archive

Archives de Tag: Michel Molitor

Trois transitions sociétales ont structuré le Cœur du Hainaut du XIXème au XXIème siècles :  d’abord, la Révolution industrielle, ensuite la transition vers le développement durable et enfin, la Révolution cognitive que nous vivons actuellement. Ce texte constitue la conclusion de l’analyse intitulée Transitions et reconversions dans le Cœur du Hainaut depuis la Révolution industrielle, qui a fait l’objet d’une communication au colloque de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, le 28 mars 2015, à la Faculté polytechnique de Mons.

Centre et Borinage, terres brûlées de l’économie belge

On a dit jadis, dans des milieux wallons qui leur voulaient du bien, que le Borinage et le Centre demeuraient les terres brûlées de l’économie belge [1]. En 1958, les chercheurs de l’Institut de Sociologie de l’ULB mettaient en discussion le concept de sous-développement économique quant à son application au Borinage. Ils en déduisaient qu’en dernière analyse, le problème borain est un problème de structures vieillies ou périmées [2]. Concernant la « composante technique », les analystes du Centre d’Économie régionale rappelaient les nombreux constats de sous-équipement des entreprises : déficient, vétuste et périmé. En ce qui concerne la « composante humaine », ils pointaient l’esprit et les méthodes complètement dépassés de direction ou d’organisation des entreprises. Ils concluaient d’ailleurs que l’on retrouvait dans le Borinage quelque analogie avec le « cercle vicieux » dans lequel sont enfermées certaines économies sous-développées : l’investissement sous toutes ses formes est réduit, et, inversement, l’esprit d’entreprise disparaît parce qu’il n’est plus stimulé par les perspectives ouvertes par un volume suffisant d’investissement[3] Le gouverneur du Hainaut, Émile Cornez – qui était né à Dour – ne disait pas autre chose lorsqu’il affirmait, en 1961, que le déclin du Centre et du Borinage était notamment dû au fait que de nombreuses usines avaient été réfractaires aux innovations sur le plan technique, et sur le plan commercial, ne réalisant pas les investissements nécessaires [4]. Max Drechsel indiquait d’ailleurs, au même moment, que le Centre et le Borinage sont des régions du 19e siècle. Et le Recteur ajoutait : dans la Belgique et dans l’Europe d’aujourd’hui, ce sont des « sous-régions », dont le premier souci doit être de rechercher tous les moyens d’être reliées aux nouveaux pôles de croissance de la Belgique et de l’Europe [5].

Un modèle innovant pour une aire de richesses économiques

Aujourd’hui, dans le Cœur du Hainaut – qui est bien un organe de gouvernance et de développement du XXIème siècle – des instituts de recherche ont été mis en place dans le prolongement des facultés universitaires et de leurs départements, en évolution constante. Ils ont été fondés ou renforcés avec l’appui des Fonds structurels européens et de la Région wallonne. Par les mutations technologiques dont ces instituts sont porteurs et par leur irradiation sur le terrain économique, ils contribuent à un changement de paradigme sociétal dans l’espace des vingt-cinq communes dynamisées par l’intercommunale IDEA. Cette dernière est d’ailleurs l’épicentre de la transformation, portée par une prospective à l’horizon 2025 et le projet Cœur du Hainaut, centre d’Énergies, qui a identifié les cinq pôles de son redéploiement : Économie culturelle, créative et technologique, Matériaux et recyclage (en ce compris l’économie circulaire et l’écologie industrielle), Environnement et énergie, Risques transdisciplinaires, et Business Development. Le plan stratégique du 15 novembre 2013 de l’IDEA elle-même ambitionne, par sa vision de long terme, d’assurer un développement territorial durable et solidaire du Cœur du Hainaut en une aire de richesses économiques, en valorisant les disponibilités foncières importantes dont dispose le territoire, une accessibilité améliorée (eau, rail, route), ainsi que des ressources en eau à des prix compétitifs [6]. Trois zones d’activités économiques propices à une réindustrialisation soutiennent cette stratégie en présentant des superficies d’un seul tenant de vaste ampleur : Tertre, Feluy et Manage-Nord. Comme l’indiquait dernièrement Maïté Dufrasne, coordinatrice du projet de territoire, l’atout majeur pourrait consister en un terreau susceptible de faire émerger des synergies ou symbioses industrielles à l’origine d’un modèle économique innovant [7].

 Potentiels-reindustrialisation_coduHa_2014-11-28

Un potentiel de réindustrialisation au Cœur du Hainaut

Carte Maïté Dufrasne (IDEA), Nov. 2014

Une reconversion permanente des industries, de la gouvernance et des esprits

Depuis 1961, sinon 1835 pour le Borinage, ce qu’on appelle aujourd’hui le Cœur du Hainaut est à la recherche d’un nouveau souffle. Richard Stiévenart ne disait-il pas que la reconversion du Borinage, tout comme celle du Centre, sera une œuvre longue, ardue et même pénible ? [8] Le sociologue Pierre Feldheim était plus proche de la réalité encore, affirmant que la reconversion sera longue et jamais achevée, car les conditions de la prospérité économique et sociale sont en constante évolution et l’adaptation aux circonstances nouvelles nées de cette évolution devrait être, doit être, un processus permanent [9]. Inscrit dans ce Nouveau Paradigme industriel qui allie sociétés industrielles, développement durable et Révolution cognitive, le Cœur du Hainaut construit son redéploiement et prépare sa réindustrialisation en s’appuyant sur l’économie numérique et sur le GreenTech, l’économie du développement durable.

Dans son discours sur l’état de la Wallonie du 25 mars 2015, le Ministre-Président Paul Magnette indiquait que la Wallonie avait arrêté de décrocher [10]. Ce qui est peut-être vrai pour la Wallonie ne l’est pas pour le Cœur du Hainaut, en tout cas si on se base sur l’évolution du PIB par habitant des trois arrondissements de référence de cet espace : ceux de Mons, de Soignies et de Charleroi. Néanmoins, si l’érosion s’y poursuit dans les statistiques, les conditions du redéploiement sont aujourd’hui réunies. Les efforts produits par les entrepreneurs, les universités et les centres de recherche, les élus, et surtout l’intercommunale IDEA, en cours de mutation en véritable agence de développement territorial, ont empêché l’affaissement qui s’était produit jadis. Le dynamisme de Mons 2015, initiative lancée à l’initiative d’Elio Di Rupo, et de la stratégie du Cœur du Hainaut 2025 atteste de cette vigueur. Leur connexion dans une stratégie territoriale commune devrait permettre le redéploiement. La deuxième démarche bénéficierait de l’élan culturel, de l’aura internationale et du changement d’état d’esprit que porte Mons 2015. La première disposerait d’une véritable stratégie territoriale qui ne demande qu’à poursuivre sa mise en œuvre dans ce que le Conseil de Développement a appelé une gouvernance exemplaire.

Comme l’indiquait tout dernièrement Michel Molitor, le thème de la transition a sa place dans les analyses des mutations sociétales. Le vice-recteur honoraire de l’UCL rappelait que, dès les années 1970, Alain Touraine s’interrogeait sur la relation entre les crises et les mutations, considérant que la crise est un dérèglement qui appelle des restructurations et des remises en ordre alors que la mutation est un processus de changement irréversible, de transition d’un état à un autre qui passe par des crises, mais ne s’y réduit pas [11]. C’est une question très actuelle en effet, au moment où certains, à l’initiative notamment de Jean-Pascal Labille, s’intéressent au fait d’identifier la nature de ce que nous vivons [12].

Ainsi que Michel Molitor a raison de le rappeler, la crise du système industriel wallon s’inscrit dans une formidable mutation systémique amorcée dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Avec le recul, nous commençons à mieux percevoir ses différents aspects et leurs enchaînements, mais en étant encore peu capables de saisir leurs évolutions dans l’avenir.

L’historien peut faire la comparaison avec cette grande période de mutations que constitua la fin du XVIIIème et le début du XIXème siècles. Robert Nisbet – cher à Michel Molitor – a bien montré le double processus qu’ont constitué la Révolution industrielle et la Révolution démocratique, ainsi que les bouleversements multiples qu’elles ont provoqués [13]. La sociologie, de Tocqueville à Marx en passant par Weber, est née de la volonté de nommer et de comprendre ces changements. C’est ce que Pierre Lebrun avait bien compris en s’adonnant à une socio-histoire, fondée sur une connaissance rigoureuse à la fois de la théorie économique et des données, en ambitionnant d’appréhender l’angoisse capitaliste [14].

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

[1] CRAINQUEVILLE, Le repos des guerriers dans Combat, 22 août 1963, p. 2.

[2] W. DEGRYSE, M. FAERMAN, A. LIEBMANN-WAYSBLATT, Borinage…, p. 250.

[3] Ibidem, p. 251.

[4] Émile CORNEZ, Allocution lors de la séance au Palais du Gouvernement provincial, dans Les Régions du Borinage et du Centre à l’heure de la reconversion…, p. 104 et 106.

[5] M. DRECHSEL, Introduction à l’étude des problèmes de la reconversion…, p. 31.

[6] Caroline DECAMPS et Maïté DUFRASNE, Un potentiel de réindustrialisation au Cœur du Hainaut, 18 Novembre 2014. – Plan stratégique de l’IDEA, 15 novembre 2013 :

http://www.idea.be/Uploads/Trc/Publications/15-11-2013_defenvoiag15nov2013planstrategique2014-2016.pdf

[7] Maïté DUFRASNE, Courriel du 11 mai 2015.

[8] Richard STIEVENART, Les conditions de la reconversion économique du Borinage, dans Les Régions du Borinage et du Centre à l’heure de la reconversion…, p. 113.

[9] Pierre FELDHEIM, Conclusions de la Semaine, dans Les Régions du Borinage et du Centre…, p. 437.

[10] Paul MAGNETTE, Discours sur l’état de la Wallonie, Namur, Parlement wallon, 25 mars 2015.

Cliquer pour accéder à 7401-paulmagnette-discoursetatdelawallonie25mars2015.pdf

[11] Michel MOLITOR, Courriel du 30 avril 2015.

[12] Ceci n’est pas une crise, Une fondation, un constat et trois grands objectifs, dans Solidaris, n°2, 2015.

[13] Robert NISBET, La tradition sociologique, coll. Quadrige, Paris, PUF, 2000.

[14] Pierre LEBRUN, D’une histoire l’autre, L’angoisse capitaliste : plus value ou civilisation, Essai d’introduction à la socio-histoire, Manuscrit, s. d.