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Heinsch, 10 juin 2015

Le séminaire organisé par l’intercommunale IDELUX à Heinsch (Arlon), le 10 juin 2015, avait pour objectif d’aborder la question des retombées de la métropole luxembourgeoise pour le développement économique du territoire et de s’interroger sur le positionnement stratégique des institutions qui œuvrent dans ou pour la province du Luxembourg wallon. Cette réflexion intitulée Comment tirer parti de la localisation de la province de Luxembourg dans l’Aire métropolitaine de Luxembourg ? se voulait très opérationnelle, d’autant que la future programmation INTERREG Grande Région, présentée rapidement par Alexandre Petit (IDELUX), constitue – comme il l’a illustré – un cadre structurant dont les moyens appellent à mettre en œuvre des projets concrets. On pense notamment à l’augmentation de l’employabilité transfrontalière, à l’accroissement de la qualité et de la durabilité du cadre de vie, y compris en matière d’inclusivité, de santé et de culture, à l’augmentation de la performance de la recherche et de l’innovation, ainsi qu’à la dynamisation des entreprises [1]. En n’oubliant jamais que les deux caractéristiques principales de la Grande Région, et d’ailleurs ses atouts les plus manifestes, sont, d’une part, les plus de 40 universités et centres de recherche qui y sont situés, et, d’autre part, les quatre capitales européennes qui la visibilisent : Bruxelles, Luxembourg, mais aussi Francfort et Strasbourg [2].

Une métropolisation avant tout résiliaire

Lors de cette rencontre, Henry Demortier, directeur du département Partenariats chez IDELUX, a redit l’importance de l’implication des acteurs – c’est-à-dire des femmes, des hommes et des organisations – comme levier de développement et leur rôle, individuel mais aussi surtout collectif, pour imaginer, concevoir, élaborer, promouvoir, défendre et, c’est notre espoir, mettre en œuvre des projets robustes et efficients, qui ont de réels impacts sur le développement du territoire.

A tort ou à raison, la dynamique qui est aujourd’hui valorisée par l’Europe est celle de la métropolisation : c’est-à-dire, Alain Malherbe (UCL-CREAT) l’a bien montré en introduction, la concentration de l’activité sur des pôles, une économie relationnelle, résiliaire, dans laquelle des hubs, plus ou moins concentrés, jouent des rôles moteurs. Avec des acteurs qui remplissent des fonctions précises au sien de l’aire métropolitaine, à nouveau plus ou moins mobiles, plus ou moins connectés, plus ou moins concentrés, plus ou moins diffus, plus ou moins urbains, plus ou moins ruraux, et des circuits plus ou moins fluides, plus ou moins congestionnés. Disons-nous qu’en systémique, il n’y a pas de modèle unique et que l’auto-organisation règne en maître. Lors du séminaire de la CPDT du 2 avril 2015 à Louvain-la-Neuve, dont le géographe du CREAT a rappelé l’intérêt, Estelle Evrard, chercheuse à l’Université de Luxembourg, avait déjà très justement souligné que deux des caractéristiques des interactions dans l’espace transfrontalier sont le fait qu’elles s’inscrivent dans un processus de longue durée et qu’elles sont, de fait, polycentriques. Le modèle de l’aire urbaine fonctionnelle du sillon lorrain Thionville-Metz-Nancy-Epinal n’en est qu’un autre exemple proche, mais pertinent [3]. Rappelons que ce sillon trouve un prolongement naturel vers Longwy, Esch, Aubange et Athus.

Sur le plan démographique, la province de Luxembourg n’est pas dans la même configuration que le reste de la Wallonie pour laquelle les prévisionnistes annoncent une “effet déversoir” de l’immigration à partir Bruxelles. Ce mouvement pourrait néanmoins être très ralenti car la volonté d’accueil au niveau européen est en train d’évoluer à grande vitesse sous la double pression des images de Lampedusa et de la menace terroriste. La question de l’intégration fait aussi débat et le référendum tenu au Grand Duché du Luxembourg le 7 juin 2015 l’a révélé par le rejet massif du droit de vote aux étrangers pour les élections législatives. Cette crispation sociétale a été rapprochée de la tendance du monde politique luxembourgeois à mettre en œuvre un scénario de développement endogène. Cette évolution doit être prise en compte car elle percute directement la stratégie de co-développement grand métropolitain de la Grande Région pour en ramener les bénéfices sur la seule agglomération de Luxembourg et sur un maillage luxembourgeois très serré, de Belval à Luxembourg et, au mieux, à Diekirch.

De 1978 à 2014, la Province de Luxembourg a connu une croissance démographique quasi double des moyennes wallonne et belge : 26,17 % pour 11,21 % en Wallonie et 13,84 % pour la Belgique. C’est la population de l’arrondissement de Marche qui progresse le plus (+ 37,54 %), celle d’Arlon s’accroissant de 24,32 % [4]. Deux éléments, que rappelait Alexandre Petit, marquent cette évolution : le solde naturel est plus important en Luxembourg grâce notamment à un taux de natalité plus élevé, tandis que le profil des immigrants est moins diversifié que celui de Bruxelles et des grandes villes wallonnes. Deux types d’immigration s’installent dans la province. D’une part, des Belges qui veulent travailler au Grand-Duché. Le collaborateur d’IDELUX note d’ailleurs que les résultats du référendum grand-ducal, vécu comme un rejet par les frontaliers, pourrait encore accentuer ce phénomène et pousser les Belges à s’installer du côté wallon de la frontière. D’autre part, la province accueille une part de population plus précarisée qui quitte les régions urbaines wallonnes pour s’installer dans les milieux très ruraux où les prix du foncier sont plus abordables [5].

Rechercher des convergences sur des ambitions communes

La recherche des convergences de développement transfrontalier relève évidemment des acteurs impliqués ou mobilisables. La difficulté dans le choix des axes stratégiques est de faire la part entre les affirmations péremptoires, et souvent simplistes, de quelques gourous, repris par des matraquages politico-médiatiques, et le travail réel, de veille technologique et de stratégie d’innovation, élaboré par des chercheurs et des acteurs de terrain. Le travail territorial relève assurément du deuxième registre. L’exemple de la logistique est intéressant. Certes, ce secteur est essentiel, mais comme l’a rappelé Alain Malherbe, il s’inscrit dans un espace macro- et souvent interrégional, ce qui rend la concurrence rude au niveau territorial. Cet exemple nous renvoie au niveau des échelles d’action. C’est à cette aune seulement que les domaines du numérique, de l’économie circulaire et de la culture doivent être abordés. La localisation est donc question de niveau de service et de relations avec les citoyens, clients, consommateurs. Sur cette question essentielle, nous avions établi avec la DATAR une typologie des services endogènes aux déterminants de la localisation [6]. Des idées très intéressantes, comme celle des tiers-lieux, évoquée par Damien Dallemagne (INNERGIC), y avaient été abordées. Le Green Hub, hub créatif luxembourgeois dont la mise en place est actuellement soutenue par la direction générale opérationnelle de l’Économie, de l’Emploi et de la Recherche du Service public de Wallonie, dans le cadre de la dynamique Creative Wallonia, constitue précisément un essai de construction d’un tiers-lieu accélérateur d’innovation territoriale par la créativité.

Quatre enjeux très pertinents identifiés par Alain Malherbe devront être investis, et gageons que le programme opérationnel transfrontalier pourra nous aider à y répondre: quels types d’interlocuteurs privilégier et sur quel périmètre ? Comment être complémentaire plutôt que concurrent ? Comment bénéficier de la résidentialité des travailleurs luxembourgeois ? Quelle mobilité physique encourager ? Ces enjeux ont d’ailleurs été particulièrement bien illustrés par son excellence l’Ambassadeur de Belgique au Grand Duché de Luxembourg, Monsieur Thomas Antoine. Les informations et questionnements relatifs à l’accessibilité, à la fiscalité, au cadre institutionnel, au domaine de la recherche, à celui de l’enseignement, à la société luxembourgeoise même qu’il a bien voulu nous délivrer sont particulièrement précieux et confortent certaines de nos hypothèses, parfois du reste de manière inquiétante.

Deux observations et deux suggestions pour favoriser le développement territorial luxembourgeois wallon

Ma conclusion s’articulera autour de deux observations et deux suggestions.

1. Un modèle métropolitain plus complexe

La première observation est un constat. Nous voyons en effet que tant le modèle métropolitain luxembourgeois que le processus de développement de la Grande Région se complexifient et montrent leurs limites stratégiques mais aussi politiques. Cette évolution nous invite à perdre nos naïvetés un peu simplistes, à aborder autrement ces deux objets, et à remettre en question nos stratégies héritées du passé. Cette complexité se décline dans une triple tension entre, d’abord, l’idée d’un projet européen, éminemment positif – celui des INTERREG – que valorisent, philosophiquement et politiquement, les grandes valeurs du vivre-ensemble, la diversité interrégionale, la mutualisation, assortie d’économies d’échelle. Ensuite, le phénomène de métropolisation, qui se déploie avec toute la puissance d’innovation qu’on lui attribue, même si elle est temporisée par les réticences de quelques experts – et non des moindres [7] – mais aussi avec son cortège d’exclusions – Luxembourg n’y échappe pas, même si violence et sherwoodisation [8] se répercutent sur Esch-sur-Alzette, Thionville, Metz et Arlon. Et enfin, la dynamique transfrontalière elle-même, faite aussi d’innovations positives, par hybridation de nos ambitions et cultures respectives, et de difficultés en matière de cohésion sociale, stimulées par des disparités salariales et fiscales se développant sur ces différents territoires. Sans vouloir être trop explicite, mais pour essayer d’échapper à la totale langue de bois, disons qu’une presque décennie de crise n’a pas rendu les partenaires moins fermés et que plusieurs législatures de quasi absence de véritable politique namuroise [9] de la Grande Région n’a pas renforcé l’enthousiasme de nos voisins à l’égard de la Wallonie. L’arrivée du Gouvernement Magnette ainsi que le fait qu’un ministre ait désormais explicitement la charge de ce dossier devrait, nous l’espérons, améliorer ce positionnement.

2. Une province mieux intégrée à la Région

Parallèlement, nos propres outils se modernisent. Faut-il le rappeler au titre de deuxième remarque ? La Wallonie et la province de Luxembourg sont en transformation profonde. Elles s’intègrent l’une et l’autre progressivement, trop lentement encore, pour faire naître et vivre de nouveaux objets : pôles de compétitivité, clusters, filières, hubs, organes comme l’ARES, tandis que certains secteurs, comme les Biotech ou l’agroalimentaire, confirment leur poids et y performent. Cette intégration relève du co-développement et, que ce soit directement, par les politiques régionales, ou indirectement, par l’intermédiaire d’alliances ou de partenariats – que l’on songe à Liège-Luxembourg Creative, au Pôle académique Liège-Luxembourg (PALL), ou aux dynamiques plus politiques de l’axe E411, ou de la ligne 162 –, la province de Luxembourg interagit aujourd’hui mieux qu’hier avec la Wallonie. Et ce n’était pas par pure provocation que j’ai parlé du Luxembourg wallon, c’est parce qu’il s’agit d’une trajectoire qui avait déjà été évoquée dans Luxembourg 2010, dès 2002-2003. Du reste, c’est vrai que les provinces de Liège et de Namur apparaissent souvent comme deux continents différents. Mais la tectonique des plaques, chère à mon collègue Michaël Van Cutsem, fait qu’elles peuvent désormais se rencontrer en province de Luxembourg. Le séminaire du 8 novembre 2013, organisé par IDELUX et l’Interface Entreprises – Université de Liège, portant sur la recherche et le développement territorial, plaidait d’ailleurs de manière concrète pour ces synergies.

L’intégration de la recherche dans des ensembles plus larges, plus structurés et plus robustes, mieux dotés, comme vient de le faire le Grand Duché, avec la naissance du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) génère une véritable force de frappe, avec une grande réactivité, comme l’a bien souligné Cécile Cavalade (ULg). La Wallonie reste très en deçà de ces stratégies, même si les initiatives de Jean-Claude Marcourt donnent des impulsions dans le bon sens, et l’on sait que je suis plus impatient dans ce domaine [10]. Nous avons trouvé dans le thème de la formation médicale un domaine où les collaborations pourraient être activées. En rappelant d’ailleurs que les interlocuteurs naturels devraient être trouvés au CHU de Liège (ULg) et au CHU Dinant-Godinne (UCL).

 3. Rechercher le prochain train d’innovation

Ma première suggestion est directement liée au premier constat, à savoir que l’innovation réside dans notre capacité à identifier quels seront les prochains moteurs de notre attractivité et de notre compétitivité territoriales. Certes, nous faisons en Wallonie des efforts méritoires pour rattraper les trains de l’innovation et de la croissance que nous avons ratés voici quelques années. Mais, ce faisant, nous nous persuadons un peu trop que ce sont les locomotives de demain. Soyons conscients que le train du design est passé dans les années 1980 – je me souviens encore qu’Anne-Marie Straus, directrice générale de la Recherche à la Région wallonne, en était une des propagandistes les plus ardentes. Saint-Étienne est en France, la ville du design depuis près de dix ans. La Révolution de l’information et du numérique était même plus ancienne puisque Jean Defraigne l’appelait déjà de ses vœux alors qu’il était ministre des Affaires wallonnes dans les années 1970. Le train de la créativité est plus tardif. Nous en avions fait un rapport en 2004, alors que l’Europe avait déjà décerné à la Flandre – dix ans avant la Wallonie et la Toscane – le label de Creative District. Ne nous flagellons pas, reconnaissons l’importance de nous raccrocher au peloton des régions d’Europe. Disons-nous aussi, que pour briller dans la course, nous devrons identifier les prochains moteurs avant le reste du monde et les faire fonctionner plus rapidement. Et c’est là que l’atout de la Grande Région peut jouer en notre faveur. Si nous pouvons rassembler les meilleurs experts wallons dans les meilleurs domaines, ceux qui sont à la fois de hauts techniciens et de bons locuteurs en allemand, nous pourrons les impliquer dans des plateformes, des task-forces et des systèmes d’innovation où, avec nos partenaires allemands, français et luxembourgeois, ils identifieront les innovations de pointe. Sans doute, nos lacunes linguistiques et culturelles constituent-elles encore des obstacles majeurs à l’intégration du versant wallon dans l’aire métropolitaine luxembourgeoise, comme du reste dans celle de l’Euregio, ainsi que le rappelait, en avril dernier à la CPDT, le président du Parlement germanophone Karl-Heinz Lambertz. Mais il s’agit, là aussi, d’un axe d’une nouvelle stratégie à mener, ou en tout cas à accélérer.

 4. S’articuler à la Régions et aux voisins

Ma deuxième suggestion porte sur l’articulation des échelles spatiales. Si je suis bien entendu convaincu que la dimension territoriale est celle du redéploiement économique, du travail concret, du renforcement de l’attractivité et de la compétitivité, avec les acteurs et en particulier les entreprises, sous l’égide des intercommunales de développement, des chambres de commerce, etc., je pense aussi que cette dimension de proximité n’est pertinente que pour autant qu’elle s’articule à l’ensemble de la Région et aux compétences que celle-ci active. L’exemple de la mobilité ferroviaire est utile. L’important pour la province du Luxembourg, ce n’est pas tant la liaison Arlon-Luxembourg ou même Luxembourg-Jemelle, c’est Luxembourg-Namur-Ottignies-Louvain-la-Neuve et Bruxelles. De même, au delà d’Arlon et de Luxembourg, ce qui nous intéresse, c’est Metz, Nancy, Strasbourg ou Lyon, Sarrebruck, Trèves Kaiserslautern, Francfort voire Stuttgart. Au développement endogène, qui évite de plaquer des politiques greffées, qui sont trop facilement l’objet de rejets, doit correspondre une ouverture transfrontalière qui active mieux les créativités locales et les sublime en innovations réelles. Cette façon de faire nous permet aussi d’échapper à des face à face souvent stérilisants. Cela est d’autant plus vrai que nous allons être forcés à nous manifester davantage. N’oublions pas en effet que plus de 500 kms de frontières entre la Wallonie et la France vont être bousculés par la dynamique de fusion des régions françaises. Ce sont les centres de gravité de ces régions que nous pensions bien connaître qui vont se déplacer. En l’occurrence, en ce qui concerne la Grande Région, ce centre de gravité devrait se localiser à Strasbourg, ce qui générera un changement du regard de la part des acteurs français : l’horizon de l’Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne ne sera plus au Nord, mais sans nul doute, à l’Est.

Comme l’indiquait mon collègue Jean Perony, aujourd’hui directeur général de la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT), le 2 avril 2015, lorsqu’on parle aujourd’hui du transfrontalier, il s’agit davantage d’intégration que de coopération. Cela signifie que l’on doit pouvoir articuler des politiques publiques et mobiliser des acteurs publics et privés de différentes natures et de différents niveaux, pour renforcer l’intégration économique et sociale du territoire transfrontalier par de robustes et efficaces politiques d’innovation.

Cette façon de voir challenge nos capacités prospectives et met pas mal de pression sur nos ambitions stratégiques respectives.

Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050

[1] Interreg Grande Région /Groβregion, Programme de coopération INTERREG V France – Belgique – Allemagne – Luxembourg Grande Région /Groβregion 2014 – 2020, Version en français du 15 avril 2015.

http://www.europe-en-lorraine.eu/wp-content/uploads/2015/04/PO-INTERREG-VA_FR_150415.pdf

[2] Philippe DESTATTE & Pascale VAN DOREN dir., Transvision, Bridging neighbouring Regions belonging to different Jurisdictions, i.e., historically and culturally close Regions divided by national Borders, Blueprints for Foresight Actions in the Regions, Bruxelles, Commission européenne, DG Recherche, Septembre 2004.

http://ec.europa.eu/research/social-sciences/pdf/blueprint-transvision_en.pdf

[3] Philippe DESTATTE, Prospective et développement durable, Le Sillon métropoilitain lorrain, Exposé à la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de Lorraine, Metz, 8 juillet 2013. – Ludovic HALBERT, Patricia CICILLE et Céline ROZENBLAT, Quelles métropoles en Europe, Des villes en réseau, Paris, DATAR – La Documentation française, 2012.

[4] Nos calculs à partir du SPF Economie 2011 et SPF Intérieur, Chiffres de la population au 1er janvier 2015, Mars 2015.

[5] Courriel d’Alexandre Petit, 16 juin 2015. – Schéma de Développement de l’Espace luxembourgeois, La province de Luxembourg, Localisation et repères, p. 13-14, LEPUR-ULg – RéseauLux, 20 août 2012.

[6] El Mouhoub MOUHOUD dir., Economie des services et développement des territoires, Paris, DATAR – La Documentation française, 2010. L’Institut Destrée a donné son appui au volet prospectif de cette recherche.

[7] Michael FRITSCH, Regional Innovation Policy in Germany: What I have learned and what I can share with you, Exposé à l’UNamur, 9 octobre 2014.

[8] Sur ce concept développé notamment par Bernard Van Asbrouck, voir Marie DEWEZ, Le numérique pour l’inclusion sociale : une association possible ?, Namur, Institut Destrée, 15 juin 2015, 12 p.

[9] dans le sens où les Français parlent de politique bruxelloise pour la Commission…

[10] Philippe DESTATTE, L’Université de Wallonie pour pousser jusqu’au bout la logique de mutualisation, Blog PhD2050, Namur, 14 avril 2014 : https://phd2050.org/2014/04/14/uw/

Mons, le 19 mars 2014

Les bassins de vie sont des couillonnades qui ne reposent sur rien : je ne veux pas savoir qui les a inventés ! Cette jolie formule de Hervé Hasquin, concluait, nous l’avons écrit, un fort brillant discours prononcé à l’Université de Mons le 24 février dernier, lors de la soirée inaugurale de la réflexion lancée par le Collège provincial du Hainaut et l’UMons sur les territoires en Wallonie, ainsi que sur la place de la province dans la gouvernance supralocale. Si la formule est, disons, emportée, la question apparaît pertinente : quel est donc le couillon qui a inventé les bassins de vie ?

Dans un premier texte, nous avons abordé quelques origines des bassins de vie comme espaces d’observation. Nous nous penchons ici davantage sur les espaces d’action, en nous reposant la même question puis en tentant une conclusion très provisoire.

1. Charles Pasqua ? Dominique Voynet ? Jean-Pierre Chevènement ?

Ramener le citoyen et l’élu vers le local

Dans les années qui ont suivi le grand débat national de 1994, l’influence de la créativité politique et administrative française a continué à se faire sentir en Wallonie. Là, comme ici ou ailleurs – et c’est une banalité que de le rappeler –, le contexte de la mondialisation comme celui de l’intégration européenne ont eu tendance à ramener le citoyen comme l’élu vers le local, cadre qui lui apparaît plus rassurant, car apparemment davantage maîtrisable. Ce n’est pas sans intérêt que les Wallons ont observé la mise en œuvre des lois Pasqua du 4 février 1995, Voynet du 25 juin 1999 et Chevènement du 12 juillet 1999. La première disposait que Le schéma national propose une organisation du territoire fondée sur les notions de bassins de vie, organisés en pays, et de réseaux de villes (art. 2). Si elle ne revenait pas sur le concept de bassin de vie, la loi définissait un pays comme un territoire qui présente une cohésion géographique, culturelle, économique ou sociale. Celle-ci était reconnue par la ou les commission(s) départementale(s) de coopération intercommunale en fonction du nombre de départements concernés par le territoire. L’enjeu le plus attractif était, à nos yeux, contenu dans l’article 23 qui dispose notamment que les collectivités territoriales et leurs groupements définissent un projet commun de développement en concertation avec les acteurs concernés [1]. L’article 2 de la loi Voynet restait dans cette logique lorsqu’il rappelait notamment l’importance du développement local dans l’aménagement et le développement durable du territoire en l’organisant dans le cadre des bassins d’emploi et en le fondant sur la complémentarité et la solidarité des territoires ruraux et urbains. Ce développement local favorise au sein de pays présentant une cohésion géographique, historique, culturelle, économique et sociale la mise en valeur des potentialités du territoire, en s’appuyant sur une forte coopération intercommunale et sur l’initiative et la participation des acteurs locaux. L’article 49 de la loi faisait des comités d’expansion et des agences de développement économique créés à l’initiative des collectivités territoriales, ainsi que des comités de bassin d’emploi, les instruments potentiels des collectivités territoriales dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs stratégies de développement économique [2]. La troisième loi fondait les communautés d’agglomération comme établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) regroupant plusieurs communes formant, à la date de sa création, un ensemble de plus de 50000 habitants d’un seul tenant et sans enclave, autour d’une ou de plusieurs communes-centres de plus de 15000 habitants. Selon le texte, ces communes s’associent au sein d’un espace de solidarité, en vue d’élaborer et de conduire ensemble un projet commun de développement urbain et d’aménagement de leur territoire [3]. Vu du côté wallon de la frontière, l’aspect le plus séduisant dans cette législation était probablement l’idée de renouvellement de la démocratie locale, constituant une véritable révolution des territoires. Comme l’affichait un document du Conseil économique et social de Midi-Pyrénées : l’avenir de la commune, c’est la communauté. L’avenir de la Communauté, c’est le Pays [4] . A l’initiative des communes et de leurs groupements, des Conseils de Développement composés de représentants des milieux sociaux, culturels et associatifs pouvaient en effet être librement organisés dans les Pays et les agglomérations. Ce Conseil de Développement était associé à la rédaction d’une Charte de Développement durable du projet de Pays ou d’Agglomération, donc destinée à répondre aux attentes des habitants.

Partager des perspectives futures

La Loi dite SRU (Solidarité et renouvellement urbain) complétait utilement ce dispositif en clarifiant les règles du jeu mais aussi en mettant en place ces outils intégrateurs que sont les SCOT (Schémas de Cohérence territoriale) et les PLU (Plans locaux d’Urbanisme). Ainsi, les SCOT s’affirment-ils comme des documents de planification stratégique intercommunale, c’est-à-dire de conception, de mise en œuvre et de suivi, mobilisant les acteurs du territoire, dans une perspective de développement durable. Les SCOT exposent, comme le dit la loi, le diagnostic établi au regard des prévisions économiques et démographiques et des besoins répertoriés en matière de développement économique, d’aménagement de l’espace, d’environnement, d’équilibre social de l’habitat, de transports, d’équipements et de services [5]. Le lien se fait néanmoins avec le territoire observé lorsque les promoteurs du SCOT de l’Arc Comtat-Ventoux écrivent dès la fin 2000 que cette dynamique concerne un bassin de vie, zone géographique où les habitants ressentent une appartenance à un territoire commun parce qu’ils y habitent, y travaillent, y ont des activités associatives et de loisirs, mais aussi des perspectives futures qu’ils souhaitent partager [6].

Sans aucun doute, l’idée de bassin de vie percole au travers de la frontière franco-wallonne. Le mot lui-même commence à faire fortune. Ainsi, en 1995, le président de l’intercommunale IGRETEC estime que le bassin de vie de Charleroi a reçu sa juste part. Quelques mois plus tard, la ville de Mons annonce qu’une société parisienne, développeur de bassin de vie, sera associée au développement du site des Grands Près, tandis que, un peu plus tard, IGRETEC valorise le bassin de vie de Charleroi dans le cadre des réalisations de l’Objectif 1 Hainaut. C’est là, en février 1998 que se concrétise formellement un bassin de vie, avec l’installation – une première wallonne – d’une communauté urbaine carolo-thudienne, “nouvelle cohérence supra-locale”, “structure supra-communale”, “proche des communautés urbaines françaises”… Cette Communauté urbaine de Charleroi-Val de Sambre rassemble quinze communes. Le ministre wallo-communautaire Jean-Claude Van Cauwenberghe en est l’instigateur, positionnant d’emblée cette institution en partenaire de la Région wallonne et en alternative à l’institution provinciale, qualifiée d’héritage de la Belgique unitaire.  En mai de la même année, une seconde communauté urbaine émerge en Hainaut : à l’initiative du ministre Willy Taminiaux, le Centre se présente également comme un bassin de vie de douze entités fédérant près de 253.000 habitants [7].

 On ne saurait nier que l’implantation de ces dispositifs sur les territoires français a fasciné un certain nombre de chercheurs, de fonctionnaires et d’acteurs territoriaux wallons alors que se développaient des relations et collaborations interrégionales, transfrontalières, voire directement avec la DATAR, ETD, le CERTU, l’OIPR [8], etc.

 2. L’Institut Destrée et le Secrétariat du SDER ?

Des contrats de plan Région-Bassin ?

Le congrès La Wallonie au futur, Sortir du XXème siècle, organisé par l’Institut Destrée dans le cadre de l’exercice de prospective du même nom, avait, en 1998, constitué un moment important de prise de conscience d’idées décentralisatrices infrarégionales que Renaud Degueldre, directeur général du Bureau économique de la Province de Namur, avait bien énoncées sous la forme de trois prérequis : d’abord, que la Région wallonne prenne conscience qu’elle ne peut jouer le rôle d’opérateur et qu’elle a besoin d’opérateurs sous-régionaux seuls capables d’intégrer le caractère pluriel de la Wallonie, ensuite, que la Région wallonne définisse, pour chacune de ses politiques, un plan de développement concerté ; et enfin, que les sous-régions prennent, quant à elles, conscience des limites de leur autonomie pour inscrire leurs actions en soutien d’une politique de développement régional. En d’autres termes, concluait le patron du BEP, la porte doit être ouverte sur une contractualisation formelle des rapports entre les partenaires du développement, sur base d’un cahier des charges précisant les objectifs et les devoirs de chacun  [9]. J’ai déjà écrit, ailleurs, combien ces principes trouvaient des traductions en termes d’actions dans les mécanismes de subsidiarité active et de “contrat de plan Région-Bassin” défendus par Christophe Derenne, rapporteur au même congrès prospectif [10]. Dans le rapport général des travaux, j’avais moi-même relayé l’idée que, si le sous-régionalisme est un concept connoté négativement, impulser des dynamiques de changement au niveau sous-régional est indispensable, car c’est à ce niveau, et à partir des acteurs de terrain, que l’on peut appréhender les réalités et disparités territoriales qui existent concrètement. La dynamique de développement du bassin du Hainaut occidental nous était apparue, à l’un comme à l’autre, comme un modèle qu’il faudrait étendre à toutes les entités composant la Wallonie, ainsi qu’à la région, prise dans son ensemble [11].

Cette proposition allait être affinée par l’Institut Destrée, allié aux entreprises CEMAC (Jean-Louis Dethier) et OGM (François Burhin), lors du colloque Contrats, territoires et développement régional, tenu le 11 mai 1999 à Namur. A côté et dans le cadre d’un Contrat-plan régional wallon, je proposais en tirant quelques conclusions, que soient mis en place des contrats territoriaux de partenariats et de développement : de nouveaux territoires pertinents qui se constitueraient librement, peut-être pour des durées déterminées, sur les principes de l’adhésion volontaire et du pragmatisme [12]. Cette réflexion se nourrissait bien entendu des travaux de la journée, en particulier en ce qui concerne les territoires, des interventions de Jacques Cherèque, vice-présent du Conseil général de Meurthe-et-Moselle, de Damien Devouassoux (DATAR), de Luc Maréchal et de Bernadette Mérenne. Cette réflexion faisait appel aussi, sans s’en cacher, aux travaux de la revue française Pouvoirs locaux, alors très impliquée dans les débats sur les quatre lois que nous avons longuement évoquées.

Les aires de coopération du SDER

Mais le moment était également stratégique en Wallonie puisque, comme devait le rappeler Luc Maréchal, le gouvernement wallon était en passe d’adopter définitivement le Schéma de Développement de l’Espace régional, ce qui sera chose faite le 27 mai 1999. L’Inspecteur général de la Division de l’Aménagement rappelait que ce texte avait intégré la nécessité de mettre en place un processus d’association des communes autour d’objectifs de développement territorial. Au delà des aires de coopération transrégionales, Luc Maréchal entrevoyait l’établissement de schémas d’agglomération pour Charleroi, Liège, Namur et Mons tandis qu’il concevait des aires de coopération en milieu rural, appelés pays. Il concluait que la détermination de ces aires pourrait être le fruit d’un double processus qui lie association politique volontaire des collectivités locales autour d’un projet stratégique comportant des objectifs évaluables et la régulation du processus de formation au niveau régional. Pour ces aires, précisait-il, on peut également ouvrir de nouvelles voies : une tutelle sur les résultats à atteindre et sur la qualité des systèmes de gestion et de décision internes (normes de qualité, ISO, etc.) [13]. S’il était moins explicite, le SDER, tel qu’adopté par le gouvernement wallon, encourageait les aires de coopérations supracommunales regroupant plusieurs communes qui pourraient prendre la forme de communautés urbaines pour les agglomérations urbaines et de projets de pays en milieu rural. Le texte précisait que les aires de coopérations devront notamment, pour être reconnues par la Région, se doter d’un schéma territorial qui sera en cohérence avec les principes du SDER et avec le Projets de structure spatiale. Ces schémas serviraient de documents de référence lors des révisions du plan de secteur, tandis que la Région mettrait en place une politique de soutien financier pour soutenir les projets de ces aires de coopération [14]. C’était évidemment peu de chose comparé aux dispositifs législatifs français. Ces éléments étaient toutefois suffisants pour encourager des dynamiques expérimentales.

 Des outils concrets de développement territorial

Il est assez paradoxal que la première de ces expériences, Luxembourg 2010, allait se concevoir, à partir de la fin 2000, sur le territoire de la province de Luxembourg et de la zone de l’intercommunale IDELUX. Cet exercice s’élabore dans la foulée de la réalisation d’un Schéma de Développement de l’Espace provincial (SDEP) dans lequel, en 1999, émerge déjà un concept de bassin de vie. L’inspiration méthodologique française, et notamment celle, très “datarienne” du Comité de Liaison des Comités de bassin d’emploi est patente dans la nouvelle démarche [15]. C’est en province de Luxembourg également que, dans un souci tant de se rapprocher des besoins des acteurs du développement, en particulier des entreprises et des communes, que de rencontrer les spécificités territoriales, l’intercommunale IDELUX propose en 2003 un réel découpage en bassins de vie. Ainsi, en se fondant sur les Repères… (2002) de la CPDT, IDELUX identifie neuf bassins de vie, comme autant de problématiques territoriales spécifiques, qu’il organise en cinq espaces opérationnels : Famenne, Ardenne de l’Est et Luxembourg-Liège (Vielsalm), Pays d’Arlon, Agglomération du PED et Gaume du Sud, Centre-Ardenne et Bordure ardennaise septentrionale, Ouest ardennais [16].

 En fait l’idée progressait que le développement local et territorial n’était pas le sous-localisme et que, comme l’indiquait Bernadette Mérenne, il manque un niveau intermédiaire entre la Région et la commune. D’ailleurs, la professeur à l’ULg appelait à la création de sous-ensembles spatiaux qui soient des espaces de solidarité, des zones d’équipements en commun, où les forces centrifuges seraient moins fortes que les forces centripètes et où pourraient se développer des projets communs qui aboutissent à des succès partagés par les intervenants locaux. Et c’est avec beaucoup de clarté que la géographe affirmait que les communes, parfois rivales, sont à la fois trop grandes pour s’adapter aux solidarités sociales et trop petites pour gérer les réalités du monde entrepreneurial, qu’il soit privé ou public. Aujourd’hui, la commune ne constitue plus la bonne taille. Je prône les espaces où existe réellement un sentiment général d’appartenance et d’organisation commune [17]. De son côté, lors des travaux de l’exercice de prospective Wallonie 2020, le directeur du CREAT (UCL), Yves Hanin, plaidera pour que la Wallonie puisse retrouver des territoires de projets : le projet de pays est un outil intéressant pour mettre une série d’acteurs en relation pas seulement pour exister à l’échelle du marché international, mais pour retrouver, au travers d’un projet de territoire, une adéquation entre identité, patrimoine et cohabitation. Le schéma d’agglomération pourrait être aussi un élément pertinent, une échelle pertinente, un projet pertinent pour gérer des problèmes de services à la collectivité [18]. Dans ses conclusions, Wallonie 2020 appelait d’ailleurs à intégrer les territoires infrarégionaux comme partie prenante de la contractualisation régionale [19].

3. Le Gouvernement wallon ?

Dès le début des années 2000, le président du gouvernement wallon avait demandé à des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles de rédiger un guide méthodologique. Il s’agissait pour l’IGEAT d’élaborer des processus de construction de contrats d’avenir locaux. Les bassins de vie y étaient assez vaguement évoqués comme échelles pour que les communes puissent y concevoir des partenariats. Il faut toutefois noter que le glossaire de cet ouvrage reprenait la définition du bassin de vie qu’en avait donnée en 1997 le Dictionnaire réalisé en France par ATEA-CRIDEL [20]. Le ministre-président rappellera d’ailleurs l’intérêt de ce travail et la vision qui était la sienne de la supracommunalité lors de son discours de clôture des travaux de l’exercice de prospective Wallonie 2020 [21].

Une montée en puissance dans les DPR

Dans sa quatrième partie portant sur le Plan stratégique transversal visant au développement territorial équilibré et durable, la Déclaration de Politique régionale de 2004 affirmait qu’un développement harmonieux de la Wallonie implique un développement équilibré de l’ensemble de ses bassins de vie [22]. La notion prenait un tour plus orienté vers le développement territorial lorsque cette même DPR indiquait que le territoire est devenu une notion plus humaine qu’administrative et précisait : cette notion de territoire en tant que bassin de vie, d’espace de solidarité est fondamentale puisqu’il s’agit d’élaborer un projet de développement global (économique, social, environnemental et culturel), partagé et approprié par l’ensemble de la population habitant cet espace. Ce projet s’appuie notamment sur le Schéma de Développement de l’Espace régional (SDER) [23]. Il faut noter que, parallèlement, la Déclaration de politique communautaire 2004-2009 (DPC) annonce la création d’une dynamique collective portant sur la reconnaissance de bassins scolaires dans le cadre du Contrat stratégique pour l’éducation que le gouvernement organise. La DPC dit aussi que celui-ci définira des lignes directrices en matière de maillage culturel et de développement territorial, notamment en déterminant les périmètres des bassins (culturels ?) selon des critères objectifs [24].

La Déclaration de Politique régionale 2009 indique la volonté du nouveau gouvernement de simplifier le paysage institutionnel situé entre la Région et la commune, en réformant l’institution provinciale pour la faire évoluer, à terme et après révision de la Constitution, en communauté de territoires adaptée comme entité de gestion des intérêts supra-communaux, de pilotage politique des intercommunales, de soutien aux politiques communales et de déconcentration de missions régionales et communautaires dans le cadre des stratégies établies par la Région et/ou les Communautés. Plus loin, la Déclaration précise que les organes de la communauté de territoires seront : une assemblée qui délibère en public et composée d’élus communaux sur base des principes de représentation minimale et de représentation proportionnelle ; un collège exécutif responsable devant l’assemblée. Les intercommunales correspondant à l’échelle des bassins de vie seront appelées à évoluer en agences techniques d’exécution des orientations politiques de la communauté de territoires [25]. Enfin, le texte précise que, dans l’attente de la transformation des provinces en communautés de territoires et afin de mieux mettre en œuvre des projets communs répondant aux besoins de plusieurs communes, le gouvernement encouragera de nouvelles formes de collaboration entre communes, constituées sur base volontaire, afin de maximiser, au profit de toute la Wallonie, les effets de pôle que représentent les territoires. Les communes pourront ainsi conclure ensemble un contrat de développement durable qui identifiera les moyens, projets et actions prioritaires à mettre en œuvre pour rencontrer les réalités urbaines, rurales ou semi-rurales qui leur sont spécifiques. De son côté, la Déclaration de Politique communautaire 2009-2010 annonce l’approfondissement des initiatives prises dans le domaine de l’éducation, notamment sur base de l’expérience menée dans le bassin scolaire de Charleroi, en développant des instances de co-responsabilisation par bassin de vie [26]. Dans cette démarche, un bassin de vie sera défini comme une zone géographique, pertinente, en matière de politique croisée en termes d’enseignement qualifiant, de formation professionnelle et d’emploi [27].

Une conclusion très provisoire

Une réflexion autour du concept de bassin de vie, y compris les bassins d’emplois et bassins scolaires, organisée lors d’un séminaire de la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, le 8 décembre 2009, avait posé la question de la stabilité des espaces dans le temps long (10, 20 ou 50 ans) et fait la distinction entre des territoires d’observation, nécessitant une stabilité temporelle des limites spatiales, et des territoires d’action, dont les espaces pouvaient varier en fonction des enjeux. Les travaux de Wallonie 2030, menés en 2010-2011 par le Collège régional de Prospective de Wallonie, ont également insisté sur la nécessité de reconsidérer le territoire, que ce soit en termes de localisation de l’activité économique et d’inscription des populations, ou en termes de partage des responsabilités entre acteurs : les politiques, les individus, mais également les acteurs économiques. Wallonie 2030 a bien montré la nécessité d’une plus grande transversalité entre les politiques menées et entre les acteurs, en insistant sur le fait qu’on ne peut plus penser, par exemple, les politiques d’emploi, sans articulation des politiques économiques, d’éducation, de recherche, d’aménagement du territoire, et que les acteurs se situent face à une diversité de mouvements : un mouvement déterritorialisé de l’activité économique et des trajectoires professionnelles, mais également un mouvement de proximité, de mise en réseau d’acteurs au niveau local, particulièrement sur les bassins de vie et les bassins scolaires, si on distingue les deux. Corollaire de la coordination régionale, le Collège a aussi affirmé que l’efficacité des politiques régionales passe par davantage de décentralisation entre la région et les communes, comme l’a souligné lors du congrès de clôture, Louise-Marie Bataille, secrétaire générale de l’Union des Villes et des Communes de Wallonie. Dans ce cadre, les bassins de vie jouent un rôle d’interface en améliorant, grâce à leur masse critique, la performance des politiques locales. Dans tous les cas, y a-t-on conclu, on ne fera pas l’économie d’une réelle mise en cohérence et en convergence des initiatives dans le contrat qui devra être élaboré entre la Région et ses territoires [28].

Ces problématiques ont évidemment gardé toute leur pertinence au moment où il nous faut conclure en répondant enfin à la question qui a inventé les bassins de vie ? Comme souvent, lorsqu’il s’agit d’innovations, surtout si elles sont polymorphes, il est difficile, sinon impossible, d’identifier un seul acteur, une seule trajectoire, un moment et un lieu. Il est en tout cas assez clair que les bassins de vie n’ont pas émergé subitement en Wallonie lors de la dernière ou des deux dernières législatures. L’idée est complexe et profonde, dépasse largement nos frontières et notre siècle. L’influence française est assurémment déterminante [29]. L’influence allemande, compte tenu du contexte de l’époque, est inquiétante.

Politiques sectorielles et transversalités

La première partie de la conclusion de ce texte a, en fait, déjà été écrite, sous le titre de Qu’est-ce qu’un bassin de vie en Wallonie ? Ce texte faisait suite à la présentation par le ministre des pouvoirs locaux Paul Furlan de son livre De la ville aux bassins de vie, le 29 novembre 2012, au Cercle de Wallonie à Liège [30]. J’y rappelais surtout la difficulté de fonder la pertinence du concept, y compris sur le plan statistique, d’établir le lien avec les autres politiques sectorielles dans un souci de transversalité, ainsi qu’avec les logiques volontaristes supracommunales qui, elles, ne s’appuient que très partiellement sur les diagnostics rétrospectifs et actuels pour s’inscrire, par une démarche prospective, dans des enjeux, des visions et des stratégies de long terme. Le ministre des Pouvoirs locaux avait en effet confirmé, comme il l’avait fait au Parlement [31], que, pour lui, les communautés de communes correspondaient bien aux bassins de vie et que le redéploiement de la Wallonie ne se ferait que sur base de bassins de vie, de communautés de communes, et à la fois dans la réalité de terrain et porté par les élus locaux. Les deux colloques intitulés Communautés de territoires et intelligence territoriale, organisés les 13 et 19 décembre 2013 à Liège et à Charleroi, à l’initiative de Paul Furlan, n’ont pas remis fondamentalement en cause ce positionnement [32].

La deuxième partie de la conclusion est prématurée. Il faut attendre les multiples remarques introduites dans le projet de SDER par les acteurs locaux qui constituent, dans le meilleur des cas, autant d’efforts pour clarifier la relation que le gouvernement wallon a tenté d’instaurer entre bassins de vie et communautés de territoires. Dans les textes, la confusion entre territoire d’observation et territoire d’action y a atteint des sommets desquels il est en effet nécessaire de redescendre au risque de confier des rôles de gouvernance à des espaces fondés par et pour une statistique dont, nous l’avons entendu de la part des chercheurs des différents domaines, la qualité est elle-même interrogée.

Clarté territoriale et évidence institutionnelle

Ce qui est frappant c’est bien sûr le caractère polysémique du concept de bassin de vie mais surtout le fait que, au nom de la diversité des enjeux et à part quelques exceptions, on a défendu jusqu’ici la pluralité des définitions et surtout des espaces. Cette conception me paraît totalement orientée vers les experts et non vers les bénéficiaires comme la bonne gouvernance devrait nous y inciter. Le citoyen, comme l’élu, du reste, est lui, confronté à une multitude d’enjeux dans la vie quotidienne et, dès lors, n’a que faire d’un territoire à géométrie variable qui changerait de forme au gré des indicateurs, de la manière de les construire ainsi que de croiser – ou pas – les approches sectorielles : emploi, enseignement, santé, développement économique, aménagement, etc. Ce dont les citoyens et les élus ont besoin, avant tout, c’est de clarté territoriale et d’évidence institutionnelle. La stabilisation des territoires, comme celle des institutions, constituent des nécessités démocratiques absolues. Leur simplicité est la condition même de leur compréhension, de leur appropriation ainsi que de la qualité des réponses que ces territoires et ces institutions apportent aux citoyens.

Ainsi que je l’ai écrit dans un texte récent, le bassin de vie est au centre de la problématique de la territorialité et du débat ouvert sur la décentralisation des politiques régionales. On peut en donner une définition robuste, qui fut nourrie par un débat très constructif avec Pierre Got à la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, le 20 novembre 2012 : un bassin de vie est une aire de coopération territoriale à laquelle aurait adhéré librement un certain nombre de communes où, d’une part, se réalise un projet de développement endogène et transversal durable porté par les acteurs et où, d’autre part, peuvent se mettre en œuvre, par contractualisation, des politiques publiques régionales territorialisées [33].

J’avais, en ce qui me concerne, et en vue d’un entretien avec le journaliste Marc Sirlereau (RTBF), le 14 septembre 2012, avancé sept principes que je pense utiles pour construire des bassins de vie :

1. s’appuyer sur des projets collectifs de long terme (vs pertinence « scientifique ») ;

2. formaliser des contractualisations multiniveaux (internes et externes, supracommunales et multiacteurs) qui s’appuient sur les acteurs existants, en particulier les communes, les entreprises et les associations ;

3. prendre en compte le polycentrisme et la complémentarité rural-urbain (Huy-Waremme, Mons-La Louvière, etc.) ;

4. se fonder sur l’interterritorialité (pragmatisme vs compétitions et hiérarchies institutionnelles) ;

5. rechercher une meilleure efficience par une meilleure utilisation des ressources (humaines, budgétaires ou territoriales) disponibles ;

6. intégrer et mettre en cohérence maximale des compétences (bassins d’emplois, bassins scolaires, judiciaires, etc.) ;

7. professionnaliser les structures avec des outils de qualité (intercommunales de développement, universités, CSEF, centres culturels, etc.).

 Ce ne sont bien sûr que des pistes.

 Au delà, il apparaît certain que, si on restait dans cette bizarrerie qui ferait que plus personne ne saurait ce qu’est un bassin de vie, on pourrait se dire que la question de Hervé Hasquin qui nous sert de titre deviendrait particulièrement pertinente.

 Philippe Destatte

https://twitter.com/PhD2050


[1] Loi no 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, Journal officiel de la République française n° 31 du 5 février 1995, p. 1973. legifrance.gouv.fr – Texte initial.

[2] Loi no 99-533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, Journal officiel de la République française, n° 148 du 29 juin 1999, p. 9515. legifrance.gouv.fr- Texte initial.

[3] Loi no 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, Journal officiel de la République française, n° 160 du 13 juillet 1999, p. 10361. legifrance.gouv.fr – Texte initial.

[4] Pays et agglomérations… pour un renouvellement de la démocratie locale, Toulouse, Conseil économique et social régional de Midi-Pyrénées, s.d, [2004 ?].

[5] Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, Journal officiel de la République française, n° 289 du 14 décembre 2000, p. 19777. legifrance.gouv.fr – Texte initial.

[6] Qu’est-ce qu’un SCOT ?, Carpentras, Syndicat mixte Comtat Ventoux, 15 décembre 2000. http://www.scotcomtatventoux.fr

[7] Hugo LEBLUD, Igretec, dans L’Echo, 13 décembre 1995. – H. LEBLUD, “Technologique” pour Mons, dans L’Echo, 20 mars 1996. – H. LEBLUD, Objectif 1 : Igretec plaide “non coupable”, dans L’Echo, 3 mai 1997. – H. LEBLUD, Charleroi – Thuin : vers une nouvelle cohérence supra-locale, dans L’Echo, 18 février 1998. – H. LEBLUD, Le Centre se trouve enfin une identité politique, dans L’Echo, 16 mai 1998.

[8] Le Centre de Ressources du Développement territorial (ETD), le Centre d’Etude sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et les Constructions publiques (CERTU), L’Observatoire international de Prospective régionale (OIPR).

[9] Renaud DEGUELDRE, Infrastructures structurantes et informations, dans La Wallonie au futur, Sortir du XXème siècle, Innovation, évaluation, prospective, p. 205, Charleroi, Institut Destrée, 1999.

[10] Ph. DESTATTE, Jalons pour une définition des territoires…, p. 40.

[11] Ph. DESTATTE, Rapport général du quatrième Congrès La Wallonie au futur, Sortir du XXème siècle : évaluation, innovation, prospective, dans La Wallonie au futur, Sortir du XXème siècle…, p. 431-432. A noter que cette dynamique du Hainaut occidental était particulièrement intéressante avec différentes initiatives telles que la création d’un Comité de Bassin du Hainaut Occidental, dans le cadre de l’initiative communautaire PME, la fusion des chambres de commerce de Tournai et Mouscron en une Chambre de Commerce et de l’Industrie du Hainaut Occidental, ainsi que la création du Comité de Pilotage de la région de Tournai, Ath, Mouscron (COPITAM). L’influence territoriale française, notamment de la loi d’orientation, y était peut-être plus manifeste qu’ailleurs. Voir Henri CAPRON, Valérie AJZENMAN, Florence HENNART, Livre blanc du Hainaut occidental, p. 2 et 37, Bruxelles, Dulbea-CERT, à l’initiative d’IDETA, Février 2001.

[12] Ph. DESTATTE, Pistes méthodologiques pour rédiger une nouvelle déclaration de politique régionale, dans Contrats, territoires et développement régional, p. 139-140, Charleroi, Institut Destrée, 1999.

[13] Luc MARECHAL, Le Schéma de Développement de l’Espace régional : un processus vers l’évaluation et la contractualisation, dans Contrats, territoire et développement régional…, p. 68-69.

[14] Gouvernement wallon, Schéma de Développement de l’Espace régional, adopté par le Gouvernement wallon le 27 mai 1999, Annexe 2, p. A.6, Namur, MRW, Secrétariat du SDER, 1999. – Ph. DESTATTE et L. MARECHAL, Prospective des espaces en transition territoriale et politique : la Wallonie, dans Yves JEAN et Guy BAUDELLE, L’Europe, Aménager les territoires, p. 378-389, coll. U, Paris, A. Colin, 2009.

[15] Voir le document de référence utilisé au début de la démarche : Olivier MAZEL, Pascal VAZARD et Klaus WERNER, Construire un projet de territoire, Du diagnostic aux stratégies, Comité des Liaison des Comités de bassin d’emploi, Paris DATAR, 1997.

[16] Bassins de vie, Proposition de découpage et ses fondements, Arlon, IDELUX, 8 octobre 2003, 4 p. + Annexe cartographique. Document aimablement fourni par Henry Demortier, 17 mars 2014. – René Delcominette quitte Idelux, il garde la passion, dans L’Echo, 30 août 2011. – A noter que ces bassins étaient encore au cœur de la réflexion organisée en 2013 dans le même territoire pour construire un SDEL (Schéma de Développement de l’Espace luxembourgeois).

[17] Patricia del MARMOL, La Wallonie devrait reprendre le pouvoir, La masse critique « une réflexion en profondeur que pose Bernadette Mérenne, docteur en géographie de l’ULg, dans L’Echo, 20 novembre 2001. – voir aussi B. MERENNE, Aménagement du territoire et bassins de vie, Exposé à la Plateforme d’Intelligence territoriale wallonne, Namur, Institut Destrée, 23 juin 2011.

[18] Y. HANIN, Développement territorial, enjeux et stratégie, dans Wallonie 2020, Une réflexion prospective citoyenne sur le devenir de la Wallonie, Actes de l’exercice de prospective mené en Région Wallonie de novembre 2001 à février 2004, p. 116, Charleroi, Institut Destrée, 2005.

[19] Wallonie 2020, Une réflexion prospective citoyenne sur le devenir de la Wallonie, Actes…, p. 601-602.

[20] Dominique-Paule DECOSTER dir., Vers des Contrats d’Avenir locaux, Elaborer et réussir sa stratégie de développement communal, p. 126 et 154, Bruxelles-Namur, ULB-IGEAT – Région wallonne, sd [2003]. – Voir aussi D-P DECOSTER, Gouvernance locale, développement local et participation citoyenne, Charleroi, ULB, 2002. – Voir aussi Pierre GOVAERTS, Christian VANDERMOTTEN dir., Les communautés urbaines, Namur, CPDT, 2003.

[21] Wallonie 2020, Une réflexion prospective citoyenne sur le devenir de la Wallonie, Actes de l’exercice de prospective mené en Région Wallonie de novembre 2001 à décembre 2004, p. 586-587, Charleroi, Institut Destrée, 2005.

[22] Déclaration de Politique régionale wallonne, 2004, p. 35.

[23] Ibidem, p. 72. (Partie 6, Aménagement du territoire).

[24] Déclaration de Politique communautaire 2004-2009, p. 5 et 44, Bruxelles, 2004. – Pierre BOUILLON et David COPPI, PS-CDH : le contrat au net, Intitulé de l’accord : “Wallonie-Bruxelles, 2004-2009”, dans Le Soir, 10 juillet 2004, p. 1 et 4.

[25] Déclaration de Politique régionale 2009-2014, Une énergie partagée pour une société durable, humaine et solidaire,  p. 255-257, Namur, Parlement wallon, 15 juillet 2009.

[26] Déclaration de Politique communautaire 2009-2014, Une énergie partagée pour une société durable, humaine et solidaire, p. 23-24, Bruxelles, 15 juillet 2009. – voir aussi Xavier BODSON, Bassins de vie : pour une meilleure articulation entre l’emploi, la formation et l’enseignement, Bruxelles, IEV, Septembre 2009.

[27] Conseil économique et social de Wallonie, Avis A 1068 relatif aux bassins de vie et pôles de synergie, p. 2.

[28] Ph. DESTATTE, Wallonie 2030, Quelles seraient les bases d’un contrat social pour une Wallonie renouvelée ? Rapport général du congrès du 25 mars 2011 au Palais des Congrès de Namur, p. 5, 7, 17, Namur, Collège régional de Prospective de Wallonie, 2011.

Cliquer pour accéder à Philippe-Destatte_Wallonie2030_Rapport-General_2011-03-25_Final_ter.pdf

[29] Voir notamment : Olivier HEUSKIN, Le concept de communauté urbaine : notions de base et repères essentiels, Exposé présenté à la séance plénière de l’asbl Liège Demain, le 14 décembre 2009.

[30] Paul FURLAN, De la ville aux bassins de vie, Entretiens avec Marcel Leroy, Liège, Luc Pire, 2012. Voir : Ph. DESTATTE, Qu’est-ce qu’un bassin de vie en Wallonie ? Blog PhD2050, 29 novembre 2012.

[31] Parlement wallon, Compte rendu intégral, n° 7 (2012-2013), mardi 2 octobre 2012 p. 16.

[32] Orientations en vue de l’élaboration d’une politique de la ville ou des territoires en Wallonie, Namur, SPW-DGO4, 31 janvier 2014, Draft 28 p.

[33] Ph. DESTATTE, Les mots pour le dire : SDER et autres SRADDT, p. 2, Blog PhD2050, 20 janvier 2014.