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Mons, le 8 décembre 2016

 Ce texte constitue la mise au net des quelques éléments conclusifs qu’il m’a été demandé de tirer aux côtés de Mme Annick Fourmeaux, directrice générale, et M. Christian Bastin, directeur, DGO Aménagement du Territoire, Logement, Patrimoine et Energie du Service public de Wallonie, lors de la conférence 2016 de la Conférence permanente du Développement territorial (CPDT) portant sur l’analyse contextuelle du territoire wallon, tenue au Palais des Congrès de Mons, ce 8 décembre 2016.

1. Développement territorial, soutenabilité et prospective

Poser la question de la prospective dans la construction d’un futur Schéma de Développement territorial (SDT) pour remplacer le Schéma de Développement de l’Espace régional (SDER) de 1999, c’est d’abord revenir sur la définition du développement territorial. Si l’on perçoit bien, avec Bernadette Mérenne-Schoumaker, Catherine Guy et Guy Baudelle le développement territorial comme un processus volontariste cherchant à accroître la compétitivité des territoires en impliquant les acteurs dans le cadre d’actions concertées généralement transversales et souvent à forte dimension spatiale [1], on comprend mieux que construire un SDT, c’est contribuer fondamentalement non pas à simplement aménager, à faire son ménage, à ranger ses affaires, mais à transformer le territoire régional en mobilisant ses ressources. Ce développement territorial doit être soutenable, c’est-à-dire en recherche d’une harmonie entre les différentes composantes du système qu’il met en mouvement. Il doit aussi fondamentalement s’inscrire à la fois dans le temps long de réponse aux besoins des générations futures et accorder toute l’attention requise aux plus démunis.

Au-delà du diagnostic, qui consiste à observer les éléments du système et leurs évolutions, il est nécessaire de considérer l’articulation avec la prospective. Celle-ci se fait quasi naturellement pour autant qu’on ne conçoive pas cette dernière, comme on le fait trop souvent, comme une sorte de prévision améliorée. Véritablement, la prospective – ainsi que l’a pensé Gaston Berger, puis reconceptualisé notre collègue Chloë Vidal, directrice de recherche à l’Institut Destrée, dans sa thèse de doctorat -, est une pratique dont la finalité est normative, orientée vers le travail des valeurs et la construction d’un projet politique [2]. Ainsi, la question de la prospective du SDT devient-elle celle de savoir quelle est notre vision de l’avenir de la Wallonie. Que voulons-nous faire ensemble ? Et comment allons-nous le faire, puisqu’il n’est de prospective que stratégique. Cela signifie que, contrairement à ce qui se fait souvent ailleurs, en prospective, on ne fait pas découler linéairement la stratégie du diagnostic. Ceux qui pratiquent la prospective savent que la stratégie s’arrime, d’une part, à des enjeux de long terme. Ceux-ci sont subjectifs, car choisis parmi l’ensemble des enjeux, parce que l’on désire s’en saisir, mesurant leur importance et aussi la capacité qui est la nôtre de pouvoir avoir une influence directe ou indirecte sur leur évolution. D’autre part, cette stratégie s’arrime à la vision de long terme que nous voulons atteindre et que nous avons fait nôtre, collectivement et individuellement. Ce double arrimage fonde une trajectoire robuste qui est porteuse de sens, et donc de volonté d’action.

2. La trajectoire régionale actuelle

Aborder la question de la prospective dans la construction d’un futur Schéma de Développement territorial (SDT), c’est ensuite, nous interroger, comme l’ont fait fort adéquatement nos collègues de la Direction de la Prospective et des Stratégies régionales des Hauts-de-France, Philippe Petit et Benoît Guinamard, sur la trajectoire actuelle de la Région. Nos régions ont en commun qu’il s’agit pas de n’importe quelle trajectoire, il s’agit de trajectoires de rattrapage. Cela signifie que l’on ne peut pas simplement aménager un jardin qui aurait été construit pour nous et qui continuerait à fleurir et à donner des fruits sui generis, mais que nous devons rompre avec une large partie de notre passé pour nous assurer d’un futur qui sera plus fructueux. Pour faire référence à une interrogation du Professeur Bernard Pecqueur, nous ne pouvons absolument pas considérer que notre situation est la même que si nous n’avions rien fait depuis vingt ans. Nos entreprises, nos gouvernements, nos administrations, nos divers acteurs ont beaucoup investi, ont développé de réels efforts de stratégie, ont commencé à transformer le système et à changer la culture. Si nous n’avions rien fait, nous serions sur une autre trajectoire encore, nous serions en bien plus mauvais état, en si mauvais état que nous aurions poursuivi notre chute, notre déclin. Alors, effectivement, nous ne donnerions pas cher de la peau de la Wallonie. Mais ce n’est pas le cas. Néanmoins, notre stagnation, rappelée par Jean-Marie Halleux, n’est pas récente. Il s’agit d’une stagnation inscrite dans le long terme puisque les chiffres du PIB par habitant, que l’on le compare à l’Europe ou à la Belgique, montrent que nous nous stabilisons depuis 1995 sans parvenir à nous élever au-dessus de 75 % de la moyenne belge, ou de 25% du PIB national, ce qui représente la même chose. Compte tenu de ce qui a été montré dans le diagnostic territorial, notamment par Alain Malherbe et Bruno Bianchet, notre objectif prioritaire consiste bien à recréer les conditions de redéploiement de l’activité et d’une lutte particulièrement urgente contre la décohésion sociale et territoriale de la Wallonie, qui peuvent générer la perte de sens et le terrorisme. Il s’agit pour nous de mettre en place les leviers qui permettront de répondre aux questions qui nous sont posées.

3. Des faits territoriaux très têtus

Enfin, aborder la question de la prospective dans la construction d’un futur Schéma de Développement territorial (SDT), c’est – Yves Hanin – l’a souligné d’emblée, surmonter le déficit d’informations statistiques fiables qui affecte l’ensemble de nos travaux en Wallonie. Et ce qui est paradoxal, c’est que nous constatons que ce déficit s’accentue depuis dix ans alors que nous disposons d’outils spécifiques pour répondre à cette question, je pense à l’IWEPS notamment, que la Région wallonne a créé et pilote. L’IWEPS, qui est une institution dont nous apprécions les chercheurs, et dont j’avais espéré la fondation comme outil interdépartemental de l’Administration wallonne. Peut-être faudrait-il laisser à cette institution davantage de latitude pour répondre en toute indépendance à ses missions de base ?

C’est Charles de Gaulle qui disait qu’il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. Une autre manière de dire que les faits sont très têtus. Je vais en donner trois exemples.

Le premier porte sur la question de l’accroissement de la population wallonne telle que les élus continuent à la percevoir à travers les analyses du Bureau fédéral du Plan. Ainsi que nous l’avons mise en évidence avec le groupe de démographes de Demoster, l’explosion démographique que l’on nous annonce en Wallonie, qu’elle culmine à 360.000 habitants ou à 400.000 habitants supplémentaires à horizon 2035 sera toute relative, puisque ce rythme d’accroissement correspond à celui que nous avons connu de 1989 à 2013, c’est-à-dire de 0,4% en moyenne [3]. La trajectoire du BfP n’étant d’ailleurs qu’une parmi les alternatives possibles puisque, nous l’avions écrit, des évolutions de la guerre en Syrie ou des événements en Belgique pourraient durcir les conditions d’accueil des réfugiés et des migrants.

Le deuxième exemple peut être donné sur la question de la cohésion sociale et en particulier sur l’inquiétante évolution des NEETs (Not in Employment, Education or Training), les jeunes de 15 à 24 ans qui ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation. Ces données, recueillies à partir de l’enquête sur les forces de travail SPF ETCS – Eurostat sont particulièrement inquiétantes pour les dernières années. En 2015, la Wallonie se situe à 15 %, en nette hausse par rapport à 2014 (14,7 %) pour une moyenne belge de 12,2 % et européenne de 12 %. Cela signifie que 15 % des jeunes de 15-24 sont en perdition. Si on se focalise, comme le fait l’IWEPS, sur la tranche d’âge 18-24, on atteint 19% en 2015, avec des moyennes européenne et belge de 16% [4].

La ventilation sur les régions NUTS 2 montre l’évolution inquiétante du Hainaut et de Liège, ces deux provinces voyant croître les jeunes en décrochage en passant respectivement de 17,4 % à 18,3 % et de 14,3 % à 15,6 %, Liège ayant dépassé la moyenne wallonne en 2014 et continuant à s’en écarter plus fortement en 2015.

NEET_Wallonie_NUTS2_2016

Le travail d’extraction et de contrôle de ces données reste difficile et leur robustesse peut être mise en discussion. Cela signifie que nous avons un grand besoin de pédagogie en même temps que d’informations en les déclinant sur les territoires sur lesquels nous travaillons. Aux niveaux NUTS 2 ou 3, bien sûr, mais aussi de manière plus fine, par exemple sur des espaces d’action – pour reprendre la terminologie du Professeur Jean Ruegg : sur des territoires comme Charleroi Sud Hainaut, la Wallonie picarde, le Cœur du Hainaut ou la Pays de Famenne.

Mon troisième exemple se veut une inquiétude prospective sur la disparité territoriale des efforts de Recherche-Développement dans les territoires wallons. En effet, Le calcul de l’intensité de R&D par NUTS 2 casse l’idée d’une Wallonie s’alignant, avec 2,9 % sur l’objectif de Lisbonne des 3 % du PIB investis en Recherche-Développement et poursuivi dans Europe 2020. C’est la surperformance du Brabant wallon (4342 euros par habitant en 2013, dernières données Eurostat mises à jour le 30 novembre 2016) qui permet le relativement bon résultat wallon comparé à la moyenne européenne EU28 = 542 € sinon à la moyenne belge 855 €/hab. Là où le bât blesse, ce sont les chiffres des autres provinces wallonnes, respectivement à 406 € pour Liège, 315 € pour le Hainaut, 192 € pour Namur et 52 € pour la province de Luxembourg, qui elles sont bien sous la moyenne européenne [5].

2009 2010 2011 2012 2013
Wallonie 513,6 549,7 615 714,9 743,6
BW 2.453,7 2.557,4 2.962,3 4.197,8 4.342,4
Hainaut 269,4 318 339,9 300,9 315,3
Liège 339,3 363,5 395,8 381,3 405,9
Luxembourg 64,4 69,4 86,9 59,1 52
Namur 288,7 273,8 290 190,8 191,5

Eurostat, 20/11/2016.

Si on pense que ces investissements en R&D constituent la source du redéploiement de notre système d’innovation, et donc de nos entreprises, au travers notamment des pôles de compétitivité, nous avons des raisons de nous inquiéter, et pas seulement en matière de cohésion territoriale. Sans oublier, bien entendu, que les effets du BREXIT peuvent se manifester dans le Brabant wallon et que le risque existe que, demain, nous pleurions sur GSK comme aujourd’hui nous nous lamentons sur Caterpillar.

Ainsi, ces questions territoriales interrogent le système d’innovation et les pôles de compétitivité. Même si le Délégué spécial Alain Vaessen nous a dit à Louvain-la-Neuve que ces pôles étaient déterritorialisés, nous avons vu, au travers des cartes présentées par Jean-Marie Halleux – en particulier celles issues des travaux de Pierre-François Wilmotte – qu’il y avait bien localisation. Mais, ce que ces travaux de l’Université de Liège nous montrent aussi c’est que les frontières arrêtent, comme en France, l’extension de ces pôles qui ne sont finalement que très peu transfrontaliers et interrégionaux, ce qui nuit précisément à la compétitivité que veut encourager le développement territorial. Cette remarque démontre, si besoin en est la faiblesse d’une stratégie de développement territorial qui se fonderait essentiellement sur des pôles métropolitains extérieurs, comme celle qui a été menée depuis la représentation du SDER 1999. Si vraiment, comme beaucoup le disent, depuis Richard Florida, les métropoles sont les phares du développement technologique et économique, qu’attendons-nous dès lors pour en créer une ou deux en Wallonie à la hauteur de nos ambitions ? Ma conviction, c’est que cet effort ne pourra se faire que par a very strong deal entre Charleroi et Liège, polarisant une série de villes moyennes, de Tournai à Verviers et de Marche à Louvain-la-Neuve, orientées vers les deux pôles principaux. Nous avons besoin pour cela d’un leadership fort qui parvienne à imposer un accord de la même force ou de la même nature que celui qui fut jadis signé par Albert Frère et Julien Charlier pour rapprocher en 1981 les sidérurgistes et syndicalistes carolorégiens et liégeois. Ces stratégies ne peuvent, on le voit, n’être que pensées territorialement.

Conclusion : un SDT véritablement porté

Je conclurai sur l’interdépendance et la complémentarité de la Région et de ses territoires.

Le fait que le Ministre Carlo Di Antonio, son Cabinet, son Administration aient décidé d’activer la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne pour réfléchir de manière prospective en portant notre regard sur le prochain Schéma de Développement de l’Espace territorial, indique leur volonté d’un fort dialogue entre la Région et les territoires pour construire le prochain SDT. Cela signifie qu’une bonne partie des réponses qui vont être apportées aux enjeux vont l’être au niveau territorial. Et si vous regardez ce qui se passe en France pour comprendre ce type de relations, vous verrez qu’un Pacte Etat-Métropoles vient d’être formalisé le 6 juillet 2016 sur l’innovation au cœur du développement territorial [6]. Donc, à Paris, le Commissariat général à l’Egalité des Territoires (CGET), héritier de la DATAR, parle d’encapaciter les territoires (empowerment), c’est-à-dire aider les territoires pour qu’ils deviennent à même de réfléchir. En Wallonie, je pense que, compte tenu de l’expérience de terrain accumulée par les territoires depuis une dizaine d’années, du Luxembourg, à la Wallonie picarde et probablement sur la province de Liège, ce sont les territoires qui pourraient faire bénéficier la Région de leurs expériences pour créer de nouveaux modes de gouvernance et monter des stratégies de développement territorial adéquates.

Si cette dynamique – qui a été voulue par le Ministre en charge du Développement territorial – permet de mettre en place ce dialogue constructif, chacun mesure l’importance de cette démarche. L’idéal serait d’ailleurs qu’elle puisse déboucher sur une première contractualisation. Cela signifie qu’on puisse faire en sorte que ce schéma implique chacune et chacun, chaque territoire et chaque acteur, c’est-à-dire que tous ceux qui auront contribué à le construire puissent le signer en s’engageant à le mettre en œuvre à son niveau. Ce serait évidemment l’idéal.

Ce qu’il faudrait, c’est un signal. Un signal clair du Ministre Carlo Di Antonio, comme l’a fait dernièrement le Président Xavier Bertrand pour le SRADDET des Hauts de France, au lancement duquel j’ai assisté au Conseil régional, à Lille, le 10 novembre dernier. Que le Ministre puisse venir nous dire : « vous savez, le SDT, c’est pour moi et mes collègues du Gouvernement wallon, un document essentiel qui doit donner un nouveau souffle aux territoires wallons dans une logique de renforcement du projet socioéconomique de la Wallonie. Je compte sur vous tous pour le réaliser et je compte sur vous tous pour le mettre en œuvre. Ce que nous allons construire ensemble, nous allons le porter ensemble, à la fois à partir des territoires et à partir de la Région. »

Si nous arrivons à créer cette dynamique, nous transformerons vraiment cette Wallonie. A partir de territoires en action, nous créerons une région en action, et nous articulerons les deux, ce qui découplera nos forces et permettra à la fois de répondre à nos enjeux de long terme et à atteindre la vision d’un futur plus souhaitable et plus soutenable.

Philippe Destatte

@PhD2050

[1] Guy BAUDELLE, Catherine GUY et Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, Le développement territorial en Europe, Concepts, enjeux et débats, p. 18, 246, Rennes, PuR, 2011.

[2] Chloë VIDAL, La prospective territoriale dans tous ses états, Rationalités, savoirs et pratiques de la prospective (1957-2014), p. 31 et 95, Thèse de doctorat, Lyon, Ecole normale supérieure, 2015.

[3] DEMOSTER, Pour bien évaluer l’afflux des réfugiés et migrants, dans L’Echo, 12 février 2016, p. 11. Demoster rassemble Anne Calcagni, André Lambert, Louis Lohlé-Tart, Michel Loriaux, Louis Lohlé-Tart et Ph. Destatte.

[4] 18-24 ans en situation de NEET, Fiche I009-NEET, 1/09/2016. https://www.iweps.be/sites/default/files/Fiches/i009-neet-092016_full1.pdf

[5] Total intramural R&D expenditure (GERD) by sectors of performance and NUTS 2 regions. Last update 20/11/2016.

http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=rd_e_gerdreg&lang=en

[6] Pacte État-Métropoles : l’innovation urbaine au cœur du développement territorial, Paris, Juillet 2016, 4 p. http://www.cget.gouv.fr/sites/cget.gouv.fr/files/atoms/files/en-bref-22-cget-07-2016.pdf