sur les ondes de la RTBF, Jean-Marc Nollet avait précisé qu’il s’agissait de la société civile qui s’est engagée contre le CETA et contre la réforme des APE, ce qui restreint tangiblement le nombre d’acteurs.
[26] Jean L. COHEN & Andrew ARATO, Civil Society and Political Theory, Cambridge, MIT, 1992.
Message bien reçu !
Et si lâInstitut Destrée se proposait aux princes qui gouvernent : PS, Ecolo, MR( sa partie fréquentable), et CDH (résiduaire) pour être chargé dâune mission transversale de réforme structurelle de la Wallonie ?
Elle en a besoin plus que jamaisâ¦
Ce serait un bel engagement, susceptible de redonner force au vénérable « Mouvement Wallon » , qui a perdu de son aura, notamment en raison de lââge de ses propagandistes traditionnels.
Bon travail, et aussi bonnes vacances !
Georges-Henry SIMONIS
Rue de la Brasserie, 31, B.5651 Gourdinne- simonisgh@gmail.com – Tél.071.611275 ou 0485.535623
Cher Philippe Destatte,
Je profite du confinement qui nous frappe pour réagir à lâidée de réunir un Congrès « national » sur lâavenir de la Belgique spécialement sur le plan institutionnel : je partage bien entendu, comme bien dâautres, le souhait de sortir de lâimpasse institutionnelle de la Belgique. Par contre, même si elle émarge de constitutionnalistes belgicains le plus souvent conservateurs par nature, la référence au Congrès de 1830 me semble inopportune.
Nous sommes loin du contexte révolutionnaire du XIXè siècle, des idées nouvelles de 1789, de la révolution de 1848, de la Commune de Paris en 1871, et du désir de la population de mettre fin à la domination hollandaise imposée suite au congrès de Vienne et spécialement par les Anglais vainqueurs à Waterlooâ¦Nous avons intégré le fait que la création de lâétat belge a été un accident de lâhistoire, et que les deux cent ans de patriotisme de type Saxe-Cobourg qui ont suivi ne représentent pas lâidée dâune « nation » belge. Sây référer aujourdâhui est presque aussi amusant que de parler de la « Muette de Portici », grand moment symbolique de lâhistoire nationaleâ¦
Tout le monde, ou presque, sâaccorde aujourdâhui pour constater et dire que lâEtat-Nation de 1830 a vécu et est devenu de facto et même de iure
un Etat Fédéral, sans doute pas tout à fait abouti, mais engagé dans une voie séparatiste inéluctable.
A supposer même quâil y ait une parité numérique 50/50 ( quod nonâ¦) , lâidée de réunir en une même assemblée deux cent personnes dont la moitié sont de culture et de tradition différentes : non seulement les uns sont de gauche et les autres de droite, plutôt latins ou plutôt germains, mais ils ne parlent même plus la même langue, ne lisent pas les mêmes écrits, et plus largement ne se connaissent pas. Ce serait une foire dâempoigne improductive tant au niveau institutionnel que sur les valeurs qui peuvent guider lâavenir de nos sociétés.
Sans entrer dans les détails, les péripéties qui entourent lâavènement long et laborieux du gouvernement WILMES sont une nouvelle démonstration de dialogue impossible entre les antagonistes.
Lâidée dâune organisation du pays en trois régions, outre la région germanophone, parait intéressante. Mais, si le nationalisme flamand existe bel et bien, le sentiment wallon et francophone nâest pas de la même nature ; que dire par ailleurs dâun quelconque sentiment nationaliste à Bruxelles où même les limites territoriales ne sont pas judicieusement fixées ?
Je me suis demandé si, plutôt que dâenvisager lâidée utopique dâun Congrès National, sâil ne fallait pas susciter dans chacune des régions du pays des Etats Généraux, sortes de Congrès Régionaux chargés de définir des principes dâaction fondamentaux qui pourraient être la base dâune nouvelle constitution fédérale.
Le mouvement nationaliste flamand existe bel et bien, et semble être devenu majoritaire en Flandre.
Du côté wallon, le gouvernement régional est presque représentatif de tous ( nây manque que le cdh de Maxime Prévot)â¦
A Bruxelles, câest une autre histoire qui reste à écrireâ¦
Personnellement, je reste partisan dâun retour à la France de la Région Wallonne, et si elle le souhaite de la Région de Bruxelles-capitale. Mais il semble hélas que la conjoncture politique nâaille pas dans ce sens aujourdâhui ni en Belgique ni en France.
Reste au autre débat encore occulté : lâavenir de la Monarchie, survivance dépassée dâun autre siècle.
Y aurait-il place pour une République fédérale belge ? Pourquoi pas ?
LâEurope est en cours de transformations, de lâIrlande du Nord qui assiste à un mouvement réunioniste novateur, de lâEcosse qui entend sâémanciper de lâAngleterre et de ses funestes traditions, jusquâà la Catalogne qui séduit tant le bourgmestre dâAnversâ¦
Je plaide donc, en 2020 ou en 2021, pour des Etats Généraux de Wallonie. Je verrais bien lâInstitut Destrée en prendre lâinitiative.
Les peuples auront-ils la parole ?
« Prenez soin de vous et des autre », selon la formule.
Georges-Henry SIMONIS
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