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Liège, le 28 février 2018

1. Qu’est-ce que la prospective, en quoi est-elle stratégique ?

Telle que nous la connaissons aujourd’hui en Europe, la prospective constitue une rencontre entre des dynamiques françaises et latines, d’une part, anglo-saxonnes, de l’autre. Les évolutions entre ces deux sources apparaissent croisées. Ainsi, le foresight a-t-il évolué au fil du temps, de préoccupations militaires (améliorer les systèmes de défense) vers des objectifs industriels (accroître la compétitivité) et les questions sociétales (assurer le bien-être de la population, mettre le système en harmonie). Depuis les années 1960 jusqu’à nos jours, ses sujets de prédilection sont passés des sciences de base aux technologies-clefs, puis à l’analyse des systèmes d’innovation, enfin à l’étude du système sociétal dans sa totalité. De disciplinaire, orienté vers les sciences dites exactes, le foresight est devenu pluri, multi, et interdisciplinaire, ouvert aux sciences sociales [1]. Ainsi, s’est-il rapproché considérablement de la prospective, abandonnant une bonne partie des ambitions prévisionnistes héritées du forecasting pour devenir davantage stratégique.

La prospective française trouve notamment son origine dans la pensée du philosophe et entrepreneur Gaston Berger. Née d’une philosophie de l’action collective et de l’engagement, elle travaille les systèmes de valeurs et construit de la connaissance en vue du projet politique [2], s’affirmant elle aussi de plus en plus stratégique au contact des mondes des organisations internationales, des entreprises et de celui des territoires [3]. Prenant en compte le long terme et la longue durée, en postulant la pluralité des futurs possibles, faisant sienne l’analyse des systèmes complexes ainsi que mobilisant la théorie et la pratique de la modélisation, la prospective construit du désir et de la volonté stratégique pour mettre en mouvement et agir sur l’histoire. Ainsi que j’ai contribué à la définir dans des cadres européens (Mutual Learning Platform des DG Research, DG Enterprises & Industry, et DG Regio, appuyés par le Comité des Régions) [4], français (Collège européen de Prospective territoriale, créé dans le cadre de la DATAR à Paris) [5] ou wallon (Société wallonne de l’Evaluation et de la Prospective) [6], la prospective est une démarche indépendante, dialectique et rigoureuse, menée de manière transdisciplinaire en s’appuyant sur la longue durée. La prospective peut éclairer les questions du présent et de l’avenir, d’une part en les considérant dans leur cadre holistique, systémique et complexe et, d’autre part, en les inscrivant, au delà de l’historicité, dans la temporalité. Résolument tournée vers le projet et vers l’action, elle a vocation à provoquer une ou plusieurs transformations au sein du système qu’elle appréhende en mobilisant l’intelligence collective [7]. Cette définition, qui existe également en anglais, est celle à la fois de la prospective et du foresight. Elle a, en tout cas, été conçue comme telle, dans le cadre d’un véritable effort de convergence entre ces deux outils, porté notamment par l’équipe de l’Unité K2 de la DG RTD de la Commission européenne, alors dirigée par Paraskevas Caracostas.

Ce qui distingue fondamentalement la stratégie du processus de la prospective ou du foresight – certains disent prospective stratégique ou strategic foresight, ce qui constitue à mes yeux des pléonasmes -, c’est le fait que, dans la prospective, la stratégie qu’elle élabore n’est pas linéaire par rapport au diagnostic ou aux enjeux. Fondamentalement, la prospective s’arrime à la fois à des enjeux de long terme auxquels elle veut répondre et à une vision de l’avenir souhaitable, qu’elle a construite avec les acteurs concernés. Son processus, circulaire, mobilise à chaque étape l’intelligence collective et collaborative, pour donner réalité à une action désirée et co-construite, inscrite dans le long terme et se voulant efficiente et opérationnelle. La veille prospective s’active à chacune des étapes de ce processus. Je la définis comme une activité continue et en grande partie itérative d’observation active et d’analyse systémique de l’environnement, sur les court, moyen et long termes, pour anticiper les évolutions, identifier les enjeux du présent et de l’avenir, afin de construire des visions collectives et des stratégies d’actions. Elle s’articule à la création et à la gestion de la connaissance nécessaire pour nourrir le processus prospectif lui-même. Ce processus s’étend à partir du choix des chantiers d’opération (enjeux de long terme) et de la nécessaire heuristique, jusqu’à la communication et l’évaluation, en passant par l’analyse et la capitalisation des informations et leur transformation en connaissance utile [8].

2. La prospective à côté de l’intelligence stratégique

Le Groupe de Recherche en Intelligence stratégique (GRIS), ancré à HEC Liège, sous la direction de la professeure Claire Gruslin, voit l’intelligence stratégique comme un mode de gouvernance basé sur la maîtrise et la protection de l’information stratégique et pertinente, sur le potentiel d’influence, indispensable à tous les acteurs économiques soucieux de participer proactivement au développement et à l’innovation, en construisant un avantage distinctif durable dans un environnement hyper compétitif et turbulent [9].

De son côté, le célèbre Rapport Martre, daté de 1994, ouvrait, dans sa définition de l’intelligence économique, le champ d’un processus assez semblable de celui que j’ai évoqué pour la prospective, intégrant lui aussi la veille, l’heuristique, le questionnement des problématiques, la vision partagée, ainsi que la stratégie pour l’atteindre, articulés dans un cycle ininterrompu :

L’intelligence économique peut être définie comme l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délais et de coût. L’information utile est celle dont ont besoin les différents niveaux de décision de l’entreprise ou de la collectivité, pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par l’entreprise dans le but d’améliorer sa position dans son environnement concurrentiel. Ces actions, au sein de l’entreprise, s’ordonnent en un cycle ininterrompu, générateur d’une vision partagée des objectifs à atteindre [10].

Ce qui est particulièrement intéressant dans la recherche de parallélismes ou de convergences entre intelligence économique et prospective, c’est l’idée, développée par Henri Martre, Philippe Clerc et Christian Harbulot que la notion d’intelligence économique dépasse la documentation, la veille, la protection des données, voire l’influence, pour s’inscrire dans une véritable intention stratégique et tactique, porteuse d’actions aux différents niveaux de l’activité, de la base de l’entreprise au niveau global, international [11].

 3. La prospective dans l’intelligence stratégique

Au tournant des années 2000, dans le cadre du programme européen ESTO (European Science and Technology Observatory), l’Institut d’Etudes en Prospective technologique (IPTS) de Séville avait rassemblé une série de chercheurs autour de l’idée d’intelligence stratégique comme réceptacle ou chapeau méthodologique orienté vers les politiques publiques. Cette démarche visait à reconnaître et prendre en compte la diversité de l’ensemble des méthodes mises à la disposition des décideurs, afin de les articuler et de les mobiliser au profit de la réussite des politiques publiques [12]. Comme l’indiquait alors un des animateurs de cette réflexion, Ken Ducatel, le concept d’intelligence stratégique n’offre pas seulement une force méthodologique pour répondre aux enjeux (de l’UE) mais dispose aussi de suffisamment de flexibilité pour se connecter à d’autres formes d’interactions, s’adapter à de nouveaux modèles de gouvernance et s’ouvrir à des changements technologiques et des évolutions sociales qui sont plus rapides que nous n’en n’avons jamais connus [13].

Lors du projet REGSTRAT, notamment porté en 2006 par Steinbeis Europa Zentrum à Stuttgart, la notion de Strategic Policy Intelligence Tools (SPI) – les outils d’intelligence appliqués aux politiques publiques – s’était imposée, notamment aux représentants de la Mutual Learning Platform, déjà évoquée. Comme nous l’indiquions avec mon collègue prospectiviste Günter Clar dans le rapport dédié au foresight, l’intelligence stratégique appliquée aux politiques publiques peut être définie comme un ensemble d’actions destinées à rechercher, mettre en œuvre, diffuser et protéger l’information en vue de la rendre disponible à la bonne personne, au moment adéquat, avec l’objectif de prendre la bonne décision. Ainsi que cela était clairement apparu lors des travaux, les outils du SPI comprennent la prospective, l’évaluation des choix technologiques, l’évaluation, le benchmarking, les démarches de qualité appliquées au territoire, etc. Ces outils sont utilisés pour fournir aux décideurs et aux parties prenantes une information claire, objective, non biaisée politiquement, indépendante et, le plus important, anticipatrice [14].

Ces travaux ont aussi permis de caractériser l’intelligence stratégique telle qu’observée dans ce contexte. Le contenu y apparaît taillé sur mesure, avec des côtés hard et soft, avec également un caractère distribué, sous-tendu par des effets d’échelle, la facilitation de l’apprentissage, un équilibre entre approches spécifique et générique, ainsi qu’une accessibilité accrue. Son processus s’articule sur la demande, la nécessité de la mobilisation de la créativité, une explicitation de la connaissance tacite, l’évaluation du potentiel technologique, une facilitation du processus, ainsi que le lien optimal avec la prise de décision [15].

Dans cette perspective, la prospective apparaît bien comme un outil, parmi d’autres, de l’intelligence stratégique, au service des décideurs et des parties prenantes.

4. Anticipation, innovation, décision

La direction générale de la Recherche et de l’Innovation de la Commission européenne s’investit depuis plusieurs années, dans les Forward Looking Activities (FLAs), les activités à vocation prospective [16], comme jadis – nous l’avons vu – l’Institut européen de Séville l’avait fait en développant, les outils d’intelligence stratégique [17] en politiques publiques (Strategic Policy Intelligence – SPI) [18]. Les FLA’s comprennent toutes les études et tous les processus systématiques et participatifs destinés à envisager les futurs possibles, de manière proactive et stratégique, ainsi qu’à examiner et tracer des chemins vers des objectifs souhaitables [19]. On retrouve évidemment dans ce champ un grand nombre de méthodes d’anticipation, d’évaluation des choix technologiques, d’évaluation ex ante, etc.

En 2001, Ruud Smits, préconisait trois axes qu’il considérait comme essentiels. D’abord, soulignait-il, il s’agit d’arrêter le débat sur les définitions et d’exploiter les synergies entre les différentes branches de l’intelligence stratégique. Ensuite, notait le professeur de Technologie et d’Innovation à l’Université d’Utrecht, il est nécessaire d’améliorer la qualité et de renforcer les sources existantes de l’intelligence stratégique. Enfin, Ruud Smits demandait que l’on développe une interface entre les sources de l’intelligence stratégique et leurs usagers [20]. Ce programme reste à mettre en œuvre et nous pourrions considérer que notre réflexion au GRIS s’inscrit dans cette ambition.

Cette approche cognitive nous renvoie sans nul doute à la distinction que prône le psychologue et Prix Nobel d’Economie Daniel Kahneman lorsqu’il met en évidence, d’une part, un Système cérébral n°1, qu’il voit comme automatique, direct, impulsif, quotidien, rapide, intuitif, sans effort réel, et que nous mobilisons dans 95% des circonstances. D’autre part, l’auteur de Thinking fast and slow, décrit un second système cérébral qui est à la fois conscient, rationnel, délibératif, lent, analytique, logique, celui que nous ne mobilisons que dans 5% des cas, notamment pour prendre des décisions quand nous nous mouvons dans des systèmes que nous appréhendons comme complexes [21]. C’est à ce moment, en effet, que nous devons faire l’effort de mobiliser des outils à la mesure des tâches dont nous nous saisissons.

Cette question affecte bien tous les outils d’intelligence stratégique, y compris la prospective. Non seulement parce que les investissements à fournir pour ces champs de recherche sont considérables, mais aussi parce que, souvent, beaucoup d’entre nous ne sont pas conscients de l’étendue de ce que nous ne pouvons saisir. Trop souvent en effet nous pensons que ce que nous voyons est ce qui existe. Nous nous limitons aux variables que nous pouvons détecter, embrasser, mesurer. Avec une capacité considérable de refuser de reconnaître les autres variables. Ce syndrome du WYSIATI (What you see is all there is) est, nous le savons dévastateur. Car il nous empêche de saisir la réalité dans toute son ampleur en nous laissant penser que nous maîtrisons l’espace et l’horizon. On ne peut pas s’empêcher de faire avec l’information qu’on a comme si on disposait de tout ce qu’on doit savoir, dit Kahneman [22].

Cette faille – il en est d’autres – doit nous inciter à unir nos forces pour surmonter les chapelles méthodologiques et épistémologiques et travailler à fonder des instruments plus robustes au service de politiques publiques plus volontaristes et mieux armées.

Philippe Destatte

@PhD2050

 

[1] Paraskevas CARACOSTAS & Ugar MULDUR, Society, The Endless Frontier, A European Vision of Research and Innovation Policies for the 21st Century, Brussels, European Commission, 1997. – Une première mouture de ce papier a été présentée lors du colloque du Groupe de REcherche en Intelligence stratégique (GRIS) à HEC Liège, le 28 septembre 2016.

[2] (…) en appliquant les principes de l’analyse intentionnelle, propre à la phénoménologie, à l’expérience du temps, Gaston Berger substitue au «mythe du temps» une norme temporelle, construction intersubjective pour l’action collective. Sa philosophie de la connaissance se constitue ainsi comme une science de la pratique prospective dont la finalité́ est normative : elle est orientée vers le travail des valeurs et la construction d’un projet politique ; elle est une «philosophie en action ». Chloë VIDAL, La prospective territoriale dans tous ses états, Rationalités, savoirs et pratiques de la prospective (1957-2014), p. 31, Lyon, Thèse ENS, 2015.

[3] Sur la prospective territoriale, rencontre entre les principes de la prospective et ceux du développement territorial, voir la référence au colloque international de la DATAR en mars 1968. Chloë VIDAL, La prospective territoriale dans tous ses états, Rationalités, savoirs et pratiques de la prospective (1957-2014), p. 214-215, Lyon, ENS, 2015.

[4] Günter CLAR & Philippe DESTATTE, Regional Foresight, Boosting Regional Potential, Mutual Learning Platform Regional Foresight Report, Luxembourg, European Commission, Committee of the Regions and Innovative Regions in Europe Network, 2006.

http://www.institut-destree.eu/Documents/Reseaux/Günter-CLAR_Philippe-DESTATTE_Boosting-Regional-Potential_MLP-Foresight-2006.pdf

[5] Ph. DESTATTE & Ph. DURANCE dir., Les mots-clefs de la prospective territoriale, p. 43, Paris, DIACT-DATAR, La Documentation française, 2009.

[6] Ph. DESTATTE, Evaluation, prospective et développement régional, p. 381, Charleroi, Institut Destrée, 2001.

[7] Philippe DESTATTE, Qu’est-ce que la prospective ?, Blog PhD2050, 10 avril 2013.

Qu’est-ce que la prospective ?

[8] René-Charles TISSEYRE, Knowledge Management, Théorie et pratique de la gestion des connaissances, Paris, Hermès-Lavoisier, 1999.

[9] Guy GOERMANNE, Note de réflexion, Tentatives de rapprochement entre la prospective et l’intelligence stratégique en Wallonie, p. 7, Bruxelles, Août 2016, 64 p.

[10] Henri MARTRE, Philippe CLERC, Christian HARBULOT, Intelligence économique et stratégie des entreprises, p. 12-13, Paris, Commissariat général au Plan – La Documentation française, Février 1994. http://bdc.aege.fr/public/Intelligence_Economique_et_strategie_des_entreprises_1994.pdf

[11] La notion d’intelligence économique implique le dépassement des actions partielles désignées par les vocables de documentation, de veille (scientifique et technologique, concurrentielle, financière, juridique et réglementaire…), de protection du patrimoine concurrentiel, d’influence (stratégie d’influence des États-nations, rôle des cabinets de consultants étrangers, opérations d’information et de désinformation…). Ce dépassement résulte de l’intention stratégique et tactique, qui doit présider au pilotage des actions partielles et su succès des actions concernées, ainsi que de l’interaction entre tous les niveaux de l’activité, auxquels s’exerce la fonction d’intelligence économique : depuis la base (internes à l’entreprise) en passant par des niveaux intermédiaires (interprofessionnels, locaux) jusqu’aux niveaux nationaux (stratégies concertées entre les différents centres de décision), transnationaux (groupes multinationaux) ou internationaux (stratégies d’influence des États-nations). H. MARTRE, Ph. CLERC, Ch. HARBULOT, Intelligence économique et stratégie des entreprises…, p. 12-13.

[12] L’intelligence stratégique peut-être définie comme un ensemble d’actions destinées à rechercher, mettre en œuvre, diffuser et protéger l’information en vue de la rendre disponible à la bonne personne, au moment adéquat avec l’objectif de prendre la bonne décision. (…) L’intelligence stratégique appliquée aux politiques publiques offre une variété de méthodologies afin de rencontrer les demandes des décideurs politiques. Derived from Daniel ROUACH, La veille technologique et l’intelligence économique, Paris, PUF, 1996, p. 7 & Intelligence économique et stratégie d’entreprises, Paris, Commissariat général au Plan, 1994. – Alexander TÜBKE, Ken DUCATEL, James P. GAVIGAN, Pietro MONCADA-PATERNO-CASTELLO éd., Strategic Policy Intelligence: Current Trends, the State of the Play and perspectives, S&T Intelligence for Policy-Making Processes, p. V & VII, IPTS, Seville, Dec. 2001.

[13] Ibidem, p. IV.

[14] Günter CLAR & Ph. DESTATTE, Mutual Learning Platform Regional Foresight Report, p. 4, Luxembourg, IRE, EC-CoR, 2006.

[15] Ruud SMITS, The New Role of Strategic Intelligence, in A. TÜBKE, K. DUCATEL, J. P. GAVIGAN, P. MONCADA-PATERNO-CASTELLO éd., Strategic Policy Intelligence: Current Trends, p. 17.

[16] Domenico ROSSETTI di VALDALBERO & Parla SROUR-GANDON, European Forward Looking Activities, EU Research in Foresight and Forecast, Socio-Economic Sciences & Humanities, List of Activities, Brussels, European Commission, DGR, Directorate L, Science, Economy & Society, 2010. http://ec.europa.eu/research/social-sciences/forward-looking_en.htmlEuropean forward-looking activities, Building the future of “Innovation Union” and ERA, Brussels, European Commission, Directorate-General for Research and Innovation, 2011. ftp://ftp.cordis.europa.eu/pub/fp7/ssh/docs/european-forward-looking-activities_en.pdf

[17] Strategic Intelligence is all about feeding actors (including policy makers) with the tailor made information they need to play their role in innovation systems (content) and with bringing the together to interact (amongst others to create common ground). Ruud SMITS, Technology Assessment and Innovation Policy, Séville, 5 Dec. 2002. ppt.

[18] A. TÜBKE, K. DUCATEL, J. P. GAVIGAN, P. MONCADA-PATERNO-CASTELLO éd., Strategic Policy Intelligence: Current Trends, …

[19] Innovation Union Information and Intelligence System I3S – EC 09/06/2011.

[20] R. SMITS, The New Role of Strategic Intelligence…, p. 17. – voir aussi R. SMITS & Stefan KUHLMANN, Strenghtening interfaces in innovation systems: rationale, concepts and (new) instruments, Strata Consolidating Workshop, Brussels, 22-23 April 2002, RTD-K2, June 2002. – R. SMITS, Stefan KUHLMANN and Philip SHAPIRA eds., The Theory and Practice of Innovation Policy, An International Research Handbook, Cheltenham UK, Northampton MA USA, Edward Elgar, 2010.

[21] Daniel KAHNEMAN, Thinking fast and slow, p. 201, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011.

[22] You cannot help dealing with limited information you have as it were all there is to know. D. KAHNEMAN, Thinking fast and slow…, p. 201.

Paris-Namur, 14 juillet 2017

Dialogue en quête de sens, quelque part entre Paris et Namur… 6 octobre 2016

Chloë Vidal et Philippe Destatte, où va la République ?

Chloë Vidal : S’interroger sur le sens de la République, sur son devenir comme sur ses futurs possibles, semble plus que jamais légitime. Dans un monde de flux, où le danger est devenu transnational et apparaît, de ce fait, hyperbolique (migrations clandestines, trafic de drogue, terrorisme, etc.), la République française, indivisible, laïque, sociale et démocratique, fait l’épreuve de sa résistance. La mondialisation économique exacerbe un désir de sécurité que l’État social (en matière de services publics, de politique fiscale ou sociale) ne parvient plus à satisfaire : les leviers du modèle social intégrateur se révèlent insuffisants pour pallier les disparités sociales et assurer une réelle cohésion nationale. Une forme d’ethos défensif se développe chez les citoyens en France (comme désormais dans bon nombre de pays occidentaux), se traduisant par ce que la philosophe américaine Wendy Brown a nommé un « désir de murs »[1] : avec la diffusion des pratiques néolibérales qui « façonnent normativement les individus comme des acteurs entrepreneurs »[2], ériger des barrières sélectives, demeurer en état de vigilance permanente apparaît désormais comme un impératif commun à l’État et aux citoyens. Cet « état de vigilance » forme finalement, ainsi que le souligne le philosophe français Michaël Foessel, « un continuum qui relie aujourd’hui les citoyens et leurs représentants »[3] et offre une fiction d’unité dans le contexte d’une crise de l’autorité étatique : les mécanismes d’identification à la nation, à la patrie, ou à une société réunie dans la quête d’une même fin, sont maintenus artificiellement par cette communauté de la peur ; « le devoir de vigilance constitue un rempart rhétorique au sentiment de l’impuissance publique »[4] – le président de la République française lui-même n’a pas hésité récemment à invoquer « l’idée de patrie » pour mieux rappeler aux Français « ce pour quoi [ils doivent se battre]»[5], dans un discours semblant parfois emprunter au récit mythique à la double finalité explicative et mobilisatrice. Plus fondamentalement encore, ce néoconservatisme grimpant (qui voit se développer des solidarités électives et se démocratiser le choix de l’inégalité, la tentation oligarchique[6]) a des conséquences anthropologiques essentielles qu’il me semble urgent de réfléchir : l’état de vigilance, d’une part, est susceptible de nous précipiter dans le piège identitaire[7], formé de discours essentialistes à des fins d’exclusion (voire d’expulsion), réduisant le sujet à une identité et le privant par-là de toute possibilité d’émancipation sociale. D’autre part, l’état de vigilance maintient une relation instable au temps en surinvestissant le présent et ses risques. Ce « présentisme »[8] a pour conséquence un sévère rétrécissement de l’horizon des possibles qui annihile a priori le développement d’un être et d’un agir collectif. En ce sens, l’ouverture d’un nouveau chantier de recherches anthropologiques m’apparaît décisive pour déterminer les futurs possibles de la République.

Philippe Destatte : je partage fondamentalement l’idée de Chloë lorsqu’elle insiste sur l’importance de la question du sens. Ce mot avait été répété à de nombreuses reprises lors de l’opération de catharsis menée sur les antennes des radios françaises au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Il s’agissait, y disait-on, de redonner du sens à la République, c’est-à-dire d’habiter la vision commune que l’on peut avoir de la France, en particulier quand on est Français. Cette idée de République en tant que bien commun, intérêt général incarné par la Nation comme Communauté des Citoyens, bien qu’affaiblie, reste très présente en France. Elle est difficile à comprendre en Belgique, car le bien commun et l’intérêt général national n’y existent plus, en tout cas sous cette forme. En absence de densité suffisante, de substance, cette dimension s’est perdue, délitée, évaporée, comme aurait dit l’ancien commissaire européen Karel De Gucht. Avec l’oubli de cet intérêt général et compte tenu des transferts de souveraineté vers les entités fédérées, cet espace a été loti par les partis politiques. C’est eux qui maintiennent le système en place, mais au nom d’intérêts plus ou moins particuliers, de classes ou de clientèles. Comme l’écrivait Marc Bloch à propos des intellectuels français, « ceux d’entre nous qui, par exception, se laissèrent embrigader par les partis, finirent presque toujours par en être les prisonniers beaucoup plutôt que les guides »[9]. En Belgique, la République comme idée de cet espace ou de ce volume est morte depuis longtemps. En France, elle n’est qu’affaiblie et gangrénée. Mais elle survit. Elle a ses résurgences – les réactions aux attentats l’ont montré – et pourrait avoir ses résurrections. Il est frappant que là-bas, l’élu garde quelque légitimité et respectabilité. En Belgique, il apparaît bien souvent d’abord sous son pavillon politique.

 

Précisément, les attentats n’ont-ils pas rouvert le débat sur la laïcité, montrant ainsi les limites de l’application du modèle républicain en période de tensions religieuses ?

Chloë Vidal : le quinquennat qui s’achève a été marqué par de nombreux attentats qui ont frappé de plein fouet la République. Le terrorisme s’est affirmé comme une menace durable et un défi lancé au pacte politique, exacerbant les vulnérabilités de la République française et de son modèle social, révélant la fragilité de notre démocratie. La question du sens de la laïcité semble s’être substituée depuis à celle, plus générale, du sens de la République. Comprendre la laïcité « à la française » apparaît comme la condition sine qua non pour déterminer si la laïcité peut (encore) constituer un idéal positif commun pour fonder le lien politique et assurer le développement et la pérennité de l’État social, soit de l’ensemble des institutions qui organisent la solidarité entre les individus, les générations et les territoires. Le président de la République s’est attaché à fixer le sens juridique de la laïcité en la distinguant d’une religion, d’une mystique ou d’une croyance sociale, et en la définissant comme l’« ensemble de règles de droit qui organise la vie de la République », ou encore « la garantie du droit de croire ou de ne pas croire [supposant] l’organisation de ce que peut être une vie en commun »[10]. La réaffirmation de l’appartenance de la laïcité au registre juridique ouvre, selon lui, la possibilité d’une intégration de l’islam (au même titre que toute religion) à la République par le développement d’un « islam de France » (soutenu notamment par une fondation laïque pour l’intégration par le savoir et la connaissance, une association cultuelle nationale, etc.). Mais, si cette mise au point relative à la compatibilité de l’islam et de la République est importante, en ce qu’elle témoigne d’une proposition politique forte visant à faire évoluer le modèle social français vers la prise en compte du cosmopolitisme, à lutter contre l’ethnicisation du social, il n’est pas certain en revanche qu’elle suffise à endiguer la menace terroriste. Car enfin, ainsi que l’a notamment bien mis en exergue le juriste français Antoine Garapon, le terrorisme a cela de désarmant qu’il entretient une relation paradoxale avec les démocraties : « même quand il prétend vouloir détruire la société démocratique, le terrorisme en effet ne prospère qu’en son sein tant il a besoin d’une opinion publique et de médias libres. »[11] Et, comment lutter démocratiquement contre le terrorisme, dès lors que ce dernier entretient avec la démocratie une relation à la fois radicale (l’enjeu est celui de la sécurité, de la survie) et impossible en raison de l’absence de cadre juridique commun[12] ? Le terrorisme met à l’épreuve la démocratie, il l’engage à se repenser en profondeur : non pas seulement à interroger ses institutions (et à montrer son attachement au droit), mais à questionner radicalement ses catégories (territoire, souveraineté, citoyen, etc.). Autrement dit, le terrorisme, qui jette « la confusion […] dans le vocabulaire des institutions subvertit à proprement parler la démocratie »[13], rend plus pressante encore la nécessité d’une réflexion anthropologique.

Philippe Destatte : il est clair que le terrorisme exacerbe les tensions existantes dans la société et en révèle d’autres dont on ignorait l’existence. En Belgique, et plus encore en Wallonie – peut-être est-ce un paradoxe ? -, la laïcité m’est toujours apparue beaucoup plus pesante ici qu’en France. Je suis pourtant fondamentalement agnostique, bien qu’ayant été éduqué dans une certaine tradition familiale chrétienne lors d’une jeunesse qui suivait de peu la guerre, ce qui n’est pas sans rapport. D’une part, les questions liées à la séparation de l’Église et de l’État, soulevées au XIXème siècle, semblent à nouveau d’actualité avec l’avènement d’un islam triomphant. D’autre part, le trop grand empressement à fustiger le voile, à condamner le burkini ou à vouloir rassembler les filles et les garçons dans un même cours de gymnastique ou sur les terrains de sport m’est toujours apparu suspect d’une forme d’intolérance, quel que soit le côté de la frontière. Mais il est vrai que, en France, comme l’a montré Gilles Kepel, ces questions ont contribué, avec des problématiques comme le mariage pour tous, à distancer des musulmans de la République, de la Gauche aussi, et probablement à donner quelques grains à moudre aux plus radicaux[14]. La laïcité de l’État, qui devrait être partout une évidence, ne l’est pas. Et l’engagement laïc perd de sa pertinence lorsqu’il ne se dirige plus systématiquement qu’à l’encontre des pratiques musulmanes. La laïcité a parfois pris un poids excessif, singeant les religions avec ses catéchismes, ses messes et ses affiliations trop prégnantes, conduisant à un certain dogmatisme. J’ai entendu Hervé Hasquin dire des choses très justes à ce sujet. À force de produire des symboles, on génère des signaux qui deviennent autant de différenciations qui se transforment vite en provocations chez ceux qui vivent exclusivement selon d’autres codes. Le niveau d’éducation devrait, de part et d’autre, y remédier. Mais c’est loin d’être le cas. Et pourtant, c’est la vocation même de la République que d’être ce lieu de rassemblement des volontés, des espoirs, des ambitions.

Chloë Vidal : l’éducation est une question essentielle, dans la mesure où elle nous ramène précisément à celle de la construction du sens : étymologiquement, éduquer signifie « conduire hors de » (e-ducere) et constitue une invitation à sortir de soi-même pour devenir un sujet capable de choisir son devenir, de construire son futur. A l’heure où le terrorisme ébranle l’universalisme démocratique, on ne peut raisonnablement se satisfaire d’une définition minimale de la démocratie (comme régime issu d’élections libres et susceptible, en tant que tel, de se diffuser), ni concevoir la démocratisation comme un principe anthropologique lié à un désir « naturel » de liberté chez l’homme : il s’agit de reconnaître que la démocratie doit se définir de manière substantielle (en lien avec un niveau de liberté partagé) et ne peut se penser que comme un processus de construction, dont il s’agit de réfléchir la complexité, les puissances comme les vulnérabilités. Or il en va de même pour la République française qui trouve appui sur les valeurs (qu’on peut aussi entendre au sens de forces, valor en latin) démocratiques : prendre part à la configuration de cet agencement complexe de valeurs consiste tout à la fois, comme le disent Yves Citton et Dominique Quessada à s’attacher à « comprendre et faire travailler le comme-un qui nous permet à la fois d’agir ensemble et de nous singulariser »[15]. Ce travail commun de définition de nouveaux vecteurs de l’action publique, de fabrication de nouvelles normes, et d’identification des modalités de développement d’une nouvelle subjectivité, passera certainement par l’acceptation de la nécessité de penser la confusion en tant que telle, en l’absence des catégories adéquates, pour décrire la radicale nouveauté de la situation contemporaine et ses évolutions possibles. J’en reviens une fois de plus à l’importance du développement d’une nouvelle anthropologie : nous sommes incités à repenser les catégories de la modernité telles que celle de la souveraineté (battue en brèche dans un monde poreux), du territoire (dont le lien au politique est remis en question par le terrorisme mondialisé), de l’identité (impropre à rendre compte de la condition cosmopolite, qui, ainsi que Michel Agier le souligne, naît dans la frontière[16], dans l’hybridité), du temps (face à une idéologie du présent et de l’évidence qui fragilise la démocratie), etc. Se donner les moyens de réfléchir nos catégories suppose un intérêt toujours accru à l’actualité, au sens, comme le dirait Michel Foucault, de « ce qui se passe autour de nous, ce que nous sommes, ce qui arrive en nous » [17]. Et, cela, nous ne pouvons le faire qu’ensemble, avec la richesse de nos perspectives sur le monde.

 

Faire ensemble, faire sens ? On y revient à nouveau ?

Philippe Destatte : c’est une question fondamentale que nous avions posée à l’Institut Destrée au début de nos travaux avec le Gouvernement wallon, à l’époque du Contrat d’Avenir pour la Wallonie : que voulons-nous faire ensemble ?[18] Ou, comme le chantait Renaud, C’est quand qu’on va où ?. Nous n’avons cessé de le répéter depuis, notamment lors des travaux du Collège régional de Prospective de Wallonie, en 2011, en 2014, et dernièrement au début 2016[19]. Mais nous nous sommes posé les mêmes questions en Bretagne, en Aquitaine, en Normandie, en Lorraine, en Auvergne, dans le Nord-Pas de Calais, en Picardie ou en Midi-Pyrénées. Dans un monde plus incertain, plus complexe, plus ambigu, plus rapide, la question se pose encore avec davantage d’acuité. Or les élus restent très attendus sur ce champ de l’articulation des temporalités et de la construction de visions collectives et rassembleuses qui, seules, peuvent donner sens à la société. Malheureusement, ils sont très peu à s’y risquer alors que cette tâche est primordiale, du local à l’Europe, au minimum. En ce sens, même si elle n’est pas la seule – et c’est sur elle que nous nous penchons aujourd’hui -, la République rend bien, depuis au moins dix ans, cette image chère à Régis Debray de train vide, sans conducteur ni destination[20]. On me répondra que, à Paris, comme à Bruxelles (dans ses différentes configurations), à Berlin ou à Namur, des programmes de partis servent de feuilles de route. Et c’est là bien entendu que le bât blesse. D’abord, ces programmes ne sont pas en adéquation avec les réalités de terrain qui sont précisément les océans démontés aux vents et courants capricieux de notre époque. Les directions qui sont dès lors prises par les barreurs pour faire face troublent profondément à la fois l’équipage et les passagers tant elles sont différentes de celles annoncées dans la feuille de route initiale. Ensuite, l’absence de pédagogie adéquate, d’explications intelligentes, de dialogue constructif (quelle communication spécifique a été donnée envers la population de culture musulmane quant au mariage pour toutes et tous ?), fait des ravages considérables et déboussole littéralement ceux qui pensaient naviguer de conserve. Enfin, l’absence de réelle destination, de vision partagée, aux finalités bien claires et aux valeurs fondamentales réaffirmées, fondatrice de stratégies cohérentes et efficaces, finit de déliter non seulement l’appareil d’État, comme disaient les marxistes, mais aussi le bien commun qu’est la République. Avec elle, c’est la Communauté des Citoyennes et des Citoyens que devrait constituer la Nation, telle que Dominique Schnapper la voit qui est affectée : cet espace de nécessité, pour fonder et maintenir l’ordre démocratique, la reconnaissance des autres et la critique libre, raisonnable et contrôlée des institutions légitimes[21]. C’est en cette seule et dernière construction républicaine que nous pouvons nous reconnaître. Que l’on regarde vers Paris ou que l’on prenne d’autres azimuts, la République continuera à nous inspirer : si je n’ai jamais cru en la France éternelle, j’ai toujours pensé qu’un pays qui avait fait tant de Révolutions avait en lui sa propre capacité à renaître toujours.

Chloë Vidal : cette capacité, il faut également veiller à la construire. En se donnant les outils adéquats, par le travail des rationalités. Si les débats sont essentiels à l’épanouissement d’une pensée critique, comme le rappelle la philosophe américaine Martha Nussbaum, « un nouveau sens de l’agentivité personnelle et une nouvelle liberté critique sont nécessaires pour que les institutions participatives se maintiennent »[22]. Participer aux travaux démocratiques et fabriquer la République, c’est aussi remédier à la crise de l’éducation. Crise mondiale, soutient Martha Nussbaum, qui, dans le contexte d’un marché mondialisé puissant, menace l’avenir des démocraties pluralistes modernes. Crise tangible en France dont le système éducatif est de ceux qui, au sein des pays de l’OCDE, contribuent le moins à la réduction des inégalités sociales[23]… Il me serait difficile de ne pas rappeler que cet appel toujours plus urgent à articuler citoyenneté démocratique et éducation socratique, fait écho à celui du philosophe et entrepreneur français Gaston Berger qui, à la fin des années 1950, engageait les décideurs à adopter une attitude prospective, à « voir loin, voir large, analyser en profondeur et prendre des risques ». Un engagement pratique et intellectuel mobilisant les capacités que Martha Nussbaum identifie à son tour aujourd’hui comme « la pensée critique ; la capacité à dépasser les intérêts locaux pour affronter les problèmes mondiaux en « citoyen du monde »[24], enfin la capacité à imaginer avec empathie les difficultés d’autrui ». Imagination, créativité, pensée critique rigoureuse, autant de vertus qui requièrent un rapport au long terme pour constituer les puissances de temporalisation nécessaires à la construction démocratique. C’est certainement, en lieu et place de l’état de vigilance actuel, par la promotion d’une « atmosphère de vigilance attentive et responsable et d’une culture d’innovation dynamique »[25] que nous saurons ensemble rouvrir l’horizon des possibles pour la République.

 

Ce dialogue est tiré du numéro spécial de Politique, Cette République que nous avons tant aimée… 30 regards de Belgique sur la France, n°98-99, Mars 2017, p. 20-25.

Chloë Vidal, directrice de recherche à l’Institut Destrée et déléguée de cette institution en France, est philosophe et géographe. Elle a réalisé une thèse à l’École normale supérieure de Lyon proposant une généalogie de la prospective.

Philippe Destatte est historien et prospectiviste, directeur général de l’Institut Destrée et maître de conférences à l’Université de Mons, il enseigne également la prospective aux universités de Louvain-la-Neuve (Chaire André Molitor), de Paris-Diderot et de Reims.

 

 

 

 

 

 

[1] Voir BROWN Wendy, Les murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique, trad. N. Vieillecazes, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009.

[2] Voir BROWN Wendy, Les Habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et néo-conservatisme, trad. C. Vivier, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007.

[3] FOESSEL Michaël, Etat de vigilance. Critique de la banalité sécuritaire [2010], Paris, Seuil, 2nde éd., 2016, p.18.

[4] Ibid., p.19.

[5] Extrait du discours de François Hollande, président de la République française, lors de la conférence intitulée « La démocratie face au terrorisme », organisée le 8 septembre 2016 à la salle Wagram (Paris 17e) par la Fondation européenne d’études progressistes, le think tank Terra et la Fondation Jean Jaurès.

[6] Voir SAVIDAN Patrick, Voulons-nous vraiment l’égalité ?, Paris, Albin Michel, 2015.

[7] Voir AGIER Michel, La condition cosmopolite. L’anthropologie à l’épreuve du piège identitaire, Paris, La découverte, 2013.

[8] Voir HARTOG François, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Seuil, 2003.

[9] BLOCH Marc, L’étrange défaite, Témoignage écrit en 1940, Paris, Gallimard, 1990, p. 204.

[10] Extrait du discours de François Hollande, président de la République française, lors de la conférence intitulée « La démocratie face au terrorisme », organisée le 8 septembre 2016 à la salle Wagram (Paris 17e) par la Fondation européenne d’études progressistes, le think tank Terra et la Fondation Jean Jaurès.

[11] GARAPON Antoine, « Comment lutter démocratiquement contre le terrorisme ? », in Cahiers de L’Herne : Ricoeur, vol. 2, Paris, Ed. de L’Herne, 2004, p.327.

[12] Ibid., p.336.

[13] Ibid., p.328.

[14] Par exemple KEPEL Gilles & JARDIN Antoine, Terreur dans l’Hexagone, Genèse du Djihad français, Paris, Gallimard, 2015, p. 230 sv.

[15] CITTON Yves, QUESSADA Dominique, « Du commun au commeUn », in Multitudes, n° spécial 45, Paris, Ed. Amsterdam, avril 2011, p.22.

[16] AGIER Michel, La condition cosmopolite. L’anthropologie à l’épreuve du piège identitaire, Paris, La découverte, 2013, p.7.

[17] EWALD François, « Foucault et l’actualité », in ROTMANN Roger (dir.), Au risque de Foucault, Paris, Centre Georges Pompidou, 1997, p.204.

[18] FAUCONNIER j. Théo, Philippe Destatte a fait un rêve, Le contrat-plan wallon de 10 ans, dans Le Matin, 22 mai 1999, p. 9.

[19] Voir les différents travaux sur le contrat sociétal : http://www.college-prospective-wallonie.org/

[20] DEBRAY Régis, Madame H., Paris, Gallimard, 2015, p. 134.

[21] SCHNAPPER Dominique, L’esprit démocratique des lois, p. 298, Paris, Gallimard, 2014.

[22] NUSSBAUM Martha, Les émotions démocratiques. Comment former le citoyen du XXIe siècle ? [2010], trad. S. Chavel, Paris, Flammarion, 2011.

[23] Enquête PISA 2009 (OCDE).

[24] NUSSBAUM Martha, Les émotions…,pp.15-16.

[25] Ibid., p.20.

Mons, le 8 décembre 2016

 Ce texte constitue la mise au net des quelques éléments conclusifs qu’il m’a été demandé de tirer aux côtés de Mme Annick Fourmeaux, directrice générale, et M. Christian Bastin, directeur, DGO Aménagement du Territoire, Logement, Patrimoine et Energie du Service public de Wallonie, lors de la conférence 2016 de la Conférence permanente du Développement territorial (CPDT) portant sur l’analyse contextuelle du territoire wallon, tenue au Palais des Congrès de Mons, ce 8 décembre 2016.

1. Développement territorial, soutenabilité et prospective

Poser la question de la prospective dans la construction d’un futur Schéma de Développement territorial (SDT) pour remplacer le Schéma de Développement de l’Espace régional (SDER) de 1999, c’est d’abord revenir sur la définition du développement territorial. Si l’on perçoit bien, avec Bernadette Mérenne-Schoumaker, Catherine Guy et Guy Baudelle le développement territorial comme un processus volontariste cherchant à accroître la compétitivité des territoires en impliquant les acteurs dans le cadre d’actions concertées généralement transversales et souvent à forte dimension spatiale [1], on comprend mieux que construire un SDT, c’est contribuer fondamentalement non pas à simplement aménager, à faire son ménage, à ranger ses affaires, mais à transformer le territoire régional en mobilisant ses ressources. Ce développement territorial doit être soutenable, c’est-à-dire en recherche d’une harmonie entre les différentes composantes du système qu’il met en mouvement. Il doit aussi fondamentalement s’inscrire à la fois dans le temps long de réponse aux besoins des générations futures et accorder toute l’attention requise aux plus démunis.

Au-delà du diagnostic, qui consiste à observer les éléments du système et leurs évolutions, il est nécessaire de considérer l’articulation avec la prospective. Celle-ci se fait quasi naturellement pour autant qu’on ne conçoive pas cette dernière, comme on le fait trop souvent, comme une sorte de prévision améliorée. Véritablement, la prospective – ainsi que l’a pensé Gaston Berger, puis reconceptualisé notre collègue Chloë Vidal, directrice de recherche à l’Institut Destrée, dans sa thèse de doctorat -, est une pratique dont la finalité est normative, orientée vers le travail des valeurs et la construction d’un projet politique [2]. Ainsi, la question de la prospective du SDT devient-elle celle de savoir quelle est notre vision de l’avenir de la Wallonie. Que voulons-nous faire ensemble ? Et comment allons-nous le faire, puisqu’il n’est de prospective que stratégique. Cela signifie que, contrairement à ce qui se fait souvent ailleurs, en prospective, on ne fait pas découler linéairement la stratégie du diagnostic. Ceux qui pratiquent la prospective savent que la stratégie s’arrime, d’une part, à des enjeux de long terme. Ceux-ci sont subjectifs, car choisis parmi l’ensemble des enjeux, parce que l’on désire s’en saisir, mesurant leur importance et aussi la capacité qui est la nôtre de pouvoir avoir une influence directe ou indirecte sur leur évolution. D’autre part, cette stratégie s’arrime à la vision de long terme que nous voulons atteindre et que nous avons fait nôtre, collectivement et individuellement. Ce double arrimage fonde une trajectoire robuste qui est porteuse de sens, et donc de volonté d’action.

2. La trajectoire régionale actuelle

Aborder la question de la prospective dans la construction d’un futur Schéma de Développement territorial (SDT), c’est ensuite, nous interroger, comme l’ont fait fort adéquatement nos collègues de la Direction de la Prospective et des Stratégies régionales des Hauts-de-France, Philippe Petit et Benoît Guinamard, sur la trajectoire actuelle de la Région. Nos régions ont en commun qu’il s’agit pas de n’importe quelle trajectoire, il s’agit de trajectoires de rattrapage. Cela signifie que l’on ne peut pas simplement aménager un jardin qui aurait été construit pour nous et qui continuerait à fleurir et à donner des fruits sui generis, mais que nous devons rompre avec une large partie de notre passé pour nous assurer d’un futur qui sera plus fructueux. Pour faire référence à une interrogation du Professeur Bernard Pecqueur, nous ne pouvons absolument pas considérer que notre situation est la même que si nous n’avions rien fait depuis vingt ans. Nos entreprises, nos gouvernements, nos administrations, nos divers acteurs ont beaucoup investi, ont développé de réels efforts de stratégie, ont commencé à transformer le système et à changer la culture. Si nous n’avions rien fait, nous serions sur une autre trajectoire encore, nous serions en bien plus mauvais état, en si mauvais état que nous aurions poursuivi notre chute, notre déclin. Alors, effectivement, nous ne donnerions pas cher de la peau de la Wallonie. Mais ce n’est pas le cas. Néanmoins, notre stagnation, rappelée par Jean-Marie Halleux, n’est pas récente. Il s’agit d’une stagnation inscrite dans le long terme puisque les chiffres du PIB par habitant, que l’on le compare à l’Europe ou à la Belgique, montrent que nous nous stabilisons depuis 1995 sans parvenir à nous élever au-dessus de 75 % de la moyenne belge, ou de 25% du PIB national, ce qui représente la même chose. Compte tenu de ce qui a été montré dans le diagnostic territorial, notamment par Alain Malherbe et Bruno Bianchet, notre objectif prioritaire consiste bien à recréer les conditions de redéploiement de l’activité et d’une lutte particulièrement urgente contre la décohésion sociale et territoriale de la Wallonie, qui peuvent générer la perte de sens et le terrorisme. Il s’agit pour nous de mettre en place les leviers qui permettront de répondre aux questions qui nous sont posées.

3. Des faits territoriaux très têtus

Enfin, aborder la question de la prospective dans la construction d’un futur Schéma de Développement territorial (SDT), c’est – Yves Hanin – l’a souligné d’emblée, surmonter le déficit d’informations statistiques fiables qui affecte l’ensemble de nos travaux en Wallonie. Et ce qui est paradoxal, c’est que nous constatons que ce déficit s’accentue depuis dix ans alors que nous disposons d’outils spécifiques pour répondre à cette question, je pense à l’IWEPS notamment, que la Région wallonne a créé et pilote. L’IWEPS, qui est une institution dont nous apprécions les chercheurs, et dont j’avais espéré la fondation comme outil interdépartemental de l’Administration wallonne. Peut-être faudrait-il laisser à cette institution davantage de latitude pour répondre en toute indépendance à ses missions de base ?

C’est Charles de Gaulle qui disait qu’il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. Une autre manière de dire que les faits sont très têtus. Je vais en donner trois exemples.

Le premier porte sur la question de l’accroissement de la population wallonne telle que les élus continuent à la percevoir à travers les analyses du Bureau fédéral du Plan. Ainsi que nous l’avons mise en évidence avec le groupe de démographes de Demoster, l’explosion démographique que l’on nous annonce en Wallonie, qu’elle culmine à 360.000 habitants ou à 400.000 habitants supplémentaires à horizon 2035 sera toute relative, puisque ce rythme d’accroissement correspond à celui que nous avons connu de 1989 à 2013, c’est-à-dire de 0,4% en moyenne [3]. La trajectoire du BfP n’étant d’ailleurs qu’une parmi les alternatives possibles puisque, nous l’avions écrit, des évolutions de la guerre en Syrie ou des événements en Belgique pourraient durcir les conditions d’accueil des réfugiés et des migrants.

Le deuxième exemple peut être donné sur la question de la cohésion sociale et en particulier sur l’inquiétante évolution des NEETs (Not in Employment, Education or Training), les jeunes de 15 à 24 ans qui ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation. Ces données, recueillies à partir de l’enquête sur les forces de travail SPF ETCS – Eurostat sont particulièrement inquiétantes pour les dernières années. En 2015, la Wallonie se situe à 15 %, en nette hausse par rapport à 2014 (14,7 %) pour une moyenne belge de 12,2 % et européenne de 12 %. Cela signifie que 15 % des jeunes de 15-24 sont en perdition. Si on se focalise, comme le fait l’IWEPS, sur la tranche d’âge 18-24, on atteint 19% en 2015, avec des moyennes européenne et belge de 16% [4].

La ventilation sur les régions NUTS 2 montre l’évolution inquiétante du Hainaut et de Liège, ces deux provinces voyant croître les jeunes en décrochage en passant respectivement de 17,4 % à 18,3 % et de 14,3 % à 15,6 %, Liège ayant dépassé la moyenne wallonne en 2014 et continuant à s’en écarter plus fortement en 2015.

NEET_Wallonie_NUTS2_2016

Le travail d’extraction et de contrôle de ces données reste difficile et leur robustesse peut être mise en discussion. Cela signifie que nous avons un grand besoin de pédagogie en même temps que d’informations en les déclinant sur les territoires sur lesquels nous travaillons. Aux niveaux NUTS 2 ou 3, bien sûr, mais aussi de manière plus fine, par exemple sur des espaces d’action – pour reprendre la terminologie du Professeur Jean Ruegg : sur des territoires comme Charleroi Sud Hainaut, la Wallonie picarde, le Cœur du Hainaut ou la Pays de Famenne.

Mon troisième exemple se veut une inquiétude prospective sur la disparité territoriale des efforts de Recherche-Développement dans les territoires wallons. En effet, Le calcul de l’intensité de R&D par NUTS 2 casse l’idée d’une Wallonie s’alignant, avec 2,9 % sur l’objectif de Lisbonne des 3 % du PIB investis en Recherche-Développement et poursuivi dans Europe 2020. C’est la surperformance du Brabant wallon (4342 euros par habitant en 2013, dernières données Eurostat mises à jour le 30 novembre 2016) qui permet le relativement bon résultat wallon comparé à la moyenne européenne EU28 = 542 € sinon à la moyenne belge 855 €/hab. Là où le bât blesse, ce sont les chiffres des autres provinces wallonnes, respectivement à 406 € pour Liège, 315 € pour le Hainaut, 192 € pour Namur et 52 € pour la province de Luxembourg, qui elles sont bien sous la moyenne européenne [5].

2009 2010 2011 2012 2013
Wallonie 513,6 549,7 615 714,9 743,6
BW 2.453,7 2.557,4 2.962,3 4.197,8 4.342,4
Hainaut 269,4 318 339,9 300,9 315,3
Liège 339,3 363,5 395,8 381,3 405,9
Luxembourg 64,4 69,4 86,9 59,1 52
Namur 288,7 273,8 290 190,8 191,5

Eurostat, 20/11/2016.

Si on pense que ces investissements en R&D constituent la source du redéploiement de notre système d’innovation, et donc de nos entreprises, au travers notamment des pôles de compétitivité, nous avons des raisons de nous inquiéter, et pas seulement en matière de cohésion territoriale. Sans oublier, bien entendu, que les effets du BREXIT peuvent se manifester dans le Brabant wallon et que le risque existe que, demain, nous pleurions sur GSK comme aujourd’hui nous nous lamentons sur Caterpillar.

Ainsi, ces questions territoriales interrogent le système d’innovation et les pôles de compétitivité. Même si le Délégué spécial Alain Vaessen nous a dit à Louvain-la-Neuve que ces pôles étaient déterritorialisés, nous avons vu, au travers des cartes présentées par Jean-Marie Halleux – en particulier celles issues des travaux de Pierre-François Wilmotte – qu’il y avait bien localisation. Mais, ce que ces travaux de l’Université de Liège nous montrent aussi c’est que les frontières arrêtent, comme en France, l’extension de ces pôles qui ne sont finalement que très peu transfrontaliers et interrégionaux, ce qui nuit précisément à la compétitivité que veut encourager le développement territorial. Cette remarque démontre, si besoin en est la faiblesse d’une stratégie de développement territorial qui se fonderait essentiellement sur des pôles métropolitains extérieurs, comme celle qui a été menée depuis la représentation du SDER 1999. Si vraiment, comme beaucoup le disent, depuis Richard Florida, les métropoles sont les phares du développement technologique et économique, qu’attendons-nous dès lors pour en créer une ou deux en Wallonie à la hauteur de nos ambitions ? Ma conviction, c’est que cet effort ne pourra se faire que par a very strong deal entre Charleroi et Liège, polarisant une série de villes moyennes, de Tournai à Verviers et de Marche à Louvain-la-Neuve, orientées vers les deux pôles principaux. Nous avons besoin pour cela d’un leadership fort qui parvienne à imposer un accord de la même force ou de la même nature que celui qui fut jadis signé par Albert Frère et Julien Charlier pour rapprocher en 1981 les sidérurgistes et syndicalistes carolorégiens et liégeois. Ces stratégies ne peuvent, on le voit, n’être que pensées territorialement.

Conclusion : un SDT véritablement porté

Je conclurai sur l’interdépendance et la complémentarité de la Région et de ses territoires.

Le fait que le Ministre Carlo Di Antonio, son Cabinet, son Administration aient décidé d’activer la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne pour réfléchir de manière prospective en portant notre regard sur le prochain Schéma de Développement de l’Espace territorial, indique leur volonté d’un fort dialogue entre la Région et les territoires pour construire le prochain SDT. Cela signifie qu’une bonne partie des réponses qui vont être apportées aux enjeux vont l’être au niveau territorial. Et si vous regardez ce qui se passe en France pour comprendre ce type de relations, vous verrez qu’un Pacte Etat-Métropoles vient d’être formalisé le 6 juillet 2016 sur l’innovation au cœur du développement territorial [6]. Donc, à Paris, le Commissariat général à l’Egalité des Territoires (CGET), héritier de la DATAR, parle d’encapaciter les territoires (empowerment), c’est-à-dire aider les territoires pour qu’ils deviennent à même de réfléchir. En Wallonie, je pense que, compte tenu de l’expérience de terrain accumulée par les territoires depuis une dizaine d’années, du Luxembourg, à la Wallonie picarde et probablement sur la province de Liège, ce sont les territoires qui pourraient faire bénéficier la Région de leurs expériences pour créer de nouveaux modes de gouvernance et monter des stratégies de développement territorial adéquates.

Si cette dynamique – qui a été voulue par le Ministre en charge du Développement territorial – permet de mettre en place ce dialogue constructif, chacun mesure l’importance de cette démarche. L’idéal serait d’ailleurs qu’elle puisse déboucher sur une première contractualisation. Cela signifie qu’on puisse faire en sorte que ce schéma implique chacune et chacun, chaque territoire et chaque acteur, c’est-à-dire que tous ceux qui auront contribué à le construire puissent le signer en s’engageant à le mettre en œuvre à son niveau. Ce serait évidemment l’idéal.

Ce qu’il faudrait, c’est un signal. Un signal clair du Ministre Carlo Di Antonio, comme l’a fait dernièrement le Président Xavier Bertrand pour le SRADDET des Hauts de France, au lancement duquel j’ai assisté au Conseil régional, à Lille, le 10 novembre dernier. Que le Ministre puisse venir nous dire : “vous savez, le SDT, c’est pour moi et mes collègues du Gouvernement wallon, un document essentiel qui doit donner un nouveau souffle aux territoires wallons dans une logique de renforcement du projet socioéconomique de la Wallonie. Je compte sur vous tous pour le réaliser et je compte sur vous tous pour le mettre en œuvre. Ce que nous allons construire ensemble, nous allons le porter ensemble, à la fois à partir des territoires et à partir de la Région.”

Si nous arrivons à créer cette dynamique, nous transformerons vraiment cette Wallonie. A partir de territoires en action, nous créerons une région en action, et nous articulerons les deux, ce qui découplera nos forces et permettra à la fois de répondre à nos enjeux de long terme et à atteindre la vision d’un futur plus souhaitable et plus soutenable.

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] Guy BAUDELLE, Catherine GUY et Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, Le développement territorial en Europe, Concepts, enjeux et débats, p. 18, 246, Rennes, PuR, 2011.

[2] Chloë VIDAL, La prospective territoriale dans tous ses états, Rationalités, savoirs et pratiques de la prospective (1957-2014), p. 31 et 95, Thèse de doctorat, Lyon, Ecole normale supérieure, 2015.

[3] DEMOSTER, Pour bien évaluer l’afflux des réfugiés et migrants, dans L’Echo, 12 février 2016, p. 11. Demoster rassemble Anne Calcagni, André Lambert, Louis Lohlé-Tart, Michel Loriaux, Louis Lohlé-Tart et Ph. Destatte.

[4] 18-24 ans en situation de NEET, Fiche I009-NEET, 1/09/2016. https://www.iweps.be/sites/default/files/Fiches/i009-neet-092016_full1.pdf

[5] Total intramural R&D expenditure (GERD) by sectors of performance and NUTS 2 regions. Last update 20/11/2016.

http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=rd_e_gerdreg&lang=en

[6] Pacte État-Métropoles : l’innovation urbaine au cœur du développement territorial, Paris, Juillet 2016, 4 p. http://www.cget.gouv.fr/sites/cget.gouv.fr/files/atoms/files/en-bref-22-cget-07-2016.pdf

Audition de Philippe Destatte par l’Assemblée plénière du Conseil économique, social et environnemental régional, relative à la saisine de Madame la Présidente de Région Marie-Guite Dufay du 26 janvier 2016, portant sur des outils concrets et des conditions opérationnelles permettant de restaurer la confiance des citoyens et de renforcer leur participation et celle des acteurs de terrain à l’ensemble des politiques publiques portées par la Région

Besançon, le 11 octobre 2016

Madame la Présidente de Région,

Madame la Préfète,

Monsieur le Président du CESER,

Mesdames et Messieurs,

En préparant ce que j’allais vous dire, voici quelques jours, avec Chloë Vidal ma collègue française du Pôle prospective de l’Institut Destrée, qui nous a rejoints depuis Lyon, nous nous disions que la première vocation de ma présence à vos côtés consistait probablement en un sens à vous rassurer. En effet, permettez-moi d’essayer de vous détourner de l’idée que ce que vous vivez serait une situation “à la française”, ou “franco-française”, pour reprendre des formules qui ont été utilisées aujourd’hui à plusieurs reprises dans ce Conseil économique, social et environnemental de Bourgogne Franche-Comté. Toutes et tous, nous pensons généralement que ce qui nous affecte nous incombe à nous seuls et que nous serions la seule région, le seul pays, le seul continent à connaître des doutes profonds sur le sens de notre action collective, la pertinence de notre gestion, la qualité de notre fonctionnement démocratique, la confiance en nos élues et élus, l’intérêt de nos citoyennes et citoyens pour la chose publique, l’implication des jeunes dans leur avenir. Même si ces derniers viennent de faire entendre leur voix, ils n’ont certainement pas levé nos propres doutes.

En effet, de la maladie de la démocratie, à laquelle Madame la Présidente de Région Marie-Guite Dufay, fait référence dans sa lettre de saisine du 26 janvier 2016, on peut dire la même chose que ce que Jean de la Fontaine écrivait de la Peste : de ce mal qui répand la terreur, nous ne mourrons pas tous, mais nous en sommes tous frappés. Peu de pays européens y échappent, l’ensemble des institutions de l’Union en est affecté et je ne dirai rien des échos qui nous parviennent des élections américaines, de l’évolution des élites politiques et du désabusement des citoyens en Russie, en Afrique, en Asie, ni même en Australie. Aussi, vous ne vous étonnerez pas que la Région dont je viens, la Wallonie, a inscrit au programme de son Conseil régional – que nous appelons Parlement – un colloque que l’Institut Destrée a organisé en novembre dernier, avec l’appui de toutes nos universités, sur un thème de réflexion semblable au vôtre : “renouveler les ressorts de la démocratie” [1]. L’argumentaire était le suivant : comment faire participer, de manière délibérative et impliquante, la société civile – les citoyens organisés ou non –, les administrations et les entreprises à la construction et à l’évaluation de politiques publiques pour augmenter la qualité de la démocratie, assurer un meilleur développement et renforcer l’adhésion de ces acteurs à un projet durable et responsable de vivre ensemble régional, ainsi que de positionnement de la Wallonie au plan international ? Nous avions invité la Professeure Dominique Schnapper (Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales) en séance plénière du Parlement pour nous ouvrir l’horizon à ses idées de nation comme communauté des citoyens et d’esprit démocratique des lois. Parallèlement, le président du Parlement et celui du gouvernement régional s’étaient associés pour co-présider une commission spéciale dite de “renouveau démocratique” qui fonctionne toujours et continue à réfléchir aux mêmes enjeux que vous.

Ainsi, vous l’entendez, vous n’êtes pas seuls ! Et, en le disant, je me rassure aussi pour penser que nous ne sommes pas seuls non plus.

Mon intervention s’articulera en trois temps :

1°. vous dire qu’à la lecture attentive de votre rapport et à l’écoute de votre matinée de travail, nous n’avons pas grand-chose à vous apprendre. Pour moi, l’essentiel réside dans ce que vous avez écrit et dit ;

2°. insister sur certaines idées et modalités de mise en œuvre que votre rapport m’a inspirées ;

3°. partager quelques expériences fructueuses – ou non – que nous avons lancées et/ou pilotées avec l’Institut Destrée et qui se rattachent à vos propositions ;

enfin, conclure rapidement.

1. Nous n’avons pas grand-chose à vous apprendre

Nous n’avons pas grand-chose à vous apprendre, car votre rapport dessine bien la Région innovante qui peut répondre au malaise citoyen : une région à la fois partenaire, apprenante, au profil qui se veut a priori modeste, ce qui la rend plus ambitieuse et plus forte.

Une région partenaire, qui comprend qu’elle peut constituer le catalyseur, l’activateur du changement et de la transformation sociétale et territoriale, en mobilisant les parties prenantes, en les impliquant, en les organisant, en jouant le rôle de maître des horloges et de meneur de jeu, en impulsant des dynamiques positives qui, pour être efficientes, seront collectives et relèveront, comme vous l’indiquez, du faire ensemble. Si on dit que les élus ont moins de capacité d’action, ce n’est vrai que pour ceux qui ne valorisent que leurs propres forces et celles de leur administration, avec des cadres budgétaires de plus en plus contraints. Ce n’est pas vrai pour ceux qui, comme vous le préconisez, activent des partenariats d’acteurs pour mettre l’ensemble de la société en mouvement.

Une région apprenante, qui s’interroge collectivement sur les trajectoires et les enjeux, “les mutations des territoires et l’évolution rapide des besoins”. Cette notion de besoin est fondamentale, car elle nous inscrit- Pierre Calame et Gérard Magnin ne nous démentiront pas – dans le sens d’un développement durable, en recherchant l’harmonie par l’équilibre de tous les éléments du système (et pas seulement les trois ou quatre sous-systèmes, économique, social, environnemental et culturel, cités habituellement), en prenant en compte les besoins des citoyennes et citoyens d’aujourd’hui mais aussi ceux des générations futures, comme le préconise le rapport Brundtland, en favorisant l’équité entre les territoires et la cohésion entre les personnes.

Une région modeste et ambitieuse à la fois, car, ainsi que vous l’avez indiqué, “la décision politique est jalonnée de nombreuses ambiguïtés, ambivalences et contradictions qui limitent actuellement notre capacité collective à comprendre et à agir [2].” La réponse à ces limitations réside d’une part dans les changements structurels, c’est-à-dire ceux qui réinterrogent fondamentalement nos fonctionnements, ceux qui portent les transformations, ceux qui n’évitent pas le conflit. Souvenons-nous, en effet, que tous les modèles sérieux de changement, de Kurt Lewin à Ronald Lippitt et d’Edgar Morin à Richard Slaughter, passent par une phase de tension et de conflit [3]. Toute innovation sérieuse met la norme en question et conteste ceux qui en sont les gardiens. Nous l’avons du reste observé dans les échanges de ce matin, cela montre aussi que vous êtes sur la bonne voie. L’élément essentiel, et vous l’avez cité parmi vos enjeux, c’est de faire évoluer les modalités d’intervention de la région, au travers de l’ensemble des acteurs publics. Et j’ajoute, privés. J’expliquerai bientôt pourquoi. D’autre part, la prise en compte du long terme, souvent soulignée comme une nécessité dans le rapport, permettra d’ouvrir les chantiers ambitieux qui le nécessiteront. Ceux qui ont été rappelés par Madame la Présidente de Région, bien entendu, mais aussi tous ceux qui nécessitent des efforts générationnels, comme les transformations culturelles, sociétales ou éducationnelles. L’horizon lointain constitue aussi une ressource formidable en prospective, car, en se projetant très loin, on se libère des intérêts auxquels nous avons tendance à nous accrocher dans notre propre trajectoire. C’est la même chose pour les élues et élus. Au syndrome NIMBY, rappelé par Madame la Préfète, correspond un syndrome NIMTO (Not in my Term Office), pas dans mon mandat, qui a la même vocation à nous empêcher d’agir. La modestie tient de la prise de conscience collective de la complexité du monde et du fait que l’autorité publique ne peut plus seule adresser de tels problèmes dans un monde si volatil et si complexe. Mais elle devient ambitieuse lorsqu’elle change de posture et se met en capacité de faire de la gouvernance, c’est-à-dire de faire fonctionner la société à partir des acteurs et donc avec eux.

2. Quelques idées et modalités que le rapport du CESER inspire

De plus en plus, davantage peut-être que de simplement la piloter, le but de l’action politique serait de construire directement la société. Au lieu de concevoir le peuple de manière donnée et passive, on le considère dans sa relation à son organisation politique [4]. On voit donc se dessiner l’idée d’une démocratie définie comme la tentative d’instituer un ensemble d’individus en une communauté politique vivante [5]. En rapprochant différents points de vue, il pourrait sembler que la dynamique de développement ou de métamorphose régionale puisse se faire à deux conditions essentielles :

– une adhésion de la population à un projet régional clairement exprimé, projeté dans le long terme et dans lequel les citoyens peuvent inscrire leur(s) propre(s) trajectoire(s) de vie et de profession dans une trajectoire collective identifiée ;

– une forte implication des acteurs, mobilisant leurs propres stratégies et leurs moyens, pour réaliser leurs objectifs dans le cadre d’un projet collectif défini, afin de constituer une collectivité ou une communauté politique.

La participation est donc au centre de ce mouvement, non pas comme la réalisation d’une démocratie mythique, parfaite, rêvée et utopique, mais comme une condition de l’efficacité des politiques collectives visant à ce développement commun et à cette métamorphose régionale.

J’évoquerai trois idées que la lecture du rapport du CESER m’inspire.

2.1. L’affaissement de l’intérêt général et du bien commun ne peuvent être combattus que par la conception de visions communes et partagées de l’avenir qui donnent du sens au présent et permettent de développer une capacité d’agir

Cet affaissement me paraît accéléré par deux phénomènes. D’une part, l’acuité du débat entre la gauche et la droite, qui tourne dans certains de nos pays à l’affrontement. Certes, cette situation n’est pas nouvelle, mais elle laisse aujourd’hui, par sa violence, le champ libre à d’autres forces politiques qui mettent fondamentalement en cause la démocratie. Cela n’est évidemment pas sans rapport avec notre préoccupation. D’autre part, l’ampleur des tensions entre le monde de l’entreprise et la société civile. Les processus de globalisation et de déterritorialisation, de délocalisations, de désindustrialisation ont provoqué un réel distanciement entre des citoyens qui sont précarisés ou menacés de précarisation et des responsables d’entreprises ou des indépendants qui sont confrontés aux enjeux des grandes mutations ainsi qu’aux crises économiques et financières. La relation à l’État y fait difficulté. Les premiers en attendent protection et sécurité, la crise des moyens publics étant porteuse d’inquiétudes supplémentaires. Les seconds attendent un allègement de leurs charges fiscales pour faire face aux transformations dans de meilleures conditions et une réduction du périmètre public afin de la rendre possible. Au croisement de ces attentes différentes, les valeurs et les discours divergent. C’est ici que le rôle de la prospective est fondamental, car celle-ci pose la question de savoir : que voulons-nous faire ensemble ?, entre citoyens et acteurs différents, et comment articuler nos visions et trajectoires avec celles des autres, identifier nos valeurs communes, partager de grands projets et des symboles communs ?.

2.2. Le manque de confiance et de crédit de la part des décideurs envers les citoyens et les acteurs constitue un autre malaise dans le malaise démocratique

Au défaut de pouvoir, s’ajoute un défaut d’écoute. Ce déficit peut être rencontré, comme le rapport le montre, par de nouvelles ingénieries démocratiques : conférences citoyennes, cellule régionale de débat public, forums et plateformes de débat, mise en réseaux, discussions avec les élus, etc. Au-delà, il s’agit de dépasser le simple attachement à la démocratie pour en susciter le désir, c’est-à-dire créer une attente, une attraction nouvelle vers une démocratie améliorée, mieux vécue, plus performante, plus implicante, mieux accomplie [6].

Une autre réponse, de la part du politique peut consister à laisser se développer, encourager, voire susciter des espaces de liberté où peuvent se développer des paroles construites et indépendantes, des intelligences citoyennes et entrepreneuriales. J’en donnerai quelques exemples dans la troisième partie de cet exposé.

2.3. La gouvernance comme modèle trifonctionnel d’organisation de la société et non, comme l’avait indiqué le grand philosophe Laurent Ruquier, comme “usine à gaz dont on aurait perdu la clef”

La vocation de la gouvernance, telle qu’elle a été conçue dans les années 1990 par le Club de Rome et le PNUD, c’est bien entendu d’améliorer la qualité de la décision, mais aussi de porter sa mise en œuvre à terme. En fait, elle ne nait pas du constat que la démocratie représentative ne fonctionnerait pas, car elle n’essaie de s’y substituer d’aucune manière. Elle nait du constat que le politique ne peut plus, seul, résoudre les problèmes de ce monde et qu’elle doit articuler les trois sphères que constituent le monde privé des entreprises, le monde public des élus et des fonctionnaires, ainsi que la société civile des citoyennes et citoyens, organisés ou non. En prenant également en compte l’hybridation des acteurs dont l’Université est un bon exemple, puisqu’elle déploie ses activités dans les trois sphères.

La vraie plus-value du modèle de la gouvernance est donc la reconnaissance des acteurs et, par là, leur respect, permettant leur implication, y compris budgétaire, au travers de la contractualisation. Cette logique permet l’additionnalité des efforts, mais aussi des moyens pour atteindre des objectifs communs. Lorsque j’évoque les moyens, j’inclus bien entendu les moyens financiers et donc aussi, à côté des moyens publics, des moyens privés, entrepreneuriaux ou associatifs.

De même, évoquer la reconnaissance des acteurs implique également, et peut-être avant tout, de reconnaître le rôle central que jouent et doivent jouer les élus au niveau même de la gouvernance et la préservation de leur responsabilité et légitimité dans la démocratie. Elle nécessite aussi la reconnaissance de la gouvernance multiniveaux, en prenant en compte le dialogue d’abord, la coopération ensuite, avec les différents niveaux d’actions : conseils généraux, communautés urbaines, intercommunalités, partenaires transfrontaliers, intérrégionaux, nationaux et européens, au moins.

Les travaux que l’Institut Destrée a menés au profit de la Normandie en 2010-2011, en collaboration avec le Pôle des Futurs de Deauville, me paraissent assez illustratifs de la pertinence de ces démarches. D’une part, nous avons, avec la CCI de Caen, jeté un regard prospectif des entrepreneurs de la Basse-Normandie sur l’horizon 2040 pour identifier des actions stratégiques concrètes. D’autre part, avec le Conseil régional de Basse-Normandie, les services et les acteurs régionaux, nous avons intégré tous les schémas territoriaux dans une livre blanc pour construire une vision de l’ensemble de la Normandie (Haute et Basse) à l’horizon 2020+, contribuant ainsi à anticiper, cinq ans avant, l’actuelle réforme territoriale et la création de la nouvelle région. Bien entendu, les rythmes de travail de ces deux approches sont différents, les horizons temporels et les motivations également, mais les résultats se complètent utilement. La difficulté consiste à faire dialoguer ensemble ces dynamiques différentes, ce que nous avons pu réaliser là partiellement, et en Wallonie beaucoup plus complètement.

3. Quelques expériences qui font échos aux orientations concrètes du CESER

Permettez-moi d’aborder trop rapidement quelques expériences, mises en place par l’Institut Destrée en Région Wallonie, et qui font écho aux propositions concrètes développées par le CESER dans son rapport sur l’innovation démocratique en Bourgogne Franche-Comté.

3.1. La Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne

Afin, comme l’indiquent vos deuxième et quatrième orientations, de renforcer les capacités d’agir individuelles et collectives des acteurs, d’encourager leurs prises d’initiative, et de former à l’intelligence territoriale, la Direction générale de l’Aménagement du Territoire de la Région Wallonie et l’Institut Destrée ont mis en place, voici dix ans, la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne. Il s’agit d’un lieu d’échanges privilégié entre le Service public de Wallonie, les experts universitaires de la Conférence permanente du Développement territorial et les acteurs territoriaux porteurs de dynamiques prospectives et stratégiques au niveau local (intercommunalités, métropoles, départements / provinces, pays, etc.) ainsi que quelques acteurs spécialisés notamment dans la cohésion sociale et territoriale. La Plateforme s’est réunie en 40 séminaires d’une journée depuis 2006 et constitue un véritable espace d’interaction horizontal et vertical entre acteurs du développement régional et territorial aux niveaux infra et même supra-régional, lorsqu’elle se préoccupe des politiques fédérales ou européennes [7]. Elle participe à la création d’une cohérence et d’une cohésion, ou en tout cas d’une convergence, entre politiques régionales et territoriales. Le Ministre en charge du Développement territorial a d’ailleurs confié à cette Plateforme le volet prospectif du SRADDET wallon que nous appellons SDT (Schéma de Développement territorial).

3.2. La Wallonie au futur

De 1987 à 2004, la dynamique prospective La Wallonie au futur s’est inscrite dans une logique de dialogue sociétal afin – comme l’indique la première orientation du rapport du CESER -, d’utiliser des méthodes adaptées à la consultation des acteurs afin de co-construire des politiques publiques ou collectives régionales. Tout au long de ces années – plus de 15 ans – une acculturation aux pratiques de dialogue et de prospective s’est constituée chez les acteurs, au nombre d’environ 10.000 pour la région. Au-delà des quatre exercices de prospective différents (Vers un nouveau paradigme, Le défi de l’éducation, Quelles stratégies pour l’Emploi, Sortir du XXème siècle, Wallonie 2020 : une prospective citoyenne), deux fortes innovations ont marqué la période en matière de gouvernance : la conférence-consensus sur le pilotage scolaire et la préparation d’un Contrat d’avenir pour la Wallonie. La première s’inspirait des pratiques danoises et a permis à un panel de la société civile d’être formé par des experts internationaux sur une question pointue et de dialoguer avec des décideurs de l’éducation : le ministre, bien sûr, mais aussi son administration et les organisations syndicales et patronales qui jouent un rôle-clef dans ce domaine. Le processus a débouché sur un cadre normatif dans lequel la société civile avait donc eu son mot à dire, même s’il ne correspondait que partiellement à son attente. Mais il s’agit aussi du respect des dynamiques propres à la démocratie représentative [8]. La deuxième innovation permettait, en s’inspirant des logiques de contractualisation françaises sur lesquelles nous avions travaillé avec la DATAR et les Conseils régionaux du Nord Pas-de-Calais et de Lorraine, de créer une contractualisation des politiques publiques non avec L’État, ce qui n’a pas de sens dans un fédéralisme où les compétences sont généralement exclusives, mais avec les acteurs, au travers d’un projet commun [9]. Là aussi, le résultat fut mitigé, non à cause du gouvernement régional qui avait ouvert assez largement les portes de cette contractualisation, mais dans le chef d’une société civile et d’acteurs trop méfiants, suspectant un marketing territorial plutôt qu’une vraie ouverture. La contractualisation s’est donc faite essentiellement entre les élus et leur administration – ce qui n’est pas rien – et partiellement entre le gouvernement et les interlocuteurs sociaux, y compris le MEDEF wallon, que nous appelons Union wallonne des Entreprises.

Notons que, dans l’exercice Wallonie 2030, une centaine de jeunes étudiants de fin du cycle secondaire, issus de l’enseignement général, technique et professionnel ont été associés à la démarche, formés aux méthodes prospectives et ont permis non seulement la forte implication des jeunes dans l’exercice – ce qui n’est pas inutile lorsqu’on réfléchit à 20 ans – mais aussi de produire des enjeux de long terme que leurs ainés n’avaient pas envisagés. Ces expériences, que les Britanniques et Allemands dénomment Young Foresight, sont également portées aux Etats-Unis par notre partenaire de l’Université de Houston, le professeur Peter Bishop. Elles commencent à exister aussi en France, notamment en Région Hauts de France, Auvergne Rhône-Alpes et PACA. Ma collègue Chloë Vidal, qui suit ce dossier à l’Institut Destrée, pourrait vous en parler plus longtemps que moi, étant en relations suivies avec les porteurs de ces initiatives prises avec les lycéennes et lycéens.

3.3. Le Collège régional de Prospective

Inspiré initialement du Collège régional de Prospective de Poitou-Charentes, le Collège régional de Prospective de Wallonie renvoie à la troisième orientation du rapport du CESER puisqu’il s’agit là aussi de renforcer les capacités d’agir individuelles et collectives des acteurs et d’encourager leurs prises d’initiative. Ce Collège a été créé en 2004, à l’initiative de l’Institut Destrée, sous la présidence d’un de ses administrateurs, l’ancien Commissaire européen à la Recherche, Philippe Busquin. Dans la logique de la gouvernance juste évoquée, il a été composé de trente personnalités provenant pour un tiers de la sphère publique, en évitant toutefois les élus en fonction, pour un tiers de personnalités du monde de l’entreprise – il est actuellement présidé par un des directeurs d’ING Wallonie -, et pour un tiers de membres et représentants de la société civile. L’initiative est donc sociétale, indépendante et autonome dans ses choix de chantiers. Ses préoccupations ont porté sur les valeurs, les freins au développement régional, etc. Il a construit un exercice de prospective à l’horizon 2030, à partir d’une analyse des bifurcations passées et futures, et prône, depuis 2011, la mise en place d’un nouveau contrat sociétal pour la Wallonie et d’une trajectoire budgétaire qui adapte les dépenses de la région à ses moyens réels. Le Collège travaille actuellement sur des trajectoires prospectives à l’horizon 2036.

Ce qui est vécu par cet exemple, et prôné par l’Institut Destrée au travers de cet exercice, c’est une prospective libérée de ses cadres réglementaires, plus souple, plus mobile mais plus opérationnelle, plus professionnelle, qui prenne la mesure de la complexité, lève les ambiguïtés et soit conçue comme un véritable investissement des élus et des acteurs dans l’avenir afin d’y apporter les transformations structurelles nécessaires. Sans éviter les risques et les questions difficiles à aborder, en particulier celles ayant trait au budget [10].

De nombreux autres éléments pourraient être ajoutés sur l’évaluation de ces différentes expériences, qui mériteraient d’être complétées par l’innovation et la créativité dont a pu faire preuve, ces dernières décennies, les services du Conseil régional du Nord Pas-de-Calais, à l’initiative de mon collègue prospectiviste, Pierre-Jean Lorens.

La difficulté majeure réside dans votre cinquième orientation, que nous ne sommes pas parvenus à véritablement mettre en œuvre en Wallonie et qui consiste à intégrer les principes d’une gouvernance renouvelée dans l’organisation politique et administrative. Nous restons malheureusement en deçà des niveaux d’attentes des citoyens, des entrepreneurs, des fonctionnaires régionaux, territoriaux et locaux.

4. Conclusion : prendre acte des bifurcations et s’en saisir

Afin de conclure, je voudrais dire à nouveau que je suis très impressionné par la qualité et le volontarisme de vos propos, ceux du rapport sur l’innovation démocratique, mais aussi la présentation de ce rapport qui en a été faite ce matin devant Madame la Présidente de Région.

A ce stade, je voudrais répéter trois principes qui me sont chers et que j’avais communiqués à Frédéric Gillot lorsqu’il m’avait demandé quelques indications sur mon propos sur le renouveau de la démocratie.

D’abord, que le respect des élues et des élus dans leurs responsabilités et leur légitimité constitue une nécessité absolue. Une démocratie renouvelée, participative ou délibérative ne saurait mettre en cause ou en péril la démocratie représentative, fondement de nos sociétés modernes. Certes, celle-ci peut-être améliorée, consolidée, renforcée mais c’est la pratique, vous le savez, qui donne vie à cette démocratie.

Ensuite, que la gouvernance, c’est-à-dire l’interaction à partir et avec les acteurs, permet de sortir des simples logiques de consultation pour construire, par l’intelligence collective, des partenariats démocratiques. Cette dynamique permet de dépasser les jeux de rôles traditionnels dans les conseils économiques, sociaux et environnementaux, en Bourgogne Franche-Comté comme en Wallonie d’ailleurs. En effet, la consultation et la concertation sont d’une autre nature que la co-construction qui tient – cela a été dit – de la gouvernance. Cette co-construction transforme les politiques publiques en politiques collectives et territoriales.

Enfin, que la mise en capacité des citoyennes et des citoyens permet de co-transformer le système et de prendre en compte des trajectoires nouvelles, créer des alternatives, choisir des politiques et, surtout, mettre en œuvre celles-ci et les évaluer collectivement.

Les jeunes ont indiqué vouloir prendre leur part, la Région a créé des ouvertures, le CESER a répondu présent et peut constituer un pivot de renouveau. Ainsi que vous l’avez indiqué clairement, vous êtes au début d’un processus à mener ensemble. Prêts à passer à l’acte.

En tant que prospectivistes, nous avons beaucoup travaillé à l’Institut Destrée sur les bifurcations, ces moments où une variable ou un système peut évoluer vers plusieurs chemins et réalise une seule de ces possibilités. Ainsi, les bifurcations sont, sur nos trajectoires, des points particuliers où des orientations nouvelles et innovantes peuvent être prises, où le cône des possibles s’ouvre.

Deux bifurcations majeures marquent actuellement nos régions françaises.

La première est la réforme territoriale, cela ne vous aura pas échappé. Quoi qu’on pense du mode de gouvernance qui a présidé à la construction des nouvelles régions, il s’agit d’un moment particulièrement favorable pour lancer des transformations profondes de la gouvernance de ces régions.

La deuxième bifurcation qui s’impose à nous est celle des ruptures sociétales et des attentats terroristes qui ont durement frappé nos pays. Ainsi que les citoyennes et citoyens l’ont exprimé avec beaucoup de dignité, mais aussi une grande conviction, dès le lendemain de ces événements dramatiques, ils sont en demande de sens, de cohésion et de société, davantage que de tout autre chose.

Sachons donc, sachez donc à la fois relever ces enjeux, mais aussi saisir ces moments comme des occasions formidables pour agir collectivement. En utilisant, ainsi que vous l’avez souligné, des approches prospectives renouvelées par les intelligences citoyennes. Personnellement, c’est l’appel que j’ai lu dans votre saisine, Madame la Présidente.

Je vous remercie de votre attention et reste, bien entendu, à votre écoute et à votre disposition, Monsieur le Président, vous qui avez eu l’attention de m’inviter dans votre dynamique assemblée.

[1] Christian de VISSCHER, Philippe DESTATTE, Marie DEWEZ, Les ressorts d’une démocratie wallonne, Rapport préliminaire, Namur, Parlement de Wallonie – Institut Destrée, 19 novembre 2015, 44 p. https://www.parlement-wallonie.be/media/doc/pdf/colloques/17112015/ch-de-visscher_ph-destatte_m-dewez_democratie_wallonne_2015-11-12.pdf

[2] L’innovation démocratique en Bourgogne Franche-Comté ? Assemblée plénière du CESER, 11 octobre 2016, CESER Bourgogne Franche-Comté, 2016, 39 p.

[3] Ph. DESTATTE, Qu’est-ce que la prospective ? Blog PhD2050, Namur, 10 avril 2013, https://phd2050.org/2013/04/10/prospective/ – Ph. DESTATTE dir. Evaluation, prospective et développement régional, Charleroi, Institut Destrée, 2001.

[4] Pierre ROSANVALLON, Le peuple introuvable, Histoire de la représentation démocratique en France, p. 355-356, Paris, Gallimard, 1998.

[5] P. ROSANVALLON, La démocratie inachevée, Histoire de la souveraineté du peuple en France, p. 402 et 409, Paris, Gallimard, 2000.

[6] Marc CREPON, La démocratie en défaut, dans M. CREPON et Bernard STIEGLER, De la démocratie participative, Fondements et limites, p. 25, Paris, Mille et une nuits, 2007. Merci à Chloë Vidal de m’avoir fait découvrir ce texte.

[7] Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne : http://www.intelliterwal.net/ – Philippe DESTATTE et Michaël VAN CUTSEM dir., Quelle(s) vision(s) pour le(s) territoire(s) wallon(s) ? Les territoires dialoguent avec leur région, coll. Etudes et documents, Namur, Institut Destrée, 2013.

[8] La Wallonie au futur, Le Défi de l’éducation, Conférence-consensus, Où en est et où va le système éducatif en Wallonie ? Comment le savoir, Charleroi, Institut Destrée, 1995.

[9] Philippe DESTATTE dir., Contrats, territoires et développement régional, Charleroi, Institut Destrée, 1999.

[10] Collège régional de Prospective de Wallonie : http://www.college-prospective-wallonie.org/ – Ph. DESTATTE, Trajectoires prospectives de la Wallonie 2016-2036, Blog PhD2050, Charleroi, 25 février 2016. https://phd2050.org/2016/02/28/trajectoires-prospectives-de-la-wallonie-2016-2036/

Namur, le 1er août 2015 (*)

Considérons que l’ambiguïté consiste, pour un concept ou une idée, à faire l’objet de plusieurs sens possibles, ce qui en rend l’interprétation incertaine. C’est à peu près ce que nous en dit le dictionnaire Robert de la langue française (2008).

On dispose, depuis l’ouvrage de Guy Baudelle, Catherine Guy et Bernadette Mérenne-Schoumaker, d’une approche conceptuelle solide du développement territorial. Celui-ci y est conçu comme un processus volontariste cherchant à accroître la compétitivité des territoires en impliquant les acteurs dans le cadre d’actions concertées généralement transversales et souvent à forte dimension spatiale [1]. L’intérêt de cette définition, c’est qu’elle est largement expliquée et développée et que cet effort nous permet de pénétrer directement au cœur de notre sujet. Soulignant la proximité des deux notions d’attractivité et de compétitivité territoriales, et les articulant en référence aux travaux de Roberto Camagni [2], les auteurs indiquent que l’élément crucial pour toute politique de développement réside donc dans la construction d’une vision partagée du futur, bien ancrée dans les spécificités et les vocations de l’économie locale : un plan d’action collective et de coopération entre public et privé, une démarche stratégique qui puisse maximiser les synergies locales et valoriser le rôle de chaque acteur [3].

Cette approche est tout sauf anodine. Non seulement, elle nous renvoie à l’analyse des systèmes territoriaux d’innovation mais elle nous fait aussi plonger au centre de la démarche prospective, au cœur des difficultés de la gouvernance territoriale en général et de celle de la Wallonie en particulier. Ce sont ces trois champs que je vais brièvement évoquer.

 

1. L’analyse territoriale de l’innovation

La qualité principale de l’idée de développement territorial vient du fait qu’elle a vocation à reconnecter fondamentalement l’aménagement du territoire avec le développement, donc avec les ressources qui le fondent. Ressources notamment d’acquisitions progressives, indiquent bien Baudelle et alii, matérielles et immatérielles : entrepreneuriat, technologies, innovation, cadre de vie, qui fondent l’attractivité et la compétitivité [4]. Camagni rappelait en 2005 – et cela n’a pas changé dix ans plus tard, malgré l’échec du processus de Lisbonne – que le défi dans lequel nous nous inscrivons est celui de la société de la connaissance (science based development) : savoir-faire et compétence, éducation et culture de base, investissement en recherche scientifique et en recherche-développement, capacité entrepreneuriale, etc. Le spécialiste des milieux innovateurs, insistait une nouvelle fois sur l’importance des interactions et des synergies entre tous ces éléments, sur l’accessibilité aux réseaux et nœuds de communication et de transport, en particulier cognitifs, mais surtout sur l’apprentissage collectif des acteurs. Le professeur au Politecnico di Milano relevait le rôle central joué par le territoire, notamment dans les processus de construction des connaissances, des codes interprétatifs, des modèles de coopération et de décision sur lesquels se fondent les parcours innovateurs des entreprises ainsi que dans les processus de croissance “socialisée” des connaissances [5]. Enfin, Camagni indiquait que la logique des pôles de compétitivité, en tant que rapprochement entre industrie, centres de recherche et universités dans la construction par le bas de projets de développement productif avancé, combiné à une vision générale du futur du territoire, était cohérente avec le schéma qu’il avait présenté.

L’innovation, elle aussi se territorialise, ainsi que l’avait jadis argumenté le Commissaire européen à la recherche, Philippe Busquin [6]. Tout paysage habité par les hommes porte la marque de leurs techniques, rappelait plus tard Bernard Pecqueur en citant la contribution d’André Fel dans L’histoire des techniques de Bertrand Gille [7]. Tentant d’appréhender le système contemporain, ce dernier notait que les techniques nouvelles, en particulier la Révolution électronique, – nous dirions peut-être aujourd’hui numérique mais il s’agit de la même chose – rompait les équilibres spatiaux, modifiait les cadres d’existence, ce qui constitue à la fois, dans la terminologie des géographes, les paysages et les genres de vie [8]. On retrouve ainsi le discours des milieux innovateurs, du GREMI [9], auquel se réfère Pecqueur, des dynamiques territorialisées du changement, de la corrélation entre innovation et espace construit [10], du fait que l’entreprise innovante ne préexiste pas. Ce sont les milieux territoriaux qui la génèrent. Comme l’écrivait Philippe Aydalot, le passé des territoires, leur organisation, leur capacité à générer un projet commun, le consensus qui les structure sont à la base de l’innovation [11]. Quant aux autres variables qu’il mentionne comme facteurs d’innovativité, – accès à la connaissance technologique, présence de savoir-faire, composition du marché du travail, etc. – elles peuvent être activées par les acteurs du territoire.

En fait, ce sont toutes ces réalités que l’idée de développement territorial embarque. Considérant qu’il s’agissait d’un nouveau regard, le Québécois Bruno Jean notait d’ailleurs dès 2006 qu’une plus grande connaissance des rapports entre les territoires et l’innovation (technique, culturelle, socioinstitutionnelle), définie plus largement, s’impose [12].

Ce surcroît de connaissance passe assurément par une approche plus systémique qui constitue probablement le fil le plus tangible reliant les travaux de Bertrand Gille ou de Jacques Ellul sur le système technique [13], les systèmes d’innovation et ceux sur le développement territorial qui se veut, in fine, un développement essentiellement durable [14]. Ce qui ne signifie nullement qu’il limiterait son champ d’action aux trois finalités économiques, sociales et environnementales. On se souviendra que l’économiste Ignacy Sachs, conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU pour les conférences sur l’Environnement, voyait cinq dimensions à la durabilité ou plutôt à l’écodéveloppement, concept qu’il préférait : la dimension sociale permettant une autre croissance, une autre vision de la société, économique impliquant une meilleure répartition et une meilleure gestion des ressources, avec plus d’efficacité, écologique afin de minimiser les atteintes aux systèmes naturels, spatiale permettant un équilibre ville-campagne adéquat, un meilleur aménagement du territoire, culturelle ouvrant à une pluralité de solutions locales qui respectent la continuité culturelle ([15]).

Plutôt que la conception trifonctionnelle qui nous a toujours paru étroite, la vision du Rapport Brundtlandt, plus ouverte encore que celle de l’écodéveloppement, s’inscrit précisément dans une dynamique systémique, articulant ce que nous identifions comme autant de sous-systèmes :

– un système politique qui assure la participation effective des citoyens à la prise de décisions,

– un système économique capable de dégager des excédents et de créer des compétences techniques sur une base soutenue et autonome,

– un système social capable de trouver des solutions aux tensions nées d’un développement déséquilibré,

– un système de production qui respecte l’obligation de préserver la base écologique en vue du développement,

– un système technologique toujours à l’affût de solutions nouvelles,

– un système international qui favorise des solutions soutenables en ce qui concerne les échanges et le financement, et

– un système administratif souple capable de s’autocorriger.

La richesse de cette approche [16], non limitative mais généralement négligée, est extraordinaire car elle fonde l’approche systémique des politiques de développement durable. En outre, le paragraphe 15 du Rapport Brundtlandt valorise le développement durable comme processus de changement, de transformation et ouvre la porte vers des finalités globales et des enjeux complémentaires. Ainsi qu’il l’indique : dans son esprit même, le développement durable est un processus de transformation dans lequel l’exploitation des ressources, la direction des investissements, l’orientation des techniques et les changements institutionnels se font de manière harmonieuse et renforcent le potentiel présent et à venir permettant de mieux répondre aux besoins et aspirations de l’humanité [17].

Développement territorial, développement durable et prospective apparaissent donc comme des instruments de même nature si on les fonde sur des approches systémiques, si on les inscrit dans le long terme et si on les considère comme de réels vecteurs de transformation.

2. La prospective et ses ambiguïtés

Lors des travaux du programme Foresight 2.0 du Collège européen de Prospective territoriale, le spécialiste allemand de l’innovation régionale Günter Clar (Steinbeis Europa Zentrum à Stuttgart) avait mis en évidence l’une des qualités de la prospective qui permet de lever l’ambiguïté, de clarifier les enjeux par l’analyse et la mise en délibération des concepts. Néanmoins, la prospective elle-même reste l’objet d’ambiguïtés, d’interprétations diverses, voire de dévoiement, c’est-à-dire de détournement de sa finalité, de son projet, de sa vocation initiale. Les retours aux sources qui ont eu lieu ces dernières années, notamment au travers des thèses de doctorat de Fabienne Goux-Baudiment [18], de Philippe Durance [19] ou de Chloë Vidal [20], ont néanmoins constitué des efforts majeurs pour rappeler les fondements de la prospective et reconstruire le lien entre l’activité prospective présente dans les travaux des grands pionniers et, parmi ceux-ci, le premier de tous en France, Gaston Berger. Ces recherches confortent les quelques idées simples que je voudrais rappeler. Chacune pose, avec Gaston Berger, la prospective comme une rationalité cognitive et politique, dont la finalité est normative [21]. Comme l’écrit Chloë Vidal, la philosophie de Berger se constitue comme une science de la pratique prospective dont la finalité est normative : elle est orientée vers le travail des valeurs et la construction d’un projet politique ; elle est une “philosophie en action” [22]. Le professeur Philippe De Villé tenait déjà ce discours lors du colloque européen que organisé par l’Institut Destrée au Château de Seneffe en 2002 [23].

Ainsi, il n’est de prospective que stratégique. On sait que le choix d’un Michel Godet ou d’un Peter Bishop d’adosser l’adjectif stratégique (strategic) au mot prospective (foresight) n’implique pas qu’il existerait une prospective qui ne serait pas stratégique. Comme nous l’avons montré dans le cadre des travaux de la Mutual Learning Platform, réalisés pour la Commission européenne (DG Entreprise, DG Recherche, DG Politiques régionales) et pour le Comité des Régions [24], outre sa finalité stratégique, tout processus prospectif contient – ou devrait contenir – une phase stratégique destinée à concrétiser le passage à l’action.

Ce positionnement normatif a deux implications qu’il faut sans cesse rappeler. La première est le renoncement initial et définitif de la prospective à toute ambition cognitive de l’avenir. On a beau répéter que la prospective n’est pas la prévision, cela n’empêche pas d’entendre – jusque dans le discours de ministres wallons – qu’aucun prospectiviste n’avait prévu ceci ou cela. L’avenir ne peut être prévu puisqu’il dépend largement – et dans certains cas essentiellement – de la volonté des femmes et des hommes.

La deuxième implication est que la prospective n’est pas une science, même si, comme la recherche historique, par exemple, elle fait appel à la critique des sources et utilise des méthodes d’investigation qu’elle veut rigoureuses, sinon scientifiques. Sa légitimité scientifique ne peut donc être invoquée comme elle l’est pour d’autres disciplines comme la sociologie, l’économie ou le droit – parfois abusivement du reste… Les méthodes elles-mêmes paraissent parfois se couvrir d’une scientificité vertueuse, comme c’est le cas pour la méthode classique française des scénarios. L’ordonnancement rationnel qui se dégage de sa pratique laisse souvent accroire que la méthode aurait un caractère scientifique et que, dès lors, ses résultats seraient porteurs d’une légitimité de cette nature. Il n’en est rien. Que l’on répète l’exercice à un autre moment, avec d’autres acteurs, d’autres variables émergeront, analyses structurelle et morphologique seront différentes, et les scénarios configurés autrement. L’intérêt de la méthode n’est d’ailleurs – et ce n’est pas rien – que de faire émerger des enjeux et de concevoir des alternatives. Les premiers comme les seconds sont des objets subjectifs puisqu’ils résultent du choix des participants à l’exercice qui accepteront – ou non – de s’en saisir. Là réside toute la puissance de la prospective : c’est la capacité, pour celles et ceux qui s’y adonnent, de construire des trajectoires différentes du chemin qu’on les invite à suivre naturellement, d’identifier des avenirs plus conformes à leurs valeurs et à leurs aspirations, et de se donner les moyens de les atteindre.

Cela ne signifie évidemment pas qu’il faille renoncer à une forte affirmation déontologique d’indépendance scientifique, comme nous l’avions fait avec Jean Houard en 2002 en rappelant que la prospective ne peut s’inscrire que dans une logique d’autonomie intellectuelle et éthique. Dans la foulée, Thierry Gaudin avait d’ailleurs souligné que la liberté de penser, en matière de prospective, est indispensable [25].

Ajoutons ensuite que la prospective se fonde sur l’intelligence collective et que, dès lors, on ne l’utilise pas en solitaire.

Notons, pour finir trop rapidement avec cet aspect, que, la prospective territoriale étant une prospective appliquée au territoire comme la prospective industrielle l’est à l’industrie, elle ne saurait échapper aux règles générales de la prospective.

La prospective dans la gouvernance wallonne

A plusieurs reprises déjà, il nous a été donné d’évoquer le travail de prospective réalisé par l’Institut Destrée dans le cadre de la révision du SDER [26]. Celui-ci a porté sur deux aspects. Le premier a consisté en l’élaboration de scénarios exploratoires sur base du volumineux diagnostic élaboré par la Conférence permanente du Développement territorial (CPDT), le second à préparer la construction d’une vision commune des acteurs wallons.

Beaucoup a été dit sur les scénarios du SDER. Elaborés très en amont de la démarche, ils étaient à leur place pour ouvrir une réflexion sur les enjeux plus que pour esquisser des stratégies qui ne doivent jamais constituer que des réponses à ces questions, lorsqu’elles ont auront été bien posées. Malgré nos efforts, cette articulation a été assez déficiente, probablement par manque de maturité prospective des acteurs interpellés. Malgré la qualité du résultat de ces scénarios, ceux-ci ont souffert de plusieurs biais. Le plus important sur le plan méthodologique est probablement le refus du ministre en charge de l’Aménagement du Territoire d’associer les acteurs concernés au delà de la CPDT et de l’Administration régionale. Dans une logique de développement territorial, la mise à l’écart de l’élaboration des scénarios d’acteurs aussi majeurs que l’Union wallonne des Entreprises ou Inter-Environnement Wallonie, sous prétexte qu’ils auraient ultérieurement leur mot à dire dans la consultation qui était programmée, n’avait pas de sens. Là aussi, l’idée d’établir des documents qui puissent fonder une pseudo légitimité scientifique l’a emporté sur la bonne gouvernance régionale qui se doit d’impliquer les acteurs selon le modèle bien connu du PNUD [27]. Or, la co-construction d’une politique publique, voire de bien commun, par l’ensemble des parties-prenantes a peu à voir avec les mécanismes de consultation et de concertation où le jeu joué par les acteurs est d’une toute autre nature.

La seconde implication de l’Institut Destrée dans la révision du SDER portait sur la construction d’une vision commune et partagée. Nous avons eu l’occasion, à plusieurs reprises et notamment dans le cadre du colloque du 2 mars 2012 [28], de confirmer l’importance et les conditions de l’élaboration d’une telle vision. Au delà des questions de la gouvernance multi-niveaux, de l’interterritorialité wallonnes et de ce que nous avions appelé la subsidiarité active, il s’agissait aussi de contribuer à mettre en place un projet concret et global pour la Wallonie.

A ce point de vue, les travaux de Wallonie 2030 menés par le Collège régional de prospective pouvaient servir de feuille de route. Le rapport général du 25 mars 2011 indiquait que le travail sur les territoires était d’abord, pour la Wallonie, un modèle de processus de mobilisation des acteurs et de mise en place d’un mécanisme de changement au niveau territorial. Alors que, partout, des lieux d’interactions se mettaient en place sous la forme de Conseil de Développement ou de Partenariat stratégique local, permettant de lancer des dynamiques d’innovation supracommunales et d’appuyer les communes dans leur travail de résolution des problèmes, un référentiel territorial régional intégré, pouvait être construit comme plan stratégique d’ensemble qui rassemble à la fois la vision territoriale (le SDER) et le développement économique et social (le Plan prioritaire wallon) ainsi que des plans de secteurs rénovés face au défi climatique et aux perspectives énergétiques. Cette façon de faire constituait selon nous la meilleure manière d’assurer la cohérence entre les politiques régionales ou communautaires sectorielles territorialisées et les dynamiques intercommunales ou supracommunales [29].

Si un séminaire avait été fixé au 20 mars 2013 afin de nourrir la vision du SDER en intelligence collective à partir des acteurs régionaux, c’est-à-dire de manière ouverte, transparente, contradictoire, avec l’objectif de produire un texte puis de le soumettre à débat, cette réunion a finalement été annulée à la demande du ministre. Nous avons pu constater que les mêmes freins ont empêché la production d’une vision régionale dans le cadre tant de la Stratégie régionale de Développement durable (SRDD) que dans celui de la démarche Horizon 2022.

Conclusion : des territoires de citoyen-ne-s

Il est des régions et des territoires, notamment aux États-Unis et en Europe [30], en particulier en France mais aussi en Wallonie, où la prospective territoriale a pu se déployer pleinement, les élus et les acteurs, ayant dépassé les ambiguïtés que nous évoquions et bien compris la nature de la prospective, l’intérêt du développement durable et ce qui peut en résulter pour le développement territorial. Nous pouvons en témoigner par exemple pour ce qui concerne les Côtes d’Armor, la Basse-Normandie, le Nord – Pas-de-Calais ou le Cœur du Hainaut. Dans beaucoup d’autres lieux, l’ambiguïté persiste et reste un rempart empêchant la bonne compréhension de ces conceptions simples qui fondent les processus délibératifs et le management territorial participatif.

Mais, ne pensons pas qu’il s’agisse de questions technocratiques. Au contraire, ces ambiguïtés affectent non seulement l’efficience du développement mais aussi la démocratie. Les territoires dont nous avons besoin doivent être, comme l’indiquait Yves Hanin en mai 2012, des territoires de citoyens [31]. Leur participation, mais aussi celles des entreprises, des chercheur-e-s et des fonctionnaires, à la nouvelle gouvernance est en effet essentielle. La prospective peut appuyer le développement territorial. Pour autant que l’on comprenne bien ce qu’elle recouvre concrètement.

Philippe Destatte

@PhD2050

(*) Cet article a été publié une première fois dans Yves HANIN dir., Cinquante ans d’action territoriale : un socle, des pistes pour le futur, p. 153-163, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2015.

[1] Guy BAUDELLE, Catherine GUY et Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, Le développement territorial en Europe, Concepts, enjeux et débats, p. 18, 246, Rennes, PuR, 2011.

[2] Roberto CAMAGNI, Attractivité et compétitivité : un binôme à repenser, dans Territoires 2030, n°1, p. 11-15, Paris, DATAR-La Documentation française, 2005.

[3] Guy BAUDELLE, Catherine GUY et Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, op. cit., p. 19.

[4] Gros mot s’il en est. Je me souviens de la difficulté d’utiliser ce concept, à la DATAR même, au moment de la publication de l’article de Camagni, de la création des pôles du même nom, et où cette auguste institution se transformait pourtant en DIACT.

[5] R. CAMAGNI, op. cit., p. 14.

[6] Achilleas MITSOS, The Territorial Dimension of Research and Development Policy, Regions in European Research Area, Valencia, Feb. 23, 2001, http://ec.europa.eu/research/area/regions.html

[7] André FEL, La géographie et les techniques, dans Bertrand GILLE dir., Histoire des Techniques, Technique et civilisations, Technique et Sciences, p. 1062, coll. La Pléade, Paris, Gallimard, 1978.

[8] B. GILLE, Histoire des Techniques…, p. 914.

[9] Groupe de Recherche européen sur les Milieux innovateurs, fondé en 1984 par Philippe Aydalot. Voir notamment Denis MAILLAT, Michel QUEVIT, Lanfranco SENN, Réseaux d’innovation et milieux innovateurs : un pari pour le développement régional, Neuchâtel, GREMI, IRER, EDES, Neuchâtel,1993. – Pascale VAN DOREN et M. QUEVIT, Stratégies d’innovation et référents territoriaux, dans Revue d’Economie industrielle, n°64, 1993, p. 38-53. – Muriel TABORIES, Les apports du GREMI à l’analyse territoriale de l’innovation ou 20 ans de recherche sur les milieux innovateurs, Cahiers de la Maison des Sciences économiques, Paris, 2005, 18, 22 p.

[10] Bernard PECQUEUR, Le tournant territorial de l’économie globale, dans Espaces et sociétés, 2006/2, n°124-125, p. 17-32.

[11] Philippe AYDALOT éd., Présentation de Milieux innovateurs en Europe, p. 10, Paris, GREMI, 1986.

[12] Bruno JEAN, Le développement territorial : un nouveau regard sur les régions du Québec, Recherches sociographiques, vol. 47, n°3, 2006, p. 472.

[13] B. GILLE, La notion de “système technique”, Essai d’épistémologie technique, dans Culture technique, Paris, CNRS, 1979, 1-8, p. 8-18. – Jacques ELLUL, Le système technicien, Paris, Le Cherche Midi, 2012 (1ère éd., 1977).

[14] G. BAUDELLE, C. GUY, B. MERENNE-SCHOUMAKER, Le développement territorial en Europe…, p. 21.

[15] Ignacy SACHS, Le Développement durable ou l’écodéveloppement : du concept à l’action, 1994. –Stratégies de l’écodéveloppement, Paris, Editions ouvrières, 1980. – L’écodéveloppement, Stratégies de transition vers le XXIème siècle, Paris, Syros, 1993. – Quelles villes pour quel développement ?, Paris, Puf, 1996.

[16] voir Philippe DESTATTE, Foresight: A Major Tool in tackling Sustainable Development, in Technological Forecasting and Social Change, Volume 77, Issue 9, November 2010, p. 1575-1587.

[17] Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, Québec, Editions du Fleuve et Publications du Québec, 1988.– Our Common Future, Report of the World Commission on Environment and Development, UNEP, 1987, A/42/427. http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm

[18] Fabienne GOUX-BAUDIMENT, Une nouvelle étape du développement de la prospective : la prospective opérationnelle, Thèse pour l’obtention du doctorat en prospective, Université pontificale grégorienne de Rome, Facultés des Sciences sociales, 2002.

[19] Philippe DURANCE, Gaston Berger et la prospective. Genèse d’une idée, Thèse de doctorat, Paris, Conservatoire national des Arts et Métiers, 2009.

[20] Chloë VIDAL, La prospective territoriale dans tous ses états, Rationalités, savoirs et pratiques de la prospective (1957-2014), Thèse de doctorat, Lyon, Ecole normale supérieure, 2015.

[21] Ch. VIDAL, La prospective territoriale dans tous ses états…, p. 95. – Ph. DURANCE, Gaston Berger et la prospective p.189. – F. GOUX-BAUDIMENT, op. cit., p. 310.

[22] Ch. VIDAL, op. cit., p. 31

[23] Ph. DESTATTE et Pascale VAN DOREN dir., La prospective territoriale comme outil de gouvernance, Territorial Foresight as a Tool of Governance, p. 123, Charleroi, Institut Destrée, 2003.

[24] Günter CLAR & Philippe DESTATTE, Regional Foresight, Boosting Regional Potential, Mutual Learning Platform Regional Foresight Report, Luxembourg, European Commission, Committee of the Regions and Innovative Regions in Europe Network, 2006.

http://www.institut-destree.eu/Documents/Reseaux/Günter-CLAR_Philippe-DESTATTE_Boosting-Regional-Potential_MLP-Foresight-2006.pdf

[25] Ph. DESTATTE, Problématique de la prospective territoriale, dans Ph. DESTATTE et P. VAN DOREN, op. cit., p. 154.

[26] Notamment : M. VAN CUTSEM et Charlotte DEMULDER, Territoires wallons : horizons 2040, Quels scénarios pour l’aménagement du territoire wallon à l’horizon 2040 ?, Namur, Direction générale de l’Aménagement du Territoire, du Logement, du Patrimoine et de l’Energie, 7 novembre 2011, http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie_Prospective/SDER_Territoires-wallons_Scenarios-2040.htm – Ph. DESTATTE, Du diagnostic aux scénarios exploratoires, mise en prospective des enjeux du SDER, Intervention au Colloque de la CPDT, le 21 novembre 2011, dans Territoires wallons : horizons 2040, p. 41-53, Namur, CPDT, Juin 2012.

Cliquer pour accéder à Philippe-Destatte_CPDT_SDER_2011-11-21ter.pdf

[27] Ph. DESTATTE, Bonne gouvernance : contractualisation, évaluation et prospective, Trois atouts pour une excellence régionale, dans Ph. DESTATTE dir., Evaluation, prospective et développement régional, p. 7-50, Charleroi, Institut Destrée, 2001.

[28] Ph. DESTATTE et Michaël VAN CUTSEM dir., Quelle(s) vision(s) pou le territoire wallon, Les territoires dialoguent avec leur région, Namur, Institut Destrée, 2013.

[29] Ph. DESTATTE, Wallonie 2030, Quelles seraient les bases d’un contrat sociétal pour une Wallonie renouvelée ? Rapport général du congrès du 25 mars 2011 au Palais des Congrès de Namur.

Cliquer pour accéder à Philippe-Destatte_Wallonie2030_Rapport-General_2011-03-25_Final_ter.pdf

[30] Ph. DESTATTE, Oihana HERNAEZ, Corinne ROELS, Michaël VAN CUTSEM, An initial assessment of territorial forward planning / foresight projects in the European Union, Brussels, Committee of the Regions, Nov. 2011, 450 p.

[31] Yves HANIN, Exposé introductif à la table ronde “Une mise en œuvre complémentaire, cohésive, efficiente” ? dans Ph. DESTATTE et M. VAN CUTSEM, Quelle(s) vision(s) pour le(s) territoire(s) wallons(s)…, p. 150.